Sermon sur la Passion de Saint
Léon le Grand
1) « Bien-aimés,
le Mystère de la Passion que le Seigneur Jésus, Fils
de Dieu, a embrassée pour le salut du genre humain et par laquelle,
selon sa promesse, il a, une fois élevé, tout attiré
à lui, ce mystère a été dévoilé
d’une manière si claire et si lumineuse par la parole
de l’Evangile que, pour des cœurs religieux et pieux, il
n’y a pas de différence entre entendre ce qui vient d’être
lu et voir ce qui s’est passé. Aussi, le récit
sacré jouissant d’une indubitable autorité, nous
devons nous efforcer, avec l’aide du Seigneur, de faire en sorte
que l’intelligence ait une vue claire de ce que l’histoire
a fait connaître.
Il faut rappeler cette première et universelle ruine causée
par l’humaine prévarication, qui fit que « par
un seul homme le péché entra dans le monde et par le
péché la mort, et qu’ainsi la mort passa en tous
les hommes, du fait que tous ont péché » (Rm 5
12) ; depuis lors, personne ne pouvait échapper à l’effroyable
domination du diable, ni personne se libérer des chaînes
d’une dure captivité ; nul ne pouvait voir s’ouvrir
devant lui soit le pardon pour la réconciliation, soit le retour
vers la vie, à moins que le Fils de Dieu, co-éternel
et égal à Dieu le Père, ne daignât devenir
aussi fils de l’homme et ne vînt « chercher et sauver
ce qui était perdu »(Lc 19 10) ; ainsi, comme la mort
était venu par Adam, la résurrection des morts viendrait
par notre Seigneur Jésus-Christ (1 Cor 15 21). Si en effet,
par l’impénétrable jugement de la sagesse de Dieu,
le Verbe s’est fait chair (Jn 1 14) dans les derniers jours
(1 Jn 2 18 : « Novissima hora est »), il n’en résulte
pas que l’enfantement de la Vierge salutaire n’ait profité
qu’aux générations de la fin des temps, et ne
soit pas propagé aussi aux âges passés. Non, c’est
dans cette foi qu’ont vécu et plu à Dieu tous
ceux sans exception qui ont autrefois adoré le vrai Dieu, tout
l’ensemble des saints des siècles antérieurs,
et ni pour les patriarches, ni pour les prophètes, ni pour
n’importe quel saint, il n’y a eu de salut et de justification
si ce n’est dans la rédemption de notre Seigneur Jésus-Christ
: comme celle-ci était attendue parce que promise par de nombreux
oracles prophétiques et des signes , ainsi a-t-elle été
rendue présente par le don lui-même et par l’accomplissement.
2) Aussi maintenant, bien-aimés,
dans tout le déroulement de la Passion du Seigneur, gardons-nous
de considérer l’infirmité humaine comme si nous
jugions que la puissance divine ait pu y faire défaut : n’imaginons
pas davantage cette condition du Fils unique qui le rend co-éternel
et égal au Père, comme si nous pensions que ne s’est
pas vraiment passé tout ce qui paraît indigne de Dieu.
L’une et l’autre nature absolument sont un seul Christ
: le Verbe ici n’est pas plus séparé de l’homme
que l’homme n’est dissocié du Verbe. L’abaissement
ne répugne pas parce que la majesté n’en est pas
diminuée. Rien n’a été dommageable à
la nature inviolable de ce qu’il fallait que souffrît
la nature passible : toute cette action sacrée que consommèrent
ensemble et l’humanité et la divinité, fut une
dispensation de miséricorde et une œuvre de compassion.
Tels étaient, en effet, les liens qui nous tenaient attachés
que , sans ce secours, nous ne pouvions être délivrés.
L’abaissement de la divinité est donc notre relèvement.
C’est à un prix aussi élevé que nous sommes
rachetés, c’est à de si grands frais que nous
sommes guéris. Quel moyen, en effet, serait donné à
l’impiété pour revenir à la justice, à
la misère pour retrouver le bonheur, si le juste lui-même
ne se penchait vers les impies et le bienheureux vers les misérables
?
3) Ne rougissons donc pas, bien-aimés,
de la croix du Christ : elle relève de la force du conseil
divin, non de la condition du péché. Car, encore que
le Seigneur Jésus ait vraiment souffert et soit vraiment mort
en raison de l’infirmité qui est nôtre, il ne se
priva pourtant pas de sa gloire au point de ne rien exercer de l’action
divine parmi les outrages de la Passion. L’impie Judas, en effet,
non plus couvert d’une peau de brebis , mais se dévoilant
dans sa fureur de loup (Mt 7 15) inaugura sa violence criminelle sous
les apparences de la paix et donna le signal de la trahison par un
baiser plus meurtrier que tous les traits ; la multitude furieuse
qui, pour se saisir du Seigneur, était accourue se joindre
à la cohorte armée des soldats, ne voyait pas, parmi
les torches et les lanternes, la vraie lumière, aveuglée
qu’elle était par ses propres ténèbres
; le Seigneur, comme l’atteste l’évangéliste
Jean, ayant préféré attendre la foule plutôt
que la fuir, demande alors à ceux qui ne l’ont pas encore
découvert, qui ils cherchent : « c’est moi »,
dit-il (Jn 185) ; et cette parole, telle la foudre, abattit et renversa
cette troupe composée des hommes les plus féroces, en
sorte que tous ces gens farouches, menaçants et terribles,
reculèrent et tombèrent à la renverse. Où
donc était cette conspiration de violence ? Où cette
ardeur dans la colère ? Où ce déploiement d’armes
? Le Seigneur dit : « C’est moi » ; et à
sa voix la troupe des impies est jetée à terre. Que
pourra dès lors sa majesté quand elle viendra juger,
si son humilité a pu cela lorsqu’on allait elle-même
la juger ?
4) Cependant le Seigneur, sachant ce
qui convenait mieux au mystère qu’il avait embrassé,
ne persista pas dans cette manifestation de puissance, mais laissa
ses persécuteurs retrouver le pouvoir de commettre le crime
qu’ils avaient décidé. Car, s’il n’avait
pas voulu se laisser prendre, il n’aurait certainement pas été
pris. Mais qui d’entre les hommes aurait pu être sauvé,
si lui n’avait pas permis qu’on le saisît ? (Mt
26 512) Saint Pierre lui-même, en effet, attaché au Seigneur
par une fidélité plus intrépide et brûlant
de l’ardeur d’un saint amour pour repousser l’assaut
de ceux qui usaient de violence, prit le glaive pour frapper un serviteur
du prince des prêtres, et coupa l’oreille de cet homme
qui attaquait plus farouchement. Mais le Seigneur ne souffre pas que
le bouillant apôtre poursuive son généreux mouvement
: il ordonne de rentrer l’épée et ne permet pas
qu’on le défende contre les impies par la main et par
le fer. Il eût été contraire au mystère
de notre rédemption que celui qui était venu mourir
pour tous refusât de se laisser prendre : en différant
le triomphe de sa glorieuse croix, il eût prolongé la
tyrannie du diable et fait durer l’esclavage des hommes. Il
donne donc à ceux qui s’acharnent sur lui licence d’exercer
leur fureur, sans que pourtant sa divinité dédaigne
de se révéler même à eux. La main du Christ
remet en place sur la tête défigurée l’oreille
du serviteur, déjà morte puisque coupée, et séparée
du corps vivant : elle répare ce qu’elle-même avait
créé ; et la chair ne tarde pas à suivre le commandement
de celui par qui elle avait elle-même été créée.
5) Ces actions ont donc une vertu divine.
Mais si le Seigneur a contenu le pouvoir de sa majesté et souffert
sur lui la violence du persécuteur, c’est par un effet
de cette volonté selon laquelle « Il nous a aimés
et s’est livré pour nous » (Eph 5 2) et avec la
coopération du Père lui-même, « qui n’a
pas épargné son propre Fils, mais l’a livré
pour nous tous » (Rm 8 32) Il n’y a, en effet, qu’une
volonté du Père et du Fils, comme il n’y a qu’une
divinité ; et du résultat d’un tel dessein, nous
ne vous devons nul remerciement, ô Juifs, ni non plus à
toi, Judas. Votre impiété en vérité a
servi à notre salut, sans que vous l’ayez voulu, et par
vous s’est réalisé tout ce que « la main
de Dieu et son conseil avaient déterminé d’avance
». (Act 4 28). La mort du Christ nous libère donc et
vous accuse. A juste titre vous êtes les seuls à ne pas
avoir ce qui, par votre volonté, a péri pour tous. Et
pourtant si grande est la bonté de notre Rédempteur
que vous pourriez vous aussi obtenir le pardon si, en confessant le
Christ Fils de Dieu, vous renonciez à cette méchanceté
parricide. Car ce n’est pas en vain que, sur la croix, le Seigneur
a prié en ces termes : « Père, pardonne-leur,
ils ne savent ce qu’ils font ».(Lc 23 34) Un tel remède
ne t’aurait pas été refusé même à
toi Judas, si tu avais cherché refuge dans une pénitence
qui t’aurait ramené au Christ et non poussé au
suicide. Car lorsque tu disais : « j’ai péché
en livrant un sang innocent » (Mt 27 4), tu persistais dans
ta perfidie impie, parce que, au moment du péril suprême
de ta mort, tu croyais Jésus non pas Dieu et Fils de Dieu,
mais seulement homme de notre condition : de ce Jésus, tu aurais
fléchi la clémence, si tu n’avais pas nié
la toute-puissance.
Que ces pensées, bien-aimés, suggérées
à votre pieuse attention, suffisent pour aujourd’hui,
de peur que l’ennui ne s’insinue à la faveur de
la prolixité. Ce qui manque encore pour que tout soit complet,
nous vous promettons de vous le donner mercredi, le Seigneur aidant
: car lui qui nous a donné ce dont nous avons parlé,
nous donnera, nous le croyons, de quoi vous parler encore ; par notre
Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent honneur et
gloire dans les siècles des siècles. Amen. »
Un commentaire de ce sermon à
la lumière de l’enseignement de saint Thomas d’Aquin
sur le mystère de la rédemption
A - Le n°
1 de ce sermon de Saint Léon le Grand aborde le problème
de la rédemption par mode de satisfaction
Sans la satisfaction du Christ, nulle
personne, dans l’Ancien Testament comme dans le Nouveau, ne
pouvait connaître le salut
C’est tout le genre humain, avant
comme après la venue du Christ qui a bénéficié
de cette rédemption par mode de satisfaction.
Voilà, ce me semble, les deux
idées fondamentales que Saint Léon expose dans ce n°
1 du sermon.
Saint Thomas d’Aquin traite de
ce problème dans la question 48 de la III pars de la Somme.
Et plus particulièrement dans l’article fort important
: l’article 2 de la Question 48.
article 2 : si la Passion du Christ
a causé notre salut par mode de satisfaction ?
La réponse est claire : «
le Christ, en souffrant sa Passion, a satisfait d’une manière
parfaite pour nos péchés ».
Voici l’explication de saint Thomas
dans le corps de l’article 2
Saint Thomas commence par formuler un principe qui domine tout le
point de doctrine en question, à savoir : « Celui-là,
dit-il, satisfait proprement pour une offense ». C’est
donc en raison d’une offense que se dit la satisfaction. Il
doit y avoir satisfaction parce que , premièrement, il y a
eu l’offense. Ces deux notions s’appellent, sont liées.
« Donc celui-là satisfait proprement pour une offense
qui présente à l’offensé ce pour quoi il
a autant ou encore plus d’amour que l’offense ne lui inspire
de haine »
Dans ce cas, en effet, l’offensé
n’hésitera point à remettre l’offense.
« Or le Christ souffrant dans sa
passion, par amour et par obéissance, a présenté
à Dieu quelque chose de plus grand que n’exigeait la
compensation de toute l’offense du genre humain » : car
l’acte d’amour et d’obéissance, de la part
du Christ, surtout dans la réalisation de sa Passion, l’emporte
infiniment, comme chose agréable à Dieu, sur l’horreur
même que devait inspirer à Dieu la désobéissance
et l’ingratitude de tous les êtres humains, pris dans
leur généralité ou en particulier. Et cela pour
trois raisons.
« Premièrement, en raison de la grandeur de la charité
qui causait la Passion du Christ.
« Secondement, à cause de la dignité de la vie
que le Christ donnait comme satisfaction, laquelle était la
vie d’un Dieu-Homme.
« Troisièmement, pour la généralité
de la Passion et la grandeur de la douleur prise par le Christ »,
qui était proportionnée à la dette de tout le
genre humain, « ainsi qu’il a été dit plus
haut, à la question 46 5-6 »
Et c’est pourquoi la Passion du
Christ non seulement fut une satisfaction suffisante, mais surabondante
pour les péchés du genre humain ; selon cette parole
de la première épître de Saint Jean : «
Lui-même est la propitiation pour nos péchés ;
et non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde
entier ».
Commentaire du Père Pègues
«La satisfaction est ordonnée à réparer
l’offense. Et parce que l’offense a provoqué l’irritation,
le courroux, la haine de la part de l’offensé, il faudra
donc que la satisfaction, pour compenser l’offense, apporte,
en hommage qui puisse être agréé, au moins l’équivalent
de l’injure. Dans le cas du genre humain, constitué par
le péché en état d’offense contre Dieu,
l’injure du côté de Dieu offensé avait quelque
chose d’infini ; mais du côté de l’homme,
elle restait nécessairement quelque chose de fini. Si donc
se présente à Dieu, pour compenser l’injure que
l’homme lui a faite, un sujet humain qui soit lui-même
d’une dignité infinie, et s’il offre, comme compensation
ou en hommage de satisfaction, des actes qui l’emportent, sans
proportion, même comme nature d’actes, sur les actes qui
ont constitué l’offense, il est manifeste que satisfaction
pleine et entière aura été donnée. C’est
le cas des actes du Christ dans sa Passion. Et, aussi bien, cette
Passion a-t-elle, au plus haut point et de la manière la plus
excellente, causé par mode de satisfaction, le salut du genre
humain ».(T,16 p.
A cet argument il faut joindre l’idée
du « corps mystique du Christ », idée que saint
Thomas développe dans le « ad primum » et qui permet
de comprendre que les actes posés par la tête puissent
bénéficier ou profiter aux membres : « La tête
et les membres, dit-il, quand il s’agit du Christ et de ses
fidèles, sont comme une seule personne mystique. Il suit de
là que la satisfaction du Christ appartient à tous les
fidèles comme à ses membres ».
Et par cette satisfaction du Christ en
sa Passion - qui fut une compensation surabondante de l’offense
du péché d’Adam - le Christ nous a racheté
du péché originel et de la servitude de Satan. Et en
ce sens cette satisfaction est rédemptrice, de sorte qu’il
faut dire que « la Passion du Christ a opéré notre
salut par mode de rédemption.
C’est l’article 4 de la question
48 :
Article 4 : si la Passion de Christ a
opéré notre salut par mode de rédemption ?
Pour fonder la réponse, saint
Thomas, dans le « sed contra » cite deux textes de l’Ecriture
qui sont incontournables : - celui de l’Epître de saint
Pierre qui dit : « « Ce n’est point par l’or
ou par l’argent corruptibles que vous avez été
rachetés de votre première vie que vous teniez de vos
pères ; mais par un sang précieux, celui de l’agneau
immaculé et intact, le Christ » ; (1 Pet 1 18) et –
celui de saint Paul aux galates : « Le Christ nous a rachetés
de la malédiction de la loi, en se faisant pour nous malédiction
» (Gal 3 13).
Donc par sa Passion, le Christ nous a rachetés.
L’explication théologique
de Saint Thomas : « par le péché, l’homme
a contracté une double obligation. Premièrement, celle
de la servitude du péché ; car celui qui pèche
est l’esclave du péché (Jn 8 34). Il est dit aussi
dans la deuxième épître de saint Pierre «
quiconque est vaincu par un autre devient l’esclave de cet autre
» (2 Pet 2 19). Puis que donc le démon avait triomphé
de l’homme en l’amenant à pécher, l’homme
était voué à la servitude ou à l’esclavage
du démon. Secondement, il y avait aussi l’obligation
de la peine qui faisait que l’homme était tenu par la
justice divine. Et cela aussi était une certaine servitude
ou un certain esclavage ; car c’est le propre de l’esclave
de subir ce qu’il ne veut pas, le propre de l’homme libre
étant, au contraire, d’user de lui-même comme il
veut. La Passion du Christ ayant donc été une satisfaction
suffisante et surabondante pour le péché et pour la
peine du genre humain, cette Passion fut comme le paiement d’une
solde qui nous a libéré de l’une et de l’autre
obligation. La satisfaction, en effet, par laquelle un sujet satisfait
pour soi ou pour autrui, est comme une solde par laquelle il se rachète
du péché et de la peine, selon cette parole de Daniel
: « Rachetez par l’aumône vos péchés
» (Dan 4 24). Or le Christ a satisfait , non en donnant de l’argent
ou quelque autre chose de ce genre, mais en donnant ce qu’il
avait de plus grand, Lui-même , pour nous. Il s’ensuit
que la Passion du Christ est dite notre rédemption »
ou notre rachat.
Commentaire rapide : « C’est
au sens le plus véritable et le plus parfait que le Christ
est dit nous avoir rachetés par sa Passion. Par sa Passion,
en effet,, Il a donné à Dieu le prix qui nous libérait
de la servitude ou de l’esclavage du péché, où,
selon un juste jugement de Dieu, nous étions détenus
par l’injuste usurpation du démon. Il suit de là
que le Christ est vraiment, pour nous, le Rédempteur.
Mais ce titre de Rédempteur, par
rapport à nous, est-il propre au Christ ou ne devons-nous pas
aussi le donner à quelque autre, autrement dit, le Christ est-il
le seul rédempteur ?
C’est du moins la conclusion de saint Léon le Grand.
C’est ce qu’étudie
Saint Thomas dans l’article 5 de la question 48.
Article 5 : Si d’être rédempteur
est le propre du Christ.
Dans le corps de l’article, Saint
Thomas nous avertit qu’ « à l’effet que quelqu’un
rachète, deux choses sont requises, savoir : l’acte de
payer et le prix du paiement. Si en effet quelqu’un donne pour
le rachat d’une chose, un prix qui n’est pas à
lui mais qui est à un autre, lui-même ne sera point dit
racheter principalement, mais plutôt celui à qui le prix
appartient. Or le prix de notre rédemption », de notre
rachat, « est le sang du Christ, en sa vie corporelle, laquelle
est dans le sang qu’Il a lui-même donnée en solde
et en paiement. Il suit de là que l’une et l’autre
de ces deux choses « , savoir le fait de donner le prix et celui
d’avoir ce prix qui est donné comme chose à soi,
« appartient au Christ immédiatement, en tant qu’il
est homme ; mais cela appartient à la Trinité toute
entière, comme à la cause première et éloignée,
de qui était la vie elle-même du Christ, comme de son
Premier Auteur, et par qui il fut inspiré au Christ en tant
qu’homme de souffrir pour nous. Par conséquent, d’être
immédiatement Rédempteur est le propre du Christ, en
tant qu’Il est homme ; bien que la rédemption elle-même
puisse être attribuée à la Trinité tout
entière comme à la première Cause ».
B – Le n° 2 va parler
des fruits de la Passion de Notre Seigneur
Saint Thomas en parle dans la question
49 de la III pars de la Somme . il y consacre 6 articles.
Il va nous démontrer que la Passion du Christ nous a délivré
du péché (article 1), de la puissance du démon
(article 2) ; de l’obligation de la peine (article 3) ; qu’elle
nous a réconciliés avec Dieu (article 4) et ouvert la
porte du Ciel (article 5) ; et que par elle , le Christ a obtenu son
exaltation (article 6)
Article 1 : « si par la Passion
du Christ nous avons été délivré du péché
?
C’est là une affirmation
de l’Ecriture : « Il nous aimés et Il nous a lavés
de nos péchés » (Apoc. 1 5)
Au corps de l’article, saint Thomas
répond en déclarant nettement que « la Passion
du Christ est la propre cause de la rémission des péchés,
d’une triple manière.
D’abord par mode d’excitant à la charité.
Car ainsi que l’Apôtre le dit « Dieu marquera sa
charité pour nous du fait qu’alors que nous étions
ennemis, le Christ est mort pour nous » (Rm 5 8). Or c’est
par la charité que nous obtenons le pardon des péchés
selon cette parole du Christ : « Beaucoup de péchés
lui ont été remis parce qu’elle a beaucoup aimé
» (Lc 7 47)
« Secondement, la Passion du Christ
cause la rémission des péchés par mode de rédemption.
Dès lors en effet que Lui-même est notre tête »
et que nous sommes les membres de son corps mystique, l’Eglise,
« par sa Passion, qu’il a subie par amour et par obéissance,
Il nous a délivrés, nous, ses membres, de nos péchés,
comme le prix de sa Passion ; un peu comme si un homme, par quelque
œuvre méritoire que sa main exercerait, se rachetait d’un
péché que le pied aurait commis. De même, en effet,
que le corps naturel est un, constitué par la diversité
des membres, ainsi l’Eglise entière, qui est le corps
mystique du Christ, est tenue comme une seule personne avec sa tête
qui est le Christ ».
« C’est encore d’une
troisième manière que la Passion du Christ est la cause
propre de la rémission des péchés, « par
mode de cause efficiente : pour autant que la chair du Christ, selon
laquelle le Christ a souffert sa Passion est l’instrument de
la divinité : d’où il suit que ses souffrances
et ses actions opèrent, dans la vertu même de Dieu, à
chasser le péchés ».
Commentaire : « Tout ce qui a trait,
pour nous, à la cause de la rémission des péchés
se concentre, comme cause propre immédiate dans la Passion
du Christ. C’est vraiment par la vertu de cette Passion et de
cette Passion seule, comme cause prochaine, immédiate et propre,
que sont remis tous les péchés. Elle est le signe par
excellence de l’amour de Dieu nous faisant miséricorde.
Elle constitue le prix de notre rédemption ou de notre rachat
. Et elle tire de son union immédiate à la divinité
une vertu infinie qui lui permet d’agir à l’effet
d’expulser le péché en tous ceux à qui
elle s’applique ou par les sacrements ou la foi aimante.
Délivrés du péché
par la Passion du Christ, le sommes-nous aussi de la peine du péché
? C’est l’article 3 de cette question 49 :
Article 3 : si par la Passion du Christ
les hommes ont été délivrés de la peine
du péché ?
Cette question est d’importance.
Il ne semble pas que nous soyons délivrés
de la peine du péché. Saint Thomas multiplie les raisons
« La principale peine du péché
est la damnation éternelle. Or ceux qui étaient damnés
dans l’enfer pour leurs péchés n’ont pas
été délivrés par la Passion du Christ
; car dans l’enfer il n’est point de rédemption.
Donc il semble que la Passion du Christ n’a point délivré
les hommes de la peine ». C’est la première objcetion.
Mais il y a pire encore
« A ceux qui sont délivrés
de l’obligation de subir une peine, aucune peine ne doit être
enjointe. Or, aux pénitents est enjoint une peine satisfactoire.
Donc par la Passion du Christ les hommes ne sont point délivrés
de l’obligation de subir la peine ».
Et la troisième objection semble
elle fatale
« La mort est la peine du péché selon saint Paul
: « Le salaire du péché , c’est la mort
(Rm6 23). Mais encore après la Passion, les hommes meurent.
Donc il semble que par la Passion du Christ nous ne sommes point délivrés
de l’obligation de la peine ».
Réponse de Saint Thomas dans le corps de l’article. Il
dit : « par la Passion du Christ nous avons été
délivrés de l’obligation à la peine, d’une
double manière.
D’abord, directement : en ce sens que la Passion du Christ fut
une satisfaction suffisante et surabondante pour les péchés
de tout le genre humain. Or quand a été offerte la satisfaction
suffisante, l’obligation à la peine est enlevée
». Il suit de là qu’après la Passion du
Christ le genre humain n’est plus tenu à aucune peine.
D’une autre manière , indirectement
: en ce sens que la Passion du Christ est la cause de la rémission
du péché qui fonde l’obligation à la peine
» : le péché n’existant plus et se trouvant
remis par une cause si parfaite que jusqu’au souvenir tout est
effacé, il n’y a donc plus à parler de peine en
raison de ce péché..
Mais alors que répondre aux constatations
de fait posées par Saint Thomas dans les objections de cet
article ? Si la Passion du Christ a été une cause si
souverainement parfaite de la délivrance à l’endroit
de la peine, comment expliquer que la peine continue de régner
dans le monde après cette Passion du Christ. Saint Thomas dans
les réponses aux objections va projeter sur cette question
si troublante de merveilleuses clartés.
Le « ad primum » déclare
que « la Passion du Christ obtient son effet en ceux à
qui elle est appliquée par la foi et la charité et par
les sacrements de la foi. Il suit de là que les damnés
dans l’enfer, qui ne se sont pas unis de cette manière
à la Passion du Christ, puisqu’ils sont fixés
dans le mal du péché et dans la haine de Dieu «
ne peuvent point percevoir l’effet de cette Passion ».
C’est donc à tout jamais que durera leur peine, sans
que cela nuise en rien à l’efficacité de la Passion
du Christ.
Cette réponse de saint Thomas
permet de comprendre le peu de fondement du fameux paragraphe 13 de
la première encyclique de Jean-Paul II :« Redemptor hominis
». Il écrit : « Il s’agit donc ici de l’homme
dans toute sa vérité, dans sa pleine dimension…
Il s’agit de chaque homme, parce que chacun a été
inclus dans le mystère de la Rédemption, et Jésus-Christ
s’est uni à chacun pour toujours, à travers ce
mystère. Tout homme vient au monde en étant conçu
dans le sein de sa mère et en naissant de sa mère, et
c’est précisément à cause du mystère
de la Rédemption qu’il est confié à la
sollicitude de l’Eglise. Cette sollicitude s’étend
à l’homme tout entier et est centrée sur lui d’une
manière toute particulière. L’objet de cette profonde
attention est l’homme dans sa réalité humaine
unique et impossible à répéter, dans laquelle
demeure intacte l’image et la ressemblance de Dieu lui-même
(Gen 127)…L’homme, tel qu’il est « voulu »
par Dieu, « choisi » par Lui de toute éternité,
appelé, destiné à la grâce et à
la gloire : voilà ce qu’est « tout » homme,
l’homme le plus « concret », « le plus réel
» ; c’est cela, l’homme dans toute la plénitude
du mystère dont il devient participant en Jésus-Christ
et dont devient participant chacun des quatre milliards d’hommes
vivant sur notre planète, dès l’instant de sa
conception près du cœur de sa mère ».
D’après la pensée
de Jean-Paul II, donc, chaque homme - et il insiste à plusieurs
reprises sur cette universalité ; une bonne douzaine de fois
dans ce seul paragraphe - est uni au Christ grâce au mystère
de la Rédemption. Toujours d’après Jean-Paul II,
il ne s’agit pas de l’ union de tout homme à Dieu
en tant que créature ; il s’agirait au contraire d’une
nouvelle union, nouvelle parce que réalisée par la Rédemption.
Cette union, qui concernerait, nous le répétons «
chaque homme » serait définitive « (pour toujours),
dit Jean-Paul II). A peine est-il venu au monde que chaque homme se
trouverait déjà uni à la Rédemption du
Christ, déjà bénéficiaire du salut qu’Il
nous a gagné par sa Passion et sa Mort. Mais alors, à
quoi donc sert le Saint Baptême ? Et ce n’est pas tout
: en chaque homme venant au monde demeureraient intactes, d ‘après
Jean-Paul II, aussi l’image de la ressemblance avec Dieu. Quel
est alors l’effet du péché originel, et quelle
est la nécessité du Baptême pour retrouver la
ressemblance perdue ? La confusion entre l’imago et la similitudo
est ici évidente ; cette dernière a en effet été
complètement perdue, et l’homme ne peut la retrouver
qu’à travers la « renaissance de l’eau et
de l’Esprit ». Mais si cette distinction entre imago (naturelle)
et similitudo (surnaturelle) a disparu, il est permis de se demander
si le dogme du péché originel et la nécessité
du Saint Baptême n’ont pas disparu eux aussi. En effet,
la doctrine traditionnelle est que « la tache du péché
originel dont nous parlons, demeure dans les fils de ceux qui ont
été régénérés, tant qu’elle
n’a pas été lavée en eux par l’eau
de régénération. En effet le régénéré
ne régénère pas ses enfants, il les génère
; et il ne leur communique pas la régénération,
mais il leur transmet le vice de sa naissance. Et donc ni l’infidèle
coupable, ni le fidèle absous ne génère de fils
innocents, mais coupables… C’est pourquoi la première
naissance tient l’homme sous le joug de la damnation, dont seule
la seconde naissance peut le libérer ». (St Augustin,
de Gratia Christi et de peccato originali II,40) Affirmer au contraire
que « chacun des quatre milliards d’hommes vivant sur
notre planète, dès l’instant de sa conception
près le cœur de sa mère », est déjà
uni à Jésus-Christ par la Rédemption qu’Il
a accomplie, c’est être en contradiction patente avec
la doctrine catholique traditionnelle….Il apparaît clairement…que
l’on a complètement perdu de vue la distinction entre
Rédemption objective, pour laquelle Jésus a mérité
de façon infinie et donc « suffisamment » pour
chaque homme, et la Rédemption subjective, par laquelle les
mérites de la Rédemption objective sont appliqués
sous certaines conditions à la personne individuelle. Jean-Paul
II, lui, résout tout cela par la Rédemption, sans distinction…
Comment peut-on concilier de telles positions avec celles qui ont
été depuis toujours enseignées par l’Eglise
? Et que l’on ne nous dise pas que ce n’est pas ce que
Jean-Paul II voulait dire : nous jugeons les sens de ce qui est écrit
et non les intentions. Et ce qui est le plus grave, c’est que
tout ce que Jean-Paul II a fait par la suite se révèle
en pleine cohérence avec ce qu’il a écrit quand
il était cardinal puis pape, et cela provoque de nombreux problèmes
et de grands dangers pour la Foi Catholique « (in Courrier de
Rome Janvier 2005 p. 4-5)
L’ « ad secundum »
rappelle que « comme il a été dit (art 1 ad 4um
5um), pour que nous recevions l’effet de la Passion du Christ,
il faut que nous lui soyons configurés. Or, nous lui sommes
configurés sacramentellement dans le baptême ; selon
cette paroles de l’Epître au Romains « Nous avons
été ensevelis avec Lui par le baptême dans sa
mort » (Rm 6 4). Et à cause de cela, aucune peine satisfactoire
n’est imposée aux baptisés : ils sont, en effet,
totalement libérés par la satisfaction du Christ ».
On voit par là combien en toute
vérité, la Passion du Christ a libéré
les hommes de toute peine ou plutôt de toute obligation à
la peine due au péché .
«Mais, ajoute Saint Thomas, parce
que le Christ est mort une fois seulement pour nos péchés
(1 Pet 3 18), il suit de là que l’homme ne peut pas une
seconde fois être configuré à la mort du Christ
par le sacrement de baptême. Il faudra donc que ceux qui pèchent
après le baptême soient configurés au Christ en
souffrant par quelque chose ayant trait à la peine ou à
la souffrance qu’ils porteront en eux-mêmes. Toutefois,
elle suffira, infiniment moindre qu’elle ne devrait être
pour le péché, à cause de la coopération
de la satisfaction du Christ ».
Mais une nouvelle difficulté demeure
au sujet des baptisés pleinement configurés au Christ
par le baptême et qui cependant continuent d’être
soumis aux pénalités de la vie présente et à
la plus grande de toute, la :mort.
Saint Thomas répond à cette
objection dans le « ad tertium ». « La satisfaction
du Christ, explique saint Thomas, a son effet en nous selon que nous
sommes incorporés au Christ comme les membres à la tête,
ainsi qu’il a été dit plus haut ( art 1 q. 48)
Or il faut que les membres soient conformes à la tête.
De même donc que le Christ eut d’abord la grâce
dans l’âme avec la passibilité du corps, et que
par la Passion, Il parvint à la gloire de l’immortalité
; de même nous qui sommes ses membres , par sa Passion nous
sommes délivrés de toute obligation à la peine,
de telle sorte cependant que d’abord nous recevons dans l’âme
« l’esprit d’adoption des enfants (Rm 8 15), qui
nous marque pour l’héritage de la gloire de l’immortalité,
ayant encore un corps passible et mortel ; puis, configurés
aux souffrances et à la mort du Christ (Phipp 3 10), nous sommes
conduits à la gloire immortelle ; selon cette parole de l’Apôtre
: « si nous sommes enfants de Dieu, nous sommes aussi ses héritiers,
héritiers de Dieu,, cohéritiers du Christ ; à
condition cependant que nous souffrions ave Lui pour être glorifiés
avec Lui » (Rm 8 17)
Commentaire : Quelle doctrine ! et qui
donc, après cela, oserait protester contre les peines ou les
souffrances de la vie présente, mais ne voudrait pas plutôt,
s’il était bien dans l’Esprit du Christ, y participer
toujours plus excellemment, comme l’ont voulu tous les saints.
Conclusion : La Passion du Christ est
vraiment souveraine contre le mal et contre tout mal qu’il s’agisse
du mal par excellence, cause de tout autre mal qui est le péché
ou comme nécessité de subir une peine proportionnée.
Mais La Passion du Christ aura-t-elle
une semblable efficacité à l’endroit du bien ?
Ou mieux : par le péché
nous sommes tous « enfants de colère » comme le
dit saint Paul et ennemis de Dieu. C’est à cette inimitié
qu’il fallait faire succéder une amitié nouvelle,
une amitié reconquise. Aucun bien d’ordre surnaturel
n’était possible pour nous sans cette réconciliation,
ou plutôt, dans cette réconciliation tous les biens étaient
pour nous conquis. Qu’en est-il de l’efficacité
de la Passion du Christ à l’endroit de cette réconciliation
? Devons nous dire que cette réconciliation est son œuvre,
qu’elle est son effet ?
C’est l’objet des articles
suivants.
Article 4 Si par la Passion du Christ
nous avons été réconciliés avec Dieu ?
Saint Paul donne la réponse catégoriquement
: « Nous avons été réconciliés avec
Dieu par la mort de son Fils « (Rm 5 10)
Dès lors Saint Thomas déclare
que « la Passion du Christ est la cause de notre réconciliation
avec Dieu d’une double manière.
D’abord, en tant qu’elle écarte le péché
par lequel les hommes sont constitués ennemis de Dieu.
D’une autre manière, la Passion du Christ nous a réconciliés
avec Dieu en tant qu’elle est une sacrifice souverainement agréable
à Dieu. Car c’est là proprement l’effet
du sacrifice que par lui Dieu soit apaisé : comme quand l’homme
remet l’offense commise contre lui, en raison de quelque service
agréable qui lui est rendu…Et pareillement, ce fut un
si grand bien, que le Christ ait souffert volontairement sa Passion,
qu’en raison de ce bien trouvé dans la nature humaine,
Dieu a été apaisé au sujet de toute offense du
genre humain, quant à ceux qui sont unis au Christ ayant souffert
selon le mode qui a été indiqué précédemment
(art 1 ad 4um. Art 3 ad 1um ; q. 48 art 6 ad 2um).
Commentaire : c’est tout le mystère
de notre réconciliation avec Dieu grâce à la Passion
de Notre Seigneur. Nous pouvons dire qu’il est impossible à
Dieu de se détourner de nous ou de se souvenir encore de nos
fautes, de nos offenses, quelques grandes et quelques nombreuses qu’elles
aient pu être, quand nous nous présentons à Lui
revêtus de la Passion de son divin Fils. Que ne devons-nous
pas à ce béni Sauveur !
Dans l’ordre du bien à nous
assurer, le fruit par excellence de la Passion du Christ que nous
pouvons recevoir immédiatement dès cette vie, est la
grâce de réconciliation avec Dieu. Par le péché
du premier père que nous portons tous en nous du seul fait
de notre origine et par les péchés personnels que chacun
de nous a pu commettre, nous étions les ennemis de Dieu. Ces
péchés étaient l’obstacle à l’effusion
de son amour sur nous, de cet amour dont Il nous a aimés de
toute éternité et qui l’a fait nous appeler tous
à vivre de sa propre vie. En raison de ces péchés,
Dieu était irrité contre nous . Ils constituaient une
offense qui ne permettait plus à Dieu, tant qu’elle n’aurait
pas été remise et que son courroux n’aurait pas
été apaisé, de nous admettre à la participation
de ses grâces, de ses faveurs, notamment à la participation
de la grâce qui fait de nous ses enfants d’adoption. Adam,
notre premier père, et Eve, notre première Mère,
avaient eu cette grâce avant leur péché ; et s’ils
n’avaient point péché eux-mêmes, ils nous
auraient transmis une nature qui aurait été revêtue
de la même grâce.. C’était la grâce
d’amitié avec Dieu. Dès lors, il fallait, sous
peine pour nous d’être à jamais privés de
la grâce de Dieu, que Dieu s’apaise à notre endroit.
Il fallait qu’entre Lui et nous s’opère la réconciliation.
Il nous fallait désormais une grâce nouvelle, non plus
simplement la grâce d’amitié qui avait été
perdue ; mais la grâce de réconciliation ou d’amitié
recouvrée. Cette grâce, nous la devons à la Passion
du Christ. Elle se distingue de la première en ce qu’elle
nous donne de mener une vie qui n’est plus simplement la vie
que nous aurions menée avec la première grâce.
Celle-ci nous faisait vivre de la vie d’amitié avec Dieu.
La grâce de réconciliation nous fait vivre avec Dieu
d’une vie d’amitié recouvrée. Et c’est
proprement, ce que nous appellerons la vie chrétienne. Elle
consiste à imiter en tout sur cette terre, la vie dont le Fils
de Dieu incarné venant satisfaire pour nos péchés,
a vécu Lui-même tout le premier : vie qui se résume
en un seul mot, puisque aussi bien ce mot, à lui seul, dit
tout ce qu’a été la vie de Jésus-Christ
parmi nous en fonction de son terme final, une vie de mort, une vie
de charité. Pour apaiser la colère de Dieu irrité
de ce que l’homme avait méprisé, en désobéissant,
la mort dont il l’avait menacé, le Christ est allé
à la mort par obéissance. Sa vie n’a été
qu’en fonction de cette mort, si l’on peut ainsi dire.
Et toutes les vertus qu’Il a pratiquées sur cette terre
en ont reçu comme leur caractère spécifique et
distinctif. Il faut qu’il en soit de même pour tous ceux
qui doivent lui appartenir. Leur vie tout entière doit être
en fonction de la mort du Christ à reproduire en eux pour s’assurer
le recouvrement de l’amitié divine que cette mort leur
a valu et procuré. C’est là ce que nous appelons
sur cette terre, la vie chrétienne ou la vie de la grâce
reconquise, de la grâce recouvrée, la vie de r »réconciliation
avec Dieu dans le Christ et par le Christ. Nous la devons à
la Passion du Christ.
Mais Lui devrons-nous aussi le couronnement
ou la récompense de cette vie ? C’est-à-dire notre
admission à la gloire du Ciel et notre entrée dans la
gloire ?
Saint Thomas nous répond dans
l’article 5
Article 5 : si le Christ par sa Passion
nous a ouvert la porte du ciel ?
Saint Paul aux Hébreux donne la
réponse : « Nous avons confiance dans l’entrée
des saints ( i.e. dans les cieux) dans le sang du Christ » (Hb
10 19). Il citera un autre texte aux Hébreux dans le corps
de l’article, aussi concluant : (Hb 9 11-12)
La pensée de saint Thomas : Au
corps de l’article saint Thomas fait observer que « la
fermeture d’une porte est un certain obstacle qui empêche
les hommes d’entrer. Or, les hommes étaient empêchés
d’entrer dans le Royaume du Ciel à cause du péché
; parce que, comme il est dit dans Is 35 8 : « cette voie sera
appelée sainte et l’homme qui est souillé ne passera
point par elle ». Le péché qui est ainsi un obstacle
à l’entrée du Royaume céleste est d’une
double sorte. L’un est commun à toute la nature humaine.
C’est le péché du premièr père.
Et par ce péché l’entrée du Royaume céleste
était fermée à tout homme. Aussi bien lisons-nous
dans la Génèse qu’après le péché
du premier homme , « Dieu plaça un chérubin avec
un glaive de feu tournoyant pour garder le chemin de l’arbre
de vie » (Gen 3 24).
L’autre est le péché spécial à chaque
personne, qui est commis par l’acte propre de chaque être
humain. La Passion du Christ nous a délivrés non seulement
du péché commun à toute la nature humaine, et
quant à la coulpe et quant à l’obligation de subir
la peine, le Christ acquittant pour nous le prix de notre rachat ;
mais aussi des péchés propres à chaque individu
humain parmi ceux qui communiquent à sa Passion par la foi
et la charité et les sacrements de la foi. Il suit de là
que par la Passion du Christ a été ouverte pour nous
la porte du Royaume céleste. Et c’et ce l’Apôtre
dit aux Hébreux : « Le Christ, Pontife des biens futurs,
par son propre sang est entré une fois pour toutes dans les
demeures saintes, ayant procuré une rédemption éternelle
» (Hb 9 11-12) »
Il faut insister un peu sur le «
ad primum » : cette réponse nous permettra de comprendre
la pensée de Saint Léon le Grand pour les Patriarches
: ils ont bénéficié eux aussi de la Passion du
Christ, par la foi à la Passion à venir.
Saint Thomas formule l’objection
: « La récompense de la justice est l’entrée
du Royaume céleste. Donc il semble que les saints Patriarches
qui ont accompli leurs œuvres de justice, ont obtenu l’entrée
du Royaume des cieux très fidèlement, même sans
la Passion du Christ. Donc ce n’est point la Passion du Christ
qui est la cause de l’ouverture de la porte du Royaume céleste
».
Saint Thomas répond que «
les saints Patriarches » , et tous les saints personnages venus
avant le Christ, « en accomplissant leurs œuvres de justice,
méritèrent l’entrée du Royaume céleste
par la foi à la Passion du Christ ; selon cette parole de l’Epître
aux Hebreux : « Les saints, par la foi, ont vaincu les royaumes,
ont opéré la justice » (Hb 11 33) ; et par la
même foi, chacun d’eux était purifié en
ce qui regarde la purification personnelle pour ses péchés
propres. Cependant la foi ou la justice d’aucun d’eux
ne suffisait à écarter l’obstacle qui était
constitué par la culpabilité de toute la nature humaine.
Lequel obstacle a été enlevé par le prix du sang
du Christ. Et c’est pourquoi, avant la Passion du Christ, nul
ne pouvait entrer dans le royaume céleste, c’est-à-dire
obtenir la béatitude éternelle, qui consiste dans la
pleine jouissance de Dieu ».
C - Les n° 3, 4, 5 de ce
sermon de Saint Léon le Grand aborde le problème de
la cause efficiente de la Passion du Christ.
Quelle est la part du Christ dans sa propre Passion ? Quelle est la
part de Judas ? Des Juifs, des Romains, de Pilate ? Voire même
de Dieu le Père. Saint Léon a de très belles
considérations sur le rôle et de Pilate, et de Judas
et des Juifs…dans ces trois numéros.
Nous allons étudier ce problème
à la lumière de la doctrine de Saint Thomas.
C’est finalement le problème de la « cause efficiente
» de la Passion du Christ. Saint Thomas aborde cette question
dans la question 47 de la III pars de la Somme.
A cette question, Saint Thomas consacre
6 articles parfaitement bien ordonnancés :
1-Si le Christ a été tué par les autres ou par
Lui-même ?
2-Pour quel motif Il s’est livré Lui-même à
la Passion ?
3-Si le Père l’a livré pour qu’Il subît
la Passion ?
4-S’il était convenable qu’Il souffrît sa
Passion des mains des Gentils ou plutôt de celles des Juifs
?
5-Si ceux qui le mirent à mort le connurent ?
6Du péché de ceux qui ont tué le Christ.
De ces 6 articles, il est clair que les
deux premiers examinent la part du Christ dans le fait de sa mort
; le troisième, la part du Père ; et les trois autres,
la part des hommes.
Pour ce qui est de la part du Christ,
saint Thomas se demande, d’abord, si, en effet, le Christ peut
être dit avoir eu une part dans le fait de sa mort ; et en second
lieu, quel a été le motif ou le mobile qui a porté
le Christ à se livrer ainsi à la Passion et à
la mort.
Il est clair que les trois premiers articles
de Saint Thomas permettront de commenter, avec clarté, les
n° 3,4,5 de ce premier sermon de saint Léon sur la Passion
du Christ.
Article 1 : Si le Christ a été
tué par quelque autre ou par Lui-même ?
Il semble que l’on puisse dire
que le Christ n’a pas été tué par d’autres,
mais par lui-même. La parole de Saint Jean permettrait de le
conclure quand il dit lui-même : « Personne ne m’enlève
la vie ; c’est moi qui la dépose de moi-même (Jn
10 18) Or celui là est dit tuer quelqu’un qui lui enlève
la vie. Donc le Christ n’a pas été tué
par d’autres, mais par Lui-même.
D’autre part, ceux qui sont tués
par d’autres défaillent peu à peu, leur nature
s’en allant. Or dans le Christ, cela n’arriva pas car
« c’est en criant d’une voix forte qu’Il rendit
son esprit » comme on le lit en Saint Matthieu (Mt 27 50). Ergo.
Enfin, ceux qui sont tués par
les autres meurent d’une mort violente et par suite d’une
mort non volontaire ; car le violent s’oppose au volontaire.
Ergo. Saint Augustin le remarque, du reste, lui qui dit que «
l’esprit du Christ ne quitta point la chair par force, mais
parce qu’Il le voulut, quand Il le voulut et comme Il le voulut.
Donc le Christ n’a pas été tué par les
autres, mais par Lui-même.
Et pourtant saint Luc dit : « Après
l’avoir flagellé ils le mettront à mort »
(Lc 18 33)
Solution :
Au corps de l’article, Saint Thomas
nous avertit qu’ « une chose peut être cause d’un
effet donné à un double titre. –
D’abord, directement, agissant à cet effet. De cette
manière, les persécuteurs du Christ le mirent à
mort ; car ils posèrent à son endroit la cause qui devait
lui donner la mort, avec l’intention de la lui donner en effet,
et l’effet s’ensuivit : cette cause, en effet, amena la
mort du Christ. –
D’une autre manière, quelqu’un
est dit cause d’une chose, indirectement ; en ce sens qu’il
ne l’a pas empêchée quand il pouvait le faire ;
c’est ainsi qu’on dira de quelqu’un qu’il
a mouillé cet autre parce qu’il n’a point fermé
la fenêtre par laquelle la pluie est entrée. De cette
manière, le Christ fut la cause de sa Passion et de sa mort.
Il pouvait, en effet, empêcher cette Passion et cette mort.
Il le pouvait d’abord, en réprimant ses adversaires,
de telle sorte qu’ils ne voulussent pas ou qu’ils ne pussent
pas le mettre à mort. Il le pouvait aussi parce que son esprit
ou son âme avait la puissance de conserver la nature de sa chair
pour qu’aucune cause de lésion qui lui serait infligée
ne parvint à l’accabler : puissance que l’âme
du Christ avait parce qu’elle était unie au Verbe de
Dieu dans l’unité de sa Personne. Par cela donc que le
Christ ne repoussa pas de son propre corps les coups qui lui étaient
portés mais qu’Il voulut que la nature corporelle succombât
sous ces soups. Il est dit avoir déposé Lui-même
son âme ou sa vie et être mort volontairement ».
Ainsi lorsqu’il est dit dans l’évangile
: « « Personne ne m’enlève la vie …
(Jn 10 18), cela s’entend « sans que j’y consente.
Et en effet, si quelqu’un prend une chose à un autre
contre le gré de celui-ci qui est incapable de résister,
alors il est dit, au sens propre, lui enlever cette chose.
Quant au « grand cri » ,
saint Thomas a ce commentaire : « Le Christ, pour montrer que
la Passion que la violence lui infligeait ne lui enlevait pas son
âme ou sa vie, conserva la nature corporelle dans sa force au
point que réduit à l’extrémité,
Il poussait un cri d’une voix puissante. Et cela se met au compte
ou au nombre des autres miracles de sa mort. Aussi bien est-il dit,
en Saint Marc : « Le centurion qui se tenait en face, voyant
qu’Il avait expiré en poussant ce grand cri, eut cette
parole : « Vraiment , cet homme était le Fils de Dieu
» (Mc 15 39) Il y eut également ceci d’admirable,
dans la mort du Christ, qu’Il mourut plus rapidement que les
autres qui étaient crucifiés avec Lui. Il est dit, en
effet, dans Saint Jean qu’à ceux qui étaient avec
le Christ, « on brisa les jambes, pour qu’ils mourussent
tout de suite ; mais « étant venus à Jésus,
ils le trouvèrent mort, et ils ne brisèrent point ses
jambes. Et en Saint Marc il est dit que « Pilate s’étonnait
qu’Il fût déjà mort » (Mc 15 44).
De même, en effet, que par sa volonté la nature corporelle
fut conservée dans sa vigueur jusqu’à la fin,
de même aussi, quand Il voulut, elle céda aux coups qu’on
lui portait ».
Ainsi on peut résumer la pensée
de saint Thomas en disant « que le Christ, tout ensemble, et
subit la violence qui lui donnait la mort, et mourut volontairement
; parce que la violence fut faite à son corps ; mais elle ne
prévalut qu’autant qu’Il le voulut Lui-même
».
C’est en toute vérité que le Christ s’est
livré Lui-même à la mort ; bien que cependant,
en toute vérité aussi, cette mort lui ait été
donnée par ses bourreaux.
Mais quelle fut bien, de sa part, la
cause qui le fit aller à la mort et l’accepter volontairement.
Quel en fut le motif ? Devons nous dire que ce fut par obéissance
?
Saint Thomas nous répond dans
l’article 2
Article 2 : si le Christ est mort par
obéissance ?
Il est dit dans l’Evangile que
c’est par charité qu’il subit sa Passion. «
Marchez dans la dilection, comme, du reste, le Christ nous a aimés
et s’est livré Lui-même pour nous » (Eph
5 2)
Donc si c’est par charité ce n’est pas par obéissance.
Mais pourtant, l’Ecriture dit aussi
: « « Il s’est fait obéissant à son
Père jusqu’à la mort » ( Ph. 28)
Alors. Quid ?
Au corps de l’article Saint Thomas
répond qu’il était souverainement convenable que
le Christ souffrît sa Passion par obéissance.
Premièrement : parce que cela
convenait à la justification des hommes ; afin que «
de même que par la désobéissance d’un seul
homme un grand nombre ont été constitués pécheurs,
de même par l’obéissance d’un seul homme
un grand nombre fussent constitués justes » (Rm 5 19)
Secondement, cela fut convenable à
la réconciliation de Dieu avec les hommes, selon cette parole
de l’Epître aux Romains : « Nous avons été
réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils »
: en ce sens que la mort du Christ fut un certain sacrifice très
agréable à Dieu, selon cette parole de l’Epître
aux Ephésiens : « Il s’est livré Lui-même
pour nous en oblation et en victime à Dieu en odeur de suavité
» (Eph. 5 2). Or l’obéissance est préférée
à tous les sacrifices, selon cette parole : « L’obéissance
est meilleure que les victimes » (1 Rois 15 22). Et voilà
pourquoi il convient que le sacrifice de la Passion et de la mort
du Christ procédât de l’obéissance.
Troisièmement, cela convenait
à la victoire du Christ qui le fit triompher de la mort et
de l’auteur de la mort. C’est qu’en effet, le soldat
ne peut vaincre que s’il obéit au chef. Et, de même,
l’Homme-Christ obtient la victoire par cela qu’il fut
obéissant à Dieu ; selon cette parole des Proverbes
: « l’Homme obéissant multiplie les victoires »
(Prov. 21 28)
Remarque du Père Pègues :
Cette dernière raison, jointe
aux deux autres, éclaire d’un jour magnifique toute l’histoire
du genre humain. On peut dire du genre humain, dans la suite de son
histoire, que tout s’y ramène à une question de
vie et de mort, rattachée elle-même à une question
d’obéissance et de désobéissance. Dieu
avait créé l’homme - pouvant cependant être
mortel de sa nature - dans un état de vie qui ne connaîtrait
point la mort : mais , à une condition : c’est qu’il
observerait un précepte, d’ailleurs très facile,
que Dieu lui donnait pour marquer sa dépendance à l’endroit
du Créateur. Il était, du reste, expressément
averti que s’il désobéissait, il mourrait de mort.
L’homme eut le malheur de ne point tenir compte de cette défense
et de cette menace. Emporté par un mouvement d’orgueil,
à la suggestion du Tentateur perfide, il désobéit
à Dieu. Aussitôt, le privilège de vie immortelle,
accordé par Dieu à la nature humaine dans la personne
du premier homme lui fut enlevé. Pour toujours désormais,
la mort devait régner dans le genre humain déchu. Mais
Dieu, dans sa miséricorde, faite de sagesse, de bonté
et de puissance infinie, allait tout restaurer en vue d’un triomphe
éblouissant sur la mort et sur le démon, qui en était
le premier auteur. Il allait créer l’homme nouveau par
lequel Il remporterait sa victoire. Le démon avait vaincu en
amenant l’homme premier à désobéir. Dieu
allait vaincre en se donnant, dans l’homme nouveau, un obéissant
parfait . Et, de même que la désobéissance du
premier avait causé la mort en violant le précepte auquel
était attachée l’immortelle vie ; de même
l’homme nouveau restaurerait la vie en observant fidèlement
et par obéissance au Chef, Dieu lui-même, souverain maître
de la mort et de la vie , le précepte qui lui commandait d’aller
à la mort. Toute l’économie des conseils de Dieu,
dans l’histoire du genre humain, tient dans ce double contraste
: d’une vie immortelle perdue par une désobéissance
qui méprisait le précepte de la vie ; et de cette même
vie immortelle reconquise par une obéissance qui embrasserait
amoureusement le précepte de la mort.
Obéissance et charité
Saint Thomas dit que le « Christ
a été obéissant par amour pour le Père
qui commandait ». (ad tertium).
Conclusion du Père Pègues
: :
Le Christ s’est livré Lui-même
à la Passion et à la mort. Comme Dieu et comme homme,
et comme Verbe incarné ou comme Dieu-Homme, non seulement il
n’y avait, pour Lui, aucune nécessité de souffrir
ou de mourir, mais Il avait tout pouvoir, un pouvoir absolu d’éviter
la passion et la mort. Toutefois Il a voulu les subir. Et c’est
parce qu’Il a voulu les subir qu’en effet la Passion et
la mort l’ont atteint. D’où il résulte qu’en
toute vérité Il s’est sacrifié Lui-même
; ce qui est la raison même de son sacerdoce. Or, Il l’a
fait par obéissance, pour accomplir ce qu’Il savait être
une pensée arrêtée dans les conseils de Dieu son
Père, une volonté ferme portant sur un dessein qui devait
montrer en pleine lumière la sagesse, la bonté, la puissance
infinie de Dieu dans l’économie de son œuvre par
excellence : la restauration, par la mort volontaire de son Fils sur
la Croix, de l’œuvre ruinée au début du genre
humain par la désobéissance du premier homme détachant
de l’arbre du Paradis terrestre, à l’instigation
du démon, le fruit défendu.
Cette volonté formelle du Père
permettra-t-elle de dire en toute vérité que le Père
a livré Lui-même son Fils à la Passion et à
la mort ? Saint Thomas étudie le problème à l’article
suivant
Article 3 : Si Dieu le Père a
livré le Christ à la Passion ?
Cela ne semble pas possible : car il
est inique et cruel qu’un innocent soit livré à
la torture et à la mort. Ergo.
Il est dit aux Ephésiens que « le Christ s’est
livré Lui-même pour nous » (Eph 5 2) Ergo.
Mais non, c’est Judas qui a livré
son Maître : cf Jn 6 71-72
Mais non, ce sont les juifs qui le livrèrent à Pilate
: cf Jn 18 35
Mais non, c’est Pilate : cf Jn 19 16
Donc il semble que Dieu le Père
n’a point livré le Christ à la Passion.
Cependant nous avons Rm 8 32 où
il est dit : « Dieu n’a point fait grâce à
son propre Fils, mais Il l’a livré pour nous ».
La doctrine de Saint Thomas
Dans le corps de l’article, Saint
Thomas rappelle d’un mot la conclusion de l’article précédent
et en tire tout de suite un triple aspect de preuve pour établir
la conclusion du présent article.
« Comme il a été dit, le Christ a souffert volontairement
sa Passion, obéissant en cela à son Père. D’où
il suit qu’à un triple chef, Dieu le Père a livré
le Christ à la Passion.
D’abord selon que par sa volonté éternelle Il
a pré ordonné la Passion du Christ à la libération
du genre humain, conformément à ce qui est dit dans
le prophète Isaïe : « Le Seigneur a placé
en Lui l’iniquité de nous tous » (Is 53 6) et encore
: « Le Seigneur a voulu le briser dans sa faiblesse »
Secondement, en tant qu’Il lui
a inspiré la volonté de souffrir pour nous, en lui infusant
la charité. Aussi bien est-il ajouté « Il a été
immolé parce qu’Il l’a voulu » (Is 53 7)
Troisièmement, du fait qu’Il
ne l’a pas mis à couvert de sa Passion, mais qu’Il
l’a laissé à la merci des persécuteurs.
Et c’est pourquoi le Christ pendu à la Croix disait :
« Mon Dieu, jusqu’où m’avez-vous abandonné
» (Mt 26 46) en ce sens qu’Il l’avait exposé
sans le défendre, « au pouvoir de ceux qui le persécutaient
»
Le « ad primum » est très
important : « livrer un homme innocent à la torture et
à la mort contre sa volonté est chose impie et cruelle
. mais ce n’est point de la sorte que Dieu le Père a
livré le Christ . C’est en lui inspirant, au contraire,
la volonté de souffrir pour nous. Et en cela est montrée
d’une part la sévérité de Dieu qui n’a
pas voulu remettre le péché sans une peine » proportionnée
; « chose que signifie l’Apôtre quand il dit : «
que Dieu n’a point fait grâce à son propre Fils
»; et d’autre part sa bonté en ce que l’homme
ne pouvant satisfaire suffisamment par une peine qu’il subirait
lui-même, Dieu lui a donné quelqu’un qui satisferait
pour lui, ce que l’Apôtre signifie quand il dit : «
Celui-là ( le Christ), Dieu l’ a fait notre propitiation,
par la foi en son sang » (Rm 3 25)
Alors ! Finalement, Dieu le Père,
Le Christ, Judas, les Juifs, Pilate ont fait même action ?
Saint Thomas répond : «
La même action se juge diversement, en bien ou en mal, selon
qu’elle procède d’une racine diverse. Le Père,
en effet, a livré le Christ, et Lui-même s’est
livré, par amour ; et en raison de cela, on les loue. Judas,
au contraire, a livré le Christ, par cupidité, les juifs
par envie , Pilate par crainte mondaine à l’endroit de
César ; et c’est pourquoi ils sont justement incriminés.
Conclusion :
Il faut dire, en toute vérité,
que Dieu le Père a livré son Fils à la Passion
et à la mort. Jamais, en effet, le Christ n’eut connu
la Passion et la mort, si Dieu le Père n’en avait disposé
ainsi dans ses conseils éternels, en vue du salut du genre
humain : non pas que Lui-même ait infligé la mort au
Christ, pas plus que le Christ ne se l’est donnée Lui-même
; mais Il avait dans son infinie justice, dans sa sagesse et sa miséricorde
statué qu’Il inspirerait au Christ, par amour pour nous
la volonté de ne point repousser, comme Il en avait le droit
et le pouvoir, les mauvais traitements et la mort que lui infligeraient
des hommes pervers ; d’accepter même tout cela avec une
sorte de saint empressement , pour que fussent manifestés les
infinis trésors de bonté contenus en Dieu et dans son
Christ.
Le Christ a donc été livré
par Dieu le Père et Il s’est livré Lui-même
pour des raisons d’infinie sagesse.
Juifs et gentils y eurent leur part.
Mais comment faut-il entendre cette part
dans la Passion : devons nous supposer qu’ils connurent Celui
qu’ils poursuivaient ainsi, qu’ils condamnaient et qu’ils
frappaient ?. C’est la question même de la responsabilité
des auteurs du déicide. C’est l’objet de l’article
5
Article 5 :Si les persécuteurs
du Christ le connurent ?
Dans ses objections, Saint Thomas se fonde sur l’Ecriture Sainte
(2 fois) et sur un sermon prononcé à l’occasion
du Concile d’Ephèse.
La première citation de l’Ecriture Sainte est celle de
Mt 21 38 : c’est la belle parabole des vignerons homicides.
Le Père Spicq, de cette parabole, fait un magnifique commentaire.
Or il est dit que « les Vignerons voyant le fils, dirent entre
eux, : Celui-ci est l’héritier, venez, tuons–le
» Sur quoi, Saint Jérôme dit : « Le Seigneur
prouve de la façon la plus manifeste que les Princes des Juifs
crucifièrent le Fils de Dieu, non par ignorance, mais par jalousie
». Ils avaient compris, en effet, qu’Il était Celui
qui venait : l’héritier du Père, le Fils de Dieu.
La deuxième objection de Saint
Thomas est fondée sur la citation de Saint Jean : « Le
Seigneur dit : « Maintenant ils m’ont vu et ils m’ont
haï, moi et mon Père » (Jn 15 24) Donc les Juifs
connaissant le Christ lui infligèrent la Passion par un motif
de haine.
L’argument « sed contra » cite une phrase de Saint
Paul dans la première Epître aux Corinthiens : «
S’ils l’eusssent connu , ils n’auraient jamais crucifié
le Seigneur de la gloire » (I Cor 2 8). Puis une phrase de Saint
Pierre : « Je sais que vous avez fait cela par ignorance, comme
aussi vos Princes » (Act 3 17)
Et le Seigneur lui-même pendu à
la Croix dit : « Père, pardonnez leur acte ils ne savent
pas ce qu’ils font » (Lc 23 34)
Quid ?
Saint Thomas va résoudre ce problème
par une distinction de la plus haute importance. Il nous averti que
« parmi les Juifs, les uns étaient » notables ou
« les grands » ; et les autres , constituent la multitude
et la foule ou « les petits ».
Les grands parmi les Juifs qui étaient les Princes de ce peuple,
connurent, comme aussi les démons, que Jésus «
était le Christ ou le Messie « promis dans la loi : car
ils voyaient en Lui tous les signes que les prophètes avaient
annoncé devoir être. Mais ils ignoraient le mystère
de sa divinité ; et c’est pourquoi l’Apôtre
dit que s’ils l’eussent connu, jamais ils n’auraient
crucifié le Seigneur de la gloire. Toutefois, il faut savoir
que leur ignorance ne les excusait pas du crime de déicide
; « parce que c’était en quelque manière
une ignorance affectée » ou crasse et coupablement voulue.
« Ils voyaient, en effet, les signes évidents de sa divinité
; mais, par haine et par jalousie ou envie à l’endroit
du Christ, ils tournaient à mal ces signes et ils ne voulurent
pas croire à ses paroles par lesquelles Il confessait qu’Il
était le Fils de Dieu. De là vient que Lui-même
dit, en parlant d’eux, dans saint Jean : « Si je n’étais
pas venu et que je ne leur eusse point parlé , ils n’auraient
pas de péché ; mais maintenant ils n’ont point
d’excuse pour leur péché ». Et plus loin,
Il ajoute : « Si je n’eusse point fait en eux et parmi
eux des œuvres que nul autre n’a faites, ils n’auraient
pas de péché » (Jn 15 22 24) De telle sorte qu’on
peut entendre comme proféré par eux-mêmes, ce
qui est dit au livre de Job : « Ils ont dit à Dieu :
Eloignez-vous de nous ; nous ne voulons pas la science de vos voies
» (Job 21 14)
Ainsi pour Saint Thomas la chose est
claire : les signes ou les miracles faits par le Christ devant les
Juifs cultivés et instruits avaient le caractère d’évidence.
De telle sorte que ceux qui n’en ont pas conclu qu’Il
était vraiment Dieu et le Fils de Dieu sont inexcusables :
seule, leur volonté mauvaise en fut la cause. Ces mêmes
miracles sont rapportés dans les quatre évangiles. Il
n’est pas un esprit cultivé ou instruit qui ne puisse
les connaître et les reconnaître. Si donc ceux-là
qui le peuvent ne les connaissent pas ou ne les reconnaissent pas
et que, pour ce motif, ils ne viennent pas au Christ par une foi pleine
et aimante, ce sera pour une raison de mal ou de disposition mauvaise
dans leur volonté ; et, par suite eux non plus n’auront
pas d’excuse pour leur péché de n’être
point venus au Christ.
Il en est autrement pour les petits .
Ceux là, « les petits, c’est
à dire les hommes du peuple, qui n’avaient point connu
les mystères de l’Ecriture, ne connurent point pleinement
ni qu’Il était le Christ, ni qu’Il était
le Fils de Dieu ; bien que quelques uns d’entre eux aussi aient
cru en Lui. Toutefois, la multitude ne crut pas. Et, à certains
moments, ils avaient des doutes à son sujet, se
demandant s’Il était le Christ, en raison de la multitude
de signes ou des prodiges et de l’efficacité de la doctrine,
comme on le voit en saint Jean (Jn 7 31 41 et suiv. ) ; dans la suite,
cependant, ils furent trompés par leurs Princes (MT 27 20),
de telle sorte qu’ils ne crurent ni qu’Il était
le Christ, ni qu’IL était le Fils de Dieu. Et c’est
aussi pourquoi Pierre leur dit : « Je sais que vous avez fait
cela par ignorance, comme, du reste, aussi vos Princes : en ce sens
qu’ils avaient été séduits et égarés
par les Princes ».
Ici encore on aura remarqué ce
tableau si vrai de l’inaptitude de la foule, comme telle, à
saisir, par elle seule, les profondeurs cachées de la doctrine
; et sa facilité à être trompée et égarée
par des conducteurs pervers, même lorsque sa droiture naturelle
l’aurait d’abord portée à se rendre aux
signes éclatants plus particulièrement faits pour la
convaincre. Sa responsabilité sera donc moindre et nul doute
que Dieu ne soit plus pitoyable aux « petits » qu’aux
grands », en pareil cas. . Il n’en faudrait pas conclure
que toute responsabilité disparaît et que les «
petits » égarés par les « grands »
seront excusés de tout péché par le fait même.
Quelque difficulté qu’il y ait, en effet, pour la multitude
plus éloignée de ce qui constitue, à des degrés
divers, la culture de l’esprit, il n’en demeure pas moins
que tout être humain ayant l’usage de la raison est à
même, absolument parlant, de reconnaître les signes de
la vérité, selon que Dieu, dans sa Providence, les met,
d’une manière au moins suffisante, à sa portée,
en utilisant les lumières indéfectibles du bon sens
et les sentiments premiers de l’équité naturelle.
Aussi bien voyons-nous que la multitude du peuple juif n’a pas
été indemne aux yeux de la justice divine, et que non
seulement les chefs qui l’avaient égaré, mais
aussi le peuple qui avait suivi ses chefs, ont tous été
châtiés pour le crime de déicide.
Ceci étant dit, voyons comment
saint Thomas répond à la première objection fondée
sur la parabole des vignerons homicides.
« A cela on peut répondre
qu’ils connurent qu’Il était le Fils de Dieu non
par nature, mais par l’excellence d’une grâce spéciale.
– Toutefois, ajoute Saint Thomas, nous pouvons dire qu’ils
sont dits avoir connu même qu’Il était le vrai
Fils de Dieu parce qu’ils avaient les signes évidents
de cela, sans qu’ils aient voulu y donner leur assentiment de
façon à ce qu’ils reconnussent qu’Il était
le Fils de Dieu, en raison de la haine et de l’envie ».
Commentaire du Père Pègues
: ce qui revient à dire qu’ils eurent la preuve qu’Il
était le Fils de Dieu, mais qu’ils refusèrent
coupablement d’y soumettre leur esprit. Il semble bien que telle
est la vérité historique selon qu’elle se dégage
du récit évangélique. Et cela n’est pas
en contradiction avec le mot de saint Paul cité dans l’argument
« sed contra » ; parce que la connaissance dont il s’agit
n’est point la connaissance d’intuition faisant pénétrer
dans l’intime de la réalité connue ; c’est
une connaissance déduction ou de raisonnement, laquelle ne
porte que sur la rigueur d’un lien logique, si l’on peut
dire, et qui aboutissant à une conséquence dont la volonté
perverse ne veut pas, n’est pas incompatible avec l’iniquité
souveraine du déicide conscient .S’ils avaient vu la
divinité du Fils de Dieu en elle-même, assurément
ils ne l’eussent pas crucifié, mais ils ont pu le crucifier,
même en voyant, par la conséquence inéluctable
des prodiges qu’Il accomplissait et des affirmations qu’Il
émettait au sujet de Lui-même, qu’Il devait être
et qu’Il était le Fils de Dieu, n’ayant d’ailleurs
du Fils de Dieu dans sa nature propre, comme de la nature même
de Dieu, que la connaissance très imparfaite et, en quelque
sorte, toute extérieure que peut en avoir sur cette terre l’être
humain qui même est en opposition de volonté avec le
Dieu qu’il connaît et qu’il déteste. N’est-ce
pas, du reste, aujourd’hui encore, le cas des impies intelligents
et instruits mais rebelles, qui ne peuvent pas ne pas s’avouer
que les documents évangéliques sont vrais, que, par
conséquent, Jésus de l’Evangile est vraiment Celui
qu’Il s’est dit être ; et qui cependant le poursuivent
de leur haine et de leurs outrages , soit dans sa Personne même
cachée sous les voiles du sacrement de l’Eucharistie
soit dans son Eglise et dans tout ce qui rappelle son souvenir.
La réponse de Saint Thomas dans
le « ad tertium » est importante. Là, il déclare
que « l’ignorance affectée n’excuse pas de
la coulpe ou de la faute, mais semble plutôt aggraver cette
faute ou cette coulpe : elle montre, en effet, que l’homme est
attaché avec tant de véhémence au fait de pécher,
qu’il veut encourir l’ignorance pour ne pas éviter
le péché. Et c’est pourquoi les Juifs péchèrent,
« non pas seulement » d’un péché d’homicide
et comme ayant crucifié le Christ, homme, « mais »
du péché de déicide et « comme ayant crucifié
Dieu » lui-même. Ils ont donc toute la responsabilité
du déicide. Ils l’ont, parce qu’ils pouvaient,
qu’ils devaient savoir que Celui qu’ils vouaient au crucifiement
était vraiment Dieu lui-même, le Fils de Dieu en personne
; qu’ils ont détourné volontairement leur esprit
de ce qui, dans cette vérité, les aurait contraints
d’abdiquer devant le Christ et de se faire ses disciples,
Commentaire rapide : Les ennemis du Christ,
ceux qui, parmi les Juifs, ne cessent de le poursuivre de leur haine
jusqu’au jour où ils l’eurent fait mourir sur la
Croix ne peuvent être excusés du crime de déicide.
Ils avaient tous les moyens de le connaître et de savoir qui
Il était, non seulement qu’Il était le Christ
ou le Messie promis, mais qu’Il était Dieu lui-même,
le Fils de Dieu revêtu de notre nature humaine. Devant les preuves
qui étaient accumulées sous leurs yeux, ils ne pouvaient
pas ne pas s’avouer à eux-mêmes qu’Il était
cela. Mais les passions qui les tenaient et leur volonté perverse
agissaient sur leur esprit pour le détourner de conclure, à
tout le moins elles ruinaient l’effet qui aurait dû s’ensuivre
: et, au lieu de venir à Jésus pour se soumettre à
Lui, ils s’aveuglaient volontairement, niant ou dénaturant
même l’évidence pour se donner le droit de le détester,
de le poursuivre et de le perdre. C’est même en cela que
consistait ce péché contre le Saint-Esprit, que le Christ
leur reproche dans l’Evangile, et qui n’est pas autre,
ici, que l’aveuglement volontaire, la perversité suprême
consistant à nier l’évidence ou à dire
et peut être à finir par se persuader que cela même
qu’on voit être n’est pas pour l’unique raison
que la volonté perverse veut que cela ne soit pas.
De là, on peut répondre à la question de la culpabilité
de ceux qui ont crucifié le Christ.
C’est l’article 6 : «
Si le péché de ceux qui ont crucifié le Christ
a été le plus grave ?
Voici la réponse de Saint Thomas.
Il distingue toujours entre les « grands », les «
petits » et les romains.
Il dit : « Comme il a été
dit les princes des Juifs connurent le Christ ; et si quelque ignorance
fut en eux, ce fut une ignorance affectée » ou voulue,
« qui ne pouvait les excuser. Il suit de là que leur
péché fut le plus grave : « soit en raison du
genre du péché » puisque ce fut le déicide
; « soit en raison de la malice de la volonté. S’il
s’agit des « petits » ou des hommes du peuple et
de la multitude « parmi les Juifs, leur péché
fut le plus grave, à considérer le genre du péché
», puisque ce fut toujours le déicide ; « toutefois
, leur péché était un peu diminué, à
cause de leur ignorance », qui n’était pas affectée
comme celle des grands, bien qu’elle fût, elle aussi ,
en un sens, coupable, n’étant pas une ignorance invincible.
«… Beaucoup plus encore excusable le péché
des Gentils » ou des païens, savoir les soldats romains
« par les mains desquels le Christ fut crucifié ; car
ceux-là n’avaient point la science de la loi »
et ignoraient tout au sujet du Christ . C’est surtout et directement
pour eux que le Christ priait quand Il disait à son Père
: « Père Pardonnez-leur ; ils ne savent pas ce qu’ils
font.
Dans le « ad secundum » ,
saint Thomas dit : « le péché de Judas et des
Pontifes fut plus grave que celui de Pilate qui mit à mort
le Christ par crainte de César ; et aussi que celui des soldats
qui, par ordre du Procureur, crucifièrent le Christ ; et non
par cupidité, comme Judas, ni par envie et par haine, comme
les princes des prêtres ».
Résumons tout cet enseignement
sur les causes de la mort du Christ :
« Si la Passion du Christ a eu
lieu, c’est, à n’en pas douter, parce que Lui-même
l’a voulu. Et Il ne l’a voulu Lui-même qu’en
union de volonté parfaite avec la volonté du Père
dont l’infinie sagesse avait renfermé dans ce mystère
ses plus riches trésors. Mais les exécuteurs humains,
de ce plan divin, qui furent les Juifs et les Gentils, ne sauraient
bénéficier de la sagesse des conseils de Dieu . C’est
par une volonté perverse de leur part qu’ils ont poursuivi
le Christ et l’ont conduit à la mort. La perversité
de cette volonté n’a pas été la même
pour tous. Car tous n’étaient pas éclairés
d’une égale lumière au sujet du Christ. Les premiers
responsables, et, partant, les plus coupables, furent les principaux
parmi les Juifs, les chefs du peuple, ceux qui avaient en leurs mains
le dépôt des Ecritures. Ils auraient pu et ils devaient
reconnaître le Christ dans la Personne de Jésus. Mais,
par jalousie et par haine, ils éloignèrent sciemment
la lumière qui leur était donnée avec surabondance.
Leur crime est sans excuse. Il est le plus grand qui ait été
jamais commis parmi les hommes. Le peuple juif, égaré
et trompé par eux, a eu sa responsabilité diminuée
en raison de la part d’involontaire qu’il a pu avoir dans
son ignorance. Il en fut de même et dans une mesure plus grande
encore, pour les païens, ignorants des choses de la Loi, qui
coopérèrent au crime du déicide. Tous furent
coupables ; mais bien moins que les Juifs ; et, à des degrés
divers, selon le degré de leur culture ou de leur indépendance.
» (Père Pègue T ; 16 p. 440-464)
L’enseignement de Vatican II sur ce sujet.
Tout le monde sait que le Concile Vatican
II a publié un texte appelé « Nostra aetate »
qui traite des relations de l’Eglise avec les religions non
chrétiennes. Ce texte, très court, seulement 5 paragraphes,
aborde le problème de « la religion juive ». C’est
le paragraphe 4. Je l’ai relu après avoir repris la Somme
de saint Thomas sur ce sujet. Je suis vraiment frappé de la
« pauvreté » de l’exposé de «
Nostra aetate ». La distinction que fait Saint Thomas sur les
« grands » et les « petites » du peuple juif
et qui seule permet de répondre avec précision à
la question du rôle des « Juifs » dans la Passion
du Christ, n’y paraît même pas. Ce texte conciliaire
me paraît vraiment très faible
Le voici retranscrit dans les parties
qui nous intéressent ici : le rôle des Juifs dans la
Passion du Christ.
« Encore que des autorités
juives, avec leurs partisans, aient poussé à la mort
du Christ, ce qui a été commis durant sa Passion ne
peut être imputé ni indistinctement à tous les
Juifs vivant alors ni aux Juifs de notre temps. S’il est vrai
que l’Eglise est le nouveau peuple de Dieu, les Juifs ne doivent
pas, pour autant, être présentés comme réprouvés
par Dieu ni maudits, comme si cela découlait de la Sainte Ecriture.
Que tous donc aient soin, dans la catéchèse et la prédication
de la parole de Dieu, d’enseigner quoi que ce soit qui ne soit
conforme à la vérité de l’Evangile et à
l’esprit du Christ.
En outre, l’Eglise qui réprouve toutes les persécutions
contre tous les hommes, quels qu’ils soient, ne pouvant oublier
le patrimoine qu’elle a en commun avec les Juifs, et poussée,
non pas par des motifs politiques, mais par la charité religieuse
de l’Evangile, déplore les haines, les persécutions
et toutes les manifestations d’antisémitisme, qui, quels
que soient leur époque et leurs auteurs ont été
dirigées contre les Juifs.
D’ailleurs, comme l’Eglise l’a toujours tenu et
comme elle le tient, le Christ, en vertu de son immense amour, s’est
soumis volontairement à la Passion et à la mort à
cause des péchés de tous les hommes et pour que tous
les hommes obtiennent le salut. Le devoir de l’Eglise , dans
sa prédication, est donc d’annoncer la croix du Christ
comme signe de l’amour universel de Dieu et comme source de
toute grâce ».
Voilà, c’est tout !