Homélie
Ah ! Mes Bien chers Frères
! Que notre liturgie romaine est riche ! Les textes, les cantiques,
les Epîtres, les Evangiles, les hymnes, les Antiennes, les
Oraisons font ma joie et mon admiration. Notre piété
n’est pas assez « liturgique » Elle ne se nourrit
pas assez des textes liturgiques. Il y a, dans les textes liturgiques
une poésie, un charme inégalable. Je voudrais que
vous le goûtiez davantage…Avant de venir à
la messe dominicale, prenez votre livre de messe et regardez les
textes, méditez les, goûtez les…Vous y trouverez
votre joie, votre spiritualité, vous y trouverez votre
espérance, votre raison de vivre. Vous aurez le goût
de communiquer, de rayonner votre foi…Cette lecture méditée
nourrira votre contemplation…Le monde se meurt, se recroqueville
sur lui-même parce qu’il ne connaît pas Dieu…La
liturgie vous apprend à connaître Dieu et son mystère.
Prenez par exemple l’hymne des Vêpres de l’Avent.
Vous y puiserez le sens de la fête de Noël, le sens
du Saint Evangile.
Voyez la première strophe
:
« Creator alme siderum »
« Créateur saint de l’univers ».
Voilà comment la liturgie
parle de Dieu. Avec quelle déférence ! Avec quelle
majesté. Elle a de Dieu, - et elle l’exprime poétiquement
-, le plus grand des respects, la plus haute idée, en raison
de ce qu’Il est, en raison de sa toute puissance…Le
Créateur de l’univers. Voilà affirmé
le premier article de notre Credo. Ce Dieu qui va naître
pudiquement de la Vierge Marie n’est rien d’autre
que le Créateur de l’univers : « Creator alme
» - saint - des étoiles, de l’univers.
Mais Il n’est pas seulement
cela. Il n’est pas seulement au principe de l’univers.
Il n’est pas seulement le « tout autre ». Il
n’est pas l’ « Etranger ». Il est celui
qui est proche. Il est celui qui est la « lumière
éternel des Croyants : « Aeterne lux credentium ».
Ille lux. La liturgie, dans cet hymne se fait ainsi l’écho
des grands textes du Nouveau Testament, du « Prologue de
saint Jean », des affirmations de NSJC… « Je
suis la Lumière du monde ». Il est la lumière
de l’intelligence, « Celui qui éclaire tout
homme venant en ce monde ». Celui qui marche en sa lumière,
ne marche pas dans les ténèbres. Il est la lumière
de ma foi…Il est ma certitude.
II n’est pas seulement le Créateur.
Il n’est pas seulement la lumière des croyants. Il
est aussi le rédempteur, le « rédempteur des
hommes »
Creator. Lux. Redemptor. Voilà
trois qualificatifs, trois mots que la liturgie met en ma bouche
pour confesser le Dieu trois fois saints : Creator, Lux, Redemptor.
Voilà trois mots qui définissent ce qu’est
Dieu, notre Dieu.
Alors quel respect je dois lui manifester.
Oui c’est sublime ! Nourrissez-vous de la liturgie.
Mais revenons à notre messe.
Aujourd’hui, les textes liturgique
font naître en nos âmes deux sentiments : la joie
et la louange reconnaissante en raison de la venue prochaine de
NSJC, en raison de la rédemption, du salut apporté.
C’est le sens même de
l’Introït.
Et ce thème sera repris dans
tous les autres textes. Il trouvera sa justification, sa raison
dans l’Epître de cette messe ainsi que dans le texte
de l’Evangile. Voyons les choses de plus près.
L’introït est clair.
« Populus Sion », Peuple
de Sion - nous - le Seigneur va venir pour sauver les nations.
« Ecce Dominus veniet ad salavandas gentes et auditam faciet
Dominus gloriam vocis suae in laetitia cordis vestrae ».
« Et le Seigneur va faire entendre la majesté de
sa voix - gloriam vocis suae », « in laetitia cordis
vestris », « pour la joie de votre cœur ».
Laetitia , c’est une vive joie, c’est l’allégresse.
Mais on traduit aussi ce mot par « beauté ».
Mais la joie est la beauté d’un visage…N’est-ce
pas !
Ce texte est pris d’Isaïe
au chapitre 30, verset 30.
Voilà bien exprimé
le sentiment de joie causé par l’audition de «
la gloire de sa voix ». Il va faire entendre sa voix, voix
qui va réjouir ceux qui sont dans l’attente. Et l’on
pense ici, bien sûr, à la scène de la Visitation.
A la voix même de notre Dame, l’enfant trésaille
de joie dans le sein d’Elisabeth…
Et ce thème est repris dans
le Graduel.
C’est le Psaume 49 : «
Dans Sion, beauté parfaite, Dieu va se manifester »,
« Deus manifeste veniet ». Voilà le fait affirmé.
Voilà l’énoncé. : « le Seigneur
vient en sa demeure, Rassemblez lui ses fidèles et dans
cette assemblée réunie, chantez lui votre joie vive
».
Mais c’est aussi l’Alleluia.
« Laetatus sum », «
j’ai été dans la joie quand on ma dit : allons
dans la maison du Seigneur ».
Et parce qu’Il est le Rédempteur,
Parce qu’il est le salut,
Parce qu’il nous rend la vie,
Parce qu’il est miséricordieux,
Parce qu’il accorde son salut,
le peuple se réjouit en lui
: « et plebs tua laetabitur in te ». Le lien est profond,
intime, transcendantal entre la joie et la Bonne Nouvelle et le
salut éternel..
Il faut même dire : ce salut
est joie. C’est très bien dit dans le chant de Communion
: « Jerusalem surge et sta in excelso », « Debout
Jérusalem et tiens toi sur les hauteurs et voie la joie
qui te vient de ton Dieu. « Vide jucunditatem quae veniet
tibi in Deo tuo ».
Jucunditas veut dire l’agrément des choses. Mais
aussi l’amabilité des personnes, l’obligeance,
l’enjouement. Le Messie est en lui-même, par tout
ce qu’Il est, la joie. « Vide jucundiatem »
qui vient à toi de ton Dieu. Ton Dieu est ta joie. Parce
qu’Il est ton sauveur.
La liturgie, vous le voyez, n’est
pas déductive. Elle est affirmative. Elle affirme les vérités
de la foi. Elle les chante.
Et ces sentiments de joie et de louange
reconnaissante sont repris tout de go, dans les Antiennes des
Vêpres et avec un enchaînement merveilleux, poétique.
La poésie est une force. Elle est acclamation.
« Voici le Seigneur qui vient
sur les nuées du Ciel avec grande puissance »…Celle
des anges qui ont entouré sa nativité. Première
Antienne. C’est l’affirmation de la venue du Seigneur.
Le fait. Le Ville de Sion est forte, car le Dieu tout puissant
est en elle.
Sa venue est certaine…Même
s’Il tarde, ne crains pas…Attends-le, « expecta
eum ». Il ne tardera pas. Attends le bien fermement. Il
vient. Il ne tardera pas. Sa venue est certaine. Elle est prochaine.
Alors soyez dans l’allégresse, dans la joie, dans
la louange. La joie doit s’exprimer en louange, en reconnaissance.
Et l’Antienne exprime ce sentiment, d’une manière
poétique : « Montagnes et collines » «
Montes et colles » chantez en sa présence la louange.
Laudem, le mot est au singulier. Et le verbe est au futur cantabunt
; ce futur exprime non seulement un fait à venir, mais
la permanence de la louange. Moi, je traduirais par l’indicatif
présent. : « chantons en sa présence..
« Et tous les arbres de la foret applaudiront ». Plaudent.
C’est un subjonctif présent. Je traduirais : «
et que tous les arbres de la forêt applaudissent »,
comme signe de joie exultante. Comme à l’audition
d’une pièce de musique, les auditeurs admiratifs
applaudissent, manifestent de la sorte leur joie. L’audition
est la cause de la joie. De même, le salut qui vient est
la raison de la joie des fidèles. Les « fidèles
» sont décrient comme « les arbres de la forêt,
des forets. « Omnia ligna silvarum ». Etonnez vous
de nos arbres de Noël… !.
Et l’on retrouve encore la raison de la joie et de l’allégresse,
de la louange reconnaissante : « Quoniam veniet Dominus
» « Car ton Seigneur vient « in regnum aeternum
», pour un règne éternel. Et si la venue du
Messie est source de la joie, cette joie est aussi éternelle
puisque son règne est lui-même éternel. C’est
la quatrième antienne.
Et ce thème est repris aussi
dans la cinquième antienne car l’amour aime se dire
et se manifester et se répéter : « Ecce Dominus
noster…Voici notre Seigneur qui vient avec puissance pour
faire briller sa lumière aux yeux de ses serviteurs. La
lumière de Noël n’est pas seulement l’astre
qui conduira les Mages à l’étable de Bethlehem.
Elle est surtout le Christ qui est la lumière.
Alors l’Epître et l’Evangile
n’ont plus qu’à certifier le fait de la venue
du Messie, sa réalisation dans le temps et d’exposer
sa finalité, raison de notre joie : le salut.
L’Evangile nous dit le fait
: « Es-tu celui qui dois venir ou devons nous en attendre
un autre ? » C’est là une question capitale,
centrale, déterminante. Il fallait qu’elle soit posée.
Il fallait que l’identité soit affirmée, soit
reconnue pour être ensuite dite : « Allez enseigner
toutes les Nations ». Ce n’est pas rien. Saint Jean
Baptiste pose la question unique et définitive….Il
y a eu un avant et un après la question johannique . Cette
question est au cœur de l’Histoire, comme le Christ
lui-même est au cœur de l’Histoire.
Question absolue.
La réponse est aussi absolue
que la question, aussi limpide, aussi pure, royale que la question.
« Allez dire à Jean ce que vous entendez et voyez.
Les aveugles voient ! Les estropiés marchent ! Les lépreux
sont purifiés ! Les sourds entendent ! Les morts ressuscitent
! La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ».
Ce sont là les miracles qui
devaient annoncer la venue du temps messianique. Le Messie fut
annoncé comme « thaumaturge » ! Isaïe
l’affirme. Rien donc de plus clair, de plus net, de plus
évident. Il ne s’agit pas d’arguments, de démonstrations,
de choses subtiles. Non ! Des faits. Les sourds entendent, les
morts ressuscitent ». Tout cela est constatable, simple,
franc. Il est vrai de dire : « Verum et factum convertuntur
». C’est le Messie. C’est le temps du salut
apporté, donné.
Et l’Epître nous donne
la finalité du Messie : la paix établie, rétablie
par le Messie entre le peuple élu et Dieu, paix réalisée
au titre des promesses de l’Alliance faite par Dieu à
Abraham. Paix réalisée aussi entre Dieu et les gentils…mais
cette fois en raison de la miséricorde divine. Paix de
tous les peuples avec Dieu. Mais aussi paix des peuples entre
eux. Paix de tous et sur la terre comme aux Cieux. Raison de la
joie du peuple. Raison de l’espérance du peuple.
Raison de la gloire due à Dieu. Ainsi, d’un même
cœur, d’une seule bouche, rendez gloire au Dieu et
Père de NSJC.
Alors on comprend la conclusion de Saint Paul. Dans une émotion
totale, il déclare : « Que le Dieu de l’espérance
- Deus spei - notez, je vous prie, l’expression - vous remplisse
de toute joie et de toute paix en votre foi pour que vous soyez
riches d’espérance par la puissance de l’Esprit
Saint ». Amen.
B-Texte de la catéchèse de
Benoît XVI
Le mercredi 30 Novembre 2005, Benoît
XVI a donné, à l’occasion de l’audience
générale sur la place saint Pierre, à Rome
cette magnifique interprétation du Psaume 136, tout inspiré
de saint Augustin. Une belle occasion de méditer sur le
ciel, la Jérusalem céleste. .
Lecture: Ps 136, 1-2.4-6
1.Au bord des fleuves de Babylone
nous étions assis et nous pleurions,
nous souvenant de Sion ;
2. aux saules des alentours
nous avions pendu nos harpes.
3. C'est là que nos vainqueurs
nous demandèrent des chansons,
et nos bourreaux, des airs joyeux :
« Chantez-nous, disaient-ils,
quelque chant de Sion. »
4. Comment chanterions-nous
un chant du Seigneur
sur une terre étrangère ?
5. je t'oublie, Jérusalem,
que ma main droite m'oublie !
6. Je veux que ma langue
s'attache à mon palais
si je perds ton souvenir,
si je n'élève Jérusalem,
au sommet de ma joie.
1. En ce premier mercredi de l'Avent, temps liturgique de silence,
de vigilance et de prière en préparation à
Noël, nous méditons le Psaume 136, dont le début
est devenu célèbre dans sa version latine, Super
flumina Babylonis. Le texte évoque la tragédie vécue
par le peuple juif lors de la destruction de Jérusalem,
qui eut lieu en 586 av. J.-C., et l'exil à Babylone qui
s'ensuivit. Nous nous trouvons face à un chant national
de douleur, marqué par une nostalgie aride pour ce qui
a été perdu.
Cette invocation pleine d'angoisse
au Seigneur, afin qu'il libère ses fidèles de l'esclavage
de Babylone, exprime également bien les sentiments d'espérance
et d'attente du salut avec lesquels nous avons commencé
notre chemin de l'Avent.
La première partie du Psaume
(cf. vv. 1-4) a pour cadre la terre d'exil, avec ses fleuves et
ses canaux, ceux qui irriguaient précisément la
plaine babylonienne, lieu où vivaient les déportés
juifs. C'est presque l'anticipation symbolique des camps d'extermination
vers lesquels le peuple juif – au cours du siècle
que nous venons de laisser derrière nous – fut envoyé
pour une infâme opération de mort, qui est restée
comme une honte indélébile dans l'histoire de l'humanité.
La deuxième partie du Psaume
(cf. vv. 5-6) est, en revanche, parcourue par le souvenir plein
d'amour pour Sion, la ville perdue mais vivante dans le cœur
des exilés.
2. Dans les paroles du psalmiste
apparaissent la main, la langue, le palais, la voix, les larmes.
La main est indispensable pour le joueur de harpe: mais elle est
désormais paralysée (cf. v. 5) par la douleur, également
parce que les harpes sont suspendues aux peupliers.
La langue est nécessaire au
chanteur, mais à présent, elle est collée
au palais (cf. v. 6). En vain les bourreaux babyloniens «
demandèrent des chansons, (…) des airs joyeux»
(v. 3). Les « chants de Sion » sont des « chants
du Seigneur » (vv. 3-4), ce ne sont pas des chansons folkloriques
pouvant être données en spectacle. Elles ne peuvent
s’élever vers le ciel que dans la liturgie et dans
la liberté d'un peuple.
3. Dieu, qui est l'arbitre ultime
de l\'histoire, saura également comprendre et accueillir
selon sa justice le cri des victimes, au-delà de la tonalité
dure qu\'il prend parfois.
Tournons-nous vers saint Augustin
pour une méditation supplémentaire sur notre Psaume.
Dans celle-ci, le grand Père de l'Eglise introduit une
note surprenante et de grande actualité: il sait que parmi
les habitants de Babylone, il y a également des personnes
qui s'engagent pour la paix et pour le bien de la communauté,
bien que ne partageant pas la foi biblique, c'est-à-dire
ne connaissant pas l'espérance de la Ville éternelle
à laquelle nous aspirons. Elles portent en elles une étincelle
de désir de l'inconnu, du plus grand, du transcendant,
d\'une véritable rédemption. Et il dit que parmi
les persécuteurs également, parmi les non croyants,
il existe des personnes ayant cette étincelle, une sorte
de foi, d'espérance, pour autant que cela leur soit possible
dans les circonstances dans lesquelles elles vivent. Avec cette
foi, également dans une réalité non connue,
elles sont réellement en marche vers la vraie Jérusalem,
vers le Christ. Et avec cette ouverture d'espérance pour
les Babyloniens aussi – comme les appelle Augustin –,
pour ceux qui ne connaissent pas le Christ, ni même Dieu,
et qui désirent toutefois l'inconnu, l'éternité,
il nous exhorte nous aussi à ne pas fixer notre attention
uniquement sur les choses matérielles de l'instant présent,
mais à persévérer sur le chemin vers Dieu.
Ce n'est qu'avec cette espérance plus grande que nous pouvons
aussi, de manière adéquate, transformer ce monde.
Saint Augustin le dit avec ces mots: « Si nous sommes des
citoyens de Jérusalem... et que nous devons vivre sur cette
terre, dans la confusion du monde présent, dans la Babylone
actuelle, où nous ne demeurons pas en citoyens mais où
nous sommes tenus prisonniers, il faut que nous ne chantions pas
seulement ce qui est dit par le Psaume, mais que nous le vivions:
ce qui se fait grâce à une aspiration profonde du
cœur, désirant pleinement et religieusement la ville
éternelle ».
Et il ajoute, à propos de
la « ville terrestre appelée Babylone »: celle-ci
« contient des personnes qui, soutenues par l'amour pour
elle, s'ingénient à en garantir la paix –
la paix temporelle – en ne nourrissant pas dans leur cœur
d\'autre espérance, plaçant même en cela toute
leur joie, sans attendre rien d'autre. Et nous les voyons accomplir
tous les efforts pour se rendre utiles à la société
terrestre. Or, s'ils œuvrent avec la conscience pure à
ces tâches, Dieu ne permettra pas qu'ils périssent
avec Babylone, les ayant prédestinés à être
des citoyens de Jérusalem: à condition cependant
que, vivant à Babylone, ils n'en imitent pas la superbe,
le faste caduc et l'arrogance irritante... Il voit leur asservissement
et leur montrera cette autre ville, à laquelle ils doivent
vraiment aspirer et adresser tous leurs efforts » (Discours
sur les Psaumes, 136, 1-2): Nuova Biblioteca Agostiniana, XXVIII,
Rome 1977, pp. 397.399).
Et nous prions le Seigneur pour qu\'en
nous tous se réveille ce désir, cette ouverture
vers Dieu, et qu'également ceux qui ne connaissent pas
le Christ puissent être touchés par son amour, si
bien que tous ensemble nous nous rendions en pèlerinage
vers la Ville définitive et que la lumière de cette
Ville puisse apparaître aussi à notre époque
et dans notre monde.
C- Saint Augustin d'Hippone
Discours sur le Psaume 136
La citation de Saint Augustin par Benoît XVI m’a donné
l’occasion d’aller lire son commentaire. Je suis heureux
de pouvoir vous donner ce texte. Que de richesses ! C’est
un peu long. Mais cette lecture vous donnera plus de richesse
intérieure que le même temps passé devant
la télévision… Alors faites votre choix. Devant
la télévision, vous êtes passif. Dans cette
lecture, vous êtes actif. Votre intelligence est provoquée…à
la réflexion. Et à la prière.
DISCOURS SUR LE PSAUME CXXXVI.
SERMON AU PEUPLE.
BABYLONE, OU LA CAPTIVITÉ DE CETTE VIE.
Babylone et Jérusalem sont confondues ici-bas, et seront
séparées au dernier jour. Cependant nous ne pouvons
louer le Seigneur qu’en Sion dont le souvenir fait couler
nos larmes sur les fleuves de Babylone, ou sur tout ce qui est
passager comme le fleuve, gloire, éclat, richesses. Asseyons-nous;
c’est-à-dire, humilions-nous, sans nous confier au
courant, et fussions-nous heureux selon Babylone, aspirons à
Sion, où notre joie sera éternelle.
Nos harpes sont les saintes Ecritures ; le saule est un arbre
stérile, comme ces mondains à qui nous ne saurions
parler de religion ; y suspendre nos harpes, c’est garder
le silence avec eux. Mais Babylone c’est la captivité,
et le Christ nous rachetés, comme le Samaritain soulagea
cet homme que des voleurs avaient laissé à demi
mort sur le chemin de Jéricho. Ces voleurs sont le diable
et ses anges, lui qui entra dans le coeur de Judas, comme il entre
en ceux qui lui ouvrent leur coeur par les désirs de la
chair, qui ne vient le bonheur que dans la satisfaction des sens,
mais ne comprennent point renoncement volontaire, ne le voient
point pratiquer chez les chrétiens. Ils nous interrogent
sur notre religion, mais sans vouloir l’embrasser ; il faut
alors suspendre nos harpes ; comment chanter sur la terre étrangère,
ou à des hommes incapables de nous comprendre ? Tel était
le riche qui interrogeait le Sauveur dans l’Evangile : Que
ferai-je pour avoir la vie éternelle ? Vendez vos biens,
donnez-en le prix aux pauvres. C’est là le cantique
des riches ; celui des pauvres, c’est d’éviter
les désirs insatiables.
Ces arbres pourront cesser d’être stériles
; alors nous parlerons. Cette main droite qui doit s’oublier,
c’est la main des bonnes oeuvres, qui tarissent quand nous
oublions Jérusalem ; la gauche est celle des oeuvres temporelles,
et quand à nos aspirations vers le ciel se mêlent
des aspirations terrestres, notre main gauche connaît les
oeuvres de la main droite. D’autres, donnant la préférence
aux biens temporels, font de la droite la gauche, et deviennent
étrangers à Jérusalem. Pour habiter, cette
ville, ayons soif de la justice ; que notre langue soit muette
si nous ne chantons ce qui est de Sion, si notre joie n’est
plus la jouissance de Dieu. Quant aux fils d’Edom qui ont
vendu leur droit d’aînesse, qui sont l’homme
charnel, ils ne posséderont point le royaume de Dieu devenu
le partage de Jacob. qui donna la préférence aux
biens spirituels, ils ont voulu nous détruire, Dieu les
a soumis à l’esclavage. La fille de Babylone nous
a persécutés par ses scandales ; bienheureux qui
brisera les passions qu’elle a fait naître en nous
contre la pierre qui est le Christ.
1. Vous n’avez pas oublié, sans doute, ce que je
vous ai dit plusieurs fois, ou plutôt ce que j’ai
rappelé à votre souvenir, que tout homme instruit
dans l’Eglise doit savoir de quelle patrie nous sommes citoyens,
quel est le lieu de notre exil, que le péché est
la cause de cet exil, et que la grâce qui nous fait retourner
dans la patrie, c’est la rémission du (141) péché,
la justification qui nous vient de la bonté de Dieu. Vous
avez entendu aussi, vous savez que deux grandes sociétés
confondues de corps, mais séparées par le coeur,
traversent les siècles jusqu’à la fin du monde;
l’une qui a pour fin la paix éternelle, et qui est
Jérusalem, l’autre qui trouve sa joie dans la paix
du temps, et qu’on appelle Babylone. Si je ne me trompe,
vous connaissez aussi le sens de ces noms; vous savez que Jérusalem
signifie vision de la paix, et Babylone confusion. Jérusalem
était retenue captive à Babylone, mais pas totalement,
puisqu’elle a aussi pour citoyens les anges ; mais en ce
qui regarde seulement les hommes prédestinés à
la gloire de Dieu , qui doivent être par l’adoption
les cohéritiers de Jésus-Christ, et qu’il
a rachetés de la captivité au prix de son sang.
Quant à cette partie de Jérusalem qui demeure en
captivité à Babylone, à cause de ses péchés,
elle commence d’en sortir dès ici-bas par le coeur,
au moyen de la confession des péchés et de l’amour
de la justice ; mais à la fin des siècles elle en
sera séparée, même corporellement. Ainsi l’avons-nous
annoncé dans ce psaume, que nous avons expliqué
à votre charité, et qui commence de la sorte «
C’est dans Sion qu’il faut vous louer, ô mon
Dieu, et en Jérusalem qu’on doit vous rendre ses
vœux 1». Or, aujourd’hui nous avons chanté:
«Assis à Babylone, sur le bord des fleuves, nous
avons pleuré au souvenir de Sion 2». Remarquez-le,
dans l’un il est dit que « c’est dans Sion qu’il
faut chanter des hymnes à Dieu»; et dans l’autre
: « Assis à Babylone sur le bord des fleuves, nous
avons pleuré au souvenir de Sion », de cette Sion
où il convient de chanter des hymnes à Dieu.
2. Quels sont donc les fleuves de Babylone, et qu’est-ce
pour nous de nous asseoir et de pleurer au souvenir de Sion? Si
nous en sommes en effet les citoyens, non contents de chanter
ainsi, nous pleurons réellement. Si nous sommes citoyens
de Jérusalem ou de Sion, et si au lieu de nous regarder
comme des citoyens, nous nous tenons pour captifs dans cette Babylone,
ou dans cette confusion du monde, il nous faut non-seulement chanter
ces paroles, mais en reproduire les sentiments dans nos coeurs,
et soupirer avec une pieuse ardeur après la cité
éternelle. Dans cette cité appelée Babylone,
il y a des citoyens qui l’aiment et qui y cherchent la paix
du temps, bornant à cette paix leur espérance, y
fixant toute leur joie, y trouvant leur fin, et nous les voyons
se fatiguer beaucoup pour les intérêts d’ici-bas.
Qu’un homme néanmoins s’y acquitte fidèlement
de ses emplois, sans y chercher ni l’orgueil, ni l’éclat
passager d’une gloire périssable, d’une haïssable
arrogance, mais agissant’ avec droiture, autant que possible,
aussi longtemps que possible, envers tous s’il est possible,
autant qu’il peut voir que tout cela est terrestre, et envisager
la beauté de la cité céleste, Dieu ne le
laissera point à Babylone ; il l’a prédestiné
à être citoyen de Jérusalem. Dieu comprend
qu’il se regarde comme captif et lui montre cette autre
cité à laquelle il doit aspirer, pour laquelle il
doit tenter les plus grands efforts, en exhortant de tout son
pouvoir ses compagnons d’exil à y arriver un jour.
Aussi, notre Seigneur Jésus-Christ dit-il : « Celui
qui est fidèle dans les moindres choses l’est aussi
dans les grandes »; et plus loin : « Si vous n’avez
pas été fidèles dans ce qui n’est point
à vous, qui vous donnera ce qui vous appartenait 1 ? »
3. Toutefois, mes bien-aimés, écoutez quels sont
les fictives de Babylone. On entend par fleuves de Babylone tout
ce que l’on aime ici-bas et qui est passager. Voilà
un homme qui s’est adonné à l’agriculture,
par exemple, qui cherche à s’enrichir par ce moyen,
y applique son intelligence, y met son plaisir. Qu’il en
considère la fin, et qu’il voie que l’objet
de son amour n’est point un fondement de Jérusalem,
mais un fleuve de Babylone. Un autre nous dit: C’est un
noble emploi que celui des armes : tout laboureur craint le soldat,
lui obéit, tremble devant lui; si je suis laboureur, je
craindrai le soldat ; si je suis soldat, le laboureur me craindra.
O insensé, tu te jettes à corps perdu dans un autre
fleuve de Babylone, et fleuve plus turbulent, plus rapide encore
que le premier. Tu veux qu’on te craigne au-dessous de toi,
crains ceux d’au dessus : celui qui te craint peut tout
à coup te devenir supérieur, mais celui que tu dois
craindre ne te sera jamais inférieur. Le barreau, dit celui-ci,
est une noble carrière, l’éloquence est une
grande puissance ; en toute occasion des clients sont suspendus
en quelque sorte à la langue d’un patron qui parle
bien, et de ses lèvres attendent la perte ou le gain d’une
affaire, la mort ou la vie, la ruine ou le salut. Mais tu ne sais
où tu vas. Voilà un autre fleuve de Babylone, un
fleuve bruyant dont le flot bondit contre les rochers qu’il
frappe. Mais vois au moins que ce flot passe, vois qu’il
s’écoule, et situ vois qu’il passe et qu’il
s’écoule, prends garde qu’il ne t’entraîne.
Il est beau, dit un autre, de naviguer et dc négocier,
de connaître beaucoup de provinces , de faire du gain partout,
de n’être attaché à aucune ville sous
la dépendance de quelque puissant, de voyager toujours,
d’absorber son esprit par des affaires multipliées,
des pays divers, et de retourner enfin avec des richesses considérables.
C’est encore là un fleuve de Babylone; quand consolideras-tu
ces richesses ? Quand sauras-tu compter sur ces gains, et te reposer
en sûreté? Plus tu es riche, et plus tu es craintif.
Un naufrage peut te mettre à nu, et c’est avec raison
que tu pleureras dans le fleuve de Babylone, parce que tu n’auras
voulu ni t’asseoir, ni pleurer sur ses bords.
4. Donc les autres citoyens de la sainte Jérusalem, comprenant
qu’ils sont en captivité, méditent sur les
désirs humains, sur ces diverses passions qui entraînent
avec violence, qui poussent et précipitent dans la mer
; voilà ce qu’ils voient, et au lieu de se jeter
dans les fleuves de Babylone, ils se tiennent assis sur les fleuves
de Babylone, pour pleurer, ou sur les mondains qu’entraînent
ces fleuves, ou sur eux-mêmes qui ont mérité
d’être à Babylone, bien qu’ils y soient
assis, c’est-à-dire humiliés. Donc, «
sur les fleuves de Babylone, nous avons pleuré au souvenir
de Sion ». O sainte Sion, où tout demeure et rien
ne s’écoule ! qui nous a précipités
dans ces flots rapides? Pourquoi nous sommes-nous séparés
de ton divin Architecte, et de ta société sainte?
Nous voici au milieu des flots qui nous poussent tumultueusement
et qui nous entraînent ; c’est à peine si quelqu’un
peut s’échapper en saisissant les saules du rivage.
Dans notre captivité, asseyons-nous humblement sur les
fleuves de Babylone sans être assez audacieux pour nous
précipiter dans les flots, ni assez orgueilleux pour lever
la tête, au milieu de nos amertumes et de nos malheurs ;
niais asseyons-nous et pleurons. Asseyons-nous sur les fleuves
de Babylone, et non sous les fleuves; que notre humilité
n’aille point jusqu’à nous y plonger Assieds-toi
sur le fleuve, non dans le fleuve, non sous le fleuve : assieds-toi
humblement, parle, mais non comme à Jérusalem. C’est
là que tu seras debout, selon cette espérance que
chante un autre psaume : « Nos pieds se tenaient debout
dans les parvis de Jérusalem 1». C’est là
que tu seras élevé en gloire, si tu veux ici-bas
t’humilier dans la pénitence et dans la confession.
C’est donc dans les parvis de Jérusalem que nos pieds
se tenaient debout. « Mais sur les fleuves de Babylone nous
étions assis, pleurant au souvenir de Sion ». C’est
donc le souvenir de Sion qui doit faire couler nos larmes.
5. Beaucoup en effet répandent les larmes de Babylone,
parce qu’ils goûtent les joies de Babylone. La joie
d’un gain, la douleur d’une perte, sont également
de Babylone. Tu dois donc pleurer, mais au souvenir de Sion. Si
le souvenir de Sion t’arrache des larmes, tu dois aussi
pleurer, quand même selon Babylone tu serais heureux. Aussi
est-il dit dans un psaume : « J’ai trouvé la
tribulation et la douleur, et j’ai invoqué le Seigneur
2 ». Que signifie, « j’ai trouvé? »
Il y avait je ne sais quelle affliction à chercher, et
qu’il a trouvée, ce semble, après l’avoir
cherchée. Et qu’a-t-il gagné en la trouvant?
Il a invoqué le nom du Seigneur. Que tu rencontres l’affliction,
ou que l’affliction te rencontre, sont choses bien différentes.
Car le Prophète nous dit ailleurs : « Les douleurs
de l’enfer m’ont trouvé 3 ». Que signifient
ces paroles : « Les douleurs de l’enfer m’ont
rencontré ? » Qu’est-ce à dire encore
: « J’ai rencontré la douleur et la tribulation
? » Quand l’affliction vient tout à coup fondre
sur toi, et bouleverser toutes les affaires temporelles qui faisaient
tes délices ; quand une douleur vient inopinément
t’assaillir, d’où tu étais loin de l’attendre,
alors te voilà triste, et la douleur d’en bas t’a
rencontré. Tu te croyais en haut et tu étais à
terre, en proie à cette affliction de l’enfer, tu
t’es trouvé en bas,.lorsque tu te croyais bien supérieur.
Tu t’es trouvé dans un profond abattement, accablé
d’un ami auquel tu avais bien compté échapper;
c’est la douleur d’en bas qui t’a rencontré.
Lorsque tu es heureux, au contraire, que tout te sourit dans le
monde, que la mort a épargné les tiens, que dans
tes vignes rien n’est desséché, rien n’est
endommagé par la grêle, rien n’est stérile,
rien ne s’aigrit dans tes vins, rien n’avorte dans
les troupeaux, rien ne te fait déchoir des dignités
que tu occupes dans le monde, lorsque tes amis vivent, et te gardent
leur amitié, que tes clients sont nombreux, tes enfants
soumis, tes serviteurs respectueux, ton épouse dans un
parfait accord ; c’est là, dit-on, une maison heureuse
; trouve alors une douleur, si tu le peux, et ensuite invoque
le Seigneur. Elle te paraît contradictoire, cette parole
de Dieu qui nous dit de pleurer dans la joie, de nous réjouir
dans la douleur. Ecoute celui qui se réjouit dans l’affliction
« Nous nous glorifions », dit l’Apôtre,
« au milieu de la tristesse 1 ». Quand l’homme
pleure dans sa joie, vois s’il n’a pas trouvé
l’affliction. Que chacun examine la joie qui a fait tressaillir
son âme, qui l’a enflée d’un certain
orgueil, qui t’a élevée et lui a fait dire
r Je suis heureuse. Qu’il voie si ce n’est point une
félicité qui s’écoule, et s’il
peut s’assurer qu’elle sera éternelle. S’il
n’en a point la certitude, s’il voit que tout ce qui
constitue son bonheur n’est que d’un moment, c’est
là le fleuve de Babylone, qu’il s’asseye au
dessus et qu’il pleure. Or, il s’assiéra et
pleurera s’il se ressouvient de Sion. O bienheureuse paix
que nous contemplerons en Dieu ! Sainte égalité
dont nous jouirons avec les anges! Sainte vision, spectacle incomparable
! Il est vrai qu’il y a des charmes aussi qui vous retiennent
à Babylone; loin de vous tous ces liens, loin de vous leur
séduction ! Autres sont les consolations de la captivité,
autres les joies de la liberté. « Assis sur les fleuves
de Babylone, nous avons pleuré au souvenir de Sion ».
6. « Aux saules de ses rivages nous suspendîmes nos
cithares 2 ». Ils ont leurs harpes, les habitants de Jérusalem
; ils ont les saintes Ecritures, les préceptes; les promesses
de Dieu, les pensées de l’autre vie ; mais quand
ils se trouvent au milieu de Babylone, ils suspendent ces harpes
aux saules du rivage. Le saule est un arbre stérile, et
dont le nom ici ne signifie rien de bon, bien qu’ailleurs
il puisse avoir un autre sens. Mais ici, ne voyons sur les fleuves
de Babylone que des arbres stériles. Les fleuves de Babylone
les arrosent, et néanmoins ils ne produisent aucun fruit.
De même qu’il est des hommes cupides, avares, stériles
en bonnes oeuvres, ainsi en est-il des citoyens de Babylone, qui
ressemblent aux arbres de ces contrées, s’abreuvent
de toutes les voluptés passagères, comme des eaux
des fleuves de Babylone. Tu y cherches du fruit sans en trouver
jamais. Quand nous rencontrons ces hommes, nous nous trouvons
avec ceux qui sont au milieu de Babylone. Il est en effet une
différence bien grande entre le milieu de Babylone et l’extérieur.
Il en est qui ne sont pas au milieu, qui ne sont point si profondément
plongés dans les convoitises et les voluptés mondaines.
Mais ceux qui sont complètement adonnés à
la malice, pour parler ouvertement, sont au milieu de Babylone,
bois stériles, comme les saules de Babylone. Lorsque nous
les rencontrons, et que nous les voyons tellement stériles,
qu’on trouve à peine en eux rien qui les puisse ramener
à la vraie foi, ou aux bonnes oeuvres, ou à l’espérance
de la vie éternelle, ou au désir d’être
délivrés de cette mortalité qui les tient
en servitude, nous savons les Ecritures, nous pourrions leur en
parler ; mais ne trouvant en eux aucun fruit, par où nous
puissions commencer, nous nous détournons en disant: Ils
ne goûtent point encore ces vérités, ils ne
les comprennent point. Quoi que nous puissions dire, ils ne l’accueilleront
qu’avec défaveur, avec répugnance. Mais nous
abstenir des saintes Ecritures, c’est suspendre nos harpes
aux saules du rivage, et ces saules ne sont que des arbres stériles
saturés de voluptés passagères, comme des
fleuves de Babylone.
7. Et voyez si ce n’est point là ce que nous donne
la suite du psaume « Aux saules qui couvraient ces eaux,
nous suspendîmes nos cithares. Là, ceux qui nous
avaient emmenés captifs nous demandèrent des cantiques,
et ceux qui nous avaient arrachés à la patrie, des
hymnes», sous-entendez « nous demandaient ».
Ils exigeaient de nous des cantiques et des hymnes, ceux qui nous
ont emmenés captifs. Quels sont, mes frères, ceux
qui nous ont emmenés en captivité ? Quels hommes
nous ont imposé le joug de la servitude ? Jérusalem
subit autrefois le joug des Perses, des Babyloniens, des Chaldéens,
et des rois de ces contrées, et cela depuis la composition
des psaumes, et non lorsque David les chantait. Mais, nous vous
l’avons déjà dit, ce qui arrivait littéralement
en cette ville était la figure de ce qui devait nous arriver,
et il est facile de nous montrer que nous sommes en captivité.
Nous ne respirons point encore l’atmosphère de cette
liberté que nous espérons; nous ne jouissons pas
de la pure vérité ni de cette sagesse immuable,
qui néanmoins renouvelle toutes choses 1. Les terrestres
voluptés ont pour nous des charmes, et chaque jour il nous
faut combattre les suggestions des coupables convoitises: à
peine pouvons-nous respirer, même pendant la prière
: c’est alors que nous sentons notre captivité. Mais
qui nous a réduit à cet esclavage? Quels hommes
? quelle nation? quel roi? Si nous sommes rachetés, nous
étions donc captifs. Qui nous a rachetés? le Christ.
Des mains de qui nous a-t-il rachetés ? du diable. Le diable
donc et ses anges nous ont emmenés en captivité,
et n’eussent pu nous emmener sans notre consentement. C’est
donc nous qui sommes emmenés captifs, et je vous ai dit
par qui ; c’est par ces mêmes voleurs qui blessèrent
cet homme de l’Evangile qui descendait de Jérusalem
à Jéricho, et qu’ils laissèrent à
demi mort 2. C’est lui que rencontra notre gardien, c’est-à-dire
le samaritain, car samaritain signifie gardien, et à qui
les Juifs faisaient ce reproche : « N’avons-nous pas
raison de dire que vous êtes un samaritain et un possédé
du démon 3? »Pour lui, repoussant l’un de ces
outrages, il accepta l’autre: « Je ne suis point possédé
du démon », répondit-il, mais il n’ajouta
pas, ni samaritain; et, en effet, si ce divin Samaritain ne veille
sur nous, c’en est fait de nous. Donc ce samaritain passant
près de cet homme abandonné par les voleurs, vit
ses blessures, et le recueillit comme vous savez. De même
qu’on appelle voleurs ceux qui nous ont infligé les
plaies du péché, on les regarde aussi comme des
vainqueurs qui nous emmènent en captivité, à
cause de l’assentiment que nous donnons à notre servitude.
8. Ces vainqueurs donc qui nous ont emmenés, le diable
et ses anges, quand nous ont-ils parlé et demandé
les cantiques de Sion? Que faut-il comprendre par là, sinon
que c’est le diable qui parle et qui agit en ceux qui nous
font les mêmes questions? « Pour vous », dit
l’Apôtre, « qui étiez morts par vos péchés
et par vos crimes, qui marchiez autrefois selon l’esprit
de ce monde, selon le principe des puissances de l’air,
cet esprit qui agit maintenant sur les enfants de la rébellion,
parmi lesquels nous avons été tous autrefois 1».
Saint Paul nous fait voir qu’il a été racheté,
et qu’il sort déjà de Babylone. Et toutefois,
que dit-il encore? Qu’il nous reste à combattre nos
ennemis. Et pour nous détourner de haïr ces hommes
qui nous persécutent, l’Apôtre éloigne
de notre pensée toute animosité contre les hommes,
en nous signalant cette lutte avec ces esprits invisibles, contre
lesquels nous devons combattre. « Ce n’est point»,
nous dit-il en effet, « contre la chair et le sang que vous
avez à combattre », c’est-à-dire contre
les hommes que vous voyez, qui paraissent vous faire souffrir
et vous persécuter; car il vous est ordonné de prier
pour eux. « Ce n’est donc point contre la chair et
le sang que nous avons à combattre », c’est-à-dire
contre les hommes, «mais bien contre les principautés,
contre les puissances, contre les princes de ce monde ténébreux
2 ». Que veut-il dire par ce monde? Les amateurs du monde.
Ce sont eux qu’il appelle ténèbres, c’est-à-dire
les hommes injustes, les scélérats, les infidèles,
les pécheurs : ces hommes qu’il félicite quand
ils reviennent à la foi, en leur disant: « Vous étiez
autrefois ténèbres, aujourd’hui vous êtes
la lumière dans le Seigneur 3». Il nous met donc
en lutte avec ces principautés qui nous ont emmenés
captifs.
9. De même que le diable entra jadis dans Judas et lui fit
trahir son Seigneur 4, ce qu’il n’eût point
fait si Judas ne lui eût ouvert son coeur; de même,
au milieu de Babylone, un grand nombre de méchants, par
des convoitises charnelles et coupables, ouvrent leurs coeurs
au diable et à ses anges, qui agissent en eux et par eux,
quand ils nous questionnent et nous disent : Exposez-nous vos
raisons. Les païens pour la plupart nous viennent dire :
Expliquez-nous pourquoi l’avènement du Christ, de
quoi sert le Christ au genre humain ? Depuis cet avènement
le monde n’est-il pas dans un état pire qu’auparavant,
et les hommes d’alors n’étaient-ils pas plus
heureux que maintenant? Que les Chrétiens nous disent le
bien que nous a fait le Christ; en quoi l’avènement
du Christ a-t-il amélioré la condition des hommes?
Tu le vois, si les théâtres, si les amphithéâtres,
si les cirques subsistaient dans leur entier, si rien ne dépérissait
à Babylone, si les hommes se plongeaient dans toutes sortes
de plaisirs, chantant et dansant au son d’abominables refrains,
s’ils jouissaient en paix et en toute sécurité
des compagnes de leurs débauches, s’ils ne craignaient
point la faim dans leur maison, ceux qui applaudissent aux bouffons;
si toutes ces voluptés coulaient sans ruine et sans trouble,
si l’on pouvait s’y plonger sans crainte, les temps
seraient heureux, et le Christ aurait apporté sur la terre
une grande félicité. Mais parce que Dieu châtie
l’iniquité, parce qu’il arrache des coeurs
les convoitises de la terre, afin d’y planter l’amour
de Jérusalem ; parce que cette vie est mêlée
d’amertume, afin que nous désirions la vie éternelle;
parce que Dieu instruit les hommes par le châtiment, les
redresse par une correction paternelle afin de leur taire éviter
la damnation, le Christ n’a apporté aucun bien, le
Christ n’a apporté que des maux! En vain tu énumères
à cet homme les biens dont nous sommes redevables à
Jésus-Christ, il n’y comprend rien. Tu lui parles
de ceux qui suivent à la lettre ce que nous venons d’entendre
dans l’Evangile ; « qui vendent leurs biens «
pour en donner le prix aux pauvres, afin d’avoir un trésor
dans le ciel, et de suivre le Sauveur 1 ». Tu lui dis: Voilà
les biens apportés par le Christ. Combien distribuent leurs
biens aux pauvres, et se font pauvres eux-mêmes, non par
nécessité, mais volontairement, et suivent Dieu
dans l’espérance du royaume des cieux ! Ils se rient
de ces pauvres comme d’insensés : Et voilà,
disent-ils, les biens du Christ, perdre ses possessions, et s’appauvrir
pour donner aux pauvres? Que répondre à un tel homme?
Tu ne comprends pas, lui diras-tu, les biens du Christ; tu es
absorbé par un autre, qui est l’adversaire du Christ,
et à qui tu as ouvert ton coeur. Tu jettes les yeux sur
les temps anciens, et ces temps te paraissent plus heureux ; comme
des olives pendantes à l’arbre, au souffle des vents,
ainsi les hommes s’imaginaient jouir d’un certain
air de liberté, en promenant çà et là
leurs vagues désirs. Mais voici que l’on jette l’olive
sous le pressoir; car elle ne pouvait demeurer toujours sur l’arbre,
et l’année touchait à sa fin, Ce n’est
pas sans raison que plusieurs de nos psaumes sont intitulés
: « Pour les pressoirs 2 ». Liberté sur l’arbre,
écrasement au pressoir. Tu as remarqué, en effet,
que l’avarice augmente à mesure que les biens du
monde sont broyés et pressurés; vois aussi que la
continence augmente à son tour. D’où vient
cet aveuglement qui ne te laisse voir que le marc coulant dans
les rues, et te dérobe l’huile pure qui coule dans
les vases? Et cela n’est pas sans figure. L’homme
qui fait le mal est connu publiquement: mais l’homme qui
se convertit à Dieu, qui se purifie des souillures de ses
coupables désirs, celui-là demeure caché
; car le mare coule visiblement au pressoir, ou plutôt du
pressoir, tandis que l’huile coule secrètement dans
les réservoirs.
10. Vous applaudissez à mes paroles, vous en tressaillez;
parce que déjà vous pouvez vous asseoir sur les
fleuves de Babylone et y pleurer. Quant à ceux qui nous
ont emmenés captifs, dès qu’ils sont entrés
dans le coeur des hommes, dès qu’ils en ont pris
possession, et qu’ils nous interrogent par leur organe,
en nous disant : « Chantez-nous les paroles de vos cantiques
» ; expliquez-nous pourquoi est venu le Christ, et qu’est-ce
que l’autre vie? Je veux croire, mais donnez-moi la raison
qui m’oblige à croire: ô homme ! lui dirai-je,
comment ne pas t’obliger à croire ? Tu es absorbé
dans tes coupables désirs, et si je te parle des biens
de la Jérusalem d’en haut, tu ne les comprendras
point : il faut chasser de ton coeur ce qui le remplit, afin d’y
mettre ce qui n’y est point. Ne t’engage donc point
aisément à parler à cet homme; c’est
un saule, un bois stérile. Ne touche point ta harpe, n’en
tire aucun son, mieux vaut la suspendre. Mais il insistera : chantez
vos cantiques, dira-t-il, dites-moi les raisons de votre toi;
ne voulez-vous donc pas m’instruire ? Ton dessein d’écouter
n’est pas sincère, et ce n’est point pour mériter
qu’elle s’ouvre que tu frappes à la porte;
tu es plein de celui qui m’a fait captif, c’est lui
qui m’interroge par ta bouche. Il est astucieux, il est
fourbe dans ses questions : il ne cherche point à s’instruire,
mais à reprendre. Je me tais donc et je suspends ma harpe.
11. Mais que dira-t-il encore? «Chantez-nous vos hymnes,
donnez-nous vos concerts, chantez-nous les cantiques de Sion ».
Que répondre? Tu es de Babylone, lui dirons-nous, tu fais
partie de Babylone, c’est Babylone qui te nourrit, Babylone
qui parle par ta (146) bouche ; tu ne saisis que le reflet d’un
moment, tu ne sais point méditer ce qui est éternel,
tu ne comprends pas même tes questions. « Comment
chanter les cantiques du Seigneur sur la terre étrangère
1 ? » C’est bien cela, mes frères. Parlez de
nos vérités, quelque peu que vous les connaissiez,
et voyez combien de railleries vous devez essuyer de la part de
ces chercheurs de vérités, qui sont pleins de fausseté.
Répondez à ces hommes qui vous demandent ce qu’ils
ne peuvent comprendre, et dites-leur avec la hardiesse de notre
saint cantique: « Comment chanter les cantiques du Seigneur
dans la terre étrangère ? »
12. Mais, ô peuple de Dieu, ô corps du Christ, nobles
exilés, car vous êtes d’ailleurs, et non d’ici,
comprenez que vous êtes entre leurs mains; et quand ils
vous disent : « Chantez-nous vos hymnes, faites retentir
vos concerts, chantez-nous les cantiques de Sion », gardez-vous
de vous attacher à eux, de rechercher leur amitié,
de craindre de leur déplaire, de trouver du goût
à Babylone et d’oublier Jérusalem. Voyez ce
que cette crainte suggère au Prophète, écoutez
la suite. Car il a souffert celui qui a chanté ces paroles,
et cet homme, c’est nous si nous voulons ; il a subi toutes
ces questions que lui adressaient, de toutes parts, des hommes
aux paroles flatteuses, mais à la critique amère,
aux louanges trompeuses, qui demandent ce qu’ils ne sauraient
comprendre, et ne veulent point rejeter ce qui remplit leur coeur.
Or, au milieu de ces foules importunes, le Prophète se
trouvant en péril a relevé bien haut son âme
au souvenir de Sion, et a même voulu s’astreindre
par une espèce de serment : « Sainte Jérusalem,
si jamais je t’oublie 2 ». Ainsi dit-il au milieu
des discours de ceux qui le retiennent captif, au milieu des paroles
mensongères, des paroles insidieuses de ces hommes demandant
toujours sans vouloir comprendre.
13. De ces hommes était ce riche qui interrogeait le Sauveur
: « Maître, que ferai-je, pour avoir la vie éternelle
4? » Questionner au sujet de la vie éternelle, n’était-ce
point demander un cantique de Sion? « Observez les commandements
», lui dit le Sauveur. Et ce fastueux de répondre
: « Je les ai tous accomplis dès mon enfance».
Le Seigneur lui parle donc des cantiques de Sion,bien qu’il
sût qu’il ne comprendrait point; mais il voulait nous
donner un exemple des conseils que plusieurs semblent nous demander,
au sujet de la vie éternelle, et qui nous comblent d’éloges,
jusqu’à ce que nous répondions à leurs
demandes. A propos de ce jeune homme, il nous apprend à
répondre à ces questionneurs insidieux : «
Comment chanter les cantiques du Seigneur sur la terre étrangère
? » Voici sa réponse : « Voulez-vous être
parfait? Allez, vendez ce que vous possédez, et donnez-le
aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, puis
venez et suivez-moi ». Afin d’apprendre les cantiques
de Sion, qu’il se dégage de tout empêchement,
qu’il marche librement et sans aucun fardeau; alors il comprendra
quelque peu les cantiques de Sien. Ce jeune homme s’en alla
triste. Disons derrière lui: « Comment chanter les
cantiques de Sion dans la terre étrangère? »
Il s’en alla, il est vrai, mais le Seigneur ne laissa point
les riches sans espérance. Car les Apôtres disaient
: « Qui donc pourra être sauvé ? » Et
le Sauveur répondit: « Ce qui est impossible aux
hommes est facile à Dieu ». Les riches ont leur règle;
ils ont pour eux un cantique en Sion, cantique dont l’Apôtre
a dit : « Ordonnez aux riches de ce monde de n’être
point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance « dans
les richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous
donne avec abondance ce qui est nécessaire à la
vie». Précisant ensuite ce qu’ils ont à
faire, l’Apôtre enfin touche de la harpe, et ne la
suspend point: « Qu’ils soient riches en bonnes œuvres
», dit-il, « qu’ils donnent de bon coeur, qu’ils
fassent part de leurs biens, qu’ils s’amassent un
trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin
d’embrasser la vie éternelle 1 ». Tel est pour
les riches le cantique de Sion, d’abord de ne point s’enorgueillir.
Car les richesses élèvent le coeur, et le fleuve
entraîne ceux qui s’élèvent. Que leur
est-il donc recommandé ? Avant tout de ne point s’enorgueillir.
Qu’ils évitent dans les richesses l’effet des
richesses mêmes, qu’ils évitent l’orgueil
; car c’est le mal que produisent naturellement les richesses
dans les hommes peu défiants. L’or n’est pas
mauvais sans doute, puisque Dieu l’a créé;
mais l’avare devient mauvais, quand il délaisse le
Créateur pour s’attacher à la créature.
Qu’il se prémunisse dès lors contre l’orgueil,
et s’assoie sur le fleuve de Babylone. Car lui recommander
de ne point s’enorgueillir, c’est lui dire de s’asseoir.
Qu’il ne se confie point dans les richesses qui sont incertaines,
et qu’il se tienne assis sur les fleuves de Babylone. Mettre
sa confiance en des biens inconstants, c’est se laisser
entraîner par le fleuve ; mais s’humilier, éviter
l’orgueil, se délier des richesses incertaines, c’est
se tenir assis sur le fleuve de Babylone et soupirer vers la Jérusalem
éternelle au souvenir de Sion, et, pour parvenir à
Sion, donner son bien aux pauvres. Tel est pour les riches le
cantique qui leur vient de Sion. Qu’ils travaillent dès
lors, qu’ils touchent la harpe, et sans perdre un instant,
quand ils rencontreront un homme qui leur dira : Que fais-tu ?
c’est perdre tes biens que faire autant d’aumônes
: amasse pour tes enfants. Quand, dis-je, ils rencontreront de
ces hommes incapables de comprendre nos oeuvres, et qu’ils
trouveront en eux le saule stérile, qu’ils ne s’arrêtent
pas à rendre raison de leurs oeuvres, à les faire
connaître, qu’ils suspendent leurs harpes aux saules
de Babylone. Mais en dehors de ces saules, qu’ils chantent,
qu’ils travaillent sans relâche. Ce n’est point
perdre que faire l’aumône. Confié à
ton esclave, ton dépôt serait en sûreté;
confié au Christ, sera-t-il en péril?
14. Vous venez d’entendre le cantique de Sion pour les riches,
écoutez celui des pauvres, C’est toujours saint Paul
qui parle : «Nous n’avons rien apporté en ce
monde, et sans aucun doute nous n’en pouvons rien emporter;
ayant de quoi vivre, de quoi nous vêtir, nous devons être
contents. Quant à ceux qui veulent s’enrichir, ils
tombent dans la tentation et en des désirs sans nombre,
insensés et nuisibles, qui plongent l’homme dans
la mort et dans la perdition 1», Voilà les fleuves
de Babylone. «Or, l’avarice est la racine de tous
les maux; quelques-uns de ceux qui en sont possédés,
se sont égarés de la foi, et se sont jetés
dans de grandes douleurs 2 ».Ces deux hymnes sont-ils donc
en contradiction? Voyez ce que l’on dit aux riches, «
de ne point s’enfler d’orgueil, ni se confier dans
les richesses qui sont incertaines 3 », de faire des bonnes
oeuvres, des aumônes, de s’amasser pour l’avenir
un trésor et un fondement solide. Aux pauvres, qu’est-il
dit? « Ceux qui veulent s’enrichir, tombent dans la
tentation ». On ne dit point: Ceux qui sont riches; mais
« ceux qui veulent s’enrichir ». Autrement,
s’ils étaient déjà riches, l’autre
cantique serait pour eux. On dit aux riches de donner, aux pauvres
de ne point désirer.
15. Mais quand vous vous trouvez avec ces hommes qui ne comprennent
point les cantiques de Sion, suspendez, vous ai-je dit, vos harpes
aux saules du rivage : différez ce que vous devez dire.
Ces arbres peuvent cesser d’être stériles,
changer de nature et porter de bons fruits : c’est alors
que nous pourrons chanter et qu’ils nous comprendront. Mais
avec ceux qui contredisent toutes nos paroles, qui font des questions
insidieuses, et s’obstinent contre les vérités
qu’ils entendent, ne cherchez jamais à leur plaire,
craignez d’oublier Jérusalem; que cette Jérusalem
de la terre n’ayant qu’une même âme, parce
que la paix du Christ a réuni toutes les âmes en
une seule, que cette captive s’écrie : « Si
jamais je t’oublie, ô sainte Jérusalem, que
ma main droite s’oublie elle-même 1». Quelle
imprécation, mes frères! « Que ma main droite
s’oublie elle-même ». Quel effroyable serment!
Notre main droite, c’est la vie éternelle; notre
gauche, la vie d’ici-bas, Toute oeuvre pour la vie éternelle
est l’oeuvre de la droite. Si, dans tes actions, au désir
de la vie éternelle se trouve mêlé quelque
amour de la vie temporelle, ou d’une louange humaine, ou
de quelque avantage mondain, ta main gauche connaît alors
ce que fait ta main droite. Or, vous connaissez le précepte
de l’Evangile : « Que votre main gauche ignore ce
que fait votre main droite 2. Si donc je t’oublie, ô
Jérusalem, que ma main droite s’oublie elle-même
». Et c’est ce qui est arrivé; la parole du
Prophète est plus une prédiction qu’un souhait.
Car, à tout homme qui oublie Jérusalem, il arrive
que sa droite elle-même s’oublie. Car la vie éternelle
subsiste en- elle-même; pour eux, ils demeurent dans les
plaisirs du temps, et se font une droite de ce qui est la gauche.
16. Soyez attentifs à mes paroles, mes frères, et
je veux vous parler autant que Dieu m’en fera la grâce
pour le salut de tous. Il vous souvient peut-être que je
vous ai entretenus de certains hommes, qui se font une droite
de ce qui est la gauche; c’est-à-dire qui donnent
la préférence aux biens temporels, qui y placent
leur bonheur, dans leur ignorance du vrai bonheur, de la véritable
droite 1. L’Ecriture les nomme étrangers, comme n’appartenant
pas à Jérusalem, mais à Babylone : c’est
d’eux qu’il est dit en quelque endroit des psaumes
: « Délivrez-moi, Seigneur, de la main des enfants
étrangers, dont la bouche dit le mensonge, et dont la droite
est une droite d’injustice». Et le Psalmiste continue
en disant: « Leurs fils sont comme de nouveaux plants d’oliviers;
leurs filles sont parées comme des temples; leurs celliers
sont pleins, s’épanchant de l’un dans l’autre;
leurs brebis sont fécondes, et s’en vont en foule
de l’étable; leurs vaches sont grasses, leurs clôtures
ne sont point en ruine, et nul bruit sur leurs places publiques2
». Jouir de ce bonheur, est-ce donc être coupable?Non,
sans doute; mais d’en faire la droite, Puisque telle est
la gauche. Aussi, que dit le Prophète? « Ils ont
appelé heureux le peuple qui possède ces biens ».
Or, c’est parce qu’ils l’ont proclamé
heureux que leur bouche a dit des vanités. Mais toi, ô
Prophète, tu es citoyen de Jérusalem, puisque tu
n’oublies pas Jérusalem, de peur que ta droite ne
s’oublie; voilà que ces hommes ont dit la vanité
en chantant le bonheur d’un peuple qui possède ces
richesses : pour toi, chante-nous les hymnes de Sion. «
Bienheureux », nous dit-il, « le peuple dont le Seigneur
est le Dieu 3 ». Sondez vos coeurs, mes frères, voyez
si vous avez soif des biens de Dieu, si vous soupirez après
la cité de Dieu, la sainte Jérusalem, si vous désirez
la vie éternelle. Que tout bonheur terrestre soit la gauche
pour vous, et qu’il soit votre droite, celui que vous posséderez
toujours. Si vous avez la gauche, n’y mettez point votre
confiance; ne reprenez-vous pas ceux qui veulent manger de la
gauche? Si vous croyez votre table déshonorée, parce
qu’on y mange de la sorte, quelle injure n’est-ce
point pour celle du Seigneur, que prendre pour la gauche ce qui
est la droite, et pour la droite ce qui est la gauche? Que faire
alors? « O Jérusalem, si jamais je t’oublie,
que ma main droite s’oublie elle-même ».
17. « Que ma langue s’attache à mon palais,
si je ne me souviens de toi 1 ». C’est-à-dire,
que je demeure muet si ton souvenir s’efface de ma mémoire.
Que dire, en effet; de quoi parler, si l’on ne parle des
cantiques de Sion? Notre langue est elle-même le cantique
de Jérusalem. Chanter notre amour pour ce bas monde, c’est
une langue étrangère, une langue barbare, et que
nous avons apprise dans notre captivité. Il sera donc muet
pour Dieu, celui qui aura oublié Jérusalem. Mais
c’est peu de s’en souvenir; ils s’en souviennent
aussi, ses ennemis qui la veulent détruire. Quelle est,
disent-ils, cette cité? Quels sont ces chrétiens?
Quelle est leur vie? Encore s’ils n’étaient
plus! Voilà que la nation captive a vaincu ceux qui la
tenaient en captivité, et toutefois ils murmurent, ils
frémissent, ils veulent détruire la cité
sainte étrangère parmi eux, comme autrefois Pharaon
voulut détruire le peuple de Dieu, quand il faisait mettre
à mort tout enfant mâle, et ne réservait que
les filles : il étouffait la force et nourrissait la convoitise.
C’est donc peu de s’en souvenir, vois quel souvenir
tu en as. Il est des souvenirs de haine et des souvenirs d’amour.
Aussi après avoir dit : « Si jamais je t’oublie,
ô sainte Jérusalem, que ma main droite s’oublie
elle-même. Que ma langue s’attache à mon palais,
situ ne vis dans ma mémoire », le Prophète
ajoute : « Si Jérusalem n’est pas toujours
la première de mes joies ». Car, la joie suprême
pour nous, c’est de jouir de Dieu, c’est de goûter
en toute sécurité le bonheur d’une société
paisible, et de l’union fraternelle. Là, nulle tentation
violente, nul attrait dangereux ne pourra nous atteindre, le bien
seul aura pour nous des charmes. Toute nécessité
disparaîtra et fera place au bonheur suprême. «
Si Jérusalem n’est point la première de mes
joies».
18 Le Prophète en appelle au Seigneur, contre les ennemis
de la cité: « Souvenez-vous, Seigneur, des fils d’Edom
2». Or, Edom est ici le même qu’Esaü, et
vous avez entendu tout à l’heure à la lecture
de l’Apôtre : « J’ai aimé Jacob,
et haï Esaü 3 ». C’étaient deux frères
dans un même sein, deux jumeaux dans les entrailles de Rébecca,
deux fils d’Isaac, petits-fils d’Abraham. Néanmoins
ils naquirent, l’un pour être admis à l’héritage,
l’autre pour en être exclu. Or, cet Esaü fut
l’ennemi de son frère, parce que ce frère
qui était le plus jeune lui ravit la bénédiction
paternelle, et qu’ainsi s’accomplit cet oracle : «
L’aîné servira le plus jeune 1». Or,
nous commençons à comprendre quel est l’aîné,
quel est le plus jeune, et quel est cet aîné assujetti
au plus jeune. Le peuple juif paraissait l’aîné,
et le peuple chrétien le plus jeune selon le temps. Et
voyez comme l’aîné est assujetti au plus jeune.
Ils sont les colporteurs de nos livres, car c’est de leurs
livres que nous vient la vie. Mais pour donner à ces qualifications
d’aîné et de plus jeune tin sens plus général,
l’aîné, c’est l’homme charnel,
et le plus jeune, l’homme spirituel; car l’homme charnel
est le premier, l’homme spirituel vient ensuite. C’est
l’Apôtre qui nous le dit clairement : « Le premier
homme est l’homme terrestre formé de la terre; le
second est l’homme céleste qui vient du ciel: comme
le premier est terrestre, ses enfants sont terrestres, et comme
le second est céleste, ses enfants sont célestes.
Comme donc nous avons porté l’image de l’homme
e terrestre, portons aussi l’image de l’homme céleste».
Un peu auparavant havait dit : « Ce n’est point le
corps spirituel qui a été formé le premier;
c’est le corps animal, et ensuite le spirituel 2».
L’expression animal a le même sens que charnel. A
sa naissance l’homme est d’abord animal, homme charnel.
S’il sort de la captivité de Babylone, pour retourner
à Jérusalem, il est renouvelé, il se fait
en lui une régénération selon l’homme
nouveau et intérieur; il est le plus jeune par le temps,
et l’aîné par la puissance. Esaü est donc
le type de tous les hommes charnels, et Jacob le type de tous
les hommes spirituels ; ces derniers sont élus, les premiers
sont réprouvés. L’aîné veut-il
être élu ? qu’il devienne le plus jeune. Il
est appelé Edom, à cause de ce mets de lentilles
qui est roux, c’est-à-dire, qui a une couleur rougeâtre.
Ces lentilles étaient cuites et préparées,
Esaü les demanda à Jacob son frère, il poussa
l’envie de manger ces lentilles jusqu’à céder
son droit d’aînesse, dignité que son frère
acquit en échange du mets si convoité; et, par cette
convention, l’un devenant le plus jeune l’autre l’aîné,
cet aîné fut assujetti au plus jeune, et fut surnommé
Edom 3. Or, selon le témoignage des hommes instruits dans
cette langue, Edom veut dire sang, signification qu’il a
aussi dans notre langue punique. Ne vous en étonnez point,
c’est au sang qu’appartiennent toutes les personnes
charnelles. « Or, ni la chair ni le sang ne posséderont
le royaume de Dieu 1 ». Edom n’a aucune part à
ce royaume, tandis qu’il est le partage de Jacob, qui se
priva d’un mets charnel, pour un honneur spirituel. Mais
il eut pour ennemi Esaü, car tous les hommes charnels sont
ennemis des hommes spirituels : quiconque ne recherche que le
présent, persécute ceux qu’il voit occupés
des biens éternels. Or, que dit contre ces hommes le Prophète
qui ne perd point de vue Jérusalem, et qui demande à
Dieu d’être délivré de sa captivité?
« Souvenez-vous, Seigneur, des fils d’Edom ».
Délivrez-nous des hommes charnels, qui suivent cet Edom,
qui sont nos frères aînés, mais qui sont aussi
nos ennemis. Ils sont nés les premiers, mais ceux qui sont
nés ensuite les ont devancés; car la convoitise
charnelle a humilié les uns, et le mépris de cette
convoitise élève les autres. Ils vivent, mais pour
nous porter envie et nous persécuter.
19. « Souvenez-vous, Seigneur, des enfants d’Edom
au jour de Jérusalem ». Ce jour de Jérusalem
est-il bien le jour de la douleur, le jour de la captivité
pour Jérusalem, ou le jour de son bonheur, le jour de sa
délivrance, le terme de sa course qui sera l’éternité
? « Seigneur », dit le Prophète, « n’oubliez
pas les enfants d’Edom ». Desquels? « De ceux
qui disent : Détruisez, détruisez Jérusalem
jusqu’en ses fondements ». Donc, souvenez-vous du
jour où ils voulaient détruire Jérusalem.
Combien de persécutions 1’Eglise n’a-t-elle
pas endurées ? Avec quelle fureur les fils d’Edom,
ou les hommes charnels, soumis au diable et à ses anges,
qui adorent les pierres et le bois, qui obéissent aux convoitises
de la chair, avec quelle fureur ne criaient-ils point Mort aux
chrétiens, mort aux chrétiens : que pas un seul
n’échappe détruisez jusqu’aux fondements
? N’est-ce point là leur cri ? Et, dans ce langage
atroce, les persécuteurs n’ont-ils pas été
rejetés de Dieu, et les martyrs couronnés? «Détruisez
», disent-ils, « détruisez jusqu’aux
fondements». Ainsi disent les enfants d’Edom : «
Détruisez, détruisez », et Dieu crie à
son tour: « Soyez assujettis 1 ». Laquelle de ces
paroles sera victorieuse, sinon la parole de Dieu qui a dit: «
L’aîné sera assujetti au plus jeune 2 ? Détruisez,
détruisez jusqu’en ses fondements».
20. Puis s’adressant à Babylone: « O fille
de Babylone», s’écrie le Prophète, «malheur
à toi 3 ». Malheur à toi dans ton allégresse,
malheur dans ta confiance, malheur dans tes inimitiés.
«Malheur à toi, fille de Babylone ». Cette
même cité est nommée Babylone et fille de
Babylone; comme on dit Jérusalem et fille de Jérusalem,
Sion et fille de Sion, l’Eglise et la fille de l’Eglise.
Le nom de fille s’entend de la succession, le nom de mère
désigne sa supériorité. Tout d’abord
il y eut une ville de Babylone; mais des habitants ont-ils subsisté
jusqu’aujourd’hui ? Par la succession des temps elle
est devenue fille de Babylone. « Malheur à toi donc,
ô fille de Babylone, bienheureux celui qui te rendra les
maux que tu nous a faits 4». Malheur à toi, honneur
à lui.
21. Qu’as-tu fait, et que faut-il te rendre? Ecoute bien.
« Heureux celui qui te rendra tous les maux que tu nous
a faits ». De quels maux veut-il parler? C’est là
ce qui termine le psaume : « Bienheureux celui qui saisira
tes enfants et les brisera contre la pierre 5 ». Tel est
son malheur, et bienheureux celui qui la traitera comme elle nous
a traités. Or, si nous cherchions quel est ce traitement:
« Bienheureux », dit le Prophète, « celui
qui saisira tes enfants et les brisera contre la muraille ».
Tel est ce traitement. Que nous a fait cette Babylone? Nous l’avons
chanté dans un autre psaume: « Les paroles des méchants
ont prévalu contre nous 6». A notre naissance, Babylone
ou la confusion du siècle nous a enveloppés, et
dans notre enfance nous a en quelque sorte suffoqués dans
ses erreurs si diverses et si multipliées. Voilà
un nouveau-né qui sera un jour citoyen de la Jérusalem
d’en haut, qui l’est déjà par la prédestination
de Dieu, mais qui est encore pour un temps dans la captivité.
Comment saura-t-il aimer, sinon ce que lui inspirent son père
et sa mère? Or, les voilà qui l’instruisent,
qui le forment à l’avarice, à la rapine, aux
mensonges de chaque jour, à l’idolâtrie et
au culte des démons, aux coupables pratiques des enchantements
et des ligatures. Que fera cet enfant, dans un âge si tendre,
qui n’a des yeux que pour voir ce que font ses aînés;
que peut-il faire, sinon de suivre leur exemple? C’est donc
ainsi que Babylone nous a persécutés dans notre
enfance: mais, à mesure que nous avons grandi, Dieu nous
a fait la grâce de le connaître et de nous détourner
des errements de nos pères. C’est la prédiction
que je vous ai signalée dans l’explication du même
psaume 1 : « Les nations viendront à vous des extrémités
de la terre et diront : Véritablement nos pères
ont adoré le mensonge et la vanité qui ne leur ont
servi de rien 2 ». C’est le langage que tiennent des
hommes dans leur force: on les avait mis à mort dans leur
jeune âge, en leur faisant suivre ces vanités; qu’ils
repoussent bien loin ces vanités, qu’ils reprennent
une vie nouvelle en Dieu, en s’avançant dans la vertu
et se vengeant de Babylone. Or, que peuvent-ils lui rendre? Ce
qu’elle nous a fait. Que ses enfants soient étouffés:
ou plutôt, qu’on les brise contre la muraille et qu’ils
meurent. Mais quels sont ces enfants de Babylone? Les convoitises
coupables qui naissent en nous. Il en est qui ont à livrer
de rudes combats contre leurs passions invétérées.
Qu’une passion vienne à poindre dans ton coeur, avant
qu’elle ne se fortifie contre toi par l’habitude,
quand ce n’est qu’une passion nouvellement formée,
ne lui laisse pas le temps de grandir par l’habitude, mais
étouffe-la dès sa naissance. Et si tu crains qu’elle
ne meure pas même en l’étouffant, brise-la
contre la pierre. « Or, cette pierre c’est le Christ
3 ».
22. Que vos harpes, mes frères, ne cessent de retentir
par vos bonnes oeuvres; chantez-vous mutuellement les cantiques
de Sion. Autant vous aimez d’écouter, autant il faut
aimer de pratiquer; si vous ne voulez être à Babylone,
abreuvés de l’eau de ses fleuves, mais ne rapportant
aucun fruit. Mais soupirez après la Jérusalem éternelle
: c’est là que l’espérance nous a devancés,
que nos oeuvres nous y suivent; c’est là que nous
serons avec le Christ. Maintenant notre chef c’est le Christ,
lui qui nous gouverne d’en haut: c’est dans cette
cité bienheureuse que nous jouirons de ses embrassements,
et que nous serons égaux avec les anges. C’est là
ce que de nous-mêmes nous n’oserions même soupçonner
sans les promesses de l’infaillible vérité.
Portez donc là vos désirs, mes frères, que
ce soit jour et nuit l’objet de vos pensées. Quelque
bonheur qui vous sourie dans le monde, ne vous en élevez
point; ne raisonnez point avec vos convoitises. Votre ennemi est-il
grand? tuez-le contre la pierre ; est-il petit? brisez-le contre
la pierre ; grands ou petits, tuez-les, brisez-les contre la pierre.
Que la pierre triomphe ; bâtissez sur la pierre, si vous
ne voulez être emportés ou par le fleuve, ou par
l’ouragan, ou par les pluies. Afin de vous armer contre
les séductions du monde, faites croître et grandir
dans vos coeurs le désir de la Jérusalem éternelle.
A la captivité qui passera, succédera le bonheur,
le dernier ennemi sera vaincu, et, affranchis de la mort, nous
triompherons avec notre roi ».