Paroisse catholique Saint Michel

Dirigée par

 Monsieur l'abbé Paul Aulagnier

 

06 80 71 71 01

 

Du 4 au 10 Décembre

2iéme Dimanche de l'avent

 

Homélie

Ah ! Mes Bien chers Frères ! Que notre liturgie romaine est riche ! Les textes, les cantiques, les Epîtres, les Evangiles, les hymnes, les Antiennes, les Oraisons font ma joie et mon admiration. Notre piété n’est pas assez « liturgique » Elle ne se nourrit pas assez des textes liturgiques. Il y a, dans les textes liturgiques une poésie, un charme inégalable. Je voudrais que vous le goûtiez davantage…Avant de venir à la messe dominicale, prenez votre livre de messe et regardez les textes, méditez les, goûtez les…Vous y trouverez votre joie, votre spiritualité, vous y trouverez votre espérance, votre raison de vivre. Vous aurez le goût de communiquer, de rayonner votre foi…Cette lecture méditée nourrira votre contemplation…Le monde se meurt, se recroqueville sur lui-même parce qu’il ne connaît pas Dieu…La liturgie vous apprend à connaître Dieu et son mystère.
Prenez par exemple l’hymne des Vêpres de l’Avent. Vous y puiserez le sens de la fête de Noël, le sens du Saint Evangile.

Voyez la première strophe :

« Creator alme siderum » « Créateur saint de l’univers ».

Voilà comment la liturgie parle de Dieu. Avec quelle déférence ! Avec quelle majesté. Elle a de Dieu, - et elle l’exprime poétiquement -, le plus grand des respects, la plus haute idée, en raison de ce qu’Il est, en raison de sa toute puissance…Le Créateur de l’univers. Voilà affirmé le premier article de notre Credo. Ce Dieu qui va naître pudiquement de la Vierge Marie n’est rien d’autre que le Créateur de l’univers : « Creator alme » - saint - des étoiles, de l’univers.

Mais Il n’est pas seulement cela. Il n’est pas seulement au principe de l’univers. Il n’est pas seulement le « tout autre ». Il n’est pas l’ « Etranger ». Il est celui qui est proche. Il est celui qui est la « lumière éternel des Croyants : « Aeterne lux credentium ».
Ille lux. La liturgie, dans cet hymne se fait ainsi l’écho des grands textes du Nouveau Testament, du « Prologue de saint Jean », des affirmations de NSJC… « Je suis la Lumière du monde ». Il est la lumière de l’intelligence, « Celui qui éclaire tout homme venant en ce monde ». Celui qui marche en sa lumière, ne marche pas dans les ténèbres. Il est la lumière de ma foi…Il est ma certitude.

II n’est pas seulement le Créateur. Il n’est pas seulement la lumière des croyants. Il est aussi le rédempteur, le « rédempteur des hommes »

Creator. Lux. Redemptor. Voilà trois qualificatifs, trois mots que la liturgie met en ma bouche pour confesser le Dieu trois fois saints : Creator, Lux, Redemptor. Voilà trois mots qui définissent ce qu’est Dieu, notre Dieu.

Alors quel respect je dois lui manifester.
Oui c’est sublime ! Nourrissez-vous de la liturgie.
Mais revenons à notre messe.

Aujourd’hui, les textes liturgique font naître en nos âmes deux sentiments : la joie et la louange reconnaissante en raison de la venue prochaine de NSJC, en raison de la rédemption, du salut apporté.

C’est le sens même de l’Introït.

Et ce thème sera repris dans tous les autres textes. Il trouvera sa justification, sa raison dans l’Epître de cette messe ainsi que dans le texte de l’Evangile. Voyons les choses de plus près.

L’introït est clair.

« Populus Sion », Peuple de Sion - nous - le Seigneur va venir pour sauver les nations. « Ecce Dominus veniet ad salavandas gentes et auditam faciet Dominus gloriam vocis suae in laetitia cordis vestrae ». « Et le Seigneur va faire entendre la majesté de sa voix - gloriam vocis suae », « in laetitia cordis vestris », « pour la joie de votre cœur ».
Laetitia , c’est une vive joie, c’est l’allégresse. Mais on traduit aussi ce mot par « beauté ». Mais la joie est la beauté d’un visage…N’est-ce pas !

Ce texte est pris d’Isaïe au chapitre 30, verset 30.

Voilà bien exprimé le sentiment de joie causé par l’audition de « la gloire de sa voix ». Il va faire entendre sa voix, voix qui va réjouir ceux qui sont dans l’attente. Et l’on pense ici, bien sûr, à la scène de la Visitation. A la voix même de notre Dame, l’enfant trésaille de joie dans le sein d’Elisabeth…

Et ce thème est repris dans le Graduel.

C’est le Psaume 49 : « Dans Sion, beauté parfaite, Dieu va se manifester », « Deus manifeste veniet ». Voilà le fait affirmé. Voilà l’énoncé. : « le Seigneur vient en sa demeure, Rassemblez lui ses fidèles et dans cette assemblée réunie, chantez lui votre joie vive ».

Mais c’est aussi l’Alleluia.

« Laetatus sum », « j’ai été dans la joie quand on ma dit : allons dans la maison du Seigneur ».

Et parce qu’Il est le Rédempteur,
Parce qu’il est le salut,
Parce qu’il nous rend la vie,
Parce qu’il est miséricordieux,
Parce qu’il accorde son salut,

le peuple se réjouit en lui : « et plebs tua laetabitur in te ». Le lien est profond, intime, transcendantal entre la joie et la Bonne Nouvelle et le salut éternel..

Il faut même dire : ce salut est joie. C’est très bien dit dans le chant de Communion : « Jerusalem surge et sta in excelso », « Debout Jérusalem et tiens toi sur les hauteurs et voie la joie qui te vient de ton Dieu. « Vide jucunditatem quae veniet tibi in Deo tuo ».
Jucunditas veut dire l’agrément des choses. Mais aussi l’amabilité des personnes, l’obligeance, l’enjouement. Le Messie est en lui-même, par tout ce qu’Il est, la joie. « Vide jucundiatem » qui vient à toi de ton Dieu. Ton Dieu est ta joie. Parce qu’Il est ton sauveur.

La liturgie, vous le voyez, n’est pas déductive. Elle est affirmative. Elle affirme les vérités de la foi. Elle les chante.

Et ces sentiments de joie et de louange reconnaissante sont repris tout de go, dans les Antiennes des Vêpres et avec un enchaînement merveilleux, poétique. La poésie est une force. Elle est acclamation.

« Voici le Seigneur qui vient sur les nuées du Ciel avec grande puissance »…Celle des anges qui ont entouré sa nativité. Première Antienne. C’est l’affirmation de la venue du Seigneur. Le fait. Le Ville de Sion est forte, car le Dieu tout puissant est en elle.

Sa venue est certaine…Même s’Il tarde, ne crains pas…Attends-le, « expecta eum ». Il ne tardera pas. Attends le bien fermement. Il vient. Il ne tardera pas. Sa venue est certaine. Elle est prochaine. Alors soyez dans l’allégresse, dans la joie, dans la louange. La joie doit s’exprimer en louange, en reconnaissance.
Et l’Antienne exprime ce sentiment, d’une manière poétique : « Montagnes et collines » « Montes et colles » chantez en sa présence la louange. Laudem, le mot est au singulier. Et le verbe est au futur cantabunt ; ce futur exprime non seulement un fait à venir, mais la permanence de la louange. Moi, je traduirais par l’indicatif présent. : « chantons en sa présence..
« Et tous les arbres de la foret applaudiront ». Plaudent. C’est un subjonctif présent. Je traduirais : « et que tous les arbres de la forêt applaudissent », comme signe de joie exultante. Comme à l’audition d’une pièce de musique, les auditeurs admiratifs applaudissent, manifestent de la sorte leur joie. L’audition est la cause de la joie. De même, le salut qui vient est la raison de la joie des fidèles. Les « fidèles » sont décrient comme « les arbres de la forêt, des forets. « Omnia ligna silvarum ». Etonnez vous de nos arbres de Noël… !.
Et l’on retrouve encore la raison de la joie et de l’allégresse, de la louange reconnaissante : « Quoniam veniet Dominus » « Car ton Seigneur vient « in regnum aeternum », pour un règne éternel. Et si la venue du Messie est source de la joie, cette joie est aussi éternelle puisque son règne est lui-même éternel. C’est la quatrième antienne.

Et ce thème est repris aussi dans la cinquième antienne car l’amour aime se dire et se manifester et se répéter : « Ecce Dominus noster…Voici notre Seigneur qui vient avec puissance pour faire briller sa lumière aux yeux de ses serviteurs. La lumière de Noël n’est pas seulement l’astre qui conduira les Mages à l’étable de Bethlehem. Elle est surtout le Christ qui est la lumière.

Alors l’Epître et l’Evangile n’ont plus qu’à certifier le fait de la venue du Messie, sa réalisation dans le temps et d’exposer sa finalité, raison de notre joie : le salut.

L’Evangile nous dit le fait : « Es-tu celui qui dois venir ou devons nous en attendre un autre ? » C’est là une question capitale, centrale, déterminante. Il fallait qu’elle soit posée. Il fallait que l’identité soit affirmée, soit reconnue pour être ensuite dite : « Allez enseigner toutes les Nations ». Ce n’est pas rien. Saint Jean Baptiste pose la question unique et définitive….Il y a eu un avant et un après la question johannique . Cette question est au cœur de l’Histoire, comme le Christ lui-même est au cœur de l’Histoire.

Question absolue.

La réponse est aussi absolue que la question, aussi limpide, aussi pure, royale que la question.
« Allez dire à Jean ce que vous entendez et voyez. Les aveugles voient ! Les estropiés marchent ! Les lépreux sont purifiés ! Les sourds entendent ! Les morts ressuscitent ! La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ».

Ce sont là les miracles qui devaient annoncer la venue du temps messianique. Le Messie fut annoncé comme « thaumaturge » ! Isaïe l’affirme. Rien donc de plus clair, de plus net, de plus évident. Il ne s’agit pas d’arguments, de démonstrations, de choses subtiles. Non ! Des faits. Les sourds entendent, les morts ressuscitent ». Tout cela est constatable, simple, franc. Il est vrai de dire : « Verum et factum convertuntur ». C’est le Messie. C’est le temps du salut apporté, donné.

Et l’Epître nous donne la finalité du Messie : la paix établie, rétablie par le Messie entre le peuple élu et Dieu, paix réalisée au titre des promesses de l’Alliance faite par Dieu à Abraham. Paix réalisée aussi entre Dieu et les gentils…mais cette fois en raison de la miséricorde divine. Paix de tous les peuples avec Dieu. Mais aussi paix des peuples entre eux. Paix de tous et sur la terre comme aux Cieux. Raison de la joie du peuple. Raison de l’espérance du peuple. Raison de la gloire due à Dieu. Ainsi, d’un même cœur, d’une seule bouche, rendez gloire au Dieu et Père de NSJC.
Alors on comprend la conclusion de Saint Paul. Dans une émotion totale, il déclare : « Que le Dieu de l’espérance - Deus spei - notez, je vous prie, l’expression - vous remplisse de toute joie et de toute paix en votre foi pour que vous soyez riches d’espérance par la puissance de l’Esprit Saint ». Amen.


B-Texte de la catéchèse de Benoît XVI

Le mercredi 30 Novembre 2005, Benoît XVI a donné, à l’occasion de l’audience générale sur la place saint Pierre, à Rome cette magnifique interprétation du Psaume 136, tout inspiré de saint Augustin. Une belle occasion de méditer sur le ciel, la Jérusalem céleste. .
Lecture: Ps 136, 1-2.4-6

1.Au bord des fleuves de Babylone
nous étions assis et nous pleurions,
nous souvenant de Sion ;

2. aux saules des alentours
nous avions pendu nos harpes.

3. C'est là que nos vainqueurs
nous demandèrent des chansons,
et nos bourreaux, des airs joyeux :
« Chantez-nous, disaient-ils,
quelque chant de Sion. »

4. Comment chanterions-nous
un chant du Seigneur
sur une terre étrangère ?

5. je t'oublie, Jérusalem,
que ma main droite m'oublie !

6. Je veux que ma langue
s'attache à mon palais
si je perds ton souvenir,
si je n'élève Jérusalem,
au sommet de ma joie.


1. En ce premier mercredi de l'Avent, temps liturgique de silence, de vigilance et de prière en préparation à Noël, nous méditons le Psaume 136, dont le début est devenu célèbre dans sa version latine, Super flumina Babylonis. Le texte évoque la tragédie vécue par le peuple juif lors de la destruction de Jérusalem, qui eut lieu en 586 av. J.-C., et l'exil à Babylone qui s'ensuivit. Nous nous trouvons face à un chant national de douleur, marqué par une nostalgie aride pour ce qui a été perdu.

Cette invocation pleine d'angoisse au Seigneur, afin qu'il libère ses fidèles de l'esclavage de Babylone, exprime également bien les sentiments d'espérance et d'attente du salut avec lesquels nous avons commencé notre chemin de l'Avent.

La première partie du Psaume (cf. vv. 1-4) a pour cadre la terre d'exil, avec ses fleuves et ses canaux, ceux qui irriguaient précisément la plaine babylonienne, lieu où vivaient les déportés juifs. C'est presque l'anticipation symbolique des camps d'extermination vers lesquels le peuple juif – au cours du siècle que nous venons de laisser derrière nous – fut envoyé pour une infâme opération de mort, qui est restée comme une honte indélébile dans l'histoire de l'humanité.

La deuxième partie du Psaume (cf. vv. 5-6) est, en revanche, parcourue par le souvenir plein d'amour pour Sion, la ville perdue mais vivante dans le cœur des exilés.

2. Dans les paroles du psalmiste apparaissent la main, la langue, le palais, la voix, les larmes. La main est indispensable pour le joueur de harpe: mais elle est désormais paralysée (cf. v. 5) par la douleur, également parce que les harpes sont suspendues aux peupliers.

La langue est nécessaire au chanteur, mais à présent, elle est collée au palais (cf. v. 6). En vain les bourreaux babyloniens « demandèrent des chansons, (…) des airs joyeux» (v. 3). Les « chants de Sion » sont des « chants du Seigneur » (vv. 3-4), ce ne sont pas des chansons folkloriques pouvant être données en spectacle. Elles ne peuvent s’élever vers le ciel que dans la liturgie et dans la liberté d'un peuple.

3. Dieu, qui est l'arbitre ultime de l\'histoire, saura également comprendre et accueillir selon sa justice le cri des victimes, au-delà de la tonalité dure qu\'il prend parfois.

Tournons-nous vers saint Augustin pour une méditation supplémentaire sur notre Psaume. Dans celle-ci, le grand Père de l'Eglise introduit une note surprenante et de grande actualité: il sait que parmi les habitants de Babylone, il y a également des personnes qui s'engagent pour la paix et pour le bien de la communauté, bien que ne partageant pas la foi biblique, c'est-à-dire ne connaissant pas l'espérance de la Ville éternelle à laquelle nous aspirons. Elles portent en elles une étincelle de désir de l'inconnu, du plus grand, du transcendant, d\'une véritable rédemption. Et il dit que parmi les persécuteurs également, parmi les non croyants, il existe des personnes ayant cette étincelle, une sorte de foi, d'espérance, pour autant que cela leur soit possible dans les circonstances dans lesquelles elles vivent. Avec cette foi, également dans une réalité non connue, elles sont réellement en marche vers la vraie Jérusalem, vers le Christ. Et avec cette ouverture d'espérance pour les Babyloniens aussi – comme les appelle Augustin –, pour ceux qui ne connaissent pas le Christ, ni même Dieu, et qui désirent toutefois l'inconnu, l'éternité, il nous exhorte nous aussi à ne pas fixer notre attention uniquement sur les choses matérielles de l'instant présent, mais à persévérer sur le chemin vers Dieu. Ce n'est qu'avec cette espérance plus grande que nous pouvons aussi, de manière adéquate, transformer ce monde. Saint Augustin le dit avec ces mots: « Si nous sommes des citoyens de Jérusalem... et que nous devons vivre sur cette terre, dans la confusion du monde présent, dans la Babylone actuelle, où nous ne demeurons pas en citoyens mais où nous sommes tenus prisonniers, il faut que nous ne chantions pas seulement ce qui est dit par le Psaume, mais que nous le vivions: ce qui se fait grâce à une aspiration profonde du cœur, désirant pleinement et religieusement la ville éternelle ».

Et il ajoute, à propos de la « ville terrestre appelée Babylone »: celle-ci « contient des personnes qui, soutenues par l'amour pour elle, s'ingénient à en garantir la paix – la paix temporelle – en ne nourrissant pas dans leur cœur d\'autre espérance, plaçant même en cela toute leur joie, sans attendre rien d'autre. Et nous les voyons accomplir tous les efforts pour se rendre utiles à la société terrestre. Or, s'ils œuvrent avec la conscience pure à ces tâches, Dieu ne permettra pas qu'ils périssent avec Babylone, les ayant prédestinés à être des citoyens de Jérusalem: à condition cependant que, vivant à Babylone, ils n'en imitent pas la superbe, le faste caduc et l'arrogance irritante... Il voit leur asservissement et leur montrera cette autre ville, à laquelle ils doivent vraiment aspirer et adresser tous leurs efforts » (Discours sur les Psaumes, 136, 1-2): Nuova Biblioteca Agostiniana, XXVIII, Rome 1977, pp. 397.399).

Et nous prions le Seigneur pour qu\'en nous tous se réveille ce désir, cette ouverture vers Dieu, et qu'également ceux qui ne connaissent pas le Christ puissent être touchés par son amour, si bien que tous ensemble nous nous rendions en pèlerinage vers la Ville définitive et que la lumière de cette Ville puisse apparaître aussi à notre époque et dans notre monde.


C- Saint Augustin d'Hippone

Discours sur le Psaume 136
La citation de Saint Augustin par Benoît XVI m’a donné l’occasion d’aller lire son commentaire. Je suis heureux de pouvoir vous donner ce texte. Que de richesses ! C’est un peu long. Mais cette lecture vous donnera plus de richesse intérieure que le même temps passé devant la télévision… Alors faites votre choix. Devant la télévision, vous êtes passif. Dans cette lecture, vous êtes actif. Votre intelligence est provoquée…à la réflexion. Et à la prière.

DISCOURS SUR LE PSAUME CXXXVI.
SERMON AU PEUPLE.
BABYLONE, OU LA CAPTIVITÉ DE CETTE VIE.

Babylone et Jérusalem sont confondues ici-bas, et seront séparées au dernier jour. Cependant nous ne pouvons louer le Seigneur qu’en Sion dont le souvenir fait couler nos larmes sur les fleuves de Babylone, ou sur tout ce qui est passager comme le fleuve, gloire, éclat, richesses. Asseyons-nous; c’est-à-dire, humilions-nous, sans nous confier au courant, et fussions-nous heureux selon Babylone, aspirons à Sion, où notre joie sera éternelle.
Nos harpes sont les saintes Ecritures ; le saule est un arbre stérile, comme ces mondains à qui nous ne saurions parler de religion ; y suspendre nos harpes, c’est garder le silence avec eux. Mais Babylone c’est la captivité, et le Christ nous rachetés, comme le Samaritain soulagea cet homme que des voleurs avaient laissé à demi mort sur le chemin de Jéricho. Ces voleurs sont le diable et ses anges, lui qui entra dans le coeur de Judas, comme il entre en ceux qui lui ouvrent leur coeur par les désirs de la chair, qui ne vient le bonheur que dans la satisfaction des sens, mais ne comprennent point renoncement volontaire, ne le voient point pratiquer chez les chrétiens. Ils nous interrogent sur notre religion, mais sans vouloir l’embrasser ; il faut alors suspendre nos harpes ; comment chanter sur la terre étrangère, ou à des hommes incapables de nous comprendre ? Tel était le riche qui interrogeait le Sauveur dans l’Evangile : Que ferai-je pour avoir la vie éternelle ? Vendez vos biens, donnez-en le prix aux pauvres. C’est là le cantique des riches ; celui des pauvres, c’est d’éviter les désirs insatiables.
Ces arbres pourront cesser d’être stériles ; alors nous parlerons. Cette main droite qui doit s’oublier, c’est la main des bonnes oeuvres, qui tarissent quand nous oublions Jérusalem ; la gauche est celle des oeuvres temporelles, et quand à nos aspirations vers le ciel se mêlent des aspirations terrestres, notre main gauche connaît les oeuvres de la main droite. D’autres, donnant la préférence aux biens temporels, font de la droite la gauche, et deviennent étrangers à Jérusalem. Pour habiter, cette ville, ayons soif de la justice ; que notre langue soit muette si nous ne chantons ce qui est de Sion, si notre joie n’est plus la jouissance de Dieu. Quant aux fils d’Edom qui ont vendu leur droit d’aînesse, qui sont l’homme charnel, ils ne posséderont point le royaume de Dieu devenu le partage de Jacob. qui donna la préférence aux biens spirituels, ils ont voulu nous détruire, Dieu les a soumis à l’esclavage. La fille de Babylone nous a persécutés par ses scandales ; bienheureux qui brisera les passions qu’elle a fait naître en nous contre la pierre qui est le Christ.
1. Vous n’avez pas oublié, sans doute, ce que je vous ai dit plusieurs fois, ou plutôt ce que j’ai rappelé à votre souvenir, que tout homme instruit dans l’Eglise doit savoir de quelle patrie nous sommes citoyens, quel est le lieu de notre exil, que le péché est la cause de cet exil, et que la grâce qui nous fait retourner dans la patrie, c’est la rémission du (141) péché, la justification qui nous vient de la bonté de Dieu. Vous avez entendu aussi, vous savez que deux grandes sociétés confondues de corps, mais séparées par le coeur, traversent les siècles jusqu’à la fin du monde; l’une qui a pour fin la paix éternelle, et qui est Jérusalem, l’autre qui trouve sa joie dans la paix du temps, et qu’on appelle Babylone. Si je ne me trompe, vous connaissez aussi le sens de ces noms; vous savez que Jérusalem signifie vision de la paix, et Babylone confusion. Jérusalem était retenue captive à Babylone, mais pas totalement, puisqu’elle a aussi pour citoyens les anges ; mais en ce qui regarde seulement les hommes prédestinés à la gloire de Dieu , qui doivent être par l’adoption les cohéritiers de Jésus-Christ, et qu’il a rachetés de la captivité au prix de son sang. Quant à cette partie de Jérusalem qui demeure en captivité à Babylone, à cause de ses péchés, elle commence d’en sortir dès ici-bas par le coeur, au moyen de la confession des péchés et de l’amour de la justice ; mais à la fin des siècles elle en sera séparée, même corporellement. Ainsi l’avons-nous annoncé dans ce psaume, que nous avons expliqué à votre charité, et qui commence de la sorte « C’est dans Sion qu’il faut vous louer, ô mon Dieu, et en Jérusalem qu’on doit vous rendre ses vœux 1». Or, aujourd’hui nous avons chanté: «Assis à Babylone, sur le bord des fleuves, nous avons pleuré au souvenir de Sion 2». Remarquez-le, dans l’un il est dit que « c’est dans Sion qu’il faut chanter des hymnes à Dieu»; et dans l’autre : « Assis à Babylone sur le bord des fleuves, nous avons pleuré au souvenir de Sion », de cette Sion où il convient de chanter des hymnes à Dieu.
2. Quels sont donc les fleuves de Babylone, et qu’est-ce pour nous de nous asseoir et de pleurer au souvenir de Sion? Si nous en sommes en effet les citoyens, non contents de chanter ainsi, nous pleurons réellement. Si nous sommes citoyens de Jérusalem ou de Sion, et si au lieu de nous regarder comme des citoyens, nous nous tenons pour captifs dans cette Babylone, ou dans cette confusion du monde, il nous faut non-seulement chanter ces paroles, mais en reproduire les sentiments dans nos coeurs, et soupirer avec une pieuse ardeur après la cité éternelle. Dans cette cité appelée Babylone, il y a des citoyens qui l’aiment et qui y cherchent la paix du temps, bornant à cette paix leur espérance, y fixant toute leur joie, y trouvant leur fin, et nous les voyons se fatiguer beaucoup pour les intérêts d’ici-bas. Qu’un homme néanmoins s’y acquitte fidèlement de ses emplois, sans y chercher ni l’orgueil, ni l’éclat passager d’une gloire périssable, d’une haïssable arrogance, mais agissant’ avec droiture, autant que possible, aussi longtemps que possible, envers tous s’il est possible, autant qu’il peut voir que tout cela est terrestre, et envisager la beauté de la cité céleste, Dieu ne le laissera point à Babylone ; il l’a prédestiné à être citoyen de Jérusalem. Dieu comprend qu’il se regarde comme captif et lui montre cette autre cité à laquelle il doit aspirer, pour laquelle il doit tenter les plus grands efforts, en exhortant de tout son pouvoir ses compagnons d’exil à y arriver un jour. Aussi, notre Seigneur Jésus-Christ dit-il : « Celui qui est fidèle dans les moindres choses l’est aussi dans les grandes »; et plus loin : « Si vous n’avez pas été fidèles dans ce qui n’est point à vous, qui vous donnera ce qui vous appartenait 1 ? »
3. Toutefois, mes bien-aimés, écoutez quels sont les fictives de Babylone. On entend par fleuves de Babylone tout ce que l’on aime ici-bas et qui est passager. Voilà un homme qui s’est adonné à l’agriculture, par exemple, qui cherche à s’enrichir par ce moyen, y applique son intelligence, y met son plaisir. Qu’il en considère la fin, et qu’il voie que l’objet de son amour n’est point un fondement de Jérusalem, mais un fleuve de Babylone. Un autre nous dit: C’est un noble emploi que celui des armes : tout laboureur craint le soldat, lui obéit, tremble devant lui; si je suis laboureur, je craindrai le soldat ; si je suis soldat, le laboureur me craindra. O insensé, tu te jettes à corps perdu dans un autre fleuve de Babylone, et fleuve plus turbulent, plus rapide encore que le premier. Tu veux qu’on te craigne au-dessous de toi, crains ceux d’au dessus : celui qui te craint peut tout à coup te devenir supérieur, mais celui que tu dois craindre ne te sera jamais inférieur. Le barreau, dit celui-ci, est une noble carrière, l’éloquence est une grande puissance ; en toute occasion des clients sont suspendus en quelque sorte à la langue d’un patron qui parle bien, et de ses lèvres attendent la perte ou le gain d’une affaire, la mort ou la vie, la ruine ou le salut. Mais tu ne sais où tu vas. Voilà un autre fleuve de Babylone, un fleuve bruyant dont le flot bondit contre les rochers qu’il frappe. Mais vois au moins que ce flot passe, vois qu’il s’écoule, et situ vois qu’il passe et qu’il s’écoule, prends garde qu’il ne t’entraîne. Il est beau, dit un autre, de naviguer et dc négocier, de connaître beaucoup de provinces , de faire du gain partout, de n’être attaché à aucune ville sous la dépendance de quelque puissant, de voyager toujours, d’absorber son esprit par des affaires multipliées, des pays divers, et de retourner enfin avec des richesses considérables. C’est encore là un fleuve de Babylone; quand consolideras-tu ces richesses ? Quand sauras-tu compter sur ces gains, et te reposer en sûreté? Plus tu es riche, et plus tu es craintif. Un naufrage peut te mettre à nu, et c’est avec raison que tu pleureras dans le fleuve de Babylone, parce que tu n’auras voulu ni t’asseoir, ni pleurer sur ses bords.
4. Donc les autres citoyens de la sainte Jérusalem, comprenant qu’ils sont en captivité, méditent sur les désirs humains, sur ces diverses passions qui entraînent avec violence, qui poussent et précipitent dans la mer ; voilà ce qu’ils voient, et au lieu de se jeter dans les fleuves de Babylone, ils se tiennent assis sur les fleuves de Babylone, pour pleurer, ou sur les mondains qu’entraînent ces fleuves, ou sur eux-mêmes qui ont mérité d’être à Babylone, bien qu’ils y soient assis, c’est-à-dire humiliés. Donc, « sur les fleuves de Babylone, nous avons pleuré au souvenir de Sion ». O sainte Sion, où tout demeure et rien ne s’écoule ! qui nous a précipités dans ces flots rapides? Pourquoi nous sommes-nous séparés de ton divin Architecte, et de ta société sainte? Nous voici au milieu des flots qui nous poussent tumultueusement et qui nous entraînent ; c’est à peine si quelqu’un peut s’échapper en saisissant les saules du rivage. Dans notre captivité, asseyons-nous humblement sur les fleuves de Babylone sans être assez audacieux pour nous précipiter dans les flots, ni assez orgueilleux pour lever la tête, au milieu de nos amertumes et de nos malheurs ; niais asseyons-nous et pleurons. Asseyons-nous sur les fleuves de Babylone, et non sous les fleuves; que notre humilité n’aille point jusqu’à nous y plonger Assieds-toi sur le fleuve, non dans le fleuve, non sous le fleuve : assieds-toi humblement, parle, mais non comme à Jérusalem. C’est là que tu seras debout, selon cette espérance que chante un autre psaume : « Nos pieds se tenaient debout dans les parvis de Jérusalem 1». C’est là que tu seras élevé en gloire, si tu veux ici-bas t’humilier dans la pénitence et dans la confession. C’est donc dans les parvis de Jérusalem que nos pieds se tenaient debout. « Mais sur les fleuves de Babylone nous étions assis, pleurant au souvenir de Sion ». C’est donc le souvenir de Sion qui doit faire couler nos larmes.
5. Beaucoup en effet répandent les larmes de Babylone, parce qu’ils goûtent les joies de Babylone. La joie d’un gain, la douleur d’une perte, sont également de Babylone. Tu dois donc pleurer, mais au souvenir de Sion. Si le souvenir de Sion t’arrache des larmes, tu dois aussi pleurer, quand même selon Babylone tu serais heureux. Aussi est-il dit dans un psaume : « J’ai trouvé la tribulation et la douleur, et j’ai invoqué le Seigneur 2 ». Que signifie, « j’ai trouvé? » Il y avait je ne sais quelle affliction à chercher, et qu’il a trouvée, ce semble, après l’avoir cherchée. Et qu’a-t-il gagné en la trouvant? Il a invoqué le nom du Seigneur. Que tu rencontres l’affliction, ou que l’affliction te rencontre, sont choses bien différentes. Car le Prophète nous dit ailleurs : « Les douleurs de l’enfer m’ont trouvé 3 ». Que signifient ces paroles : « Les douleurs de l’enfer m’ont rencontré ? » Qu’est-ce à dire encore : « J’ai rencontré la douleur et la tribulation ? » Quand l’affliction vient tout à coup fondre sur toi, et bouleverser toutes les affaires temporelles qui faisaient tes délices ; quand une douleur vient inopinément t’assaillir, d’où tu étais loin de l’attendre, alors te voilà triste, et la douleur d’en bas t’a rencontré. Tu te croyais en haut et tu étais à terre, en proie à cette affliction de l’enfer, tu t’es trouvé en bas,.lorsque tu te croyais bien supérieur. Tu t’es trouvé dans un profond abattement, accablé d’un ami auquel tu avais bien compté échapper; c’est la douleur d’en bas qui t’a rencontré. Lorsque tu es heureux, au contraire, que tout te sourit dans le monde, que la mort a épargné les tiens, que dans tes vignes rien n’est desséché, rien n’est endommagé par la grêle, rien n’est stérile, rien ne s’aigrit dans tes vins, rien n’avorte dans les troupeaux, rien ne te fait déchoir des dignités que tu occupes dans le monde, lorsque tes amis vivent, et te gardent leur amitié, que tes clients sont nombreux, tes enfants soumis, tes serviteurs respectueux, ton épouse dans un parfait accord ; c’est là, dit-on, une maison heureuse ; trouve alors une douleur, si tu le peux, et ensuite invoque le Seigneur. Elle te paraît contradictoire, cette parole de Dieu qui nous dit de pleurer dans la joie, de nous réjouir dans la douleur. Ecoute celui qui se réjouit dans l’affliction « Nous nous glorifions », dit l’Apôtre, « au milieu de la tristesse 1 ». Quand l’homme pleure dans sa joie, vois s’il n’a pas trouvé l’affliction. Que chacun examine la joie qui a fait tressaillir son âme, qui l’a enflée d’un certain orgueil, qui t’a élevée et lui a fait dire r Je suis heureuse. Qu’il voie si ce n’est point une félicité qui s’écoule, et s’il peut s’assurer qu’elle sera éternelle. S’il n’en a point la certitude, s’il voit que tout ce qui constitue son bonheur n’est que d’un moment, c’est là le fleuve de Babylone, qu’il s’asseye au dessus et qu’il pleure. Or, il s’assiéra et pleurera s’il se ressouvient de Sion. O bienheureuse paix que nous contemplerons en Dieu ! Sainte égalité dont nous jouirons avec les anges! Sainte vision, spectacle incomparable ! Il est vrai qu’il y a des charmes aussi qui vous retiennent à Babylone; loin de vous tous ces liens, loin de vous leur séduction ! Autres sont les consolations de la captivité, autres les joies de la liberté. « Assis sur les fleuves de Babylone, nous avons pleuré au souvenir de Sion ».
6. « Aux saules de ses rivages nous suspendîmes nos cithares 2 ». Ils ont leurs harpes, les habitants de Jérusalem ; ils ont les saintes Ecritures, les préceptes; les promesses de Dieu, les pensées de l’autre vie ; mais quand ils se trouvent au milieu de Babylone, ils suspendent ces harpes aux saules du rivage. Le saule est un arbre stérile, et dont le nom ici ne signifie rien de bon, bien qu’ailleurs il puisse avoir un autre sens. Mais ici, ne voyons sur les fleuves de Babylone que des arbres stériles. Les fleuves de Babylone les arrosent, et néanmoins ils ne produisent aucun fruit. De même qu’il est des hommes cupides, avares, stériles en bonnes oeuvres, ainsi en est-il des citoyens de Babylone, qui ressemblent aux arbres de ces contrées, s’abreuvent de toutes les voluptés passagères, comme des eaux des fleuves de Babylone. Tu y cherches du fruit sans en trouver jamais. Quand nous rencontrons ces hommes, nous nous trouvons avec ceux qui sont au milieu de Babylone. Il est en effet une différence bien grande entre le milieu de Babylone et l’extérieur. Il en est qui ne sont pas au milieu, qui ne sont point si profondément plongés dans les convoitises et les voluptés mondaines. Mais ceux qui sont complètement adonnés à la malice, pour parler ouvertement, sont au milieu de Babylone, bois stériles, comme les saules de Babylone. Lorsque nous les rencontrons, et que nous les voyons tellement stériles, qu’on trouve à peine en eux rien qui les puisse ramener à la vraie foi, ou aux bonnes oeuvres, ou à l’espérance de la vie éternelle, ou au désir d’être délivrés de cette mortalité qui les tient en servitude, nous savons les Ecritures, nous pourrions leur en parler ; mais ne trouvant en eux aucun fruit, par où nous puissions commencer, nous nous détournons en disant: Ils ne goûtent point encore ces vérités, ils ne les comprennent point. Quoi que nous puissions dire, ils ne l’accueilleront qu’avec défaveur, avec répugnance. Mais nous abstenir des saintes Ecritures, c’est suspendre nos harpes aux saules du rivage, et ces saules ne sont que des arbres stériles saturés de voluptés passagères, comme des fleuves de Babylone.
7. Et voyez si ce n’est point là ce que nous donne la suite du psaume « Aux saules qui couvraient ces eaux, nous suspendîmes nos cithares. Là, ceux qui nous avaient emmenés captifs nous demandèrent des cantiques, et ceux qui nous avaient arrachés à la patrie, des hymnes», sous-entendez « nous demandaient ». Ils exigeaient de nous des cantiques et des hymnes, ceux qui nous ont emmenés captifs. Quels sont, mes frères, ceux qui nous ont emmenés en captivité ? Quels hommes nous ont imposé le joug de la servitude ? Jérusalem subit autrefois le joug des Perses, des Babyloniens, des Chaldéens, et des rois de ces contrées, et cela depuis la composition des psaumes, et non lorsque David les chantait. Mais, nous vous l’avons déjà dit, ce qui arrivait littéralement en cette ville était la figure de ce qui devait nous arriver, et il est facile de nous montrer que nous sommes en captivité. Nous ne respirons point encore l’atmosphère de cette liberté que nous espérons; nous ne jouissons pas de la pure vérité ni de cette sagesse immuable, qui néanmoins renouvelle toutes choses 1. Les terrestres voluptés ont pour nous des charmes, et chaque jour il nous faut combattre les suggestions des coupables convoitises: à peine pouvons-nous respirer, même pendant la prière : c’est alors que nous sentons notre captivité. Mais qui nous a réduit à cet esclavage? Quels hommes ? quelle nation? quel roi? Si nous sommes rachetés, nous étions donc captifs. Qui nous a rachetés? le Christ. Des mains de qui nous a-t-il rachetés ? du diable. Le diable donc et ses anges nous ont emmenés en captivité, et n’eussent pu nous emmener sans notre consentement. C’est donc nous qui sommes emmenés captifs, et je vous ai dit par qui ; c’est par ces mêmes voleurs qui blessèrent cet homme de l’Evangile qui descendait de Jérusalem à Jéricho, et qu’ils laissèrent à demi mort 2. C’est lui que rencontra notre gardien, c’est-à-dire le samaritain, car samaritain signifie gardien, et à qui les Juifs faisaient ce reproche : « N’avons-nous pas raison de dire que vous êtes un samaritain et un possédé du démon 3? »Pour lui, repoussant l’un de ces outrages, il accepta l’autre: « Je ne suis point possédé du démon », répondit-il, mais il n’ajouta pas, ni samaritain; et, en effet, si ce divin Samaritain ne veille sur nous, c’en est fait de nous. Donc ce samaritain passant près de cet homme abandonné par les voleurs, vit ses blessures, et le recueillit comme vous savez. De même qu’on appelle voleurs ceux qui nous ont infligé les plaies du péché, on les regarde aussi comme des vainqueurs qui nous emmènent en captivité, à cause de l’assentiment que nous donnons à notre servitude.
8. Ces vainqueurs donc qui nous ont emmenés, le diable et ses anges, quand nous ont-ils parlé et demandé les cantiques de Sion? Que faut-il comprendre par là, sinon que c’est le diable qui parle et qui agit en ceux qui nous font les mêmes questions? « Pour vous », dit l’Apôtre, « qui étiez morts par vos péchés et par vos crimes, qui marchiez autrefois selon l’esprit de ce monde, selon le principe des puissances de l’air, cet esprit qui agit maintenant sur les enfants de la rébellion, parmi lesquels nous avons été tous autrefois 1». Saint Paul nous fait voir qu’il a été racheté, et qu’il sort déjà de Babylone. Et toutefois, que dit-il encore? Qu’il nous reste à combattre nos ennemis. Et pour nous détourner de haïr ces hommes qui nous persécutent, l’Apôtre éloigne de notre pensée toute animosité contre les hommes, en nous signalant cette lutte avec ces esprits invisibles, contre lesquels nous devons combattre. « Ce n’est point», nous dit-il en effet, « contre la chair et le sang que vous avez à combattre », c’est-à-dire contre les hommes que vous voyez, qui paraissent vous faire souffrir et vous persécuter; car il vous est ordonné de prier pour eux. « Ce n’est donc point contre la chair et le sang que nous avons à combattre », c’est-à-dire contre les hommes, «mais bien contre les principautés, contre les puissances, contre les princes de ce monde ténébreux 2 ». Que veut-il dire par ce monde? Les amateurs du monde. Ce sont eux qu’il appelle ténèbres, c’est-à-dire les hommes injustes, les scélérats, les infidèles, les pécheurs : ces hommes qu’il félicite quand ils reviennent à la foi, en leur disant: « Vous étiez autrefois ténèbres, aujourd’hui vous êtes la lumière dans le Seigneur 3». Il nous met donc en lutte avec ces principautés qui nous ont emmenés captifs.
9. De même que le diable entra jadis dans Judas et lui fit trahir son Seigneur 4, ce qu’il n’eût point fait si Judas ne lui eût ouvert son coeur; de même, au milieu de Babylone, un grand nombre de méchants, par des convoitises charnelles et coupables, ouvrent leurs coeurs au diable et à ses anges, qui agissent en eux et par eux, quand ils nous questionnent et nous disent : Exposez-nous vos raisons. Les païens pour la plupart nous viennent dire : Expliquez-nous pourquoi l’avènement du Christ, de quoi sert le Christ au genre humain ? Depuis cet avènement le monde n’est-il pas dans un état pire qu’auparavant, et les hommes d’alors n’étaient-ils pas plus heureux que maintenant? Que les Chrétiens nous disent le bien que nous a fait le Christ; en quoi l’avènement du Christ a-t-il amélioré la condition des hommes? Tu le vois, si les théâtres, si les amphithéâtres, si les cirques subsistaient dans leur entier, si rien ne dépérissait à Babylone, si les hommes se plongeaient dans toutes sortes de plaisirs, chantant et dansant au son d’abominables refrains, s’ils jouissaient en paix et en toute sécurité des compagnes de leurs débauches, s’ils ne craignaient point la faim dans leur maison, ceux qui applaudissent aux bouffons; si toutes ces voluptés coulaient sans ruine et sans trouble, si l’on pouvait s’y plonger sans crainte, les temps seraient heureux, et le Christ aurait apporté sur la terre une grande félicité. Mais parce que Dieu châtie l’iniquité, parce qu’il arrache des coeurs les convoitises de la terre, afin d’y planter l’amour de Jérusalem ; parce que cette vie est mêlée d’amertume, afin que nous désirions la vie éternelle; parce que Dieu instruit les hommes par le châtiment, les redresse par une correction paternelle afin de leur taire éviter la damnation, le Christ n’a apporté aucun bien, le Christ n’a apporté que des maux! En vain tu énumères à cet homme les biens dont nous sommes redevables à Jésus-Christ, il n’y comprend rien. Tu lui parles de ceux qui suivent à la lettre ce que nous venons d’entendre dans l’Evangile ; « qui vendent leurs biens « pour en donner le prix aux pauvres, afin d’avoir un trésor dans le ciel, et de suivre le Sauveur 1 ». Tu lui dis: Voilà les biens apportés par le Christ. Combien distribuent leurs biens aux pauvres, et se font pauvres eux-mêmes, non par nécessité, mais volontairement, et suivent Dieu dans l’espérance du royaume des cieux ! Ils se rient de ces pauvres comme d’insensés : Et voilà, disent-ils, les biens du Christ, perdre ses possessions, et s’appauvrir pour donner aux pauvres? Que répondre à un tel homme? Tu ne comprends pas, lui diras-tu, les biens du Christ; tu es absorbé par un autre, qui est l’adversaire du Christ, et à qui tu as ouvert ton coeur. Tu jettes les yeux sur les temps anciens, et ces temps te paraissent plus heureux ; comme des olives pendantes à l’arbre, au souffle des vents, ainsi les hommes s’imaginaient jouir d’un certain air de liberté, en promenant çà et là leurs vagues désirs. Mais voici que l’on jette l’olive sous le pressoir; car elle ne pouvait demeurer toujours sur l’arbre, et l’année touchait à sa fin, Ce n’est pas sans raison que plusieurs de nos psaumes sont intitulés : « Pour les pressoirs 2 ». Liberté sur l’arbre, écrasement au pressoir. Tu as remarqué, en effet, que l’avarice augmente à mesure que les biens du monde sont broyés et pressurés; vois aussi que la continence augmente à son tour. D’où vient cet aveuglement qui ne te laisse voir que le marc coulant dans les rues, et te dérobe l’huile pure qui coule dans les vases? Et cela n’est pas sans figure. L’homme qui fait le mal est connu publiquement: mais l’homme qui se convertit à Dieu, qui se purifie des souillures de ses coupables désirs, celui-là demeure caché ; car le mare coule visiblement au pressoir, ou plutôt du pressoir, tandis que l’huile coule secrètement dans les réservoirs.
10. Vous applaudissez à mes paroles, vous en tressaillez; parce que déjà vous pouvez vous asseoir sur les fleuves de Babylone et y pleurer. Quant à ceux qui nous ont emmenés captifs, dès qu’ils sont entrés dans le coeur des hommes, dès qu’ils en ont pris possession, et qu’ils nous interrogent par leur organe, en nous disant : « Chantez-nous les paroles de vos cantiques » ; expliquez-nous pourquoi est venu le Christ, et qu’est-ce que l’autre vie? Je veux croire, mais donnez-moi la raison qui m’oblige à croire: ô homme ! lui dirai-je, comment ne pas t’obliger à croire ? Tu es absorbé dans tes coupables désirs, et si je te parle des biens de la Jérusalem d’en haut, tu ne les comprendras point : il faut chasser de ton coeur ce qui le remplit, afin d’y mettre ce qui n’y est point. Ne t’engage donc point aisément à parler à cet homme; c’est un saule, un bois stérile. Ne touche point ta harpe, n’en tire aucun son, mieux vaut la suspendre. Mais il insistera : chantez vos cantiques, dira-t-il, dites-moi les raisons de votre toi; ne voulez-vous donc pas m’instruire ? Ton dessein d’écouter n’est pas sincère, et ce n’est point pour mériter qu’elle s’ouvre que tu frappes à la porte; tu es plein de celui qui m’a fait captif, c’est lui qui m’interroge par ta bouche. Il est astucieux, il est fourbe dans ses questions : il ne cherche point à s’instruire, mais à reprendre. Je me tais donc et je suspends ma harpe.
11. Mais que dira-t-il encore? «Chantez-nous vos hymnes, donnez-nous vos concerts, chantez-nous les cantiques de Sion ». Que répondre? Tu es de Babylone, lui dirons-nous, tu fais partie de Babylone, c’est Babylone qui te nourrit, Babylone qui parle par ta (146) bouche ; tu ne saisis que le reflet d’un moment, tu ne sais point méditer ce qui est éternel, tu ne comprends pas même tes questions. « Comment chanter les cantiques du Seigneur sur la terre étrangère 1 ? » C’est bien cela, mes frères. Parlez de nos vérités, quelque peu que vous les connaissiez, et voyez combien de railleries vous devez essuyer de la part de ces chercheurs de vérités, qui sont pleins de fausseté. Répondez à ces hommes qui vous demandent ce qu’ils ne peuvent comprendre, et dites-leur avec la hardiesse de notre saint cantique: « Comment chanter les cantiques du Seigneur dans la terre étrangère ? »
12. Mais, ô peuple de Dieu, ô corps du Christ, nobles exilés, car vous êtes d’ailleurs, et non d’ici, comprenez que vous êtes entre leurs mains; et quand ils vous disent : « Chantez-nous vos hymnes, faites retentir vos concerts, chantez-nous les cantiques de Sion », gardez-vous de vous attacher à eux, de rechercher leur amitié, de craindre de leur déplaire, de trouver du goût à Babylone et d’oublier Jérusalem. Voyez ce que cette crainte suggère au Prophète, écoutez la suite. Car il a souffert celui qui a chanté ces paroles, et cet homme, c’est nous si nous voulons ; il a subi toutes ces questions que lui adressaient, de toutes parts, des hommes aux paroles flatteuses, mais à la critique amère, aux louanges trompeuses, qui demandent ce qu’ils ne sauraient comprendre, et ne veulent point rejeter ce qui remplit leur coeur. Or, au milieu de ces foules importunes, le Prophète se trouvant en péril a relevé bien haut son âme au souvenir de Sion, et a même voulu s’astreindre par une espèce de serment : « Sainte Jérusalem, si jamais je t’oublie 2 ». Ainsi dit-il au milieu des discours de ceux qui le retiennent captif, au milieu des paroles mensongères, des paroles insidieuses de ces hommes demandant toujours sans vouloir comprendre.
13. De ces hommes était ce riche qui interrogeait le Sauveur : « Maître, que ferai-je, pour avoir la vie éternelle 4? » Questionner au sujet de la vie éternelle, n’était-ce point demander un cantique de Sion? « Observez les commandements », lui dit le Sauveur. Et ce fastueux de répondre : « Je les ai tous accomplis dès mon enfance». Le Seigneur lui parle donc des cantiques de Sion,bien qu’il sût qu’il ne comprendrait point; mais il voulait nous donner un exemple des conseils que plusieurs semblent nous demander, au sujet de la vie éternelle, et qui nous comblent d’éloges, jusqu’à ce que nous répondions à leurs demandes. A propos de ce jeune homme, il nous apprend à répondre à ces questionneurs insidieux : « Comment chanter les cantiques du Seigneur sur la terre étrangère ? » Voici sa réponse : « Voulez-vous être parfait? Allez, vendez ce que vous possédez, et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, puis venez et suivez-moi ». Afin d’apprendre les cantiques de Sion, qu’il se dégage de tout empêchement, qu’il marche librement et sans aucun fardeau; alors il comprendra quelque peu les cantiques de Sien. Ce jeune homme s’en alla triste. Disons derrière lui: « Comment chanter les cantiques de Sion dans la terre étrangère? » Il s’en alla, il est vrai, mais le Seigneur ne laissa point les riches sans espérance. Car les Apôtres disaient : « Qui donc pourra être sauvé ? » Et le Sauveur répondit: « Ce qui est impossible aux hommes est facile à Dieu ». Les riches ont leur règle; ils ont pour eux un cantique en Sion, cantique dont l’Apôtre a dit : « Ordonnez aux riches de ce monde de n’être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance « dans les richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie». Précisant ensuite ce qu’ils ont à faire, l’Apôtre enfin touche de la harpe, et ne la suspend point: « Qu’ils soient riches en bonnes œuvres », dit-il, « qu’ils donnent de bon coeur, qu’ils fassent part de leurs biens, qu’ils s’amassent un trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin d’embrasser la vie éternelle 1 ». Tel est pour les riches le cantique de Sion, d’abord de ne point s’enorgueillir. Car les richesses élèvent le coeur, et le fleuve entraîne ceux qui s’élèvent. Que leur est-il donc recommandé ? Avant tout de ne point s’enorgueillir. Qu’ils évitent dans les richesses l’effet des richesses mêmes, qu’ils évitent l’orgueil ; car c’est le mal que produisent naturellement les richesses dans les hommes peu défiants. L’or n’est pas mauvais sans doute, puisque Dieu l’a créé; mais l’avare devient mauvais, quand il délaisse le Créateur pour s’attacher à la créature. Qu’il se prémunisse dès lors contre l’orgueil, et s’assoie sur le fleuve de Babylone. Car lui recommander de ne point s’enorgueillir, c’est lui dire de s’asseoir. Qu’il ne se confie point dans les richesses qui sont incertaines, et qu’il se tienne assis sur les fleuves de Babylone. Mettre sa confiance en des biens inconstants, c’est se laisser entraîner par le fleuve ; mais s’humilier, éviter l’orgueil, se délier des richesses incertaines, c’est se tenir assis sur le fleuve de Babylone et soupirer vers la Jérusalem éternelle au souvenir de Sion, et, pour parvenir à Sion, donner son bien aux pauvres. Tel est pour les riches le cantique qui leur vient de Sion. Qu’ils travaillent dès lors, qu’ils touchent la harpe, et sans perdre un instant, quand ils rencontreront un homme qui leur dira : Que fais-tu ? c’est perdre tes biens que faire autant d’aumônes : amasse pour tes enfants. Quand, dis-je, ils rencontreront de ces hommes incapables de comprendre nos oeuvres, et qu’ils trouveront en eux le saule stérile, qu’ils ne s’arrêtent pas à rendre raison de leurs oeuvres, à les faire connaître, qu’ils suspendent leurs harpes aux saules de Babylone. Mais en dehors de ces saules, qu’ils chantent, qu’ils travaillent sans relâche. Ce n’est point perdre que faire l’aumône. Confié à ton esclave, ton dépôt serait en sûreté; confié au Christ, sera-t-il en péril?
14. Vous venez d’entendre le cantique de Sion pour les riches, écoutez celui des pauvres, C’est toujours saint Paul qui parle : «Nous n’avons rien apporté en ce monde, et sans aucun doute nous n’en pouvons rien emporter; ayant de quoi vivre, de quoi nous vêtir, nous devons être contents. Quant à ceux qui veulent s’enrichir, ils tombent dans la tentation et en des désirs sans nombre, insensés et nuisibles, qui plongent l’homme dans la mort et dans la perdition 1», Voilà les fleuves de Babylone. «Or, l’avarice est la racine de tous les maux; quelques-uns de ceux qui en sont possédés, se sont égarés de la foi, et se sont jetés dans de grandes douleurs 2 ».Ces deux hymnes sont-ils donc en contradiction? Voyez ce que l’on dit aux riches, « de ne point s’enfler d’orgueil, ni se confier dans les richesses qui sont incertaines 3 », de faire des bonnes oeuvres, des aumônes, de s’amasser pour l’avenir un trésor et un fondement solide. Aux pauvres, qu’est-il dit? « Ceux qui veulent s’enrichir, tombent dans la tentation ». On ne dit point: Ceux qui sont riches; mais « ceux qui veulent s’enrichir ». Autrement, s’ils étaient déjà riches, l’autre cantique serait pour eux. On dit aux riches de donner, aux pauvres de ne point désirer.
15. Mais quand vous vous trouvez avec ces hommes qui ne comprennent point les cantiques de Sion, suspendez, vous ai-je dit, vos harpes aux saules du rivage : différez ce que vous devez dire. Ces arbres peuvent cesser d’être stériles, changer de nature et porter de bons fruits : c’est alors que nous pourrons chanter et qu’ils nous comprendront. Mais avec ceux qui contredisent toutes nos paroles, qui font des questions insidieuses, et s’obstinent contre les vérités qu’ils entendent, ne cherchez jamais à leur plaire, craignez d’oublier Jérusalem; que cette Jérusalem de la terre n’ayant qu’une même âme, parce que la paix du Christ a réuni toutes les âmes en une seule, que cette captive s’écrie : « Si jamais je t’oublie, ô sainte Jérusalem, que ma main droite s’oublie elle-même 1». Quelle imprécation, mes frères! « Que ma main droite s’oublie elle-même ». Quel effroyable serment! Notre main droite, c’est la vie éternelle; notre gauche, la vie d’ici-bas, Toute oeuvre pour la vie éternelle est l’oeuvre de la droite. Si, dans tes actions, au désir de la vie éternelle se trouve mêlé quelque amour de la vie temporelle, ou d’une louange humaine, ou de quelque avantage mondain, ta main gauche connaît alors ce que fait ta main droite. Or, vous connaissez le précepte de l’Evangile : « Que votre main gauche ignore ce que fait votre main droite 2. Si donc je t’oublie, ô Jérusalem, que ma main droite s’oublie elle-même ». Et c’est ce qui est arrivé; la parole du Prophète est plus une prédiction qu’un souhait. Car, à tout homme qui oublie Jérusalem, il arrive que sa droite elle-même s’oublie. Car la vie éternelle subsiste en- elle-même; pour eux, ils demeurent dans les plaisirs du temps, et se font une droite de ce qui est la gauche.
16. Soyez attentifs à mes paroles, mes frères, et je veux vous parler autant que Dieu m’en fera la grâce pour le salut de tous. Il vous souvient peut-être que je vous ai entretenus de certains hommes, qui se font une droite de ce qui est la gauche; c’est-à-dire qui donnent la préférence aux biens temporels, qui y placent leur bonheur, dans leur ignorance du vrai bonheur, de la véritable droite 1. L’Ecriture les nomme étrangers, comme n’appartenant pas à Jérusalem, mais à Babylone : c’est d’eux qu’il est dit en quelque endroit des psaumes : « Délivrez-moi, Seigneur, de la main des enfants étrangers, dont la bouche dit le mensonge, et dont la droite est une droite d’injustice». Et le Psalmiste continue en disant: « Leurs fils sont comme de nouveaux plants d’oliviers; leurs filles sont parées comme des temples; leurs celliers sont pleins, s’épanchant de l’un dans l’autre; leurs brebis sont fécondes, et s’en vont en foule de l’étable; leurs vaches sont grasses, leurs clôtures ne sont point en ruine, et nul bruit sur leurs places publiques2 ». Jouir de ce bonheur, est-ce donc être coupable?Non, sans doute; mais d’en faire la droite, Puisque telle est la gauche. Aussi, que dit le Prophète? « Ils ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens ». Or, c’est parce qu’ils l’ont proclamé heureux que leur bouche a dit des vanités. Mais toi, ô Prophète, tu es citoyen de Jérusalem, puisque tu n’oublies pas Jérusalem, de peur que ta droite ne s’oublie; voilà que ces hommes ont dit la vanité en chantant le bonheur d’un peuple qui possède ces richesses : pour toi, chante-nous les hymnes de Sion. « Bienheureux », nous dit-il, « le peuple dont le Seigneur est le Dieu 3 ». Sondez vos coeurs, mes frères, voyez si vous avez soif des biens de Dieu, si vous soupirez après la cité de Dieu, la sainte Jérusalem, si vous désirez la vie éternelle. Que tout bonheur terrestre soit la gauche pour vous, et qu’il soit votre droite, celui que vous posséderez toujours. Si vous avez la gauche, n’y mettez point votre confiance; ne reprenez-vous pas ceux qui veulent manger de la gauche? Si vous croyez votre table déshonorée, parce qu’on y mange de la sorte, quelle injure n’est-ce point pour celle du Seigneur, que prendre pour la gauche ce qui est la droite, et pour la droite ce qui est la gauche? Que faire alors? « O Jérusalem, si jamais je t’oublie, que ma main droite s’oublie elle-même ».
17. « Que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens de toi 1 ». C’est-à-dire, que je demeure muet si ton souvenir s’efface de ma mémoire. Que dire, en effet; de quoi parler, si l’on ne parle des cantiques de Sion? Notre langue est elle-même le cantique de Jérusalem. Chanter notre amour pour ce bas monde, c’est une langue étrangère, une langue barbare, et que nous avons apprise dans notre captivité. Il sera donc muet pour Dieu, celui qui aura oublié Jérusalem. Mais c’est peu de s’en souvenir; ils s’en souviennent aussi, ses ennemis qui la veulent détruire. Quelle est, disent-ils, cette cité? Quels sont ces chrétiens? Quelle est leur vie? Encore s’ils n’étaient plus! Voilà que la nation captive a vaincu ceux qui la tenaient en captivité, et toutefois ils murmurent, ils frémissent, ils veulent détruire la cité sainte étrangère parmi eux, comme autrefois Pharaon voulut détruire le peuple de Dieu, quand il faisait mettre à mort tout enfant mâle, et ne réservait que les filles : il étouffait la force et nourrissait la convoitise. C’est donc peu de s’en souvenir, vois quel souvenir tu en as. Il est des souvenirs de haine et des souvenirs d’amour. Aussi après avoir dit : « Si jamais je t’oublie, ô sainte Jérusalem, que ma main droite s’oublie elle-même. Que ma langue s’attache à mon palais, situ ne vis dans ma mémoire », le Prophète ajoute : « Si Jérusalem n’est pas toujours la première de mes joies ». Car, la joie suprême pour nous, c’est de jouir de Dieu, c’est de goûter en toute sécurité le bonheur d’une société paisible, et de l’union fraternelle. Là, nulle tentation violente, nul attrait dangereux ne pourra nous atteindre, le bien seul aura pour nous des charmes. Toute nécessité disparaîtra et fera place au bonheur suprême. « Si Jérusalem n’est point la première de mes joies».
18 Le Prophète en appelle au Seigneur, contre les ennemis de la cité: « Souvenez-vous, Seigneur, des fils d’Edom 2». Or, Edom est ici le même qu’Esaü, et vous avez entendu tout à l’heure à la lecture de l’Apôtre : « J’ai aimé Jacob, et haï Esaü 3 ». C’étaient deux frères dans un même sein, deux jumeaux dans les entrailles de Rébecca, deux fils d’Isaac, petits-fils d’Abraham. Néanmoins ils naquirent, l’un pour être admis à l’héritage, l’autre pour en être exclu. Or, cet Esaü fut l’ennemi de son frère, parce que ce frère qui était le plus jeune lui ravit la bénédiction paternelle, et qu’ainsi s’accomplit cet oracle : « L’aîné servira le plus jeune 1». Or, nous commençons à comprendre quel est l’aîné, quel est le plus jeune, et quel est cet aîné assujetti au plus jeune. Le peuple juif paraissait l’aîné, et le peuple chrétien le plus jeune selon le temps. Et voyez comme l’aîné est assujetti au plus jeune. Ils sont les colporteurs de nos livres, car c’est de leurs livres que nous vient la vie. Mais pour donner à ces qualifications d’aîné et de plus jeune tin sens plus général, l’aîné, c’est l’homme charnel, et le plus jeune, l’homme spirituel; car l’homme charnel est le premier, l’homme spirituel vient ensuite. C’est l’Apôtre qui nous le dit clairement : « Le premier homme est l’homme terrestre formé de la terre; le second est l’homme céleste qui vient du ciel: comme le premier est terrestre, ses enfants sont terrestres, et comme le second est céleste, ses enfants sont célestes. Comme donc nous avons porté l’image de l’homme e terrestre, portons aussi l’image de l’homme céleste». Un peu auparavant havait dit : « Ce n’est point le corps spirituel qui a été formé le premier; c’est le corps animal, et ensuite le spirituel 2». L’expression animal a le même sens que charnel. A sa naissance l’homme est d’abord animal, homme charnel. S’il sort de la captivité de Babylone, pour retourner à Jérusalem, il est renouvelé, il se fait en lui une régénération selon l’homme nouveau et intérieur; il est le plus jeune par le temps, et l’aîné par la puissance. Esaü est donc le type de tous les hommes charnels, et Jacob le type de tous les hommes spirituels ; ces derniers sont élus, les premiers sont réprouvés. L’aîné veut-il être élu ? qu’il devienne le plus jeune. Il est appelé Edom, à cause de ce mets de lentilles qui est roux, c’est-à-dire, qui a une couleur rougeâtre. Ces lentilles étaient cuites et préparées, Esaü les demanda à Jacob son frère, il poussa l’envie de manger ces lentilles jusqu’à céder son droit d’aînesse, dignité que son frère acquit en échange du mets si convoité; et, par cette convention, l’un devenant le plus jeune l’autre l’aîné, cet aîné fut assujetti au plus jeune, et fut surnommé Edom 3. Or, selon le témoignage des hommes instruits dans cette langue, Edom veut dire sang, signification qu’il a aussi dans notre langue punique. Ne vous en étonnez point, c’est au sang qu’appartiennent toutes les personnes charnelles. « Or, ni la chair ni le sang ne posséderont le royaume de Dieu 1 ». Edom n’a aucune part à ce royaume, tandis qu’il est le partage de Jacob, qui se priva d’un mets charnel, pour un honneur spirituel. Mais il eut pour ennemi Esaü, car tous les hommes charnels sont ennemis des hommes spirituels : quiconque ne recherche que le présent, persécute ceux qu’il voit occupés des biens éternels. Or, que dit contre ces hommes le Prophète qui ne perd point de vue Jérusalem, et qui demande à Dieu d’être délivré de sa captivité? « Souvenez-vous, Seigneur, des fils d’Edom ». Délivrez-nous des hommes charnels, qui suivent cet Edom, qui sont nos frères aînés, mais qui sont aussi nos ennemis. Ils sont nés les premiers, mais ceux qui sont nés ensuite les ont devancés; car la convoitise charnelle a humilié les uns, et le mépris de cette convoitise élève les autres. Ils vivent, mais pour nous porter envie et nous persécuter.
19. « Souvenez-vous, Seigneur, des enfants d’Edom au jour de Jérusalem ». Ce jour de Jérusalem est-il bien le jour de la douleur, le jour de la captivité pour Jérusalem, ou le jour de son bonheur, le jour de sa délivrance, le terme de sa course qui sera l’éternité ? « Seigneur », dit le Prophète, « n’oubliez pas les enfants d’Edom ». Desquels? « De ceux qui disent : Détruisez, détruisez Jérusalem jusqu’en ses fondements ». Donc, souvenez-vous du jour où ils voulaient détruire Jérusalem. Combien de persécutions 1’Eglise n’a-t-elle pas endurées ? Avec quelle fureur les fils d’Edom, ou les hommes charnels, soumis au diable et à ses anges, qui adorent les pierres et le bois, qui obéissent aux convoitises de la chair, avec quelle fureur ne criaient-ils point Mort aux chrétiens, mort aux chrétiens : que pas un seul n’échappe détruisez jusqu’aux fondements ? N’est-ce point là leur cri ? Et, dans ce langage atroce, les persécuteurs n’ont-ils pas été rejetés de Dieu, et les martyrs couronnés? «Détruisez », disent-ils, « détruisez jusqu’aux fondements». Ainsi disent les enfants d’Edom : « Détruisez, détruisez », et Dieu crie à son tour: « Soyez assujettis 1 ». Laquelle de ces paroles sera victorieuse, sinon la parole de Dieu qui a dit: « L’aîné sera assujetti au plus jeune 2 ? Détruisez, détruisez jusqu’en ses fondements».
20. Puis s’adressant à Babylone: « O fille de Babylone», s’écrie le Prophète, «malheur à toi 3 ». Malheur à toi dans ton allégresse, malheur dans ta confiance, malheur dans tes inimitiés. «Malheur à toi, fille de Babylone ». Cette même cité est nommée Babylone et fille de Babylone; comme on dit Jérusalem et fille de Jérusalem, Sion et fille de Sion, l’Eglise et la fille de l’Eglise. Le nom de fille s’entend de la succession, le nom de mère désigne sa supériorité. Tout d’abord il y eut une ville de Babylone; mais des habitants ont-ils subsisté jusqu’aujourd’hui ? Par la succession des temps elle est devenue fille de Babylone. « Malheur à toi donc, ô fille de Babylone, bienheureux celui qui te rendra les maux que tu nous a faits 4». Malheur à toi, honneur à lui.
21. Qu’as-tu fait, et que faut-il te rendre? Ecoute bien. « Heureux celui qui te rendra tous les maux que tu nous a faits ». De quels maux veut-il parler? C’est là ce qui termine le psaume : « Bienheureux celui qui saisira tes enfants et les brisera contre la pierre 5 ». Tel est son malheur, et bienheureux celui qui la traitera comme elle nous a traités. Or, si nous cherchions quel est ce traitement: « Bienheureux », dit le Prophète, « celui qui saisira tes enfants et les brisera contre la muraille ». Tel est ce traitement. Que nous a fait cette Babylone? Nous l’avons chanté dans un autre psaume: « Les paroles des méchants ont prévalu contre nous 6». A notre naissance, Babylone ou la confusion du siècle nous a enveloppés, et dans notre enfance nous a en quelque sorte suffoqués dans ses erreurs si diverses et si multipliées. Voilà un nouveau-né qui sera un jour citoyen de la Jérusalem d’en haut, qui l’est déjà par la prédestination de Dieu, mais qui est encore pour un temps dans la captivité. Comment saura-t-il aimer, sinon ce que lui inspirent son père et sa mère? Or, les voilà qui l’instruisent, qui le forment à l’avarice, à la rapine, aux mensonges de chaque jour, à l’idolâtrie et au culte des démons, aux coupables pratiques des enchantements et des ligatures. Que fera cet enfant, dans un âge si tendre, qui n’a des yeux que pour voir ce que font ses aînés; que peut-il faire, sinon de suivre leur exemple? C’est donc ainsi que Babylone nous a persécutés dans notre enfance: mais, à mesure que nous avons grandi, Dieu nous a fait la grâce de le connaître et de nous détourner des errements de nos pères. C’est la prédiction que je vous ai signalée dans l’explication du même psaume 1 : « Les nations viendront à vous des extrémités de la terre et diront : Véritablement nos pères ont adoré le mensonge et la vanité qui ne leur ont servi de rien 2 ». C’est le langage que tiennent des hommes dans leur force: on les avait mis à mort dans leur jeune âge, en leur faisant suivre ces vanités; qu’ils repoussent bien loin ces vanités, qu’ils reprennent une vie nouvelle en Dieu, en s’avançant dans la vertu et se vengeant de Babylone. Or, que peuvent-ils lui rendre? Ce qu’elle nous a fait. Que ses enfants soient étouffés: ou plutôt, qu’on les brise contre la muraille et qu’ils meurent. Mais quels sont ces enfants de Babylone? Les convoitises coupables qui naissent en nous. Il en est qui ont à livrer de rudes combats contre leurs passions invétérées. Qu’une passion vienne à poindre dans ton coeur, avant qu’elle ne se fortifie contre toi par l’habitude, quand ce n’est qu’une passion nouvellement formée, ne lui laisse pas le temps de grandir par l’habitude, mais étouffe-la dès sa naissance. Et si tu crains qu’elle ne meure pas même en l’étouffant, brise-la contre la pierre. « Or, cette pierre c’est le Christ 3 ».
22. Que vos harpes, mes frères, ne cessent de retentir par vos bonnes oeuvres; chantez-vous mutuellement les cantiques de Sion. Autant vous aimez d’écouter, autant il faut aimer de pratiquer; si vous ne voulez être à Babylone, abreuvés de l’eau de ses fleuves, mais ne rapportant aucun fruit. Mais soupirez après la Jérusalem éternelle : c’est là que l’espérance nous a devancés, que nos oeuvres nous y suivent; c’est là que nous serons avec le Christ. Maintenant notre chef c’est le Christ, lui qui nous gouverne d’en haut: c’est dans cette cité bienheureuse que nous jouirons de ses embrassements, et que nous serons égaux avec les anges. C’est là ce que de nous-mêmes nous n’oserions même soupçonner sans les promesses de l’infaillible vérité. Portez donc là vos désirs, mes frères, que ce soit jour et nuit l’objet de vos pensées. Quelque bonheur qui vous sourie dans le monde, ne vous en élevez point; ne raisonnez point avec vos convoitises. Votre ennemi est-il grand? tuez-le contre la pierre ; est-il petit? brisez-le contre la pierre ; grands ou petits, tuez-les, brisez-les contre la pierre. Que la pierre triomphe ; bâtissez sur la pierre, si vous ne voulez être emportés ou par le fleuve, ou par l’ouragan, ou par les pluies. Afin de vous armer contre les séductions du monde, faites croître et grandir dans vos coeurs le désir de la Jérusalem éternelle. A la captivité qui passera, succédera le bonheur, le dernier ennemi sera vaincu, et, affranchis de la mort, nous triompherons avec notre roi ».