A-Homélie. Le sens de l’Epiphanie
« Vous avez remarqué, Mes Bien Chers Frères,
que les messes des 3, 4, 5,6èmes dimanches après
l’Epiphanie ont le même Introït, le même
Graduel, le même Alleluia et le même Offertoire.
Toutes ces messes nous donnent donc le même enseignement,
cherchant à l’expliciter, chaque dimanche, de différentes
manières, par des textes différents de l’Epître
et de l’Evangile.
Quel serait donc l’enseignement
? Quel serait le sens de ces messes des dimanches « après
l’Epiphanie » ?
Il me semble l’avoir indiqué, dimanche dernier,
alors que j’analysais les textes de la messe du troisième
dimanche après l’Epiphanie.
Le thème fondamental de
cette messe et donc de ces messes – puisque l’Introït
est le même et que l’Introït donne habituellement
le thème de la messe – est la joie, la joie chrétienne,
une joie exultante.
C’est, nous l’avons
remarqué, le sens de l’Introït tiré
du psaume 96 : « Sion se réjouit ; les filles de
Juda sont dans l’allégresse ». « laetata
est Sion et exsultaverunt filiae Judae ». « Dominus
regavit… ». « Le Seigneur régna ».
« Exsultet terra, laetentur insulae multae ». «
Que la terre exulte ». « Que la multitude des îles
se réjouissent ».
« laetare », «
exsultare » : ce sont des verbes qui expriment, avons
nous dit, la joie, non pas une joie quelconque, mais une joie
surabondante.
L’âme chrétienne,
qui a l’intelligence de sa foi, doit être telle
: joyeuse.
Nous avons également insisté,
dimanche dernier, sur la raison de cette joie chrétienne.
La raison en est la venue du Royaume de Dieu, établi
par NSJC, le vrai Messie. La joie est liée nécessairement
à la venue du Messie qui établit le Royaume de
Dieu. Elle est liée au salut communiqué dans la
foi au Christ Seigneur, Roi et Sauveur.
Voilà, je pense, le sens
liturgique des dimanches après l’Epiphanie : manifester
la joie de la venue du Royaume de Dieu.
C’est cette joie qui est
annoncée par l’Ange de la Nativité. : «
Ne craignez point, car je vous annonce une nouvelle qui sera
pour tout le peuple une grande joie. Il vous est né aujourd’hui,
dans la ville de David, un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur
» (Lc 2 10)
C’est la joie qui est exprimée
par sainte Elisabeth alors qu’elle accueille Notre Dame,
la Mère du Dieu Sauveur. « Votre voix, lorsque
vous m’avez saluée, n’a pas plus tôt
frappé mon oreille, que mon enfant a tressailli de joie
dans mon sein » (Lc 1 44)
C’est cette même joie
qui est chantée par Notre Dame alors qu’elle donne
son Fiat à la parole de l’Ange Gabriel. «
Mon âme glorifie le Seigneur et mon esprit tressaille
de joie en Dieu, mon Sauveur…sa miséricorde se
répand d’âge en âge sur ceux qui le
craignent…Il a pris soin d’Israël, son serviteur,
se ressouvenant de sa miséricorde… » (Lc
1 46)
Et à l’occasion de
ces trois manifestations, l’Ecriture Sainte utilise le
même verbe pour exprimer cette joie. Le verbe «
exsultare » qui signifie : « bondir de joie ».
La venue du Sauveur, au milieu de nous, l’installation
de son Royaume… est la raison de la joie chrétienne.
« Un Sauveur » nous
est donné.
C’est ce que chante l’Ange de la Nativité.
C’est ce que chante aussi, à sa manière,
dans un style poétique, l’offertoire de nos messes
après l’Epiphanie. L’Epiphanie est bien dans
le prolongement liturgique de la Nativité…
« La droite du Seigneur a
fait des prodiges » chante l’Offertoire. La «
droite » - « dextera Domini » - c’est-à-dire
sa puissance a fait des prodiges, mieux, a manifesté
sa puissance…Comment ? Par le salut apporté. «
Il m’a sauvé ». « Dextera Domini exaltavit
me : non moriar…Non je ne mourrai pas…Mais je vivrai…Non
moriar sed vivam »… grâce au Sauveur…Mon
âme échappera aux griffes mortifères de
Satan…pour connaître enfin, grâce aux mérites
de NSJC, acquis en sa Nativité, en sa Passion , en sa
Résurrection…la vie éternelle et son bonheur
et sa « régénérescence ».
Car le « Royaume de Dieu
est parmi nous ».
C’est ce qu’annonce
Jean Baptiste dès le début de sa mission : «
En ces jours là, parût Jean Baptiste, prêchant
dans le désert de Judée et disant : « Faites
pénitence car le royaume des cieux est proche ».
(Mt 3 2).
C’est ce que Notre Seigneur
lui-même annonce : « Dès lors Jésus
commença à prêcher, en disant : «
Faites pénitence, car le Royaume des cieux est proche
» (Mt 4 17) ou encore « Que si c’est par l’Esprit
de Dieu que je chasse les démons, le royaume de Dieu
est donc venu à vous » (Mt 12 28)
Et le royaume de Dieu ou des cieux
est ce lieu de toute « régénération
». Telle sa raison, sa finalité : créer
toute chose nouvelle. Rétablir en Dieu toute chose.
Le Graduel y insiste fortement
: « Les Nations révèrent ton nom, Seigneur…car
le Seigneur a rebâti Sion », « Quoniam aedificavit
Dominus Sion ». Il vient instaurer son Royaume, l’
« aedificare ». Ce verbe veut dire en effet : «
édifier, construire, bâtir ». « Quoniam
aedificavit Dominus Sion » C’est un passé
simple… « et videbitur in majestate sua »,
« Et il s’y montrera dans sa gloire ».
Oui, la raison de la joie chrétienne
est la venue du Messie qui vient sauver toutes choses et restaurer
toutes choses en Dieu.
Et voilà pourquoi, nous
avions dimanche dernier, les récits des miracles du lépreux
et de la guérison de l’enfant - puer – du
Centurion…Miracles qui sont, nous vous le disions comme
la preuve tangible de la venue du Royaume de Dieu parmi nous.
Car, nous le savons, Isaïe l’avait ainsi annoncé
: le Messie, celui qui établira le Royaume des cieux,
sera thaumaturge.
La preuve !
Vous vous souvenez de ce beau récit
évangélique de saint Luc.
Les disciples de Jean le Baptiste viennent, de sa part, interroger
Jésus pour savoir s’il est le Messie. Comme seule
réponse, Jésus leur dit : « Allez dire à
Jean, ce que vous voyez et entendez : les boiteux marchent,
les aveugles voient, les muets parlent, les morts ressuscitent
et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres »
(Lc 7 22 23)
Et la Bonne Nouvelle annoncée aux pauvres est précisément
le salut, le pardon des péchés apporté
par NSJC.
Voilà du reste le témoignage
formel si solennellement donné par Saint Jean Baptiste.
Il faut le rappeler tellement c’est
beau et réconfortant :
« Or voici le témoignage
que rendit Jean lorsque les juifs envoyèrent de Jérusalem
des prêtres et des lévites pour lui demander qui
êtes vous ? Il déclara et ne le nia pas, il déclara
: « Je ne suis pas le Christ ». Et ils lui demandèrent.
Quoi donc ! Etes-vous Elie ? Il dit : « Je ne le suis
pas. Etes vous le prophète ? Il répondit : non…
« Je suis la voix de celui qui crie au désert :
Aplanissez le chemin du Seigneur, comme la dit le prophète
Isaïe…Moi je baptise dans l’eau, mais au milieu
de vous il y a quelqu’un que vous ne connaissez pas, c’est
celui qui vient après moi, je ne suis pas digne de délier
la courroie de sa chaussure… »
« Le lendemain, Jean vit
Jésus qui venait vers lui, et il dit : « Voici
l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché
du monde. C’est de lui que j’ai dit : Un homme vient
après moi, qui a été fait plus grand que
moi, parce qu’il était avant moi. Et moi je ne
le connaissais pas, mais c’est afin qu’il fût
manifesté en Israël, que je suis venu baptiser dans
l’eau. Et Jean rendit ce témoignage : « J’ai
vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et il
s’est reposé sur lui. Et moi, je ne le connaissais
pas ; mais celui qui m’a envoyé pour baptiser dans
l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit
descendre et se reposer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit
Saint. Je l’ai vu et j’ai rendu témoignage
que c’est lui qui est le Fils de Dieu ».
« Le lendemain, Jean se trouvait
encore là, avec deux de ses disciples. Et ayant regardé
Jésus qui passait, il dit : « Voici l’Agneau
de Dieu ».Ces deux disciples l’entendirent parler
ainsi et ils suivirent Jésus » (Jn 1 20-35)
Ainsi grâce à Lui,
je suis sauvé si je lui donne ma foi.
« La droite du Seigneur m’a sauvé »,
nous dit le Psaume 117 de l’Offertoire de ces messes après
l’Epiphanie. Je peux dire avec le palmiste : « Non
je ne mourrai pas. Je vivrai » grâce à lui
: « Non moriar, sed vivam »
« Si tu le veux, tu peux
me purifier », lui disait, dimanche dernier, le lépreux.
« Je le veux, sois purifié ». Il le peut.
Il est Dieu. Il peut tout. Il est Bon et sa puissance est au
service de sa bonté. « Je le veux, sois purifié
». Le temps du Royaume de Dieu est le temps de la purification.
C’est aussi le lieu de la purification.
Le centurion, vient à son tour : « puer meus jacet
in domo paralyticus … ». Jésus de lui dire
: « Moi, je viendrai et je le guérirai »…
». Non point Seigneur, non point car « je ne suis
pas digne de te recevoir »… « Non dites seulement
une parole et il sera guéri », « Sed tantum
dic verbo et sanabitur puer meus ». « Va et qu’il
te sois fait selon que tu as cru ».
Le Royaume de Dieu est le lieu de toute guérison…Il
est le temps de la « sanatio » comme nous l’avons
fait remarquer, le 2ème dimanche après l’Epiphanie.
Le Messie, l’auteur de ce Royaume, le peut. Il est Dieu.
Il a changé l’eau en vin à Cana. C’était
aussi le miracle du 2ème dimanche après l’Epiphanie.
Il le peut. Il est Dieu.
Il est celui qui calme la tempête.
C’est le récit évangélique de ce
4ème dimanche après l’Epiphanie.
« Pourquoi avez-vous peur, gens de peu de foi. Alors se
levant, il menaça les vents et la mer et il y eut un
grand calme. Et les gens furent dans la stupeur ». En
latin, nous avons :« homines mirati sunt » : «
Quel est donc celui là que même les vents et la
mer lui, obéissent ». « Mirari » veut
dire : s’étonner, être surpris de…
», mais aussi « voir avec admiration », «
admirer ». Dans la scène de la tempête apaisée,
il y a certainement les deux sentiments de stupeur mélangée
d’admiration.
Mais que la stupeur et l’admiration
du miracle accompli, ne nous fassent pas oublier la demande
instante des disciples…leur demande instante, mieux, leur
cri : « Seigneur, Sauve nous, nous périssons »,
« Domine salva nos, perimus ».
N’oublions pas cette supplique…car
c’est la raison de « sa venue »…Comme
nous le disons dans notre Credo : « Et propter nostram
salutem descendit de caelo… »
« Sauve nous »…Tu
le peux. Tu es Dieu, le Tout Puissant
Mais surtout, « tu es Bon ».
Et si donc la Bonne Nouvelle est
annoncée…Si donc « le Royaume de Dieu est
parmi nous »…le salut apporté, dont ces guérisons
sont le symbole, ce royaume a aussi sa propre constitution,
sa propre loi. …Il n’y a pas de royaume parmi les
hommes sans lois constitutionnelles. Ainsi en est-il du Royaume
de Dieu. Il a sa loi. Et quelle est la loi, sa loi ? Dimanche
dernier, l’Eglise nous rappelait qu’en ce royaume,
il ne fallait pas rendre le mal pour le mal. Il fallait «
avoir le souci du bien, non seulement devant Dieu, mais aussi
devant les hommes…parce que les sujets de ce royaume sont
« la lumière du monde ». Il fallait aussi
« vivre en bonne intelligence avec chacun », «
ne pas se faire justice soi-même, ne pas être vaincu
par le mal mais être vainqueur du mal par le bien ».
Aujourd’hui, nous en apprenons
davantage encore.
La loi de ce royaume finalement
est essentiellement la loi de la charité : « Qui
aime son prochain accomplit la loi ». Certes, là,
il ne faut ni commettre l’adultère, ni tuer ni
voler ni faire de faux témoignage ni convoiter le bien
du prochain…Cela va de soi car la loi fondamentale de
ce royaume c’est la loi de Charité et la loi de
charité m’empêche de faire du tort à
quelqu’un comme le fait l’adultère et le
meurtre et le vol et le faux témoignage et la convoitise
du bien d’autrui. Le Décalogue est bien la loi
de ce Royaume. Mais, comme le dira un jour Notre Seigneur, ce
décalogue se résume dans la loi de charité.
La charité en est comme la meilleure expression, Elle
en est la synthèse, la forme, même la raison ».
B- Benoît XVI et le Sacerdoce.
Discours du pape aux séminaristes
romains du Capranica
Le vendredi 20 janvier 2006 Benoît XVI s’est adressé
aux séminaristes du Collège « Capranica
» de Rome accompagnés du cardinal Camillo Ruini,
d’évêques et de prêtres, qu’il
recevait en audience. Il leur a rappelé la beauté
du sacerdoce
Monsieur le cardinal,
Vénérés frères dans l’épiscopat
et le sacerdoce,
Chers élèves de l’Almo Collegio Capranica,
Je suis heureux de vous accueillir
à cette audience spéciale, à la veille
de la mémoire liturgique de sainte Agnès, votre
patronne céleste. Je vous rencontre pour la première
fois depuis mon élection sur la Chaire de l’Apôtre
Pierre, et je profite volontiers de cette occasion pour adresser
à tous un salut cordial. Je désire saluer tout
d’abord le cardinal Camillo Ruini et les autres prélats
qui composent la Commission épiscopale chargée
de votre Collège ; je salue le Recteur, Mgr Ermenegildo
Manicardi, et les autres formateurs ; je vous salue, chers jeunes
qui vous préparez à exercer le ministère
sacerdotal. Vous vous trouvez à une période très
importante de votre vie, qui est celle de votre formation, un
temps propice pour croître sur les plans humain, culturel
et spirituel.
Chers jeunes, dans l’organisation
du Collège tout vous aide à bien vous préparer
à votre future mission pastorale : la prière,
le recueillement, l’étude, la vie communautaire
et le soutien des formateurs. Vous pouvez bénéficier
du fait que votre séminaire, riche d’histoire,
se trouve inséré dans la vie du Diocèse
de Rome et que la famille du Capranica s’est toujours
engagée, avec fierté, à nourrir un lien
fort de fidélité avec l’Evêque de
Rome. La possibilité d’effectuer des études
de théologie dans notre ville vous offre à vous
aussi une unique opportunité de croissance et d’ouverture
aux exigences de l’Eglise universelle. Au cours de ces
années, que votre souci soit de mettre à profit
chaque occasion pour témoigner efficacement de l’Evangile
parmi les hommes de notre temps.
Pour répondre aux attentes
de la société moderne, pour coopérer à
la vaste action évangélisatrice qui engage tous
les chrétiens, nous avons besoin de prêtres préparés
et courageux qui, sans ambitions ni craintes, mais convaincus
de la Vérité évangélique, se soucient
d’abord d’annoncer le Christ et, en son nom, sont
prêts à se pencher sur les souffrances humaines,
en permettant à tous de faire l’expérience
du réconfort de l’amour de Dieu et de la chaleur
de la famille ecclésiale, spécialement aux pauvres
et à ceux qui traversent des difficultés. Ceci
comporte, vous le savez bien, outre une maturation humaine et
une ferme adhésion à la vérité révélée,
que le Magistère de l’Eglise propose fidèlement,
un engagement sérieux dans la sanctification personnelle
et dans l’exercice des vertus, spécialement de
l’humilité et de la charité ; il convient
également de nourrir la communion avec les différentes
composantes du Peuple de Dieu, afin que grandisse en chacun
la conscience d’appartenir à l’unique Corps
du Christ, membre les uns des autres (cf. Rm 12, 4-6). Afin
que tout cela puisse se réaliser, je vous invite, chers
amis, à garder le regard fixé sur le Christ, qui
est l’auteur de la foi et qui la mène à
la perfection (cf. He 12, 2). En effet, plus vous demeurerez
en communion avec lui, plus vous serez en mesure de suivre fidèlement
ses traces, afin que dans « la charité, en laquelle
se noue la perfection » (Co 3, 14), mûrisse votre
amour pour le Seigneur, sous la conduite de l’Esprit Saint.
Vous avez devant les yeux des témoignages de prêtres
remplis de zèle, qu’au cours des années
votre Collège « Almo » a comptés parmi
ses étudiants, des prêtres qui ont prodigué
des trésors de science et de bonté dans la Vigne
du Seigneur. Suivez leur exemple !
Chers amis, le pape vous accompagne
par sa prière, demandant au Seigneur de vous réconforter
et de vous combler de dons abondants. Que sainte Agnès,
qui, à un jeune âge, résistant aux flatteries
et aux menaces, choisit comme trésor la « perle
» précieuse du Royaume, et aima le Christ jusqu’au
martyre, intercède pour vous. Que la Vierge Marie fasse
que vous puissiez porter des fruits abondants d’œuvres
de bien, pour la gloire de Dieu et le bien de la sainte Eglise.
Pour confirmer ces vœux je vous donne avec affection, à
vous et à toute la communauté du Capranica, la
bénédiction apostolique, que j’étends
volontiers à ceux qui vous sont chers.
C- L’encyclique de Benoît
XVI « Deus Caritas est » et son commentaire par
lui-même
Le pape a en effet reçu
le lundi 23 janvier, à midi, en la salle Clémentine
du Palais apostolique du Vatican, les participants de la rencontre
promue par le conseil pontifical "Cor Unum». Il en
a profité pour aborder le thème de son encyclique,
qui sera présentée à la presse aujourd’hui
Vous trouverez ci-dessous le texte
intégral
.
Eminences, Excellences, Mesdames et Messieurs,
L’excursion cosmique à
laquelle Dante veut convier le lecteur dans sa « Divine
Comédie » s’achève devant la Lumière
éternelle qui est Dieu lui-même, devant cette Lumière
qui est dans le même temps « l’Amour qui meut
le soleil et les autres étoiles » (Par. XXXIII,
v. 145). Lumière et amour sont une seule chose. Ils sont
la puissance créatrice primordiale qui meut l’univers.
Si ces paroles du Paradis de Dante laissent transparaître
la pensée d’Aristote, qui voyait dans l’eros
la puissance qui meut le monde, le regard de Dante distingue
toutefois une chose totalement nouvelle et inimaginable pour
le philosophe grec. Non seulement que la Lumière éternelle
se présente en trois cercles auxquels il s’adresse
avec ces vers denses que nous connaissons : « O Lumière
éternelle qui seule en toi reposes / Qui seule te connais
et par toi connue / et te connaissant, aimes et souris ! »
(Par., XXXIII, vv. 124-126) ; en réalité, la perception
d’un visage humain – le visage de Jésus Christ
– qui apparaît à Dante dans le cercle central
de la Lumière, est encore plus bouleversante, que cette
révélation de Dieu en tant que cercle trinitaire
de connaissance et d’amour. Dieu, Lumière infinie
dont le philosophe grec avait perçu le mystère
incommensurable, ce Dieu a un visage humain et – nous
pouvons ajouter – un cœur humain. Dans cette vision
de Dante on peut voir, d’une part, la continuité
entre la foi chrétienne en Dieu et la recherche développée
par la raison et le monde des religions ; mais dans le même
temps apparaît également la nouveauté qui
dépasse toute recherche humaine – la nouveauté
que seul Dieu lui-même pouvait nous révéler
: la nouveauté d’un amour qui a poussé Dieu
à prendre un visage humain, à prendre même
chair et sang, l’être humain tout entier. L’eros
de Dieu n’est pas seulement une force cosmique primordiale
; c’est un amour qui a créé l’homme
et se penche vers lui, comme le bon Samaritain s’est penché
sur l’homme blessé et que l’on avait volé,
gisant au bord de la route qui descendait de Jérusalem
à Jéricho.
Aujourd’hui, le mot «
amour » est tellement abîmé, usé,
on en a tellement abusé que l’on a presque peur
de le laisser effleurer notre lèvre. Il s’agit
pourtant d’un mot essentiel, l’expression de la
réalité primordiale ; nous ne pouvons pas l’abandonner
tout simplement. Nous devons le reprendre, le purifier et le
ramener à sa splendeur d’origine, afin qu’il
puisse éclairer notre vie et la conduire sur le droit
chemin. C’est la conscience de cela qui m’a conduit
à choisir l’amour comme thème de ma première
Encyclique.
Je voulais tenter d’exprimer
pour notre époque et pour notre vie un peu de ce que
Dante a récapitulé de manière audacieuse
dans sa vision. Il parle d’une « puissance visuelle
» qui « se fortifiait » tandis qu’il
regardait et qui le changeait intérieurement (cf. Par.,
XXXIII, vv. 112-114). Il s’agit précisément
de cela : que la foi devienne une vision-compréhension
qui nous transforme. J’avais le désir de souligner
le caractère central de la foi en Dieu – en ce
Dieu qui a pris un visage humain et un cœur humain. La
foi n’est pas une théorie que l’on peut faire
sienne ou mettre de côté. Il s’agit d’une
chose très concrète : c’est le critère
qui décide de notre style de vie. A une époque
où l’hostilité et l’avidité
sont devenues des superpuissances, une époque où
nous assistons à l’abus de la religion jusqu’à
l’apothéose de la haine, la rationalité
neutre n’est pas à elle seule en mesure de nous
protéger. Nous avons besoin du Dieu vivant, qui nous
a aimés jusqu’à la mort.
Ainsi, dans cette Encyclique, les
thèmes « Dieu », « Christ » et
« Amour » fusionnent ensemble comme guide central
de la foi chrétienne. Je voulais montrer l’humanité
de la foi, dont fait partie l’eros – le «
oui » de l’homme à sa corporéité
créée par Dieu, un « oui » qui dans
le mariage indissoluble entre l’homme et la femme trouve
sa forme enracinée dans la création. Et là,
il advient également que l’eros se transforme en
agape – que l’amour pour l’autre ne se cherche
plus lui-même, mais devient préoccupation pour
l’autre, disponibilité au sacrifice pour lui et
également ouverture au don d’une nouvelle vie humaine.
L’agape chrétienne, l’amour pour le prochain
à la suite du Christ n’est pas une chose étrangère,
en marge, voire même en opposition à l’eros
; au contraire, dans le sacrifice que le Christ a fait de lui-même
pour l’homme, elle a trouvé une nouvelle dimension
qui s’est développée toujours davantage,
dans l’histoire du don de soi plein de charité
des chrétiens à l’égard des pauvres
et des personnes souffrantes.
Une première lecture de
l’Encyclique pourrait peut-être donner l’impression
que celle-ci se divise en deux parties ne possédant guère
de lien entre elles : une première partie théorique,
qui parle de l’essence de l’amour, et une seconde
qui traite de la charité ecclésiale, des organisations
caritatives. Mais ce qui m’intéressait c’était
justement l’unité de ces deux thèmes qui
ne sont bien compris que s’ils sont considérés
comme une seule chose. Tout d’abord, il fallait parler
de l’essence de l’amour tel qu’il se présente
à nous dans la lumière du témoignage biblique.
En partant de l’image chrétienne de Dieu, il fallait
montrer comment l’homme est créé pour aimer
et comment cet amour qui au départ apparaît surtout
comme eros entre un homme et une femme, doit ensuite se transformer
intérieurement en agape, en don de soi à l’autre
– et cela précisément pour répondre
à la vraie nature de l’eros. Sur cette base il
fallait ensuite expliquer que l’essence de l’amour
de Dieu et du prochain décrit dans la Bible est le centre
de la vie chrétienne, le fruit de la foi. Ensuite cependant,
dans une deuxième partie, il fallait mettre en évidence
que l’acte totalement personnel de l’agape ne peut
jamais rester une chose uniquement individuelle, mais qu’il
doit également devenir un acte essentiel de l’Eglise
comme communauté : c’est-à-dire qu’il
a également besoin de la forme institutionnelle qui s’exprime
dans l’action communautaire de l’Eglise.
L’organisation ecclésiale
de la charité n’est pas une forme d’assistance
sociale qui s’ajoute par hasard à la réalité
de l’Eglise, une initiative que l’on pourrait également
laisser à d’autres. Au contraire celle-ci fait
partie de la nature de l’Eglise. De même qu’au
Logos divin correspond l’annonce humaine, la parole de
la foi, à l’Agape, qui est Dieu, doit correspondre
l’agape de l’Eglise, son activité caritative.
Cette activité, au-delà de sa signification première
très concrète d’aider le prochain, possède
également et de manière fondamentale celle de
communiquer aux autres l’amour de Dieu, que nous avons
nous-mêmes reçu. Celle-ci doit rendre d’une
certaine manière visible le Dieu vivant. Dans l’organisation
caritative, Dieu et le Christ ne doivent pas être des
noms étrangers l’un à l’autre ; ceux-ci
indiquent en réalité la source originelle de la
charité ecclésiale. La force de la Caritas dépend
de la force de la foi de tous ses membres et collaborateurs.
Le spectacle de l’homme souffrant
touche notre cœur. Mais l’engagement caritatif a
un sens qui va bien au-delà de la simple philanthropie.
C’est Dieu lui-même qui nous pousse au plus profond
de nous-mêmes à soulager la misère. Ainsi,
en définitive, c’est Lui-même que nous portons
dans le monde souffrant. Plus nous porterons notre amour consciemment
et clairement comme don, plus cet amour changera de manière
efficace le monde et réveillera l’espérance
– une espérance qui va au-delà de la mort
et qui est seulement ainsi véritable espérance
pour l’homme. Que le Seigneur bénisse votre Symposium
».