Paroisse catholique Saint Michel

Dirigée par

 Monsieur l'abbé Paul Aulagnier

 

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Du 30 au 5 février

5iéme dimanche aprés l'Epiphanie

 

 

A-Homélie.
« le royaume des Cieux. Ce qu’il est »

Nous vous l’avons expliqué, dimanche dernier, le Royaume de Dieu est parmi nous. Notre Seigneur Jésus-Christ, le Messie, le Sauveur, le Roi de gloire, en est « l’initiateur », le « consommateur ». Je veux dire : Il en est le « principe » et la « fin ». Il en est la raison et le terme. Il en est la forme même, la cause formelle, la cause exemplaire. « Ce n’est plus moi qui vis, c’est la Christ qui vit en moi ». Voilà une affirmation de saint Paul. Or saint Paul est l’exemple même des disciples du Christ, disciples qui constituent, qui sont les sujets de ce Royaume céleste, qui sont, un peu, comme la cause matérielle de ce Royaume.

Cause matérielle. Cause formelle. Cause finale. Cause efficiente…Mais nous voilà en pleine possession d’une définition. En bonne philosophie, on définit une chose pas ses causes. Nous voilà en pleine possession d’une définition du Royaume des Cieux…par ses causes.

La cause matérielle de ce Royaume, initié par la Nativité et la manifestation du Christ en l’Epiphanie…ce sont les baptisés, les disciples du Christ, régénérés par la grâce baptismale, la foi en Notre Seigneur Jésus-Christ, l’œuvre du Sain t Esprit.

La cause efficiente…mais c’est la charité de Dieu, sa miséricorde : « Et Dieu a tellement aimé le monde qu’il donna son Fils unique afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle » (Jn 3 16). Oui ! La cause efficiente, ce qui crée la chose, c’est bien la charité de Dieu.

La cause formelle, c’est le Christ lui-même. Il en est la forme….Il en est l’idéal. Il en est la « pensée ». Il en est la sagesse. C’est ce que dit saint Paul dans l’épître aux Colossiens, choisie pour cette messe : « Que la parole du Christ habite en vous avec richesse ». « Verbum Christi habitet in vobis abundanter ». La parole de Dieu, son enseignement, ce qu’il a transmis aux Apôtres et que l’Eglise nous garde jalousement, est bien le « formel » de ce Royaume, sa Loi, sa discipline, sa sagesse.

La cause finale sera le Christ possédé dans sa totalité dans l’éternelle gloire, le royaume achevé dans toute sa perfection…La grâce, ici bas, en étant comme le gage, le principe.

La cause matérielle, ce sont les sujets baptisés, régénérés dans l’eau baptismale et dans l’Esprit Saint…qui vivent dans l’esprit du Christ Rédempteur, la forme de ce Royaume.

Ce Christ Rédempteur, - la forme de ce Royaume -, fut mû « de pitié »…comme le dit Saint Paul dans son épître aux Colossiens. Il avait des « entrailles de miséricorde », « viscera misericordiae ». Il était mû de miséricorde. Ainsi en sera-t-il, dans son Royaume, de ses sujets. Ils doivent être tels.

« Viscera misericordiae », « les entrailles de miséricorde » : l’expression est à noter. Elle n’est pas peu banale.
« Viscera » ou « viscus- visceris » veut dire : « chair, entrailles, viscères ». Au figuré, ce mot veut dire : « le cœur, le fond même d’une chose »…ou même « ressources ».

« Viscera misericordiae », cette expression est particulièrement originale et riche, riche de traductions multiples selon le contexte. Cette expression peut connoter une plénitude. La miséricorde est sa « chair », c’est son être même. C’est ce qui le constitue ce qu’il est : miséricordieux.

Tel fut le Christ, il est vrai.

« Viscera » veut dire aussi « cœur ». « Viscera misericordiae » pourrait alors être traduit par « son fond », sa qualité essentielle, ce fut la miséricorde. Il avait un cœur de miséricorde, de tendresse. Et je vois dans ma mémoire toutes les scènes de l’Evangile où NSJC manifeste son cœur, sa miséricorde…Avec la pécheresse, Marie Madeleine, avec Zachée, le richissime, avec la femme prise en flagrant délie d’adultère : « Va en paix ! Ne pêche plus ». …Avec le bon larron… « Tu seras, ce soir, avec moi dans mon Royaume ». Là, dans tous ses exemples, on voit un cœur mû de miséricorde.

« Viscera misericordiae » veut dire aussi « ressources ». Là, dans l’affaire du Christ, nul doute que la miséricorde fut sa « ressource ». Il était plein de miséricorde, d’une richesse sans fin, une source débordante et sans cesse alimentée de miséricorde. Voilà, l’archétype du Royaume des cieux. Voilà le « formel » de ce Royaume…

Etonnez-vous alors d’entendre Saint Paul vous dire, à votre tour, dans ce Royaume des Cieux dont vous êtes membres, « revêtez-vous des viscères de miséricorde », « Induite vos viscera misericordiae ».

Oui cette expression est à retenir.

On la retrouve souvent, du reste, sous la plume de saint Paul.
Par exemple, lorsqu’il parle de l’affection que Tite a pour les Corinthiens, il écrit : « Viscera eius(Titit) abundantius in vobis sunt ». Et c’est bien traduit par Crampon : « son coeur « viscera » ressent pour vous un redoublement d’affection ». « Viscera » est ici traduit par le « cœur » qui connote l’affection et qui exprime aussi une plénitude, une abondance d’affection, de bonté.

Un autre exemple, dans l’exhortation de saint Paul aux Philippiens : il les exhorte de vivre en bonne intelligence…il leur écrit : « Si qua societas…si qua viscera miserationis.. », « Si donc il y a quelque union (societas), s’il y a quelque consolation de charité, s’il y a quelque union d’esprit, s’il y a quelque tendresse et quelque compassion, vous rendez ma joie parfaite ».
« Viscera miserationis » que Crampon traduit par « consolation de charité » c’est pas mal vu, c’est pas mal traduit…

On retrouve cette expression, « viscera », trois fois dans l’Epître à Philémon. Là, saint Paul, après avoir baptisé, à Rome, dans sa prison, Onéxien, l’esclave en fuite de Philémon, le lui renvoie et lui demande de le recevoir en esprit surnaturel, non plus comme esclave mais comme « frère dans le Christ »
Et bien, au verset 7, « viscera » est traduit par le « cœur » : « En effet nous avons ressenti beaucoup de joie et de consolation au sujet de ta charité, lui dit saint Paul, car les cœurs de saints ont été ranimés par toi, frère ». « Viscera sanctorum requieverunt per te, frater ». « Les coeurs de saints ». Ici, l’on pourrait dire que « viscera », c’est l’être même, le constitutif formel du « saint », c’est-à-dire du baptisé. Toit cela me parait très intéressant à noter.

Un peu plus loin, dans la même épître, au verset 12, on peut lire : « Je te le renvoie, et toi accueille le, cet objet de ma tendresse… », « Tu, illum (Onesime) mea viscera, suscipe.. »

Et au verset 20, on a : « Oui frère, que j’obtienne de toi cette satisfaction, dans le Seigneur, tranquillise mon cœur dans le Seigneur ». En latin, on a : « Refice viscera mea in Domino ».

Saint Paul parle aussi « des entrailles de Jésus-Christ » : « Car Dieu m’est témoin que je vous aime tous dans les entrailles de Jésus-Christ », « Cupiam omnes vos in visceris Jesu-Christi ».
Ainsi, on est obligé de conclure que la miséricorde est le formel du Christ Jésus. Elle en est le cœur. Dès lors, la miséricorde est vraiment l’essentiel de son Royaume.

Mais la miséricorde n’est pas la seule « note » de ce Royaume.

Il y a aussi la bonté, la « bénignité ». Saint Paul vous le dit : « Revêtez-vous de bénignité » ;
La bénignité, en latin « benignitas » en grec, « chrestotes », c’est une forme de la charité de Dieu. Ce mot dit à la fois « la bienveillance pleine de délicatesse » et « la libéralité ». Ou si vous préférez, la bénignité, c’est la libéralité de l’être bon. La bénignité est surtout une manifestation de bienveillance désintéressée, faite de gentillesse ou de miséricorde et qui est l’apanage des cœurs magnanimes. C’est une vertu finalement de grand seigneur. C’est une bonté généreuse et spontanée faite de magnanimité.
La « chrestos », c’est donc la bienveillance, l’amabilité, la douceur, l’obligeance, la bienfaisance, le dévouement. C’est la « dulcis » ou le « suavis » latin. C’est ainsi, du reste, que traduit la Vulgate. La « chrestotes, c’est la « dulcedo », la « benignitas ». La bénignité, appliquée aux choses, dira leur douceur. Au sens figuré, appliqué aux hommes, la bénignité fera sur les esprits et les cœurs, une impression comparable. Elle connote, douceur, indulgence, condescendance.

Ainsi la bénignité est, de faite, attribuée, par Saint Paul, au Christ Seigneur.

C’est clair dans son épître à Tite au chapitre 3, verset 4 : « Mais lorsque la bénignité et la philanthropie de Dieu, notre Sauveur sont apparues… ». Saint Paul conçoit le plan de salut en fonction de la bénignité de Dieu. Dans le Christ, elle apparaît. Elle se manifeste. Le Christ est la bénignité du Père, sa révélation. Alors, la bénignité de Dieu n’est pas seulement bienveillante et miséricordieuse. Elle est bienfaisante et agissante. « Lorsque la bénignité de Dieu, Notre Sauveur , est apparue… ». Nous fûmes sauvés selon la miséricorde de Dieu lorsque la bénignité…de Notre Dieu Sauveur fut manifestée par la naissance de Jésus. Cette bénignité n’est pas seulement intérieure, du cœur, elle agit et décrète les moyens de salut. Elle décide l’envoi d’un Sauveur. Ainsi le Christ est l’expression vivante, l’incarnation de la bénignité divine.

Et sa vie, de faite, pendant 30 ans, sera comme une épiphanie de douce bonté, miséricordieuse, bienfaisante, notamment dans le tendre accueil qu’il réservait aux foules indiscrètes, aux pécheurs repentants. L’invitation qu’il adressait aux cœurs las et trop chargés, la prédilection qu’il montrait aux pauvres, les miracles qu’il opérait en faveur des malades, le prouve. O combien ! La bénignité est certainement le trait dominant de la physionomie du Christ, celui qui résume le mieux sa personne et son ministère.

La bénignité, parce qu’elle est la « note » du Christ, est aussi la forme du Royaume des cieux. Dès lors, elle l’est du fidèle, du disciple du Christ, membre, cause matérielle, de ce Royaume. La caractéristique du fidèle…la caractéristique du prêtre, du messager du salut divin, ne peut être que la bénignité. « Induite vos benignitatem ». Autrement dit, ayez un cœur tendre, bon miséricordieux…pardonnez volontiers, comme en souriant, les torts, les injures. Ignorez la vengeance. « De même que le Christ vous a pardonné, pardonnez vous aussi ». « Que la paix du Christ triomphe dans vos cœurs, cette paix à laquelle vous avez été appelés en formant un seul corps »…Ce sont là tout naturellement des manifestations de grande bonté.

Tout cela est beau, attirant…

Mais, au sujet de ce Royaume des cieux, il y a une autre réalité plus troublant, plus mystérieuse, plus étonnante : Le mystère du mal, le mystère de la permanence du mal, au milieu du bien. Notre Seigneur nous le révèle ici, en ce dimanche. C’est la parabole du semeur, qui, la nuit, vient dans ce champ, semer l’ivraie. L’enseignement est clair : « Le royaume des Cieux est comparable à un homme qui avait semé de la bonne semence dans son champ. Mais pendant que les gens dormaient, son ennemi vint, il sema de l’ivraie au milieu du blé, et il s’en alla. Lorsque grandit le plant et qu’il forma son fruit, alors l’ivraie apparut aussi…Mais, Seigneur, d’où vient que d’en votre champ, il s’y trouve de l’ivraie ? Il leur répondit : c’est une ennemi qui a fait cela… Veux-tu que nous allions le ramasser ? Non…Laissez les croître tous les deux ensemble jusqu’à la moisson et au moment de la moisson, je dirai au moissonneurs ; enlevez d’abord l’ivraie, et liez-la en bottes pour la brûler, mais le blé, recueillez-le dans mon grenier »…c’est bien l’affirmation de la permanence du mal dans ce Royaume de Dieu… C’est ainsi.

Notre Seigneur donnera lui-même l’intelligence de cette parabole à ses disciples. On le trouve toujours dans saint Mathieu, à la suite de la parabole. Ecoutez : « Seigneur, expliquez nous la parabole de l’ivraie semée dans le champ. Il répondit : « Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme ; le champ, c’est le monde ; le bon grain, ce sont les fils du royaume ; l’ivraie, les fils du Malin ; l’ennemi qui l’a semé, c’est le diable ; la moisson, la fin du monde ; les moissonneurs ce sont les anges. Comme on cueille l’ivraie et qu’on le brûle dans le feu, ainsi en sera-t-il à la fin du monde. Le Fils de l’homme enverra ses anges et ils enlèveront de son royaume tous les scandales et ceux qui commettent l’iniquité, et ils les jetteront dans la fournaise ardente : c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur père. Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ».

La même idée est reprise en d’autres paraboles, celle du filet, celle de la robe nuptiale, des vierges sages et folles ; également dans l’évocation du jugement où les bons seront séparés des mauvais…Cet enseignement dans la bouche du Seigneur est trop constant, trop fréquent pour ne pas y voir une vérité certaine, une réalité du Royaume de Dieu…A nous d’en prendre acte et de nous mettre en garde…

B- L’encyclique de Benoît XVI

Jean Madiran, le samedi 28 janvier, a présenté à ses lecteurs de Présent, l’encyclique de Benoît XVI. Comme toujours, il fait des remarques, astucieuses et vraies, incontournables…
Voici son commentaire :

« Au moment de mourir, le cardinal Mazarin dit au prêtre venu l’assister — Ne me parlez, je vous prie, que des miséricordes de Dieu, car pour ses jugements, je n’en suis que trop pénétré.

La première encyclique de Benoît XVI semble rédigée comme s’il avait entendu un monde vieilli, arrivé au bout de ses forces, lui adresser la même prière.

On a beaucoup commenté le long silence supposé de Benoît XVI après son élection. Il avait pourtant adressé le 22 décembre un substantiel discours à la curie romaine ; il avait auparavant reçu le nouvel ambassadeur de France avec une allocution indiquant comment il voit l’identité et la politique de notre pays. Et néanmoins il était désigné comme « le pape du silence » jusque dans La Croix, qui imaginait le 31 décembre : « Le silence de Benoît XVI remplit la place
Saint-Pierre. »

En fait, Benoît XVI a publié Deus caritas est neuf mois après son élection. Ce n’est pas un délai excessif ou inhabituel. Yves Chiron a opportunément rappelé dans son Aletheia qu’il avait fallu : —treize mois à Paul VI ; —huit mois à Jean XXIII ; —sept mois et demi à Pie XII ; —neuf mois (et demi) à Pie XI. Saint Pie X, lui, n’avait mis que deux mois. Mais ce n’est pas pour cela qu’il est le seul pape moderne canonisé.

Les premiers mots d’une encyclique constituent aussi son titre. Ils peuvent être de simples repères bibliographiques, qui n’annoncent rien de son contenu, comme Quas primas de Pie XI sur la royauté sociale de NSJC. Ils peuvent inciter à quelque méprise : Rerum novarum (« les choses nouvelles ») de Léon XIII était un titre qui n’annonçait pas une ouverture joyeuse aux nouveautés, mais au contraire une déploration de leur funeste multiplication. Les premiers mots
de l’encylique de Benoît XVI, ce n’est évidemment pas un hasard mais une intention, sont l’annonce même de la bonne nouvelle, l’« évangile », la certitude d’une révélation venue d’en haut. On a beaucoup dit :

Ce n’est pas un programme du pontificat. Pourquoi pas ?

Mais il est vrai que le genre littéraire de cette encyclique n’est pas celui d’un programme pontifical. L’aspect le plus frappant au premier abord est sa grande densité méditative. Le lecteur se trouve engagé dans ce que l’on appelle une
lecture de spiritualité. Il se trouve comme conduit par la main en plein examen de conscience et en pleine oraison ; ramené à sa place dans l’être historique de l’Eglise, dans l’histoire du salut, dont la réalité tout entière lui est en quelque sorte rendue présente. Aux meilleurs passages, aux meilleurs moments, on rencontre non pas un pape plutôt
qu’un autre, non pas une pensée plutôt qu’une autre, mais la foi même de l’Eglise, dans l’obscure et paisible lumière de son mystère.

Paragraphe 27, Benoît XVI rappelle au passage quand et comment « s’est développée une doctrine sociale catholique » : « En 1891, le magistère pontifical intervint par l’encyclique Rerum novarum de Léon XIII. Il y eut ensuite l’encyclique de Pie XI Quadragesimo anno. Le bienheureux pape Jean-Paul XXIII publia en 1961 l’encyclique Mater et magistra ; pour sa part Paul VI… [etc., et ainsi de suite, jusqu’au] Compendium de la doctrine sociale de ,l’Eglise » [qui « résume » l’état de fait de l’enseignement social de l’Eglise dans les dernières années du pontificat de Jean-Paul II]. On le voit, il y a dans cette énumération comme un trou noir de dix-neuf années entre Pie XI (mort
en 1939) et Jean XXIII (élu pape en 1958). C’est la nouvelle coutume vaticane, le cardinal Ratzinger l’avait déjà trouvée bien installée, Benoît XVI ne fait pour le moment que s’y conformer telle qu’il l’a reçue. C’est Jean XXIII qui avait inauguré cette coutume nouvelle, réduisant à quasiment rien l’apport de Pie XII à la « doctrine sociale », ce qui a évolué jusqu’à l’absence complète où le voici. Quant à saint Pie X, sa canonisation par Pie XII ne l’a pas durablement fait sortir du… purgatoire où on a trouvé commode de le mettre en résidence surveillée. Mais avec les saints, on ne sait jamais. Comme l’assurait Jacques Perret à propos de saint Michel, ils n’ont jamais dit leur dernier mot.
JEAN MADIRAN


C-Avec Sainte Thérèse de Lisieux,
méditons sur la Charité.

Benoît XVI, par son encyclique, remet en honneur, la plus belle des vertus chrétiennes, la charité. Nous apprendrons à aimer cette vertu en lisant ces belles pages de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Ces pages sont claires, sont limpides. Elles sont catholiques. Elles sont simples et pleines de génie et enthousiasmantes. Après avoir lu de telles pages, on se sent meilleur, attiré par la charité. C’est à la portée de tous, du plus simple comme du plus intelligent. C’est le génie du saint, de la sainteté de mettre à la portée de tous, les plus belles choses et les plus complexes.


Histoire d'un Ame - Manuscrit B
MANUSCRIT B
Manuscrit B Folio 1 Recto.
La Vocation de l’Amour
J. M. J. T.
(Septembre 1896)
Jésus +
O ma Soeur chérie ! vous me demandez de vous donner un souvenir de ma retraite, (NHA 901) retraite qui peut-être sera la dernière... (NHA 902) Puisque notre Mère (NHA 903) le permet c’est une joie pour moi de venir m’entretenir avec vous qui êtes deux fois ma Soeur, avec vous qui m’avez prêté votre voix, promettant en mon nom que je ne voulais servir que Jésus, alors qu’il ne m’était pas possible de parler... Chère petite Marraine, c’est l’enfant que vous avez offerte au Seigneur qui vous parle ce soir, c’est elle qui vous aime comme une enfant sait aimer sa Mère... Au Ciel seulement vous connaîtrez toute la reconnaissance qui déborde de mon coeur... O ma Soeur chérie ! vous voudriez entendre les secrets que Jésus confie à votre petite fille, ces secrets Il vous les confie, je le sais, car c’est vous qui m’avez appris à recueillir les enseignements Divins, cependant je vais essayer de balbutier quelques mots, bien que je sente qu’il est impossible à la parole humaine de redire des choses que le coeur humain peut à peine pressentir... (1Co 2,9) Ne croyez pas que je nage dans les consolations, oh non ! ma consolation c’est de n’en pas avoir sur la terre. Sans se montrer, sans faire entendre sa voix, Jésus m’instruit dans le secret, ce n’est pas par le moyen des livres, car je ne comprends pas ce que je lis, mais parfois une parole comme celle-ci que j’ai tirée à la fin de l’oraison (après être restée dans le silence et la sécheresse) vient me consoler : Voici le maître que je te donne, il t’apprendra tout ce que tu dois faire. Je veux te faire lire dans le livre de vie, où est contenue la science d’AMOUR. " (NHA 904) La science d’Amour, ah oui ! cette parole résonne doucement à l’oreille de mon âme, je ne désire que cette science-là. Pour elle, ayant donné toutes mes richesses, j’estime comme l’épouse des sacrés cantiques n’avoir rien donné... (NHA 905) (Ct 8,7) Je comprends si bien qu’il n’y a que l’amour qui puisse nous rendre agréables au Bon Dieu que cet amour est le seul bien que j’ambitionne. Jésus se plaît à me montrer l’unique chemin qui conduit à cette fournaise Divine, ce chemin c’est l’abandon du petit enfant qui s’endort sans crainte dans les bras de son Père... " Si quelqu’un est tout petit, qu’il vienne à moi. " (NHA 906) a dit l’Esprit Saint par la bouche de Salomon et ce même Esprit d’Amour a dit encore que " La miséricorde est accordée aux petits. " (Pr 9,4 Sg 6,7) (NHA 907) En son nom, le prophète Isaïe nous révèle qu’au dernier jour " Le Seigneur conduira son troupeau dans les pâturages, qu’il rassemblera les petits agneaux et les pressera sur son sein. " (Is 40,11) (NHA 908) et comme si toutes ces promesses ne suffisaient pas, le même prophète dont le regard inspiré plongeait déjà dans les profondeurs éternelles, s’écrie au nom du Seigneur : " Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous caresserai sur mes genoux. " (NHA 909) (Is 66,12-13) O Marraine chérie ! après un pareil langage, il n’y a plus qu’à se taire, à pleurer de reconnaissance
Manuscrit B Folio 1 Verso.
et d’amour... Ah ! si tontes les âmes faibles et imparfaites sentaient ce que sent la plus petite de toutes les âmes, l’âme de votre petite Thérèse, pas une seule ne désespérerait d’arriver au sommet de la montagne de l’Amour, puisque Jésus ne demande pas de grandes actions, mais seulement l’abandon et la reconnaissance, puisqu’il a dit dans le Psaume XLIX : " Je n’ai nul besoin des boucs de vos troupeaux, parce que toutes les bêtes des forêts m’appartiennent et les milliers d’animaux qui paissent sur les collines, je connais tous les oiseaux des montagnes... Si j’avais faim, ce n’est pas à vous que je le dirais : car la terre et tout ce qu’elle contient est à moi. Est-ce que je dois manger la chair des taureaux et boire le sang des boucs ?... IMMOLEZ A DIEU des SACRIFICES de LOUANGES et d’ACTIONS DE GRACES. " (NHA 910) (Ps 50,9-14) Voilà donc tout ce que Jésus réclame de nous, il n’a point besoin de nos oeuvres, mais seulement de notre amour, car ce même Dieu qui déclare n’avoir pas besoin de nous dire s’il a faim, n’a pas craint de mendier un peu d’eau à la Samaritaine. Il avait soif... Mais en disant : " Donne moi à boire. " (NHA 911) (Jn 4,6-13) c’était l’amour de sa pauvre créature que le Créateur de l’univers réclamait. Il avait soif d’amour... Ah ! je le sens plus que jamais Jésus est altéré, Il ne rencontre que des ingrats et des indifférents parmi les disciples du monde et parmi ses disciples à lui, il trouve, hélas ! peu de coeurs qui se livrent à lui sans réserve, qui comprennent toute la tendresse de son Amour infini. Soeur chérie, que nous sommes heureuses de comprendre les intimes secrets de notre époux, ah ! si vous vouliez écrire tout ce que vous en connaissez, nous aurions de belles pages à lire, mais je le sais, vous aimez mieux garder au fond de votre coeur " Les secrets du Roi, " à moi vous dites " Qu’il est honorable de publier les oeuvres du Très-Haut. " (NHA 912) (Tb 12,7) Je trouve que vous avez raison de garder le silence et ce n’est uniquement qu’afin de vous faire plaisir que j’écris ces pages, car je sens mon impuissance à redire avec des paroles terrestres les secrets du Ciel et puis, après avoir tracé des pages et des pages, je trouverais n’avoir pas encore commencé... Il y a tant d’horizons divers, tant de nuances variées à l’infini, que la palette du Peintre Céleste pourra seule, après la nuit de cette vie, me fournir les couleurs capables de peindre les merveilles qu’il découvre à l’oeil de mon âme. Ma Soeur Chérie, vous m’avez demandé de vous écrire mon rêve et " ma petite doctrine, " comme vous l’appelez... Je l’ai fait dans les pages suivantes mais si mal qu’il me semble impossible que vous compreniez. Peut-être allez-vous trouver mes expressions exagérées... Ah ! pardonnez-moi, cela doit tenir à mon style peu agréable, je vous assure qu’il n’est aucune exagération dans ma petite âme, que tout y est calme et reposé... (En écrivant, c’est à Jésus que je parle, cela m’est plus facile pour exprimer mes pensées... Ce qui, hélas ! n’empêche pas qu’elles soient bien mal exprimées !
Manuscrit B Folio 2 Recto.
J. M. J. T.
8 Septembre 1896 (NHA 913)
(A ma chère Soeur Marie du Sacré-Coeur.)
O Jésus, mon Bien-Aimé ! qui pourra dire avec quelle tendresse, quelle douceur, vous conduisez ma petite âme ! comment il vous plaît de faire luire le rayon de votre grâce au milieu même du plus sombre orage ?... Jésus, l’orage grondait bien fort dans mon âme depuis la belle fête de votre triomphe, la radieuse fête de Pâques, lorsqu’un samedi du mois de mai, (NHA 914) pensant aux songes mystérieux qui sont parfois accordés à certaines âmes, je me disais que ce devait être une bien douce consolation, cependant je ne la demandais pas. Le soir, considérant les nuages qui couvraient son ciel, ma petite âme se disait encore que les beaux rêves n’étaient pas pour elle, et sous l’orage elle s’endormit... Le lendemain était le 10 mai, le deuxième DIMANCHE du mois de Marie, peut-être l’anniversaire du jour où la Sainte Vierge daigna sourire à sa petite fleur... (NHA 915) Aux premières lueurs de l’aurore, je me trouvai (en rêve) dans une sorte de galerie, il y avait plusieurs autres personnes, mais éloignées. Notre Mère seule était auprès de moi, out à coup sans avoir vu comment elles étaient entrées, j’aperçus trois carmélites revêtues de leurs manteaux et grands voiles, il me sembla qu’elles venaient pour notre Mère, mais ce que je compris clairement, c’est qu’elles venaient du Ciel. Au fond de mon coeur, je m’écriai : Ah ! que je serais heureuse de voir le visage d’une de ces carmélites ! Alors comme si ma prière avait été entendue par elle, la plus grande des saintes s’avança vers moi ; aussitôt je tombai à genoux. Oh ! bonheur ! la Carmélite leva son voile ou plutôt le souleva et m’en couvrit... sans aucune hésitation, je reconnus la vénérable Mère Anne de Jésus (NHA 916) la fondatrice du Carmel en France. Son visage était beau, d’une beauté immatérielle, aucun rayon ne s’en échappait et cependant malgré le voile qui nous enveloppait toutes les deux, je voyais ce céleste visage éclairé d’une lumière ineffablement douce, lumière qu’il ne recevait pas mais qu’il produisait de lui-même... Je ne saurais redire l’allégresse de mon âme, ces choses se sentent et ne peuvent s’exprimer... Plusieurs mois se sont écoulés depuis ce doux rêve, cependant le souvenir qu’il laisse en mon âme n’a rien perdu de sa fraîcheur, de ses charmes Célestes... Je vois encore le regard et le sourire PLEINS d’AMOUR de la Vénérable Mère. Je crois sentir encore les caresses dont elle me combla... Me voyant si tendrement aimée, j’osai prononcer ces paroles : " O ma Mère ! je vous en supplie, dites-moi si le Bon Dieu me laissera longtemps sur la terre... Viendra-t-Il bientôt me chercher ?... " Souriant avec tendresse, la sainte murmura : " Oui, bientôt, bientôt,... Je vous le promets. " " Ma Mère, ajoutai-je, dites-moi encore si le Bon Dieu ne me demande pas quelque chose
Manuscrit B Folio 2 Verso .
de plus que mes pauvres petites actions et mes désirs. Est-Il content de moi ? " La figure de la Sainte prit une expression incomparablement plus tendre que la première fois qu’elle me parla. Son regard et ses caresses étaient la plus douce des réponses. Cependant elle me dit : " Le Bon Dieu ne demande rien autre chose de vous. Il est content, très content !... " Après m’avoir encore caressée avec plus d’amour que ne l’a jamais fait pour son enfant la plus tendre des mères, je la vis s’éloigner... Mon coeur était dans la joie mais je me souvins de mes soeurs, et je voulus demander quelques grâces pour elles, hélas !... je m’éveillai !... O Jésus ! l’orage alors ne grondait pas, le ciel était calme et serein... je croyais, je sentais qu’il y a un ciel et que ce Ciel est peuplé d’âmes qui me chérissent, qui me regardent comme leur enfant... Cette impression reste dans mon coeur, d’autant mieux que la Vénrable Mère Anne de Jésus m’avait été jusqu’alors absolument indifférente, je ne l’avais jamais invoquée et sa pensée ne me venait à l’esprit qu’en entendant parler d’elle, ce qui était rare. Aussi lorsque j’ai compris à quel point elle m’aimait, combien je lui étais peu indifférente, mon coeur s’est fondu d’amour et de reconnaissance, non seulement pour la Sainte qui m’avait visitée, mais encore pour tous les Bienheureux habitants du Ciel. O mon Bien-Aimé ! cette grâce n’était que le prélude de grâces plus grandes dont tu voulais me combler ; laisse-moi, mon unique Amour, te les rappeler aujourd’hui... aujourd’hui, le sixième anniversaire de notre union... Ah ! pardonne-moi Jésus, si je déraisonne en voulant te dire mes désirs, mes espérances qui touchent à l’infini, pardonne-moi et guéris mon âme en lui donnant ce qu’elle espère !... Etre ton épouse, ô Jésus, être carmélite, être par mon union avec toi la mère des âmes, cela devrait me suffire... il n’en est pas ainsi... Sans doute, ces trois privilèges sont bien ma vocation, Carmélite, Epouse et Mère, cependant je sens en moi d’autres vocations, je me sens la vocation de GUERRIER, de PRETRE, d’APOTRE, de DOCTEUR, de MARTYR ; enfin, je sens le besoin, le désir d’accomplir pour toi Jésus toutes les oeuvres les plus héroïques... Je sens en mon âme le courage d’un Croisé, d’un Zouave Pontifical, je voudrais mourir sur un champ de bataille pour la défense de l’Eglise... Je sens en moi la vocation de PRETRE ; avec quel amour, ô Jésus, je te porterais dans mes mains lorsque, à ma voix, tu descendrais du Ciel... Avec quel amour je te donnerais aux âmes !... Mais hélas ! tout en désirant d’être Prêtre, j’admire et j’envie l’humilité de Saint François d’Assise et je me sens la vocation de l’imiter en refusant la sublime dignité du Sacerdoce. O Jésus ! mon amour, ma vie... comment allier ces contrastes ?
Manuscrit B Folio 3 Recto.
Comment réaliser les désirs de ma pauvre petite âme ?... Ah ! malgré ma petitesse, je voudrais éclairer les âmes comme les Prophètes, les Docteurs, j’ai la vocation d’être Apôtre... je voudrais parcourir la terre, prêcher ton nom et planter sur le sol infidèle ta Croix glorieuse, mais, ô mon Bien-Aimé, une seule mission ne me suffirait pas, je voudrais en même temps annoncer l’Evangile dans les cinq parties du monde et jusque dans les îles les plus reculées... (Is 66,19) Je voudrais être missionnaire non seulement pendant quelques années, mais je voudrais l’avoir été depuis la création du monde et l’être jusqu’à la consommation des siècles... Mais je voudrais par-dessus tout, ô mon Bien-Aimé Sauveur, je voudrais verser mon sang pour toi jusqu’à la dernière goutte... Le Martyre, voilà le rêve de ma jeunesse, ce rêve il a grandi avec moi sous les cloîtres du Carmel... Mais là encore, je sens que mon rêve est une folie, car je ne saurais me borner à désirer un genre de martyre... Pour me satisfaire, il me les faudrait tous... Comme toi, mon époux Adoré, je voudrais être flagellée et crucifiée... Je voudrais mourir dépouillée comme Saint Barthélémy... Comme Saint Jean, je voudrais être plongée dans l’huile bouillante, je voudrais subir tous les supplices infligés aux martyrs... Avec Sainte Agnès et Sainte Cécile, je voudrais présenter mon cou au glaive et comme Jeanne d’Arc, ma soeur chérie, je voudrais sur le bûcher murmurer ton nom, ô JÉSUS... En songeant aux tourments qui seront le partage des chrétiens au temps de l’Antéchrist, je sens mon coeur tressaillir et je voudrais que ces tourments me soient réservés... (NHA 917) Jésus, Jésus, si je voulais écrire tous mes désirs, il me faudrait emprunter ton livre de vie, (NHA 918) (Ap 20,12) là sont rapportées les actions de tous les Saints et ces actions, je voudrais les avoir accomplies pour toi... O mon Jésus ! à toutes mes folies que vas-tu répondre ?... Y a-t-il une âme plus petite, plus impuissante que la mienne !... Cependant à cause même de ma faiblesse, tu t’es plu, Seigneur, à combler mes petits désirs enfantins, et tu veux aujourd’hui, combler d’autres désirs plus grands que l’univers... A l’oraison mes désirs me faisant souffrir un véritable martyre, j’ouvris les épîtres de Saint Paul afin de chercher quelque réponse. Les chapitres XII et XIII de la première épître aux Corinthiens me tombèrent sous les yeux... J’y lus, dans le premier, que tous ne peuvent être apôtres, prophètes, docteurs, etc... que l’Eglise est composée de différents membres et que l’oeil ne saurait être en même temps la main... (NHA 919) (1Co 12,21 12,29) La réponse était claire mais ne comblait pas mes désirs, elle ne me donnait pas la paix... Comme Madeleine se baissant toujours auprès du tombeau vide (Jn 20,11-18) finit par trouver
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(fin du folio 3r, pour citation) (Comme Madeleine se baissant toujours auprès du tombeau vide finit par trouver) ...03v... ce qu’elle cherchait, ainsi, m’abaissant jusque dans les profondeurs de mon néant je m’élevai si haut que je pus atteindre mon but. (NHA 920) Sans me décourager je continuai ma lecture et cette phrase me soulagea : " Recherchez avec ardeur les DONS les PLUS PARFAITS, mais je vais encore vous montrer une voie plus excellente. " (Jn 20,11-18) (NHA 921) Et l’Apôtre explique comment tous les dons les plus PARFAITS ne sont rien sans l’AMOUR... Que la Charité est la VOIE EXCELLENTE qui conduit sûrement à Dieu. Enfin j’avais trouvé le repos... Considérant le corps mystique de l’Eglise, je ne m’étais reconnue dans aucun des membres décrits par Saint Paul, ou plutôt je voulais me reconnaître en tous... La Charité me donna la clef de ma vocation. Je compris que si l’Eglise avait un corps, composé de différents membres, (1Co 13,1-3) le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l’Église avait un Coeur, et que ce Coeur était BRULANT d’AMOUR. Je compris que l’Amour seul faisait agir les membres de l’Eglise, que si l’Amour venait à s’éteindre, les Apôtres n’annonceraient plus l’Evangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang... Je compris que l’AMOUR RENFERMAIT TOUTES LES VOCATIONS, QUE L’AMOUR ETAIT TOUT, QU’IL EMBRASSAIT TOUS LES TEMPS ET TOUS LES LIEUX ... EN UN MOT, QU’IL EST ETERNEL ! ... Alors, dans l’excès de ma joie délirante, je me suis écriée : O Jésus, mon Amour... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, MA VOCATION, C’EST L’AMOUR !... Oui j’ai trouvé ma place dans l’Eglise et cette place, ô mon Dieu, c’est vous qui me l’avez donnée... dans le Coeur de l’Eglise, ma Mère, je serai l’AMOUR... ainsi je serai tout... ainsi mon rêve sera réalisé !... (1Co 13,1-4) Pourquoi parler d’une joie délirante ? non, cette expression n’est pas juste, c’est plutôt la paix calme et sereine du navigateur apercevant le phare qui doit le conduire au port... O Phare lumineux de l’amour, je sais comment arriver jusqu’à toi, j’ai trouvé le secret de m’approprier ta flamme. Je ne suis qu’une enfant, impuissante et faible, cependant c’est ma faiblesse même qui me donne l’audace de m’offrir en Victime à ton Amour, ô Jésus ! Autrefois les hosties pures et sans taches étaient seules agréées par le Dieu Fort et Puissant. Pour satisfaire la justice Divine, il fallait des victimes parfaites, mais à la loi de crainte a succédé la loi d’Amour, et l’Amour m’a choisie pour holocauste, moi, faible et imparfaite créature... (Ps 24,8) (Lv 22,18-25) Ce choix n’est-il pas digne de l’Amour ? Oui, pour que l’Amour soit pleinement satisfait, il faut qu’il s’abaisse, qu’il s’abaisse jusqu’au néant et qu’il transforme en feu ce néant...
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O Jésus, je le sais, l’amour ne se paie que par l’amour, (NHA 922) aussi j’ai cherché, j’ai trouvé le moyen de soulager mon coeur en te rendant Amour pour Amour. " Employez les richesses qui rendent injustes à vous faire des amis qui vous reçoivent dans les tabernacles éternels. " (NHA 923) (Lc 16,9) Voilà, Seigneur le conseil que tu donnes à tes disciples après leur avoir dit que " Les enfants de ténèbres sont plus habiles dans leurs affaires que les enfants de lumière. " (NHA 924) (Lc 16,8) Enfant de lumière, j’ai compris que mes désirs d’être tout, d’embrasser toutes les vocations, étaient des richesses qui pourraient bien me rendre injuste, alors je m’en suis servie à me faire des amis... Me souvenant de la prière d’Elisée à son Père Elie, lorsqu’il osa lui demander SON DOUBLE ESPRIT, (NHA 925) je me suis présentée devant les Anges et les Saints, et je leur ai dit : " Je suis la plus petite des créatures, je connais ma misère et ma faiblesse, mais je sais aussi combien les coeurs nobles et généreux aiment à faire du bien, je vous supplie donc, ô Bienheureux habitants du Ciel, je vous supplie de M’ADOPTER POUR ENFANT, à vous seuls sera la gloire que vous me ferez acquérir mais daignez exaucer ma prière, elle est téméraire, je le sais, cependant j’ose vous demander de m’obtenir : VOTRE DOUBLE AMOUR. " (2R 2,9 Ap 8,3) Jésus, je ne puis approfondir ma demande, je craindrais de me trouver accablée sous le poids de mes désirs audacieux... Mon excuse, c’est que je suis une enfant, les enfants ne réfléchissent pas à la portée de leurs paroles, cependant leurs parents, lorsqu’ils sont placés sur le trône, qu’ils possèdent d’immenses trésors, n’hésitent pas à contenter les désirs des petits êtres qu’ils chérissent autant qu’eux-mêmes ; pour leur faire pIaisir, ils font des folies, ils vont jusqu’à la faiblesse... Eh bien ! moi je suis l’Enfant de l’Eglise, et l’Eglise est Reine puisqu’elle est ton épouse, ô Divin Roi des Rois... Ce ne sont pas les richesses et la Gloire, (même la Gloire du Ciel) que réclame le coeur du petit enfant... La gloire, il comprend qu’elle appartient de droit à ses Frères, les Anges et les Saints... Sa gloire à lui sera le reflet de celle qui jaillira du front de sa Mère. Ce qu’il demande c’est l’Amour... Il ne sait plus qu’une chose, t’aimer, ô Jésus... Les oeuvres éclatantes lui sont interdites, il ne peut prêcher l’Evangile, verser son sang... mais qu’importe, ses frères travaillent à sa place, et lui, petit enfant, il se tient tout près du trône (Ap 14,3) du Roi et de la Reine, il aime pour ses frères qui combattent... Mais comment témoignera-t-il son Amour, puisque l’Amour se prouve par les oeuvres ? Eh bien, le petit enfant jettera des fleurs, il embaumera de ses parfums le trône royal, il chantera de sa voix argentine le cantique de l’Amour... Oui mon Bien-Æmé, voilà comment se consumera ma vie... Je n’ai d’autre moyen de te prouver mon amour, que de jeter des fleurs, c’est-à-dire de ne laisser échapper aucun petit sacrifice, aucun regard,
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aucune parole, de profiter de toutes les plus petites choses et de les faire par amour... Je veux souffrir par amour et même jouir par amour, ainsi je jetterai des fleurs devant ton trône ; je n’en rencontrerai pas une sans l’effeuiller pour toi... puis en jetant mes fleurs, je chanterai, (pourrait-on pleurer en faisant une aussi joyeuse action ?) je chanterai, même lorsqu’il me faudra cueillir mes fleurs au milieu des épines et mon chant sera d’autant plus mélodieux que les épines seront longues et piquantes. Jésus, à quoi te serviront mes fleurs et mes chants ?... Ah ! je le sais bien, cette pluie embaumée, ces pétales fragiles et sans aucune valeur, ces chants d’amour du plus petit des coeurs te charmeront, oui, ces riens te feront plaisir, ils feront sourire l’Eglise Triomphante, elle recueillera mes fleurs effeuillées par amour et les faisant passer par tes Divines Mains, ô Jésus, cette Eglise du Ciel, voulant jouer avec son petit enfant, jettera, elle aussi, ces fleurs ayant acquis par ton attouchement divin une valeur infinie, elle les jettera sur l’Eglise souffrante afin d’en éteindre les flammes, elle les jettera sur l’Eglise combattante afin de lui faire remporter la victoire !... O mon Jésus ! je t’aime, j’aime l’Eglise ma Mère, je me souviens que : " Le plus petit mouvement de PUR AMOUR lui est plus utile que toutes les autres oeuvres réunies ensemble " (NHA 926) mais le PUR AMOUR est-il bien dans mon coeur... Mes immenses désirs ne sont-ils pas un rêve, une folie ?... Ah ! s’il en est ainsi, Jésus, éclaire-moi, tu le sais, je cherche la vérité... si mes désirs sont téméraires, fais-les disparaître car ces désirs sont pour moi le plus grand des martyres... Cependant je le sais, ô Jésus, après avoir aspiré vers les régions les plus élevées de l’Amour, s’il me faut ne pas les atteindre un jour j’aurai goûté plus de douceur dans mon martyre, dans ma folie, que je n’en goûterai au sein des joies de la patrie, à moins que par un miracle tu ne m’enlèves le souvenir de mes espérances terrestres. Alors laisse-moi jouir pendant mon exil des délices de l’amour... Laisse-moi savourer les douces amertumes de mon martyre... Jésus, Jésus, s’il est si délicieux le désir de t’Aimer qu’est-ce donc de posséder, de jouir de l’Amour ?... Comment une âme aussi imparfaite que la mienne peut-elle aspirer à posséder la plénitude de l’Amour ?... 0 Jésus ! mon premier, mon seul Ami, toi que j’aime UNIQUEMENT, dis-moi quel est ce mystère ?. .. Pourquoi ne réserves-tu pas ces immenses aspirations aux grandes âmes, aux Aigles qui planent dans les hauteurs ?... Moi je me considère comme un faible petit oiseau couvert seulement d’un léger duvet, je ne suis pas un aigle j’en ai simplement les yeux et le coeur car malgré ma petitesse extrême j’ose fixer le Soleil Divin, le Soleil de l’Amour et mon coeur sent en lui toutes
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les aspirations de l’Aigle... Le petit oiseau voudrait voler vers ce brillant Soleil qui charme ses yeux, il voudrait imiter les Aigles ses frères qu’il voit s’élever jusqu’au foyer Divin de la Trinité Sainte... hélas ! tout ce qu’il peut faire, c’est de soulever ses petites ailes, mais s’envoler, cela n’est pas en son petit pouvoir ! Que va-t-il devenir ? mourir de chagrin se voyant aussi impuissant ?... Oh non ! le petit oiseau ne va pas même s’affliger. Avec un audacieux abandon, il veut rester à fixer son Divin Soleil ; rien ne saurait l’effrayer, ni le vent ni la pluie, et si de sombres nuages viennent à cacher l’Astre d’Amour, le petit oiseau ne change pas de place, il sait que par delà les nuages son Soleil brille toujours, que son éclat ne saurait s’éclipser un seul instant. Parfois il est vrai, le coeur du petit oiseau se trouve assailli par la tempête, il lui semble ne pas croire qu’il existe autre chose que les nuages qui l’enveloppent ; c’est alors le moment de la joie parfaite pour le pauvre petit être faible. Quel bonheur pour lui de rester là quand même, de fixer l’invisible lumière qui se dérobe à sa foi !... Jésus, jusqu’à présent, je comprends ton amour pour le petit oiseau, puisqu’il ne s’éloigne pas de toi... mais je le sais et tu le sais aussi, souvent, l’imparfaite petite créature tout en restant à sa place (c’est-à-dire sous les rayons du Soleil,) (Lc 10,41-42) se laisse un peu distraire de son unique occupation, elle prend une petite graine à droite et à gauche, court après un petit ver... puis rencontrant une petite flaque d’eau elle mouille ses plumes à peine formées, elle voit une fleur qui lui plaît, alors son petit esprit s’occupe de cette fleur... enfin ne pouvant planer comme les aigles, le pauvre petit oiseau s’occupe encore des bagatelles de la terre. Cependant après tous ses méfaits, au lieu d’aller se cacher dans un coin pour pleurer sa misère et mourir de repentir, le petit oiseau se tourne vers son Bien-Aimé Soleil, il présente à ses rayons bienfaisants ses petites ailes mouillées, il gémit comme l’hirondelle (Is 38,14) et dans son doux chant il confie, il raconte en détail ses infidélités pensant dans son téméraire abandon acquérir ainsi plus d’empire, attirer plus pleinement l’amour de Celui qui n’est pas venu appeler les justes mais les pécheurs... (NHA 927) (Mt 9,13) Si l’Astre Adoré demeure sourd aux gazouillements plaintifs de sa petite créature, s’il reste voilé... eh bien ! la petite créature reste mouillée, elle accepte d’être transie de froid et se réjouit encore de cette souffrance qu’elle a cependant méritée... O Jésus ! que ton petit oiseau est heureux d’être faible et petit, que deviendrait-il s’il était grand ?... " Jamais il n’aurait l’audace de paraître en ta présence, de sommeiller devant toi... Oui, c’est là encore une faiblesse du petit oiseau lorsqu’il veut fixer le Divin Soleil et que les nuages l’empêchent de voir un seul rayon, malgré lui ses petits yeux se ferment, sa petite tête se cache sous la petite aile et le pauvre petit être s’endort, croyant toujours fixer son Astre Chéri. A son réveil, il ne se désole pas, son petit coeur reste en paix, il recommence son office d’amour, il invoque les anges et les Saints qui s’élèvent comme des Aigles vers le Foyer dévorant, objet de son envie
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et les Aigles prenant en pitié leur petit frère, le protègent, le défendent et mettent en fuite les vautours qui voudraient le dévorer. Les vautours, images des démons, le petit oiseau ne les craint pas, il n’est point destiné à devenir leur proie, mais celle de l’Aigle qu’il contemple au centre du Soleil d’Amour. 0 Verbe Divin, (Jn 1,1-3) c’est toi l’Aigle adoré que J’aime et qui m’attire ! c’est toi qui t’élançant vers la terre d’exil as voulu souffrir et mourir afin d’attirer les âmes jusqu’au sein de l’éternel Foyer de la Trinité Bienheureuse, c’est toi qui remontant vers l’inaccessible Lumière (Mc 16,19) qui sera désormais ton séjour, c’est toi qui restes encore dans la vallée des larmes, (Ps 84,7) caché sous l’apparence d’une blanche hostie... Aigle Eternel tu veux me nourrir de ta divine substance, moi, pauvre petit être, qui rentrerais dans le néant si ton divin regard ne me donnait la vie à chaque instant... 0 Jésus ! laisse-moi dans l’excès de ma reconnaissance, laisse-moi te dire que ton amour va jusqu’à la folie.. . Comment veux-tu devant cette Folie que mon coeur ne s’élance pas vers toi ? Comment ma confiance aurait-elle des bornes ?... Ah ! pour toi, Je le sais, les Saints ont fait aussi des folies, ils ont fait de grandes choses puisqu’ils étaient des aigles... Jésus, je suis trop petite pour faire de grandes choses... et ma folie à moi, c’est d’espérer que ton Amour m’accepte comme victime... Ma folie consiste à supplier les Aigles mes frères, de m’obtenir la faveur de voler vers le Soleil de l’Amour avec les propres ailes de l’Aigle Divin... (Dt 32,10-11) (NHA 928) Aussi longtemps que tu le voudras, ô mon Bien Aimé, ton petit oiseau restera sans forces et sans ailes, toujours il demeurera les yeux fixés sur toi, il veut être fasciné par ton regard divin, il veut devenir la proie de ton Amour... Un jour, j’en ai l’espoir, Aigle Adoré, tu viendras chercher ton petit oiseau, (Dt 32,11) et remontant avec lui au Foyer de l’Amour, tu le plongeras pour l’éternité dans le brûlant Abîme de Cet Amour auquel il s’est offert en victime... O Jésus ! que ne puis-je dire à toutes les petites âmes combien ta condescendance est ineffable... je sens que si par impossible tu trouvais une âme plus faible, plus petite que la mienne, tu te plairais à la combler de faveurs plus grandes encore, si elle s’abandonnait avec une entière confiance à ta miséricorde infinie. (Lc 10,21) Mais pourquoi désirer communiquer tes secrets d’amour, ô Jésus, n’est-ce pas toi seul qui me les as enseignés et ne peux-tu pas les révéler à d’autres ?... Oui je le sais, et je te conjure de le faire, je te supplie d’abaisser ton regard divin sur un grand nombre de petites âmes... Je te supplie de choisir une légion de petites âmes dignes de ton AMOUR !... La toute petite Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus de la Sainte Face rel. carm. ind. (NHA 929)