A-Homélie.
« le royaume des Cieux. Ce qu’il est »
Nous vous l’avons expliqué,
dimanche dernier, le Royaume de Dieu est parmi nous. Notre Seigneur
Jésus-Christ, le Messie, le Sauveur, le Roi de gloire,
en est « l’initiateur », le « consommateur
». Je veux dire : Il en est le « principe »
et la « fin ». Il en est la raison et le terme.
Il en est la forme même, la cause formelle, la cause exemplaire.
« Ce n’est plus moi qui vis, c’est la Christ
qui vit en moi ». Voilà une affirmation de saint
Paul. Or saint Paul est l’exemple même des disciples
du Christ, disciples qui constituent, qui sont les sujets de
ce Royaume céleste, qui sont, un peu, comme la cause
matérielle de ce Royaume.
Cause matérielle. Cause
formelle. Cause finale. Cause efficiente…Mais nous voilà
en pleine possession d’une définition. En bonne
philosophie, on définit une chose pas ses causes. Nous
voilà en pleine possession d’une définition
du Royaume des Cieux…par ses causes.
La cause matérielle de ce
Royaume, initié par la Nativité et la manifestation
du Christ en l’Epiphanie…ce sont les baptisés,
les disciples du Christ, régénérés
par la grâce baptismale, la foi en Notre Seigneur Jésus-Christ,
l’œuvre du Sain t Esprit.
La cause efficiente…mais
c’est la charité de Dieu, sa miséricorde
: « Et Dieu a tellement aimé le monde qu’il
donna son Fils unique afin que quiconque croit en Lui ne périsse
pas mais ait la vie éternelle » (Jn 3 16). Oui
! La cause efficiente, ce qui crée la chose, c’est
bien la charité de Dieu.
La cause formelle, c’est
le Christ lui-même. Il en est la forme….Il en est
l’idéal. Il en est la « pensée ».
Il en est la sagesse. C’est ce que dit saint Paul dans
l’épître aux Colossiens, choisie pour cette
messe : « Que la parole du Christ habite en vous avec
richesse ». « Verbum Christi habitet in vobis abundanter
». La parole de Dieu, son enseignement, ce qu’il
a transmis aux Apôtres et que l’Eglise nous garde
jalousement, est bien le « formel » de ce Royaume,
sa Loi, sa discipline, sa sagesse.
La cause finale sera le Christ
possédé dans sa totalité dans l’éternelle
gloire, le royaume achevé dans toute sa perfection…La
grâce, ici bas, en étant comme le gage, le principe.
La cause matérielle, ce
sont les sujets baptisés, régénérés
dans l’eau baptismale et dans l’Esprit Saint…qui
vivent dans l’esprit du Christ Rédempteur, la forme
de ce Royaume.
Ce Christ Rédempteur, -
la forme de ce Royaume -, fut mû « de pitié
»…comme le dit Saint Paul dans son épître
aux Colossiens. Il avait des « entrailles de miséricorde
», « viscera misericordiae ». Il était
mû de miséricorde. Ainsi en sera-t-il, dans son
Royaume, de ses sujets. Ils doivent être tels.
« Viscera misericordiae »,
« les entrailles de miséricorde » : l’expression
est à noter. Elle n’est pas peu banale.
« Viscera » ou « viscus- visceris »
veut dire : « chair, entrailles, viscères ».
Au figuré, ce mot veut dire : « le cœur, le
fond même d’une chose »…ou même
« ressources ».
« Viscera misericordiae »,
cette expression est particulièrement originale et riche,
riche de traductions multiples selon le contexte. Cette expression
peut connoter une plénitude. La miséricorde est
sa « chair », c’est son être même.
C’est ce qui le constitue ce qu’il est : miséricordieux.
Tel fut le Christ, il est vrai.
« Viscera » veut dire
aussi « cœur ». « Viscera misericordiae
» pourrait alors être traduit par « son fond
», sa qualité essentielle, ce fut la miséricorde.
Il avait un cœur de miséricorde, de tendresse. Et
je vois dans ma mémoire toutes les scènes de l’Evangile
où NSJC manifeste son cœur, sa miséricorde…Avec
la pécheresse, Marie Madeleine, avec Zachée, le
richissime, avec la femme prise en flagrant délie d’adultère
: « Va en paix ! Ne pêche plus ». …Avec
le bon larron… « Tu seras, ce soir, avec moi dans
mon Royaume ». Là, dans tous ses exemples, on voit
un cœur mû de miséricorde.
« Viscera misericordiae »
veut dire aussi « ressources ». Là, dans
l’affaire du Christ, nul doute que la miséricorde
fut sa « ressource ». Il était plein de miséricorde,
d’une richesse sans fin, une source débordante
et sans cesse alimentée de miséricorde. Voilà,
l’archétype du Royaume des cieux. Voilà
le « formel » de ce Royaume…
Etonnez-vous alors d’entendre
Saint Paul vous dire, à votre tour, dans ce Royaume des
Cieux dont vous êtes membres, « revêtez-vous
des viscères de miséricorde », « Induite
vos viscera misericordiae ».
Oui cette expression est à
retenir.
On la retrouve souvent, du reste,
sous la plume de saint Paul.
Par exemple, lorsqu’il parle de l’affection que
Tite a pour les Corinthiens, il écrit : « Viscera
eius(Titit) abundantius in vobis sunt ». Et c’est
bien traduit par Crampon : « son coeur « viscera
» ressent pour vous un redoublement d’affection
». « Viscera » est ici traduit par le «
cœur » qui connote l’affection et qui exprime
aussi une plénitude, une abondance d’affection,
de bonté.
Un autre exemple, dans l’exhortation
de saint Paul aux Philippiens : il les exhorte de vivre en bonne
intelligence…il leur écrit : « Si qua societas…si
qua viscera miserationis.. », « Si donc il y a quelque
union (societas), s’il y a quelque consolation de charité,
s’il y a quelque union d’esprit, s’il y a
quelque tendresse et quelque compassion, vous rendez ma joie
parfaite ».
« Viscera miserationis » que Crampon traduit par
« consolation de charité » c’est pas
mal vu, c’est pas mal traduit…
On retrouve cette expression, «
viscera », trois fois dans l’Epître à
Philémon. Là, saint Paul, après avoir baptisé,
à Rome, dans sa prison, Onéxien, l’esclave
en fuite de Philémon, le lui renvoie et lui demande de
le recevoir en esprit surnaturel, non plus comme esclave mais
comme « frère dans le Christ »
Et bien, au verset 7, « viscera » est traduit par
le « cœur » : « En effet nous avons ressenti
beaucoup de joie et de consolation au sujet de ta charité,
lui dit saint Paul, car les cœurs de saints ont été
ranimés par toi, frère ». « Viscera
sanctorum requieverunt per te, frater ». « Les coeurs
de saints ». Ici, l’on pourrait dire que «
viscera », c’est l’être même,
le constitutif formel du « saint », c’est-à-dire
du baptisé. Toit cela me parait très intéressant
à noter.
Un peu plus loin, dans la même
épître, au verset 12, on peut lire : « Je
te le renvoie, et toi accueille le, cet objet de ma tendresse…
», « Tu, illum (Onesime) mea viscera, suscipe..
»
Et au verset 20, on a : «
Oui frère, que j’obtienne de toi cette satisfaction,
dans le Seigneur, tranquillise mon cœur dans le Seigneur
». En latin, on a : « Refice viscera mea in Domino
».
Saint Paul parle aussi «
des entrailles de Jésus-Christ » : « Car
Dieu m’est témoin que je vous aime tous dans les
entrailles de Jésus-Christ », « Cupiam omnes
vos in visceris Jesu-Christi ».
Ainsi, on est obligé de conclure que la miséricorde
est le formel du Christ Jésus. Elle en est le cœur.
Dès lors, la miséricorde est vraiment l’essentiel
de son Royaume.
Mais la miséricorde n’est
pas la seule « note » de ce Royaume.
Il y a aussi la bonté, la
« bénignité ». Saint Paul vous le
dit : « Revêtez-vous de bénignité
» ;
La bénignité, en latin « benignitas »
en grec, « chrestotes », c’est une forme de
la charité de Dieu. Ce mot dit à la fois «
la bienveillance pleine de délicatesse » et «
la libéralité ». Ou si vous préférez,
la bénignité, c’est la libéralité
de l’être bon. La bénignité est surtout
une manifestation de bienveillance désintéressée,
faite de gentillesse ou de miséricorde et qui est l’apanage
des cœurs magnanimes. C’est une vertu finalement
de grand seigneur. C’est une bonté généreuse
et spontanée faite de magnanimité.
La « chrestos », c’est donc la bienveillance,
l’amabilité, la douceur, l’obligeance, la
bienfaisance, le dévouement. C’est la « dulcis
» ou le « suavis » latin. C’est ainsi,
du reste, que traduit la Vulgate. La « chrestotes, c’est
la « dulcedo », la « benignitas ». La
bénignité, appliquée aux choses, dira leur
douceur. Au sens figuré, appliqué aux hommes,
la bénignité fera sur les esprits et les cœurs,
une impression comparable. Elle connote, douceur, indulgence,
condescendance.
Ainsi la bénignité
est, de faite, attribuée, par Saint Paul, au Christ Seigneur.
C’est clair dans son épître
à Tite au chapitre 3, verset 4 : « Mais lorsque
la bénignité et la philanthropie de Dieu, notre
Sauveur sont apparues… ». Saint Paul conçoit
le plan de salut en fonction de la bénignité de
Dieu. Dans le Christ, elle apparaît. Elle se manifeste.
Le Christ est la bénignité du Père, sa
révélation. Alors, la bénignité
de Dieu n’est pas seulement bienveillante et miséricordieuse.
Elle est bienfaisante et agissante. « Lorsque la bénignité
de Dieu, Notre Sauveur , est apparue… ». Nous fûmes
sauvés selon la miséricorde de Dieu lorsque la
bénignité…de Notre Dieu Sauveur fut manifestée
par la naissance de Jésus. Cette bénignité
n’est pas seulement intérieure, du cœur, elle
agit et décrète les moyens de salut. Elle décide
l’envoi d’un Sauveur. Ainsi le Christ est l’expression
vivante, l’incarnation de la bénignité divine.
Et sa vie, de faite, pendant 30
ans, sera comme une épiphanie de douce bonté,
miséricordieuse, bienfaisante, notamment dans le tendre
accueil qu’il réservait aux foules indiscrètes,
aux pécheurs repentants. L’invitation qu’il
adressait aux cœurs las et trop chargés, la prédilection
qu’il montrait aux pauvres, les miracles qu’il opérait
en faveur des malades, le prouve. O combien ! La bénignité
est certainement le trait dominant de la physionomie du Christ,
celui qui résume le mieux sa personne et son ministère.
La bénignité, parce
qu’elle est la « note » du Christ, est aussi
la forme du Royaume des cieux. Dès lors, elle l’est
du fidèle, du disciple du Christ, membre, cause matérielle,
de ce Royaume. La caractéristique du fidèle…la
caractéristique du prêtre, du messager du salut
divin, ne peut être que la bénignité. «
Induite vos benignitatem ». Autrement dit, ayez un cœur
tendre, bon miséricordieux…pardonnez volontiers,
comme en souriant, les torts, les injures. Ignorez la vengeance.
« De même que le Christ vous a pardonné,
pardonnez vous aussi ». « Que la paix du Christ
triomphe dans vos cœurs, cette paix à laquelle vous
avez été appelés en formant un seul corps
»…Ce sont là tout naturellement des manifestations
de grande bonté.
Tout cela est beau, attirant…
Mais, au sujet de ce Royaume des
cieux, il y a une autre réalité plus troublant,
plus mystérieuse, plus étonnante : Le mystère
du mal, le mystère de la permanence du mal, au milieu
du bien. Notre Seigneur nous le révèle ici, en
ce dimanche. C’est la parabole du semeur, qui, la nuit,
vient dans ce champ, semer l’ivraie. L’enseignement
est clair : « Le royaume des Cieux est comparable à
un homme qui avait semé de la bonne semence dans son
champ. Mais pendant que les gens dormaient, son ennemi vint,
il sema de l’ivraie au milieu du blé, et il s’en
alla. Lorsque grandit le plant et qu’il forma son fruit,
alors l’ivraie apparut aussi…Mais, Seigneur, d’où
vient que d’en votre champ, il s’y trouve de l’ivraie
? Il leur répondit : c’est une ennemi qui a fait
cela… Veux-tu que nous allions le ramasser ? Non…Laissez
les croître tous les deux ensemble jusqu’à
la moisson et au moment de la moisson, je dirai au moissonneurs
; enlevez d’abord l’ivraie, et liez-la en bottes
pour la brûler, mais le blé, recueillez-le dans
mon grenier »…c’est bien l’affirmation
de la permanence du mal dans ce Royaume de Dieu… C’est
ainsi.
Notre Seigneur donnera lui-même
l’intelligence de cette parabole à ses disciples.
On le trouve toujours dans saint Mathieu, à la suite
de la parabole. Ecoutez : « Seigneur, expliquez nous la
parabole de l’ivraie semée dans le champ. Il répondit
: « Celui qui sème le bon grain, c’est le
Fils de l’homme ; le champ, c’est le monde ; le
bon grain, ce sont les fils du royaume ; l’ivraie, les
fils du Malin ; l’ennemi qui l’a semé, c’est
le diable ; la moisson, la fin du monde ; les moissonneurs ce
sont les anges. Comme on cueille l’ivraie et qu’on
le brûle dans le feu, ainsi en sera-t-il à la fin
du monde. Le Fils de l’homme enverra ses anges et ils
enlèveront de son royaume tous les scandales et ceux
qui commettent l’iniquité, et ils les jetteront
dans la fournaise ardente : c’est là qu’il
y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors les justes
resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur père.
Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ».
La même idée est reprise
en d’autres paraboles, celle du filet, celle de la robe
nuptiale, des vierges sages et folles ; également dans
l’évocation du jugement où les bons seront
séparés des mauvais…Cet enseignement dans
la bouche du Seigneur est trop constant, trop fréquent
pour ne pas y voir une vérité certaine, une réalité
du Royaume de Dieu…A nous d’en prendre acte et de
nous mettre en garde…
B- L’encyclique
de Benoît XVI
Jean Madiran, le samedi 28 janvier,
a présenté à ses lecteurs de Présent,
l’encyclique de Benoît XVI. Comme toujours, il fait
des remarques, astucieuses et vraies, incontournables…
Voici son commentaire :
« Au moment de mourir, le
cardinal Mazarin dit au prêtre venu l’assister —
Ne me parlez, je vous prie, que des miséricordes de Dieu,
car pour ses jugements, je n’en suis que trop pénétré.
La première encyclique de
Benoît XVI semble rédigée comme s’il
avait entendu un monde vieilli, arrivé au bout de ses
forces, lui adresser la même prière.
On a beaucoup commenté le
long silence supposé de Benoît XVI après
son élection. Il avait pourtant adressé le 22
décembre un substantiel discours à la curie romaine
; il avait auparavant reçu le nouvel ambassadeur de France
avec une allocution indiquant comment il voit l’identité
et la politique de notre pays. Et néanmoins il était
désigné comme « le pape du silence »
jusque dans La Croix, qui imaginait le 31 décembre :
« Le silence de Benoît XVI remplit la place
Saint-Pierre. »
En fait, Benoît XVI a publié
Deus caritas est neuf mois après son élection.
Ce n’est pas un délai excessif ou inhabituel. Yves
Chiron a opportunément rappelé dans son Aletheia
qu’il avait fallu : —treize mois à Paul VI
; —huit mois à Jean XXIII ; —sept mois et
demi à Pie XII ; —neuf mois (et demi) à
Pie XI. Saint Pie X, lui, n’avait mis que deux mois. Mais
ce n’est pas pour cela qu’il est le seul pape moderne
canonisé.
Les premiers mots d’une encyclique
constituent aussi son titre. Ils peuvent être de simples
repères bibliographiques, qui n’annoncent rien
de son contenu, comme Quas primas de Pie XI sur la royauté
sociale de NSJC. Ils peuvent inciter à quelque méprise
: Rerum novarum (« les choses nouvelles ») de Léon
XIII était un titre qui n’annonçait pas
une ouverture joyeuse aux nouveautés, mais au contraire
une déploration de leur funeste multiplication. Les premiers
mots
de l’encylique de Benoît XVI, ce n’est évidemment
pas un hasard mais une intention, sont l’annonce même
de la bonne nouvelle, l’« évangile »,
la certitude d’une révélation venue d’en
haut. On a beaucoup dit :
Ce n’est pas un programme
du pontificat. Pourquoi pas ?
Mais il est vrai que le genre littéraire
de cette encyclique n’est pas celui d’un programme
pontifical. L’aspect le plus frappant au premier abord
est sa grande densité méditative. Le lecteur se
trouve engagé dans ce que l’on appelle une
lecture de spiritualité. Il se trouve comme conduit par
la main en plein examen de conscience et en pleine oraison ;
ramené à sa place dans l’être historique
de l’Eglise, dans l’histoire du salut, dont la réalité
tout entière lui est en quelque sorte rendue présente.
Aux meilleurs passages, aux meilleurs moments, on rencontre
non pas un pape plutôt
qu’un autre, non pas une pensée plutôt qu’une
autre, mais la foi même de l’Eglise, dans l’obscure
et paisible lumière de son mystère.
Paragraphe 27, Benoît XVI
rappelle au passage quand et comment « s’est développée
une doctrine sociale catholique » : « En 1891, le
magistère pontifical intervint par l’encyclique
Rerum novarum de Léon XIII. Il y eut ensuite l’encyclique
de Pie XI Quadragesimo anno. Le bienheureux pape Jean-Paul XXIII
publia en 1961 l’encyclique Mater et magistra ; pour sa
part Paul VI… [etc., et ainsi de suite, jusqu’au]
Compendium de la doctrine sociale de ,l’Eglise »
[qui « résume » l’état de fait
de l’enseignement social de l’Eglise dans les dernières
années du pontificat de Jean-Paul II]. On le voit, il
y a dans cette énumération comme un trou noir
de dix-neuf années entre Pie XI (mort
en 1939) et Jean XXIII (élu pape en 1958). C’est
la nouvelle coutume vaticane, le cardinal Ratzinger l’avait
déjà trouvée bien installée, Benoît
XVI ne fait pour le moment que s’y conformer telle qu’il
l’a reçue. C’est Jean XXIII qui avait inauguré
cette coutume nouvelle, réduisant à quasiment
rien l’apport de Pie XII à la « doctrine
sociale », ce qui a évolué jusqu’à
l’absence complète où le voici. Quant à
saint Pie X, sa canonisation par Pie XII ne l’a pas durablement
fait sortir du… purgatoire où on a trouvé
commode de le mettre en résidence surveillée.
Mais avec les saints, on ne sait jamais. Comme l’assurait
Jacques Perret à propos de saint Michel, ils n’ont
jamais dit leur dernier mot.
JEAN MADIRAN
C-Avec Sainte Thérèse de
Lisieux,
méditons sur la Charité.
Benoît XVI, par son encyclique,
remet en honneur, la plus belle des vertus chrétiennes,
la charité. Nous apprendrons à aimer cette vertu
en lisant ces belles pages de sainte Thérèse de
l’Enfant Jésus. Ces pages sont claires, sont limpides.
Elles sont catholiques. Elles sont simples et pleines de génie
et enthousiasmantes. Après avoir lu de telles pages,
on se sent meilleur, attiré par la charité. C’est
à la portée de tous, du plus simple comme du plus
intelligent. C’est le génie du saint, de la sainteté
de mettre à la portée de tous, les plus belles
choses et les plus complexes.
Histoire d'un Ame - Manuscrit B
MANUSCRIT B
Manuscrit B Folio 1 Recto.
La Vocation de l’Amour
J. M. J. T.
(Septembre 1896)
Jésus +
O ma Soeur chérie ! vous me demandez de vous donner un
souvenir de ma retraite, (NHA 901) retraite qui peut-être
sera la dernière... (NHA 902) Puisque notre Mère
(NHA 903) le permet c’est une joie pour moi de venir m’entretenir
avec vous qui êtes deux fois ma Soeur, avec vous qui m’avez
prêté votre voix, promettant en mon nom que je
ne voulais servir que Jésus, alors qu’il ne m’était
pas possible de parler... Chère petite Marraine, c’est
l’enfant que vous avez offerte au Seigneur qui vous parle
ce soir, c’est elle qui vous aime comme une enfant sait
aimer sa Mère... Au Ciel seulement vous connaîtrez
toute la reconnaissance qui déborde de mon coeur... O
ma Soeur chérie ! vous voudriez entendre les secrets
que Jésus confie à votre petite fille, ces secrets
Il vous les confie, je le sais, car c’est vous qui m’avez
appris à recueillir les enseignements Divins, cependant
je vais essayer de balbutier quelques mots, bien que je sente
qu’il est impossible à la parole humaine de redire
des choses que le coeur humain peut à peine pressentir...
(1Co 2,9) Ne croyez pas que je nage dans les consolations, oh
non ! ma consolation c’est de n’en pas avoir sur
la terre. Sans se montrer, sans faire entendre sa voix, Jésus
m’instruit dans le secret, ce n’est pas par le moyen
des livres, car je ne comprends pas ce que je lis, mais parfois
une parole comme celle-ci que j’ai tirée à
la fin de l’oraison (après être restée
dans le silence et la sécheresse) vient me consoler :
Voici le maître que je te donne, il t’apprendra
tout ce que tu dois faire. Je veux te faire lire dans le livre
de vie, où est contenue la science d’AMOUR. "
(NHA 904) La science d’Amour, ah oui ! cette parole résonne
doucement à l’oreille de mon âme, je ne désire
que cette science-là. Pour elle, ayant donné toutes
mes richesses, j’estime comme l’épouse des
sacrés cantiques n’avoir rien donné... (NHA
905) (Ct 8,7) Je comprends si bien qu’il n’y a que
l’amour qui puisse nous rendre agréables au Bon
Dieu que cet amour est le seul bien que j’ambitionne.
Jésus se plaît à me montrer l’unique
chemin qui conduit à cette fournaise Divine, ce chemin
c’est l’abandon du petit enfant qui s’endort
sans crainte dans les bras de son Père... " Si quelqu’un
est tout petit, qu’il vienne à moi. " (NHA
906) a dit l’Esprit Saint par la bouche de Salomon et
ce même Esprit d’Amour a dit encore que " La
miséricorde est accordée aux petits. " (Pr
9,4 Sg 6,7) (NHA 907) En son nom, le prophète Isaïe
nous révèle qu’au dernier jour " Le
Seigneur conduira son troupeau dans les pâturages, qu’il
rassemblera les petits agneaux et les pressera sur son sein.
" (Is 40,11) (NHA 908) et comme si toutes ces promesses
ne suffisaient pas, le même prophète dont le regard
inspiré plongeait déjà dans les profondeurs
éternelles, s’écrie au nom du Seigneur :
" Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous
consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous caresserai
sur mes genoux. " (NHA 909) (Is 66,12-13) O Marraine chérie
! après un pareil langage, il n’y a plus qu’à
se taire, à pleurer de reconnaissance
Manuscrit B Folio 1 Verso.
et d’amour... Ah ! si tontes les âmes faibles et
imparfaites sentaient ce que sent la plus petite de toutes les
âmes, l’âme de votre petite Thérèse,
pas une seule ne désespérerait d’arriver
au sommet de la montagne de l’Amour, puisque Jésus
ne demande pas de grandes actions, mais seulement l’abandon
et la reconnaissance, puisqu’il a dit dans le Psaume XLIX
: " Je n’ai nul besoin des boucs de vos troupeaux,
parce que toutes les bêtes des forêts m’appartiennent
et les milliers d’animaux qui paissent sur les collines,
je connais tous les oiseaux des montagnes... Si j’avais
faim, ce n’est pas à vous que je le dirais : car
la terre et tout ce qu’elle contient est à moi.
Est-ce que je dois manger la chair des taureaux et boire le
sang des boucs ?... IMMOLEZ A DIEU des SACRIFICES de LOUANGES
et d’ACTIONS DE GRACES. " (NHA 910) (Ps 50,9-14)
Voilà donc tout ce que Jésus réclame de
nous, il n’a point besoin de nos oeuvres, mais seulement
de notre amour, car ce même Dieu qui déclare n’avoir
pas besoin de nous dire s’il a faim, n’a pas craint
de mendier un peu d’eau à la Samaritaine. Il avait
soif... Mais en disant : " Donne moi à boire. "
(NHA 911) (Jn 4,6-13) c’était l’amour de
sa pauvre créature que le Créateur de l’univers
réclamait. Il avait soif d’amour... Ah ! je le
sens plus que jamais Jésus est altéré,
Il ne rencontre que des ingrats et des indifférents parmi
les disciples du monde et parmi ses disciples à lui,
il trouve, hélas ! peu de coeurs qui se livrent à
lui sans réserve, qui comprennent toute la tendresse
de son Amour infini. Soeur chérie, que nous sommes heureuses
de comprendre les intimes secrets de notre époux, ah
! si vous vouliez écrire tout ce que vous en connaissez,
nous aurions de belles pages à lire, mais je le sais,
vous aimez mieux garder au fond de votre coeur " Les secrets
du Roi, " à moi vous dites " Qu’il est
honorable de publier les oeuvres du Très-Haut. "
(NHA 912) (Tb 12,7) Je trouve que vous avez raison de garder
le silence et ce n’est uniquement qu’afin de vous
faire plaisir que j’écris ces pages, car je sens
mon impuissance à redire avec des paroles terrestres
les secrets du Ciel et puis, après avoir tracé
des pages et des pages, je trouverais n’avoir pas encore
commencé... Il y a tant d’horizons divers, tant
de nuances variées à l’infini, que la palette
du Peintre Céleste pourra seule, après la nuit
de cette vie, me fournir les couleurs capables de peindre les
merveilles qu’il découvre à l’oeil
de mon âme. Ma Soeur Chérie, vous m’avez
demandé de vous écrire mon rêve et "
ma petite doctrine, " comme vous l’appelez... Je
l’ai fait dans les pages suivantes mais si mal qu’il
me semble impossible que vous compreniez. Peut-être allez-vous
trouver mes expressions exagérées... Ah ! pardonnez-moi,
cela doit tenir à mon style peu agréable, je vous
assure qu’il n’est aucune exagération dans
ma petite âme, que tout y est calme et reposé...
(En écrivant, c’est à Jésus que je
parle, cela m’est plus facile pour exprimer mes pensées...
Ce qui, hélas ! n’empêche pas qu’elles
soient bien mal exprimées !
Manuscrit B Folio 2 Recto.
J. M. J. T.
8 Septembre 1896 (NHA 913)
(A ma chère Soeur Marie du Sacré-Coeur.)
O Jésus, mon Bien-Aimé ! qui pourra dire avec
quelle tendresse, quelle douceur, vous conduisez ma petite âme
! comment il vous plaît de faire luire le rayon de votre
grâce au milieu même du plus sombre orage ?... Jésus,
l’orage grondait bien fort dans mon âme depuis la
belle fête de votre triomphe, la radieuse fête de
Pâques, lorsqu’un samedi du mois de mai, (NHA 914)
pensant aux songes mystérieux qui sont parfois accordés
à certaines âmes, je me disais que ce devait être
une bien douce consolation, cependant je ne la demandais pas.
Le soir, considérant les nuages qui couvraient son ciel,
ma petite âme se disait encore que les beaux rêves
n’étaient pas pour elle, et sous l’orage
elle s’endormit... Le lendemain était le 10 mai,
le deuxième DIMANCHE du mois de Marie, peut-être
l’anniversaire du jour où la Sainte Vierge daigna
sourire à sa petite fleur... (NHA 915) Aux premières
lueurs de l’aurore, je me trouvai (en rêve) dans
une sorte de galerie, il y avait plusieurs autres personnes,
mais éloignées. Notre Mère seule était
auprès de moi, out à coup sans avoir vu comment
elles étaient entrées, j’aperçus
trois carmélites revêtues de leurs manteaux et
grands voiles, il me sembla qu’elles venaient pour notre
Mère, mais ce que je compris clairement, c’est
qu’elles venaient du Ciel. Au fond de mon coeur, je m’écriai
: Ah ! que je serais heureuse de voir le visage d’une
de ces carmélites ! Alors comme si ma prière avait
été entendue par elle, la plus grande des saintes
s’avança vers moi ; aussitôt je tombai à
genoux. Oh ! bonheur ! la Carmélite leva son voile ou
plutôt le souleva et m’en couvrit... sans aucune
hésitation, je reconnus la vénérable Mère
Anne de Jésus (NHA 916) la fondatrice du Carmel en France.
Son visage était beau, d’une beauté immatérielle,
aucun rayon ne s’en échappait et cependant malgré
le voile qui nous enveloppait toutes les deux, je voyais ce
céleste visage éclairé d’une lumière
ineffablement douce, lumière qu’il ne recevait
pas mais qu’il produisait de lui-même... Je ne saurais
redire l’allégresse de mon âme, ces choses
se sentent et ne peuvent s’exprimer... Plusieurs mois
se sont écoulés depuis ce doux rêve, cependant
le souvenir qu’il laisse en mon âme n’a rien
perdu de sa fraîcheur, de ses charmes Célestes...
Je vois encore le regard et le sourire PLEINS d’AMOUR
de la Vénérable Mère. Je crois sentir encore
les caresses dont elle me combla... Me voyant si tendrement
aimée, j’osai prononcer ces paroles : " O
ma Mère ! je vous en supplie, dites-moi si le Bon Dieu
me laissera longtemps sur la terre... Viendra-t-Il bientôt
me chercher ?... " Souriant avec tendresse, la sainte murmura
: " Oui, bientôt, bientôt,... Je vous le promets.
" " Ma Mère, ajoutai-je, dites-moi encore si
le Bon Dieu ne me demande pas quelque chose
Manuscrit B Folio 2 Verso .
de plus que mes pauvres petites actions et mes désirs.
Est-Il content de moi ? " La figure de la Sainte prit une
expression incomparablement plus tendre que la première
fois qu’elle me parla. Son regard et ses caresses étaient
la plus douce des réponses. Cependant elle me dit : "
Le Bon Dieu ne demande rien autre chose de vous. Il est content,
très content !... " Après m’avoir encore
caressée avec plus d’amour que ne l’a jamais
fait pour son enfant la plus tendre des mères, je la
vis s’éloigner... Mon coeur était dans la
joie mais je me souvins de mes soeurs, et je voulus demander
quelques grâces pour elles, hélas !... je m’éveillai
!... O Jésus ! l’orage alors ne grondait pas, le
ciel était calme et serein... je croyais, je sentais
qu’il y a un ciel et que ce Ciel est peuplé d’âmes
qui me chérissent, qui me regardent comme leur enfant...
Cette impression reste dans mon coeur, d’autant mieux
que la Vénrable Mère Anne de Jésus m’avait
été jusqu’alors absolument indifférente,
je ne l’avais jamais invoquée et sa pensée
ne me venait à l’esprit qu’en entendant parler
d’elle, ce qui était rare. Aussi lorsque j’ai
compris à quel point elle m’aimait, combien je
lui étais peu indifférente, mon coeur s’est
fondu d’amour et de reconnaissance, non seulement pour
la Sainte qui m’avait visitée, mais encore pour
tous les Bienheureux habitants du Ciel. O mon Bien-Aimé
! cette grâce n’était que le prélude
de grâces plus grandes dont tu voulais me combler ; laisse-moi,
mon unique Amour, te les rappeler aujourd’hui... aujourd’hui,
le sixième anniversaire de notre union... Ah ! pardonne-moi
Jésus, si je déraisonne en voulant te dire mes
désirs, mes espérances qui touchent à l’infini,
pardonne-moi et guéris mon âme en lui donnant ce
qu’elle espère !... Etre ton épouse, ô
Jésus, être carmélite, être par mon
union avec toi la mère des âmes, cela devrait me
suffire... il n’en est pas ainsi... Sans doute, ces trois
privilèges sont bien ma vocation, Carmélite, Epouse
et Mère, cependant je sens en moi d’autres vocations,
je me sens la vocation de GUERRIER, de PRETRE, d’APOTRE,
de DOCTEUR, de MARTYR ; enfin, je sens le besoin, le désir
d’accomplir pour toi Jésus toutes les oeuvres les
plus héroïques... Je sens en mon âme le courage
d’un Croisé, d’un Zouave Pontifical, je voudrais
mourir sur un champ de bataille pour la défense de l’Eglise...
Je sens en moi la vocation de PRETRE ; avec quel amour, ô
Jésus, je te porterais dans mes mains lorsque, à
ma voix, tu descendrais du Ciel... Avec quel amour je te donnerais
aux âmes !... Mais hélas ! tout en désirant
d’être Prêtre, j’admire et j’envie
l’humilité de Saint François d’Assise
et je me sens la vocation de l’imiter en refusant la sublime
dignité du Sacerdoce. O Jésus ! mon amour, ma
vie... comment allier ces contrastes ?
Manuscrit B Folio 3 Recto.
Comment réaliser les désirs de ma pauvre petite
âme ?... Ah ! malgré ma petitesse, je voudrais
éclairer les âmes comme les Prophètes, les
Docteurs, j’ai la vocation d’être Apôtre...
je voudrais parcourir la terre, prêcher ton nom et planter
sur le sol infidèle ta Croix glorieuse, mais, ô
mon Bien-Aimé, une seule mission ne me suffirait pas,
je voudrais en même temps annoncer l’Evangile dans
les cinq parties du monde et jusque dans les îles les
plus reculées... (Is 66,19) Je voudrais être missionnaire
non seulement pendant quelques années, mais je voudrais
l’avoir été depuis la création du
monde et l’être jusqu’à la consommation
des siècles... Mais je voudrais par-dessus tout, ô
mon Bien-Aimé Sauveur, je voudrais verser mon sang pour
toi jusqu’à la dernière goutte... Le Martyre,
voilà le rêve de ma jeunesse, ce rêve il
a grandi avec moi sous les cloîtres du Carmel... Mais
là encore, je sens que mon rêve est une folie,
car je ne saurais me borner à désirer un genre
de martyre... Pour me satisfaire, il me les faudrait tous...
Comme toi, mon époux Adoré, je voudrais être
flagellée et crucifiée... Je voudrais mourir dépouillée
comme Saint Barthélémy... Comme Saint Jean, je
voudrais être plongée dans l’huile bouillante,
je voudrais subir tous les supplices infligés aux martyrs...
Avec Sainte Agnès et Sainte Cécile, je voudrais
présenter mon cou au glaive et comme Jeanne d’Arc,
ma soeur chérie, je voudrais sur le bûcher murmurer
ton nom, ô JÉSUS... En songeant aux tourments qui
seront le partage des chrétiens au temps de l’Antéchrist,
je sens mon coeur tressaillir et je voudrais que ces tourments
me soient réservés... (NHA 917) Jésus,
Jésus, si je voulais écrire tous mes désirs,
il me faudrait emprunter ton livre de vie, (NHA 918) (Ap 20,12)
là sont rapportées les actions de tous les Saints
et ces actions, je voudrais les avoir accomplies pour toi...
O mon Jésus ! à toutes mes folies que vas-tu répondre
?... Y a-t-il une âme plus petite, plus impuissante que
la mienne !... Cependant à cause même de ma faiblesse,
tu t’es plu, Seigneur, à combler mes petits désirs
enfantins, et tu veux aujourd’hui, combler d’autres
désirs plus grands que l’univers... A l’oraison
mes désirs me faisant souffrir un véritable martyre,
j’ouvris les épîtres de Saint Paul afin de
chercher quelque réponse. Les chapitres XII et XIII de
la première épître aux Corinthiens me tombèrent
sous les yeux... J’y lus, dans le premier, que tous ne
peuvent être apôtres, prophètes, docteurs,
etc... que l’Eglise est composée de différents
membres et que l’oeil ne saurait être en même
temps la main... (NHA 919) (1Co 12,21 12,29) La réponse
était claire mais ne comblait pas mes désirs,
elle ne me donnait pas la paix... Comme Madeleine se baissant
toujours auprès du tombeau vide (Jn 20,11-18) finit par
trouver
Manuscrit B Folio 3 Verso
(fin du folio 3r, pour citation) (Comme Madeleine se baissant
toujours auprès du tombeau vide finit par trouver) ...03v...
ce qu’elle cherchait, ainsi, m’abaissant jusque
dans les profondeurs de mon néant je m’élevai
si haut que je pus atteindre mon but. (NHA 920) Sans me décourager
je continuai ma lecture et cette phrase me soulagea : "
Recherchez avec ardeur les DONS les PLUS PARFAITS, mais je vais
encore vous montrer une voie plus excellente. " (Jn 20,11-18)
(NHA 921) Et l’Apôtre explique comment tous les
dons les plus PARFAITS ne sont rien sans l’AMOUR... Que
la Charité est la VOIE EXCELLENTE qui conduit sûrement
à Dieu. Enfin j’avais trouvé le repos...
Considérant le corps mystique de l’Eglise, je ne
m’étais reconnue dans aucun des membres décrits
par Saint Paul, ou plutôt je voulais me reconnaître
en tous... La Charité me donna la clef de ma vocation.
Je compris que si l’Eglise avait un corps, composé
de différents membres, (1Co 13,1-3) le plus nécessaire,
le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l’Église
avait un Coeur, et que ce Coeur était BRULANT d’AMOUR.
Je compris que l’Amour seul faisait agir les membres de
l’Eglise, que si l’Amour venait à s’éteindre,
les Apôtres n’annonceraient plus l’Evangile,
les Martyrs refuseraient de verser leur sang... Je compris que
l’AMOUR RENFERMAIT TOUTES LES VOCATIONS, QUE L’AMOUR
ETAIT TOUT, QU’IL EMBRASSAIT TOUS LES TEMPS ET TOUS LES
LIEUX ... EN UN MOT, QU’IL EST ETERNEL ! ... Alors, dans
l’excès de ma joie délirante, je me suis
écriée : O Jésus, mon Amour... ma vocation,
enfin je l’ai trouvée, MA VOCATION, C’EST
L’AMOUR !... Oui j’ai trouvé ma place dans
l’Eglise et cette place, ô mon Dieu, c’est
vous qui me l’avez donnée... dans le Coeur de l’Eglise,
ma Mère, je serai l’AMOUR... ainsi je serai tout...
ainsi mon rêve sera réalisé !... (1Co 13,1-4)
Pourquoi parler d’une joie délirante ? non, cette
expression n’est pas juste, c’est plutôt la
paix calme et sereine du navigateur apercevant le phare qui
doit le conduire au port... O Phare lumineux de l’amour,
je sais comment arriver jusqu’à toi, j’ai
trouvé le secret de m’approprier ta flamme. Je
ne suis qu’une enfant, impuissante et faible, cependant
c’est ma faiblesse même qui me donne l’audace
de m’offrir en Victime à ton Amour, ô Jésus
! Autrefois les hosties pures et sans taches étaient
seules agréées par le Dieu Fort et Puissant. Pour
satisfaire la justice Divine, il fallait des victimes parfaites,
mais à la loi de crainte a succédé la loi
d’Amour, et l’Amour m’a choisie pour holocauste,
moi, faible et imparfaite créature... (Ps 24,8) (Lv 22,18-25)
Ce choix n’est-il pas digne de l’Amour ? Oui, pour
que l’Amour soit pleinement satisfait, il faut qu’il
s’abaisse, qu’il s’abaisse jusqu’au
néant et qu’il transforme en feu ce néant...
Manuscrit B Folio 4 Recto .
O Jésus, je le sais, l’amour ne se paie que par
l’amour, (NHA 922) aussi j’ai cherché, j’ai
trouvé le moyen de soulager mon coeur en te rendant Amour
pour Amour. " Employez les richesses qui rendent injustes
à vous faire des amis qui vous reçoivent dans
les tabernacles éternels. " (NHA 923) (Lc 16,9)
Voilà, Seigneur le conseil que tu donnes à tes
disciples après leur avoir dit que " Les enfants
de ténèbres sont plus habiles dans leurs affaires
que les enfants de lumière. " (NHA 924) (Lc 16,8)
Enfant de lumière, j’ai compris que mes désirs
d’être tout, d’embrasser toutes les vocations,
étaient des richesses qui pourraient bien me rendre injuste,
alors je m’en suis servie à me faire des amis...
Me souvenant de la prière d’Elisée à
son Père Elie, lorsqu’il osa lui demander SON DOUBLE
ESPRIT, (NHA 925) je me suis présentée devant
les Anges et les Saints, et je leur ai dit : " Je suis
la plus petite des créatures, je connais ma misère
et ma faiblesse, mais je sais aussi combien les coeurs nobles
et généreux aiment à faire du bien, je
vous supplie donc, ô Bienheureux habitants du Ciel, je
vous supplie de M’ADOPTER POUR ENFANT, à vous seuls
sera la gloire que vous me ferez acquérir mais daignez
exaucer ma prière, elle est téméraire,
je le sais, cependant j’ose vous demander de m’obtenir
: VOTRE DOUBLE AMOUR. " (2R 2,9 Ap 8,3) Jésus, je
ne puis approfondir ma demande, je craindrais de me trouver
accablée sous le poids de mes désirs audacieux...
Mon excuse, c’est que je suis une enfant, les enfants
ne réfléchissent pas à la portée
de leurs paroles, cependant leurs parents, lorsqu’ils
sont placés sur le trône, qu’ils possèdent
d’immenses trésors, n’hésitent pas
à contenter les désirs des petits êtres
qu’ils chérissent autant qu’eux-mêmes
; pour leur faire pIaisir, ils font des folies, ils vont jusqu’à
la faiblesse... Eh bien ! moi je suis l’Enfant de l’Eglise,
et l’Eglise est Reine puisqu’elle est ton épouse,
ô Divin Roi des Rois... Ce ne sont pas les richesses et
la Gloire, (même la Gloire du Ciel) que réclame
le coeur du petit enfant... La gloire, il comprend qu’elle
appartient de droit à ses Frères, les Anges et
les Saints... Sa gloire à lui sera le reflet de celle
qui jaillira du front de sa Mère. Ce qu’il demande
c’est l’Amour... Il ne sait plus qu’une chose,
t’aimer, ô Jésus... Les oeuvres éclatantes
lui sont interdites, il ne peut prêcher l’Evangile,
verser son sang... mais qu’importe, ses frères
travaillent à sa place, et lui, petit enfant, il se tient
tout près du trône (Ap 14,3) du Roi et de la Reine,
il aime pour ses frères qui combattent... Mais comment
témoignera-t-il son Amour, puisque l’Amour se prouve
par les oeuvres ? Eh bien, le petit enfant jettera des fleurs,
il embaumera de ses parfums le trône royal, il chantera
de sa voix argentine le cantique de l’Amour... Oui mon
Bien-Æmé, voilà comment se consumera ma
vie... Je n’ai d’autre moyen de te prouver mon amour,
que de jeter des fleurs, c’est-à-dire de ne laisser
échapper aucun petit sacrifice, aucun regard,
Manuscrit B Folio 4 Verso .
aucune parole, de profiter de toutes les plus petites choses
et de les faire par amour... Je veux souffrir par amour et même
jouir par amour, ainsi je jetterai des fleurs devant ton trône
; je n’en rencontrerai pas une sans l’effeuiller
pour toi... puis en jetant mes fleurs, je chanterai, (pourrait-on
pleurer en faisant une aussi joyeuse action ?) je chanterai,
même lorsqu’il me faudra cueillir mes fleurs au
milieu des épines et mon chant sera d’autant plus
mélodieux que les épines seront longues et piquantes.
Jésus, à quoi te serviront mes fleurs et mes chants
?... Ah ! je le sais bien, cette pluie embaumée, ces
pétales fragiles et sans aucune valeur, ces chants d’amour
du plus petit des coeurs te charmeront, oui, ces riens te feront
plaisir, ils feront sourire l’Eglise Triomphante, elle
recueillera mes fleurs effeuillées par amour et les faisant
passer par tes Divines Mains, ô Jésus, cette Eglise
du Ciel, voulant jouer avec son petit enfant, jettera, elle
aussi, ces fleurs ayant acquis par ton attouchement divin une
valeur infinie, elle les jettera sur l’Eglise souffrante
afin d’en éteindre les flammes, elle les jettera
sur l’Eglise combattante afin de lui faire remporter la
victoire !... O mon Jésus ! je t’aime, j’aime
l’Eglise ma Mère, je me souviens que : " Le
plus petit mouvement de PUR AMOUR lui est plus utile que toutes
les autres oeuvres réunies ensemble " (NHA 926)
mais le PUR AMOUR est-il bien dans mon coeur... Mes immenses
désirs ne sont-ils pas un rêve, une folie ?...
Ah ! s’il en est ainsi, Jésus, éclaire-moi,
tu le sais, je cherche la vérité... si mes désirs
sont téméraires, fais-les disparaître car
ces désirs sont pour moi le plus grand des martyres...
Cependant je le sais, ô Jésus, après avoir
aspiré vers les régions les plus élevées
de l’Amour, s’il me faut ne pas les atteindre un
jour j’aurai goûté plus de douceur dans mon
martyre, dans ma folie, que je n’en goûterai au
sein des joies de la patrie, à moins que par un miracle
tu ne m’enlèves le souvenir de mes espérances
terrestres. Alors laisse-moi jouir pendant mon exil des délices
de l’amour... Laisse-moi savourer les douces amertumes
de mon martyre... Jésus, Jésus, s’il est
si délicieux le désir de t’Aimer qu’est-ce
donc de posséder, de jouir de l’Amour ?... Comment
une âme aussi imparfaite que la mienne peut-elle aspirer
à posséder la plénitude de l’Amour
?... 0 Jésus ! mon premier, mon seul Ami, toi que j’aime
UNIQUEMENT, dis-moi quel est ce mystère ?. .. Pourquoi
ne réserves-tu pas ces immenses aspirations aux grandes
âmes, aux Aigles qui planent dans les hauteurs ?... Moi
je me considère comme un faible petit oiseau couvert
seulement d’un léger duvet, je ne suis pas un aigle
j’en ai simplement les yeux et le coeur car malgré
ma petitesse extrême j’ose fixer le Soleil Divin,
le Soleil de l’Amour et mon coeur sent en lui toutes
Manuscrit B Folio 5 Recto .
les aspirations de l’Aigle... Le petit oiseau voudrait
voler vers ce brillant Soleil qui charme ses yeux, il voudrait
imiter les Aigles ses frères qu’il voit s’élever
jusqu’au foyer Divin de la Trinité Sainte... hélas
! tout ce qu’il peut faire, c’est de soulever ses
petites ailes, mais s’envoler, cela n’est pas en
son petit pouvoir ! Que va-t-il devenir ? mourir de chagrin
se voyant aussi impuissant ?... Oh non ! le petit oiseau ne
va pas même s’affliger. Avec un audacieux abandon,
il veut rester à fixer son Divin Soleil ; rien ne saurait
l’effrayer, ni le vent ni la pluie, et si de sombres nuages
viennent à cacher l’Astre d’Amour, le petit
oiseau ne change pas de place, il sait que par delà les
nuages son Soleil brille toujours, que son éclat ne saurait
s’éclipser un seul instant. Parfois il est vrai,
le coeur du petit oiseau se trouve assailli par la tempête,
il lui semble ne pas croire qu’il existe autre chose que
les nuages qui l’enveloppent ; c’est alors le moment
de la joie parfaite pour le pauvre petit être faible.
Quel bonheur pour lui de rester là quand même,
de fixer l’invisible lumière qui se dérobe
à sa foi !... Jésus, jusqu’à présent,
je comprends ton amour pour le petit oiseau, puisqu’il
ne s’éloigne pas de toi... mais je le sais et tu
le sais aussi, souvent, l’imparfaite petite créature
tout en restant à sa place (c’est-à-dire
sous les rayons du Soleil,) (Lc 10,41-42) se laisse un peu distraire
de son unique occupation, elle prend une petite graine à
droite et à gauche, court après un petit ver...
puis rencontrant une petite flaque d’eau elle mouille
ses plumes à peine formées, elle voit une fleur
qui lui plaît, alors son petit esprit s’occupe de
cette fleur... enfin ne pouvant planer comme les aigles, le
pauvre petit oiseau s’occupe encore des bagatelles de
la terre. Cependant après tous ses méfaits, au
lieu d’aller se cacher dans un coin pour pleurer sa misère
et mourir de repentir, le petit oiseau se tourne vers son Bien-Aimé
Soleil, il présente à ses rayons bienfaisants
ses petites ailes mouillées, il gémit comme l’hirondelle
(Is 38,14) et dans son doux chant il confie, il raconte en détail
ses infidélités pensant dans son téméraire
abandon acquérir ainsi plus d’empire, attirer plus
pleinement l’amour de Celui qui n’est pas venu appeler
les justes mais les pécheurs... (NHA 927) (Mt 9,13) Si
l’Astre Adoré demeure sourd aux gazouillements
plaintifs de sa petite créature, s’il reste voilé...
eh bien ! la petite créature reste mouillée, elle
accepte d’être transie de froid et se réjouit
encore de cette souffrance qu’elle a cependant méritée...
O Jésus ! que ton petit oiseau est heureux d’être
faible et petit, que deviendrait-il s’il était
grand ?... " Jamais il n’aurait l’audace de
paraître en ta présence, de sommeiller devant toi...
Oui, c’est là encore une faiblesse du petit oiseau
lorsqu’il veut fixer le Divin Soleil et que les nuages
l’empêchent de voir un seul rayon, malgré
lui ses petits yeux se ferment, sa petite tête se cache
sous la petite aile et le pauvre petit être s’endort,
croyant toujours fixer son Astre Chéri. A son réveil,
il ne se désole pas, son petit coeur reste en paix, il
recommence son office d’amour, il invoque les anges et
les Saints qui s’élèvent comme des Aigles
vers le Foyer dévorant, objet de son envie
Manuscrit B Folio 5 Verso .
et les Aigles prenant en pitié leur petit frère,
le protègent, le défendent et mettent en fuite
les vautours qui voudraient le dévorer. Les vautours,
images des démons, le petit oiseau ne les craint pas,
il n’est point destiné à devenir leur proie,
mais celle de l’Aigle qu’il contemple au centre
du Soleil d’Amour. 0 Verbe Divin, (Jn 1,1-3) c’est
toi l’Aigle adoré que J’aime et qui m’attire
! c’est toi qui t’élançant vers la
terre d’exil as voulu souffrir et mourir afin d’attirer
les âmes jusqu’au sein de l’éternel
Foyer de la Trinité Bienheureuse, c’est toi qui
remontant vers l’inaccessible Lumière (Mc 16,19)
qui sera désormais ton séjour, c’est toi
qui restes encore dans la vallée des larmes, (Ps 84,7)
caché sous l’apparence d’une blanche hostie...
Aigle Eternel tu veux me nourrir de ta divine substance, moi,
pauvre petit être, qui rentrerais dans le néant
si ton divin regard ne me donnait la vie à chaque instant...
0 Jésus ! laisse-moi dans l’excès de ma
reconnaissance, laisse-moi te dire que ton amour va jusqu’à
la folie.. . Comment veux-tu devant cette Folie que mon coeur
ne s’élance pas vers toi ? Comment ma confiance
aurait-elle des bornes ?... Ah ! pour toi, Je le sais, les Saints
ont fait aussi des folies, ils ont fait de grandes choses puisqu’ils
étaient des aigles... Jésus, je suis trop petite
pour faire de grandes choses... et ma folie à moi, c’est
d’espérer que ton Amour m’accepte comme victime...
Ma folie consiste à supplier les Aigles mes frères,
de m’obtenir la faveur de voler vers le Soleil de l’Amour
avec les propres ailes de l’Aigle Divin... (Dt 32,10-11)
(NHA 928) Aussi longtemps que tu le voudras, ô mon Bien
Aimé, ton petit oiseau restera sans forces et sans ailes,
toujours il demeurera les yeux fixés sur toi, il veut
être fasciné par ton regard divin, il veut devenir
la proie de ton Amour... Un jour, j’en ai l’espoir,
Aigle Adoré, tu viendras chercher ton petit oiseau, (Dt
32,11) et remontant avec lui au Foyer de l’Amour, tu le
plongeras pour l’éternité dans le brûlant
Abîme de Cet Amour auquel il s’est offert en victime...
O Jésus ! que ne puis-je dire à toutes les petites
âmes combien ta condescendance est ineffable... je sens
que si par impossible tu trouvais une âme plus faible,
plus petite que la mienne, tu te plairais à la combler
de faveurs plus grandes encore, si elle s’abandonnait
avec une entière confiance à ta miséricorde
infinie. (Lc 10,21) Mais pourquoi désirer communiquer
tes secrets d’amour, ô Jésus, n’est-ce
pas toi seul qui me les as enseignés et ne peux-tu pas
les révéler à d’autres ?... Oui je
le sais, et je te conjure de le faire, je te supplie d’abaisser
ton regard divin sur un grand nombre de petites âmes...
Je te supplie de choisir une légion de petites âmes
dignes de ton AMOUR !... La toute petite Soeur Thérèse
de l’Enfant Jésus de la Sainte Face rel. carm.
ind. (NHA 929)