Sur fond de polémique, "La Passion du
Christ" est sorti sur les écrans américains
LEMONDE.FR | 25.02.04 |
Le film du cinéaste ultra-conservateur Mel Gibson n'a
bénéficié d'aucune promotion mais sa vision "fondamentaliste" de
l'Evangile provoque un scandale.
La Passion du Christ, le film de l'acteur-réalisateur Mel Gibson sur la mort du Christ, est sorti, mercredi 25
février, sur les écrans américains. Salué par certains groupes chrétiens pour
son réalisme, le film est accusé par d'autres d'imprécisions historiques, de
violence exacerbée ou d'antisémitisme.
Devant l'ampleur de la polémique, les distributeurs ont
décidé de le projeter mercredi dans 4 000 salles au lieu des 2 500 initialement
prévues, en ce jour de fête chrétienne des Cendres qui marque le début du
carême dans le calendrier catholique, une date choisie à dessein, puisque les
films sortent d'habitude le vendredi aux Etats-Unis. Pour sa première semaine
d'exploitation, les professionnels prédisent jusqu'à trente millions de dollars
de recettes, un exploit pour un film en latin et en araméen, sans tête
d'affiche, sauf peut-être Monica Bellucci
dans le rôle de Marie-Madeleine.
"ÉVANGILES SELON LE MARQUIS DE SADE"
La controverse autour de cette "Passion" a commencé
début 2003, avant la fin du tournage, lorsque le scénario, qui narre à grand
renfort d'hémoglobine et d'images hyper-réalistes les
douze dernières heures de la vie du Christ, a commencé à être connu. Une grande
partie des critiques américains évoquent des "Evangiles selon le
marquis de Sade", qui transforment "le message de paix du
Christ en un appel à la haine". Pour certains spécialistes du
christianisme, le film est truffé d'imprécisions historiques qui tournent
parfois au ridicule, notamment le choix de Mel Gibson
de faire s'exprimer ses acteurs en araméen et en latin alors que c'est le grec
qui était parlé à Jérusalem à cette époque.
Par ailleurs, plusieurs organisations juives américaines
accusent depuis Mel Gibson de reprendre l'accusation "Juifs,
peuple déicide" formulée dans la prière du Vendredi saint jusqu'à sa
suppression par l'Eglise catholique lors du concile Vatican II (1962-1965).
Cette thèse n'est plus soutenue que par quelques traditionalistes.
En fait, l'acteur se serait inspiré des visions d'Anne-Catherine Emmerich (1774- 1824), qui, dès l'âge de 18
ans, affirmait que la couronne d'épines du Christ au moment de sa crucifixion
s'était imprimée sur son front. Seuls ses stigmates aux pieds, aux mains et au
côté droit ont fait l'objet d'enquêtes canoniques. La mystique allemande a
écrit une sanguinolente Douloureuse Passion du Christ, dont les
autorités de l'Eglise de l'époque avaient conclu déjà qu'elle contenait "des
contradictions, des puérilités, des erreurs".
Pour promouvoir ce film, dans lequel il a personnellement
investi 25 millions de dollars, l'acteur-cinéaste,
membre de la Fraternité Saint Pie X, organisation catholique traditionnaliste, s'est largement appuyé sur les réseaux
des communautés chrétiennes évangéliques. Ces congrégations, qui regroupent aux
Etats-Unis plus de cinquante millions de fidèles (parfois surnommés "Jesus Freaks", les "dingues de Jésus"), ont
été encouragées à acheter collectivement des billets pour les premières
séances, voire à remplir des cinémas entiers.
De son côté, la conférence épiscopale catholique américaine a
sorti lundi un livre rappelant les enseignements de l'Eglise sur la mort de
Jésus et "la condamnation du péché de l'antisémitisme".
Simultanément sorti en Australie, au Canada et en
Nouvelle-Zélande, La Passion du Christ devrait sortir en
Grande-Bretagne le 26 mars et le 7 avril en Italie.
Avec AFP, AP et bbc.co.uk