"Libé" et le film de M. Gibson : excellent malgré eux...

Après coup - La pantomime

Par Sorj CHALANDON - mardi 24 février 2004

 

Chaque matin, sur le tournage romain de la Passion du Christ, Mel Gibson attendait Jean-Charles Roux. Chaque matin, le producteur américain envoyait à l'aube une voiture au révérend père, pour le conduire à Cinecittà. Chaque matin, pour Gibson et son équipe, le curé de 90 ans célébrait en latin une messe tridentine. Selon Jean-Charles Roux, la polémique autour du film de Gibson est le fait «d'une infime minorité d'israélites très intégristes». «Mel Gibson est un grand artiste du cinéma qui produit un film sensationnel. Et c'est parce qu'il est sensationnel qu'il provoque ces jalousies et ces discussions contre lui», explique le curé. Il répond aux questions de Marc-Olivier Fogiel et d'Ariane Massenet (1).

 

«Mon père, il y a les traditionalistes qui défendent le film et tous ceux qui sont derrière Vatican II, qui le dénoncent», dit l'animateur. «Mais non ! C'est de l'exagération», répond le curé en haussant les épaules. «Si on reprend les déclarations de tous les gens de l'Eglise ­ sauf les traditionalistes ­, ils condamnent la façon dont les juifs sont présentés.» «Non ! Faux ! Faux !» dit le prêtre en remuant les mains. «Vous n'êtes pas choqué ?» «Faux ! On n'est pas choqué ! C'est simplement, on n'a pas d'autre mot pour l'expliquer, une pantomime sur le chemin de croix.» «Quand vous voyez dans le film, par exemple, que ce sont les juifs qui ont construit la Croix, ce qui n'est pas la vérité historique, est-ce que vous êtes choqué ?» Le vieux curé fronce les sourcils. «Les juifs ont certainement construit la Croix», dit-il. «Ah non ! coupe Fogiel, les historiens disent l'inverse. Ils disent que c'est les Romains, mon père.» Jean-Charles Roux cligne des yeux, se redresse, a un petit geste d'indifférence. «Mais qu'est-ce que ça peut faire que ce soient les Romains ou les juifs ?» «Est-ce que vous ne trouvez pas qu'un film comme ça, sur la passion du Christ, finalement, c'est ennuyeux que ça déclenche une telle polémique et une suspicion d'antisémitisme ?» intervient Ariane Massenet. «Ah ! Ben ça, c'est très bon !» répond le curé. L'animatrice est saisie. «Comment ça : très bon ?» Le père Roux sourit. Il est penché en avant, comme s'il entendait mal. «Ça, c'est très bien. Ça nous fait réaliser ce que c'est d'être chrétien et le prix que le Seigneur a payé pour notre rédemption.» «Mais le but n'était pas qu'il y ait une polémique ?» «Ecoutez, sourit encore le curé, la polémique n'est pas nouvelle. Elle a commencé au moment même de la vie du Christ.» Le public applaudit.

 

(1) C'était dimanche à 21 h 55, On ne peut pas plaire à tout le monde, sur France 3.