Commentaire de Jean Madiran
Sur le consistoire du 24 mai 1976
(Pris dans itinéraires n° 205)
Paul VI invoque dans le consistoire
du 24 mai 1976 le précédent de saint pie V : parce qu’il a, lui Paul VI,
dans sa réforme de la messe, procédé de la même manière, « haud dissimili ratione », que saint Pie V, il peut de la même manière
rendre à son tour sa réforme obligatoire.
Mais justement : la manière de
procéder n’est pas la même, et l’obligation non plus.
A LA MANIERE DE PROCEDER
I Dans sa révision du missel, saint pie V, a
aucun moment, n’avait signé et promulgué une anomalie incroyable que celle de
l’institutio generalis,
qu’il ai eu à corriger subrepticement l’année suivante. Son autorité morale
demeurait intacte. Point celle du pontife responsable de l’article 7. C’est
l’actuel abus de pouvoir de Paul VI qui nous conduit à souligner ce point
capital. Quand on a signé et promulgué une définition de la messe qui en fait
une simple réunion de prière et une assemblée du souvenir, il ne suffit pas d’y
apporter ensuite une furtive correction. Voici que me tombe sous la main un
journal du 6 juin.
« les
problèmes liturgiques ont donné lieu à d’étranges tentatives, telles, par
exemple, que la première rédaction de l’article 7 de l’ordo. Le pape l’a fait
corriger. »
Une telle présentation des faits
n’est pas conforme à la vérité. Il n’y a pas eu d’une part une « étrange
tentative », puis d’autre part une intervention salvatrice de Paul VI
imposant une correction.. C’est Paul VI en personne, et en qualité de souverain
pontife, qui a signé et promulgué la première version de l’article 7.
On peut si l’on veut ne jamais parler
de cet article. Mais si l’on en parle,, il n’est pas
permis de donner à croire que l’intervention de Paul VI en la matière consista
seulement à corriger un article 7 dans lequel il n’aurait été pour rien. Le responsable,
le signataire, le promulgateur de l’article 7 première
version est bien Paul VI lui-même. Pourquoi l’a-t-il fait ? la première hypothèse, la plus obvie, est qu’il l’a fait
parce que cet article exprimait sa pensée ou du moins ne la heurtait pas. On
écarte cette hypothèse sans l’examiner ; on l’écarte peut-être inconsidérément ;
mais enfin écartons-là. Il faut alors admettre que Paul VI a signé sans lire ou
a lu sans comprendre, ce qui n’est guère mieux.
Tout cela pour bien établir que par
cet accident phénoménal, Paul VI n’agissait nullement de la même manière que
saint Pie V.
Une prudente vertu, après l’article
7, ne se serait pas crue qualifiée pour imposer à la célébration de la messe le
plus grand bouleversement qu’elle ait connu au cours de son histoire.
II la révision de saint
pie V, conforme aux requetes du concile de trente,
n’avait pas pour but la fabrication d’une nouvelle messe, mais l’unification et
la réglementation de la messe traditionnelle. La différence est abyssale.
III Saint pie V n’a pas fait réviser le missel
avec le concours d’experts hérétiques, convoqués davantage en tant
qu’hérétiques, qu’en tant qu’experts, dans l’intention d’aboutir, comme l’a
fait paul VI, à une réforme qu’ils puissent accepter.
B PARENTHESE :
« CANONISE ».
Au passage, précisons un terme. Dans
notre lettre à Paul VI du 27 octobre 1972, nous parlons du « rite
millénaire de l’eglise catholique, canonisé par
le concile de Trente. Il semble que l’on se soit mépris sur le sens du mot.
« Canonisée », oui, mais non point au sens ou le pape canonise un
bienheureux en l’inscrivant au catalogue des saints. Non point canonisé non
plus comme un livre de l’Ecriture, admis au nombre
des livres dits canoniques. Canonisé, simplement canonisé (et non pas inventé),
pour rappeler que les requêtes du concile de Trente, mises en œuvre par Saint
Pie V, réclamaient une réglementation de la messe existante et nullement la
fabrication d’une messe nouvelle.
C’est encore une différence, c’est
toujours la différence essentielle, quant à la manière et à la méthode, entre
le missel de saint pie V et celui de Paul VI.
Le concile de Trente avait pour
intention « d’arrêter le processus de la désagrégation protestante des
rites de la messe », désagrégation
qui était « favorisée par les variétés innombrables des missels
catholiques et par des abus que les pères (conciliaires) désignaient par leur
nom en les ramenant à trois principaux : la superstition, l’irrévérence et
l’avarice » il entendait notamment éviter « que le peuple ne soit
heurté et scandalisé par des rites nouveaux ». Il spécifiait que
resteraient sauves « les coutumes légitimes ».
La messe traditionnelle, abandonnée
et « canonisé » par les hiérarques de l’auto démolition, ne
conserverait-elle plus que le droit de la coutume immémoriale, celui-là du
moins ne pourrait lui être enlevé. Il ne pourrait l’être que par une sentence
déclarant cette coutume abusive et mauvaise : telle est d’ailleurs la
portée implicite, peut-être inconsciente, mais inévitable, de l’actuelle
interdiction.
C L OBLIGATION
Saint Pie V n’a pas aboli, il a au
contraire confirmé, en matière de rite, les coutumes légitimes ayant plus de
200 ans d’existence. Notamment, il a confirmé le droit des églises ou
communautés ayant un missel propre, approuvé dès son institution. C’est ainsi
que la promulgation du missel romain de saint Pie V a laissé subsister le rite
dominicain, le rite lyonnais, le rite ambrosien (à Milan). Ces rites se sont
conservés jusqu’à maintenant : mais eux aussi viennent d’être supprimés ou
plus exactement interdites, par le discours consistorial du 24 mai. J’ignore
quelle est et quelle sera la situation à milan. Mais le rite dominicain et
surtout le rite lyonnais ont été jusque cette année employés pour la
célébration de la messe aux congrès de Lausanne de l’Office
international des œuvres de formation civique. Paul VI ne les excepte pas, il
impose son Missel d’une obligation qui ne supporte plus les dérogations
légitimes stipulées par saint Pie V.
D’autre part, l’obligation imposée
par saint Pie V était clairement et normalement énoncée dans la bulle « quo primum tempore » du 19 juillet 1570 promulguant le Missale recognitum.
Au contraire les actes de Paul VI
sont d’une confusion et d’une incertitude extrême quant aux obligations qu’ils
fixent ou ne fixent pas. Il n’y apparaît nulle part la volonté explicite de
conférer au nouveau missel une obligation excluant l’usage du missel antérieur.
Juridiquement, par la constitution Missale romanum du 3 avril 1969, Paul VI ne fait qu’autoriser
et établir une messe nouvelle (sans supprimer l’ancienne), en somme à titre de
dérogation particulière aux prescriptions non abrogées de la bulle Quo Primum.
D’où les circulaires d’application stipulant à quelles conditions ou à quelles
dates la célébration de la nouvelle messe sera permise.
(en France
l’obligation venait seulement de l’ordonnance épiscopale du 12 novembre 1969).
7 années après coup, dans le discours consistorial du 24 mai 1976, Paul VI fait
entrer en ligne son « autorité suprême qui vient du Christ » pour
déclarer interdite la célébration traditionnelle. Une telle interdiction avait
déjà été énoncée, mais seulement à titre soit d’opinion (celle de Solesmes),
soit d’instruction administrative. LE PREMIER ACTE de Paul VI lui-même en ce
sens est le discours consistorial.
A quoi il faut ajouter deux
observations, qui sont concluantes l’une et l’autre.
I Aucun acte de Paul VI n’abolit la bulle de
saint Pie V. Ce n’est pas par voies d’abolition, c’est par voie de remplacement
que le missel de Paul VI entend prendre obligatoirement la place du missel de
saint PieV : Novus ordo promulgatus est ut in locum veteris substitueretur : le fait est qu’il ne l’A PAS abolie. Il n’a donc pas aboli l’indult concédé à
perpétuité, à tous les prêtres réguliers et séculiers sans exception, à la fois
pour les messes chantées et pour les messes basses :
« En vertu de l’autorité
apostolique, nous concédons et donnons l’indult suivant, et cela à
perpétuité :
« que désormais, pour chanter ou
réciter, la messe en n’importe quelles églises on puisse sans aucune réserve
suivre ce même missel, avec permission donnée ici et pouvoir d’en faire libre
et licite usage, sans aucune espèce de scrupule ou sans qu’on puisse encourir
aucunes peines, sentences et censures ;
« Voulant, ainsi, que les
prélats, administrateurs, chanoines, chapelains et tous autres prêtres,
séculiers de quelques dénominations soient-ils désignés ou réguliers de tout
ordre, ne soient tenus de célébrer la messe en toute autre forme que celle par
nous ordonnées ; et qu’ils ne puissent, par qui que ce soit, être
contraints et forcés à modifier le présent missel ».
Aucun supérieur ecclésiastique ne
peut faire échec à ce privilège par aucune sorte de défense,
,ni au for interne ni ,au for externe. Cet indult n’a besoin d’aucun
agrément, visa ou consentement ultérieur. Aucun prêtre régulier ou séculier ne
peut valablement être « contraint et forcé par qui que ce soit » à
user d’un autre missel romain de saint pie V.
II Une coutume, et surtout une coutume
immemoriale, ne sont abolies par l’EGLISE que si elle
n’est pas une coutume légitime. La messe catholique traditionnelle, même si elle
ne bénéficiait pas de l’indult conféré à perpétuité par saint Pie V,
bénéficierait au moins du droit de la coutume immémoriale. Supposer qu’elle
puisse être interdite requiert de supposer qu’elle est interdite. Mais si l’on
suppose mauvaise la messe traditionnelle, mauvaise au point de vue de
l’interdire, la messe nouvelle que l’on met à sa place sera nécessairement une
autre messe ; non pas la même, conservée en substance et améliorée dans sa
présentation ; mais une messe substantiellement différente.
Supposons (par hypothèse de
raisonnement) que la nouvelle messe de Paul VI soit excellente en tous points
et corresponde heureusement aux légitimes exigences pastorales de notre époque.
Dans ce cas, on pourrait tout au plus reprocher à la messe traditionnelle un
langage désuet, des vêtements démodés, et autres choses du même genre. C’est
précisément le reproche que lui faisait Paul VI dans son allocution du 26
novembre 1969, quand il parlait de rejeter, par sa réforme de la messe, les
« vétustes vêtements de soie dont elle s’était royalement parée ». Et
encore la traduction française reçue
atténue l’ironie acide de cette déclaration dans son original italien.
Même sa version atténuée, on souffre suffisamment d’avoir à la recopier, insultante,
étrangère, bornée. Mais poursuivons. Supposons, avons-nous dit, par hypothèse
de raisonnement, qu’il y ait dans la messe traditionnelle des revêtements
vieillis, et que la réforme de la messe soit limitée à les rajeunir : eh
bien même si cela pouvait justifier la création d’une nouvelle messe, en tout
cas cela ne peut pas justifier l’interdiction de l’ancienne. Supposée incapable
de plaire sauf aux vieilles gens, il fallait la laisser aux gens supposés
vieux, c’est la manière catholique de toutes les réformes ayant pour objet non
de corriger un mal mais de se détacher d’un usage périmé. Pensez-y bien. Si la
messe ancienne et la nouvelle étaient en substance la même messe, s’il
s’agissait seulement d’en rajeuni r le langage et l’apparence, il n’y aurait
aucun motif d’interdire.
Inversement, si la nouvelle messe
estime inévitable d’interdire l’ancienne, c’est implicitement, mais
nécessairement, qu’elle la juge étrangère, qu’elle la trouve incompatible,
qu’elle y voit l’expression d’une autre religion.
La seule raison que ne puisse jamais
avoir une messe d’en interdire une autre, c’est une raison de religion, c’est
une raison de foi.
D’un coté PaulVI
assure que la réforme conciliaire conserve intacte la substance de la foi, de
la messe, des sacrements ; qu’elle change seule la présentation, la
formulation, le costume. Mais d’un autre coté il condamne comme se plaçant hors
de l’Eglise ceux qui gardent les anciens costumes,
les anciennes formulations, les anciennes présentations : s’il ne s’agissait que de formes
extérieures, bonnes en elles-mêmes, il n’y aurait pas matière et motif à
condamnation.
Que Paul VI condamne et interdise la
messe traditionnelle alors qu’il n’interdit ni ne condamne la messe à la
française où, conformément à l’article 7 première version,
« il s’agit simplement de faire mémoire », cela pose une question non point de tactique pastorale et
d’aggiornamento, mais de religion.
Que Paul VI juge l’épiscopat français
et l’épiscopat hollandais dans sa communion, et Mgr Lefebvre hors de sa
communion, cela pose une question non
point de discipline, mais de foi.