“ La Passion du Christ ”
Ce
film, je l’attendais avec une sorte de sentiment d’urgence, avec quelque
appréhension aussi, comme si la « vue » des souffrances de mon
Sauveur m’était nécessaire pour saisir la folie de son Amour, et comme si ce
sacrifice allait résonner comme un reproche. Tout au long de cette
pré-projection qui, lundi matin, réunissait plusieurs centaines de journalistes
dans une improbable juxtaposition de professionnels de la dérision et de
croyants émus aux larmes, La Passion du
Christ m’a fait vibrer. Mais point comme je m’y attendais. Comme je m’y
attendais peut-être un peu trop, après avoir avalé des kilomètres de critiques,
de réactions du public, d’articles pour et contre.
Premier
sentiment : c’est un film. Rien qu’un film. Du cinéma splendide, discret
(eh oui !), tout en nuances et en photographies magnifiquement
travaillées, porté par des dialogues pleins de sens et extraordinairement
convaincants malgré – à cause, plutôt – de l’emploi du bas latin et de
l’araméen, souligné (un peu trop, par moments) par une musique qui mériterait
que l’on racontât son histoire. Il y a des instants hollywoodiens ?
Certes, mais l’ensemble n’en touche pas moins au sublime.
Rien
qu’un film parce qu’aucun homme au monde ne peut rendre à nos yeux la Vérité de
ce Seigneur, pleinement Dieu, pleinement homme, qui déposa sa vie pour que nous
ayons la vie. Jim Caviezel tient pourtant son rôle
avec une intériorité inouïe. Il n’est
pas Jésus – et c’est tant mieux. Mais il est comme son reflet, un intermédiaire
qui montre le chemin, provoque à la réflexion, conduit à son amour. Il est, si
l’on veut, criant de vérité, dans son agonie, sa bonté, son innocence, sa
mansuétude, mais également et avec autant de force dans sa volonté, sa virilité
même qui éclate dans ce choix du sacrifice librement consenti. Il n’y a
dans son personnage, comme il n’y a dans le film, rien de mièvre. Cet agneau
mené à la boucherie apparaît clairement comme le maître de tous et le vainqueur
du mal. Loin d’être un film d’horreur, La
Passion du Christ incite à croire à la réalité de la paix et du pardon.
Voyez :
je pourrais continuer des heures comme cela. Rien qu’un film, mais quel
film ! Plus on y repense, plus on ressent le besoin de méditer, de revivre
(comme ce film le fait), quasiment verset par verset, les Evangiles de la
Passion. Ils prennent là une épaisseur qu’on avait pu oublier, par
« habitude » (est-ce possible, mon Dieu ?) ; ils se
colorent de tout l’enseignement du Christ, si présent grâce aux retours en
arrière qui ponctuent le drame tout en relevant la tension. Quand la commission
doctrinale des évêques de France met en garde contre ce film qui ne replace pas
la Passion du Christ dans sa « perspective essentielle », elle avoue
leur propre échec. Elle montre que des générations ont pu être catéchisées sans
pour autant acquérir une culture chrétienne, capable de comprendre le sens de
la Passion, la nécessité du sacrifice et l’unicité absolue de la vie du
Rédempteur.
Cette
Passion est-elle trop violente, trop
« gore », complaisante dans sa brutalité ? C’est là un très
mauvais procès fait contre Mel Gibson, juste une
façon de détourner le spectateur éventuel. Oui, le sang coule – un sang qui
lave et qui purifie, un Précieux sang que Marie va éponger par terre avec des
linges immaculés – mais la caméra ne s’attarde pas sur les brutalités les
plus sauvages. Pas si nombreuses à être montrées. La
réalité a dû être infiniment plus cruelle. Il y a des plans de coupe, des flashbacks, comme des narrations indirectes qui épargnent
le spectateur (alors que le Christ n’a rien voulu s’épargner, rien).
Mais
il est impossible, en même temps, de rester insensible à ce que l’on sait être une mise en scène cinématographique. Car il y a
Marie. Les yeux de Marie, son regard de mère qui est plus qu’un regard de mère,
puisque à travers le rôle tenu avec tant de pudeur, de force et de conviction
par Maia Morgenstern, l’on voit aussi bien la
co-rédemptrice que la femme déchirée, l’on entend aussi bien le Fiat que le sanglot. C’est elle qui
« humanise » le film, on oserait presque dire qu’elle
« humanise » son divin Fils à travers des scènes si poignantes et si
sublimes que je voudrais les revoir encore et encore. Vous aussi ?
Jeanne
Smits