“La Passion du Christ” est sorti mercredi

 

« Une miséricorde de Dieu pour notre temps »

La Fraternité Saint-Pie X a organisé, lundi soir à Paris, une soirée de présentation du film de Mel Gibson sur la Passion du Christ à la Mutualité – comble. A la suite de cet événement l’abbé de Tanouarn a bien voulu répondre à nos questions : la première étant évidemment de savoir s’il l’avait vu. Et aimé.

Oui, je l’ai vu. Au début, j’ai été frappé par la confusion des premières scènes, qui se déroulent la nuit, au jardin de Gethsémani. C’est une œuvre d’art, avec de grandes qualités esthétiques, mais avec des faiblesses aussi. Je ne suis pas de ceux qui ont éclaté en sanglots. Mais je me rends compte que les images vous restent. On ne les oublie pas ; on les revoit. Je les revois particulièrement quand je dis la Messe. C’est une marque de leur vérité, de leur caractère brut, de leur authenticité.

– Une œuvre d’art : mais cette œuvre est-elle fidèle aux Ecritures et à la Tradition ?

– Oui, elle est fidèle. On a beaucoup dit que Mel Gibson s’est inspiré des visions d’Anne Catherine Emmerich. Mais en réalité il n’y a dans ce film aucune vue, aucune théologie particulière. Ce sont des images brutes – qui ne sont pas sobres, il y a là une sorte de profusion – des images brutes sans explication catéchétique. Ce que Mel Gibson emprunte à Anne Catherine Emmerich, ce sont des visions purement cinématographiques. Lorsqu’elles montrent par exemple la sainte Vierge épongeant le sang de son Fils avec les linges apportés par la femme de Pilate, elles renvoient à une réalité qui est celle de l’union de Jésus et de Marie dans la Passion. C’est une mise en images de l’enseignement de l’Evangile, comme de la parole du Christ à Cana qui semble repousser le rôle de Marie précisément à cette heure : Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi, ne sais-tu pas que mon heure n’est pas encore venue. A cette heure Il ne la repoussera plus. Elle est là, debout, jusqu’au pied de la Croix.

Il n’y a aucune théologie particulière, mais ce film est donc tout de même une leçon théologique ?

– Oui, au fond cette leçon renvoie chacun à sa propre foi et à son honnêteté par rapport aux Evangiles. Contrairement au Jésus de Pasolini, qui véhiculait les idées du réalisateur. Ici, je le répète, nous avons les images brutes. C’est ce qui fait l’universalité de ce film.

A ce propos, peut-on parler de son « bon » œcuménisme ?

– C’est un bon œcuménisme parce qu’il est sans concessions de la part du catholique qu’est Gibson. Le film est profondément catholique, au moins par deux aspects.  D’abord, il ne sépare jamais le Christ et la Vierge dans l’acte rédempteur de la Passion. Marie apparaît comme co-rédemptrice, elle sait pourquoi Jésus souffre. Gibson ne nous inflige pas de scène à la Zeffirelli, avec une souffrance purement humaine d’une mère à l’italienne ; sa Vierge sait ce qui se passe, elle communie à son fils par sa souffrance et par sa foi inconditionnelle. Ensuite, il y a le sens que donne Gibson à la sainte Cène en associant, dans une même minute du film, la mort du Christ et les images du Jeudi Saint.

– Un seul et même Sacrifice… Le cardinal Egan, de New York, s’était montré hostile au film avant de l’avoir vu. Après, il a déclaré en chaire que c’est un grand film, parce qu’il montre le plus grand des sacrifices. Il a  ajouté : « Elle est ici aujourd’hui dans cette bien-aimée Cathédrale, la réalité de ce sacrifice. » Qu’en pensez-vous ?

– Ça ne m’étonne pas qu’un cardinal soit parmi les premiers convertis de ce film ; on peut espérer la même chose pour le cardinal Lustiger qui, dans un long communiqué, comparait sans raison La Passion de Gibson au film de Pasolini, tout en se vantant presque de ne pas l’avoir vu. La rumeur dit que le Cardinal l’a vu, désormais, et qu’il entend faire la promotion de La Passion du Christ auprès de ses frères évêques.

Qu’en est-il du pouvoir de conversion de ce film ?

– Il a un grand pouvoir sur les âmes, le pouvoir du témoignage de l’âme naturellement chrétienne. Le scandale de ce film témoigne de la vérité du Christ, une vérité capable de faire scandale 2 000 ans après…

Un scandale qui aujourd’hui a pour nom « violence ».

– Violence… Oui, le film est violent, mais aujourd’hui nous sommes blindés par ce que nous voyons, même si nous n’avons pas la télévision. Cette violence, il faut être capable de la regarder en face parce qu’il y va de la qualité profonde de notre foi. Si la foi chrétienne se réduit à une sorte de sirop plus ou moins sucré où se mélangent des concepts douceâtres d’amour, de pardon, de tolérance, on va diluer la foi dans cette religiosité, cette religiosité laïciste qu’on veut nous imposer. C’est le néo-christianisme, qui ne marche pas. Le christianisme seul assume le problème du mal et le regarde en face, seul il ne cherche pas à le voiler, ni à se réfugier dans l’abstention à la manière du bouddhisme. Il offre le moyen de surmonter le mal par l’amour. Simone Weil a eu une intuition vraiment chrétienne lorsqu’elle écrivait : « Le mal est à l’amour ce que le mystère est à l’intelligence, il le rend surnaturel. »

Il faut bien comprendre la violence que montre ce film : c’est la violence déchaînée contre l’Innocent parce qu’il est innocent ; cette vérité rendra notre amour surnaturel et le renfoncera, et nous donnera la force de transformer le mal que nous affrontons dans notre vie par l’amour et par le sacrifice. Cette vision de la violence n’incite pas à la haine, mais au repentir. Comme l’a dit lundi Mgr Fellay : « Ce film est une miséricorde de Dieu pour notre temps. »

Comment s’est passé la soirée de présentation du film à la Mutualité ?

– Nous avons réuni 1 700 personnes – nous avons fait le plein – qui ont pu voir, en fin de soirée, les premières images d’une dizaine de minutes extraites du film. Auparavant, nous avions réfléchi sur le scandale de cette seconde Passion du Christ que constitue la sortie du film de Mel Gibson.

Au départ, on a parlé d’antisémitisme. Pour l’avoir vu je peux vous dire qu’il n’y a pas une ombre d’antisémitisme, ce que reconnaissait même Patrick Jarreau du Monde le 27 février. On n’y voit aucunement une culpabilité du peuple juif en soi, la main qui tient le clou est celle de Mel Gibson qui renvoie ainsi à l’enseignement de l’Eglise, notamment au concile de Trente. Si la question est encore évoquée, elle renvoie en réalité à une autre question : est-ce que la Vulgate de Jules Isaac sur « l’enseignement du mépris » va tenir le choc ? Celle-ci invoque une culpabilité unilatérale des chrétiens. Peut-être ce film va-t-il modifier la manière dont se passent les relations entres les « grandes religions monothéistes »…

Nous avons donc tenté de sonder les vraies raisons du scandale : puisqu’il ne s’agit pas de l’antisémitisme, c’est que Jésus, Jésus-Christ « intégral » fait scandale – aujourd’hui comme hier. Ce qui est en cause, dans le silence gêné des évêques, si friands pourtant de « signes des temps », c’est qu’on puisse parler d’un Christ souffrant. « Ce n’est pas l’image du Christ que l’on se fait », disaient des dames convenables en demandant que le film ne soit pas diffusé lors d’une caméra cachée de Ruquier. Ce film marque bien en effet la rupture entre deux christianismes : le christianisme traditionnel qui est celui de la Rédemption, du péché, du pardon, de la grâce et du salut éternel ; et puis le nouveau christianisme où la tolérance (appelons-la, pour l’occasion, charité !) est pratiquement la seule valeur et le seul lien entre tous les chrétiens. Ce film est le révélateur – au sens photographique – de la crise de l’Eglise, de la Passion de l’Eglise, qui meurt de prêcher ce nouveau christianisme pour lequel elle n’a pas été fondée et pour lequel elle n’est pas faite. Et qui ne revivra qu’à condition de regarder à nouveau le Christ crucifié ; qui célèbrera son Sacrifice et non une réunion vaguement eucharistique faite pour le peuple.

C’est dans ce contexte de malaise dans l’Eglise que l’intervention de Mgr Fellay était particulièrement importante ; il s’est élevé contre la dilution de la foi catholique  traditionnelle soumise à une sorte de préalable œcuménique qui la détruit de l’intérieur en supprimant en pratique l’autorité de l’Eglise enseignant les dogmes. Et en substituant à cette autorité de la vérité, l’autorité d’un consensus différencié qui n’est autre que l’impératif catégorique de l’unité à tout prix.

Propos recueillis par Jeanne Smits