Quelles
nouvelles de Rome ? Les membres de ceux qui composent le partito romano, pour reprendre une appellation pleine
de nobles évocations de l’époque pacellienne,
concentrent leurs efforts sur le front liturgique, considéré comme décisif.
Leur objectif immédiat est double : 1°/ donner une interprétation
« de restauration » à la réforme liturgique en désignant (réprimer
est impossible) les « abus » qu’elle entraîne ; 2°/ rendre son
« droit de citoyenneté » à la messe tridentine, ce qui revient à
dire : faire la paix avec les traditionalistes en accédant à leur
revendication phare. C’est ce qu’expliquait le cardinal Ratzinger, interrogé
par Raymond Arroyo, directeur des informations au réseau de télévision américain
EWTN, le 5 septembre 2003 :
Raymond Arroyo – Je sais que vous travaillez sur le
nouveau texte juridique dont le pape a parlé dans son encyclique sur
l'eucharistie. Nous avons entendu parler à plusieurs reprises, notamment
par le cardinal Arinze et par d'autres publications,
que ce document pourrait être précurseur d’un indult universel pour la messe de
St-Pie V. Envisagez-vous vraiment cela?
Cardinal Ratzinger – Je voudrais distinguer deux choses.
Le document à venir et le problème des indults. Le document à venir n'est
pas une nouvelle législation mais une interprétation des normes actuelles. Donc
nous avons seulement à interpréter ou clarifier ce qui constitue un abus et ce
qui constitue réellement la mise en oeuvre de la liturgie. En un sens, la
portée de ce document est très limitée - une clarification des abus et une
clarification des normes – limitée au moment présent. L'autre est un
problème différent. Je pense en
gros que l'ancienne liturgie n'a jamais été interdite. Nous avons seulement
besoin de normes appliquées dans la paix, application où la liturgie réformée
est la liturgie normale de la communauté de l'Eglise mais où l'autre est
toujours un usage valide dans l'Eglise mais dans l'obéissance aux évêques et au
Saint-Père.
Naturellement,
le « parti conciliaire » ne reste pas inactif. Contre le premier
dessein du partito romano, Mgr Piero Marini, cérémoniaire
pontifical, ancien secrétaire de l’artisan de la réforme liturgique, a révélé
au mensuel Jesus
la teneur du document qui doit faire suite à l’encyclique Ecclesia de eucharistia. Jetant le maximum
d’huile sur le feu, Jesus énumère les « abus » visés
par le document (danses, applaudissements, filles servant communément à
l’autel, etc.) en soulignant surtout que les fidèles
sont invités à dénoncer les excès qui les affligent aux autorités compétentes.
Et contre le second projet, la préparation d’une « paix de l’Eglise », le nouveau cardinal Georges Cottier, théologien de la Maison pontificale, a lancé ces
aigres propos dans un entretien accordé au journal suisse, L'Hebdo, le 2 octobre 2003 :
Gabriel de Montmollin – Il y a eu aussi, en Suisse, l'impression qu'une main avait été tendue à Ecône...
Cardinal Cottier – C'est tout à fait faux. Il y a bien sûr des personnes qui cherchent
à faire de l'œcuménisme à l'intérieur de l'Eglise catholique. Mais il est exclu
de revenir en arrière. Ecône, c'est la négation de
Vatican II: c'est une attaque contre la liturgie, l'œcuménisme et la liberté
religieuse. En Suisse cela a divisé beaucoup de familles en Valais, alors
que c'est un mouvement surtout typique d'un certain milieu social français.
Mais ce n'est pas ce problème-là qui va déterminer la politique de l'Eglise.
La dernière
phrase, sur mode de conjuration est particulièrement révélatrice. C’est pour le
parti conciliaire, l’expression de la crainte des craintes : la « paix
de l’Eglise », avec tous les bémols qu’on voudra
sur le fait que la liturgie de Paul VI reste – pour l’instant – la norme
dans l’Eglise, conduit immanquablement à un
« questionnement » du Concile.
Claude Barthe
Voici les deux
entretiens : le premier est celui du cardinal
Ratzinger, le second est celui du cardinal Cottier (théologien du pape)
Raymond
Arroyo – Je sais que vous
travaillez sur le nouveau texte juridique dont le pape a parlé dans son
encyclique sur l'eucharistie. Nous avons entendu parler à plusieurs
reprises, notamment par le cardinal Arinze et par
d'autres publications, que ce document pourrait être précurseur d’un indult
universel pour la messe de St-Pie V.
Envisagez-vous vraiment cela?
Cardinal
Ratzinger – Je voudrais
distinguer deux choses. Le document à venir et le problème des indults.
Le
document à venir n'est une nouvelle législation mais une interprétation des
normes actuelles. Donc nous avons seulement à interpréter ou clarifier ce qui
constitue un abus et ce qui constitue réellement la mise en oeuvre de la
liturgie. En un sens, la portée de ce document est très limitée - une clarification
des abus et une clarification des normes – limitée au moment présent.
L'autre
est un problème différent. Je pense en gros que l'ancienne liturgie n'a
jamais été interdite. Nous avons seulement besoin de normes appliquées dans la
paix, application où la liturgie réformée est la liturgie normale de la
communauté de l'Eglise mais où l'autre est toujours un usage valide dans
l'Eglise mais dans l'obéissance aux évêques et au Saint-Père.
Raymond
Arroyo – Et cela pose de grandes
difficultés, je sais, pour certaines parties de l'Eglise. D'autres
parties ont reçu chaleureusement l'appel du pape pour offre plus fréquente de
la messe ancienne.
Cardinal
Ratzinger – Oui. Je pense
qu'il est important d'être ouvert à cette posssibilité
et de démontrer aussi la continuité de l'Eglise. Nous ne sommes pas
aujourd'hui une autre église de celle d'il y a 500 ans. C'est toujours la
même église. Elle était sainte autrefois, parce que l'église est toujours
sainte, pour l'Eglise ce n'est pas une chose impossible en des temps
différents.
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Fraîchement
nommé cardinal par Jean-Paul II, le Genevois Georges Cottier
est le gardien de la doctrine papale. Personne ne connaît mieux que lui
l'oeuvre du Polonais. Il s'est confié à Gabriel de Montmollin.
Rencontrer
le cardinal Cottier au Vatican? Rien de plus simple,
à condition d'aimer les circonvolutions. Une fois passé la guérite frontière et
obtenu le laissez-passer probablement imprimé sous Léon XIII, le visiteur
accède aux appartements pontificaux via une successsion
de portiques et d'escaliers. Ebloui par le décor fastueux des galeries d'où
surgissent sans crier gare des Gardes suisses en grand équipage, il est
accueilli par Georges Cottier, tout sourire, dans un
appartement illuminé par les reflets de la place Saint-Pierre
en contre-bas. Sur les rayons de la bibliothèque, des
dizaines de forts volumes rouge vif: ils contiennent les textes produits par
Jean-Paul II depuis 1978. Des ouvrages que le Père Cottier
connaît comme s'il les avait écrits.
Car,
depuis bientôt treize ans, le Genevois retravaille tous les textes produits par
Jean-Paul II pour en vérifier la cohérence. Ce travail de bénédictin vaut à ce
dominicain de 81 ans de connaître de l'intérieur un pontificat dont la rumeur
prévoit une fin prochaine. C'est sa qualité de
dominicain, justement, qui lui vaut, en 1990, de passer de Genève à Rome. Le
poste qu'il occupe est traditionnellement dévolu aux membres de son ordre. On
le nomme donc sans lui demander son avis, ce qui lui évite, précise-t-il en
souriant, «d'avoir des problèmes de conscience». L'essentiel de ses activités
consiste à relire les textes qui sont prononcés par le pape, ou en tout cas
signés par lui, pour leur donner un jugement théologique. Etant donné la
multiplicité des sources, le pape ayant de nombreux collaborateurs, il faut que
quelqu'un veille à une unité de vocabulaire et à ce qu'on ne fasse pas dire au
pape des choses qu'il ne doit pas dire. Georges Cottier
est en quelque sorte le responsable doctrinal de la communication papale.
Ce poste fait de
vous le mieux placé pour connaître au jour le jour la théologie de Jean-Paul
II.
Il
faut d'abord voir que le pape publie beaucoup de documents, prononce des
discours, écrit des lettres. Toutes ces interventions n'ont pas la même valeur
ni la même importance d'autorité. Quand il s'agit d'une encyclique, certaines
équipes y travaillent pendant plusieurs années. Dans ce cas, le pape suit la
chose de très près. Mais parfois ce sont des discours de circonstance, ou par
exemple des dossiers préparés à l'intention des évêques qui viennent tous les
cinq ans à Rome pour rencontrer le pape. Il faut tout lire. Sauf les lettres de
créance. La section politique de la secrétairerie d'Etat ne passe pas par moi.
Jean- Paul est
très médiatisé. Cela ne cache-t-il pas une forêt déserte et silencieuse?
Non,
car Jean-Paul II est également un pape voyageur, un pèlerin. Il tient à aller
dans les lieux. S'il apparaissait dans les médias sans jamais partir de Rome,
ce serait autre chose. Il a saisi intuitivement le phénomène de la
mondialisation qui combine l'enracinement local et des échanges entre toutes
les parties de l'humanité. Mais ce mouvement implique qu'on se fasse l'avocat
de l'unité en rencontrant les personnes là où elles vivent, en particulier.
C'est là une des raisons qui poussent Jean-Paul II à tant voyager. Mais il faut
voir aussi que certains évêques pourraient collaborer davantage dans ce
domaine...
Ne sont-ils pas
victimes d'une crise des vocations générale qui oblige à se dédoubler pour
faire vivre les structures?
Je
pense qu'en comparaison d'énormes multinationales,
l'Eglise est extraordinairement pauvre, du point de vue des ressources
humaines. Mais le problème des vocations n'est véritablement crucial qu'en
Occident. Dans d'autres parties du monde, cela va beaucoup mieux. Je pense que
le centre de l'Eglise va se déplacer. Le nombre total des évêques dans le monde
a augmenté, et il en existe dans des régions qui n'en comptaient pas. Le
dernier concile était un concile européen. Le prochain ne le sera plus.
Est-ce que
Jean-Paul II a un problème avec l'Europe?
Pas du
tout. Il est préoccupé, mais, pour lui, la référence historique de la tradition
judéo-chrétienne de l'Europe est essentielle. Il parle de nouvelle
évangélisation pour ce continent. Il n'est pas pessimiste sur l'Europe. Bon, il
est vrai que nous sommes des peuples vieillissants alors qu'il y a beaucoup
plus de vitalité dans les pays pauvres. Mais plein de renversements de
situation sont possibles. Par tempérament, le pape est optimiste. Tout en
repérant ses défauts, l'écart toujours plus grand entre pauvres et riches
notamment, il voit les chances de la mondialisation. Par exemple la
communication de toute l'humanité qui peut favoriser l'entraide: il parle
beaucoup, dès ses premières encycliques, de la solidarité. C'est ce dont le
monde manque.
Mais comment la
susciter justement?
A
travers l'action et le témoignage personnel de personnalités chrétiennes. Après
les grands systèmes collectifs, on prend de plus en plus conscience que tout
repose sur les démarches individuelles. Au niveau qualitatif, c'est une chose
extrêmement belle, qui a aussi une fragilité. Mais là intervient le mystère de
la grâce. Tout n'est pas construction humaine. Jean-Paul II est un homme de
prière. C'est là qu'il puise sa confiance.
Pour revenir un
instant à l'Europe, n'y a-t-il pas fondamentalement un problème lié à la
manière dont l'Eglise catholique exerce le pouvoir et les pratiques
démocratiques telles qu'elles sont aujourd'hui inscrites dans la majeure partie
des pays européens?
L'Eglise n'est pas une démocratie. Il y a un fonctionnement
hiérarchique, c'est certain.
Chez les
protestants, Eglise et démocratie ne sont pas contradictoires...
Mais
dans l'Eglise catholique il existe des instances intermédiaires, une forme de
principe de subsidiarité, et on consulte beaucoup. Le droit canon n'est pas du
tout le droit d'une monarchie absolue. Il y a des instances et des droits pour
les personnes. C'est une chose sui generis. Il ne faut pas trop chercher à
comparer l'Eglise et la société civile.
Mais l'affaire
Haas en Suisse, encore dans les mémoires, n'a-t-elle pas justement montré qu'un
exercice très hiérarchisé du pouvoir, où l'on impose des personnes, ne
fonctionne plus pour des sociétés habituées à la concertation?
On
touche ici à une singularité suisse qui, en l'occurrence, autorise l'octroi de
privilèges locaux. Dans les pays voisins comme la France, un pareil cas ne se
serait jamais posé. Il y a eu incontestablement méconnaissance de la
singularité des cantons suisses. Le pape a pris très à coeur cette question.
Mais répétons-le, c'est un cas particulier, même si ça a été très pénible, très
malheureux.
Il y a eu aussi,
en Suisse, l'impression qu'une main avait été tendue à Ecône...
C'est
tout à fait faux. Il y a bien sûr des personnes qui cherchent à faire de
l'oecuménisme à l'intérieur de l'Eglise catholique. Mais il est exclu de
revenir en arrière. Ecône, c'est la négation de
Vatican II: c'est une attaque contre la liturgie, l'oecuménisme et la liberté
religieuse. En Suisse cela a divisé beaucoup de familles en Valais, alors que
c'est un mouvement surtout typique d'un certain milieu social français. Mais ce
n'est pas ce problème-là qui va déterminer la politique de l'Eglise. Et puis,
il n'y a aucun lien entre l'affaire Haas et Ecône.
On dit parfois
de Jean-Paul II que c'est un pape de Vatican II, ce que son image ne confirme
pas toujours. Certains disent de lui qu'il recadre Vatican II vers plus de
conservatisme.
C'est
vite dit. Vous savez, on n'a pas fini avec Vatican II. J'y étais et j'ai vu
comment les choses se sont passées. Prenez le document Nostra
Aetate sur les religions non chrétiennes. Au début,
il avait été prévu de faire un document sur les juifs et l'antisémitisme. Mais
il y eut des réactions en chaîne: certains gouvernements arabes, et notamment
Nasser, ont fait énormément pression en disant: «si vous soutenez politiquement
Israël, vous devez également dire quelque chose en faveur des musulmans.» Et
alors les Indiens ont ajouté: «Si vous parlez des musulmans, vous devrez dire
quelque chose des hindous.» C'est pourquoi on a dû parler des religions, alors
que ce n'était pas prévu au départ. Et maintenant, ce texte a une importance
extraordinaire depuis que le pape lui a donné l'impulsion que l'on sait avec la
réunion d'Assise. Beaucoup de gens l'ont critiqué, parce que c'était très
audacieux de faire cela.
Est-ce que les
grands gestes de Jean- Paul II vis-à-vis des juifs sont une manière de revenir
aux origines de ce document sur les religions ?
Il
faut savoir que Jean-Paul II entretient beaucoup d'amitiés juives. Il est très
sensible à cela et il médite beaucoup sur le mystère d'Israël ou le rôle
d'Israël pour les chrétiens. Je pense que la mentalité catholique garde encore
quelques relents d'antisémitisme. Et dans les populations, ce fléau peut
revenir assez vite. Jean-Paul II en est bien conscient et il a fait faire un
grand pas à l'Eglise catholique.
On voit donc ce
pape en pleine modernité, à la pointe du combat contre la discrimination, et
puis on le retrouve également très actif dans les béatifications et
canonisations, soit dans des attitudes qui semblent d'un autre âge.
La
canonisation, c'est reconnaître dans l'existence ou les écrits d'un chrétien
qu'il a une vie exemplaire. En étant si actif dans ces procès, il a surtout
voulu montrer que la canonisation n'était pas seulement réservée à une élite, à
des spécialistes. Et il a souhaité aussi que des contemporains soient canonisés, notamment Edith Stein, qui l'a beaucoup
marqué. En fait, il est très proche de la religion populaire. Les Italiens
l'aiment bien pour ça.
Oui, mais est-ce
que la religion populaire peut ramener les indifférents à l'Eglise ?
Dans
nos régions, la question peut effectivement se poser. Mais prenons l'Amérique
latine: la religiosité y est très forte et on doit canaliser et éclairer cette
religion populaire relayée par un nombre impressionnant de sectes. Beaucoup de
choses y sont encore impures. Canaliser, éclairer cela, c'est une pédagogie.
Un des
grands défis aujourd'hui, ce n'est pas tant l'athéisme ou le paganisme que
l'indifférence.
C'est
le vrai défi, mais il faut bien l'analyser. L'indifférence ne conduit pas les
gens au bonheur. Nos sociétés ne sont pas heureuses. Le nombre de suicides de
jeunes, par exemple, montre que nos sociétés ne sont pas saines. D'autre part,
je suis frappé par le nombre des formes de religions sauvages. Dans cette
société indifférente, il y a des sectes et le recours aux religions orientales
est très fort. Dans nos pays, le nombre de gens cultivés qui deviennent
bouddhistes est spectaculaire.
Alors que doit
faire l'Eglise contre l'indifférence? De la surenchère médiatique pour faire
plus de bruit que les indifférents?
Je
crois que l'évangélisation se fait par l'amitié et les contacts. Les médias
peuvent bien donner une certaine information, mais finalement c'est le
témoignage chrétien qui peut avoir des effets. Même dans nos vies
indifférentes, les gens y sont sensibles. Voyez ce qui est arrivé en France cet
été; tous ces gens qui sont morts seuls de la canicule. Le directeur de Caritas Italie a dit qu'ils ne sont pas morts de
déshydratation mais de solitude.
On parle
beaucoup ces temps de l'après- Jean-Paul II. est-ce
qu'il pourrait y avoir un pape suisse un jour à Rome?
Pourquoi
pas, un évêque de Genève l'a d'ailleurs été, il y a bien longtemps. Mais le jeu
des pronostics ne m'intéresse pas. Jean-Paul II est encore vivant. Il souffre
beaucoup, sa mobilité est réduite, il est victime d'une demi-paralysie
de la bouche, mais il a quand même réussi à écrire un livre cet été. Sur son
expérience d'évêque à Cracovie. Il a une grande vitalité intérieure.
Georges
Cottier Le plus proche collaborateur du pape est
suisse
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