"Voici le texte de Monsieur l'abbé Barthe sur le document
que la FSSPX vient de publier, au début du mois de février, sur
l'oecuménisme et qu'elle a adressé à tous les cardinaux.
On appréciera le jugement particulièrement mesuré de Monsieur
l'abbé Barthe sur cette étude de la FSSPX. Jugement mesuré montrant, certes,
les imperfections du document, mais insistant surtout sur son aspect
positif : le problème théologique que soulève l'oecuménisme est bien mis en
valeur dans l'étude de la FSSPX, un problème ecclésiologique. "Le Saint
Esprit se servirait des Eglises et communautés séparées comme des moyens de
salut". "Pour nombre de catholique ceci n'est pas compatible avec la
foi catholique".
On portera une attention spéciale à tout cela suite aux diverses déclarations
du Cardinal Kasper en visite à Moscou, rapportées, ces deniers jours par
l'Agence de Presse "Zenit"et relevée, tout particulièrement par le site
ITEM.
Brèves réflexions à propos d’un document récent de la
Fraternité Saint-Pie-X
Le document intitulé De l’œcuménisme à l’apostasie silencieuse,
que la Fraternité Saint-Pie-X a adressé aux cardinaux accompagné d’une lettre
datée du 6 janvier 2004, peut être considéré, comme une offre de discussion
théologique. Relativement mesuré dans la forme, on peut dire qu’il tombe à cet
égard assez bien. En termes de politique ecclésiale, les destinataires, futurs
conclavistes, réfléchissent à ce que les vaticanistes nomment des
« programmes de pontificat ». On sait qu’un certain nombre d’entre
eux, qui désirent un « rééquilibrage », aimeraient promouvoir un
réexamen, au moins partiel, des options doctrinales prises il y a désormais
quarante ans. Il est raisonnable de penser qu’ils vont saisir cette occasion
que leur offre la minorité active constituée par la FSSPX en tentant de se
placer sur le terrain d’un vrai débat.
Le présent document n’est
bien sûr pas sans défaut (l’absence de distinction entre les textes
conciliaires et leur interprétation outrée, certes significative lorsqu’elle
émane du responsable de la pastorale œcuménique ; l’apparente ignorance
d’une volonté « réformatrice », que manifeste par exemple Dominus Jesus). Mais ce document de la
FSSPX présente, à mon sens, trois avantages, que je formule à la manière d’une
glose.
1°/ Il touche à un sujet
crucial
De fait, l’œcuménisme est
particulièrement préjudiciable pour l’ecclésiologie, non seulement ad extra, mais aussi ad intra : le thème de la
« diversité réconciliée » tend à effacer les frontières de
l’orthodoxie et donc les frontières de l’Eglise.
Or l’œcuménisme est au
centre de ce que l’on nomme « esprit du Concile ». Celui-ci est
structuré par une espèce de colonne vertébrale faite de trois documents
fondamentaux, œcuméniques au sens
large : le décret sur l’œcuménisme ; la déclaration sur la liberté religieuse ;
la déclaration sur les religions non chrétiennes. Ces trois textes avaient été
mis au point par le Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens, dans une visée
primordialement œcuménique. De sorte que, au cœur de ce système nouveau assez
indéfinissable qu’a promu le dernier concile, se trouve le décret Unitatis redintegratio.
2°/ Le document de la
FSSPX vise la difficulté doctrinale fondamentale
Elle se trouve dans le
raisonnement contenu dans le n. 3 de Unitatis
redintegratio, qui s’organise ainsi :
a) Le n. 3 d’Unitatis redintegratio note que, entre
autres biens, dans les Eglises et communautés séparées « s’accomplissent
beaucoup d’actions sacrées de la religion chrétienne [baptême, ordre, par exemple]…
qui peuvent certainement produire effectivement la grâce [on suppose que Unitatis redintegratio veut dire :
dans la mesure des bonnes dispositions de récipiendaires de bonne foi] ».
En soi, ces
« éléments », « biens », « actions sacrées »
appartiennent à l’Eglise catholique. Le baptême des donatistes, expliquait
saint Augustin, était en réalité un baptême catholique, qui pouvait
« revivre », si le donatiste retournait à l’Eglise.
Unitatis redintegratio devrait donc poursuivre classiquement en expliquant
que, tout en étant apparemment hors de l’Eglise, certains sujets de bonne foi
peuvent recevoir la sanctification par le moyen de sacrements et biens
catholiques reçus de facto dans des
Eglises et communautés séparées.
b) Mais Unitatis redintegratio accorde ce rôle
aux Eglises et communautés séparées comme telles, en tant que branches séparées
du cep, au titre de moyens seconds et dérivés si l’on peut dire :
« En conséquence, ces Eglises et communautés séparées, bien que nous les
croyions souffrir de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification
et de valeur dans le mystère du salut. L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse
pas de se servir d’elles comme de moyens de salut, dont la force dérive de la
plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Eglise catholique ».
On voit le saut patent du
raisonnement du n. 3 d’Unitatis
redintegratio : du fait, par exemple, que le baptême conféré dans le
cadre de l’Eglise luthérienne peut procurer la grâce, Unitatis redintegratio infère que l’Eglise luthérienne est un canal
de grâce.
3°/ Le document de la
FSSPX peut ainsi être l’occasion de bien délimiter la « proposition »
qui fait difficulté
A juste titre, il fait
remarquer que « la seule chose que ces communautés séparées peuvent
réaliser par leur propre vertu, c’est la séparation de ces âmes de l’unité
ecclésiale ».
Fondamentalement, en
effet, on ne voit pas comment les
Eglises et communautés séparées pourraient avoir comme telles un statut
surnaturel. C’est assurément sur ce point décisif que devrait se fixer le
projecteur.
Il pourrait se porter
aussi sur le principe posé dans Gaudium
et spes n. 8 (le fameux subsistit in,
la « petite trouvaille » du P. Congar, en vertu de laquelle,
disait-il, « il y a de l’Eglise en dehors de l’Eglise ») et sur la
conséquence : les frères séparés jouiraient d’une « communion
imparfaite ». Etrange concept, congardien sans doute : en fait, la
communion avec le Christ et son Eglise est ou n’est pas, mais on n’avait jamais
entendu parler d’une communion à 15 ou 20%.
Le point essentiel en
litige semble bien être celui-ci : l’Esprit-Saint se servirait des Eglises
et communautés séparées comme de moyens de salut. Pour nombre de catholiques
ceci n’est pas compatible avec la foi catholique. Le temps approche peut-être
où l’on pourra soumettre une « proposition » de ce type et d’autres
semblables au magistère de l’Eglise.
L’abbé Claude Barthe