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Un regard sur le monde

politique et religieux

 

au 1 mai   2009

 

N° 214

 

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

 

Monseigneur Lefebvre

et

la Nouvelle Messe de Paul VI.

 

Dans nos réflexions sur les  raisons du  « différend » entre Rome et Mgr Lefebvre et ses disciples,  différend qui touche essentiellement le Concile Vatican II, nous avons jusqu’ici considéré le différend concernant le  texte conciliaire « Nostra Aetate » et plus particulièrement le problème des Juifs ; nous avons également étudié le différend concernant le texte conciliaire  « Gaudium et Spes ». Il nous faut également étudier le problème de la liberté religieuse, sujet annexe du problème de l’Eglise dans le monde. Mais nous le ferrons dans un prochain ITEM.

Je voudrais aujourd’hui, pour changer un peu, aborder le problème  liturgique, le problème de la Réforme liturgique issue du Concile Vatican II et plus particulièrement, le problème du Novus Ordo Missae de Paul VI.

 

Ce sera aussi, vous l’imaginez bien,  un sujet important dans les discussions entre Rome et la FSSPX.

 

Avec l’arrivée, sur le trône de  Pierre, du cardinal Ratzinger, le problème liturgique a pris une lumière nouvelle. Avec lui, nous n’avons plus cet ostracisme contre la messe ancienne. Dans de nombreux ouvrages, avant son élection, il affirmait  en effet, son opposition à cet ostracisme ; il disait qu’il était même incompréhensible, inintelligible. Aussi exprimait-il son désir de voir « revenir » dans l’Eglise, la pratique de  ce rite. Il le dit clairement en 2001 au monastère de Fongambault. Il n’est pas étonnant alors que deux ans après son élection, il restaura, de fait,  le droit de la messe tridentine dans l’Eglise reconnaissant qu’elle ne fut jamais abolie et qu’il fut, dès lors, toujours possible, en principe, - si ce ne fut pas le cas en pratique - de la célébrer pour tout prêtre en règle canoniquement. C’est son Motu Proprio Summorum Pontificum  du 7 juillet 2007. Il a réjoui tous les cœurs « traditionalistes ».

 

Mais tout est-il aplani pour autant en cette affaire liturgique? Les prêtres de la FSSPX, dans leurs discussions doctrinales,  ne rencontreront-ils plus aucun obstacle ? Ne devront-ils pas encore « batailler »  sur certains points? Pourront-ils purement et simplement accepter le Nouveau rite de Paul VI tel quel. Ne devront-ils pas demander eux aussi la « Réforme de la réforme ». C’était la grande idée du cardinal Ratzinger. Il y a de grande chance que Benoît XVI reprenne ce thème et ces mêmes idées.  Mais la réalisation de cette « réforme de la réforme » du nouveau rite sera-t-elle estimée suffisante pour les prêtres de la FSSPX, eux qui soutiennent toujours que la Nouvelle Messe de Paul VI -  celle-là même qui fut publiée par la Constitution Missale Romanum » - est de soi « équivoque » ?

 

Mais qu’est-ce que nous proposait le Cardinal Ratzinger dans sa « Réforme de la réforme » ?  Il l’expliqua très clairement dans une conférence tenue au monastère de Fontgombault les 22 et 24 juillet 2001. Elle est  peu connue.  Et pourtant capitale. Vous la trouverez ci-dessous.

En ce mini congrès,  autour du cardinal, se trouvaient réunis à Fontgombault, quelques moines de Fontgombault, de Randol, du Barroux, quelques professeurs universitaires, le professeur Robert Spaemann, le professeur Roberto de Mattei et deux évêques, Mgr Léonard, évêque de Namur en Belgique et Mgr Eric Aumonier, évêque de Versailles. Le cardinal fit le premier exposé sur la « Théologie de la liturgie », puis, à la fin,  il reprit la parole, présentant non une synthèse des conférences prononcées,  mais seulement quelques considérations au sujet  de trois interventions. C’est dans cette dernière « prise de parole » qu’il parla de la « Réforme de la réforme » et du nécessaire retour de la messe de 1962. Il dit clairement sa pensée. Tout cela sera-t-il suffisant pour la FSSPX ?

 

Puis vous lirez l’intervention très intéressante du professeur Roberto de Mattei. Ce dernier est  titulaire de la chaire d’histoire moderne à la faculté de Lettres et de philosophie de l’Université de Cassino, en Italie. J’attire plus particulièrement votre attention sur ses trois remarques finales. Elles seront, je pense, aussi celles des prêtres de la FSSPX.

 

 

 

A-    L’intervention du Cardinal Ratzinger 

« Bilan et Perspectives »

 

Sous le titre « Bilan et perspectives » le cardinal Ratzinger a tenu le discours suivant. J’intercalerai quelques remarques chemin faisant :

 

« Révérends Pères Abbés et chers frères,

 

Je n’ose pas proposer de conclusions ; je n’avais pas le temps ni la capacité intellectuelle et physique de préparer quelque chose. Je peux seulement proposer quelques remarques. Mais surtout je veux dire mon merci très profond à vous, cher Père Abbé, pour l’esprit de ce monastère qui nous a inspiré la paix de l’Eglise, la paix de NSJC, et nous permet donc de chercher ensemble cet œcuménisme catholique dans lequel il peut y avoir une réconciliation à l’intérieur de l’Eglise, dans ces différences qui sont profonds et douloureuses.

 

Qu’est-ce que je veux dire ? J’avais pensé parler sur quatre points : un premier point une remarque encore sur la physionomie intellectuelle et spirituelle du Mouvement liturgique comme je l’ai connu ; ensuite un mot sur les propositions du P. Folsom et du Professeur Spaemann sur la pluriformité de l’intérieur du rite romain, sur des rites romains dans le rite romain ; un mot sur «  la réforme de la réforme » ; et un mot aussi, en discussion avec mon ami Spaemann, sur l’avenir du Missel de 62.

 

(Nous passerons tout de suite à la deuxième considération) :

 

2 le problème des rites romains dans le rite romain.

 

Le fait de cette coexistence est évidente, comme la très bien montré, et d’une manière très convaincante, le Père Folsom et aussi le Professeur Spaemann. Le Père Folsom en a énoncé clairement deux conséquences : il n’y a pas de raison liturgiques contre cette pluralité, mais il y a le problème des critères canoniques et – comme il dit – politiques ; je dirai plutôt pastoraux. Et c’est là réellement le problème pour l’autorité de l’Eglise : quels sont les critères ?

Personnellement j’ai été dès le début pour la liberté de continuer à user de l’Ancien Missel, pour un motif très simple ; on commençait déjà alors de parler de rupture avec l’Eglise pré-conciliaire, et la formation de modèles différents d’églises : une église préconciliaire dépassée et une église nouvelle, conciliaire. C’est d’ailleurs maintenant le slogan des  lefévristes d’affirmer qu’il y a deux églises, la grande rupture étant visible pour eux dans l’existence de deux Missels qui seraient en rupture entre eux. Il me semble essentiel et fondamental de reconnaître que les  deux Missels sont des Missels de l’Eglise et de l’Eglise qui reste toujours la même. La préface de la Messe de Paul VI dit explicitement que c’est un Missel de la même Eglise, s’inscrivant dans sa continuité. Et pour souligner qu’il n’y a pas de rupture essentielle, que la continuité et l’identité de l’Eglise existent, il me semble indispensable de maintenir la possibilité de célébrer selon l’ancien Missel comme signe de l’identité permanente de l’Eglise. C’est pour moi la raison fondamentale : ce qui était jusqu’à 1969 la liturgie de l’Eglise, la chose la plus sacrée pour nous tous, ne peut pas devenir après 69 – avec un positivisme incroyable – la chose la plus inacceptable. Si nous voulons être crédibles, même avec ce slogan de la modernité il est absolument nécessaire de reconnaître que ce qui était fondamental avant 69, le demeure: c’est une même sacralité, une même liturgie.

 

En observant les développements de l’application du nouveau Missel, j’ai trouvé très tôt une seconde raison, dont a parlé aussi le pro. Spaemann : l’ancien missel est un point de référence, un critère  - il a dit un sémaphore. Cela me semble pour tous très important que, par sa présence – signe de l’identité fondamentale des deux Missels, même s’ils sont des expressions rituelles différentes  - ce Missel de l’Eglise donne un critère de référence et devienne un refuge pour des fidèles qui, dans leur paroisse, ne trouvent plus une liturgie célébrée réellement selon les textes autorisés de l’Eglise.

 

D’une part, s’il n’y a pas de doute qu’un rite vénérable comme le rite romain en vigueur jusqu’en 69 est un rite de l’Eglise, un bien de l’Eglise, un trésor de l’Eglise, et donc à conserver dans l’Eglise.

 

Il reste, d’autre part, quand même un problème : comment régler l’usage des deux rites ? Il me semble clair que, dans le droit, le Missel de Paul VI est le Missel en vigueur, et que son usage est normal. On doit donc étudier de quelle manière permettre et conserver pour l’Eglise le trésor de l’ancien Missel. J’ai souvent parlé dans le même sens que notre ami Spaemann : s’il y avait le rite dominicain, s’il y avait – et il y a encore – le rite milanais, pourquoi pas aussi le rite – disons – « de saint Pie V » ! Mais il y a un problème très réel : si l’ecclésia lité devient une question de choix libre, s’il y a dans l’Eglise des églises rituelles choisies selon un critère de subjectivité, cela crée un problème. L’Eglise est construite sur les évêques selon la succession des apôtres, dans la forme des Eglises locales, donc avec un critère objectif. Je suis dans cette Eglise locale et je ne cherche pas mes amis, je trouve mes frères et mes sœurs ; et les frères et sœurs, on ne les cherche pas, on les trouve. Cette situation de non arbitrarité de l’Eglise dans laquelle je me retrouve, qui n’est pas une église de mon choix mais l’Eglise qui se présente à moi, est un principe très important. Il me semble que les lettres de saint Ignace vont très fortement dans cette ligne que cet évêque c’est l’Eglise ; ce n’est pas mon choix comme si j’allais avec tel groupe d’amis ou avec tel autre ; je suis dans l’Eglise commune, avec les pauvres, avec les riches, avec les personnes sympathiques et non sympathiques, avec les intellectuels et les stupides : je suis dans l’Eglise qui me précède. Ouvrir maintenant la possibilité de choisir son Eglise « à la carte », cela pourrait réellement blesser la structure de l’Eglise.

 

On doit chercher- il me semble – un critère non subjectif, pour ouvrir la possibilité de l’ancien Missel. Cela me semble très simple s’il s’agit d’abbayes : c’est une bonne chose ; cela correspond aussi à la tradition selon laquelle il y aurait des ordres avec un rite spécial, par exemple les dominicains. Donc des abbayes qui garantissent la présence de ce rite, ou aussi des communautés comme les dominicains de Saint Vincent Ferrier, ou d’autres communautés religieuse, ou aussi des fraternités : cela me semble être un critère objectif. Naturellement, le problème se complique avec les fraternités, qui ne sont pas des ordres religieux, mais des communautés de prêtres non diocésains et cependant exerçant dans les paroisses. Peut-être la paroisse personnelle est une solution, mais n’est pas non plus sans problème. En tout cas, le Saint Siège doit ouvrir à tous les fidèles cette possibilité et conserver ce trésor, mais d’autre part, il doit aussi conserver et respecter la structure épiscopale de l’Eglise.

 

 

Cette considération très importante du cardinal, que l’on pourrait résumer de deux mots : l’ecclésiologie et le rite,  rejoint la première partie de la première conclusion du professeur Mattei. Ce dernier écrit : « Du point de vue des catholiques fidèles à la Tradition, prêtres et laïques, la solution de tout problème, à court terme, doit être recherchée, à mon avis, à l'intérieur de deux "invariables": d'un côté il est nécessaire que les fidèles "traditionnels" reconnaissent, non seulement en théorie mais aussi dans toutes les conséquences pratiques, la plénitude de juridiction qui appartient à l'autorité ecclésiastique légitime »

 

A mon avis, ce point ne ferra pas de difficulté pour les fidèles de Mgr Lefebvre. L’Eglise est au cœur de leurs considérations. Et ils fuient tout « subjectivisme ».

 

 

.

 

3-     La « Réforme de la réforme ».

 

(Premier point : supprimer « la fausse créativité)

 

Le Professeur Spaemann a raison : « La réforme de la réforme » se réfère naturellement au Missel réformé, pas au Missel précédent. Qu’est-ce qu’on peut faire, étant donné que finalement notre but commun  - me semble-t-il – est la réconciliation liturgique et non pas l’uniformisme ? Je ne suis pas pour l’uniformisme ; mais naturellement nous devons être contre le chaotisme, contre la fragmentation de la liturgie, et, dans ce sens, aussi pour l’unité dans l’observance du Missel de Paul VI. Cela me semble un problème prioritaire : comment retourner à un rite commun réformé – si vous voulez – mais pas fragmenté ou laissé à l’arbitraire des communautés locales, ou de quelques groupes de commissions ou d’experts ? Donc « la réforme de la réforme » est une question qui concerne le Missel de Paul VI, toujours avec cette finalité d’une réconciliation à l’intérieur de l’Eglise, parce que, pour le moment, il y a plutôt une opposition douloureuse, et nous sommes encore loin d’une réconciliation, même si les jours que nous avons vécus ici ensemble sont un pas important vers cette réconciliation.

 

Pour le missel en vigueur, le premier point serait, à mon avis, de rejeter la fausse créativité qui n’est pas une catégorie de la liturgie. On a rappelé plus d’une fois, ce que le Concile dit réellement à ce sujet : c’est seulement l’autorité ecclésiastique qui décide, ce n’est pas le droit d’un prêtre ou de quelques personnes de changer la liturgie. Mais dans le Nouveau Missel nous trouvons assez souvent des formules comme : sacerdos dicit sic… vel simili modo…ou bien : Hic sacerdos poteste dicere…Cette formule du Missel officialise en fait la créativité ; le prêtre se sent presque obligé de changer un peu les paroles, de montrer qu’il est créatif, qu’il rend présent à sa communauté cette liturgie ; et avec cette fausse liberté qui transforme la liturgie en catéchèse pour cette communauté, on détruit l’unité liturgique et l’ecclésialité de la liturgie. Donc, il me semble, ce serait déjà une chose très importante pour la réconciliation que le Missel soit libéré de ces espaces de créativité qui ne répondent pas à la réalité profonde, à l’esprit de la liturgie. Si avec une telle « réforme de la réforme » on pouvait revenir à une célébration fidèle, ecclésiale, de la liturgie ce serait, à mon avis, déjà un pas important, parce que l’ecclésialité de la liturgie apparaîtrait de nouveau clairement.

 

(Deuxième point : revoir les traductions).

 

Le deuxième point dont on a parlé, ce sont les traductions : le chanoine Rose nous a dit des choses importantes….Il y a un nouveau document du Saint Siège sur ce problème, qui, me semble-t-il, constitue un progrès très ré&el. J’ajouterai ceci : on devrait aussi conserver quelques éléments de latin dans la liturgie normale ; une certaine présence du latin, comme lien de communion ecclésiale, me semblerait important.

 

(Le troisième point : la célébration « ad  Orientem » ou du moins retour le la Croix sur l’autel).

 

Le troisième problème est la célébration versus populum. Comme je l’ai écrit dans mes livres, je pense que la célébration vers l’orient, vers le Christ qui vient est une tradition apostolique. Cependant je suis contre la révolution permanente dans les églises ; on a restructuré maintenant tant d’églises, que recommencer de nouveau en ce moment ne me semble pas du tout opportun. Mais s’il y avait toujours sur l’autel une croix, une croix bien en vue, comme point de référence pour tous, pour le prêtre et pour les fidèles, nous aurions notre orient, parce que finalement le Crucifié est l’orient chrétien ; et, sans violence, on pourrait, me semble-t-il, faire ceci : donner comme point de référence le Crucifié, la Croix, et ainsi une nouvelle orientation à la liturgie. Je pense que ce n’est pas une chose purement extérieure : si la liturgie se réalise en un cercle clos, s’il y a seulement le dialogue prêtre-peuple, c’est une fausse cléricalisation et l’absence d’un chemin commun vers le Seigneur vers lequel nous nous tournons. Donc avoir le Seigneur comme point de référence, pour tous, le prêtre et les fidèles, me semble une chose importante et tout à fait faisable et réalisable.

 

 

 Je résume la pensée du cardinal Ratzinger.

La réforme de la réforme est nécessaire pour chercher à créer la réconciliation in sinu ecclesiae suite à la division qui est née entre catholiques après la promulgation du Nouveau Missel de 1969 de Paul VI.

La réforme de la réforme devrait pouvoir y contribuer

-en éliminant  toute créativité dans la liturgie. La liturgie est la « chose » de l’autorité ecclésiale.

-en revoyant  le problème des traductions. La chose est en cours.

-en permettant la célébration du sacrifice liturgique « ad orientem » et si la chose n’est plus possible, en obligeant le retour du crucifié, de la croix sur l’autel bien en vue et pour le prêtre et pour le peuple. C’est ce que Benoît XVI a fait dans ses dernières célébrations, par exemple, lors de son voyage en France en 2008.

Ces trois réformes sont certainement très importantes et permettront certainement un retour à un peu plus de « piété ». Ce qui manque grandement dans les célébrations liturgiques actuelles.

Mais ces trois réformes seront-elles considérées comme suffisantes par les disciples de Mgr Lefebvre ? Pour eux, c’est le rite en lui-même, telle qu’il nous est donné dans la Constitution Missale Romanum de Paul VI qui fait problème. C’est de ce rite - et de sa présentation générale  - que le cardinal Ottaviani disait qu’il s’éloignait gravement de la doctrine catholique telle qu’enseignée par le Concile de Trente. Certes, ils savent que cette présentation générale - l’Institutio generalis de la Constitution Missale romanum de 1969 -  a été corrigée. Mais dira-t-on que, puisque l’Institution generalis a été corrigée, elle n’est plus équivoque ? Outre quelle l’est encore plus ou moins, même à l’article 7 qui est devenu dans la tertia edition, l’article 16 et 17, il ne faut pas oublier que c’est la rédaction primitive qui servit d’introduction au nouvel Ordo Missae, lequel n’a pas été modifié. Les auteurs de l’Instituion generalis sont les auteurs de l’Ordo missae. Dans l’Institutio generalis ils nous disent ce qu’est le nouvel Ordo. Ils modifient le rite traditionnel pour le rendre acceptable aux protestants. C’est un rite œcuménique. D’où leur définition de l’article 7 qui vaut pour la Cène protestante  bien davantage que pour la messe catholique. N’oublions pas que l’article 7 primitif est le « phare » qui éclaire la présentation générale et le nouveau rite. Ce rite est ainsi expressément équivoque pouvant être accepté comme catholique par les catholiques et comme protestant par les Protestants. Sans s’inscrire en faux contre les définitions et précisions du Concile de Trente, il les gomme purement et simplement. Je crains que tout cela donne lieu à des conversations qui n’en finiront pas. Nous verrons, vous dis-je, qui aura raison.

 

 

4-     L’Avenir du Missel de saint Pie V.

Je connais très bien la sensibilité des fidèles qui aiment cette liturgie – c’est aussi un peu ma propre sensibilité. Et dans ce sens, je comprends bien ce que nous a dit le professeur Spaemann en affirmant : si on ne connaît pas le but d’une réforme, si petite soit-elle, si on doit penser que c’est seulement un pas intermédiaire vers une révolution parfaite, cela sensibilise les fidèles. Et dans ce sens, on doit être très prudent avec des éventuels changements. Cependant, il a dit aussi – je le souligne - : ce serait fatal si l’ancienne liturgie se trouvait comme dans un frigidaire, comme dans un parc national, un parc protégé pour une certaine espèce de personnes à qui on laisserait ces reliques du passé. Ce serait – comme l’a dit le professeur de Mattei – une espèce d’inculturation : « Il y a aussi des conservateurs, laissez à ce groupe leur inculturation ! » Avec une telle réduction au passé, on ne conserverait plus ce trésor pour l’Eglise d’aujourd’hui et de demain. Il me semble qu’on doit en tous cas éviter que cette liturgie se trouve gelée dans un frigidaire pour une certaine espèce de personnes.

 

 

 

NB Qu’à cela ne tienne, donnez en le libre usage au plus grand nombre de fidèles. Donnez donc la possibilité d’entendre cette messe dans toutes les paroisses officielles de chaque diocèse…Ainsi cessera votre crainte de voir ce rite «  se trouvait comme dans un frigidaire, comme dans un parc national, un parc protégé pour une certaine espèce de personnes à qui on laisserait ces reliques du passé ». Cela dépend de vous et de votre autorité puisque vous croyez nécessaire de maintenir ce « trésor » dans l’Eglise. La création d’église personnelle est une solution, celle de chapellenie, une autre, sans être obligé de créer dans chaque chapellenie, des sous chapelains. C’est d’une part humiliant et d’autre part suspicieux ou peu franc. N’aurait-il pas eux aussi  l’esprit d’ecclesialité, pour utiliser un mot du cardinal Ratzinger?

 

 

Cela doit être aussi une liturgie de l’Eglise, et sous l’autorité de l’Eglise ; et seulement dans cette ecclésialité, dans cette liaison fondamentale avec l’autorité de l’Eglise, elle peut donner tout ce  qu’elle peut donner. Naturellement, on peut dire : nous n’avons plus confiance dans l’autorité de l’Eglise après tout ce que nous avons reçu dans les dernières trente années. C’est quand même un principe catholique fondamental d’avoir confiance dans l’autorité de l’Eglise. J’ai été toujours très impressionné par une parole de Harnack dans une discussion avec Peterson – théologien protestant alors en voie de se convertir - ; Harnack a répondu aux questions de ce jeune collègue : c’est évident que le principe catholique  - Ecriture et Tradition-  est meilleur et qu’il est le principe juste et qu’il implique la nécessité d’une autorité dans l’Eglise ; mais même si le principe comme tel, le principe catholique, est juste,  nous vivons mieux sans l’autorité et sans les possibles actions de cette autorité. Il avait la confiance que la raison libre qui étudie l’Ecriture arriverait à la vérité et que ceci était mieux qu’être soumis à une autorité qui peut aussi faire des fautes. C’est vrai, elle peut faire des fautes, mais l’obéissance vers cette autorité est pour nous la garantie d’être dans l’obéissance envers le Seigneur. C’est là certainement une admonition très forte pour les personnes qui exercent l’autorité, de ne pas l’exercer comme un pouvoir. L’autorité dans l’Eglise est un exercice d’obéissance. Quand le Saint Père a décidé que l’Eglise n’a pas la faculté d’ordonner des femmes, c’était un exercice d’obéissance envers la grande Tradition de l’Eglise et envers l’Esprit Saint. Pour moi, c’était très intéressant de voir les progressistes les plus acharnés et les plus féroces adversaires du Magistère nous dire : « Mais non, l’Eglise peut bien faire cela, vous devez faire usage de vos facultés ! » Non, l’Eglise ne peut pas tout faire, le Pape ne peut pas tout faire. Il me semble que face à une autorité qui,dans la situation actuelle, devient encore plus consciemment un exercice de l’obéissance, tous peuvent avoir, doivent avoir cette confiance.

Pour être plus concret, je ne ferai rien dans ce domaine pour le moment – c’est clair. Mais dans l’avenir, on devrait penser – me semble-t-il – à enrichir le Missel de 1962 en introduisant des saints nouveaux ; il y a maintenant des figures importantes de saints : je pense par exemple à Maximilien Kolbe, Edith Stein, les martyrs de l’Espagne, les martyrs de l’Ukraine et tan d’autres, mais aussi à cette petite Bakita du Soudan, qui vient de l’esclavage et devient libre dans la foi du Seigneur ; il y a beaucoup de figures vraiment belles qui sont nécessaires pour nous. Donc ouvrir le calendrier de l’ancien Missel aux nouveaux saints, en faisant un choix bien médité, cela me semble une chose opportune qui ne détruirait rien du tissu de la liturgie.

 

NB. Je soutiens de mes vœux cette insertion des nouveaux saints dans le missel de 1962.

 

On pourrait penser aussi aux préfaces qui proviennent également du trésor des Pères de l’Eglise, par exemple pour l’Avent, et d’autres, pourquoi ne pas insérer ces préfaces dans l’ancien Missel ?

 

NB. Très heureuse pensée.

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Donc une grande sensibilité, une grand compréhension pour les préoccupations et pour les peurs, en contact avec les responsables, on devrait comprendre que ce Missel est aussi un Missel de l’Eglise et sous l’autorité de l’Eglise, que ce n’est pas une chose protégée du passé, mais une réalité vivante dans l’Eglise, très respectée dans son identité et dans sa grandeur historique, mais aussi considérée comme une chose vivante, non comme une  chose morte, une relique du passé. Toute la liturgie de l’Eglise est toujours une chose vivante, une réalité qui se trouve au-dessus de nous, non  pas soumise à nos volontés et à nos intentions arbitraires. Voilà quelques remarques que je voulais faire. »

Il me semble que les disciples de Mgr Lefebvre devraient être d’accord et avec l’affirmation que la liturgie, quelle soit de Pie V ou de Paul VI,  est la chose de l’Eglise. Nous l’avons dit : la liturgie n’est nullement propre à une interprétation personnelle et subjective. Ils devraient être aussi d’accord avec la modification du calendrier des saints et avec l’insertion de nouvelles Préface dans le rite de saint Pie V.

 

 

La lecture de la communication du professeur de Mattei intéressera les lecteurs d’Item comme elle a intéressé le Cardinal Ratzinger qui la site.  Nous retiendrons plus particulièrement les trois conclusions

B- Considérations sur la Réforme Liturgique

par Roberto de Mattei

Il s'agit du texte de l'intervention de Roberto de Mattei à l'occasion du Congrès Liturgique de Fontgombault, 22-24 juillet 2001.

Eminence,
T. R. Pères Abbés,
Révérends Pères,

Mon intervention, comme vous pouvez bien vous l'imaginer, ne sera pas celle d'un liturgiste ni d'un théologien, mais celle d'un homme de culture, d'un historien, d'un catholique laïque qui essaie de situer les problèmes de l'Eglise dans l'horizon de son propre temps.

Dans cette perspective, je me propose de développer certaines considérations sur les racines historiques et culturelles de la Réforme liturgique post-conciliaire. Je suis, en effet, convaincu que plus ce tableau sera clair, plus la compréhension et la solution des problèmes complexes que nous avons devant nous sera facile.

Tout problème, et la liturgie ne fait pas exception, pour être saisi dans son essence, doit être en effet situé dans un contexte plus vaste. Celui qui voudrait étudier l'architecture gothique, par exemple, ne pourrait négliger son rapport avec la Scolastique médiévale si bien illustré par Erwin Panofski , de même qu'en voulant comprendre l'art figuratif du XIXe et du XXe siècle, il serait nécessaire de recourir aux études de Hans Sedlmayr , qui en saisissent la dimension idéologique profonde. Ainsi, autant un discours sur l'art doit aller au-delà de l'art, un jugement technico-esthétique n'étant pas suffisant, autant un discours sur la liturgie doit aller au-delà de la liturgie elle-même, en essayant de trouver le sens ultime de celle-ci. La liturgie, du reste, n'est pas seulement l'ensemble des lois qui règlent les rites. Ces rites, dans leur variété, renvoient à l'unité d'une foi. Sans ce contenu, le culte chrétien serait un acte extérieur, vide, dépourvu de valeur, une action non sacrée mais "magique", typique de certaines conceptions gnostiques ou panthéistes du monde. En ce sens, il a été bien dit: "le culte, compris dans toute sa plénitude et profondeur, va bien au-delà de l'action liturgique" .

Dans ses formules, dans ses rites, dans ses symboles, la liturgie catholique doit refléter le dogme. Le dogme, a-t-on dit, est pour la liturgie ce que l'âme est pour le corps, la pensée pour la parole. Il est donc nécessaire de rendre intime et profond le rapport entre la liturgie et la foi, que l'on a traditionnellement exprimé dans la formule lex orandi, lex credendi. Dans cet axiome nous pouvons aussi trouver une clé de lecture de la crise actuelle. L'axiome Lex orandi, lex credendi dans la théologie du XXe siècle Au début du XXe siècle, les théologiens modernistes re-interprétèrent l'axiome lex orandi, lex credendi selon les catégories de leur pensée qui, sous l'influence des idéologies alors dominantes, se nourrissait d'un évolutionnisme de matrice simultanément positiviste et irrationaliste. Georges Tyrrell, en particulier, considéré par Ernesto Buonaiuti comme le personnage "le plus intimement imprégné de foi et d'enthousiasme pour la cause moderniste", identifia la révélation avec l'expérience vitale (religious experience), qui se réalise dans la conscience de chacun. C'est donc la lex orandi qui doit dicter les normes à la lex credendi et non l'inverse, vu que "le credo est contenu de façon implicite dans la prière et doit être extrait d'elle avec beaucoup de peine; et que toute formulation doit être mise à l'épreuve et expliquée par la religion concrète qu'elle formule".

On doit encore écrire l'histoire du modernisme après sa condamnation; mais il est certain que plusieurs de ces instances pénétrèrent à l'intérieur du "Mouvement liturgique", à tel point que Pie XII se vit contraint d'intervenir avec son importante encyclique Mediator Dei du 20 novembre 1947, pour en rectifier les déviations. Le Pape condamna, en particulier, "l'erreur de ceux qui prétendirent que la Sainte Liturgie fut presque une expérience du dogme", se fondant sur une lecture erronée de l'adage lex orandi, lex credendi. "Ce n'est pas ainsi - affirme Pie XII - qu'enseigne et commande l'Eglise; (…) si nous voulons distinguer et déterminer de façon générale et absolue les relations qui existent entre foi et liturgie, l'on peut affirmer avec raison que la loi de la foi doit établir la loi de la prière". Pie XII réaffirme donc le primat de l'objectivité de la foi sur la liturgie comprise comme "expérience religieuse" subjective, à l'opposé de ceux qui semblaient indiquer dans la "praxis liturgique" la nouvelle norme de la foi catholique.

Après la constitution Sacrosanctum Concilium du 4 décembre 1963, la Réforme liturgique, entreprise par Paul VI en application aux décrets conciliaires et qui aboutit à la constitution apostolique Missale Romanum du 3 avril 1969, mit de nouveau au jour le rapport entre la lex orandi et la lex credendi. Les premiers et plus influents critiques de la Réforme liturgique, les cardinaux Ottaviani et Bacci, en présentant à Paul VI un Bref examen critique du Novus Ordo Missae, définirent le nouveau rite comme "un éloignement impressionnant de la théologie catholique de la Sainte Messe telle qu'elle fut formulée dans la XXIIe session du Concile Tridentin". Faut-il le rappeler, cette session avait défini la Messe comme Sacrifice vraiment propitiatoire dans lequel "Jésus-Christ lui-même est contenu et immolé de façon non sanglante". Les critiques des cardinaux Ottaviani et Bacci et d'autres auteurs qui suivirent , soulignaient comment la nouvelle lex orandi de Paul VI ne reflétait pas sur ce point, de façon adéquate, la lex credendi traditionnelle de l'Eglise . S'ouvrit alors une discussion, non encore terminée, qui amena à des cas de conscience et à des fractures à l'intérieur de l'Eglise. Le Novus Ordo Missae, né aussi pour réaliser une forme de rencontre liturgique avec les non-catholiques, finit par produire, à l'opposé, une phase de désunion liturgique parmi les catholiques.

La thèse de fond que j'essaierai d'exposer synthétiquement est celle-ci: le rapport lex credendi-lex orandi, implicite dans la Réforme liturgique, doit être lu à la lumière de la nouvelle théologie qui prépara le Concile Vatican II et qui surtout voulut en orienter les développements. La lex credendi exprimée par le Novus Ordo parait en ce sens comme la révision de la foi catholique par le "tournant" anthropologique et séculariste de la nouvelle théologie; une théologie, il faut le souligner, qui ne se limite pas à re-proposer les thèmes modernistes, mais les fait siens après le marxisme, c'est-à-dire après une pensée qui se présente comme une "philosophie de la praxis" radicale et définitive. Cela signifie qu'un jugement global sur la Réforme, surtout trente ans après, ne peut pas se limiter à une analyse théorique du Nouveau Rite promulgué par Paul VI, mais doit nécessairement s'étendre à la "praxis liturgique" qui a suivi son institution .

La Réforme liturgique aujourd'hui ne peut plus être considérée statiquement, dans les documents qui l'ont fondée, mais doit être vue dans son aspect dynamique, en faisant attention à une multiplicité d'éléments qui, bien que n'étant pas prévus par le Novus Ordo, sont devenus une part entière de ce qui pourrait être défini comme la praxis liturgique contemporaine. La sécularisation de la liturgie La Messe, qui est l'action sacrée par excellence, a toujours été réglée par un rite, c'est-à-dire par son ordo, selon les mots de saint Augustin: "totum agendi ordinem, quem universa per orbem servat Ecclesia". Avec la Réforme liturgique, l'essence du Sacrement qui restait valide et gardait toute son efficacité, ne changea pas, mais on "fabriqua", selon l'expression du cardinal Ratzinger, un rite ex novo. Le rite, dont la définition classique remonte à Servio (Mos institutus religiosis caeremoniis consecratus), n'est pas en effet l'action sacrée mais la norme qui guide le déroulement de cette action. Il peut être défini comme l'ensemble des formules et des normes pratiques qu'il faut observer pour l'accomplissement d'une fonction liturgique déterminée, même si parfois le terme a une signification plus vaste et désigne une famille de rites (romain, grec, ambrosien). C'est bien pour cela que si les sacrements, dans leur essence, sont immuables, les rites, eux, peuvent varier selon les peuples et les temps.

En théorie, le Novus Ordo de Paul VI établit un ensemble de normes et de prières qui réglaient la célébration du Saint Sacrifice de la Messe en substitution de l'ancien Rite romain; de fait, la praxis liturgique révéla qu'on se trouvait face à un nouveau rite protéiforme. Au cours de la Réforme on introduisit progressivement toute une série de nouveautés et de variantes, un certain nombre d'entre elles non prévues ni par le Concile ni par la constitution Missale Romanum de Paul VI. Le quid novum ne saurait être limité à la substitution des langues vulgaires au latin. Il consiste également dans la volonté de concevoir l'autel comme une "table", pour souligner l'aspect du banquet à la place du sacrifice; dans la celebratio versus populum, substituée au versus Deum, avec, pour conséquence, l'abandon de la célébration vers l'Orient, c'est-à-dire vers le Christ symbolisé par le soleil naissant ; dans l'absence de silence et de recueillement pendant la cérémonie et dans la théâtralité de la célébration accompagnée souvent de chants qui tendent à désacraliser une Messe dans laquelle le prêtre est souvent réduit à un rôle de "président de l'assemblée"; dans l'hypertrophie de la liturgie de la parole par rapport à la liturgie eucharistique; dans le "signe" de la paix qui remplace les génuflexions du prêtre et des fidèles, comme action symbolique du passage de la dimension verticale à celle horizontale de l'action liturgique; dans la sainte communion reçue par les fidèles debout et dans la main; dans l'accès des femmes à l'autel; dans la concélébration, tendant à la "collectivisation" du rite. Il consiste surtout et enfin dans le changement et la substitution des prières de l'Offertoire et du Canon. L'élimination en particulier des mots Mysterium Fidei de la formule eucharistique, peut être considérée, comme l'observe le cardinal Stickler, comme le symbole de la démythification et donc de l'humanisation du noyau central de la Sainte Messe. Le fil conducteur de ces innovations peut être exprimé dans la thèse selon laquelle si nous voulons rendre la foi au Christ accessible à l'homme d'aujourd'hui, nous devons vivre et présenter cette foi à l'intérieur de la pensée et de la mentalité actuelle. La liturgie traditionnelle, de par son incapacité à s'adapter à la mentalité contemporaine, éloignerait l'homme de Dieu et se rendrait donc coupable de la perte de Dieu dans notre société.

La Réforme se proposait d'adapter le Rite, sans entamer l'essence du Sacrement, pour permettre à la communauté chrétienne cette "participation au sacré" qui ne pouvait être saisie à travers la liturgie traditionnelle. Grâce au principe de la participatio actuosa, la communauté tout entière devient sujet et porteuse de l'action liturgique". Le mot, apparemment si modeste, de 'participation active', pleine et consciente, est indice d'un arrière-plan inattendu " observe le père Angelus Häussling, en soulignant le rapport entre la participatio actuosa de la Réforme liturgique et celle qui, à l'école de Karl Rahner, a été appelée le "tournant anthropologique" (anthropologische Wende) de la théologie . Il ne semble pas excessif d'affirmer que la partecipatio actuosa de la communauté semble être le critère ultime de la Réforme liturgique dans la perspective d'une radicale sécularisation de la liturgie. Une telle sécularisation comporte l'extinction du sacrifice, action sacrée par excellence, qui sera remplacé par l'action profane de la communauté qui s'auto-glorifie, ou, selon les mots de Urs von Balthasar, vise à répondre à la louange de la Grâce de Dieu avec une " contre-gloire " purement humaine . Ce n'est plus vraiment le prêtre, in persona Christi, c'est-à-dire Dieu lui-même, qui agit, mais la communauté des fidèles, in persona hominis, pour représenter les exigences de ce monde moderne qu'un disciple de Rahner définit "comme saint et sanctifié dans son profane, c'est-à-dire saint sous forme d'anonymité". A une "Parole divine, sacrale et pluriséculaire" qui a pour conséquence "une liturgie sacralisée séparée de la vie" , s'oppose une Parole de Dieu qui "n'est pas pure révélation, mais aussi action: elle réalise ce qu'elle manifeste"; elle est "l'auto-réalisation absolue de l'Eglise" .

La distinction, proposée par Rahner, entre la "sécularisation", qui devrait être positivement admise en tant que phénomène inévitable, et le " sécularisme " anti-chrétien, qui ne serait qu'une forme déviée de la sécularisation, est clairement captieuse. De fait, le mot sécularisation, tout en ayant une quantité de sens différents, est communément compris, de même que sécularisme, comme un processus de " mondanisation " irréversible de la réalité qui s'est progressivement libérée de tout aspect transcendant et métaphysique. La sécularisation se présente en effet non seulement comme une acceptation de facto d'une sécularisation toujours croissante du monde actuel, mais aussi comme l'idée d'un processus irréversible et, en tant qu'irréversible, vrai. La sécularisation est " vraie " car la vérité est de toute façon immanente à l'histoire; le sacré est "faux" pour son illusion de transcender l'histoire et d'affirmer une distinction qualitative entre la foi et le monde, entre transcendant et transcendantal. La foi en la puissance de l'histoire prend ainsi la place de la foi en la Providence et en la puissance de Dieu. Cette philosophie de l'histoire se fonde sur le mythe, propre à l'illuminisme, du monde devenu " adulte " qui doit se libérer des valeurs du passé, relevant de l'enfance de l'humanité, pour accéder à un niveau de vie tout à fait rationnel. Une telle vision a trouvé une expression rigoureuse dans la pensée protestante, surtout dans la thèse de Bonhoeffer sur la soi-disant "maturité du monde" (Mündigkeit der Welt), une maturité que l'on atteint avec l'élimination du sacré de la vie, dans toutes ses dimensions. Cette maturité a été portée à son ultime cohérence par le marxisme gramscien qui a représenté le développement conséquent au XXe siècle de la philosophie des Lumières et le point d'arrivée du sécularisme en tant qu'immanentisme radical.

La théologie progressiste, surtout après le Concile, a voulu substituer à la philosophie traditionnelle la philosophie "moderne", en se subordonnant inévitablement au marxisme. Ce dernier représentait pour le progressisme catholique la première philosophie qui avait réussi à transporter son critère de vérité dans la praxis et qui, dans le succès de cette praxis, semblait démontrer la vérité de sa pensée. On a remarqué l'affinité entre la vision théologique de Tyrrell, fondée sur le primat de la lex orandi sur la lex credendi, et le concept d' "auto-réalisation" de l'Eglise dans la pastorale et dans la liturgie de Karl Rahner. Cependant, les instances du premier modernisme sont développées par la théologie progressiste à l'intérieur d'un horizon de pensée qui n'est plus simplement positiviste mais marxiste, un horizon de pensée qui parachève un processus, jugé nécessaire, qui enfonce ses racines dans la Philosophie des Lumières et dans le Protestantisme et, plus loin encore, dans le mouvement intellectuel qui provoqua la fin de la société médiévale. "La philosophie de la praxis - selon Gramsci - est le couronnement de tout ce mouvement de réforme intellectuelle et morale; (…) elle correspond au lien Réforme protestante + Révolution française". La philosophie de la praxis gramscienne, retranscrite théologiquement, conduit à la nécessité d'une nouvelle praxis orandi.

La Réforme liturgique se présente donc comme le Verbe de la nouvelle théologie qui se fait chair, c'est-à-dire praxis, en "auto-réalisant" l'Eglise par la nouvelle liturgie sécularisée. Nouvelle liturgie et post-modernité Ainsi qu'on a pu l'observer, le problème va bien au delà de la liturgie elle-même: il touche le jugement d'ensemble sur les rapports entre l'Eglise et la civilisation moderne; il renvoie à la nécessité d'une théologie de l'histoire. Surtout il ne peut être résolu de façon abstraite mais doit tenir compte de ce qui s'est passé dans l'Eglise au cours de ces trente dernières années.

A travers la Réforme liturgique, la théologie séculariste a recherché dans la praxis la preuve de sa propre vérité. Or la vérité qui résulte de cette praxis n'a pas été un rapprochement entre l'Eglise et le monde mais au contraire une extranéité toujours plus grande entre l'Eglise et le monde, laquelle a atteint son comble dans la crise de la foi désormais admise par tous. La nouvelle théologie a recherché la rencontre avec le monde moderne exactement à la veille de la débâcle de ce monde. En effet, en 1989, avec le soi-disant "socialisme réel", tous les mythes de la modernité et de l'irréversibilité de l'histoire qui représentaient les postulats du sécularisme et du "tournant anthropologique", se sont écroulés. Le paradigme de la modernité est remplacé aujourd'hui par celui post-moderne du "chaos", ou de la "complexité", dont le fondement est la négation du principe d'identité-causalité dans tous les aspects du réel .

En se subordonnant à ce projet culturel, la nouvelle théologie progressiste se propose la "déconstruction" de tout ce qu'elle avait "fabriqué" au cours de ces trente dernières années, en commençant par une Réforme liturgique qu'elle considère aujourd'hui construite selon un modèle abstrait et "bureaucratique". Ainsi, au schéma "monoculturel moderne" du nouvel Ordo Missæ, on oppose l'"inculturation" postmoderne de la liturgie qui est laissée à la "créativité" des églises locales. L'éloignement de la liturgie romaine est décrit par Anscar J. Chupungo selon les phases de l' "acculturation", de l' "inculturation" et de la "créativité liturgique", à travers un processus dynamique qui du terme a quo du Rite romain traditionnel puisse aboutir, comme terme ad quem, aux "valeurs, rituels et traditions" propres aux églises locales . A l'intérieur de cet horizon de "tribalisme liturgique", on pourrait donc aussi prévoir la création d'un "ghetto" traditionaliste reconnu canoniquement et considéré comme "l'église locale" de ceux qui veulent rester "inculturés" au passé.

Cependant, ce "multiritualisme" postmoderne n'a rien à voir avec la pluralité de rites reconnue traditionnellement par l'Eglise à l'intérieur d'une même unité de foi et d'une seule lex credendi dont les différents rites sont l'expression. Aujourd'hui, la fragmentation des rites risque de déboucher sur une parcellisation des visions théologiques et ecclésiologiques destinées à entrer en conflit. Le chaos liturgique se présente comme un reflet du désordre institutionnalisé que l'on voudrait introduire dans l'Eglise pour en transformer la Constitution divine. Comment ne pas partager ces mots du cardinal Ratzinger? "Ce que précédemment nous savions seulement théoriquement, est devenu une expérience concrète: l'Eglise subsiste et tombe avec la liturgie. Quand l'adoration à la Trinité divine disparaît, quand dans la liturgie de l'Eglise la foi ne se manifeste plus dans sa plénitude, quand les paroles, les pensées, les intentions de l'homme l'étouffent, alors la Foi aura perdu son lieu d'expression et sa demeure.       C'est donc pour cela que la vraie célébration de la sainte Liturgie est le centre de tout renouvellement de l'Eglise".

Proposition de solutions. Suite à ces considérations, on peut en déduire des conclusions pratiques que je me permets d'exposer en esprit d'amour envers l'Eglise et la Vérité.

  1. Du point de vue des catholiques fidèles à la Tradition, prêtres et laïques, la solution de tout problème, à court terme, doit être recherchée, à mon avis, à l'intérieur de deux "invariables": d'un côté il est nécessaire que les fidèles "traditionnels" reconnaissent, non seulement en théorie mais aussi dans toutes les conséquences pratiques, la plénitude de juridiction qui appartient à l'autorité ecclésiastique légitime. D'autre part il est clair que l'autorité ecclésiastique ne peut légitimement exiger des prêtres et des fidèles de faire positivement quoi que ce soit qui aille contre leur propre conscience. Le cardinal Ratzinger a écrit des pages très aiguës sur l'inviolabilité de la conscience qui a son fondement dans le droit à croire et à vivre comme des chrétiens croyants. "Le droit fondamental du chrétien - a-t-il écrit - est le droit à la foi intègre" et, pourrions-nous ajouter, à une liturgie intègre. Il ne sera pas difficile de déduire les conséquences canoniques et morales de ces principes clairs.
  2. En regardant les choses, non du point de vue des catholiques fidèles à la Tradition, mais sub specie Ecclesiae, il me semble que la seule voie que les autorités ecclésiastiques puissent raisonnablement parcourir à moyen terme, soit celle indiquée par la formule "réforme de la Réforme liturgique". Cette voie suscite chez certains "traditionalistes" perplexité et scepticisme car la "réforme de la Réforme" ne constituerait pas une "restauration" vraie et intègre du rite traditionnel. Mais s'il est vrai, comme le soutiennent les traditionalistes eux-mêmes, que la Réforme liturgique parvint à exécuter une vraie "Révolution", au moment même où elle affirmait sa continuité avec la Tradition, comment nier à une réforme d'esprit contraire, la possibilité de parvenir, même graduellement, à un retour à la Tradition? D'autre part il devrait être clair que la " réforme de la Réforme " n'aurait pas de sens si elle était "offerte", ou mieux imposée aux " traditionalistes ", pour leur demander d'abandonner un rite auquel, en conscience, ils ne veulent pas renoncer ; elle a un sens, au contraire, si elle est proposée à l'Eglise universelle pour rectifier, au moins en partie, les déviations liturgiques en cours. La "réforme de la Réforme" a un sens en tant que "transition" vers la Tradition et non en tant que prétexte pour l'abandonner.
  3. Ces mesures, bien que nécessaires, ne peuvent pas résoudre le problème de fond. Dans une phase que d'aucuns pourraient considérer trop longue mais qui, en réalité, est seulement urgente, car elle n'admet pas de raccourcis, il est nécessaire de renouer avec une vision théologique, ecclésiologique et sociale, fondée sur la dimension du sacré, c'est-à-dire sur un projet de re-sacralisation de la société diamétralement opposé au projet de sécularisation et de déchristianisation dont nous subissons les conséquences dramatiques. Cela signifie qu'on ne peut pas imaginer une réforme ou restauration liturgique faisant abstraction d'une réforme ou restauration sur le plan théologique, ecclésiologique et culturel. L'action sur le plan de la lex orandi devra être parallèle à celle menée sur le plan de la lex credendi pour une reconquête des principes fondamentaux de la théologie catholique, à commencer par une conception théologique exacte du Saint Sacrifice de la Messe. Aujourd'hui le sécularisme est en crise. Toutefois les nouvelles formes de sacré, qu'il s'agisse de la religiosité New Age ou de l'Islam qui prospère en Occident, éliminent le Sacrifice de Jésus-Christ et donc l'idée que l'homme peut être sauvé seulement par l'Amour gratuit de Dieu, par Son Sacrifice, et qu'à un tel don, l'homme doit répondre en embrassant lui aussi la Croix rédemptrice. Il faut donc s'approcher avec amour du mystère sublime de la Croix et de l'idée de sacrifice qui en découle. Le sacrifice, dont le modèle est le martyre et dont l'expression est le combat chrétien, est avant tout le renoncement à un bien légitime au nom d'un bien plus élevé. Le sacrifice suppose une mortification de l'intelligence qui doit se plier à la Vérité, sur une ligne exactement contraire à celle de l'auto-glorification de la pensée humaine qui a caractérisé les derniers siècles. Mais comment imaginer une reconquête de l'idée de sacrifice qui est au coeur de la vision catholique de l'histoire et de la société sans que cette idée soit avant tout vécue ? Il est nécessaire, me semble-t-il, que l'idée de sacrifice imprègne la société dans la forme, aujourd'hui extrêmement abandonnée, d'esprit de sacrifice et de pénitence. Celle-ci, et non d'autres, est l' "expérience du sacré" dont notre société a un besoin urgent. Au principe d'hédonisme et d'auto-célébration du "Je" qui constitue le noyau du processus révolutionnaire pluriséculaire qui agresse notre société, il faut opposer le principe vécu du sacrifice.

Une reconquête catholique de la société est impossible sans esprit de pénitence et de sacrifice, et sans cette reconquête des principes et des institutions chrétiennes, il est difficile de pouvoir imaginer un retour à la Liturgie authentique et à son coeur : l'adoration due au seul vrai Dieu. L'appel à la pénitence, et surtout un exemple de pénitence, peuvent valoir beaucoup plus que de nombreuses théories. C'est peut être pour cela qu'à Fatima la Sainte Vierge indique le chemin de la pénitence comme étant le seul par lequel le monde contemporain pourrait se sauver. Le triple appel à la pénitence de l'Ange dans le Troisième secret de Fatima, est un manifeste de doctrine et de vie qui nous indique la voie pour toute restauration, même liturgique.