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Un regard sur le monde  politique et religieux

Au 1 décembre 2006

 

N° 109

Par Monsieur l’abbé Aulagnier

 

Benoît XVI

et

L’Université  du Latran

Discours d’inauguration de l’année académique 2006

 

 

 

 

Il ne nous est pas possible de ne pas parler du discours que Benoît XVI  donna  à l’Université pontificale du Latran, le samedi  21 octobre 2006, à l’occasion de l’ouverture de l’année académique.

Il développa l’idée de l’Université dans le monde moderne touché par le relativisme doctrinal. Dans une telle situation, l’université  est fondamentale. Il aborda  essentiellement trois thèmes :

L’Université, la vérité et le relativisme

Le professeur universitaire face à cette ambiance relativiste

Enfin l’attitude de l’étudiant face à cet effondrement de  l’idéal chrétien. 

Il redit  dans ce discours son jugement sur le monde moderne : il est  touché par le relativisme et l’utopie, ce qu’il condamne sans ménagement, en  utilisant  le bel enseignement du mythe antique  du jeune Icare et de son père Dédale : « Se laisser entraîner par le goût de la découverte sans sauvegarder les critères qui viennent d'une vision plus profonde ferait facilement verser dans le drame dont parlait le mythe antique: le jeune Icare, pris par le goût du vol vers la liberté absolue et inattentif aux avertissements de son vieux père Dédale, s'approche toujours davantage du soleil, en oubliant que les ailes avec lesquelles il s'est élevé vers le ciel sont de cire. La terrible chute et la mort sont le tribut qu'il paie à cette illusion. La fable antique contient une leçon d'une valeur éternelle. Dans la vie il y a bien d'autres illusions à laquelle on ne peut se fier, sans risquer des conséquences désastreuses pour sa propre existence et celle des autres ».

Cette ruine totale des personnes – cette catastrophe - est un effet certain de tout relativisme : « La fable antique, dit-il,  contient une leçon d’une valeur éternelle ».

Il en profite alors  pour parler du rôle de l’Université. Dans cette situation du monde contemporain, elle est tout à fait essentielle. Il en rappelle les buts :

-elle doit conserver et transmettre la Tradition

-elle doit montrer la fécondité de la vérité

-elle doit enseigner aux nouvelles générations le sens de l’existence et montrer que  l’ « être » est plus important que le « faire ».  Sur ce sujet, il a cette magnifique phrase qu’on est vraiment heureux de lire et de méditer : « Surévaluer le « faire » en dissimulant l'« être » n'aide pas à recomposer l'équilibre fondamental dont chacun a besoin pour donner à sa propre existence un solide fondement et une finalité valable »

La finalité de l’Université étant précisée, il est facile pour le pape de rappeler la rôle  du professeur d’Université : il doit aimer la vérité et la mettre au centre  de ses préoccupations et de son enseignement.

Et c’est  à cette seule condition que l’étudiant échappera au relativisme contemporain et entretiendra en son intelligence l’amour du vrai qu’il recherchera avec passion. Le vrai n’est rien d’autre ultimement que Dieu qui s’est fait connaître dans son Christ. 

 

 

Messieurs les Cardinaux,
Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Mesdames et Messieurs,
Très chers étudiants!

Je suis particulièrement heureux de pouvoir partager avec vous le début de l'année académique, qui coïncide avec l'inauguration solennelle de la nouvelle Bibliothèque et de cette Aula Magna. Je remercie le Grand Chancelier, Monsieur le Cardinal Camillo Ruini, des paroles de bienvenue qu'il m’a m'adressées au nom de toute la communauté académique. Je salue le Recteur magnifique, Mgr Rino Fisichella, et je le remercie de son discours marquant le début de ce solennel acte académique. Je salue les Cardinaux, les Archevêques et les Evêques, les Autorités académiques et tous les professeurs, ainsi que tous ceux qui travaillent au sein de l'Université. Je salue ensuite avec une affection particulière tous les étudiants, parce que l'université est créée pour eux.

Je me souviens avec plaisir de ma dernière visite au Latran et, comme si le temps s’était arrêté, je voudrais reprendre l'argument dont il était alors question, comme si nous ne l'avions interrompu que pour quelques instants.

La finalité de l’Université face au monde moderne

Un contexte tel que le contexte universitaire invite de manière toute particulière à aborder à nouveau le thème de la crise de la culture et de l'identité, à laquelle nous assistons, de façon dramatique, au cours de ces dernières décennies.

L'Université est l'un des lieux les mieux qualifiés pour tenter de trouver les voies opportunes pour sortir de cette situation.

Au sein de l'Université, en effet,

-         on conserve la richesse de la tradition, qui demeure vivante au cours des siècles — et la Bibliothèque est justement un élément essentiel pour conserver la richesse de la tradition —;

-         en elle, on peut illustrer la fécondité de la vérité quand elle est accueillie dans son authenticité avec un esprit simple et ouvert.

-         A l'Université, on forme les nouvelles générations, qui attendent une proposition sérieuse, engagée et capable de répondre dans de nouveaux contextes à la question éternelle sur le sens de notre existence. Cette attente ne doit pas être déçue.

Le contexte contemporain semble donner le primat à une intelligence artificielle qui est toujours davantage sous l'emprise de la technique expérimentale et oublie ainsi que toute science doit toujours également sauvegarder l'homme et engager sa tension vers le bien authentique. Surévaluer le « faire » en dissimulant l'« être » n'aide pas à recomposer l'équilibre fondamental dont chacun a besoin pour donner à sa propre existence un solide fondement et une finalité valable.

Tout homme, en effet, est appelé à donner un sens à son action surtout lorsque celle-ci se place dans la perspective d'une découverte scientifique qui invalide l'essence même de la vie personnelle. Se laisser entraîner par le goût de la découverte sans sauvegarder les critères qui viennent d'une vision plus profonde ferait facilement verser dans le drame dont parlait le mythe antique: le jeune Icare, pris par le goût du vol vers la liberté absolue et inattentif aux avertissements de son vieux père Dédale, s'approche toujours davantage du soleil, en oubliant que les ailes avec lesquelles il s'est élevé vers le ciel sont de cire. La terrible chute et la mort sont le tribut qu'il paie à cette illusion. La fable antique contient une leçon d'une valeur éternelle. Dans la vie il y a bien d'autres illusions à laquelle on ne peut se fier, sans risquer des conséquences désastreuses pour sa propre existence et celle des autres

Le professeur universitaire 

Le professeur universitaire a le devoir

-         non seulement d'enquêter sur la vérité et de susciter un émerveillement éternel face à cette vérité,

-         mais également de promouvoir la connaissance de la vérité dans toutes ses dimensions et de la défendre contre des interprétations réductrices et déformées.

Placer au centre le thème de la vérité n'est pas un acte purement spéculatif, réservé à un petit cercle de penseurs; au contraire, c'est une question vitale pour donner une profonde identité à la vie personnelle et susciter la responsabilité dans les relations sociales (cf. Ep 4, 25).

En effet, si l'on abandonne la question sur la vérité et la possibilité concrète pour toute personne de pouvoir y parvenir, la vie finit par se réduire à un éventail d'hypothèses, privées de références sûres. Comme le disait le célèbre humaniste Erasme: « Les opinions sont des sources de bonheur à bon compte ! Apprendre la vraie nature des choses, même s'il s'agit de chose de moindre importance, coûte beaucoup d'efforts » (Eloge de la folie, XL, VII).

L’étudiant et son  nécessaire effort intellectuel pour trouver le vrai

C'est cet effort que l'Université doit s'engager à accomplir; cela passe à travers l'étude et la recherche, dans un esprit de patiente persévérance.

Cet effort, quoi qu'il en soit, rend capable de pénétrer progressivement au cœur des questions et ouvre à la passion de la vérité et à la joie de l'avoir trouvée. Les paroles du saint Evêque Anselme d'Aoste conservent tout le poids de leur actualité: « Qu'en désirant je te cherche, qu'en cherchant je te désire, qu'en aimant je te trouve, qu'en te retrouvant je t'aime » (Proslogion, l). Que l'espace du silence et de la contemplation, qui sont le décor indispensable sur lequel planter les interrogations que suscite l'esprit, puissent trouver entre ces murs des personnes attentives qui sachent en mesurer l'importance, l'efficacité et les conséquences pour la vie personnelle et sociale.

Dieu est la vérité ultime

Dieu est la vérité ultime à laquelle toute raison tend naturellement, sollicitée par le désir d'accomplir pleinement le parcours qui lui a été assigné. Dieu n'est pas une parole vide ni une hypothèse abstraite; au contraire, il est le fondement sur lequel construire sa propre vie. Vivre dans le monde veluti si Deus daretur implique d'assumer la responsabilité de savoir se charger de sonder tous les parcours possibles à condition de s'approcher le plus possible de Lui, qui est la fin vers laquelle tend toute chose (cf. 1 Co 15, 24). Le croyant sait que ce Dieu a un visage et qu'une fois pour toute, avec Jésus Christ, il s'est fait proche de chaque homme. Le Concile Vatican II l'a rappelé avec acuité: « Car, par son incarnation, le Fils de Dieu s'est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains d'homme, il a pensé avec une intelligence d'homme, il a agi avec une volonté d'homme, il a aimé avec un cœur d'homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l'un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché » (Gaudium et spes, n.22). Le connaître, c'est connaître la pleine vérité, grâce à laquelle on trouve la liberté: « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera » (Jn 8, 32).

Avant de conclure, je souhaite dire combien j'apprécie la réalisation du nouveau complexe architectural qui complète bien les structures de l'université, en les rendant toujours mieux adaptées à l'étude, à la recherche et à l'animation de la vie de toute la communauté. Vous avez voulu consacrer à mon humble personne cette Aula Magna. Je vous remercie de cette pensée; je souhaite qu'elle puisse être un centre fécond d'activité scientifique à travers lequel l'Université du Latran puisse se faire l'instrument d'un dialogue fructueux entre les diverses réalités religieuses et culturelles, dans la recherche commune de parcours qui favorisent le bien et le respect de tous.

Avec ces sentiments, tout en demandant au Seigneur de répandre sur ces lieux l'abondance de ses lumières, je confie le chemin de cette Année académique à la protection de la Très Sainte Vierge, et je donne à tous ma Bénédiction apostolique propitiatoire ».

 

En écho, un texte de Blanc de Saint Bonnet.

 

En lisant ce texte de Benoît XVI, je pensais au livre de Blanc de Saint  Bonnet « Politique réelle » et à son premier chapitre : « Absence de Théologie dans la Politique ». Il me plait de vous le proposer à votre réflexion :

 

« La Société moderne repose sur la Théologie. Elle en a reçu son idée de Dieu, son idée de la souveraineté, son idée du pouvoir, son idée de la justice, son idée du droit, son idée du bien et du mal, son idée du  vrai, son idée de la conscience, son idée de l’ homme, de son origine, de son but, de la loi, de la liberté, de l’imputabilité, de l’inviolabilité humaine, de l’obéissance, des mœurs, de la vertu et de la sainteté. D’une pareille Société retirez la Théologie, c’est comme si vous retiriez la vie ou l’affinité d’un corps, il retombe en dissolution…N’espérons pas vivre sur un miracle.

Déjà la Société est moralement dissoute ; elle n’est retenue que par l’ordre politique, lequel dépend d’un événement ; à la place de la Loi de Dieu, librement acceptée par les âmes, partout la loi fortifiée, rétablissant entre les hommes, entre les classes, des rapports sociaux qui n’existent plus dans les cœurs. Le respect, cet amour de ce qui est plus grand, ne cimente plus la spirale merveilleuse de la hiérarchie. L’orgueil disjoint maintenant les pierres, que l’erreur avait ramollies. Plus d’ordonnance, plus de croissance, tout reste bas ; les peuples vont comme des troupeaux. Les armées qui maintiennent la paix intérieure sont trois fois plus considérables que celles qui défendaient autrefois les Etats ; et les nations deviennent policées, de civilisées qu’elles étaient. Le jour a approche où la Société elle-même ne fera plus ses frais. La banqueroute finale suivra la dissolution morale, et la barbarie sera là.

En repoussant l’Eglise, nous nous sommes ruinés. En perdant de vue le Ciel, l’âme s’est elle-même perdue ; elle a rendu sa vie de plus en plus douloureuse, et impossible bientôt sur la terre. Que ne puis-je pénétrer les cœurs comme la conviction a pénétré mon âme ; que ne puis-je les ouvrir à la lumière et redire aux hommes fiers de notre société moderne, comme à ceux qui désirent la sauver : toute société est une unité spirituelle, un ordre, un monde  dans les esprits ; voyez le mécanisme divin de la liberté de l’homme, de cet être que l’on forme ici-bas pour le Ciel : ses lois reposent sur ses mœurs, les mœurs sur les consciences, les consciences sur les devoirs, et les devoirs sur l’autorité spirituelle, qui les éclaire et les prescrit. Notre civilisation roule sur l’Infaillibilité sans la voir ( en note, hors de ce point de vue, l’homme tombe graduellement des révolutions dans le despotisme, du despotisme dans la barbarie) .Otez l’Infaillibilité, et les devoirs, les consciences les mœurs, les lois, les institutions, tout disparaît successivement. Je le répéterai jusqu’à la fin à ceux qui désirent sauver la civilisation moderne : tout pouvoir et toute obéissance viennent de Dieu ; mais la mort comme l’orgueil, vient de l’homme. Vous sentez qu’il est un esprit et qu’il lui faut une logique…

La chute se continue tous les jours. L’homme abandonné à lui-même retombe vers l’état sauvage, vers l’état naturel de l’homme que la chute a renversé de l’état surnaturel. Car, fait en vue d’un état surnaturel, l’homme n’a point d’état naturel ici-bas ! La société humaine, telle que nous l’avons eue, est une merveille soutenue par Dieu, une merveille appuyée sur les deux forces d’En-Haut, la Grâce et l’Autorité…Que pensez de ceux qui ébranlent à la fois les deux colonnes du Temple ?  Maintenant, prenons garde ! avec des saints et des barbares, on fonde une civilisation ; avec des saints et des populations qui se sont ruinées et qui ont perdu la simplicité en même temps que la Foi, on ne produit que des martyrs au sein de la dispersion finale. Les races qui ont péché longtemps contre le Saint-Esprit, ne sont jamais remontées sur le trône de la civilisation.

Les nations ont été élevées par leurs religions comme les enfants par leurs mères. Puis l’énergie des principes fit la portée des époques et des hommes. Les religions ne sont plus des abstractions privées ; elles forment la substance et la vie des peuples ; elles ont une visibilité égale à leur profondeur. Toutes ont possédé des prêtres pour les introduire dans les cœurs, pour les transmettre, pour les maintenir. Comment aurait pu  s’en passer la religion qui contient toute la vérité ? Sans l’Eglise, le Christianisme eut été l’idée la plus belle de la terre ; mais elle s’y fut elle-même effacée, comme s’effaçait tous les jours chez les Juifs l’idée d’unité de Dieu. Si le Christianisme est la plus grande  des merveilles, l’Eglise en est la plus précieuse, elle qui nous l’a conservé ! C’est ce Christianisme, divinement conservé dans la coupe sacrée de l’Eglise, que les peuples nomment le Catholicisme, du nom de la vérité qui est universelle, ou plus simplement encore, l’Eglise catholique. Que serait-ce, ô philosophie ! si nous abordions la donnée d’une Création, inexplicable aujourd’hui sans l’Eglise ; inexplicable sans  un établissement de la vérité parmi les êtres intelligents ? Retrancher l’Eglise de la Création, c’est en retrancher l’homme…sa liberté, sa haute inviolabilité spirituelle. L’Eglise c’est la vérité.

Elle nous donne le sens de l’homme ici-bas. Non seulement elle est l’âme de la civilisation, par cette ordonnance morale dans laquelle elle établit elle-même les hommes et nous offre la Société intérieure faite ; mais politiquement et à cette heure, elle est la vie des Etats, soit par la loi qu’elle met dans les âmes, soit par la direction qu’elle imprime aux esprits. Il faudra en convenir le jour où l’on réfléchira à l’instabilité de la situation de l’Europe. Il n’y a pas la d’abstraction mais une simple déduction que l’on touche du doigt. L’homme n’agit que d’après sa pensée : on doit en chercher la source ».(p 9-12)