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 Un regard sur le monde  politique et religieux

 Au 2 mars  2005

 

N°33

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

 

 

La Loi de 1905

Loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat

 

Lettre Apostolique de Jean-Paul II aux évêques de France.

 

 

 

 

Nous donnerons dans ce numéro de « Regard sur le monde »,

 

A- Le texte de cette « Lettre Apostolique » de Jean-Paul II adressée aux évêques de France en la personne de leur  Président Mgr Ricard.

 

B- Nous la ferons suivre des réflexions de Jean Madiran, exprimées dans Présent dans deux  numéros de suite, les numéros du 16 février et du 19 février. Pour l’instant seul « Civitas » a  signalé l’existence de cette très précieuse réflexion.    

          

C- Enfin, ceux qui voudront approfondir la question,  pourront prendre connaissance  du texte du Cardinal Ottaviani rappelant la doctrine de l’Eglise sur les relations de l’Eglise et de l’Etat. Ce texte était celui  qui devait être présenté aux pères conciliaires  participants au Concile Vatican II. Ce texte représente l’état  de la doctrine catholique telle qu’elle était professée par tous, juste avant le Concile. Vous pouvez aussi revoir la question en allant étudier la rubrique d’Item : doctrine  « Politique »

 

 

 

A – La lettre Apostolique de Jean-Paul II

 

 

LETTERA DEL SANTO PADRE

À Mgr Jean-Pierre RICARD
Archevêque de Bordeaux et Président de la Conférence des Évêques de France
et à tous les Évêques de France

Le 11 février 2005

1. Au cours de vos visites ad limina, chers Frères dans l’Épiscopat, vous m’aviez fait partager vos préoccupations et vos joies de pasteurs, faisant apparaître les relations positives que vous entretenez avec les Responsables de la société civile, ce dont je ne peux que me réjouir. Lors de nos rencontres, j’avais eu l’occasion d’aborder avec vous la question des rapports avec les Autorités civiles, dans la perspective du centième anniversaire de la loi de séparation de l’Église et de l’État. J’avais d’ailleurs évoqué directement la question de la laïcité dans le discours que j’avais adressé aux évêques de la province de Besançon, le 27 février 2004.

2. En 1905, la loi de séparation de l’Église et de l’État, qui dénonçait le Concordat de 1804(1), fut un événement douloureux et traumatisant pour l’Église en France. Elle réglait la façon de vivre en France le principe de laïcité et, dans ce cadre, elle ne maintenait que la liberté de culte, reléguant du même coup le fait religieux dans la sphère du privé et ne reconnaissant pas à la vie religieuse et à l’Institution ecclésiale une place au sein de la société. La démarche religieuse de l’homme n’était plus alors considérée que comme un simple sentiment personnel, méconnaissant de ce fait la nature profonde de l’homme, être à la fois personnel et social dans toutes ses dimensions, y compris dans sa dimension spirituelle. Cependant, dès 1920, on sait gré au Gouvernement français lui-même d’avoir reconnu d’une certaine manière la place du fait religieux dans la vie sociale, la démarche religieuse personnelle et sociale, et la constitution hiérarchique de l’Église, qui est constitutive de son unité.

Le centième anniversaire de cette loi peut être aujourd’hui l’occasion de réfléchir sur l’histoire religieuse en France au cours du siècle écoulé, considérant les efforts réalisés par les différentes parties en présence pour maintenir le dialogue, efforts couronnés par le rétablissement des relations diplomatiques et par l’entente scellée en 1924, souscrite par le Gouvernement de la République, puis décrite dans l’encyclique de mon Prédécesseur le Pape Pie XI, en date du 18 février de cette année-là, Maximam gravissimamque. Dès 1921, après des années difficiles, sur l’initiative du Gouvernement français, étaient déjà engagées de nouvelles relations entre la République française et le Siège apostolique, qui ouvraient la voie à un cadre de négociation et de coopération. Dans ce cadre, put s’engager un processus de pacification, dans le respect de l’ordre juridique, tant civil que canonique. Ce nouvel esprit de compréhension mutuelle permit alors de trouver une issue à un certain nombre de difficultés et de faire concourir toutes les forces du pays au bien commun, chacune dans le domaine qui lui est propre. D’une certaine manière, on peut dire que l’on avait ainsi déjà atteint une sorte d’entente au jour le jour, qui ouvrait la voie à un accord consensuel de fait sur les questions institutionnelles de portée fondamentale pour la vie de l’Église. Cette paix, acquise progressivement, est devenue désormais une réalité à laquelle le peuple français est profondément attaché. Elle permet à l’Église qui est en France de remplir sa mission propre avec confiance et sérénité, et de prendre une part toujours plus active à la vie de la société, dans le respect des compétences de chacun.

3. Le principe de laïcité, auquel votre pays est très attaché, s’il est bien compris, appartient aussi à la Doctrine sociale de l’Église. Il rappelle la nécessité d’une juste séparation des pouvoirs (cf. Compendium de la Doctrine sociale de l’Église, nn. 571-572), qui fait écho à l’invitation du Christ à ses disciples: «Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu» (Lc 20, 25). Pour sa part, la non-confessionnalité de l’État, qui est une non-immixtion du pouvoir civil dans la vie de l’Église et des différentes religions, comme dans la sphère du spirituel, permet que toutes les composantes de la société travaillent ensemble au service de tous et de la communauté nationale. De même, comme le Concile œcuménique Vatican II l’a rappelé, l’Église n’a pas vocation pour gérer le temporel, car, «en raison de sa charge et de sa compétence, elle ne se confond d’aucune manière avec la communauté politique et n’est liée à aucun système politique» (Constitution pastorale Gaudium et spes, n. 76 § 2; cf. n. 42). Mais, dans le même temps, il importe que tous travaillent dans l’intérêt général et pour le bien commun. C’est ainsi que s’exprime aussi le Concile: «La communauté politique et l’Église, quoique à des titres divers, sont au service de la vocation personnelle et sociale des mêmes hommes. Elles exercent d’autant plus efficacement ce service pour le bien de tous qu’elles recherchent davantage entre elles une saine coopération» (Ibid., n. 76 § 3).

4. L’application des principes de la Doctrine sociale de l’Église a permis, entre autres, de nouveaux développements dans les relations entre l’Église et l’État en France, jusqu’à parvenir, ces dernières années, à la création d’une instance de dialogue au plus haut niveau, ouvrant la voie d’une part au règlement des questions en suspens ou des difficultés qui peuvent se faire jour dans différents domaines, et, d’autre part, à la réalisation d’un certain nombre de collaborations dans la vie sociale, en vue du bien commun. Ainsi, peuvent se développer des relations confiantes qui permettent de traiter les questions institutionnelles, en ce qui concerne les personnes, les activités et les biens, dans un esprit de coopération et de respect mutuel. Je salue aussi toutes les collaborations qui existent de manière sereine et confiante dans les municipalités, dans les collectivités locales et au sein des régions, grâce à l’attention des élus, du clergé, des fidèles, et des hommes et des femmes de bonne volonté. Je sais l’estime dans laquelle vous tenez les responsables de la Nation et les liens que vous avez avec eux, étant toujours prêts à apporter votre concours à la réflexion, dans les domaines qui engagent l’avenir de l’homme et de la société, et pour un plus grand respect des personnes et de leur dignité. Avec vous, j’encourage les fidèles laïcs dans leur désir de servir leurs frères et sœurs par une participation toujours plus active à la vie publique, car, comme le dit le Concile Vatican II, «la communauté des chrétiens se reconnaît réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire» (Constitution pastorale Gaudium et spes, n. 1). En raison de leur statut de citoyens, comme leurs compatriotes, les catholiques de France ont le devoir de participer, selon leurs compétences et dans le respect de leurs convictions, aux différents domaines de la vie publique.

5. Le christianisme a joué et joue encore un rôle important dans la société française, que ce soit dans les domaines politique, philosophique, artistique ou littéraire. L’Église en France compte aussi, au vingtième siècle, de grands pasteurs et de grands théologiens. On peut dire que ce fut une période particulièrement féconde, même pour la vie sociale. Henri de Lubac, Yves Congar, Marie-Dominique Chenu, Jacques et Raïssa Maritain, Emmanuel Mounier, Robert Schuman, Edmond Michelet, Madeleine Delbrêl, Gabriel Rosset, Georges Bernanos, Paul Claudel, François Mauriac, Jean Lacroix, Jean Guitton, Jérôme Lejeune, autant de noms qui ont marqué la pensée et la pratique françaises, et qui demeurent comme des grandes figures reconnues, non seulement de la communauté ecclésiale, mais aussi de la communauté nationale. Ces personnes, ainsi que de nombreux autres catholiques, ont eu une influence décisive sur la vie sociale dans votre pays et, pour certains, dans la construction de l’Europe; tous fondaient leur démarche intellectuelle et leur action sur les principes évangéliques. Parce qu’ils aimaient le Christ, ils aimaient aussi les hommes et ils s’attachaient à les servir. Il appartient aujourd’hui aux catholiques de votre pays de marcher sur la voie de leurs devanciers. On ne peut pas non plus oublier la place importante des valeurs chrétiennes dans la construction de l’Europe et dans la vie des peuples du continent. Le christianisme a en grande partie façonné le visage de l’Europe et il revient aux hommes d’aujourd’hui d’édifier la société européenne sur les valeurs qui ont présidé à sa naissance et qui font partie de sa richesse.

La France ne peut que se réjouir d’avoir en son sein des hommes et des femmes qui puisent dans l’Évangile, dans leur démarche spirituelle et dans leur vie chrétienne, des éléments et des principes anthropologiques promouvant une haute idée de l’homme, principes qui les aident à remplir leur mission de citoyens, à tous les niveaux de la vie sociale, pour servir leurs frères en humanité, pour participer au bien commun, pour répandre la concorde, la paix, la justice, la solidarité et la bonne entente entre tous, en définitive pour apporter avec joie leur pierre à la construction du corps social. À ce propos, il convient que vous preniez soin aujourd’hui de développer toujours davantage la formation des fidèles à la Doctrine sociale de l’Église et à une réflexion philosophique sérieuse, notamment les jeunes qui se préparent à exercer des charges importantes dans des postes de décision au sein de la société; ils auront alors à cœur de faire rayonner les valeurs évangéliques et les fondements anthropologiques sûrs dans les différents domaines de la vie sociale. C’est ainsi que, dans votre pays, l’Église sera au rendez-vous de l’histoire. Les chrétiens sont conscients qu’ils ont une mission à remplir au service de leurs frères, comme le dit un des plus anciens textes de la littérature chrétienne: «Si noble est le poste que Dieu leur a assigné, qu’il ne leur est pas permis de déserter» (Lettre à Diognète, VI, 10). Cette mission comporte aussi pour les fidèles un engagement personnel, car elle suppose le témoignage par la parole et par les actes, en vivant les valeurs morales et spirituelles, et en les proposant à leurs concitoyens, dans le respect de la liberté de chacun.

6. La crise des valeurs et le manque d’espérance que l’on constate en France, et plus largement en Occident, font partie de la crise d’identité que traversent les sociétés modernes actuelles; ces dernières ne proposent bien souvent qu’une vie fondée sur le bien-être matériel, qui ne peut indiquer le sens de l’existence, ni donner les valeurs fondamentales pour faire des choix libres et responsables, source de joie et de bonheur. L’Église s’interroge sur une telle situation et souhaite que les valeurs religieuses, morales et spirituelles, qui font partie du patrimoine de la France, qui ont façonné son identité et qui ont forgé des générations de personnes depuis les premiers siècles du christianisme, ne tombent pas dans l’oubli. J’invite donc les fidèles de votre pays, dans la suite de la Lettre aux catholiques de France que vous leur avez adressée il y a quelques années, à puiser dans leur vie spirituelle et ecclésiale la force pour participer à la res publica, et pour donner un élan nouveau à la vie sociale et une espérance renouvelée aux hommes et aux femmes de notre temps. «On peut penser à bon droit que le destin futur de l’humanité est entre les mains de ceux qui sont en état de donner aux générations à venir des raisons de vivre et d’espérer» (Concile Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes, n. 31). Dans cette perspective, des relations et des collaborations confiantes entre l’Église et l’État ne peuvent avoir que des effets positifs pour construire ensemble ce que le Pape Pie XII appelait déjà «la légitime et saine laïcité» [Allocution à la colonie des Marches à Rome, 23 mars 1958: La Documentation catholique 55 (1958), col. 456], qui ne soit pas, comme je l’évoquais dans l’Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Europa, «un type de laïcisme idéologique ou de séparation hostile entre les institutions civiles et les confessions religieuses» (n. 117). Ainsi, au lieu de se situer en antagonisme, les forces sociales seront toujours plus au service de l’ensemble de la population qui vit en France. J’ai confiance qu’une telle démarche permettra de faire face aux situations nouvelles de la société française actuelle, en particulier dans le contexte pluriethnique, multiculturel et multiconfessionnel de ces dernières années.

Reconnaître la dimension religieuse des personnes et des composantes de la société française, c’est vouloir associer cette dimension aux autres dimensions de la vie nationale, pour qu’elle apporte son dynamisme propre à l’édification sociale et que les religions n’aient pas tendance à se réfugier dans un sectarisme qui pourrait représenter un danger pour l’État lui-même. La société doit pouvoir admettre que des personnes, dans le respect d’autrui et des lois de la République, puissent faire état de leur appartenance religieuse. Dans le cas contraire, on court toujours le risque d’un repliement identitaire et sectaire, et de la montée de l’intolérance, qui ne peuvent qu’entraver la convivialité et la concorde au sein de la Nation.

En raison de votre mission, vous êtes appelés à intervenir régulièrement dans le débat public sur les grandes questions de société. De même, au nom de leur foi, les chrétiens, personnellement ou en associations, doivent pouvoir prendre la parole publiquement pour exprimer leurs opinions et pour manifester leurs convictions, apportant de ce fait leurs contributions aux débats démocratiques, interpellant l’État et leurs concitoyens sur leurs responsabilités d’hommes et de femmes, notamment dans le domaine des droits fondamentaux de la personne humaine et du respect de sa dignité, du progrès de l’humanité qui ne peut pas être à n’importe quel prix, de la justice et de l’équité, ainsi que de la protection de la planète, autant de domaines qui engagent l’avenir de l’homme et de l’humanité, et la responsabilité de chaque génération. C’est à ce prix que la laïcité, loin d’être le lieu d’un affrontement, est véritablement l’espace pour un dialogue constructif, dans l’esprit des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, auxquelles le peuple de France est fort justement très attaché.

7. Je sais que vous êtes très attentifs à la présence de l’Église dans des lieux où se posent les grandes et redoutables questions du sens de l’existence humaine. Je pense – pour n’en nommer que quelques-uns particulièrement significatifs – au cadre hospitalier où l’assistance spirituelle aux malades et au personnel constitue une aide de premier plan, ainsi qu’au domaine éducatif où il importe d’ouvrir les jeunes à la dimension morale et spirituelle de leur vie, pour leur permettre de développer leur personnalité intégrale. En effet, l’éducation ne peut se limiter à une formation scientifique et technique, mais elle doit prendre en compte tout l’être du jeune. C’est dans cette perspective que travaille l’Enseignement catholique, dont vous êtes responsables dans vos diocèses. Je sais son souci d’être une instance partenaire de la démarche éducative dont les Autorités civiles ont la charge, mais aussi son désir de maintenir dans le corps enseignant et dans son enseignement la spécificité qui lui est propre. Il revient pour sa part à l’État, dans le respect des règles établies, de garantir aussi aux familles qui le souhaitent la possibilité de faire donner à leurs enfants la catéchèse dont ils ont besoin, en prévoyant notamment des horaires convenables pour cela. D’autre part, sans dimension morale, les jeunes ne peuvent qu’être tentés par la violence et par des comportements qui ne sont pas dignes d’eux, comme on le constate régulièrement. À ce propos, je voudrais rendre hommage aux nombreux saints et saintes éducateurs, qui ont marqué l’histoire de vos Églises particulières et de la société en France. Il me plaît de rappeler les deux derniers de vos compatriotes que j’ai eu l’occasion de canoniser, Marcellin Champagnat, qui a largement contribué à l’éducation de la jeunesse dans les campagnes françaises, et Léonie Aviat, qui s’est attachée à venir en aide aux pauvres et qui a créé des écoles pour les jeunes filles en milieu urbain. Je sais que vous prenez soin de former des prêtres, des religieux et des religieuses, et des laïcs, pour qu’ils soient des témoins et des compagnons de leurs frères, attentifs à leurs interrogations et capables de les soutenir dans leur démarche humaine et spirituelle. À ce propos, je salue le travail courageux des enseignants et des éducateurs auprès des jeunes de votre pays, connaissant la délicatesse et l’importance de leur mission.

8. J’ai souhaité que l’année 2005 soit pour toute la communauté ecclésiale une Année de l’Eucharistie. Dans la Lettre apostolique que j’écrivais à ce sujet, je rappelais que « la "culture de l’Eucharistie" promeut une culture du dialogue et donne à cette dernière force et nourriture. On se trompe lorsqu’on pense que la référence publique à la foi peut porter atteinte à la juste autonomie de l’État et des Institutions civiles, ou bien que cela peut même encourager des attitudes d’intolérance» (Lettre apostolique Mane nobiscum Domine, n. 26). Je vous invite donc tous, chers Frères dans l’Épiscopat, ainsi que l’ensemble du clergé et des catholiques de France, à puiser dans l’Eucharistie la force pour donner un témoignage renouvelé des authentiques valeurs morales et religieuses, pour poursuivre un dialogue confiant et des collaborations sereines avec tous au sein de la société civile, et pour se mettre au service de tous.

Au terme de cette lettre, je voudrais vous exprimer et exprimer à tous vos compatriotes ma reconnaissance pour ce qui a déjà été accompli dans le domaine social et ma confiance en l’avenir d’une bonne entente entre toutes les composantes de la société française, entente dont vous êtes déjà les témoins. Que tous vos compatriotes sachent que les membres de la communauté catholique en France souhaitent vivre leur foi au milieu de leurs frères et sœurs, et mettre à la disposition de tous leurs compétences et leurs talents ! Que personne n’ait peur de la démarche religieuse des personnes et des groupes sociaux ! Vécue dans le respect de la saine laïcité, elle ne peut qu’être source de dynamisme et de promotion de l’homme. J’encourage les catholiques français à être présents dans tous les domaines de la société civile, dans les quartiers des grandes villes comme dans la société rurale, dans le monde de l’économie, de la culture, des arts, comme de la politique, dans les œuvres caritatives comme dans le système éducatif, sanitaire et social, avec le souci d’un dialogue serein et respectueux avec tous. Je souhaite que tous les Français travaillent main dans la main à la croissance de la société, afin que tous puissent en bénéficier. Je prie pour le peuple de France; ma pensée va en particulier aux personnes et aux familles touchées par les difficultés économiques et sociales. Qu’une solidarité toujours plus grande puisse s’instaurer pour que nul ne soit laissé à l’écart ! Qu’en cette période, une attention plus grande soit portée aux personnes qui n’ont pas de toit, ni de nourriture !

Je garde en mémoire les différentes visites que j’ai eu la joie d’accomplir sur la terre bien-aimée de France, et notamment mon inoubliable pèlerinage à Lourdes, lieu particulièrement cher aux fidèles de votre pays et plus largement à toutes les personnes qui veulent se confier à Marie. J’ai pu mesurer la profondeur humaine et spirituelle de la démarche d’hommes, de femmes et d’enfants français qui viennent à la grotte de Massabielle, témoignant ainsi du travail pastoral que vous réalisez dans vos diocèses, avec les prêtres, les religieux et religieuses, et les laïcs engagés dans la mission de l’Église.

En vous confiant à l’intercession de Notre-Dame de Lourdes, que nous honorons tout particulièrement en ce jour et qui est vénérée dans de nombreux sanctuaires de votre terre, et de tous les saints de votre pays, je vous accorde, ainsi qu’à tous les fidèles de vos diocèses, une affectueuse Bénédiction apostolique.

Du Vatican, le 11 février 2005.

IOANNES PAULUS II

(1) Jean Madiran fait remarquer dans son article du 15 février de Présent : « Autre nouveauté, signalée par Emile Poulat : « une erreur sur la date du Concordat » (qui n’est pas 1804, mais 1801, le 26 messidor an XI). Ce  genre d’erreur matérielle était, autrefois et naguère, quasiment inédit dans les documents pontificaux. Les secrétaires du Saint-Siège vont comme le reste : ils ne sont plus ce qu’ils étaient. (Jean Madiran, Présent du 15 février 2005)

[00207-03.01] [Texte original: Français]

 

B – Les réflexions de Jean Madiran

 

a-   Premier article,  le 16 février 2005,  sous le titre :

La lettre pontificale admet la Séparation »

 

 

Il y a une grande nouveauté dans la lettre pontificale aux évêques de France : la Séparation.

Un siècle après la loi de 1905, le Saint-Siège en conteste toujours la prétention de réduire le « fait religieux » à un simple « culte ». Mais il en accepte la « séparation » entre l’Eglise et l’Etat.

 

 

Le Saint-Siège admet le mot : admet-il aussi la chose ?

 

 Pendant un siècle, la doctrine de l’Eglise rejetait la séparation entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, elle enseignait leur distinction et prônait leur union. Néanmoins le terme de « séparation » était admis et couramment employé (par inadvertance, par ignorance doctrinale, ou bien par insolence délibérée) dans les milieux les plus à gauche de la mouvance politique dite démocrate-chrétienne.

 

Mais pour trois et disons quatre générations de familles catholiques militantes, « la Séparation » a été et demeure le mal, la honte, la défiguration de la fille aînée de l’Eglise, le reniement qui justifie le reproche adressé un certain jour à la France :

— Qu’as-tu fait des promesses de ton baptême ?

 

Le ralliement à la séparation dans le vocabulaire pontifical était ouvertement en préparation.

 

On avait bien remarqué que l’exhortation apostolique Ecclesia in Europa ne rejetait plus la « séparation » mais seulement la « séparation hostile », suggérant en somme d’imaginer une séparation amicale. Cependant le discours pontifical du 12 janvier 2004 en revenait au terme traditionnel de « distinction », disant :

« Le principe de laïcité [est] en soi légitime s’il est compris comme la distinction entre la communauté politique et les religions. »

 

Dans la récente lettre pontificale, le pas est franchi, la notion de « séparation » est acceptée et elle est déclarée « juste », cette qualification surprenante pouvant d’ailleurs être comprise comme une limitation tout autant qu’une promotion :

« Le principe de laïcité, auquel votre pays est très attaché, s’il est bien compris, appartient aussi à la doctrine sociale de l’Eglise. Il rappelle la nécessité d’une juste séparation des pouvoirs. »

 

Mais cette séparation des pouvoirs est présentée comme une collaboration entre eux, comme une association, comme un partenariat. Les concepts, du moins selon leur sens ordinaire et reçu, s’entrechoquent.

 

 Et voici une autre incertitude. De l’enseignement catholique travaillant sous l’autorité des évêques, la lettre pontificale nous dit :

« Je sais son souci d’être une instance partenaire de la démarche éducative dont les Autorités civiles ont la charge… »

 

Quelles sont donc ces Autorités (majusculaires dans le texte) qui ont la charge (supposée légitime ?) de la « démarche éducative » ? Serait-ce l’Etat, vraiment ?

 

En tout cas Le Monde a trompé son public quand, sous la signature d’Henri Tincq, il a eu la témérité d’annoncer : « Dans une lettre aux évêques français, le Pape fait l’éloge de la loi de 1905. » C’est un contresens (volontaire ?). Tout au contraire il la critique. (NDLR : Voyez particulièrement l’article 2)

 

Ce à quoi il fait une référence positive, ce sont les amendements pratiques qui y ont été apportés « par l’entente scellée en 1924, souscrite par le Gouvernement de la République ». Ces amendements sont considérés par le Saint-Siège comme un acquis définitif, solennellement ratifié, tandis que la République les considère plutôt comme un accord circonstanciel, le « pilier du Temple » restant la loi de 1905 toute nue.

 

La théologienne de l’AFP, Anne-Marie Ladouès, professe et diffuse que « l’Eglise catholique elle-même, longtemps hostile à cette loi, en vante aujourd’hui les bienfaits et ne souhaite aucune révision du texte ». Quel malentendu !

 

L’Eglise vante les bienfaits non pas de la loi de 1905, mais de sa révision (partielle). Elle ne veut pas que l’on touche à la loi parce qu’elle l’entend dans sa version partiellement révisée de 1924. De la loi de 1905, la lettre pontificale n’admet que le terme (et le concept ?) de « séparation ». C’est toujours la même pastorale dite conciliaire, qui cherche à exprimer la vérité chrétienne dans le vocabulaire des superstitions et supercheries mondaines.

 

Ce nouveau Ralliement est un ralliement au langage de la laïcité. Par le temps qu’il fait, avec le vent qui souffle, il risque de se traduire chez beaucoup par un ralliement à notre nouvelle religion d’Etat, la laïcité républicaine.

Jean Madiran

 

 

 

b- Deuxième article, le 19 février 2005, sous le titre :

« Le nouveau Ralliement »

 

« La lettre pontificale du 11 février aux évêques français manifeste un nouveau Ralliement du Saint-Siège à la République française : le troisième, après ceux de 1892 et de 1926.

Les deux précédents n’impliquaient toutefois aucun ralliement doctrinal : il ne s’agissait que de pastorale et politique circonstancielles.

La formulation du Ralliement de 2005 comporte des implications plus profondes.

1-  Le Ralliement des catholiques ordonné en 1892 par le pape Léon XIII leur imposait d’accepter la République comme forme de gouvernement, mais non pas d’adhérer à la législation et à la laïcité républicaines. Il demandait au contraire que les catholiques, admis à l’intérieur de la République et du jeu démocratique, travaillent à y modifier dans un sens chrétien la législation en vigueur. Par ailleurs, après comme avant le Ralliement, les encycliques de Léon XIII développaient fermement la doctrine traditionnelle sur les rapports de l’Eglise et de l’Etat.

Le Ralliement de Léon XIII échoua : au nom du principe républicain de laïcité, les congrégations religieuses furent de plus en plus persécutées, jusqu’à la loi de 1901 sur les associations qui leur porta le dernier coup ; en 1904 le ministère Combes proclama la rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège ; puis la loi de 1905 institua la Séparation.

2-  Les historiens démocrates-chrétiens sont à l’origine de l’usage d’appeler « second Ralliement » la condamnation de l’Action française par Pie XI en 1926. Cette condamnation, pourtant levée en 1939, eut pour conséquence durable d’installer dans l’épiscopat et le clergé français une domination des tendances de gauche, ce qui entraîna en fait de fortes dérives mentales, lesquelles ont résisté et survécu au règne de Pie XII. Mais ces dérives n’étaient pas forcément impliquées dans une condamnation qui reprochait à l’Action française de vouloir « rétablir l’esclavage » et autres fariboles de même tonneau. Après comme avant cette condamnation les encycliques de Pie XI enseignaient toujours la doctrine traditionnelle, en continuité avec les enseignements de ses prédécesseurs Léon XIII, saint Pie X et Benoît XV.

3- La lettre pontificale du 11 février 2005 implique au contraire une conception évolutive de la doctrine sociale de l’Eglise. Après avoir en 2003 réprouvé la Séparation seulement si c’est une « séparation hostile » (exhortation Ecclesia in Europa), le Saint-Siège admet maintenant la Séparation en la qualifiant de « juste séparation ».

La continuité dans la doctrine sociale est rompue, comme le manifeste (non pour la première fois) la volonté systématique de ne plus se référer aux « enseignements pontificaux de Léon XIII à Pie XII » mais seulement à la simple « déclaration » Gaudium et spes de Vatican II. Une seule exception dans la lettre du 11 février, mais c’est une confirmation : le mot révélateur de la perspective évolutive, le mot « déjà », si clairement significatif, qui est accolé à l’unique citation de Pie XII, pour rappeler « ce que le pape Pie XII appelait déjà (!) la légitime et saine laïcité », – citation au demeurant faussée par le fait d’avoir été tronquée, car Pie XII précisait bien : « … laïcité de l’Etat ». Le mot révélateur « déjà » insinue efficacement qu’il s’agit aujourd’hui d’une doctrine nouvelle, plus évoluée, dont Pie XII en son temps aurait donc été déjà une sorte de précurseur partial.

4-  La situation actuelle de la France, de l’Europe, du monde entier est absolument défavorable aux principes fondamentaux et aux points essentiels de la doctrine sociale de l’Eglise, c’est incontestable, c’est trop évident. On peut trouver là un motif prudentiel de ne pas réclamer pour le moment ce qu’il est impossible d’obtenir aujourd’hui ; on peut aussi contester cette prudence ; mon propos n’est pas pour l’instant d’en discuter ; il est de dire qu’en tout cas ce n’est pas un motif pour modifier ou amputer la doctrine, ne plus s’y tenir et ne plus l’enseigner aux prêtres et aux fidèles. Car même si cet enseignement intégral ne peut vraisemblablement, pour un temps, avoir un effet temporel direct et prochain, il garde un effet direct et certain sur le salut éternel des âmes, qui demeure tout de même la principale préoccupation de l’Eglise : et d’abord un effet direct et certain sur le salut éternel de chaque « évêque, docteur de la foi ». La doctrine sociale de l’Eglise, fondée sur la loi (morale) naturelle et sur la révélation surnaturelle, fait partie intégrante des vérités nécessaires au salut éternel. Tout baptisé a vocation d’en être, selon son état, le témoin. Et l’évêque d’en être l’intendant fidèle.

Jean Madiran

 

 

 

C- Le cardinal Ottaviani,  doctrine catholique sur : les relations de l’Eglise et de l’Etat

 

Pour satisfaire la très légitime et ultime remarque  de Jean Madiran, nous donnons cette doctrine de l’Eglise telle que le Cardinal Ottaviani l’avait rédigée pour les pères conciliaires du Concile Vatican II.

 

 

Le texte qui suit fait partie des archives publiques de Vatican II et de sa préparation. Il s’agit du chapitre 9 du « de Ecclesia » dans son état ultime, c’est-à-dire tel qu’il a été remis aux Pères conciliaires avant l’ouverture de l’assemblée. Il fut rédigé par la commission théologique présidée alors par le card. Ottaviani et ne fut jamais adopté par le concile. Il semble que dans ses grandes lignes le texte ne soit qu’une reprise d’un document que le Saint Office avait déjà préparé en 1958 afin de condamner les idées de Maritain et de Murray. Seule la mort de Pie XII avait empêché de le publier. Cela aurait été la dernière condamnation magistérielle de la liberté religieuse avant Vatican II

Les relations entre l'Eglise et l'Etat

et la tolérance religieuse

1. Le principe de distinction entre l'Eglise et la société civile et de subordination de la fin de l'Etat à la fin de l'Eglise

L'homme, destiné par Dieu à une fin surnaturelle, a besoin tant de l'Eglise que de la société civile pour parvenir à la perfection. C'est le propre de la société civile, à laquelle l'homme appartient en raison de sa nature sociale, d'atteindre, en tant qu'elle est dirigée vers les biens terrestres, cette fin grâce à laquelle les citoyens peuvent mener sur la terre " une vie calme et paisible " (1 Tm 2, 2). Quant à l'Eglise, à laquelle l'homme doit s'incorporer en vertu de sa vocation surnaturelle, elle a été fondée par Dieu pour que, croissant toujours davantage, elle conduise les fidèles à leur fin éternelle par sa doctrine, par ses sacrements, par sa prière et par ses lois. Chacune de ces sociétés est dotée des moyens nécessaires au bon accomplissement de sa mission : aussi bien, l'une et l'autre sont parfaites, ce qui veut dire que chacune d'elles, dans son ordre respectif, est souveraine, et par conséquent non soumise à une autre, pourvue du pouvoir législatif, du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif. La distinction entre ces deux Cités repose, comme le veut une tradition constante, sur les paroles du Seigneur    : " Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu " (Mt 22, 2 1).

Mais lorsque ces deux sociétés exercent leurs pouvoirs sur les mêmes personnes, voire à l'égard du même objet, il ne leur est pas permis de s'ignorer, et il convient même au plus haut point qu'elles agissent de concert, pour leur plus grand profit et pour le plus grand profit de leurs membres.

Le Saint Concile, voulant donc enseigner quelles relations doivent exister entre les deux pouvoirs en raison de leur nature, déclare tout d'abord que l'on doit tenir fermement que tant l'Eglise que la société civile ont été établies au bénéfice de l'homme, encore qu'il ne lui serve à rien de jouir de la félicité temporelle, que le pouvoir civil doit assurer, s'il vient à perdre son âme (Mt 16, 26 ; Mc 8, 36 ; Lc 9, 25). C'est pourquoi la fin de la société civile ne doit jamais être recherchée à l'exclusion ou au détriment de la fin dernière, à savoir du salut éternel.

2. Le pouvoir de l'Eglise, ses limites et les fonctions que

l'Eglise remplit vis-à-vis du pouvoir civil

Alors que le pouvoir de l'Eglise s'étend à tout ce par quoi les hommes atteignent le salut éternel, ce qui ressortit seulement à la félicité temporelle relève comme tel de l'autorité civile. Il s'ensuit que l'Eglise ne s'occupe pas des réalités temporelles, sauf en tant qu'elles seraient ordonnées à la fin surnaturelle. Mais dans ce qui est ordonné tant à la fin de l'Eglise qu'à celle de l'Etat, comme par exemple le mariage et l'éducation des enfants, les droits du pouvoir civil ont à s'exercer de telle sorte que les biens supérieurs de l'ordre surnaturel ne souffrent aucun dommage, ce dont l'Eglise est juge. Mais pour autant l'Eglise ne s'immisce d'aucune manière dans les autres affaires temporelles, qui, étant sauve la loi divine, peuvent légitimement s'organiser de diverses manières. Gardienne de son propre droit, très respectueuse de celui d'autrui, l'Eglise estime spécialement qu'il ne lui appartient pas de déterminer quelle forme constitutionnelle convient le mieux au gouvernement des nations chrétiennes : elle ne donne sa préférence à aucune sorte d'organisation de l'Etat parmi celles qui existent, dès l'instant que la religion et la morale sont sauves. Elle empêche d'autant moins le pouvoir civil d'user librement de ses droits et de ses lois, qu'elle revendique pour elle la liberté.

Les gouvernants ne doivent pas ignorer combien nombreux sont les bienfaits que l'Eglise procure à la société civile en accomplissant sa mission. C'est l'Eglise même qui contribue à faire que les citoyens soient de bons citoyens en leur inculquant la vertu et la piété chrétiennes, de sorte que le salut de l'Etat sera solidement assuré, comme le remarque S. Augustin, dans la mesure où ils sont tels que le leur prescrit la doctrine chrétienne. Elle exige également des citoyens qu'ils obéissent aux prescriptions légitimes qui leur sont faites " non seulement par crainte du châtiment, mais en conscience " (Rm 13, 5). Elle enjoint par ailleurs à ceux auxquels est confié le gouvernement de l'Etat, de ne pas exercer leur charge pour assouvir un appétit de pouvoir, mais pour le bien des citoyens, et comme devant rendre des comptes à Dieu (He 13, 17) au sujet de ce pouvoir qu'ils ont reçu de sa main. Elle inculque le respect religieux de la loi naturelle et de la loi surnaturelle, par lesquelles doit être organisé dans la paix et la justice l'ensemble de l'ordre social aussi bien entre les citoyens qu'entre les nations.

3. Les devoirs religieux du pouvoir civil

Le pouvoir civil ne peut se montrer indifférent vis-à-vis de la religion. Puisqu'il est institué par Dieu pour aider les hommes à acquérir une perfection qui soit vraiment humaine, il doit non seulement offrir aux citoyens la faculté de se procurer les biens temporels tant matériels que culturels, mais il doit faire en sorte qu'ils puissent avoir aisément et en abondance les biens spirituels qui leur sont nécessaires pour mener religieusement leur existence humaine. Parmi ces biens, aucun n'est plus important que celui de connaître Dieu, de le reconnaître comme tel, et de remplir les devoirs qui lui sont dus : tel est, en effet, le fondement de toute vertu privée et plus encore de toute vertu publique

Ces hommages dus à la majesté divine doivent être rendus non seulement par les citoyens pris individuellement, mais également par les pouvoirs publics qui représentent la société civile dans les actes publics. Dieu, en effet, est l'auteur de la société civile et la source de tous les biens qui sont répandus par elle sur ses membres. La société civile doit donc honorer et vénérer Dieu. Quant à la manière selon laquelle Dieu doit être honoré, dans l'économie présente, elle ne peut être que celle-là même dont Dieu a déterminé d'user dans la véritable Eglise du Christ. Par conséquent, l'Etat doit s'associer au culte public célébré par l'Eglise, non seulement par l'intermédiaire des citoyens, mais aussi par celui des hommes qui, préposés à l'exercice du pouvoir, représentent la société civile.

Il ressort des signes manifestes dont l'Eglise a été dotée par son divin fondateur en ce qui concerne son institution divine et sa mission, que le pouvoir civil a la possibilité de connaître « la véritable Eglise du Christ ». De sorte que le devoir de recevoir la révélation proposée par l'Eglise n'incombe pas seulement aux citoyens en particulier, mais au pouvoir civil. Ainsi, dans les lois qu'il lui revient d'édicter, il doit se conformer aux préceptes de la loi naturelle et tenir compte comme il se doit des lois positives, tant divines qu'ecclésiastiques, par lesquelles les hommes sont guidés vers la béatitude éternelle.

Mais de même qu'aucun homme ne peut honorer Dieu de la façon établie par le Christ s'il ne reconnaît qu'il nous a parlé en Jésus Christ, la société civile ne le peut que dans la mesure où les citoyens, et la puissance civile en tant qu'elle représente le peuple, sont assurés du fait de la révélation.

La puissance civile doit spécialement garantir à l'Eglise une liberté pleine et complète, et ne l'empêcher en aucune manière de pouvoir remplir son entière mission : exercer son magistère sacré, régler et célébrer le culte divin, administrer les sacrements et prendre soin des fidèles. La liberté de l'Eglise doit être reconnue par le pouvoir civil dans tout ce qui se rapporte à sa mission, qu'il s'agisse particulièrement du recrutement et de la formation des séminaristes, de la nomination des évêques, de la libre et mutuelle communication entre le Pontife Romain, les évêques et les fidèles, qu'il s'agisse de l'institution et du gouvernement de la vie religieuse, de la publication et la diffusion d'écrits, de la possession et de l'administration de biens matériels, et d'une manière générale de toutes ces activités que l'Eglise, en tenant compte des droits civils, estime bien adaptées pour conduire les hommes vers leur salut éternel, sans oublier l'enseignement profane, les œuvres sociales, et quantité d'autres moyens.

Enfin incombe au pouvoir civil le grave devoir d'exclure de la législation, du gouvernement et de l'activité publique, tout ce par quoi l'Eglise estimerait que la poursuite de la fin ultime est entravée ; par dessus tout, il doit faire en sorte que soit facilitée la vie reposant sur les principes chrétiens, existence la plus conforme à cette fin ultime pour laquelle Dieu a créé les hommes.

4. Principe général d'application de la doctrine exposée

L'Eglise a toujours reconnu que le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir civil ont des rapports mutuels différents selon que la puissance civile, agissant au nom du peuple, connaît ou non le Christ, et par lui l'Eglise qu'il a fondée.

5. Application pour l'Etat catholique

La doctrine exposée plus haut par le Saint Concile ne peut être appliquée dans son intégrité que dans la Cité au sein de laquelle les citoyens, non seulement sont baptisés, mais font profession de foi catholique. Dans cette situation, ce sont les citoyens eux-mêmes qui décident librement que la vie sociale sera informée par les principes catholiques, de telle sorte que, comme le disait S. Grégoire le Grand, "la voie du ciel s'ouvre plus largement ".

Mais, même dans ces conditions favorables, aucun motif n'autorise le pouvoir civil à contraindre les consciences d'accepter la foi divinement révélée. En effet, la foi est libre par essence, et elle ne peut faire l'objet d'aucune contrainte, comme l'enseigne l'Eglise en disant : " Personne ne peut être contraint, malgré lui, à embrasser la foi catholique "

Mais cela n'empêche en rien que le pouvoir civil se doive de procurer les conditions intellectuelles, sociales et morales, grâce auxquelles les fidèles, y compris ceux qui n'ont pas de grandes connaissances, puissent facilement persévérer dans la foi qu'ils ont reçue. C'est pourquoi, de même que le pouvoir civil estime qu'il lui revient de prendre soin de la moralité publique, de même, afin de garder les citoyens des séductions de l'erreur et pour que l'Etat soit conservé dans l'unité de la foi, ce qui est le bien suprême et la source d'une multitude de bienfaits y compris dans l'ordre temporel, le pouvoir civil peut de lui-même régler les manifestations publiques des autres cultes, et défendre ses citoyens contre la diffusion des fausses doctrines par lesquelles, au jugement de l'Eglise, leur salut éternel est mis en péril.

6. La tolérance religieuse dans l'Etat catholique

Parce qu'on doit agir dans le cadre de la préservation de la vraie foi selon les exigences de la charité chrétienne et de la prudence, il faut faire en sorte que les dissidents ne soient pas repoussés, mais bien plutôt qu'ils soient attirés vers l'Eglise, et que ni l'Etat, ni l'Eglise ne souffrent de dommage. De telle sorte qu'on doit toujours avoir présent à l'esprit le bien commun de l'Eglise et celui de l'Etat, pour la réalisation desquels le pouvoir civil, en fonction des circonstances, peut être tenu de mettre en oeuvre une juste tolérance. Celle-ci doit d'ailleurs être consacrée par la loi. Le pouvoir civil y sera tenu, soit pour éviter de plus grands maux, tels que scandale, troubles civils, obstacle à la conversion, et autres de ce type, soit pour procurer un plus grand bien, comme la collaboration sociale, une vie commune pacifique entre des concitoyens qui divergent entre eux par la religion, une plus grande liberté de l'Eglise, un accomplissement plus efficace de sa mission surnaturelle et autres bénéfices semblables. En cela, on doit tenir compte, non seulement du bien concernant l'ordre national, mais aussi du bien de l'Eglise universelle et du bien commun international. Par sa tolérance, le pouvoir civil catholique imite l'exemple de la divine Providence, qui n'empêche pas les maux dont elle peut tirer de plus grands biens. Cela doit être tout spécialement observé dans les endroits où, depuis des siècles, vivent des communautés non catholiques.

7. Application pour l'Etat non catholique

Dans les Etats, dans lesquels la majeure partie des citoyens ne professent pas la foi catholique, ou bien ne connaissent pas le fait de la Révélation, le pouvoir civil non catholique, en matière religieuse, doit au moins se conformer aux préceptes de la loi naturelle. Dans ce contexte, la liberté civile doit être concédée par ce pouvoir non catholique à tous les cultes non opposés à la religion naturelle. Mais cette liberté ne s'oppose alors pas aux principes catholiques, puisqu'elle est conforme tant au bien de l'Eglise qu'à celui de l'Etat. Dans de tels Etats, dans lesquels le pouvoir ne professe pas la foi catholique, il incombe particulièrement aux citoyens catholiques d'obtenir, grâce aux vertus et aux activités civiques par lesquelles ils promeuvent, en union avec leurs concitoyens, le bien commun de l'Etat, qu'une pleine liberté soit concédée à l'Eglise pour l'accomplissement de sa mission divine. En effet, même l'Etat non catholique ne souffre aucun dommage de la libre activité de l'Eglise, et il en retire au contraire de nombreux et remarquables avantages. De sorte que les citoyens catholiques doivent faire en sorte que l'Eglise et le pouvoir civil, bien qu'encore juridiquement séparés, se prêtent volontiers une mutuelle assistance.

Afin que les citoyens catholiques, agissant pour la défense des droits de l'Eglise, ne nuisent pas à l'Eglise, et moins encore à l'Etat, que ce soit par leur inertie, ou bien en déployant un zèle indiscret, il faut qu'ils se soumettent au jugement de l'autorité ecclésiastique, laquelle a compétence pour juger, en fonction des circonstances, de tout ce qui concerne le bien de l'Eglise et pour diriger l'action que déploient les citoyens catholiques pour la défense de l'autel.

 

8. Conclusion

Le Saint Concile, sachant bien que les principes concernant les relations mutuelles entre le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir civil n'ont à être appliqués que si le gouvernement répond à ce qui a été exposé plus haut, ne peut cependant permettre qu'ils soient voilés par le biais d'un laïcisme erroné, voire même sous prétexte de sauvegarde du bien commun. Ils s'appuient en effet sur les droits inébranlables de Dieu, sur la constitution et la mission immuables de l'Eglise, aussi bien que sur la nature sociale de l'homme qui, demeurant identique en tous temps, spécifie la fin essentielle de la société civile, nonobstant les diversités des régimes politiques et la variété des situations historiques.

 

 

 

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