Un regard sur le monde
politique et
religieux
au 3 juillet 2009
N° 223
Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier
Entretien de Mgr Fellay
au
journal autrichien « Die Presse »,
le 21 juin 2009
Le 21.06.2009, MICHAEL
PRÜLLER journaliste autrichien au lournal
"Die Presse“ a interviewé Mgr Fellay, Supérieur
Général de
Malgré des gestes
conciliants de la part du Vatican,
Die Presse : Où en
est-on entre
Mgr Fellay
: Nous
avons exposé nos propositions début juin. Une décision du Pape doit être
annoncée dans les jours qui viennent concernant la mise en œuvre
des discussions. Ce que l’on sait, c’est qu’une Commission sera mise en place à
laquelle participeront des théologiens romains et des prêtres de chez nous.
Die Presse : Quel est
votre but dans ce rapprochement ? Vous faire une place spéciale, ou
chercher un changement fondamental de l’Eglise qui irait dans votre
sens ?
Mgr Fellay
: C'est
une bonne question : qui ou quoi doit-on changer ? Quand certains
affirment que c’est toute l’Eglise qui doit changer, ce n’est naturellement pas
juste. Nous ne sommes pas « le grand adversaire ». Je comparerais
plutôt notre rôle à celui d’un thermomètre, qui indique que le corps a de la
fièvre. Et donc, qu’il y a un problème
qui doit être résolu. Ce n’est pas notre problème particulier, mais celui de la
direction de toute l’Église. L'Église souffre d’une crise grave, mais à
Rome on veut si bien la soigner, que la maladie ne cesse de se développer sans
qu’on puisse y voir de fin ! Nous
proposons les mesures qui peuvent vraiment aider.
Die Presse : Il y a donc deux points de conflit : d'une part
votre thèse, selon laquelle le noyau de
Mgr Bernard Fellay : La confusion d'aujourd'hui
provient en grande partie d'une crise culturelle qui atteint le monde
tout entier et pas seulement l'Église – une
crise de la pensée, de la philosophie. Cependant certains points de la
crise ont pris dans le Concile une forme bien précise. Nous voyons même dans le
Concile certains déclencheurs de la crise. Rome
devrait être prête à réaliser une interprétation univoque du Concile, car les
interprétations en sont jusqu’ici nombreuses. Que devons-nous exactement
reconnaître ? Chaque théologien interprète les documents différemment. Le Saint Père devrait déjà condamner une
interprétation du Concile, celle de la discontinuité, de la rupture. Mais 80 %
des évêques et des théologiens veulent cette rupture. A cet égard, ce n’est pas
nous qui sommes le problème.
Die Presse : Vous
refusez non seulement certaines interprétations, mais aussi certains documents
mêmes du Concile - concernant la liberté de religion et le respect d'autres
religions.
Mgr Fellay
: Un
exemple :
Die Presse : Est-ce
qu’il suffirait d’une Nota praevia du Pape avant ces
deux déclarations contestables selon vos positions ?
Mgr Bernard Fellay : Nous ne pouvons pas
prétendre dicter comment et quoi penser dans l'Église. Cela n'a jamais été notre conception. Nous disons simplement ce que
l'Église a toujours enseigné, tandis qu’à présent
règne la confusion. Nous demandons la
clarté.
Die Presse : L'autre grand
point de dispute entre vous et Rome est le rite tridentin de
Mgr Bernard Fellay : Je suis convaincu qu’il y
aura plus encore. Pas de notre part, mais de la part de Rome même. La situation de
Die Presse : Le pape
a légèrement adapté le rite ancien, par exemple en remaniant
Mgr Bernard Fellay : Nous prions selon l’ancienne.
Die Presse :
Serait-il imaginable que vous suiviez le Pape et que vous introduisiez la
nouvelle prière ?
Mgr Bernard Fellay : Oui, on pourrait l’imaginer. Ce que le Pape y dit ne contredit pas
Die Presse : Une
réconciliation avec Rome nécessiterait bien de votre part une sorte de
déclaration de loyauté. Pouvez-vous la faire, même si l’Église ne revient pas
au cadre d’avant Vatican II sur tous les points?
Mgr Bernard Fellay : Je répondrais plutôt ceci :
Si les principes catholiques sont éclaircis, même si tout n’est pas encore
résolu, alors oui, c’est possible. Maintenant, une question tout à fait
pratique se pose clairement : Comment serons-nous acceptés ? Il y a un blocage très fort, qui nous
empêche actuellement d'avancer. Si nous voyons trop d'opposition, alors
nous dirons simplement : "bien, nous attendrons encore un peu".
Die Presse : La
« pomme de discorde » actuelle est l’ordination annoncée par
Mgr Bernard Fellay : Je déplore que cela soit
perçu comme une provocation. Ces ordinations ont lieu chaque année, depuis 30
ans, sous la même forme. Lorsque nous
avons parlé avec Rome de l'excommunication et du reste, il n’a jamais été
question que les ordinations ne devraient plus avoir lieu. Pour nous c'est une
question vitale comme de respirer, nous avons besoin de ces prêtres.
Die Presse : Tout ne
tient pas à ces trois ordinations. N’aurait-il pas été sage de les suspendre,
ne serait-ce que pour améliorer le climat ?
Mgr Bernard Fellay : Le problème existe seulement
en Allemagne. A Rome, on trouve de la compréhension à l’égard de ces
ordinations, même si l’on dit qu’elles sont illégales, qu’elles ne sont pas
conformes au Droit Canon. Nous avons par
le passé déjà demandé à ce que l’on nous octroie un état intermédiaire, dans
lequel nous pourrions parler plus paisiblement, un état dans lequel Rome
pourrait aussi nous observer. Nous n'aurions d’ailleurs rien eu contre le
fait que Rome dépêche un observateur. Nous l’avons proposé, mais, peut-être,
pas assez clairement.
Die Presse : Étiez-vous étonnés, vous, que Rome n'ait posé aucune
condition pour la levée de l'excommunication?
Mgr Bernard Fellay : Non,
pas spécialement. Il s'agit d'un rapprochement. Qui ne peut s’opérer qu’à
petits pas – au vu de toutes les blessures et de ce qui s’est passé. C’est dans
ce sens que le geste du Pape, que nous recevons avec reconnaissance, était
aussi conçu : un geste pour améliorer
le climat. De notre côté, il y a de
l’ouverture, mais en aucun cas il ne s’agit de suspendre nos activités.
Die Presse : Lors de
la levée de l'excommunication, le Pape a souvent été comparé à l’image du père
qui s’empresse vers son fils perdu, qui est revenu repentant. Y a-t-il eu de
votre part cette démarche de retour, ou bien ne vous considéreriez-vous pas du
tout comme des fils perdus et repentants ?
Mgr Bernard Fellay : C’est le cas, nous n’entrons
pas dans cette perspective, même s’il y a ouverture de notre part. Nous
avons demandé ces discussions, et nos demandes ont été acceptées. Nous
regrettons que certains milieux tentent de torpiller cela maintenant, avec
cette agitation.
Die Presse : Pourquoi
vous n'avez pas suspendu les ordinations ? La forte réaction des évêques
allemands était pourtant à prévoir.
Mgr Bernard Fellay : C’est là que l’on se rend
compte qu’on a affaire à de mauvaises volontés. Quoi que nous fassions, nous sommes de
toutes façons considérés comme des brebis galeuses. C'est mon impression. A
un certain moment, nous disons que nous ne revenons plus en arrière. Il
faut que vous le compreniez.
Die Presse : Vous
considérez donc qu’il n’y a aucune sorte de désaveu du pape dans vos
actions ?
Mgr Bernard Fellay : Ce serait une interprétation inexacte des faits.
Ce n'est nullement un acte hostile.
J’ai écrit au Pape (au moment des ordinations, le 28 mars à Ecône,
ndlr de DICI) et je
l’ai prié de considérer ces ordinations de la façon suivante : non pas
comme une rébellion, mais bien comme une voie de survie dans des circonstances
difficiles et complexes.
Die Presse :
Interprétez les ordinations comme vous voulez, le Pape ne s’en trouve pas moins
dans une situation désagréable.
Mgr Bernard Fellay : Je le comprends bien. Cette situation est très désagréable pour tous. Encore une
fois : ce problème provient des différents courants au sein de l’Église,
qui se supportent à peine mutuellement. En
fin de compte, ce problème ne peut être résolu que par le Pape. Et encore, je ne suis même pas sûr, qu’il
puisse vraiment être résolu.
Die Presse : Que fait
maintenant Monseigneur Williamson ?
Mgr Bernard Fellay : Il est à Londres. Il prie, il étudie, rien
d'autre.
Die Presse : Peut-on
envisager une fin à cet exil intérieur ?
Mgr Bernard Fellay : Je n’en voie pas. Tout dépend de lui.
Die Presse : Il
faudrait peut-être bien qu’il prenne très nettement ses distances par rapport à
ses déclarations négationnistes de l’holocauste.
Mgr Bernard Fellay : Si de telles déclarations se renouvelaient, la
situation serait intenable.
Fin
de l'entretien (Notre traduction)