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Un regard sur le monde

politique et religieux

 

au 7 mars 2008

 

N° 162

 

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

 

 

 

LE CANON DE LA MESSE ROMAINE

 

II

 

 

Dans le numéro précèdent, nous avons publié le commentaire que Dom Guillou  nous a laissé de  « notre beau » Canon romain. J’espère que vous l’avez apprécié. Il faut l’apprécier, le goûter pour le garder plus sûrement. C’est vraiment la plus belle prière de l’Eglise par sa beauté intrinsèque, par son ancienneté.  Elle nous vient des âges apostoliques. C’est avec ces prières que les apôtres, que les anciens, que les papes, les saints prêtres ont renouvelé le sacrifice du Christ Seigneur. Elles ont sanctifié des générations de fidèles. Elles nous ont gardé inviolé le trésor de la foi. Elles sont la « lex credendi ». Elles ont nourri la piété des fidèles, des prêtres. Elles sont la « lex orandi ». Il faut les garder intégralement. Et la « réforme de la Réforme », si elle a lieu, devra nécessairement nous redonner l’intègre « canon romain ». C’est pourquoi il faut tout du moins le garder contre vent et marée, comme il fut bon de garder l’intégralité du missel dit de Saint Pie V, la vraie messe romaine.

 

C’est  dans cet esprit que nous poursuivons la publication du commentaire de Dom Guillou, son commentaire de la deuxième partie du Canon.

 

 

UNDE ET MEMORES

 

UNDE ET MEMORES, DOMINE, NOS SERVI TUI SED ET PLEBS TUA SANCTA EJUSDEM CHRISTI FILA TUI DOMINI NOSTRI TAM BEATAE PASSIONIS, NEC NON ET AB INFERIS RESURRECTIONIS SED ET IN CELOS GLORIOSE ASCENSIONIS, OFFERIMUS PRAECLARE MAJESTATI TUE, DE TUIS DONIS AC DATIS, HOSTIAM PURAM, HOSTIAM SANCTAM, HOSTIAM IMMACULATAM, PANEM SANCTUM VITE AETERNE ET CALICEM SALUTIS PERPETUAE.

 

C'est pourquoi, Seigneur, nous, vos serviteurs et, avec nous, votre peuple saint, nous rappelant la bienheureuse Passion de ce même Christ votre Fils, Notre Seigneur et sa Résurrection des enfers et aussi sa glorieuse Ascension au Ciel, nous offrons à votre divine Majesté, de vos dons et de vos bienfaits, l'Hostie pure, l'Hostie sainte, l'Hostie sans tache, le Pain sacré de la vie qui ne finira point et le Calice du salut éternel.

 

UNDE ET MEMORES

 

MEMORIAM FECIT MIRABILIUM SUORUM MISERATOR ET MISERICORS DOMINUS

Ps. 110, 4.

 

La prière qui suit la consécration s'appelle anamnèse, d'un terme grec qui signifie mémoire, parce qu'elle rappelle les mystères conjoints de la Passion, de la Résurrection et de l'Ascension.

 

Mais il convient de noter ici (parce que l'on n'a pas craint de défigurer le canon lui‑même) que la néo‑liturgie a inséré entre le « récit de l'Institution » et l'anamnèse une acclamation du peuple que voici :

 

« Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus,

Nous célébrons ta résurrection,

Nous attendons ta venue dans la gloire. »

 

La traduction exacte du latin qui fait loi devrait être : « Nous célébrons ta résurrection en attendant ton retour. » Pour des gens qui n'ont pas voulu souligner, dans les paroles de la Cène, le seul « Voici mon corps » par respect du texte évangélique, ce coup de pouce est une contradiction à leur principe. Le texte latin était discret, la traduction ne l'est plus, elle est même une invention. Dans quel sens ? Celui qui détourne l'attention de la présence réelle HIC ET NUNC pour l'orienter vers l'avènement glorieux du dernier jour.

 

Voici donc, après le soulignement indu de l'acclamation, pour détourner de la présence réelle de Jésus descendu sur l'autel l'attention de l'assistance, voici la contradiction au principe du respect de l'Ecriture, voici enfin une répétition inutile ‑ (ailleurs redoutée partout) ‑ car cette proclamation fait double emploi avec la nouvelle prière qui suit ... où il est encore question de la venue désirée. Cela fait vraiment beaucoup et mérite une médaille encore ininventée .


Heureusement, la défiguration imposée au canon romain n'a pas atteint l'UNDE ET MEMORES, le rappel de la glorification du Seigneur par « sa bienheureuse mort, sa résurrection du séjour des morts et sa glorieuse ascension dans le Ciel. » Il s'agit‑là d'un même grand mystère que la messe prolonge sacramen­tellement pour nous en dispenser les grâces.

 

L'anamnèse des nouvelles prières est fort courte. Après avoir cité Passion et Résurrection, elles s'embarquent à toute voile pour Cythère ! Elles se mettent au diapason de la précédente proclamation pour souhaiter, pour attendre la future glorieuse venue.

 

L'anamnèse a pourtant de quoi occuper pleinement notre esprit, car la messe n'est pas autre chose que l'aboutissement sacramentel des trois mystères qui ne font qu'un, de la « bienheureuse passion » du Fils de Dieu, Jésus‑Christ, notre Seigneur « de sa résurrection du séjour des, morts et de sa glorieuse ascension dans le ciel. »

 

La belle expression contrastée d'« heureuse passion » s'explique par les deux mystères qui s'ensuivent et qui font apparaître la croix comme l'instrument de la victoire du Christ. Le DE SACRAMENTIS dit de saint Ambroise est même explicite ; il parle de GLORIOSISSIME PASSIONIS : de passion très glorieuse. Le triomphe de la croix sera plénier, quand elle paraîtra sur les nuées du ciel et que le nombre des rachetés sera complet. Mais la gloire et la seconde venue du Seigneur ne feront que confirmer en clair une victoire déjà acquise et que le canon romain confesse comme telle par l'expression de « glorieuse ascension. » Jésus n'a pas attendu pour dire : j'ai vaincu le monde ; et à la veille de sa mort, il prie ainsi : « Père, glorifie‑moi de la gloire que j'ai auprès de toi. » Rien n'est plus normal alors que la solennisation de la messe, expression sacra­mentelle de la victoire du Christ.

 

L'Eglise n'a point à rougir de ce que les oecuménistes à tout crin appellent son « triom­phalisme » qu'il s'agisse de la messe, de la maison de Dieu, des processions ou saluts au T.S. Sacrement. Les néo‑liturges craignent d'être « chosistes », voire « idolâtres ». Puissent‑ils réfléchir à l'étrange contradiction de leur nouvelle liturgie ; au lieu de placer par côté le trône de l'évêque, ils le dressent face au peuple, et quel spectacle que ces concélébrateurs qui s'exposent aux regards ! Alors que la sainte liturgie traditionnelle préoccupée de la seule gloire de Dieu tourne tous les yeux vers la croix et le tabernacle, vers le symbole glorieux de la victoire du Christ, unique lumière du monde.


Au début, la glorieuse Ascension faisait corps avec Pâques. C'est, en effet, cette exaltation que met en pleine valeur l'admirable refrain de la Semaine Sainte qui définit le sacrifice : « Il s'est fait obéissant jusqu'à la mort et la mort de la croix, voilà pourquoi il a été exalté au‑dessus de tout nom et tout genou fléchit devant lui au ciel, sur la terre et dans les enfers. » Mais le temps pascal n'étant qu'une extension de Pâques, un alleluia continué, il a été bon de mettre l'Ascension à sa place dans le temps, c'est‑à‑dire le quarantième jour après Pâques.

 

Le canon de la messe porte aussi le nom grec d'anaphore qui veut dire « offrande. » Ce qui est offert à la messe, comme l'exprime notre UNDE ET MEMORES, c'est la « victime parfaite, la victime sainte, la victime sans tache, le Pain sacré de la vie éternelle et le Calice de l'éternel salut » .

 

La prière précise que ces offrandes sont tirées des biens que le Seigneur nous a donnés : DE TUIS DONIS AC DATIS. Par ces choses qui nous appartiennent, c'est nous‑mêmes que nous offrons, dont nous faisons retour à Dieu. Les apparences du pain et du vin qui subsistent après la consécration et que nous appelons : « les saintes espèces », restent toujours présentes dans le canon romain et c'est une de ses caractéristiques précieuses. Nous ne devons jamais oublier que le Seigneur vient à la messe pour nous entraîner dans son oblation sacrificielle. Saint Thomas a noté la chose dans la Somme Théologique à propos du SUPPLICES (S.T. 111, 9, 83, art. 4 ad 37) : ce qui est transporté par l'Ange sur le sublime autel du Ciel n'est point le Corps du Christ qui y réside à demeure, mais l'acte oblatoire, l'oblation que nous faisons sur notre autel terrestre par notre prière.

 

 

SUPRA QUAE

 

SUPRA QUAE PROPITIO AC SERENO VULTU RESPICERE DIGNERIS, ET ACCEPTA HABERE SIC UTI ACCEPTA HABERE DI GNATUS ES MUNERA PUERI TUI JUSTI ABEL ET SACRIFICIUM PATRIARCHE NOSTRI ABRAM ET Q UOD TIBI OBTULIT SUMMUS SACERDOS TUUS MELCHISEDECH, SANCTUM SACRIFICI UM, IMMACULATAM HOSTIAM.

 

 

Jetez un regard de complaisance et de bonté sur ces offrandes, et daignez les agréer, comme il Vous a plu d'agréer les présents du juste Abel, votre serviteur, le sacrifice de notre patriarche Abraham et celui que Vous offrit Melchisedech votre grand‑prêtre, Sacrifice Saint, Hostie sans tache.




SUPRA QUA ET ANTIQUUM DOCUMENTUM NOVO CEDAT RITUI.

Saint Thomas d'Aquin

 

Saint Thomas se reportait à la loi mosaïque pour préciser la notion de sacrifice. Car les sacrifices antérieurs que mentionne le SUPRA QUAE répondent aux mêmes conditions, ainsi que le montre clairement le sacrifice d'Abraham : le Seigneur désigne la victime, le mode d'immolation, le pays et la montagne où il faut se rendre. Il s'agit d'une obéissance et par là, l'obéissance du Christ jusqu'à la mort de la croix est figurée. « En ta postérité seront bénies toutes les nations de la terre, parce que tu as obéi à ma voix », dit Dieu. De ce sublime sacrifice du grand « patriarche », le SUPRA QUAE rapproche celui d'Abel et celui de Melchisédech, non moins significatifs. Ils appartiennent tous les trois à la période qui a précédé Moïse parce que ce qui a été aboli par la mort de la Croix est la religion juive proprement dite. L'Eglise se relie, par delà, AD ABRAHAM PATREM NOSTRUM, comme dit le BENEDICTUS. Le MAGNIFICAT n'est pas moins explicite : SICUT LOCUTUS EST AD PATRES NOSTROS, ABRAHAM ET SEMINI EJUS IN SAECULA ... Cette race d'Abraham, les innombrables fils de la Promesse, est répandue dans toutes les nations. Le nouveau peuple de Dieu n'a pas de frontières, il ne connaît ni juif ni grec. Un même sang coule dans ses veines, le sang rédempteur de Jésus. Aux douze tribus répondent maintenant les douze Apôtres dont la voix s'est fait entendre par toute la terre. L'Eglise est bâtie sur ces colonnes, la pierre angulaire étant le Christ, celle que le peuple juif a rejetée. La distinction est formelle et saint Paul n'a cessé de la rappeler entre l'Eglise et la Synagogue.

 

Il y va tout bonnement de l'existence et de la nature même du Christianisme. Le SUPRA QUAE situe donc notre messe dans la ligne des plus antiques et vénérables sacrifices, il la donne comme leur réalisation définitive et parfaite, SANCTUM SACRIFICIUM, IMMACULATAM HOSTIAM .

 

Le sacrifice offert par le prêtre qui agit au nom de l'Eglise et en place du Christ, ‑ (toujours le caractère concret de la liturgie traditionnelle) ‑ est vraiment celui de la victime parfaite et sans tache rassemblant et sublimant les sacrifices d’Abel , d'Abraham et de Melchisédech. Le nouvel Abel a été tué par son frère aîné comme Jésus par le peuple élu ; le nouvel Isaac, unique fils de son père, a été le premier d'une multitude de frères et le nouveau Prêtre et Roi a inauguré l'oblation pure et offerte en tous lieux, de l'Orient à l'Occident, prédite par le prophète.


L'évocation d'Abel, d'Abraham et de Melchisédech donne à notre SUPRA QUAE une exquise saveur d'antiquité. Dieu sait si les néo‑liturges ont donné dans l'archaïsme, malgré la défense de l'encyclique de Pie XII sur la liturgie ! Mais ils ont oublié de perpétuer une prière qui nous apportait avec tant de fraîcheur la piété des premiers siècles, l'expression de la foi eucharistique qui inspirait encore, au tout début du XVIIIème siècle, les artistes sculptant le tabernacle (hélas disparu!) de la chapelle de Versailles .

 

Le thème remonte aux «Constitutions Apos­toliques » et aux catacombes ; il a été ensuite merveilleusement illustré par les mosaïques de Ravenne. On y montre même les deux re­présentations d'Abel et de Melchisédech d'une part et de l'autre, du sacrifice d'Abraham en relation avec la mystérieuse visite des trois anges annonçant à notre « patriarche », malgré la vieillesse de Sara, une postérité plus nombreuse que le sable de la mer. Sara dit : « Dieu m'a donné de quoi rire ; quiconque l'apprendra rira à mon sujet. » Elle ajouta : « Qui eût dit à Abraham : Sara allaitera des enfants ? Car j'ai donné un fils à sa vieillesse ! » Combien plus miraculeuse fut la naissance du fils de Marie ! Et si Abraham, partant pour le sacrifice, n'a pas voulu en parler à Sara qui ne l'eût pas supporté, Dieu a permis que Marie fût au pied de la croix, s'unissant au supplice destiné à susciter une multitude d'enfants de Dieu .

 

Le sacrifice d’Abraham a atteint le sommet de la foi et de l'obéissance ; mais que dire de l'amour du Père des Cieux livrant à la mort son fils pour la vie du monde ?

 

Il y a dans cette évocation du sacrifice du « patriarche », « père de notre foi » un insondable mystère. C'est à qui du Père ou du Fils aura le plus d'amour. Oui, la messe qui perpétue le sacrifice de la croix nous plonge en plein infini : on n'en mesure ni la hauteur, ni la largeur, ni la profondeur. C'est par l'amour sans limite qu'il porte à son Père que le Christ s'est fait prêtre et victime ; il entendait que l'homme, séparé de Dieu par le péché, puisse oser désormais dire avec lui : « Notre Père. »

 

Au sacrifice d'Abraham, Dieu n'a demandé que l'obéissance de foi : Isaac n'a pas été immolé. Un bélier s'est présenté dans un buisson pour le remplacer. C'était l'annonce de l'Agneau qui, lui, a été immolé et couronné d'épines. C'est aussi par référence aux immolations d'Abel, à la différence de l'offrande de Caïn faite des « fruits du travail de l'homme », qu'a été signifiée par avance, et jusque dans son propre sang, la rédemption qui allait s'accomplir sur une croix ensanglantée ; sacrifice tel,
d'une telle plénitude, d'une telle perfection, d'une telle puissance de rachat et de salut, qu'une fois réalisé, il ne se répète plus. Son renouvellement est d'ordre réel mais sacramentel et non sanglant, sous les espèces du pain et du vin selon l'ordre de Melchisédech.

 

L'évocation du mystérieux prêtre et roi ne s'expliquerait pas si la messe catholique était, comme le protestantisme ose le prétendre, une répétition proprement dite. Pareille accusation ne peut s'expliquer que par le rejet du sacerdoce.

 

Cette prière du SUPRA QUAE dont nous n'en finirions pas de méditer tous les aspects, est un des joyaux de l'admirable canon romain ; rien de pareil ne se trouve dans les récentes compositions de bureau appelées « prières eucharistiques. »

 

Le SUPPLICES qui suit est aussi une pure merveille.

 

 

SUPPLICES TE ROGAMUS

 

SUPPLICES TE ROGAMUS, OMNIPOTENS DEUS: JUBE HIEC PERFERRI PER MANUS SANCTI ANGELI TUI IN SUBLIME ALTARE TUUM, IN CONSPECTU DIVINIE MAJESTATIS TUAE : UT QUOTQUOT, EX HAC ALTARIS PARTICIPATIONE, SACRO‑SANCTUM FILII TUI CORPUS ET SANGUINEM SUMPSERIMUS, OMNI BENEDICTIONE CAELESTI ET GRATIA REPLEAMUR. PER EUMDEM CHRIST UM DOMINUM NOSTRUM. AMEN.

 

Nous Vous en supplions, Dieu tout­-puissant, commandez que cette oblation soit portée par les mains de votre Saint Ange, sur votre autel sublime, en présence de votre divine Majesté afin que nous tous qui, participant à cet autel, aurons reçu le Corps saint et sacré et le Sang de votre Fils, nous soyons comblés de toutes les grâces et de toutes les bénédictions du ciel. Par le même Jésus‑Christ Notre Seigneur. Ainsi soit‑il.




SUPPLICES TE ROGAMUS

 

« En vérité, je vous le dis : vous verrez le Ciel ouvert et les Anges de Dieu montant et descendant sur le Fils de l'Homme. »

(St Jean, I, 51).

 

Le SUPPLICES TE ROGAMUS qui suit le SUPRA QUAE a été admiré de tout temps par les vrais liturgistes, depuis Florus de Lyon et Yves de Chartres au XIème siècle, jusqu'au R.P. Bouyer de nos jours.

 

La prière commence par la profonde inclination qui accompagnait déjà le mot de SUPPLICES au début du canon ; de même que venait d'être évoquée par le triple SANCTUS la majestueuse vision d'Isaïe, c'est plutôt ici, grâce à l'idée d'autel, l'Agneau immolé de l'Apocalypse qui nous est présenté debout, parce que vivant pour interpeller sans cesse pour nous et recevant l'hommage « d'une multitude d'anges, des myriades et des milliers de milliers », chantant : « A celui qui est assis sur le trône et à l'Agneau louange, honneur, gloire et puissance dans les siècles des siècles ! »

 

Le SUPPLICES relie donc l'autel céleste à celui de la terre où l'Agneau se voile sous les humbles « espèces » qui nous représentent. Il se fait un échange sublime. Les Anges montent et descendent pour porter notre oblation unie à celle de Jésus et pour nous rapporter « toute bénédiction et toute grâce » par l'union au Corps très saint, au Sang très pur de Notre Seigneur Jésus‑Christ, le Fils de Dieu.

 

On s'est interrogé sur l'Ange dont il est question dans cette prière. Que ce soit saint Michel, « le prévôt du Paradis », ne pose pas de problème. Mais pourquoi tout seul ? Le DE SACRAMENTIS qui très tôt nous fait connaître au moins des fragments du canon romain met ici l'Ange au pluriel. Il est apparu à Jeanne d'Arc, chacun le sait ; or, dans son procès, la sainte parle aussi des Anges qui l'accompagnaient.

 

N'est‑ce pas d'ailleurs l'idée, qu'impose la finale de toutes les préfaces aussi bien que le SANCTUS du Seigneur SABAOTH, Dieu des armées célestes. Les Anges participent au saint sacrifice comme nous les voyons présents au Calvaire. Qui ne connaît l'admirable Bréa de Nice avec ses Anges gracieux qui partagent l'extrême douleur de Marie tenant sur ses genoux son Fils mort. L'existence angélique est une des grandes vérités catholiques, antithèse d'une autre, non moins certaine, celle des « esprits mauvais répandus dans le monde pour la perte des âmes » .


A partir de ce SUPPLICES qui nous a ouvert le Ciel, la pensée des cieux inspire le reste du canon, dans le MEMENTO des défunts et le NOBIS QUOQUE PECCATORIBUS où, à la faveur d'une nouvelle liste de saints martyrs, la miséricorde divine est suppliée de nous donner part à leur béatitude, malgré notre indignité.

 

MEMENTO DES DEFUNTS

 

MEMENTO ETIAM, DOMINE, FAMULORUM FAMULARUMQUE TUARUM ... QUI NOS PRAECESSERUNT CUM SIGNO FIDEI ET DORMIUNT IN SOMNO PALIS.  IPSIS, DOMINE, ET OMNIBUS IN CHRISTO QUIESCENTIBUS, LOCUM REFRIGERII, LUCIS ET PALIS UT INDULGEAS, DEPRECAMUR. PER EUMDEM CHRISTUM DOMINUM NOSTRUM. AMEN

 

 

Souvenez‑Vous aussi, Seigneur, de nos défunts, vos serviteurs et vos servantes qui nous ont précédés marqués du sceau de la foi et dorment du sommeil de la paix.

Nous Vous supplions, Seigneur, de les admettre, eux et tous ceux qui reposent dans le Christ, au lieu du rafraîchissement, de la lumière et de la paix. Par le même Jésus‑Christ Notre Seigneur. Ainsi soit‑il.

 

 

MEMENTO DES DEFUNTS

 

SIGNAT UM EST SUPER NOS LUMEN VULT US T UI, DOMINE.

Ps, IV, 7.

 

Quand le bienheureux et bien nommé Fra Angelico nous décrit le paradis et qu'il y montre les Anges tenant la main des élus pour une ronde sacrée dans un printanier paysage verdoyant et fleuri, on se demande s'il n'a pas pénétré dans les cieux ; non, il ne fait que continuer une tradition très antique dont une des plus belles réalisations est la mosaïque de saint Apollinaire à Ravenne. Notre MEMENTO relève du même esprit, il traduit la même antiquité. Comment Paul VI pouvait‑il dire à Jean Guitton que par sa réforme liturgique avait été « retrouvée la source qui est la tradition la plus ancienne, la plus primitive, la plus proche des origines. Or cette tradition a été obscurcie au cours des siècles et particulièrement au Concile de Trente. » Merci pour le Concile de Trente, dont les effets furent si bénéfiques, traité si légèrement par un pape qui veut nous faire respecter le sien aux fruits empoisonnés. Son Annibal, touchant aux oraisons du Vendredi‑Saint s'est contenté de verser de joyeuses larmes sur des textes qui, pendant des siècles, « ont alimenté la piété chrétienne avec tant d'efficacité et qui ont encore aujourd'hui le parfum spirituel des temps héroïques de l'Eglise primitive » (cf. Celier, p. 34). L'Eglise n'a plus besoin de héros?

 

Non seulement le Concile de Trente a eu le souci de la Tradition, de toute la Tradition, mais il s'est spécialement gardé de « faire le moindre ajout, la moindre correction, la moindre substitution au canon romain, coeur de notre messe traditionnelle, une prière qui respire le plus évident parfum d'antiquité. » Nous l'avons vu notamment avec le SUPRA QUAE, le

Q UAM OBLATIONEM, le QUI PRIDIE QUAM PATERETUR. Rien n'est plus clair dans le MEMENTO des défunts. Comme le nard précieux que Marie‑Madeleine répandit sur la tête et les pieds du Seigneur en « signe de sa sépulture », l'antique parfum émanant de cette prière embaume la sépulture de ceux qui meurent dans le Christ, « marqués du sceau de la foi et qui dorment du sommeil de la paix. » La paix évoquée deux fois, le « sommeil de la paix », Dom Guéranger pense tout de suite aux Catacombes, à l'IN PACE qu'on y trouve partout et que nous recherchons en vain dans la IIème et IIIème prières eucharistiques.

 

Quant à l'idée de sommeil, elle‑même très primitive, elle nous rappelle le mot de Notre Seigneur parlant de la fille de Jaïre qu'il allait ressusciter : « Elle n'est pas morte, elle dort. » Même expression pour parler de Lazare. Nos cimetières, comme l'indique l'origine grecque du mot, sont les champs du sommeil en attendant la résurrection. Cette image de sommeil annonce donc avec le sens poétique et la discrétion des Anciens, le retour à la vie de nos corps eux‑mêmes. Mais comme l'âme n'existe plus néo‑liturgiquement, il y a quelque chose d'étrange dans l'insistance actuelle sur la résurrection. D'après la prière II, nos agonisants s'endormiraient « dans l'espérance de la résurrection », un point c'est tout. Dans le texte latin il y a : « Souvenez‑vous (pardon, souviens‑toi) dans votre miséricorde, IN TUA MISERICORDIA. Dans une anaphore pourtant si brève, ces mots ont disparu ! ... Et la prière ajoute (ça il ne faut pas le manquer !) : « Souviens‑toi aussi de tous les hommes qui ont quitté cette vie. » Voilà quelque chose de tout à fait nouveau et qui ne se rattache pas, quoi qu'en dise Paul VI, à la « tradition la plus ancienne, la plus primitive, la plus proche des origines, obscurcie au cours des siècles. » Non, la manière première et toujours maintenue, a été de prier pour ceux qui ont fait profession de la foi catholique et apostolique et qui sont morts baptisés. L'âme qui est au Purgatoire fait partie de l'Eglise, « l'Eglise souffrante » ici évoquée après l'Eglise militante et triomphante au début du canon. L'innovation de la prière III est tout de même plus discrète ; on y prie « pour les hommes qui ont quitté ce monde et dont tu connais la droiture. » La droiture, nous l'avons vu plus haut, est‑ce que cela suffit ? En tout cas, cela traduit mal le TIBI PLACENTES du latin (ceux qui t'ont plu).

 

Enfin, IVème prière : « Souviens‑toi de nos frères qui sont morts dans la paix du Christ et de tous les morts dont toi seul connais la foi. » ...Et qui ne seraient pas morts dans la paix du Christ qui n'auraient pas fait partie du divin bercail où le Bon Pasteur a eu le soin constant de préserver du loup et des mercenaires ses brebis : « Père, ceux que tu m'as donnés, je les ai gardés. » Elle était vraiment belle cette image du bercail dont se sont enchantés les premiers siècles chrétiens. Ils ont aimé représenter le compatissant Berger portant sur ses épaules sa brebis. Ils ont compris le Dieu d'Ezéchiel : « Je retirerai du milieu des peuples mes brebis et les rassemblerai de partout. Je les ferai paître sur les montagnes d'Israël, au bord du ruisseau, dans les pâturages les plus fertiles... Là, elles se reposeront au milieu d'herbages verdoyants ... C'est moi-même qui ferai paître mes brebis et qui les ferai se reposer, dit le Seigneur ».

 

Les anciens voyaient dans l'Eglise un bercail bien gardé par le Bon Pasteur, avec le bâton de sa croix, dans le paysage idyllique d'une prairie printanière où paissent des brebis d'une blancheur éclatante. Tel est le royaume « du rafraîchissement, de la lumière et de la paix », dont parle notre MEMENTO des morts ; et de ce royaume l'Eglise est la préfigure, ce qui explique d'ailleurs qu'il ne soit pas question dans sa liturgie de ceux qui ne sont pas du bercail ; la messe est le bien propre des chrétiens, leur pâturage sacré qui les nourrit et les désaltère. La prière du début du canon ne se fait que pour ceux qui ont la foi et sont de l'Eglise catholique et apostolique. Le MEMENTO des morts du canon romain relie étroitement l'Eglise et le Ciel, comme le SUPPLICES unissait l'autel de la terre à celui des cieux. Les brebis du bercail sont les baptisés, ceux qui ont reçu le signe de la foi (CUM SIGNO FIDEI). Le signe de la croix tracé sur le front du néophyte a été dès l'origine la manière de désigner le sacrement de l'initiation chrétienne. La croix résume toute la foi, c'est elle qui départage les rachetés par la Passion du Christ et ceux qui ne l'ont pas été. Tracée sur le front du baptisé, la croix devient la marque de l'appartenance au Christ, de la même manière que les brebis d'un bercail recevaient la marque de leur possesseur et le soldat le signe qui l'eût désigné comme déserteur, s'il avait refusé de servir sa patrie. Le baptême étant un sacrement de caractère, rien ne l'exprimait mieux que ce « saint sceau indissoluble » et ce « gage du royaume » dont parlait saint Cyrille de Jérusalem. Pour les « Constitutions Apostoliques », le signe de la croix était le « sceau de l'alliance nouvelle », l'équivalent pour le chrétien de la circoncision abolie. C'est le signe de l'Agneau dont parle l'Apocalypse. C'est le TAU (T) du salut qui écarta l'Ange exterminateur et qui permit, grâce à la libération de l'Egypte, l'entrée dans la Terre Promise. Par ce signe de la foi, le baptisé ne contracte pas seulement un devoir de fidélité au Christ, mais le Christ s'engage à son égard tout le premier. Quelle profondeur dans cette prière du canon romain!

 

Et quelle assurance de prédestination ! Le nombre des élus est fixé. Le jugement final ne viendra pas « avant que les Anges n'aient marqué au front les serviteurs de Dieu », dit l'Apocalypse, « tous ceux qui viennent de la grande tribulation , qui ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l'Agneau ... Ils sont devant le trône de Dieu ; ils le servent nuit et jour dans son temple.

 

Celui qui est assis sur le trône déploie sa tente au‑dessus d'eux ; ils n'ont plus faim ni soif ; le soleil ne les accable plus ni aucune chaleur brûlante ; car l'Agneau qui est au milieu du trône les fait paître et les conduit aux sources des eaux de la vie ... Ils ont son nom ‑ (Jésus‑Sauveur) ‑ sur leur front. Le Seigneur les illumine ... Et j'entendis une voix qui venait du ciel disant : Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur ! ‑ Oui, dit l'Esprit, qu'ils se reposent de leurs peines, car leurs oeuvres les suivent. »

 

Voilà dans quelle atmosphère se situe notre admirable MEMENTO du canon romain, celle des premiers âges de la sainte liturgie, depuis les Catacombes jusqu'aux basiliques des VIème et VIIème siècles.

 

 NOBIS QUOQUE PECCATORIBUS

 

NOBIS QUOQUE PECCATORIBUS, FAMULIS TUIS, DE MULTITUDINE MISERATIONUM T UAR UM SPERANTIB US, PAR TEM ALIQUAM ET SOCIETATEM DONARE DIGNERIS, CUM TUIS SANCTIS APOSTOLIS ET MARTYRIBUS, CUM JOANNE, STEPHANO, MATTHIA, BARNABA, IGNATIO, ALEXANDRO, MARCELLINO, PETRO, FELICITATE, PERPETUA, AGATHA, LUCIA, AGNETE, CECILIA, ANASTASIA, ET OMNIBUS SANCTIS TUIS INTRA QUORUM NOS CONSORTIUM NON AESTIMATOR MERITI SED VENIAE, QUESUMUS, LARGITOR ADMITTE.

PER CHRISTUM DOMINUM NOSTRUM

 

PER QUEM HEC OMNIA, DOMINE, SEMPER BONA CREAS, SANCTIFICAS, VIVIFICAS,  BENEDICIS, ET PRIESTAS NOBIS.

 

PER IPSUM ET CUM IPSO ET IN IPSO EST TIBI DEO PATRI OMNIPOTENTI IN UNITATE SPIRITUS SANCTI OMNIS HONOR ET GLORIA. PER OMNIA SECULA SAECULORUM.

 

Pour nous aussi, pécheurs, qui sommes vos serviteurs et espérons en la multitude de vos miséricordes, daignez aussi nous donner part au céleste héritage et nous réunir à vos saints Apôtres et Martyrs, à Jean, Etienne, Matthias, Barnabé, Ignace, Alexandre, Marcellin, Pierre, Félicité, Perpétue, Agathe, Lucie, Agnès, Cécile, Anastasie et à tous vos saints. Nous vous en supplions : recevez‑nous en leur sainte société, non point en considération de nos mérites, mais en usant d'indulgence à notre égard.

 

Au nom de Notre Seigneur Jésus‑Christ. Par qui, Seigneur, Vous créez sans cesse tous ces biens, Vous les sanctifiez, Vous les vivifiez, Vous les bénissez et Vous nous les donnez.

 

C'est par Lui, et avec Lui et en Lui, que tout honneur et toute gloire Vous sont rendus ô Dieu, Père tout‑puissant, en l'unité du Saint‑Esprit. Dans tous les siècles des siècles.

 

NOBIS QUOQUE PECCATORIBUS

 

De l'éternel printemps des cieux nous nous sentons biens indignes, quoique de la famille de Dieu par le baptême (FAMULIS) ; nous sommes de pauvres pêcheurs (PECCATORIBUS). Le but de cet ouvrage n'étant pas de faire l'histoire de la messe, il importe peu de savoir pourquoi, ici le prêtre élève la voix, ainsi qu'au début du NON SUM DIGNUS. C'est l'humilité que ce rite inspire maintenant et cette attitude convient à toute la messe, à l'exemple du publicain de la parabole évangélique, seul agréé par le Seigneur. La liturgie traditionnelle est réaliste, elle ne se berce pas d'illusions. Parce qu'elle se place devant Dieu, elle est pleine de sa  révérence. Le culte de l'homme lui fait horreur. Elle préfère mépriser sans nuance les choses terrestres que de ne pas aimer de tout coeur les choses célestes.


A l'occasion de la seconde liste de saints et de saintes ‑ (sept martyrs et sept martyres à la suite de saint Jean‑Baptiste) ‑ le prêtre ne demande plus leur secours et leur protection comme dans le COMMUNICANTES, il prie humblement le Seigneur que nous ayons tous part avec eux dans la lumière, non pas à CAUSE de nos mérites qui sont minces, mais par l'effet de cette libéralité dans le pardon qui convient à Dieu : LARGITAS ! Oui, Seigneur, selon l'expression de votre Serviteur David pécheur mais repentant (Ps. MISERERE, 2), c'est dans le seul espoir « de l'abondance de vos miséricordes » (DE MULTITUDINE MISERA­TIONUM TUARUM) que nous pouvons accéder à la société de pareils martyrs dans le Ciel.

 

L’œil exercé du liturgiste dans l'âme que fut le Père Calmel a vu dans la finale de la PREX  IVa une sorte de réplique du NOBIS QUOQUE PEC­CATORIBUS à la mode nouvelle. Au canon romain, nous nous avouons à la fois pécheurs et serviteurs. Voici comment il faudrait prier maintenant

(PREX IVa) « A nous qui sommes tes enfants, accorde, Père très bon, l'héritage de la vie éternelle auprès de .... et de tous les Saints, dans ton Royaume, où nous pourrons, avec la création tout entière enfin libérée du péché et de la mort, Te glorifier par le Christ, Notre Seigneur par qui tu donnes au monde toute grâce et tout bien. » Quelle merveille cette réminiscence du chapitre VIII de l'Epître aux Romains : « La création elle‑même sera délivrée de la servitude de la corruption. »

 

Le Dominicain ne s'en laisse pas conter (Itinéraires n° 206, p. 136). « Les auteurs des nouvelles PRECES ont fait endosser le péché à toute la création, mais l'homme pécheur n'existe plus. Ils se refusent à dire que les pécheurs, c'est nous NOBIS PECCATORIB US. »

 

Il y a un autre utile recours à la SOLA SCRIPTURA : c'est la nouvelle traduction de l'AGNUS DEI. PECCATA MUNDI ? Non ... PECCATUM MUNDI, le péché du monde... C'est bien commode : l'homme innocent, la société coupable ; on connaît l'antienne.

 

Les bénédictions qui suivent rappellent sans doute qu'autrefois les fidèles apportaient des fruits sur l'autel comme pour unir à la table du Seigneur celle de la famille. Encore maintenant, dans les monastères, les raisins nouveaux sont apportés à ce moment du canon, le jour de la saint Sixte, coïncidant la plupart du temps avec la fête de la Transfiguration (6 Août). Le Jeudi‑Saint, l'évêque s'arrête au PER QUEM pour procéder à la bénédiction de l'huile des infirmes. Rien n'empêche que maintenant les signes de croix soient faits sur les oblats consacrés, car la permanence des « espèces » rappelle sans cesse, nous l'avons dit plus haut, notre oblation propre.

 

Avant d'aborder l'admirable conclusion de la prière eucharistique romaine, il faut signaler son plein accord avec le PATER que saint Grégoire le Grand a été bien inspiré de placer à sa suite. « Abrégé de tout l'Evangile », comme disait Tertullien, l'oraison dominicale résume en même temps toute la messe. Elle en constitue, si je puis dire, la charnière sacrée : tout y est orienté d'abord à la gloire de Dieu, proclamée par la fin du canon ; et, à partir du PANEM NOSTRUM qui fait penser au « Pain supersubstantiel », tout prépare à la communion. A cette intime rencontre nous ne pouvons aller que l'âme pardonnée, c'est‑à‑dire remettant les propres offenses qui nous ont été faites. ‑ (Ici, la traduction officielle est étrange : il faudrait pardonner « aussi » à ceux qui nous ont offensés ; alors nous pardonnons à ceux qui ne nous offensent pas ?) ‑ Munis du pain des forts, nous pouvons surmonter les tentations du démon ‑ (non pas celles de Dieu ! C'est une grave injure que de s'exprimer ainsi dans le nouveau PATER). Libérés du mal nous serons dans la paix du Christ, celle que le monde ne donne pas, assimilés à Celui que nous avons reçu dans l'humilité et le ferme désir d'être toujours plus à lui.

 

Dans cette suite logique, que vient faire l'acclamation : « A toi le règne, à toi la puissance et la gloire dans les siècles des siècles ! » A la fin de la prière qui s'articule à la dernière demande du PATER : LIBERA NOS A MALO, libérez‑nous du mal ?

 

Puisque cette invention, belle en soi, tenait tant au cœur des néoliturges, ils pouvaient la situer aussitôt le canon, comme une sorte d'explication du grand AMEN final. C'eût été ne pas contrevenir à leur grand principe de non‑répétition. En tout cas, la maladie du changement a troublé l'harmonie d'un développement normal.

 

Mais il est une harmonie autrement grave, dangereusement troublée depuis Vatican II, par la raréfaction du Saint‑Sacrifice, à cause de la concélébration. A la concélébration, il n'y a qu'une seule messe. L'ordre du monde et le bien de l'Eglise réclament contre pareilles pratiques quand il s'agit de l'oblation salvatrice. Comment ne le voit‑on pas ? ne le crie‑t‑on pas  et quels hommages ravis à Dieu ! .

 

Au contraire, quelle assurance de grâces, d'ordre et de paix sur le pays quand partout dans le choeur de tant d'églises et de chapelles, les cierges s'allumaient chaque matin et les cloches annonçaient la venue du Christ parmi nous ! Quelle image de Paradis sur terre que ces premières heures monastiques qui émerveillaient Suger, le grand abbé de Saint‑Denis, quand les abbatiales devenaient des ruches bourdonnantes de prière par ces messes célébrées dans la couronne des chapelles rayonnantes pendant que le soleil s'élevait dans le ciel enflammant la mosaïque des verrières !


PER IPSUM ET CUM IPSO ET IN IPSO

Soli Deo honor et gloria

(St Paul I, Tim. 1, 17)

 

« Maintenant donc, ô notre Dieu, nous Vous louons et nous célébrons votre Nom glorieux. Car qui suis‑je et qui est mon peuple pour que nous ayons le pouvoir et la force de faire de pareilles offrandes ? »

(I Par. XXIX, 13‑14, cantique de David).

 

Pour la troisième fois pendant le canon romain, le prêtre va tracer cinq petits signes de croix, mais cette fois après avoir fait la génuflexion et pris l'Hostie sacrée dans la main. Il dit alors solennellement : « Par Lui, avec Lui et en Lui ; ‑ (le Christ présent sous les saintes espèces) ‑ sont rendus au Père Tout‑Puissant, dans l'unité du Saint‑Esprit tout honneur et toute gloire ! » A ces derniers mots il élève l'Hostie ainsi que le Calice comme pour signifier « qu'une fois élevé le Sauveur attire tout à Lui. »


Ici, à la messe, au terme de la grande prière sacrificielle, les cinq croix tracées par le prêtre et répondant à celles qui sont représentées sur la pierre d'autel évoquent les cinq plaies qui ont été ouvertes sur la croix et d'où le sang rédempteur s'est répandu jusqu'à la dernière goutte dans une immolation pleine et entière d'obéissance et d'amour, pour la rémission des péchés. Car c'est du renouvellement sacramentel de cette parfaite oblation que dépendent à jamais gloire et honneur à l'Auguste Trinité.

 

Cette conclusion de l'Eucharistie romaine est d'une extraordinaire grandeur, d'une profondeur abyssale, d'une largeur sans limite. En l'empruntant et en la traduisant la néo‑liturgie a trouvé le moyen d'en affaiblir le sens.

 

Après avoir supprimé les signes de croix qui l'accompagnent, elle a omis de traduire l'indicatif présent, comme s'il ne s'agissait que d'un souhait. Or il s'agit d'une réalité qui s'opère HIC ET NUNC et qui est proprement inouïe. Elle était appelée dès le dialogue de la Préface comme l'aspiration de tous les coeurs, comme une obligation primordiale de l'esprit ; rendre à Dieu un hommage digne de Lui, à la mesure de sa majesté, satisfaisant au premier devoir de la Justice: VERE DIGNUM ET JUSTUM,AEQUUM ET SALUTARE. Pareil désir nous dépasse, il nous est impossible de rendre gloire à Dieu d'une façon pleinement digne et juste, nous, chétives créatures et par surcroît créatures pécheresses.

 

Pourtant l'ordre l'exige ; il incombe à l'homme d'être la voix de toute la création merveilleuse restaurée plus merveilleusement encore. Eh bien, c'est chose faite, vraiment réalisée. Quelle joie pour le prêtre, quelle joie pour nous, pour toute l'Eglise, pour le monde entier ! Oui, honneur et gloire sont rendus à Dieu grâce à la messe, par Lui (le Christ immolé, qui seul le peut), avec Lui et en Lui. Sans la messe tout serait désordonné, déséquilibré, désorienté. Par la messe tout est rétabli qui ne pouvait l'être par les anciens sacrifices. Unis au Fils de Dieu, une multitude de fils osent maintenant s'adresser à un Père qui les agrée et qui les aime, à travers son Fils, dans l'unité du Saint‑Esprit. Par le Christ Jésus, Notre Seigneur, avec Lui et en Lui, le nom du Dieu trois fois saint est sanctifié sur la terre comme au Ciel ; sur la terre comme au Ciel son règne est perpétué, sur la terre comme au Ciel, sa volonté est faite. Le Prêtre, agent du Prêtre souverain, vient de réaliser une action qui unit vraiment le Ciel à la terre et la lui subordonne. L'AMEN qui se fait entendre ensuite, serait‑il prononcé par un simple servant, retentit comme l'AMEN des cieux, pareil à la voix d'une foule immense, au bruit des grandes eaux, au fracas de puissants tonnerres.

 

« Alleluia ! Il règne, le Seigneur notre Dieu, le Tout‑Puissant ! Réjouissons‑nous, tressaillons d'allégresse et rendons Lui gloire ! AMEN. »




EPILOGUE

 

« Si le sacrifice de la messe s'éteignait, nous ne tarderions pas à retomber dans l'état dépravé où se trouvaient les peuples souillés par le paganisme, et telle sera l'oeuvre de l'Antéchrist ; Il prendra tous les moyens d'empêcher la célébration de la sainte messe, afin que ce grand contre‑poids soit abattu, et que Dieu mette fin alors à toute chose, n'ayant plus de raison de les faire subsister. Nous pouvons facilement le comprendre, car depuis le protestantisme, nous voyons beaucoup moins de force au sein des sociétés. Des guerres civiles se sont élevées, portant avec elles la désolation, et cela uniquement parce que l'intensité du sacrifice de la messe est diminuée. C'est le commencement de ce qui arrivera lorsque le diable et ses suppôts seront déchaînés par toute la terre, y mettant le trouble et la désolation, ainsi que Daniel nous en avertit. »

 

Dom Guéranger