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Un regard sur le monde
politique et religieux
au 5 septembre 2008
N° 181
Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier
Huit hommes de
la 4ième compagnie du 8ième R.P.I.Ma
morts au champ d’honneur
Un lecteur d’Item me fait parvenir ce très beau texte
du Général Fr Cann publié dans le Point, suite à la mort de nos 8 soldats en
Afghanistan. Je l’en remercie et m’honore de le publier dans ce « Regard
sur le monde »
Il me dit :
« Ayant lu sur Item l'article de H.Kerady, je
prends la liberté de vous
adresser un excellent texte du général Fr.Cann un expert en la matière qui
nous permet de nous recaler par rapport aux dérives qu'on lit dans la presse ou
qu'on entend ici ou là. Bien que de sa génération, je n'ai jamais
rencontré le général Cann mais on a dû se croiser dans les djebels ou au
Liban. Son texte a été publié dans le Point.
Bonne lecture si vous en avez le temps ».
Bien sûr que j’ai pris le temps de le lire. Tout ce
qui touche la patrie et l’armée m’intéresse.
Lagarrigue, le 27 août 2008
Embuscade en Afghanistan (18 août 2008) Général (cr)
Fr. Cann
L'accrochage qu'a douloureusement vécu en Afghanistan
une section de la 4ième compagnie du 8ième R.P.I.Ma et surtout la polémique qui
s'en est suivie (et qui se poursuit) générée par des journalistes, spécialistes
autoproclamés de Défense, m'incitent à vous livrer quelques réflexions.
Je me devais de les exposer en « 8 » chapitres.
1.
Géopolitique.
Ayant découvert, peu de temps avant le siècle nouveau,
l'existence d'un groupe du nom d'Al Qaïda, le monde occidental a soudainement
pris conscience, le 11 septembre 2001 avec la destruction du World Trade
Center, du potentiel terrifiant de ce groupe prêt à toutes les actions extrêmes
pour déstabiliser et défaire le monde occidental. Ce groupe Al Qaïda,
originaire d'Arabie Saoudite et du Yémen, a choisi l'Afghanistan pour
sanctuaire parce que la topographie lui est favorable et que la population a
historiquement toujours rejeté l'infidèle (les lanciers du Bengale dans le
Khyber Pass au XIX° siècle et, plus près de nous, l'armée soviétique).
Par un choix incompréhensible (en dehors de
considérations économiques en général et pétrolière en particulier), les
Etats-Unis ont, à la fin de 2001, placé leur effort principal (3/4 des forces)
sur l'Irak et leur effort secondaire (1/4 des forces ) sur l'Afghanistan alors
que des dispositions inverses se seraient avérées plus cohérentes. Il
semblerait d'ailleurs que les deux candidats à
Depuis 2001 les attentats commis au nom d'Al Qaïda n'ont cessé de proliférer,
tel un cancer, de par le monde, l'Algérie étant le dernier pays atteint en
cette fin du mois d'août 2008.
Il n'y a aucune raison d'espérer que ces attentats prennent fin demain, de même
qu'il est vain de croire qu'ils vont épargner
Dè
- ou bien nous tolérons l'existence du sanctuaire afghan d'Al Qaïda en espérant
que cette entreprise terroriste s'essoufflera et s'éteindra d'elle-même.
- ou bien nous décidons d'éradiquer le mal à sa source et de « mettre le paquet
» en Afghanistan.
Cette tragique alternative revêt la forme d'un pari mortel pour notre société
dont les citoyens, mal informés du danger, souhaitent à 55%, comme pour se
donner bonne conscience morale, que nos troupes engagées là-bas soient
rapatriées.
2.
Géostratégie.
Nous, les Français, nous savons d'expérience qu'une
rébellion qui bénéficie du soutien d'un arrière-pays ne peut-être éradiquée. Le
Vietminh en Indochine avait quasiment gagné la partie dès l'avènement du
communisme en Chine en octobre 1949.
Inversement, le F.L.N. n'a jamais pu, quoiqu'il dise, gagner la guerre sur le
terrain en Algérie dès lors que les frontières de ce pays avec
L'Afghanistan partage avec le Pakistan une frontière de 1.500 kms en montagne.
Dès lors, la réponse à nos opérations actuelles en Afghanistan ne se trouve ni
à Paris, ni à Washington mais à Islamabad, capitale du Pakistan.
De deux choses l'une :
- ou bien le gouvernement pakistanais accepte la réalisation d'opérations
militaires conjointes permanentes et alors la rébellion peut être vaincue,
- ou bien il refuse et alors il faudra que l'Occident renonce avec ses moyens
actuels à combattre ce « tonneau des Danaïdes » et s'organise différemment
c'est à dire en doublant ses effectifs et ceux de l'armée afghane afin de
pouvoir contrôler le terrain en totalité.
3.
Tactique.
Les principes de la guerre sont immuables :
concentration des efforts, économie des forces et liberté d'action.
Actuellement les talibans sont les seuls à pouvoir les appliquer : ils
choisissent l'heure et l'endroit où frapper ainsi que leur mode d'action, ils
se concentrent pour leur opération et se dispersent aussitôt pour s'économiser.
Nous avons connu ce genre de situation en Algérie.
Qu'avons-nous fait ?
Avec patience et beaucoup de ténacité, nous avons
renversé les rôles en occupant le terrain et en retournant l'insécurité contre
les rebelles. J'ai vécu ce renversement, comme lieutenant chef de section au 3ième
R.P.C. du colonel Bigeard. Nous nous sommes « immergés » dans le djebel où nous
avons pris la place des rebelles en étant, selon l'expression de notre colonel,
« rustiques, souples, félins et man¦euvriers ». Les experts autoproclamés qu'on
voit aujourd'hui à la télévision peuvent bien se gausser de cette époque en
affirmant que nous ne sommes plus à l'heure des « p'tits gars » (allusion
perfide à Bigeard). Je suis désolé mais cette guerre on a beau la baptiser «
asymétrique » (un néologisme militaire qui passe bien dans les salons) il s'agit
encore et toujours de guérilla. Et là on sait ce qu'il faut faire et surtout ce
qu'il ne faut pas faire.
On sait d'expérience que, contre une guérilla ,une
opération mécanisée ou motorisée frappe presque toujours dans le vide,
tellement ses prémices sont voyants et bruyants et surtout parce qu'elle est
liée à un réseau routier précaire.
Largement prévenus, les rebelles ont tout leur temps
pour prendre le large et attendre que l'opération prenne fin pour réoccuper le
terrain, surtout la nuit. Ces opérations SOP (Standard Ordning Procedures) de
l'OTAN sont immuables. Elles se réalisent toujours de la même manière et
interdisent toute initiative ou improvisation. Elles sont stériles. Les seuls
bilans réalisés à ce jour en Afghanistan sont le fait de Forces Spéciales
immergées dans les zones suspectes.
Le bon sens voudrait qu'on oriente nos forces vers une fluidité qui lui
permettent d'occuper le terrain de ces zones suspectes pour y retourner
l'insécurité et gêner l'action des rebelles.
Mais comme nous sommes censés être en Afghanistan pour
aider ce pays à accéder à la démocratie, l'enjeu dans les zones d'insécurité
est la population.
Les opérations de contre guérilla, pour nécessaires
qu'elles soient, sont insuffisantes. Il faut pouvoir les compléter par des
actions de pacification.
Sur ce chapitre aussi nous avons, nous les Français,
une solide expérience avec ce système ingénieux et efficace des Sections
administratives spécialisées chargées de prendre le contrôle des populations
jusqu'alors soumises aux rebelles. Leur succès fut patent : je vous renvoie
au remarquable ouvrage du commandant Oudinot « Un béret rouge en képi bleu».
En Afghanistan,
cette tâche civilo-militaire devrait être assumée par l'armée afghane. Tâche ardue dans un pays qui, en coulisse,
produit 22 tonnes d'opium par jour (8.200 tonnes en 2007, source Figaro
23/08/08).
Très sincèrement, les formes d'action en Afghanistan
doivent être modifiées du tout au tout. Point n'est besoin d'inventer, il
suffit de refaire ici ce qui a réussi ailleurs.
Il y a malheureusement dans les armées françaises une allergie à tirer des
enseignements des actions passées :
Le 7 octobre 1950 en Indochine, lors de l'opération de
repli de la garnison de Langson, le 1er Bataillon Etranger de parachutistes disparut
corps et biens dans les calcaires de Coc Xa. Or, en 1884, le chef de bataillon
Gallieni avait interdit, sous quelque prétexte que ce fut, de traverser cette
zone mortelle.
Dans nos armées, l'expérience n'est pas transmissible.
Beaucoup plus pragmatiques et modestes, les
Britanniques et les Américains n'hésitent pas à faire appel aux officiers à la
retraite qui ont déjà exercé un commandement dans une zone revenue à
l'actualité et, à la demande, ils organisent un Conseil de véritables experts.
La principale utilité de ces Conseils d'experts n'est pas tellement de suggérer
ce qu'il faudrait faire mais de rappeler ce qu'il ne faut surtout pas refaire.
Du fait de son passé militaire, notre pays regorge d'experts mais il ne sait
pas en profiter. C'est bien regrettable.
4.
Le renseignement.
Le règlement de manoeuvre nous apprend que « le
renseignement met le chef à l'abri de la surprise » ce que le général Grant
pendant
sécurité a perdu près de 90 de ses hommes sans savoir qui « venait de l'autre
côté de la colline » pour les tuer. Nos services de renseignement affichèrent
alors une ineptie coupable.
Aux extrémités de la gamme des moyens d'acquisition du
renseignement se situent le satellite et les informations données par la
population. Cette dernière, terrorisée par les talibans, ne parle pas. Quant au
premier, le satellite, il est inopérant au-dessus d'un accrochage, en raison
même de la fluidité et du caractère contingent de l'action. Restent les moyens
intermédiaires : forces spéciales dans la profondeur, hélicoptères et drones au
profit desquels il faut appliquer un effort urgent et prioritaire car cette
gamme de moyens d'acquisition souffre cruellement d'un déficit grave.
Il est criminel de laisser crapahuter nos unités terrestres en aveugle.
5.
L'articulation des forces.
C'est avec surprise qu'à l'occasion de l'embuscade de
Carmin 2, nous avons appris que la 4ième compagnie (carmin) était détachée du 8ième
R.P.I.Ma, à 200 kms de là, auprès du Régiment de Marche du Tchad.
Nous n'avons pas été moins surpris d'apprendre que l'infirmier de Carmin 2
était un caporal-chef du 2ième R.E.P. !
Il y a sûrement de bonnes raisons du moment et de circonstances pour expliquer
ce mélange d'unités.
Nous, les « Anciens patrons », nous avons sans cesse lutté avec force, en
particulier dans les années 80, contre le non-respect des filiations
organiques. Le « 8 » s'est entraîné cinq mois durant avec ses quatre unités et,
dès son arrivée, il a dû se séparer de sa 4ième compagnie, laquelle a «
débarqué » au R.M.T. dans un environnement inconnu. La qualité du R.M.T.,
largement reconnue, ne saurait être en cause mais a-t-on déjà vu une équipe de
rugby entamer un match avec des joueurs qu'elle ne connaît pas ?
Il est vital à la guerre de ne pas toucher aux structures qui se sont rodées à
l'entraînement.
6.
La fausse polémique.
Les Anciens du 8ième R.P.I.Ma, éprouvés par la mort au
champ d'honneur de huit de leurs jeunes frères d'armes, ont mal vécu
l'insidieuse polémique lancée par de faux experts sur la jeunesse des paras,
leur insuffisante préparation et leur mauvaise protection.
a. Il n'y a pas de vieux soldats dans l'infanterie.
Depuis sa création en Indochine, le « 8 » a perdu plus de 500 des siens :
- Michel Bornet, tombé en Indochine, en 1951 n'avait pas dix-neuf ans,
- Michel Lagathu, tué en Algérie, en 1958 avait fêté ses dix-neuf la veille de
sa mort,
- Pierre Jacquot, tombé au Sud Liban en 1979, avait 21 ans,
- Jean Carbonnel, assassiné par un sniper à Sarajevo en 1994, avait
vingt deux ans,
- Carmin « 2 », (indicatif radio de la section du 8ième R.P.I.Ma tombée dans
une embuscade en Afghanistan ce 18 août), avait une moyenne d'âge de 24 ans et
8 mois pour un effectif de 11 gradés et 19 paras, ces derniers ayant 20 ans,
lesquels se trouvent d'ailleurs humiliés qu'on leur reproche d'être trop
jeunes.
b. La jeunesse n'a rien à voir avec l'ancienneté et
l'expérience.
Engagés à 18 ans le 1er juin 2007, les jeunes paras avaient plus de 14 mois de
service : 4 mois de formation de base + 3 semaines de stage para + 5 semaines
de stage commando. Au sixième mois de service, c'est à dire le 1er
décembre 2007, la section a rejoint la 4ième compagnie (Carmin) et, depuis le
1er mars, s'est entraînée jour et nuit pour une seule mission spécifique :
l'Afghanistan. De mémoire de para, nous n'avons jamais vu une unité bénéficier
d'un tel préavis, cinq mois en l'occurrence. Le nombre de fois où nous avons
découvert la veille notre mission pour le lendemain !
J'ajoute au chapitre de l'expérience que le chef de section et son adjoint
avaient déjà accompli dix opérations extérieures et les chefs de groupe et les
caporaux, une demi-douzaine en moyenne.
c. On dit que les paras étaient mal protégés. Le
nouveau CEMAT, le général Irastorza, m'a dit qu'il y a deux ans, nous aurions
eu, selon l'avis des chirurgiens, deux morts de plus à déplorer : le nouveau
gilet pare-éclats (EFB) les a sauvés.
Nous enrageons, nous les Anciens du « 8 », de voir se pavaner à la télévision
des spécialistes autoproclamés de
ramené ses morts et ses blessés. Carmin 2 était donc une excellente section.
7.
L'inquisition médiatique.
Hier, 26 août 2008, le régiment a accueilli, en son
quartier Fayolle, le Président de
Ce jeu de la culpabilisation déteint des médias vers
les instances dirigeantes. J'ai sous les yeux l'éloge funèbre prononcé le 21
août aux Invalides par le Président de
Hier, au quartier Fayolle il a dit (je cite de
mémoire) : « assurer les familles que toute la lumière serait faite sur les
circonstances de l'embuscade et les responsabilités établies ». Les militaires
présents ont mentalement complété : « et les coupables seront punis ».
Vouloir traiter les circonstances d'une embuscade dans une opération de guerre
comme celles d'un accident civil de la route est une dérive inquiétante pour
les chefs militaires. S'ils doivent se retrouver « en taule » pour avoir
débordé par la gauche au lieu d'avoir man¦oeuvré par la
droite, la source de recrutement de nos officiers risque de se tarir
rapidement.
8.
La ferveur d'une ville.
Vieille ville de garnison, Castres (le castrum romain)
a dévoilé, de façon admirable et émouvante, sa véritable nature.
Dès l'annonce du drame, le Maire a fait mettre en berne tous les drapeaux de la
ville et a ouvert un livre d'or à l'hôtel de ville. Le 20 août au soir, il
fallait faire une heure de queue pour accéder au registre.
Les murs grillagés du quartier Fayolle furent dans la journée recouverts de
fleurs par des automobilistes et des piétons anonymes.
L'office oecuménique célébré le 23 août matin a regroupé un millier de fidèles
dans la cathédrale Saint Benoît et tout autant de personnes sur le parvis où
avait été dressé un écran géant. Ce mardi soir 26 août, le C.O. (club de rugby
local) accueillait l'Aviron Bayonnais pour son premier match de championnat.
Les tribunes populaires étaient bordées d'une énorme affiche : « Loin des yeux,
près du coe¦ur, tous avec nos gars du « 8 ».
Le speaker fit observer une minute de silence après avoir demandé au Président
du Club , Monsieur Revol, au Maire de la ville, Monsieur Bugis et au
Lieutenant-colonel Meillan, commandant en second du régiment, de venir prendre
place au centre de la pelouse. A l'issue de la minute de silence, il demanda au
public d'applaudir le « 8 » pendant une minute également, lequel public,
debout, se prit au jeu : c'est à qui applaudirait le plus fort !
Il faut voir dans tous ces signes d'amitié l'aboutissement d'une harmonie
forgée entre les Maires et les Chefs de corps successifs, depuis l'arrivée du
Régiment en août 1963. Depuis cette date, et surtout depuis 1969, année où
débuta la professionnalisation du « 8 », plus de deux cents cadres et
parachutistes ont pris leur retraite à Castres et dans les environs immédiats.
Ils ont exercé une seconde carrière dans les entreprises locales où ils se sont
fait apprécier pour leur ponctualité, leur politesse, leur solidarité et leur
conscience professionnelle.
Ils ont, pour la plupart, épousé des Castraises avec lesquelles ils eurent en
moyenne trois enfants de sorte que cette communauté particulière d'un millier
de personnes, digne et fière d'elle-même, est devenue un solide maillon de la
chaîne socio-économique locale.
Cette complicité, longtemps mûrie, a eu pour apothéose le parrainage officiel
du « 8 » par « sa ville » en 1999. Depuis lors, les paras du « 8 » portent sur
l'épaule droite l'écusson aux armes de la ville dont la devise est : « Debout »
et qui, associée à celle du « 8 », donne étrangement :
« Volontaires Debout » Il y a en France des coins où il fait bon vivre.
- Texte paru dans le « Point »