ITEM
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Un regard sur l’actualité
politique et religieuse
Au 6 juin 2006
N°92
Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier
Monsieur l’abbé Claude Barthe
et
Monsieur l’abbé
Claude Barthe vient de publier un nouveau livre aux « Editions
François-Xavier de Guibert ». Le titre du livre est : « Trouvera-t-Il encore la foi sur la
terre ». Il fait claire allusion à la fameuse phrase de NSJC en l’Evangile
de Saint Luc : « Quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la
foi sur la terre » (Lc 18 8)
Le sous titre est
plus explicite encore: « une crise de l’Eglise, histoire et
questions ». C’est ce sous-titre, finalement qui nous indique le véritable objet du livre.
C’est une livre qui expose le conflit des idées et des courants doctrinaux qui
ont précédé le Concile Vatican II, qui l’ont
dominé et qui ont fini par s’y imposer.
Si l’on joint les
deux titres, on peut comprendre la gravité de la crise actuelle. Cette crise de
l’Eglise est telle que l’authenticité de
la foi est en jeu ainsi que le dogme.
L’auteur résume sa
thèse en disant : « j’ai cru pouvoir résumer l’événement « politique »
du dernier concile comme la prise des commandes magistérielles par la nouvelle
théologie » (p 197). On pourrait ajouter aussi : prise de commandes
magistérielles par le mouvement
liturgique, par l’esprit d’un nouvel l’oecuménisme.
L’auteur raconte
cette histoire en quelques 10 chapitres fort intéressants.
Mais la
« révolution » a-t-elle gagné ?
L’élection de Benoît
XVI laisse tout espoir ou mieux permet de se poser la question ou « les questions ».
Le mot, du reste, « questions » est dans le
sous-titre : « Une crise de l’Eglise, histoire et questions ».
C’est peut-être la
raison essentielle de cette réédition, « refondue »
L’auteur se pose
vraiment la question : qu’en sera-t-il de l’Eglise demain et en matière
dogmatique et en matière liturgique ?
Si la nouvelle
théologie a été toute puissante au Concile, qu’en sera-t- il demain ?
C’est la question et
l’objet de sa conclusion.
Pour lui, c’est
l’heure des réformistes soutenus par Benoît XVI lui-même
C’est le titre même
du chapitre conclusif : « Benoît XVI et l’heure des réformistes ». « Il est
clair, dit-il, qu’aujourd’hui, depuis le conclave d’avril
2005, cette tendance est appelée à se faire entendre » (p194).
Elle se fait même entendre
depuis une dizaine d’années.
Il l’appelle la « génération
intellectuelle Benoît XVI ». Il donne des noms. Il parle de Nicola
Giampietrop « publiant et commentant les mémoires et souvenirs du cardinal
Antonelli. Il parle d’Aidan Nichols, O.P., professeur à l’Université de
Cambridge. Il parle du bénédictin de Farnborouhg, Dom Acluin Reid…Et d’autres
encore…Tous furent soutenus par le cardinal Ratzinger, Préfet de
« Mais qu’on ne
s’y trompe pas, nous dit l’auteur : ni en matière de théologie du culte
chrétien, ni plus généralement, il ne s’agit d’un retour à Pie XII, en l’espèce
à Mediator Dei. Certes les projets
liturgiques concrets de Benoît XVI pourraient être de revenir aux premières réformes
postconciliaires de 1965, ou en tout cas de s’en inspirer, car il avait critiqué
la réforme en train de naître dans son discours au Katholikentag de 1966...
Avec le réformisme de Benoît XVI, on est en présence d’un type de réflexion que
l’on pourrait qualifier, faute de mieux, de franchissement
« positif », c’est-à-dire faisant une synthèse des positions
affrontées, avec une relativisation de la position « progressiste »
tout en conservant une part de ses apports. Relativisation d’autant plus patente que la liturgie
tridentine supplantée par la réforme postconciliaire recouvre officiellement un
droit à l’existence ». (p 199).
Un droit à
l’existence de la liturgie tridentine…
Mais cela, grâce à une véritable bataille de ceux qui se
sont opposés à la réforme conciliaire.
L’abbé Claude Barthe l’expose,
joliment, dans son chapitre 11. Il
l’intitule : «
Chapitre XI
Aujourd’hui, à propos de la réforme liturgique, l’enthousiasme s’est usé. Les experts ont vieilli, quand ils n’ont pas disparus (Pierre-Marie Gy, Pierre Jounel et Louis Bouyer, par exemple, tous les trois décédés en 2004). Les prêtres les plus militants ont, pour la plupart, depuis longtemps « quitté » le sacerdoce. La liturgie tridentine célébrée par les prêtres issus de Mgr Lefebvre, ou très officiellement dans des paroisses et monastères, maintient une concurrence dont le poids psychologique est d’autant moins négligeable que ce sont les communautés célébrant cette liturgie qui attirent le plus de vocations, proportionnellement au nombre des fidèles concernés. Dans ce domaine sensible, on se contente donc, autant que possible, d’éviter les abus.
Le climat n’est plus celui de l’après-Concile. Un certain nombre d’évêques et de responsables nommés depuis une vingtaine d’années ont tenté, selon l’expression peu académique du cardinal Lustiger, de « siffler la fin de la récréation ». Ils estimaient, au moins dans un premier temps, pouvoir faire recouvrer au catholicisme un certain droit de cité à la faveur de la nouvelle « demande de religieux », qui est en réalité un phénomène extrêmement individualiste. Mais tout donne l’impression qu’on a, jusqu’à présent, navigué à vue, en ayant cherché à éviter le plus longtemps possible les déchirants examens de conscience.
En fait, la plupart des célébrations actuelles renvoient l’image du désenchantement : atonie, ennui parfois, platitude toujours. Sans parler du vieillissement inexorable du corps sacerdotal, tout le monde le sait et la pauvreté de la liturgie nouvelle le dit : la sève coule ailleurs. La fraîcheur véritable est dans les somptueuses liturgies orientales, dans celles où l’on réinfuse du traditionnel à haute dose, ou même hors du sanctuaire dans cet étonnant regain d’intérêt pour le chant médiéval et pour la musique chorale baroque, dans cette reculturation en un mot, qui se fait à côté ou contre la liturgie officielle et la déclasse en permanence. Il n’empêche que la liturgie nouvelle colle au phénomène idéologique qu’est « l’esprit du Concile », et comme telle elle se maintient et se maintiendra contre toute évidence d’échec jusqu’à ce que les repentirs soient possibles.
Les carences du nouveau rite sont si manifestes que, sans le remettre en cause en principe, ses censeurs ont été aussi nombreux qu’inefficaces, y compris parmi les plus hauts responsables. La dilapidation du patrimoine de la liturgie latine en si peu de temps, cette immense rupture morale, constitue un des phénomènes les plus troublants de l’histoire de l’Église contemporaine. Il faudra d’ailleurs dresser un jour le bilan de la braderie, très concrète et lucrative celle-là pour ceux qui en ont bénéficié, d’objets de culte, ornements, œuvres d’art, qui a accompagné le massacre du patrimoine liturgique. Et il est à prévoir que les générations futures, toutes opinions confondues, imputeront aux responsables catholiques qui y ont présidé, un désastre culturel et pastoral sans précédent. En tout cas, la puissance apologétique qui émanait du culte catholique au temps du mouvement liturgique jusque dans les années soixante (qu’on pense au témoignage d’Edith Stein, de Julien Green, de Max Jacob, de Joseph Malègue, des Maritain, de tant d’autres) s’est non seulement évanouie, mais s’est même inversée.
Les carences de la réforme ont été dénoncées dès l’origine. Dans un contexte de relativisation des expressions doctrinales, bien des aspects de la nouvelle liturgie de la messe ont tout de suite semblé très inquiétants. Sans doute, chacune des modifications qui ont été apportées était justifiable dès lors qu’elle était prise singulièrement. Mais l’accumulation des changements, dans un climat théologique très particulier, ne pouvait qu’être alarmant : la réforme s’est réalisée en la présence d’observateurs protestants, dans une situation œcuménique insaisissable du point de vue doctrinal et elle s’est elle-même intégrée dans ce processus œcuménique. Ainsi, l’affaiblissement, combien sensible, de tout ce qui concernait l’adoration de la présence réelle ne pouvait que profondément troubler, tout comme la diminution de l’aspect hiérarchique d’une liturgie, dont la fixité faisait corps avec son statut de prière officielle, qui était remplacée par un mode d’expression variable et livré pour une part souvent importante à la créativité personnelle.
Le plus saillant, pour les esprits
attentifs à cette décroissance doctrinale, était que le Novus Ordo Missæ
exprimait moins clairement que celui qu’il remplaçait le fait que la messe est
un sacrifice propitiatoire (sacrifice offert pour les péchés), renouvelant le
sacrifice rédempteur de
Le nouveau missel donnait ainsi
toutes les apparences d’aller dans cette ligne en déplaçant l’attention, que la
liturgie de la messe avait jusque-là portée d’abord sur le sacrifice du
vendredi saint (le sang livré pour nous), en direction du mystère pascal dans
son ensemble. C’était très net, par exemple avec les acclamations qui furent
ajoutées à la consécration et qui définissaient le « mystère de la foi »
venant de s’accomplir non comme le renouvellement de l’oblation du Calvaire,
mais tout ensemble comme la proclamation à la fois de « la mort », de
«
L’amoindrissement majeur se
trouvait dans la suppression de l’offertoire traditionnel, remplacé par une
« présentation des dons ». La tonalité et l’accumulation des prières
sacrificielles de l’offertoire étaient en effet dans la ligne de mire des réformateurs :
« Reçois, Père saint, cette hostie sans tache que je te présente pour mes
péchés, offenses, et négligences » ; « Nous t’offrons, Seigneur,
le calice du salut » ; « Reçois, Trinité Sainte, l’oblation que
nous te présentons en mémoire de
Déjà en 1952 Joseph-André Jungmann, dans son Missarum solemnia, faisait valoir que l’offertoire constituait un « doublet » des prières du canon, ce qui devint, à l’époque de la réforme, la grande justification de la suppression de l’offertoire. En fait, les liturgistes ne pouvaient ignorer qu’une célébration sacramentelle est un tout, dans lequel on ne peut pas scinder artificiellement « l’essentiel » et « l’accessoire ». Chaque partie de la messe est à la fois ce qu’elle est en propre et ce qu’elle représente comme partie signifiante d’un tout. La communion est aussi « sacrifice » et « offrande », en ce que les communiants deviennent eux-mêmes « hosties » en s’unissant au corps et au sang du Christ. Et si l’offertoire est déjà « consécration » par l’offrande des oblats (pain et vin), la consécration elle-même est essentiellement l’« offertoire » renouvelé de Jésus-Christ à son Père, ou si l’on veut la « présentation » parfaite.
On sait bien, d’ailleurs, que dans toutes les liturgies orientales l’unité d’action des messes et autres célébrations est encore plus marquée que dans les liturgies latines. Ainsi, dans les cérémonies d’ordination des liturgies orientales, on n’arrive pas à déterminer avec précision quelles sont les paroles de la forme consécratoire conférant le sacerdoce ou l’épiscopat. Quant aux oblats de la messe, ils sont honorés avant le récit de l’Institution comme s’ils étaient déjà consacrés (procession, encensements, prières sacrificielles), et inversement dans la prière d’épiclèse, qui vient après les paroles de l’Institution, on demande que par l’action du Saint-Esprit le pain et le vin deviennent corps et sang du Christ, comme si cela n’était pas déjà accompli. Qui oserait parler de « doublets » ? En fait, le reproche de « doublet » à l’encontre du vénérable offertoire des liturgies latines était la marque d’un cartésianisme bien éloigné de la manière liturgique.
De plus, dernière tare pour les professeurs-réformateurs, les prières à supprimer entraient pour la plupart dans cette catégorie d’oraisons médiévales qu’on nomme « apologies », au sens de justifications, de confessions d’indignité. Ce type de prières liturgiques est repérable dès le VIIe siècle. Elles se sont multipliées dans les sacramentaires (les livres liturgiques réservés au seul célébrant avant l’apparition des missels) à partir de l’époque carolingienne, et ont eu leur plus grand développement aux Xe et XIe siècles. Leur style « fleuri », avec des réminiscences de la liturgie gallicane, n’est pas sans analogie, dans un autre ordre, avec le chant liturgique de la même époque, tel que tentent de nous le faire connaître aujourd’hui les restitutions savantes.
Chaque réformateur avait sa marotte
érudite. Dom Botte, spécialiste de
– quand le prêtre élève la patène : « Tu es béni, Dieu de l’univers, toi qui nous donnes ce pain, fruit de la terre et du travail des hommes ; nous te le présentons : il deviendra le pain de la vie » ; (au lieu de : « Reçois, Père saint, Dieu éternel et tout-puissant, cette offrande sans tache, que moi, ton indigne serviteur, je te présente, à toi mon Dieu vivant et vrai, pour mes péchés, offenses et négligences sans nombre, etc. ») ;
– quand il élève le calice : « Tu es béni, Dieu de l’univers, toi qui nous donnes ce vin, fruit de la vigne et du travail des hommes ; nous te le présentons : il deviendra le vin du Royaume éternel » ; (au lieu de : « Nous t’offrons, Seigneur, le calice du salut, et demandons à ta bonté qu’il s’élève en parfum agréable devant ta majesté divine, pour notre salut et celui du monde entier ») ;
– la prière In spiritu humilitatis (« Vois l’humilité de nos âmes et le repentir de nos cœurs : accueille-nous, Seigneur, et que notre sacrifice s’accomplisse aujourd’hui devant toi de telle manière qu’il te soit agréable ») devient : « Humbles et pauvres, nous te supplions, Seigneur, accueille-nous : que notre sacrifice, en ce jour, trouve grâce devant toi » ;
– puis, à la place de l’Orate fratres (« Priez, mes frères, pour que mon sacrifice, qui est aussi le vôtre, puisse être agréé par Dieu le Père tout-puissant » – « Que le Seigneur reçoive le sacrifice de vos mains, etc. ») : « Prions ensemble, au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Église » ; avec la réponse du peuple : « Pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».
Pouvait-on faire moins sacrificiel, et surtout plus radicalement nouveau ? Or, même si, jusqu’à un certain point, les générations chrétiennes successives croient répéter identiquement certaines cérémonies plus qu’elles ne les répètent en effet, cette volonté et ce sentiment de refaire forment l’axe de toute la liturgie chrétienne : « Faites ceci en mémoire de moi. Chaque fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez cette coupe, vous proclamerez la mort du Seigneur, jusqu’à son retour » (1 Co 11). S’agissant d’actes et paroles qui font « sens », cette continuité doit être ressentie, comme charnellement. On peut donc expliquer l’échec de la refabrication de la liturgie latine par toutes sortes de raisons : l’intellectualisme de la création au sommet, joint au jusqu’au-boutisme de la réalisation à la base ; la rapidité maladroite et le caractère total d’une refonte qui n’a épargné ni un sacrement, ni un office, ni une bénédiction ; ou bien une conception militante de la « participation » ; ou encore la platitude de l’inspiration esthético-symbolique ; etc. Il reste, par-delà toutes les défectuosités pastorales et théologiques, que le principal motif du « ratage » est que la réforme voulait être perçue comme une innovation exprimant « le nouveau visage de l’Église ». Le message principal qu’on voulait faire passer était qu’on savait faire peau neuve : il est la cause de la réception plus que défectueuse qui a été faite du culte remodelé.
Comme on l’a dit plus haut, les protagonistes ont depuis répété à l’envi qu’« on n’avait pas assez expliqué » les changements. C’est le contraire qui est vrai : les explications écrites et orales ont été données jusqu’à saturation. Elles font partie intégrante de la réforme qui doit s’autocélébrer comme nouveauté. Et c’est bien pour cela que les fruits radieux escomptés n’ont jamais vu le jour : demander aux fidèles, entre autres, d’adopter des reconstitutions qui enjambaient à rebours quatorze ou quinze siècles de tradition, quand elles n’étaient pas des fabrications pures et simples, rendait strictement impossible de sentir le lien de continuité de la prière, qui incarne la continuité dans la profession de foi. D’où les réactions sourdes ou tumultueuses dès la mise en place du culte nouveau.
C’est le 29 janvier 1964 que
Paul VI institua une Commission pour
l’Application de
À partir de la session d’octobre
1966, cinq, puis six observateurs protestants assistèrent aux assemblées du Consilium.
Paul VI lui donna pour président le
candidat de l’aile gauche lors du conclave de 1963, le cardinal Giacomo Lercaro (il le restera jusqu’en 1968,
et sera alors remplacé par le cardinal Benno Gut, ancien abbé primat des
bénédictins). Le Consilium, qui doublait
Le secrétaire désigné était donc le lazariste Annibale Bugnini, qui avait été secrétaire de la commission instituée par Pie XII en 1948 pour simplifier les rubriques et réformer la semaine sainte (1955). Jean XXIII l’avait nommé, en 1959, secrétaire de la commission chargée de préparer le schéma de constitution conciliaire sur la liturgie. Mais le cardinal Larraona, on l’a dit, l’avait fait écarter de cette commission. Son retour avait donc valeur de revanche. Il était considéré par ses pairs comme plutôt modéré par rapport à la tendance représentée par Aimé-Georges Martimort, professeur à l’Institut catholique de Toulouse, et plus généralement par les Français, qui exercèrent une véritable hégémonie dans la commission préparatoire en ce qui concerne l’élaboration des grands principes théoriques. Ce travailleur acharné, virtuose des négociations au sein des rouages administratifs ecclésiastiques, devint la cheville ouvrière de la réforme. Son enthousiasme un peu lyrique s’accordait au reste parfaitement avec la ferveur novatrice très romantique qui animait Paul VI dans les années qui ont suivi le Concile.
Car la réforme de la liturgie fut avant tout conduite par Paul VI, de la même manière qu’il avait conduit les trois dernières sessions du Concile. Il suivit pas à pas, dans le moindre détail, l’élaboration de la métamorphose, formulant des avis, suggérant des corrections, sans d’ailleurs imposer toutes ses opinions : il y eut même de fréquentes tractations entre les experts et lui-même, s’achevant souvent par des compromis. La réforme qu’il assuma fut totale. Rien ne lui a échappé. À ce titre encore elle est unique dans l’histoire de l’Église : elle a embrassé l’ensemble des livres liturgiques, missel, bréviaire, rituel, pontifical, cérémonial des évêques, de tous les rites latins sans exception (ambrosien, cartusien, etc., et même le missel mozarabe, utilisé dans une unique chapelle de la cathédrale de Tolède !), et n’a omis de reprendre, modifier, remodeler jusqu’à la moindre bénédiction du rituel.
Pour s’en tenir à la réforme de la messe, il faut redire qu’une préparation progressive donna aux prêtres et aux fidèles l’impression qu’on était entré dans une ère de mutations continuelles. Il serait fastidieux d’énumérer les incessantes modifications qui étaient édictées, soit à titre d’autorisation, soit de manière obligée, ou encore ad experimentum, depuis le motu proprio du 25 janvier 1964, avec le relais des conférences épiscopales. La conférence des évêques de France autorisa l’usage du français pour toute la liturgie de la parole en 1964, et pour le canon en 1967, cependant que les instructions et les décrets romains se succédaient, bousculant sans relâche les habitudes des fidèles : 25 avril et 26 septembre 1964 ; 27 janvier, et 7 mars 1965 ; 17 avril et 27 mai 1967 ; etc.
Les variations se mêlaient avec celles que les acteurs de la liturgie s’autorisaient de plus en plus librement eux-mêmes depuis la fin de la première session du Concile. Il y eut une explosion d’initiatives du côté des aumôniers de lycées et d’action catholique, des vicaires et curés « de choc » à partir de mai 1968 – on pourrait même dire dès 1965, dans certains diocèses où les évêques sont obligés de rappeler, notamment, que le jeûne eucharistique n’a pas été abrogé. Révolution à peu de frais, le chambardement liturgique permettait à tout un clergé (prêtres, séminaristes et militants laïcs marinant dans les préoccupations cléricales) de se donner l’impression qu’il opérait une mutation profonde dans la « mentalité des gens ». On ne doit jamais perdre de vue que la réforme a été promulguée dans cette atmosphère, qui a fait corps avec elle depuis son origine. C’est cette liturgie ressentie comme désacralisée (langues vulgaires introduites tout de suite à hautes doses, autel face-au-peuple, variations à l’infini), qui a représenté pour les fidèles le déploiement palpable de « l’esprit du Concile ». Les catholiques du rang ont été pris en tenaille entre les professeurs qui, au sommet, retaillaient et cousaient dans les textes et rites ancrés dans la mémoire, et le clergé militant qui, à la base, en profitait pour tout bouleverser et souvent pour tout casser.
Paul VI put lui-même constater les réactions que soulevait la réforme, en recevant en pleine face une manifestation de rejet. Alors qu’il célébrait pour la première fois la messe en italien dans l’église romaine de Tous-les-Saints, en 1967, il entendit la voix grave et puissante du romancier Tito Casinilui répondre en latin au milieu de l’assistance. Le protestataire était l’auteur de La tunica stracciata – La tunique déchirée (Florence, 1967) –, un livre qui attaquait la messe en italien et prenait violemment à partie le cardinal Lercaro, qualifié de rien moins que de « nouveau Luther ».
Pendant ce temps, A. Bugnini accélérait au maximum les
travaux du Consilium, de sorte qu’en avril 1967, lors de sa huitième
session plénière, trois prières eucharistiques nouvelles étaient déjà
élaborées. Le 24 octobre 1967, lors de l’assemblée du synode des évêques, A.
Bugnini célébra devant les Pères une
« messe normative » dans la chapelle Sixtine, avec une mise en scène
de séminaristes qui imitait l’atmosphère d’une paroisse italienne. Il put
constater tout de suite par lui-même les inquiétudes des assistants :
« La majeure partie d’entre eux sortirent de
Paul VI, devant ce relatif insuccès,
fit célébrer trois fois la messe nouvelle en sa présence, présida lui-même des
tables rondes, donna et prit des avis, fit procéder à quelques modifications,
et ordonna qu’on aille malgré tout hardiment de l’avant. Promulgué par la
constitution Missale romanum du 3 avril 1969, le nouveau missel entra en
vigueur le 30 novembre 1969, le premier dimanche de l’Avent. Chaque conférence
épiscopale devait fixer la date à partir de laquelle on devait obligatoirement
utiliser le nouveau missel, cette date ne devant pas dépasser le
28 novembre 1971. L’édition typique (étalon) du nouveau missel fut
publiée par décret de
Les expressions de refus
commencèrent donc dès l’entrée en vigueur du Novus Ordo Missæ. Les
cardinaux Bacci et Ottaviani (ce dernier avait donné sa
démission des fonctions de préfet de
Paul VI soumit l’opuscule à
Le fait est que la résistance à la
nouvelle loi liturgique prit, essentiellement en France, des proportions qui,
sans être considérables, furent beaucoup plus importantes que ne l’avaient
imaginé les autorités romaines. Il n’est pas un diocèse où quelques prêtres,
parfois une dizaine, plus en certains cas, n’aient continué à célébrer la messe
tridentine pour des fidèles « non acceptants ». Leur nombre n’a
jamais diminué depuis (ce qui veut dire qu’il a notablement augmenté en valeur
relative, compte tenu de la baisse du nombre de prêtres), les prêtres les plus
âgés étant relayés par des nouveaux ordonnés de
Lorsque les évêques ne fermaient pas les yeux sur les célébrations tridentines qui s’organisèrent dès 1969 (en certains cas, pour des raisons diverses, ils les approuvaient expressément), les « affaires » se multiplièrent : curés révoqués, prêtres frappés de censures (il y eut quelques cas de prêtres suspens a divinis, interdits de célébration sacramentelle), résistance des fidèles, célébrations-manifestations dans des sanctuaires, « marches sur Rome », perturbations de cérémonies nouvelles particulièrement provocatrices. La communauté fondée par Mgr Lefebvre, qui avait démissionné de sa charge de supérieur général des Pères du Saint-Esprit le 30 septembre 1968, devint un réservoir de prêtres « non acceptants ». Il ouvrit un « convict » (un foyer religieux) en Suisse, à Fribourg, en octobre 1969, puis un séminaire à Écône, dans le diocèse de Sion, en octobre 1970. Il obtint, à cet effet, les autorisations respectives de Mgr Charrière, évêque de Fribourg (qui, le 1er novembre 1970, érigea l’œuvre de l’ancien archevêque de Dakar en « pieuse union » de droit diocésain, sous le nom de Fraternité sacerdotale internationale Saint-Pie X, pour une durée de six ans renouvelable) et de Mgr Adam, évêque de Sion.
La montée de « l’affaire
Lefebvre » (suspense a divinis
du 22 juillet 1976, excommunications du 1er
juillet 1988) avait un caractère de quasi-fatalité, dans la mesure où de part
et d’autre on s’autolimitait en passant d’une discussion doctrinale
primordiale (« On ne peut modifier profondément la lex orandi sans
modifier la lex credendi », écrivait Marcel Lefebvre dans son manifeste du 21
novembre 1974), à une querelle purement disciplinaire : permission ou
non-permission de « la tradition » ; autorisation ou
non-autorisation d’ordinations. En réalité, tout le monde savait que c’était du
Concile qu’il s’agissait et que la justification, tant de la
« résistance » d’un côté, que des sanctions de l’autre, ne pouvait
être recherchée que doctrinalement : « Le point de départ [des
célébrations de la messe tridentine] est toujours la non-acceptation de l’œuvre
du Concile Vatican II », notait le rapport d’enquête demandé par le
cardinal Knox, préfet de
Un réseau de lieux de messes
traditionnelles couvrit peu à peu
Une étude sociologique des prêtres et fidèles traditionnels reste à faire. On peut avancer que la catégorie socioreligieuse qui s’est ainsi constituée à la fin des années soixante et dans les années soixante-dix ne recoupe que partiellement les milieux héritiers du catholicisme intégral hostiles au Ralliement, mais que sa constitution résulte plutôt d’une espèce de réaction provoquée par un phénomène analogue : le sentiment que Rome fléchissait devant la société moderne. Il faut aussi tenir compte du fait que la réaction liturgique traditionaliste profite, et même participe, du phénomène auquel elle s’oppose, à savoir l’introduction du libéralisme dans l’Église et la contestation de l’autorité hiérarchique. Aujourd’hui, en effet, le libre choix ayant investi le catholicisme, refuser la liturgie de Paul VI est bien plus facilement concevable, que blâmer les directives politiques de Léon XIII ne l’était pour un catholique de la fin du siècle dernier (et a fortiori que lire L’Action française en encourant le risque de se voir refuser les sacrements par son curé ne l’était pour un catholique des années trente).
Les sondages d’opinion montrèrent en 1976, au grand étonnement de la hiérarchie, que la contestation lefebvriste en particulier et traditionaliste en général rencontrait la sympathie d’une large fraction des catholiques. Et de s’écrier : « Nous avons mal expliqué le Concile ! » Les explications ont continué, le phénomène a perduré. Les pratiquants réguliers sont aujourd’hui très affectés par la diminution de leur nombre (il s’est effondré dans certains diocèses de quatre-vingts pour cent dans les trente dernières années). À des degrés divers, un certain nombre d’entre eux contestent sourdement le clergé dès lors que ses habitudes restent encore marquées par le militantisme réformateur de l’après-Concile. Ceci, dans le contexte d’une disparition de la visibilité du catholicisme : effondrement de la pratique religieuse, du nombre des prêtres, du nombre des vocations.
Bien au-delà donc du milieu traditionaliste, les critiques vis-à-vis de la nouvelle liturgie de la messe ont dès lors servi d’expression à un scepticisme diffus à l’endroit des nouveautés conciliaires. De 1970 à 1976, le mécontentement vis-à-vis de la réforme est allé croissant. Certes, il est habituel que chaque réforme liturgique provoque des réactions de rejet plus ou moins important, mais le caractère global de celle-là et la charge de libéralisation qu’elle contenait ont contribué à radicaliser ces réactions. Inversement, ce qu’elle représentait idéologiquement empêchait ses promoteurs d’opérer tout retour en arrière, alors même qu’ils constataient avec toujours plus d’évidence qu’elle n’apporterait pas les fruits escomptés.
Mais avant même que le principal opposant à la réforme,
Marcel Lefebvre, ait été sanctionné par la suspense
a divinis, son principal artisan avait expérimenté l’ingratitude des
puissants. La pourpre aurait dû logiquement couronner une carrière romaine du
type de celle d’Annibale Bugnini. Sa relégation en 1975 dans
une petite ambassade (il était nommé pro-nonce à Téhéran) manifestait le
profond désappointement de Paul VI. Il est peu vraisemblable
que ce dernier ait cru aux rumeurs concernant son affiliation à la
franc-maçonnerie qui circulaient au sein même de
« La bataille de la messe »
de Monsieur l’abbé Aulagnier.
Aux éditions de Paris. 5 rue du Marechal Joffre 78000 Versailles.