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 Un regard sur l’actualité politique et religieuse

 

au 8 septembre  2005

N°56

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier


" La liturgie et son ennemie "

L'hérésie de l'informe
de Martin Mosebach

ou
Plaidoyer pour la liturgie romaine traditionnelle
ou
Regard critique sur la " Réforme liturgique "

 

 

L'Association " Entraide et Tradition " que j'anime, depuis mon expulsion de la FSSPX, en octobre 2003, reçut, en service de presse, une livre intitulé : " La liturgie et son ennemie " de Martin Mosebach, publié par les éditions nouvelles " Hora Decima ". Il est sous-titré " l'hérésie de l'informe "

Je ne connaissais pas l'auteur et les éditions " Hora Decima " ne me disaient pas grand-chose non plus… Je le laissais de côté, sur ma chaise…Il fallut que je lise l'article que le dernier numéro de " Monde et Vie " lui consacre pour que je me décide d'y porter quelque attention. Bien m'en a pris.

Ce livre est tout simplement passionnant. Il faut le lire. Il " vaut le détour ", comme dirait Jean Madiran. Il eut un immense succès et retentissement en Allemagne du fait de la célébrité de son auteur. Je le comprends.

Mais qui est donc ce Martin Mosebach ?

C'est un laïc allemand.
Son éditeur français de " Hora Decima ", Xavier Van Lierde, nous le présente ainsi :

" Martin Mosebach est ce qu'on appelle un romancier à succès. Ses romans sont des best-sellers qui rencontrent un vaste public tout en étant appréciés de la critique puisqu'ils ont été distingués par de nombreux prix littéraires. Il faut préciser qu'il n'est pas à proprement parler un écrivain catholique, même si certaines pages de ses romans laissaient déjà deviner ses sympathies…Toujours est-il que Martin Mosebach n'est nullement une sorte de Bernanos d'outre-rhin. Jusqu'à la publication de cet ouvrage, ses convictions religieuses étaient, pour ainsi dire inconnues…
Le respect dont jouit Martin Mosebach a empêché qu'il soit ostracisé. En terrain catholique, son plaidoyer en faveur de la liturgie traditionnelle a permis l'éclosion d'un débat jusqu'ici inexistant en Allemagne. Toutes les publications catholiques allemandes ont rendu compte de ses positions. Un débat a même été lancé dans l'équivalent allemand de la Documentation catholique, revue qui considérait jusqu'alors que la liturgie ne faisait plus débat. Enfin, fait inimaginable auparavant, Martin Mosebach a pu défendre la liturgie traditionnelle dans une table ronde lors du Katholikentag, le grand rassemblement annuel des catholiques allemands.

L'ensemble de la presse, tant écrite qu'audiovisuelle, a rendu compte de l'ouvrage. Martin Mosebach a été invité à participer à des émissions de télévision et à plusieurs colloques institutionnels. Dans les milieux non catholiques, me confiait Martin Mosebach, c'est le thème de l'hérésie de l'informe qui a fait mouche, pour désigner, au-delà du domaine religieux, le caractère informe et l'anomie de la modernité finissante. C'est notamment ce thème qui a éveillé l'intérêt d'un autre intellectuel allemand plus connu en France : Peter Sloterdijk.

L'accueil réservé au livre de Martin Mosebach dans les milieux non catholiques et a fortiori chez les non croyants, est très encourageant. Il démontre que le catholicisme non affadi exerce, sur la société, et même dans les milieux intellectuels, une séduction bien supérieure à celui qui, suite à une effroyable erreur stratégique des progressistes, a accroché ses wagons à la modernité au moment même où celle-ci commençait à tourner à vide ! " (M. et V.n° 751 du 3 septembre 2005)

La lecture de cette présentation me décida à lire le livre.

J'ai aimé les toutes premières lignes du livre. Il est écrit par un homme de foi. Il ne craint pas de confesser sa foi, publiquement, sans détour, avec franchise : " Je ne suis ni converti, dit-il, ni prosélyte. Je n'ai connu dans ma vie aucune expérience d'illumination. Pendant longtemps, mes racines religieuses restèrent fragiles. Il ne m'est pas possible de déterminer avec certitude quand elles commencèrent à croître, peut-être à partir de mes vingt-cinq ans. En tout cas, elles crûrent lentement, mais continuellement. Je suppose qu'elles sont maintenant profondes et que, comme jusqu'à présent, leur croissance se poursuit de manière quasiment invisible. C'est la rencontre avec l'ancienne liturgie catholique qui est à l'origine de ce processus encore inachevé ". (p. 15).

J'ai trouvé cette présentation sympathique et humble. Cela m'a également encouragé à aller de l'avant.

C'est un livre très intéressant, à la lecture facile et captivante. La traduction est bonne. Le style coule bien.

L'auteur manifeste une sensibilité religieuse étonnante, un goût réel de la liturgie, une connaissance profonde du sens symbolique des rites liturgiques. Il nous présente une critique positive du rite traditionnel qui laisse le nouveau rite, sur le ring, " chaos ". Mais sans aucun esprit polémique. Les arguments sont solides et bien fondés.

En 9 chapitres, il aborde beaucoup de problèmes liturgiques. Je ne vais retenir ici que quelques idées, les plus percutantes.

Le chant grégorien

Il commence par nous parler du chant grégorien. C'est l'amour du chant grégorien qui l'a " rendu attentif au rite catholique " (p.17)… Il le goûtait non en " esthète " qui veut " satisfaire ses besoins esthétiques dans la religion " (p. 17) mais en fidèle sensible au beau qui conduit au vrai, mieux qui est le signe ou l'enveloppe du vrai. Il écrit très joliment : " Je me réclame ouvertement de la foule naïve qui déduit de l'aspect superficiel et extérieur des choses leur texture profonde et peut-être même leur vérité et leur fausseté. L'histoire des " valeurs intérieures " qui se cachent sous une coquille sale et misérable ne me paraît pas une doctrine très sûre. Que l'âme offre au corps la forme, et le visage sa surface, je le croyais déjà alors que je ne savais pas encore que cette proposition faisait partie du magistère de l'Eglise. Avec une rusticité méditerranéenne, je crois qu'une parole fausse, mensongère et sans âme ne peut contenir aucune idée de valeur. Ce qui va pour l'art concerne cependant dans une mesure bien plus élevée la prière publique de l'Eglise. Dans le domaine religieux, là où le laid permet de conclure au faux, cela signifie que Satan est présent ".

Ce jugement me saisit et m'encourageait de nouveau à poursuivre avec attention cette lecture.

Le culte : un mystère

Il effleure l'aspect mystérieux, " mystique " du culte : " le rite est redevenu un réel mystère dans le sens où il est célébré en secret " (p. 23). Il a cette phrase merveilleuse qui lui permet de comprendre le symbolisme en liturgie : "Sacrifier est une action matérielle qui poursuit un but spirituel " (p. 26) et il justifie ce principe par cette remarque très juste : " tout matériau est si rempli d'esprit et de vie qu'il en rayonne tout simplement "

Le sacrifice de la messe

Et sur le sacrifice de la messe, il s'exprime joliment : " ce que le prêtre sacrifiait à l'autel ne doit pas faire ici l'objet de discussion. Le fait qu'il sacrifiait était pour l'instant décisif pour moi. Dans l'une des prières du Canon, on pouvait lire : " Sur ces offrandes, daigne jeter un regard favorable et bienveillant ; accepte-les comme tu as bien voulu accepter les présents de ton serviteur Abel le juste, le sacrifice d'Abraham, le père de notre race, et celui de Melchisédech, ton souverain prêtre, offrande sainte, sacrifice sans tache ".

Le berger Abel avait tué le premier-né de son troupeau et brûlé sa graisse sur l'autel du sacrifice ; Abraham avait voulu sacrifier son fils et avait abattu un bélier à sa place ; Melchisedech qui n'appartenait pas au peuple d'Abraham, offrit du pain et du vin.

" La religion primitive, le judaïsme et le paganisme, dit-il, étaient représentés par les trois noms de la prière sacrificielle : sacrifice humain, sacrifice animal, sacrifice non sanglant, ce dernier conservant dans ses signes le souvenir du sacrifice sanglant. Il était clair pour moi que la messe catholique, dans sa forme transmise de manière ininterrompue depuis mille cinq cents ans, devait être considérée précisément non pas comme le rite d'une religion déterminée, mais comme la réalisation de toutes les religions qu'elle avait absorbées. Quand je participais à un tel sacrifice, je m'unissais à tous les hommes qui avaient vécu autrefois, des temps les plus éloignés jusqu'à l'époque présente, parce que je faisais la même chose qu'eux. En participant à ce sacrifice de la messe, je sentais que j'étais un homme et que j'effectuais quelque chose d'humain, que je remplissais le devoir le plus haut de la condition humaine, et cela peut être pour la première fois. Je le remplissais pour tous les autres qui ne pouvaient ou ne voulaient pas le remplir, parce que le refus de la participation m'apparaissait soudain comme un réflexe puéril et sans raison. " (p.26-27)

Toutes ces réflexions me paraissent fort justes.

Le culte et la piété

Quelques pages plus loin, dans le chapitre II, je trouvais ce jugement de valeur, fort perspicace : " Il est impossible de conserver piété et adoration sans garder les formes traditionnelles " d'agenouillement.

Ou encore : " Naturellement, on pourra toujours trouver l'homme débordant de grâce, capable de prier si on lui a arraché des mains tous les moyens de la prière. Et, certainement, beaucoup me demanderont avec inquiétude si je crois qu'on peut célébrer dignement et avec respect la nouvelle liturgie du pape Paul VI. Bien entendu, cela est possible, mais cette possibilité est justement l'argument le plus important contre cette nouvelle liturgie. On a dit qu'une monarchie héréditaire est perdue à partir du moment où il manque pour assurer sa survie un monarque capable, car le monarque, dans la conception classique, tire sa légitimité non pas de son talent, mais de sa naissante. Cette proposition se laisse encore mieux appliquer à la liturgie : elle est morte si son exécution requiert un bon prêtre pieux. Il ne doit jamais être possible que les croyants considèrent la liturgie comme résultant d'une performance personnelle du prêtre... Elle n'est pas le fruit d'une heure favorable, d'un charisme personnel ; ses mérites ne peuvent être assignés à personne. En elle, le temps est aboli…C'est le temps du Golgotha, le temps du sacrifice unique et sans pareil et ce temps englobe tous les temps et aucun en particulier. Comment peut-on faire comprendre à un être humain qu'il quitte le présent, si l'espace qu'il pénètre consiste en un présent bruyant où règne l'individuel ? Combien l'ancienne liturgie fut avisée lorsqu'elle se décida à soustraire à l'assemblée le visage du prêtre, sa distraction et sa froideur, ou, plus important encore, son recueillement et son émotion ! " (p. 37)

C'est pertinent !

Les " commentaires " à la messe

Il se dresse contre ces messes sans cesse commentées où " le commentateur qui parlait sans discontinuité détournait l'attention des actes sacrés en récitant des prières ou en faisant des observations ou des commentaires qui étaient fréquemment loin d'être de simples traductions du latin prononcé à l'autel " (p.44), pour conclure : " C'était l'image d'une Eglise qui n'avait visiblement plus confiance dans l'efficacité de ses rites…J'ai conscience d'avoir alors senti que le centre de gravité des cérémonies saintes se déplaçait. Au centre, il n'y avait plus d'office divin, victime à la fois redevable devant Dieu et offerte par Dieu, mais un regard de plus en plus angoissé sur l'assemblée ". (p. 46) Que c'est juste !

Les " cantiques "

Et sur les cantiques qui envahissaient notre liturgie, il écrit : " Cette pastorale concentrée non sur le culte divin, mais sur le pétrissage et le façonnage des âmes croyantes trouva son apogée liturgique ou plutôt antiliturgique dans les cantiques qui régnèrent en maîtres sur la célébration de la messe ". Il réfute : " Qu'on se rappelle comment on en est venu à la floraison des cantiques. La reforme luthérienne était un mouvement fondé sur le chant. Les cantiques exprimaient la foi réformatrice. Ils remplaçaient la liturgie et étaient là pour cela ". N'oublions pas, dit-il " que la prière liturgique est la préparation du sacrifice et non l'expression unanime de l'assemblée. Pour le protestantisme, les cantiques représentaient la conséquence de l'abandon du sacrifice de la messe et le prolongement le plus adaptée de la prédication. La communauté réunie dans le chant, sortant des doutes du quotidien solitaire, retrouvait l'assurance collective du dimanche, une assurance, précisons-le, issue de la certitude de foi partagée et non du fait d'être témoin de la réalité de l'acte sacrificiel divin ". (p. 48). Il en tire la conclusion : " Pour faire vite, la liturgie disparut, l'assemblée regardant désormais vers celui qui la préside, habillé de vêtements amples et dont la bouche s'ouvre toute grande pour entonner un chant joyeux ". (p. 49) C'est bien vrai !

Le respect dû aux formes antiques du culte

Il se dresse avec énergie contre toute atteinte " aux formes antiques de prières consacrées par l'usage " et tout particulièrement contre cette attaque contre le rite ancestral de la messe. Il écrit : " La brutalité avec laquelle ce qui était vénéré autrefois et qui ne doit plus l'être aujourd'hui est profané, mis au rencart, aboli, rejeté, refondu ou bazardé est vulgaire. Aux nombreuses vagues de destructions qui ont déferlé sur nos sanctuaires tout au long de l'histoire de notre patrie…a succédé une dernière, tout à fait digne de ses devanciers par sa force de destruction… Que la tradition liturgique romaine avec ses mille cinq cents ans d'ancienneté ait été interrompue et ce de manière irrévocable, il nous faut avouer ce fait dans toute sa dureté. Nous sommes restés sans voix quand nous avons vu avec épouvante que l'autorité catholique la plus haute avait employé tout le pouvoir qu'elle avait acquis au cours des siècles à effacer cette forme de l'Eglise qu'est la liturgie et à mettre quelque chose d'autre à sa place. Jusqu'à aujourd'hui, une intelligentsia efficace travaille d'arrache-pied à faire appliquer les décisions prises à cette époque jusque dans le village le plus retiré des Andes, jusque dans la dernière chapelle des catacombes chinoises. " (p. 53)

Et il conclut d'une manière désolée : " Que celui qui est attaché au rite romain traditionnel et qui malgré les faits écrasants, veut rester attaché au respect et à la protection de l'espace sacré sache qu'il n'a pas le moindre droit à l'espoir, qu'il soit politique, historique ou sociologique. Qui reste fidèle au rite sacrificiel quinze fois centenaire de la messe est comme un oiseau qui plane dans le vide. Ce rite est abandonné par une hiérarchie qui a été créée pour sa protection. Les prêtres qui osent désobéir par fidélité à la liturgie sont menacés d'anathème. Les prêtres fidèles à Rome qui ne veulent pourtant pas abandonner ce rite sont broyés avec plaisir par la " bureaucratie célibataire " dont parle Carl Schmitt. Il est profondément déraisonnable de mettre en jeu la paix de son âme pour le combat liturgique. Mais celui qui l'entreprend pourtant peut également le faire correctement, s'il se bat non pas pour un cantique de 1820, mais pour le vêtement antiquement jeune qui entoure les mystères comme une peau. Préserver la liturgie consiste, il me semble, à la restaurer ". (p. 54)

Avec Benoît XVI, on peut espérer que ce temps s'éloigne définitivement de nous… Je l'espère !

La liturgie et l'iconoclasme

Il a un très beau chapitre sur la liturgie et l'iconoclasme. Il ne cache pas, là non plus, la réalité en ce domaine : " Aucune église n'a été laissée intacte après le concile Vatican II et si, par chance, on tombe sur un ensemble qui n'a pas été endommagé, ce n'est pas parce que le respect ou le bon goût ont étendu leurs ailes protectrices : il faut plutôt remercier le manque d'argent, un phénomène regrettablement rare au pays de l'impôt d'Eglise " (p. 85)

Il parle également très joliment du monastère de Fontgombault. C'est le chapitre 5. Il parle aussi de l'art en liturgie dans son chapitre 6.

De l'agenouillement

Il a un très beau chapitre sur " l'agenouillement " dans la liturgie. C'est le chapitre 7. Là, il constate que " avant la réforme liturgique, l'agenouillement durant la prière était pour le profane un des signes de reconnaissance le plus évident des catholiques. Depuis, les agenouilloirs ont été ôtés de beaucoup d'églises ; les églises nouvelles n'en sont tout simplement plus pourvues ; les bancs de communion où l'on pouvait s'agenouiller pour communier ont généralement disparu. Il parait que l'agenouillement serait désormais un signe de dévotion privée ; l'Eglise, en ses débuts, aurait célébré la liturgie uniquement debout. La station debout serait la signe de la Résurrection et, en conséquence, la seule posture appropriée au déroulement du culte chrétien " (p. 143).

Notre auteur montre le peu de sérieux de cette nouveauté. Cette attitude nouvelle porte atteinte au sens de l'adoration due à Notre Seigneur dans la Sainte Eucharistie. " Quiconque recommande, écrit-il, la station debout pendant la prière veut aujourd'hui, dans beaucoup de cas, mettre fin par la même à l'adoration du Christ eucharistique " (p. 144)

L'agenouillement, dans la liturgie chrétienne, a deux racines qui, si on les suit avec attention se rejoigne.
La première est le Nouveau Testament. " Et il tomba à terre et l'adora " : cela n'est pas dit seulement chez Jean de l'aveugle-né guéri, mais resurgit à chaque fois que la divinité de Jésus se manifeste soudain à quelqu'un. Il a cette très belle affirmation : l'agenouillement est " la réponse à l'épiphanie(divine) qui est accordée par grâce à un individu " (p. 145). Voilà la première explication.
Il en donne une seconde. L'agenouillement trouve aussi son fondement dans les anciennes cérémonies impériales. Il écrit : " La plus importante des cérémonies dont s'entourait l'empereur était " l'épiphanie " impériale, l'apparition de l'empereur devant la cour, dans l'éclat de sa souveraineté. L'empereur et sa famille se rassemblaient derrière un rideau dans leurs habits d'apparat ornés de pierres précieuses ; la cour se tenait en attente dans l'aula du palais. Quand le rideau s'ouvrait et permettait de voir l'empereur, la cour plongeait pour se prosterner. Le parallèle entre une telle scène et l'image du tabernacle ouvert, dont les rideaux sont tirés de côté, dont on a enlevé le ciboire, ciboire lui-même débarrassé de son voile et de l'assistance agenouillée en prière s'impose de lui-même : nous avons ici, en vérité, le noyau à partir duquel l'adoration à genoux s'est développée dans la liturgie " (p. 146)

Et il en tire le principe qui justifie l'agenouillement dans la liturgie. L'agenouillement doit être compris comme la vénération de l'épiphanie divine : " les participants à la liturgie vénèrent par là l'épiphanie du Christ, c'est-à-dire tous les moments où l'on mentionne sa présence réelle, ou qui sont remplis précisément de cette présence " (p. 151)

Il écrit : " quand s'agenouille-t-on lors de la messe ? Cela ressort très clairement des considérations antérieures : la génuflexion et l'agenouillement marquent et accompagnent les instants de l'apparition divine à l'intérieur de la liturgie. Quand il entre dans l'espace sacré, quand il foule l'église, le croyant s'agenouille comme Moïse entendant la voix venant du buisson qui lui enjoint d'ôter ses chaussures parce qu'il se trouve sur un sol sacré. Dans le Credo et le dernier évangile, celui du prologue de Jean, quand il est question de l'Incarnation du Dieu devenu visible, ces mots sont prononcés à genoux. Après avoir prononcé la formule de consécration, le prêtre rend hommage par une génuflexion aux saintes offrandes et la communauté l'imite. La monstrance du corps sacrifié avant la communion se déroule devant la communauté agenouillée et c'est à genoux que la communion est reçue. La bénédiction du prêtre, enfin est reçue à genoux pour marquer que c'est une bénédiction céleste qui vient d'en haut " (p. 149)
Tels sont les événements de la liturgie qui sont liés à l'agenouillement : ils se rapportent tous aux moments particuliers de la présence divine.

" L'envoilement liturgique "

Enfin son dernier chapitre, le chapitre 9 est consacré à l'envoilement.

Il en donne le sens symbolique. Et tout d'abord, il parle des vêtements du prêtre, qu'il appelle " le voilage du célébrant " (p. 177) et qui s'explique parfaitement parce que le prêtre est un alter Christus. Il doit s'en revêtir. C'est le sens de toutes les prières que doit dire le prêtre se revêtant des habits sacerdotaux : " C'est littéralement le nouvel homme, le Christ, que l'on revêt ". Il fait même remarquer que " chez l'évêque, même les mains et les pieds sont habillés ; il est complètement " emballé " (p. 178). Il parle des portes insignes : " ils portent autour des épaules la voile huméral ou velum et ils ont pour fonction de tenir les insignes épiscopaux, mitre et crosse, pendant la liturgie. Ces voiles couvrent leurs mains ". " Se couvrir les mains est un antique geste de révérence de la part de la domesticité " ; (p. 179) Jusque dans les temps modernes, on a connu dans le monde profane les gants blancs du personnel servant à table, ultime préfiguration de la vison de saint Jean dans l'Apocalypse, celle des archanges redoutables devant le trône de Dieu, qui cachent sous trois paires d'ailes leurs mains, leurs pieds, leur visage.
Il en est de même lors de liturgie solennelle : à l'Offrande le sous-diacre porte à l'autel les ustensiles du sacrifice et les offrandes. Celles-ci sont recouvertes par la pâle et sur le tout est étendu un grand tissu de couleurs des ornements : le voile. Ainsi le calice ressemble à une tente, c'est le tabernacle : la demeure qui renferme les objets sacrés. Le sous diacre reçoit sur les épaules un grand voile et porte à l'autel le calice avec l'hostie qu'il renferme. Il reçoit la patène du diacre. Le sous-diacre prend alors place sur les marches de l'autel et élève devant lui la patène recouverte du voile huméral.

La situation physique du prêtre à l'autel cachant de son corps un certain nombre d'actes constitue aussi un envoilement de plus.

Notre auteur fait sur ce sujet un certain nombre de considérations intéressantes pour conclure d'une critique très pertinente sur la nouvelle liturgie : " Dans le nouveau rite introduit par le pape Paul VI et dans la pratique qui a été bien au-delà, en partie avec l'encouragement des évêques, l'envoilement a presque complètement disparu. Il n'y a plus de séparation entre le sanctuaire et l'assemblée. Plus aucune dans les nouvelles églises ; quant aux anciennes, elle a été supprimée, non sans attenter parfois grossièrement aux exigences esthétiques. Le voile du silence n'existe plus dans le canon, ni le voile sur les vases sacrés ou le ciboire. La fonction se sous-diacre, attestée depuis le troisième siècle, a été abolie. Il n'y a également plus de rite de la patène voilée. Pendant la bénédiction du Saint Sacrement, le voile huméral est encore fréquemment utilisé pour l'ostensoir - mais il est vrai que cette bénédiction est devenue rare. L'envoilement des croix dans le temps de la Passion a été laissé au gré de chacun ; il a lieu ici, et pas là. " (p. 190)

Il termine ce chapitre par une critique sentie sur le danger en liturgie, de la référence exclusive à l'archéologie:
" La réforme de la liturgie est toujours défendue avec l'argument selon lequel le rite de la messe a été libéré de tous les ajouts ultérieurs et rétabli dans une forme qui est le plus " pure " et le plus proche possible de la chrétienté primitive. Sous ce rapport, voiles et envoilements font partie du lieu commun des " ajouts tardifs ", bien qu'ils soient signes du caractère mystérieux que revêtait la liturgie dès les premiers siècles. Comme tous les historicismes et les restaurations, y compris dans le monde de l'art, l'archéologisme liturgique doit accepter d'être en butte au reproche que met Faust envers Wagner enivré d'histoire : " ce que vous appelez esprit de l'époque/ Est le propre esprit des maîtres/ Dans lequel l'époque se reflète. "
Dans ce contexte, le message d'une liturgie qui renonce au voile n'est que trop limpide : l'exhibition de la matérialité nue ne tient plus compte de la plénitude surnaturelle de la Création et de la nécessité pour le monde d'être racheté " (p. 191).

Ce livre est à lire. Il est riche et savant.
Cette dernière citation vous dira bien qui est l'auteur, de quel bois il se chauffe : " Nous aussi, nous avons besoin de beaucoup de prêtres inflexibles qui veillent pour nous sur le rite saint de l'Incarnation. Je place mon espérance dans leur désobéissance obéissante " (p. 142)

Bonne lecture !

Pour commender le livre :

Editions Hora Decima 4, rue
Gabany 75017 Paris.

Prix du livre 18 euros, frais de port : 2,20 euros