ITEM

80, rue de Normandie .  92400 Courbevoie.

Port. O6 80 71 71 01 ; e-mail : abbe_aulagnier@hotmail.com. Site : http://la.revue.item.free.fr/

 

Un regard sur l’actualité politique et religieuse

Au 8 mars 2006

N°81

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

Un mauvais esprit !

 

 

 

 

 

Les « dominicains d’Avrillé du Père Innocent Marie ont publié dans le n° 55 (Hiver 2005-2006)  de leur revue « Le Sel de la Terre,  le texte d’une conférence que Mgr Lefebvre a donné aux prêtres de la FSSPX, en septembre 1986. C’est  une conférence d’une  retraite qu’il  prêchait pour un grand nombre de prêtres d’Europe et tout particulièrement pour les prêtres du District de France de la FSSPX. Ils précisent même que c’était la huitième conférence de cette retraite.  Ils donnent comme titre à cet article : « Mgr Lefebvre juge le Cardinal Ratzinger ». Ils la publient dans la rubrique : « Lectures », dans la série : « documents » Vous le trouvez à la page 261 de la revue. .

 

Cet article ne m’a pas plus. Je n’y ai pas  trouvé un bon esprit. J’y trouve même  un mauvais esprit.

 

On sent qu’ils sont mal disposés à l’égard du pape Benoît XVI. Et qu’ils veulent, en ce sens,  influencer leurs lecteurs. Ils disent bien ne pas vouloir  juger arbitrairement…Toutefois ils affirment : « que ce serait une naïveté d’imaginer que Benoît XVI n’a rien de commun avec le cardinal Ratzinger. Le cardinal Ratzinger, devenu le pape Benoît XVI n’a pas changé sa philosophie et sa théologie. L’élection d’un pape n’a pas l’effet « magique » d’opérer la conversion intellectuelle de l’intéressé, elle lui laisse ses manières habituelles de penser » (Sel de la Terre n° 55 p. 6). Cela me paraît être un jugement très humain, trop humain, bien trop humain.

 

Après avoir donné ce jugement dans l’Editorial,  ils nous renvoient, expressément,  vous dis-je,  à la partie « Lectures » de ce numéro, et ils citent la conférence de Mgr Lefebvre : « Mgr Lefebvre juge le Cardinal Ratzinger » comme pour fonder leur critique. Ils « accaparent » la pensée de Mgr Lefebvre et semblent  comme vouloir la « figer », la « momifier ».  C’est cela qui ne me plait pas.  

 

Certes, ils redonnent bien la totalité – ou presque - de cette conférence de Mgr lefebvre. Ils en modifient seulement les titres

 

J’étais parmi les  auditeurs  lorsque Mgr Lefebvre  la prononça. Elle m’avait beaucoup plus à l’époque. Il critique, de fait,  très sévèrement le cardinal Ratzinger, sa pensée sur le monde moderne et sur le jugement qu’il portait sur le document conciliaire « Gaudium et Spes », l’Eglise face au monde moderne. Le cardinal avait donné son point de vue sur ce sujet capital dans son livre « Les Principes de la Théologie Catholique ». C’est le  dernier chapitre du livre. Mgr Lefebvre citait précisément dans sa conférence, le texte même du cardinal… A le lire, à l’écouter, on pouvait être bien légitimement surpris d’une telle pensée. .. Vous pourrez juger vous-même.

 

Voici le passage essentiel où Mgr Lefebvre critique et le cardinal en le citant et le pape Jean-Paul II :

 

« Voilà ce que le cardinal Ratzinger écrit dans son livre à propos du texte de l'Église dans le monde (Gaudium et spes) sous le titre : « L'Église et le monde à propos de la question de la réception du deuxième Concile du Vatican. » Il développe ses arguments sur plusieurs pages et précise : « Si l'on cherche un diagnostic global du texte, on pourrait dire qu'il est (en liaison avec les textes sur la liberté religieuse et sur les religions dans le monde) une révision du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-Syllabus (Dignitatis Humanae) ».

Donc, il reconnaît que le texte de l'Église dans le monde, celui de la liberté religieuse  et celui sur les non-chrétiens (Nostra AÉtate) constituent une espèce de « contre-Syllabus ». C'est ce que nous lui avons dit, mais maintenant, sans que cela paraisse le gêner, il l'écrit explicitement.

Et le cardinal poursuit : « Harnack, on le sait, a interprété le Syllabus comme un défi à son siècle ; ce qu'il y a de vrai, c'est qu'il a tracé une ligne de séparation devant les forces déterminantes du XIXème siècle. »

Quelles sont « les forces déterminantes du XIXème siècle » ? C'est la révolution française bien sûr avec toute son entreprise de destruction. Ces « forces déterminantes », le cardinal les définit lui-même comme étant « les conceptions scientifiques et politiques du libéralisme ». Et il poursuit « Dans la controverse moderniste, cette double frontière a été encore une fois renforcée et fortifiée ».

 « Depuis lors, sans doute, bien des choses s'étaient modifiées. La nouvelle politique ecclésiastique de Pie XI avait instauré une certaine ouverture à l'égard de la conception libérale de l'État. L'exégèse et l'histoire de l'Église, dans un combat silencieux et persévérant, avaient adopté de plus en plus les postulats de la science libérale, et d'un autre côté le libéralisme s'était vu dans la nécessité, au cours des grands retournements politiques du XXe siècle, d'accepter des corrections notables ».

 « C'est pourquoi, d'abord en Europe centrale, l'attachement unilatéral, conditionné par la situation, aux positions prises par l'Église à l'initiative de Pie IX et de Pie X contre la nouvelle période de l'histoire ouverte par la révolution française, avait été dans une large mesure corrigé via facti, mais une détermination fondamentale nouvelle des rapports avec le monde tel qu'il se présentait depuis 1789 manquait encore ».

Cette détermination fondamentale va être celle du Concile.

 « En réalité, continue le cardinal, dans les pays à forte majorité catholique, régnait encore largement l'optique d'avant la révolution : presque personne ne conteste plus aujourd'hui que les concordats espagnol et italien cherchaient à conserver beaucoup trop de choses d'une conception du monde qui depuis longtemps ne correspondait plus aux données réelles. De même presque plus personne ne peut contester qu'à cet attachement à une conception périmée des rapports entre l'Église et l'État correspondaient des anachronismes semblables dans le domaine de l'éducation, et de l'attitude à prendre à l'égard de la méthode historique critique moderne. »

Ainsi se précise le véritable esprit du cardinal Ratzinger qui ajoute : « Seule une recherche minutieuse des manières diverses dont les différentes parties de l'Église ont accompli leur accueil du monde moderne pouvait débrouiller le réseau compliqué de causes qui ont contribué à donner sa forme à la constitution pastorale, et ce n'est que de cette manière que pourrait s'éclairer le drame de l'histoire de son influence ».

 « Contentons-nous ici de constater que le texte joue le rôle d'un contre-Syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour la réconciliation officielle de l'Église avec le monde tel qu'il était devenu depuis 1789 ».

Tout cela est clair et correspond à tout ce que nous n'avons cessé d'affirmer. Nous refusons, nous ne voulons pas être les héritiers de 1789 !

 « D'un côté, cette vue seule, éclaire le complexe de ghetto dont nous avons parlé au début ; (l'Église un ghetto !) et d'un autre côté, elle seule permet de comprendre le sens de cet étrange vis-à-vis de l'Église et du monde: par « monde » on entend, au fond, l'esprit des temps modernes, en face duquel la conscience de groupe dans l'Église se ressentait comme un sujet séparé qui, après une guerre tantôt chaude et tantôt froide, recherchait le dialogue et la coopération. »

Force est bien de constater, poursuit Mgr Lefebvre,  que le cardinal a perdu totalement de vue l'idée de l'Apocalypse de la lutte entre le vrai et l'erreur, entre le bien et le mal. Désormais, on recherche le dialogue entre le vrai et l'erreur. On ne peut pas comprendre l'étrangeté de ce vis-à-vis entre l'Église et le monde.

Plus loin, le cardinal définit ainsi sa pensée : « L'Église et le monde, c'est comme le corps et l'âme. » - « Bien entendu, il faut ajouter que le climat de tout le processus était marqué de façon décisive par « Gaudium et spes ». Le sentiment qu’il ne devait vraiment plus y avoir de mur entre l’Église et le monde, que tout « dualisme » : corps-âme, Église-monde, grâce-nature et même, en fin de compte, Dieu-monde était nuisible : ce sentiment devint de plus en plus une force destructrice pour l’ensemble ».

Le cardinal Ratzinger est à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, l'ex-Saint Office. Avec une semblable expression de pensée que peut-on espérer pour l'Église de celui qui a cependant en charge la défense de la Foi ?

Quant au Pape, d'une autre façon, il a le même esprit. Sans doute est-il polonais, mais le fondement des idées est le même. Ce sont les mêmes principes, la même formation qui l'animent. C'est la raison pour laquelle ils n'éprouvent ni honte, ni horreur en faisant ce qu'ils font alors que nous, nous en sommes épouvantés. La religion, comme nous l'avons vu dans le libéralisme, dans le modernisme, c'est un sentiment interne».

 

 

A la lecture de ce passage, je comprends parfaitement le jugement de Mgr Lefebvre…Je partage toujours le même sentiment.

 

Mais là où je vois le mauvais esprit des dominicains, c’est lorsqu’ils  semblent comme vouloir arrêter le temps. Ils oublient de préciser les circonstances. Ils oublient de dire que cette conférence, prononcée en 1986, était prononcée en pleine affaire de la réunion d’Assise. Réunion particulièrement choquante pour la foi catholique. Voir le pape, successeur de Pierre, vicaire du Christ, mis physiquement au niveau des représentants des fausses religions, tout cela a surpris la chrétienté. Nous nous souvenons toujours des critiques qu’à l’époque  SiSi NoNo donnait de cette journée douloureuse. Elles restent vraies. Une telle journée mettait en danger bien des dogmes de notre sainte religion, sur l’Eglise, sur son rôle, sur  la fonction pétrinienne, sur la nécessité de la foi pour le salut éternelle, sur la mission de l’Eglise d’aller enseigner la vérité révélée, cette vérité...  Tout est vrai. Et l’on sait que c’est une telle journée qui décida Mgr Lefebvre à passer aux actes et à se donner des successeurs dans l’épiscopat pour assurer la pérennité du sacerdoce et de la messe  catholique.

 

Mais les choses n’en sont pas restées là. Elles ne se sont pas arrêtées à 1986 ni à  1988.

 

Bien au contraire. Elles ont considérablement évoluées… précisément à partir de cette date et peut-être même à cause de cette date et des sacres faits par Mgr Lefebvre. Le discours du cardinal Ratzinger qu’il prononça au Chili devant tout l’épiscopat chilien, le prouve, me semble-t-il,  sûrement. Nous étions en juillet 1988, je crois même le 9 juillet.

 

Mais depuis lors,  les choses, les faits, les réflexions, les pensées du cardinal Ratzinger, du Pape Jean-Paul II, de Benoît XVI n’ont cessé d’évoluer.

 

Qu’on en juge par l’affaire liturgique, par l’affaire de la messe. Voyez mon livre : « La bataille de la messe » où j’exprime clairement cette évolution des autorités de l’Eglise en cette matière. Nous n’en sommes plus au discours que  Paul VI tenait lors du Consistoire de mai 1976, interdisant pour toute l’Eglise et les communautés la célébration  de la sainte messe dans le rite tridentin. Nous entendons, tout de même, d’autres considérations…Même si  la victoire n’est pas encore gagnée…

 

Il en est de même en d’autres domaines… En particulier, du jugement sur le monde moderne du pape Jean-Paul II et  du cardinal Ratzinger, aujourd’hui Benoît XVI.

La pensée de Jean-Paul II, sur ce sujet,  a évolué comme celle du cardinal Ratzinger.

 

A-Le jugement du Pape Jean-Paul II.

 

Mgr Lefebvre, dans sa conférence de 1986 affirme que le pape et le cardinal Ratzinger ne comprennent pas l’hostilité  du monde moderne contre l’Eglise, le combat des deux cités. Il l’écrit du cardinal Ratzinger, mais il le dit aussi de la pensée de Jean-Paul II :

 

« Force est bien de constater que le cardinal a perdu totalement de vue l'idée de l'Apocalypse de la lutte entre le vrai et l'erreur, entre le bien et le mal »

 

A l’époque, peut-être.  Tel qu’il s’exprimait dans « Les Principes de la Théologie Catholique » certainement.

 

Mais après… pas nécessairement ni certainement. Un jugement à priori n’est jamais bon. Il faut tenir compte des autres textes que les auteurs « incriminés » nous laissent.

Or je me souviens de la finale de la Lettre Apostolique de Jean-Paul II, à laquelle le cardinal Ratzinger a certainement beaucoup travaillé : sa Lettre apostolique « Ecclesia in Europa ». Toute la conclusion est consacrée précisément à cette lutte entre le bien et le mal, entre l’erreur et le vrai. Et c’est précisément ce texte de l’Apocalypse de Saint Jean que le pape Jean-Paul II cite et analyse joliment.  Ne voulait-il pas répondre, de fait,   aux critiques  que prononçait jadis  contre lui, Mgr Lefebvre ?

 

De ces paroles, Mgr Lefebvre s’en serait réjoui, me semble-t-il. Il n’aurait certainement pas arrêté sa critique à 1986. Il aurait poursuivi son examen, son analyse. Il se serait réjoui de ce texte écrit le 28 juin 2003.

 

Voyez ! C’est la conclusion du document :

 « Un signe grandiose apparut dans le ciel:
une Femme, ayant le soleil pour manteau
»
(Ap 12, 1)

La femme, le dragon et l'enfant

122. L'histoire de l'Église s'accompagne de « signes » qui sont sous les yeux de tous, mais qui demandent à être interprétés. Parmi eux, l'Apocalypse présente le « signe grandiose » apparu dans le ciel, qui parle d'une lutte entre la femme et le dragon.

La femme ayant le soleil pour manteau, qui est en train d'accoucher dans la souffrance (cf. Ap 12, 1-2), peut désigner l'Israël des prophètes qui enfante le Messie, « celui qui sera le berger de toutes les nations, les menant avec un sceptre de fer » (Ap 12, 5; cf. Ps 2, 9). Mais elle représente aussi l'Église, peuple de la nouvelle Alliance, en proie à la persécution, mais protégée par Dieu. Le dragon est « le serpent des origines, celui qu'on nomme Démon ou Satan, celui qui égarait le monde entier » (Ap 12, 9). Le combat est inégal: le dragon semble avoir l'avantage, tant est grande son outrecuidance face à la femme sans défense et souffrante. En réalité, le vainqueur, c'est le fils que la femme vient de mettre au monde. Dans ce combat, une chose est certaine: le grand dragon a déjà été vaincu, « il fut jeté sur la terre, et ses anges avec lui » (Ap 12, 9). Ceux qui l'ont vaincu, ce sont le Christ, Dieu fait homme, par sa mort et sa résurrection, et les martyrs, « par le sang de l'Agneau et le témoignage de leur parole » (Ap 12, 11). Et même si le dragon persiste dans son opposition, il n'y a rien à craindre, car sa défaite est déjà consommée.

123. Telle est la certitude qui anime l'Église au long de son chemin, tandis qu'elle relit son histoire de toujours à partir de la femme et du dragon. La femme qui met au monde un enfant mâle nous rappelle aussi la Vierge Marie, surtout au moment où, transpercée par la souffrance au pied de la Croix, elle engendre de nouveau le Fils, comme vainqueur du prince de ce monde. Elle est confiée à Jean qui, à son tour, lui est confié (cf. Jn 19, 26-27), et elle devient ainsi la Mère de l'Église. Grâce au lien qui unit Marie à l'Église, et l'Église à Marie, le mystère de la femme prend une clarté nouvelle: « En effet, Marie, présente dans l'Église comme Mère du Rédempteur, participe maternellement au “dur combat contre les puissances des ténèbres” qui se déroule à travers toute l'histoire des hommes. Et par cette identification ecclésiale avec la “femme enveloppée de soleil” (Ap 12, 1), on peut dire que “l'Église, en la personne de la bienheureuse Vierge, atteint déjà la perfection qui la fait sans tache ni ride” ».

 

De plus, comment  penser un instant que Mgr Lefebvre n’aurait pas pris acte du constat que le pape Jean-Paul II faisait, dans ce même document, de l’Europe contemporaine. Là, le pape, en 2003, s’élevait contre ce  profond « obscurcissement de l’espérance » qui touche l’Europe, de « sa perte de la mémoire et de l’héritage chrétiens », « de sa peur d’affronter l’avenir ». Il aurait aimé ce paragraphe où le pape parle de la «  tentative de faire prévaloir une anthropologie sans Dieu et sans le Christ ».

 

Relisez le texte :

 

« 7. L’Europe (est) souvent tentée par l'obscurcissement de l'espérance. En effet, le temps que nous vivons, avec les défis qui lui sont propres, apparaît comme une époque d'égarement. Beaucoup d'hommes et de femmes semblent désorientés, incertains, sans espérance, et de nombreux chrétiens partagent ces états d'âme. Nombreux sont les signes préoccupants qui, au début du troisième millénaire, troublent l'horizon du continent européen, lequel, « tout en étant riche d'immenses signes de foi et de témoignage, et dans le cadre d'une vie commune certainement plus libre et plus unie, ressent toute l'usure que l'histoire ancienne et récente a provoquée dans les fibres les plus profondes de ses populations, entraînant souvent la déception ».14

Parmi les nombreux aspects, amplement rappelés aussi à l'occasion du Synode,15 je voudrais mentionner la perte de la mémoire et de l'héritage chrétiens, accompagnée d'une sorte d'agnosticisme pratique et d'indifférentisme religieux, qui fait que beaucoup d'Européens donnent l'impression de vivre sans terreau spirituel et comme des héritiers qui ont dilapidé le patrimoine qui leur a été légué par l'histoire. On n'est donc plus tellement étonné par les tentatives de donner à l'Europe un visage qui exclut son héritage religieux, en particulier son âme profondément chrétienne, fondant les droits des peuples qui la composent sans les greffer sur le tronc irrigué par la sève vitale du christianisme.

Certes, les prestigieux symboles de la présence chrétienne ne manquent pas dans le continent européen, mais avec l'expansion lente et progressive de la sécularisation, ils risquent de devenir un pur vestige du passé. Beaucoup n'arrivent plus à intégrer le message évangélique dans l'expérience quotidienne; il est de plus en plus difficile de vivre la foi en Jésus dans un contexte social et culturel où le projet chrétien de vie est continuellement mis au défi et menacé; dans de nombreux milieux de vie, il est plus facile de se dire athée que croyant; on a l'impression que la non-croyance va de soi tandis que la croyance a besoin d'une légitimation sociale qui n'est ni évidente ni escomptée.

8. Cette perte de la mémoire chrétienne s'accompagne d'une sorte de peur d'affronter l'avenir. L'image du lendemain qui est cultivée s'avère souvent pâle et incertaine. Face à l'avenir, on ressent plus de peur que de désir. On en trouve des signes préoccupants, entre autres, dans le vide intérieur qui tenaille de nombreuses personnes et dans la perte du sens de la vie. Parmi les expressions et les conséquences de cette angoisse existentielle, il faut compter en particulier la dramatique diminution de la natalité, la baisse des vocations au sacerdoce et à la vie consacrée, la difficulté, sinon le refus, de faire des choix définitifs de vie, même dans le mariage.

On assiste à une fragmentation diffuse de l'existence; ce qui prévaut, c'est une sensation de solitude; les divisions et les oppositions se multiplient. Parmi les autres symptômes de cet état de fait, la situation actuelle de l'Europe connaît le grave phénomène des crises de la famille et de la disparition du concept même de famille, la persistance ou la réactivation de conflits ethniques, la résurgence de certaines attitudes racistes, les tensions interreligieuses elles-mêmes, l'attitude égocentrique qui enferme les personnes et les groupes sur eux-mêmes, la croissance d'une indifférence éthique générale et de la crispation excessive sur ses propres intérêts et privilèges. Pour beaucoup de personnes, au lieu d'orienter vers une plus grande unité du genre humain, la mondialisation en cours risque de suivre une logique qui marginalise les plus faibles et qui accroît le nombre des pauvres sur la terre.

Parallèlement à l'expansion de l'individualisme, on note un affaiblissement croissant de la solidarité entre les personnes: alors que les institutions d'assistance accomplissent un travail louable, on observe une disparition du sens de la solidarité, de sorte que, même si elles ne manquent pas du nécessaire matériel, beaucoup de personnes se sentent plus seules, livrées à elles-mêmes, sans réseau de soutien affectif.

9. À la racine de la perte de l'espérance se trouve la tentative de faire prévaloir une anthropologie sans Dieu et sans le Christ. Cette manière de penser a conduit à considérer l'homme comme « le centre absolu de la réalité, lui faisant occuper faussement la place de Dieu. On oublie alors que ce n'est pas l'homme qui fait Dieu, mais Dieu qui fait l'homme. L'oubli de Dieu a conduit à l'abandon de l'homme », et c'est pourquoi, « dans ce contexte, il n'est pas surprenant que se soient largement développés le nihilisme en philosophie, le relativisme en gnoséologie et en morale, et le pragmatisme, voire un hédonisme cynique, dans la manière d'aborder la vie quotidienne ».16 La culture européenne donne l'impression d'une « apostasie silencieuse » de la part de l'homme comblé qui vit comme si Dieu n'existait pas.

Dans une telle perspective prennent corps les tentatives, renouvelées tout récemment encore, de présenter la culture européenne en faisant abstraction de l'apport du christianisme qui a marqué son développement historique et sa diffusion universelle. Nous sommes là devant l'apparition d'une nouvelle culture, pour une large part influencée par les médias, dont les caractéristiques et le contenu sont souvent contraires à l'Évangile et à la dignité de la personne humaine. De cette culture fait partie aussi un agnosticisme religieux toujours plus répandu, lié à un relativisme moral et juridique plus profond, qui prend racine dans la perte de la vérité de l'homme comme fondement des droits inaliénables de chacun. Les signes de la disparition de l'espérance se manifestent parfois à travers des formes préoccupantes de ce que l'on peut appeler une « culture de mort ».

Mgr Lefebvre aurait pris bonne note de ces jugements du pape en 2003.

 

B- Le jugement de Benoît XVI.

Mgr Lefebvre a été très sévère, nous l’avons vu, sur le Cardinal Ratzinger alors qu’il critiquait, en 1986, son livre « Les principes de la Théologie catholique ». Mais il aurait pris en compte, ce que ne font pas les dominicains d’Avrillé, le jugement que le cardinal Ratzinger, aujourd’hui Benoît XVI,  a prononcé sur le monde moderne, le 8 décembre 2005. ( Voir « Regard sur le Monde » du 22 décembre 2005, n° 71 : Benoît XVI et le monde moderne). On attendait qu’il fasse l’apologie du Concile Vatican II. Toute l’Eglise célébrait l’anniversaire de la clôture du Concile. Au lieu de parler du Concile et de son œuvre, - il abordera ce sujet le 22 décembre et de quelle manière –, au lieu de porter son attention sur le mystère de l’Immaculée Conception,  il parla du monde moderne et du péché originel qui le caractérise.  En des termes qui auraient plu à Mgr lefebvre.

Voyez

Le cardinal cite de nouveau le texte de la Genèse qui relate la Femme écrasant la tête du Dragon. C’est le fameux passage de l’Apocalypse qui nous parle du conflit entre la Femme et le Dragon. Un conflit a mort. A ce sujet il dit :  

« Il est prédit qu'au cours de toute l'histoire, la lutte entre l'homme et le serpent se poursuivra, c'est-à-dire entre l'homme et les puissances du mal et de la mort. Cependant, il est également préannoncé que "la lignée" de la femme vaincra un jour et écrasera la tête du serpent, de la mort; il est préannoncé que la lignée de la femme - et en elle la femme et la mère elle-même - vaincra et qu'ainsi, à travers l'homme, Dieu vaincra. Si nous nous mettons à l'écoute de ce texte avec l'Eglise croyante et en prière, alors nous pouvons commencer à comprendre ce qu'est le péché originel, le péché héréditaire, et aussi ce que signifie être sauvergardé de ce péché héréditaire, ce qu'est la rédemption »

C’est tout de même notable. Mgr Lefebvre l’aurait noté. Aurait-il dit en 2003, ou en 2005 : « Force est bien de constater que le cardinal a perdu totalement de vue l'idée de l'Apocalypse de la lutte entre le vrai et l'erreur, entre le bien et le mal ». J’en doute. Il aurait modifié son jugement selon la réalité. La vérité est bien la conformité de la pensée à la  « res »…Ce n’est pas Mgr Lefebvre qui aurait évolué et changé, qui serait devenu libéral…Mais c’est bien la réalité qui change : la pensée de Benoît XVI. C’est la « res » qui change, à laquelle l’esprit doit  se conformer.  

Le pape poursuit :

« Quelle est la situation qui nous est présentée dans cette page? L'homme n'a pas confiance en Dieu. Tenté par les paroles du serpent, il nourrit le soupçon que Dieu, en fin de compte, ôte quelque chose à sa vie, que Dieu est un concurrent qui limite notre liberté et que nous ne serons pleinement des êtres humains que lorsque nous l'aurons mis de côté; en somme, que ce n'est que de cette façon que nous pouvons réaliser en plénitude notre liberté. L'homme vit avec le soupçon que l'amour de Dieu crée une dépendance et qu'il lui est nécessaire de se débarasser de cette dépendance pour être pleinement lui-même. L'homme ne veut pas recevoir de Dieu son existence et la plénitude de sa vie. Il veut puiser lui-même à l'arbre de la connaissance le pouvoir de façonner le monde, de se transformer en un dieu en s'élevant à Son niveau, et de vaincre avec ses propres forces la mort et les ténèbres. Il ne veut pas compter sur l'amour qui ne lui semble pas fiable; il compte uniquement sur la connaissance, dans la mesure où celle-ci confère le pouvoir. Plutôt que sur l'amour, il mise sur le pouvoir, avec lequel il veut prendre en main de manière autonome sa propre vie. Et en agissant ainsi, il se fie au mensonge plutôt qu'à la vérité et cela fait sombrer sa vie dans le vide, dans la mort. L'amour n'est pas une dépendance, mais un don qui nous fait vivre. La liberté d'un être humain est la liberté d'un être limité et elle est donc elle-même limitée. Nous ne pouvons la posséder que comme liberté partagée, dans la communion des libertés: ce n'est que si nous vivons d'une juste manière, l'un avec l'autre et l'un pour l'autre, que la liberté peut se développer. Nous vivons d'une juste manière, si nous vivons selon la vérité de notre être, c'est-à-dire selon la volonté de Dieu. Car la volonté de Dieu ne constitue pas pour l'homme une loi imposée de l'extérieur qui le force, mais la mesure intrinsèque de sa nature, une mesure qui est inscrite en lui et fait de lui l'image de Dieu, et donc une créature libre. Si nous vivons contre l'amour et contre la vérité - contre Dieu -, alors nous nous détruisons réciproquement et nous détruisons le monde. Alors nous ne trouvons pas la vie, mais nous faisons le jeu de la mort. Tout cela est raconté à travers des images immortelles dans l'histoire de la chute originelle et de l'homme chassé du Paradis terrestre.

Chers frères et soeurs! Si nous réfléchissons sincèrement sur nous et sur notre sur histoire, nous constatons qu'à travers ce récit est non seulement décrite l'histoire du début, mais l'histoire de tous les temps, et que nous portons tous en nous une goutte du venin de cette façon de penser illustrée par les images du Livre de la Genèse. Cette goutte de venin, nous l'appelons péché originel. Précisément en la fête de l'Immaculée Conception apparaît en nous le soupçon qu'une personne qui ne pèche pas du tout est au fond ennuyeuse; que quelque chose manque à sa vie: la dimension dramatique du fait d'être autonomes; qu'être véritablement hommes comprenne également la liberté de dire non, de descendre au fond des ténèbres du péché et de vouloir agir tout seuls; que ce n'est qu'alors que l'on peut exploiter totalement toute l'ampleur et la profondeur du fait d'être des hommes, d'être véritablement nous-mêmes; que nous devons mettre cette liberté à l'épreuve, également contre Dieu, pour devenir en réalité pleinement nous-mêmes. En un mot, nous pensons au fond que le mal est bon, que nous avons au moins un peu besoin de celui-ci pour faire l'expérience de la plénitude de l'être. Nous pensons que Méphistophélès - le tentateur - a raison lorsqu'il dit être la force "qui veut toujours le mal et qui accomplit toujours le bien" (J.W. v. Goethe, Faust I, 3). Nous pensons que traiter un peu avec le mal, se réserver un peu de liberté contre Dieu est au fond un bien, et peut-être même nécessaire.

Cependant, en regardant le monde autour de nous, nous pouvons voir qu'il n'en est pas ainsi, c'est-à-dire que le mal empoisonne toujours, il n'élève pas l'homme, mais l'abaisse et l'humilie, il ne le rend pas plus grand, plus pur et plus riche, mais il lui cause du mal et le fait devenir plus petit. C'est plutôt cela que nous devons apprendre le jour de l'Immaculée: l'homme qui s'abandonne totalement entre les mains de Dieu ne devient pas une marionnette de Dieu, une personne consentante ennuyeuse; il ne perd pas sa liberté. Seul l'homme qui se remet totalement à Dieu trouve la liberté véritable, l'ampleur vaste et créative de la liberté du bien. L'homme qui se tourne vers Dieu ne devient pas plus petit, mais plus grand, car grâce à Dieu et avec Lui, il devient grand, il devient divin, il devient vraiment lui-même. L'homme qui se remet entre les mains de Dieu ne s'éloigne pas des autres en se retirant dans sa rédemption en privé; au contraire, ce n'est qu'alors que son coeur s'éveille vraiment et qu'il devient une personne sensible et donc bienveillante et ouverte.

Plus l'homme est proche de Dieu et plus il est proche des hommes. Nous le voyons en Marie. Le fait qu'elle soit totalement auprès de Dieu est la raison pour laquelle elle est également si proche de tous les hommes. C'est pourquoi elle peut être la Mère de toute consolation et de toute aide, une Mère à laquelle devant chaque nécessité quiconque peut oser s'adresser dans sa propre faiblesse et dans son propre péché, car elle comprend tout et elle est pour tous la force ouverte de la bonté créatrice. C'est en Elle que Dieu imprime son image, l'image de Celui qui suit la brebis égarée jusque dans les montagnes et parmi les épines et les ronces des péchés de ce monde, se laissant blesser par la couronne d'épine de ces péchés, pour prendre la brebis sur ses épaules et la ramener à la maison. En tant que Mère compatissante, Marie est la figure anticipée et le portrait permanent de son Fils. Nous voyons ainsi que même l'image de la Vierge des Douleurs, de la Mère qui partage la souffrance et l'amour, est une véritable image de l'Immaculée. Son coeur, grâce au fait d'être et de ressentir avec Dieu, s'est agrandi. En Elle, la bonté de Dieu s'est beaucoup approchée et s'approche beaucoup de nous. Ainsi Marie se trouve devant nous comme signe de réconfort, d'encouragement, d'espérance. Elle s'adresse à nous en disant: "Aie le courage d'oser avec Dieu! Essaye! N'aie pas peur de Lui! Aie le courage de risquer avec la foi! Aie le courage de risquer avec la bonté! Aie le courage de risquer avec le coeur pur! Engage-toi avec Dieu, tu verras alors que c'est précisément grâce à cela que ta vie deviendra vaste et lumineuse, non pas ennuyeuse, mais pleine de surprises infinies, car la bonté infinie de Dieu ne se tarit jamais!"

En ce jour de fête, nous voulons rendre grâce au Seigneur pour le grand signe de sa bonté qu'il nous a donné en Marie, sa Mère et Mère de l'Eglise. Nous voulons le prier de placer Marie sur notre chemin comme une lumière qui nous aide à devenir nous aussi lumière et à porter cette lumière dans les nuits de l'histoire. Amen ».

Croyez-vous que Mgr Lefebvre n’aurait pas partagé cette analyse ? Allons donc !

On ne peut objectivement arrêter le temps et l’évolution possible d’une pensée…Certes, comme le disent les dominicains « l’élection d’un Pape n’a pas l’effet « magique » d’opérer la conversion intellectuelle  de l’intéressé; elle lui laisse sa manière habituelle de penser », mais une pensée peut évoluer selon d’autres circonstances. Et puis sont-ils bien sûr qu’une élection au Souverain Pontificat ne peut pas donner quelques grâces d’état ?   Mgr Lefebvre aurait pris acte de ces changements et s’en serait réjouis.

 

Et,  comme pour enfoncer définitivement le clou, nos dominicains citent pour justifier leur critique du pape, le jugement que Benoît XVI prononça au nouvel ambassadeur près le Saint Siège, M Bernard Kessedjian, le 19 décembre 2005. Ils en donnent des extraits à la page 304 et 311 du n° 55 de leur revue. Nous l’avons analysé, nous aussi. (Voir : Les Nouvelles de Chrétienté. N° 34 sur notre site Item). Nous avons exprimé, avec Jean Madiran, notre étonnement, notre opposition.  J’ai avancé l’hypothèse que ce discours n‘était pas de la plume du pape mais d’un « scribouillard » de la Secrétairerie d’Etat, tant la pensée ici exprimée s’éloigne de celle exprimée dans son discours du 8 décembre. Il faut tout prendre en compte.

 

Oui l’esprit de dominicains d’Avrillé ne me plait pas…Il n’est pas bon. C’est un mauvais esprit. Qu’on y prenne garde !

 

-------------------------------------------

 

 

Pour ceux qui veulent lire le texte in extenso de la conférence de Mgr Lefebvre, cliquez ici : Texte de la Conférence de Mgr Lefebvre cité par les dominicains dans la revue « le Sel de la terre », n°55/

« Il y a désormais trois erreurs fondamentales, qui, d'origine maçonnique, sont professées publiquement par les modernistes qui occupent l'Église.

 - Le remplacement du Décalogue par les Droits de l'Homme. C'est désormais le leitmotiv pour rappeler la morale : ce sont les Droits de l'Homme qui se sont pratiquement substitués au Décalogue. Car l'article principal des Droits de l'Homme, c'est surtout la liberté religieuse, qui a été voulue d'une manière particulière par les francs-maçons. Jusque là c'était la religion catholique qui était LA religion, les autres religions étant fausses. Les francs-maçons ne voulaient plus de cette exclusive. Il fallait la supprimer. Alors on a décrété la liberté religieuse.

 - Ce faux œcuménisme qui établit en fait l'égalité des religions. C'est ce que manifeste le Pape d'une manière concrète en toutes occasions. Il a dit lui-même que l’œcuménisme était l'un des objectifs principaux de son pontificat. Il a agi là contre le premier article du Credo et contre le premier commandement de l'Église. C'est d'une gravité exceptionnelle.

 - Enfin, le troisième acte qui est maintenant courant, c'est la négation du règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ par la laïcisation des États. Le Pape a voulu et est arrivé pratiquement à laïciser les Sociétés, donc à supprimer le règne de Notre-Seigneur sur les Nations.

 Si l'on réunit ces trois changements fondamentaux et qui en vérité n'en font qu'un, c'est vraiment la négation de l'unicité de la religion de Notre-Seigneur Jésus-Christ et par conséquent de son règne. Et pourquoi cela. En faveur de quoi. Probablement d'un sentiment religieux universel, d'une sorte de syncrétisme qui vise à réunir toutes les religions.

La situation est donc extrêmement grave, car il semble bien que la réalisation de l'idéal maçonnique soit accomplie par Rome même, par le Pape et les cardinaux. Les francs-maçons ont toujours désiré cela et ils y parviennent non plus par eux mais par les hommes d'Église eux-mêmes.

Il suffit de lire les articles écrits par certains d'entre eux, ou qui leur sont proches, pour voir avec quelle satisfaction ils saluent toute cette transformation de l'Église, ce changement radical qu'a opéré l'Église depuis le Concile et qui, pour eux-mêmes, était difficilement concevable.

 

La vérité évoluerait avec le temps! 

Ce n'est pas seulement le Pape qui est en cause. Le cardinal Ratzinger, qui passe dans la presse pour être plus ou moins traditionnel, est en fait un moderniste. Il suffit pour s'en convaincre de lire son livre « Les principes de la théologie catholique » pour connaître sa pensée, alors qu'il éprouve une certaine estime pour la théorie de Hegel quand il écrit : « A partir de lui, être et temps se compénètrent de plus en plus dans la pensée philosophique. L'être même répond désormais à la notion de temps... la vérité devient fonction du temps ; le vrai n'est pas purement et simplement et c'est vrai pour un temps parce qu'il appartient au devenir de la vérité, laquelle est en tant qu'elle devient. »

Que voulez-vous que nous fassions ? Comment discuter avec qui tient semblable raisonnement ?

Aussi sa réaction n'est-elle pas surprenante quand je lui ai demandé : « Mais enfin, Éminence, il y a quand même contradiction entre la liberté religieuse et ce que dit le Syllabus. »  « Mais, Monseigneur, m'a-t-il répondu, nous ne sommes plus au temps du Syllabus! » Toute discussion devient impossible.

Voilà ce que le cardinal Ratzinger écrit dans son livre à propos du texte de l'Église dans le monde (Gaudium et spes) sous le titre : « L'Église et le monde à propos de la question de la réception du deuxième Concile du Vatican. » Il développe ses arguments sur plusieurs pages et précise : « Si l'on cherche un diagnostic global du texte, on pourrait dire qu'il est (en liaison avec les textes sur la liberté religieuse et sur les religions dans le monde) une révision du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-Syllabus (Dignitatis Humanae) ».

Donc, il reconnaît que le texte de l'Église dans le monde, celui de la liberté religieuse  et celui sur les non-chrétiens (Nostra AÉtate) constituent une espèce de « contre-Syllabus ». C'est ce que nous lui avons dit, mais maintenant, sans que cela paraisse le gêner, il l'écrit explicitement.

Et le cardinal poursuit : « Harnack, on le sait, a interprété le Syllabus comme un défi à son siècle ; ce qu'il y a de vrai, c'est qu'il a tracé une ligne de séparation devant les forces déterminantes du XIXème siècle. »

Quelles sont « les forces déterminantes du XIXème siècle » ? C'est la révolution française bien sûr avec toute son entreprise de destruction. Ces « forces déterminantes », le cardinal les définit lui-même comme étant « les conceptions scientifiques et politiques du libéralisme ». Et il poursuit « Dans la controverse moderniste, cette double frontière a été encore une fois renforcée et fortifiée ».

 « Depuis lors, sans doute, bien des choses s'étaient modifiées. La nouvelle politique ecclésiastique de Pie XI avait instauré une certaine ouverture à l'égard de la conception libérale de l'État. L'exégèse et l'histoire de l'Église, dans un combat silencieux et persévérant, avaient adopté de plus en plus les postulats de la science libérale, et d'un autre côté le libéralisme s'était vu dans la nécessité, au cours des grands retournements politiques du XXe siècle, d'accepter des corrections notables ».

 « C'est pourquoi, d'abord en Europe centrale, l'attachement unilatéral, conditionné par la situation, aux positions prises par l'Église à l'initiative de Pie IX et de Pie X contre la nouvelle période de l'histoire ouverte par la révolution française, avait été dans une large mesure corrigé via facti, mais une détermination fondamentale nouvelle des rapports avec le monde tel qu'il se présentait depuis 1789 manquait encore ».

Cette détermination fondamentale va être celle du Concile.

 « En réalité, continue le cardinal, dans les pays à forte majorité catholique, régnait encore largement l'optique d'avant la révolution : presque personne ne conteste plus aujourd'hui que les concordats espagnol et italien cherchaient à conserver beaucoup trop de choses d'une conception du monde qui depuis longtemps ne correspondait plus aux données réelles. De même presque plus personne ne peut contester qu'à cet attachement à une conception périmée des rapports entre l'Église et l'État correspondaient des anachronismes semblables dans le domaine de l'éducation, et de l'attitude à prendre à l'égard de la méthode historique critique moderne. »

Ainsi se précise le véritable esprit du cardinal Ratzinger qui ajoute : « Seule une recherche minutieuse des manières diverses dont les différentes parties de l'Église ont accompli leur accueil du monde moderne pouvait débrouiller le réseau compliqué de causes qui ont contribué à donner sa forme à la constitution pastorale, et ce n'est que de cette manière que pourrait s'éclairer le drame de l'histoire de son influence ».

 « Contentons-nous ici de constater que le texte joue le rôle d'un contre-Syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour la réconciliation officielle de l'Église avec le monde tel qu'il était devenu depuis 1789 ».

Tout cela est clair et correspond à tout ce que nous n'avons cessé d'affirmer. Nous refusons, nous ne voulons pas être les héritiers de 1789 !

 « D'un côté, cette vue seule, éclaire le complexe de ghetto dont nous avons parlé au début ; (l'Église un ghetto !) et d'un autre côté, elle seule permet de comprendre le sens de cet étrange vis-à-vis de l'Église et du monde: par « monde » on entend, au fond, l'esprit des temps modernes, en face duquel la conscience de groupe dans l'Église se ressentait comme un sujet séparé qui, après une guerre tantôt chaude et tantôt froide, recherchait le dialogue et la coopération. »

Force est bien de constater que le cardinal a perdu totalement de vue l'idée de l'Apocalypse de la lutte entre le vrai et l'erreur, entre le bien et le mal. Désormais, on recherche le dialogue entre le vrai et l'erreur. On ne peut pas comprendre l'étrangeté de ce vis-à-vis entre l'Église et le monde.

Plus loin, le cardinal définit ainsi sa pensée : « L'Église et le monde, c'est comme le corps et l'âme. » - « Bien entendu, il faut ajouter que le climat de tout le processus était marqué de façon décisive par « Gaudium et spes ». Le sentiment qu’il ne devait vraiment plus y avoir de mur entre l’Église et le monde, que tout « dualisme » : corps-âme, Église-monde, grâce-nature et même, en fin de compte, Dieu-monde était nuisible : ce sentiment devint de plus en plus une force destructrice pour l’ensemble ».

Le cardinal Ratzinger est à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, l'ex-Saint Office. Avec une semblable expression de pensée que peut-on espérer pour l'Église de celui qui a cependant en charge la défense de la Foi ?

 Quant au Pape, d'une autre façon, il a le même esprit. Sans doute est-il polonais, mais le fondement des idées est le même. Ce sont les mêmes principes, la même formation qui l'animent. C'est la raison pour laquelle ils n'éprouvent ni honte, ni horreur en faisant ce qu'ils font alors que nous, nous en sommes épouvantés. La religion, comme nous l'avons vu dans le libéralisme, dans le modernisme, c'est un sentiment interne.

 

Ainsi dès le jour où, au mépris du droit, nous avons été frappé par Mgr Mamie, soutenu par Rome, nous n'en avons pas tenu compte et apparemment nous avons désobéi. Mais, c'était notre devoir de désobéir, parce que l'on voulait nous placer dans l'esprit de 1789, l'esprit du libéralisme, l'esprit du contre-Syllabus. Nous avons refusé et nous continuons de refuser. Ce sont des hommes, comme le cardinal Villot, imbus de ce libéralisme, c'est cette Rome libérale qui nous ont condamné. Mais en agissant de la sorte ils ont condamné la Tradition, la Vérité.

Nous avons refusé cette condamnation car nous la considérions comme nulle et inspirée de l'esprit moderniste. Ce que nous faisions et que nous continuons de faire n'est autre que d’œuvrer au maintien de la Tradition. Nous nous sommes donc trouvé être dans une situation apparente de désobéissance légale, mais nous avons continué à ordonner des prêtres, à donner des prêtres aux fidèles pour le salut de leurs âmes. Ceux-ci ont exercé et exercent leur ministère toujours sous une apparence de désobéissance à la lettre de la loi. Et nous continuerons tant que le Bon Dieu le jugera bon.

Ce n'est pas nous qui créons la situation de l'Église et celle-ci s'aggrave toujours davantage dans des conditions stupéfiantes. Personne n'aurait pu imaginer il y a dix ans, avant l'avènement du pape Jean-Paul II, qu'un Souverain Pontife aurait un jour fait cette cérémonie à Assise. L'idée même n'en serait jamais venue. Nul n'aurait pensé qu'il aurait été à la Synagogue et qu'il y aurait fait ce discours abominable. Personne ne l'aurait imaginé. De même n'aurait-on jamais pu concevoir ce qu'il a fait en Inde. Tout cela aurait paru inconcevable.

 

w Nous voulons continuer l'Église 

Alors, nous qui sommes entés sur l'Église, nous qui avons reçu les approbations officielles de l'Église, nous voulons continuer l'Église, continuer le Sacerdoce, sauver les âmes.

Que l'on me comprenne bien, je ne dis pas que la Fraternité c'est l'Église, mais nous sommes d'Église, comme l'ont été les Sulpiciens, les Lazaristes, les Missions étrangères et tant d'autres. Nous avons été reconnus comme tels et nous le demeurons. Nous ne voulons pas changer.

Il n'y a qu'une Église, dont nous sommes un rameau puissant, plein de sève, approuvé par l'Église absolument comme les autres Sociétés l'ont été autrefois et qui sont maintenant - hélas - en grande majorité en train de mourir de leur belle mort.

 La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X a été suscitée, pensons-nous, providentiellement par le Bon Dieu pour être un phare, une lumière dans le monde entier afin de sauver le vrai Sacerdoce, le vrai Sacrifice de la Messe, la Doctrine et la Tradition de l'Église et la Vérité pour apporter le salut aux âmes. Nous vivons dans un temps vraiment exceptionnel et croyons-nous apocalyptique, nous devons supplier le Bon Dieu, prier saint Pie X notre patron, afin de recevoir les grâces qui nous fortifient.

Le Bon Dieu m'a presque contraint à fonder la Fraternité, à réaliser cette oeuvre, qui dans son développement semble bien avoir reçu Sa bénédiction. Nier cela, serait nier l'évidence. Tout le monde peut le constater.

Beaucoup d'entre nos prêtres ont maintenant plus de huit ans, plus de dix ans de Sacerdoce et le nombre des catholiques qui gravitent autour d'eux et qui sont heureux de les avoir est considérable. Combien de fois je reçois des lettres ou des compliments quand je passe dans les prieurés : « Ah, Monseigneur, vos prêtres ! Heureusement que nous avons vos prêtres ! Quel bien ils nous font. Ils nous aident, ainsi que nos familles, à demeurer catholiques. Combien nous vous remercions ! ».

Comment ne pas constater l'action de la Providence quand on voit ces vocations qui viennent de partout, et ce malgré toutes les attaques et les entreprises subversives pour essayer de nous démolir. Il n'y a pas de doute, le diable fait tout ce qui est en son pouvoir pour nous diviser, pour nous désagréger, c'est clair. Malheureusement, dans une certaine mesure, il y est parvenu : trop nombreux sont ceux qui nous ont abandonné. J'ai ordonné trois cent six prêtres depuis quinze ans, dont cinquante-six d'entre eux pour les communautés ou monastères amis. Naturellement les premières années, il n'y a pas eu beaucoup d'ordinations. Les premières ordinations importantes ont commencé en 1975. En onze ans, cela fait tout de même un chiffre assez considérable et cela malgré toutes les oppositions, les persécutions contre nos séminaires, malgré aussi le découragement que l'on provoque chez les séminaristes et que certains sont parvenus à détourner de leur vocation.

Soyons unis, courageux, soyons fermes, continuons. Le Bon Dieu nous bénira certainement. Nous ne devons pas craindre et trembler, mais demeurer résolus à défendre et à transmettre notre Foi.

Louis Veuillot disait : « Deux puissances vivent et sont en lutte dans le monde : la Révélation et la Révolution ».

Nous avons choisi de garder la Révélation, tandis que la nouvelle Église conciliaire a choisi la Révolution.

La raison de nos vingt années de combat est dans ce choix.

Prions, demandons à la Très Sainte Vierge, à notre Reine à laquelle la Fraternité est consacrée de nous aider.

 

Mgr Marcel LEFEBVRE