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Un regard sur le monde  politique et religieux

Au 8 décembre 2006

 

N° 110

Par Monsieur l’abbé Aulagnier

 

 

Le cardinal Hummes

et

le célibat ecclésiastique

 

Le Cardinal Claudio Hummes, Préfet de la Congrégation pour le Clergé, remplaçant le cardinal Castrillon Hoyos,  a publié  une interview dans le journal  brésilien "Estado de Sao Paulo", sur le célibat ecclésiastique.

Il a déclaré : «Même si les prêtres célibataires font partie de l'histoire et de la culture catholique, l'Eglise peut réfléchir à cette question parce que le célibat n'est pas un dogme mais une norme disciplinaire".

Il  aurait même dit :

"L'Eglise n'est pas figée, mais une institution qui change et qui doit changer".

 

Cette déclaration, on le comprend, a donné lieu, dans la presse,  à de nombreux commentaires. Aussi le cardinal a-t-il du préciser sa pensée. On pouvait lire sur le site du Vatican – V.I.S. – les précisions suivantes :

"Suite aux réactions suscitées par mon interview parue dans le journal 'Estado de Sao Paulo', je désire préciser comme suit:

"Au sein de l'Eglise, il a toujours été très claire que l'obligation au célibat pour les prêtres n'est pas un dogme mais une norme disciplinaire. De ce fait, il est valable pour l'Eglise latine mais non pour les rites orientaux, où à part les communautés unies à l'Eglise catholique, il est normal que les prêtres soient mariés".

"Cependant, il est aussi claire que la norme du célibat pour les prêtres dans l'Eglise latine est très ancienne et se base sur une tradition consolidée et sur d'importantes raisons de caractère tant théologique et spirituel que pratique et pastoral réaffirmés par les Papes".

"De fait, lors du récent synode des évêques sur les prêtres, l'opinion la plus diffusée parmi les pères était qu'une extinction  de la règle du célibat ne serait pas la solution pour résoudre le problème de la diminution des vocations. Ce problème a de nombreuses causes, à commencer par la culture moderne sécularisée comme le démontre l'expérience des autres confessions chrétiennes qui ont des prêtres ou pasteurs mariés".

"D'ailleurs ce problème n'est pas actuellement à l'ordre du jour des autorités ecclésiastiques, comme cela a été nouvellement affirmé lors de la dernière réunion des chefs de dicastères avec le Saint-Père".
VIS 061204 (270)

 

Sur cette question du célibat, il me plait de rappeler ce qu’écrivait le cardinal Stickler dans son petit livre consacré à ce sujet « le célibat des prêtres » et publié chez Téqui. Après avoir étudié les sources patristiques de la discipline ecclésiastique tant de l’Eglise d’Occident que d’Orient, il consacre son ultime chapitre aux « fondements théologiques » du célibat.

Son exposé est beau. Il faut le relire.

Il écrit :

« Au cours des discussions actuelles relatives au célibat, l’appel à un approfondissement de la théologie du sacerdoce se fait de plus en plus entendre. Cela afin de pouvoir en déduire aussi et l’évaluer, l’aspect seul exact et complet de la théologie du célibat ecclésiastique de l’Eglise catholique.

C’est pourquoi il nous reste le devoir important et d’actualité de réfléchir aux éléments de la théologie tant du sacerdoce du Nouveau Testament que du célibat des clercs qui s’appuie sur elle. Toutes deux ont leur racine dans l’Ecriture Sainte, source principale de la théologie catholique, puis dans la Tradition de l’Eglise qui met au jour et interprète les témoignages de l’Ecriture.

Le sacerdoce du Christ est un profond mystère de notre foi. Pour pouvoir le comprendre, l’homme doit s’ouvrir à une vision surnaturelle et soumettre sa pensée humaine à une pensée surhumaine. A une époque de foi vivante qui ne se contente pas de soutenir le fidèle individuellement, mais pénètre et forme aussi la vie de la communauté, le Christ-Prêtre est, dans la conscience de tous, le centre vivant de la vie de foi personnelle et communautaire.

Mais à une époque de perte de la foi, la conception du Christ-Prêtre s’estompe et disparaît toujours davantage de la conscience de l’homme et de l’univers, cessant ainsi d’être le centre d’une vie de foi vivante.

Cette image du Christ-Prêtre dans notre conscience est toujours accompagnée de celle du prêtre du Christ. A une époque où la foi est vivante, il n’est pas difficile au prêtre de se reconnaître dans le Christ, de s’identifier à lui, de voir et de vivre l’essence même de son propre sacerdoce dans une union intime avec lui, en lui, le Christ-Prêtre, et de voir en lui « l’unique origine » et « le modèle irremplaçable » de son propre sacerdoce.

Dans une atmosphère de rationalisme qui repousse toujours davantage le surnaturel de la pensée humaine, à l’époque d’un matérialisme où le spirituel s’estompe de plus en plus, il devient de plus en plus difficile pour le prêtre, avec la sécularisation de toute la vie humaine qui s’ensuit, d’échapper à cet univers intellectuel. L’identité surnaturelle de son sacerdoce  disparaît de plus en plus, s’il ne s’efforce pas consciemment de la conserver, s’il ne l’approfondit pas et ne la conserve pas vivante en une communauté de vie intime avec le Christ.

En cette situation difficile, telle qu’elle existe à l’évidence aujourd’hui, le prêtre a besoin plus que jamais de l’aide d’un ascétisme et d’une mystique sacerdotale dévoilant les dangers qui menacent son sacerdoce, en montrant les besoins et mettant à sa disposition les moyens que nécessite son existence de prêtre.

La crise d’identité actuelle du sacerdoce catholique qui se manifeste, avec une évidence incontestable, par l’abandon par des milliers de prêtres de leurs fonctions, par une sécularisation parfois très profonde de beaucoup d’autres apparemment restés à leur poste, mais le plus gravement par l’absence ou le refus de nouvelles vocations, cette crise rend nécessaire une nouvelle pastorale sacerdotale tenant compte de la situation concrète d’aujourd’hui et correspondant au « contexte actuel ».

 

La nature du sacerdoce catholique devra être mise en lumière à partir de l’ensemble de la tradition théologique catholique. Lors d’une crise semblable du sacerdoce, le concile de Trente a créé les bases d’une mystique du prêtre associée à celle du Christ, en définissant les sacrements de l’ordre et de l’Eucharistie. Matthias Joseph Scheeben, face au rationalisme théologique du siècle passé, a montré en une vision profonde que l’ordination avait pour effet d’élever le bénéficiaire jusqu’à ne plus former qu’un tout organique surnaturel avec le Christ et que le caractère que l’ordre imprime à tout jamais chez ce bénéficiaire, l’élève jusqu’à devenir un organe des fonctions sacerdotales du Christ.

A une époque récente, surtout depuis le IIe concile du Vatican, cette relation du prêtre avec Christ s’est trouvée toujours davantage au centre des travaux sur la nature du sacerdoce, de sorte que purent être approfondis et amplifiés les textes bibliques servant de point de départ aux enseignements théologiques et canoniques des siècles passés concernant le lien et la conformité entre le Christ et le prêtre, de sorte aussi que l’axiome traditionnel « sacerdos alter Christus » a pu ainsi recevoir un nouvel éclairage, théologiquement fondé.

Lorsque saint Paul écrit aux Corinthiens (1 Cor 4 1) : « qu’on nous considère donc comme des serviteurs du Christ et comme des intendants des mystères divins », ou : « c’est donc au nom du Christ (pro Christo) que nous jouons le rôle d’ambassadeurs et c’est Dieu lui-même qui exhorte par notre entremise. Au nom du Christ, nous vous en supplions, réconciliez-vous avec Dieu » (2 cor 5 20), il y a là une justification biblique de l’identification du prêtre au Christ.

Dans les textes de Vatican II, la même chose apparaît sans cesse : « Les évêques, d’une façon éminente et visible, jouent le rôle du Christ lui-même, Maître, Pasteur et Pontife et agissent comme ses représentants » (in eius persona) (LG 21, avec la note 22 où l’enseignement de l’Eglise antique à ce sujet est étayé).  « Les prêtres en tant que coopérateurs des  évêques participent aussi à leur sacerdoce » (LG 28). «  Ils agissent eux aussi in persona Christi . Ils sont configurés au Christ et agissent en son nom par le sacrement de l’ordre et le caractère spécial qui lui est lié.

Après le Concile, les déclarations à ce sujet se multiplient, également de la part de la Curie. La Congrégation pour l’éducation catholique a fait expressément mention dans les normes de base pour la formation des prêtres de 1970 du fait, que par son ordination, le prêtre devenait un alter Christus.  Le Codex iuris canonici de 1983 déclare dans son canon 1008 :

« Par le sacrement de l’Ordre, d’institution divine, certains  fidèles sont constitués ministres sacrés par le caractère indélébile dont ils sont marqués ; ils sont ainsi consacrés et députés pour être pasteurs du peuple de Dieu, chacun selon son degré, en remplissant en la personne du Christ Chef les fonctions d’enseignement, de sanctification et de gouvernement ».

Mais c’est le ape Jean-Paul II qui, depuis le début de son pontificat, s’est occupé avec le plus d’insistance du sacerdoce et de la mission sacerdotale. Depuis, 1979, il adressait le Jeudi Saint de chaque année, un  message pontifical aux prêtres. Il ne cessa d’user des ses audiences, de ses discours et surtout des fréquentes ordinations sacerdotales pour replacer, du point de vue théologique, pastoral et actuel, la nature du sacerdoce catholique sous son véritable jour, et pour approfondir le legs que constitue ce sacerdoce.

L’acte le plus important jusqu’ici en faveur du sacerdoce dans l’exercice de ses fonctions par ce pape, fut la convocation et la tenue du 8 synode des évêques sur la formation des prêtres. Un point central des délibérations des Pères synodaux fut, sans aucun doute, d’avoir élaboré une compréhension véritable et conforme à notre époque de l’identité du prêtre dans le monde d’aujourd’hui et tenant compte de la grave crise où se trouve le prêtre de nos jours. La récapitulation et le couronnement de ce travail en profondeur est l’exhortation apostolique publiée le 25 mars 1992, Pastores dabo vobis, sur la formation des prêtres dans le contexte actuel.

Dans le deuxième chapitre de cette exhortation apostolique, le pape traite de la « nature et mission du sacerdoce ministériel », y soulignant expressément que les interventions (des Pères synodaux) ont révélé notre conscience du lien ontologique spécifique qui unit le prêtre au Christ, Prêtre Suprême et Bon Pasteur ». Et il conclut cet exposé par la constatation qu’on peut dire classique : « Le prêtre trouve la pleine vérité de son identité dans le fait d’être une participation spécifique et une continuation du Christ lui-même, souverain et unique prêtre de la  Nouvelle Alliance ; il est une image vivante et transparente du Christ, prêtre. Le sacerdoce du Christ, expression de sa « nouveauté » absolue dans l’histoire du salut, constitue la source unique et le paradigme irremplaçable du sacerdoce du chrétien, et en particulier du prêtre. La référence au  Christ est ainsi la clef absolument nécessaire pour la compréhension de la réalité du sacerdoce ».

A partir de cette parenté ontologique entre le Christ et le prêtre, il ne sera pas difficile maintenant de montrer aussi le bien fondé de la théologie du célibat de ce dernier. Jean-Paul II en fournit lui-même à nouveau la clef :

« Il est particulièrement important que le prêtre comprenne la motivation théologique de la loi ecclésiastique sur le célibat. En tant que  loi, elle exprime la volonté de l’Eglise, même avant que le sujet exprime sa volonté d’y être disponible. Mais la volonté de l’Eglise trouve sa dernière motivation dans le lien du célibat avec l’Ordination sacrée, qui configure le prêtre à Jésus-Christ. Tête et Epoux de l’Eglise. L’Eglise, comme Epouse de Jésus-Christ, veut être aimée par le prêtre de la même manière totale et exclusive avec laquelle Jésus-Christ, Tête et Epoux, l’a aimée. Le célibat sacerdotal alors est don de soi dans et avec le Christ à son Eglise, et il exprime le service rendu par le prêtre à l’Eglise dans et avec le Seigneur ».

….

Ainsi la raison dernière de la loi ecclésiastique du célibat réside dans « le lien du célibat avec l’Ordination sacrée, qui configure le prêtre à Jésus-Christ, Tête et Epoux de l’Eglise ». C’est probablement là la déclaration centrale de toute la théologie du célibat que développe l’exhortation apostolique de Jean-Paul II, théologie destinée à être méditée, approfondie et développée.

 

En fait principalement partie ce qui est exposé dans la section du 3 chapitre sur « la configuration à Jésus-Christ, Tête et Pasteur et la charité pastorale », en particulier aux numéros 22 et 23 . Le Christ y apparaît, au sens d’Ephésiens 5, 23-32, comme époux de l’Eglise et l’Eglise comme seule épouse du Christ. La profonde mystique du Christ et de son Eglise se trouve ici – en relation avec d’autres passages de l’Ecriture – mise en relief pour être directement reliée au prêtre : « Le prêtre est appelé à être l’image vivante de Jésus-Christ, Epoux de l’Eglise…C’est pourquoi il est appelé, dans sa vie spirituelle, à revivre l’amour du Christ époux envers l’Eglise épouse » (il n’est donc pas privé d’amour conjugal, son épouse est l’Eglise). « Sa vie doit donc être illuminée et orientée par ce caractère sponsal qui lui demande d’être témoins de l’amour sponsal du Christ ; ainsi sera-t-il capable d’aimer les gens avec un cœur nouveau, grands et pur, avec un authentique détachement de lui-même, dans un don de soi total, continu et fidèle. Et il en éprouvera comme une « jalousie «  divine (cf 2 Cor 11 2), avec une  tendresse qui se pare même des nuances de l’affection maternelle, capable de supporter les « douleurs de l’enfantement » jusqu’à ce que le Christ soit formé » dans les fidèles (cf Gal 4 19)

Le principe intérieur, la vertu qui anime et guide la vie spirituelle du prêtre, en tant que configuré au Christ, Tête et Pasteur, est la charité pastorale, participation à la charité pastorale du Christ Jésus ».

Son contenu essentiel est « le don de soi, le don total de soi-même à l’Eglise, à l’image du don du Christ et en partage avec lui…Avec la charité pastorale qui imprègne l’exercice du ministère sacerdotal, comme « un office d’amour », le prêtre, qui accueille la vocation au ministère, est en mesure d’en faire un choix d’amour, par lequel l’Eglise et les âmes deviennent son intérêt principal ».

 

Le sacerdoce de l’Eglise catholique est un mystère en lui-même  qui, de son côté, s’incorpore au mystère de l’Eglise du Christ. Tout problème suscité par ce sacerdoce  et avant tout le grand problème toujours actuel de la continence – ne peut et ne doit pas être résolu à l’aide de réflexions et de justifications anthropologiques, psychologiques, sociologiques ou, en général, profanes et propres au monde. On ne peut pas non plus satisfaire au problème de la continence à l’aide de catégories purement disciplinaires. Toute manifestation de la vie et de l’activité du prêtre, sa nature et son identité exigent d’abord une justification théologique. Pour la continence des clercs, nous avons tenté d’apporter celle-ci à partir … d’une réflexion théologique s’appuyant sur la Révélation.

Il en résulte d’abord d’un point de vue purement formel, qu’un langage profane demeure inapte à faire un tableau satisfaisant, à la hauteur du mystère abordé ; celui-ci nécessite même un langage qui, ‘une manière bien comprise, soit en mesure de transfigurer les choses. Vu de l’essentiel, c’est aussi la raison pour laquelle il ne suffit pas de demander seulement ce qui peut rendre l’Eglise plus fonctionnelle : conserver la continence ou y renoncer. Le sacerdoce de la  Nouvelle Alliance n’est pas en effet une notion relative à une fonction comme dans l’Ancien Alliance, mais au contraire une notion relative à l’être, duquel seul peut dériver l’action qui convient, selon le principe : agere sequitur esse ( l’agir suit l’être).

 

Etant donné la théologie du sacerdoce néotestamentaire, confirmée et approfondie aussi par l’enseignement officiel de l’Eglise, nous pouvons nous demander si les raisons du célibat correspondent en fait simplement à une « convenance », ou bien si le célibat n’est pas nécessaire et impossible à abandonner, si les deux réalités ne constituent pas entre elles un groupe indissociable. Ce n’est qu’ensuite que nous pourrons répondre correctement à la question de savoir si l’Eglise pourra un jour se décider à modifier la loi du célibat ou même à l’abandonner totalement.

Mais il nous faudra partir du fait que le sacerdoce catholique n’a pas été édifié par le fondateur de l’Eglise sur l’homme changeant, mais sur le mystère du prêtre et de l’Eglise qui, lui,ne change pas, et de ce fait, sur le Christ lui-même. 

 

Voilà un bel exposé essentiel !

On est heureux de le lire sous la plume d’un cardinal, le cardinal Stickler.

 

 

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