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 Un regard sur le monde  politique et religieux

 Au 6 avril  2005

 

N°38

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

 

Le Testament

spirituel et politique

de Jean-Paul II

 

« Mémoire et identité »

Sa pensée sur l’Occident

 

 

Le Pape Jean-Paul II nous donne, dans ce livre, qui est son testament spirituel et politique, sa pensée sur l’Occident, ou mieux  sur « l’Europe en Occident » dans le chapitre 9 de la  deuxième partie du livre qui a pour titre « Liberté et responsabilité ».

 

Il décrit cet occident chrétien. Ce qu’il fut. Ce qu’il est. Il en a « belle »  estime. Ce sera

notre § 1

 

Mais il parle tout de suite après de ce qui le menace dans son identité. C’est notre §2

 

Enfin s’il  reconnaît que des puissances financières « énormes » soutiennent un  travail destructeur, il confesse aussi et surtout  que le « libéralisme philosophique et moral » qui plonge ses racines dans  « la philosophie des Lumières », mais , au-delà, dans « l’ individualisme » protestant,  est la cause du mal présent. Oublieux de  Dieu, et même « agnostique », l’homme, dans sa propre liberté dévoyée,  se fait  la mesure de toutes choses : du bien et du mal. Ce qui peut exercer « une influence potentiellement dévastatrice » :  autrement dit : la ruine.  (Mémoires et identité. P. 48). C’est notre §3.

 

Je pense que nous trouvons là de très beaux sujets de réflexion.

 

Ne l’oublions pas : les idées mènent le monde. 

 

1 – « L’Europe occidentale ».

 

« Les pays de l’Europe occidentale ont une tradition chrétienne ancienne : c’est ici que la culture chrétienne a atteint ses sommets. Ce sont des peuples qui  ont enrichi l’Eglise d’un grand nombre de saints. En Europe occidentale ont fleuri des œuvres d’art superbes : les majestueuses cathédrales romaines et gothiques, les basiliques de la Renaissance et du baroque, les peintures de Giotto, du bienheureux Fra Angelico, des innombrables artistes du XVe et du XVI siècles, les sculptures de Michel Ange, la coupole de Saint Pierre et la chapelle Sixtine. Y sont nées les sommes théologiques, parmi lesquelles se détache celle de  saint Thomas d’Aquin ; ici se sont formées le plus hautes traditions de la spiritualité chrétienne, les œuvres des mystiques  - hommes et femmes  - des pays germaniques , les écrits de sainte Catherine de Sienne en Italie, de sainte Thérèse d’Avila et de saint Jean de la Croix en Espagne. Ici sont nés les grands ordres monastiques, à commencer par celui de saint  Benoît, qui peut certainement être appelé père et éducateur de l’Europe entière, les grands ordres mendiants, parmi lesquels les Franciscains et les  Dominicains, jusqu’aux congrégations de la Réforme catholique et des siècles suivants, et qui ont fait et font encore tant de bien dans l’Eglise. La  grande épopée missionnaire a tiré ses ressources avant tout de l’Occident européen, et aujourd’hui y surgissent  des mouvements apostoliques magnifiques et dynamiques, dont le témoignage ne peut pas ne pas porter de fruits même dans l’ordre temporel. En ce sens, nous pouvons dire que le Christ est toujours la « pierre angulaire » de la construction et de la reconstruction des sociétés dans l’Occident  chrétien. » (Mémoire et identité ».p. 62-63).

 

Le Saint-Père voit ainsi dans le Christ et dans le mystère de la Rédemption et finalement dans le « mysterium pascale » comme  le principe même de l’Occident Chrétien. C’est l’aspect, pourrait-on dire « ontologique » de la Chrétienté. Son aspect moral trouverait son fondement dans l’appel du Christ, dans son « viens et suis-moi ». Là, serait la voie,  comme la voie royale de toute chrétienté. Ce qui l’amène à parler des « trois âges de la vie intérieure », comme étant le chemin nécessaire de la Chrétienté, de son être et ainsi que de sa restauration.  

Retenons : les « trois âges de la vie intérieure », à savoir la vie purgative, la vie illuminative et la vie unitive, seraient, pour Jean-Paul II, comme le chemin de toute chrétienté et  de l’Occident chrétien. .

Il développe cette idée dans son chapitre VI.

 

«  Le « suis-moi ! »  est une invitation à entreprendre le chemin sur lequel nous conduit la dynamique intérieure du mystère de la Rédemption. C’est à ce chemin que se réfère l’enseignement largement diffusé dans les traités sur la vie intérieure et sur l’expérience mystique, concernant les trois étapes à travers lesquelles doit passer celui qui veut « suivre le Christ ». Ces trois étapes sont parfois appelées des « voies ». On parle alors de la voie purgative, de la voie illuminative et enfin de la voie unitive. En réalité, ce ne sont pas trois voies différentes, mais trois  aspects de la même voie sur laquelle le Christ  appelle tout homme, comme autrefois il a invité le jeune homme de l’Evangile.

 

« Lorsque le jeune homme demande : « Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? le Christ lui répond : « Si tu veux entrer dans la vie , observe les commandements » (Mt 19 16-17). Et quand le jeune  homme continue à lui demander : « Lesquels ? », le Christ lui rappelle simplement les principaux commandements du Décalogue, en particulier ceux de la « seconde table », c’est-à-dire ceux qui concernent les rapports avec le prochain. On sait toutefois que, dans l’enseignement du Christ, tous les commandements se trouvent résumés dans le commandement d’aimer Dieu par dessus-tout et le prochain comme soi-même. Il le dit expressément à un docteur de la Loi qui l’avait interrogé(cf Mt 22 34-40). Entendue correctement, l’observance des commandements est synonyme de la voie purgative : elle signifie en effet vaincre le péché, le mal moral sous ses diverses formes. Et cela porte à une purification intérieure progressive.

« En même temps, cela permet de découvrir des valeurs. On peut donc conclure que la voie purgative débouche  tout naturellement sur la voie illuminative. Les valeurs sont en effet des lumières qui éclairent l’existence et qui, au fur et à mesure que l’homme travaille sur lui-même, brillent toujours plus intensément à l’horizon de sa vie. Donc parallèlement à l’observance des commandements  - qui a avant tout une signification purgative  -, les vertus se développent en l’homme. Ainsi, par exemple, en observant le commandement : « Tu ne tueras pas ! », l’homme découvre la valeur de la vie sous divers aspects et apprend à avoir un respect toujours plus profond pour elle. En observant le commandement : « Tu ne commettras pas d’adultère ! », l’homme fait sienne la vertu de pureté, et cela signifie qu’il découvre toujours mieux la beauté gratuite du corps humain, de la masculinité et de la féminité. C’est précisément cette beauté gratuite qui devient la lumière de ses actes. En observant le commandement : « Tu ne feras pas de faux  témoignage ! », l’homme apprend la vertu de vérité. Non seulement il exclut de sa vie tout mensonge et toute hypocrisie, mais il développe en lui-même une sorte d’instinct de la vérité », qui guide tout son agir. Et en vivant ainsi dans la vérité, il acquiert dans son humanité  même une « véracité » connaturelle.

 

« De la sorte, sur le chemin de la vie intérieure, l’étape illuminative émerge graduellement de l’étape purgative. Avec le temps, dans la mesure où l’homme suit avec persévérance le Maître, qui est le Christ, il ressent toujours moins à l’intérieur de lui-même le poids de la lutte contre le péché, et il jouit toujours plus de la lumière divine, qui envahit toute la création. Cela est extrêmement important, car il est ainsi permis à l’homme de sortir d’une situation où il est constamment exposé intérieurement au risque de pécher  - ce qui toutefois, sur cette terre, reste dans une certaine mesure  toujours présent  -, afin de se mouvoir avec une liberté toujours plus grande au milieu de tout le monde  créé. Il conserve également cette liberté et cette simplicité face aux êtres humains, y compris ceux de l’autre sexe. La lumière intérieure éclaire ses actes et lui montre tout le bien du monde créé comme provenant de la main de Dieu. De cette façon, la voie purgative et, à son tour, la voie illuminative constituent l’entrée naturelle dans la voie appelée unitive. C’est l’ultime étape du chemin intérieur, celle où l’âme fait l’expérience  d’une union particulière à Dieu. Cette union se réalise dans la contemplation de l’Etre divin et dans l’expérience de l’amour qui en jaillit avec  une intensité croissante. On anticipe ainsi, en  quelque sorte, ce que sera la part de l’homme dans l’éternité, au-delà de la limite de la mort et de la tombe. Le  Christ, en effet, en tant que souverain Maître de vie spirituelle, et aussi tous ceux qui se sont formés à son école, enseignent qu’en cette vie on peut déjà être introduit dans la voie de l’union à Dieu. ». ( Mémoire et identité p. 41-44)

 

C’est donc bien, pour Jean-Paul II,  les « commandements de Dieu » qui sont la base de toute civilisation, comme la vie de la grâce sanctifiante, jusqu’à la vie unitive,   en est la fleur, je veux dire l’épanouissement, la beauté. C’est pourquoi Jean-Paul II donne à la Chrétienté comme modèle, les saints que la grâce sanctifiante qui sort du cœur transpercé de NSJC en sa passion rédemptrice,  a fait fleurir sur le sol de l’Occident chrétien. Cela correspond, me semble-t-il, parfaitement à la description que Jean-Paul II nous donne plus haut de l’Occident. On pourra apprécier la profondeur du jugement.

 

II- Les puissances destructrices sont à l’œuvre dans  l’Europe chrétienne. Les craintes de Jean-Paul II.

 

« Mais en même temps on ne peut pas  ignorer la réapparition persistante du refus du Christ.  Sans cesse, se manifestent à nouveau les signes d’une civilisation différente de celle dont la « pierre angulaire » est le Christ  - une civilisation qui, si elle n’est pas athée de manière programmée, est assurément positiviste et agnostique, puisque le principe dont elle s’inspire est de penser et d’agir comme si Dieu n’existait pas.

 

« On note facilement une telle disposition dans ce qu’on appelle la mentalité scientifique, ou plutôt scientiste, d’aujourd’hui, de même dans la littérature, et spécialement dans les médias. Vivre comme si Dieu n’existait pas veut dire vivre en dehors des repères du bien et du mal, c’est-à-dire en dehors du cadre de valeurs dont Dieu lui-même est la source. On prétend au contraire qu’il appartient à l’homme de décider de ce qui est bon ou mauvais. Et une telle  perspective est suggérée de diverses façons et de différents côtés.

 

« Si d’un côté, l’Occident continue à donner un témoignage de l’action du ferment évangélique ; d’un autre côté les courants de l’anti-évangélisation n’en sont pas moins forts. Cette dernière ébranle les bases mêmes de la morale humaine, impliquant la famille et propageant la permissivité morale : les divorces, l’amour-libre, l’avortement, la contraception, la lutte contre la vie dans sa phase initiale comme dans son déclin, sa manipulation. Ce programme se développe avec d’énormes moyens financiers, non seulement dans chaque nation, mais aussi à l’échelle mondiale. Il peut en effet disposer de grands centres de pouvoir économique, par lesquels il tente d’imposer ses conditions aux pays en voie de développement. Face à tout cela, on peut légitimement se demander si ce n’est pas une autre forme de totalitarisme, sournoisement caché sous les apparences de la démocratie » (Memoire et identité p. 63-64). 

 

 

III – La liberté, le bien et le mal.

 

Comme il y a un lien ontologique entre les commandements de Dieu et la Civilisation occidentale,(voir §I) on comprend très bien le danger d’une situation où l’on voit l’homme « moderne » faire, dans  sa liberté, totale abstraction de « la dimension éthique » (p. 48).

 

« La dangerosité de la situation dans laquelle on vit aujourd’hui réside dans le fait que, avec l’usage de la liberté, on prétend faire abstraction de la dimension éthique, c’est-à-dire de la considération du bien et du mal moraux. Une certaine conception de la liberté, qui trouve présentement un large écho dans l’opinion publique, détourne l’attention de l’homme de sa responsabilité éthique. Ce sur quoi on s’appuie aujourd’hui est la liberté seule. On dit : ce qui importe, c’est d’être libre, d’être délivré de tout frein et de tout lien, de manière à se mouvoir selon ses propres jugements qui, en réalité, ne sont souvent que des caprices. Il est clair qu’un libéralisme de ce genre ne peut être qualifié que de primitif. Son influence est donc potentiellement dévastatrice. » (Mémoire et identité p. 48)

 

 

IV – « L’exaltation du moi » ou « la perte de son moi en Dieu » : voilà les principes de deux cités. L’une engendre pour l’Eternité. L’autre pour l’Enfer.

 

Toutes ses réflexions très heureuses du Pontife m’ont fait penser à quelques belles pages du père Garrigou Lagrange O.P .

 

« L’homme ne sera pleinement une personne, un  ens per se subsistens et un per se operans que  dans la mesure où la vie de la raison et de la liberté dominera en lui celle des sens et des passions ; sans cela, il demeurera comme l’animal, un simple individu esclave des événements, des circonstances, toujours à la remorque de quelque autre chose, incapable  de se diriger lui-même ; il ne sera qu’une partie, sans pouvoir prétendre être un tout…

 

« Développer son individualisme, c’est vivre de la vie égoïste des passions, se faire le centre  de tout, et aboutir finalement à être esclave des mille biens passagers qui nous apportent une misérable joie d’un moment.

 

« La personnalité, au contraire, grandit dans la mesure où l’âme, s’élevant au-dessus du monde sensible, s’attache plus étroitement par l’intelligence et la volonté à ce qui fait la vie de l’esprit.

 

« Les philosophes ont entrevu, mais les saints surtout ont compris que le plein développement de notre pauvre personnalité consiste à la perdre en quelque sorte en celle de Dieu, qui seul possède la personnalité au sens parfait du mot, car seul il est absolument indépendant dans son être  et dans son action. » (G L  Le sens commun  p. 332-333)

 

Et Jacques Maritain poursuit cette citation :

 

« Personnalité bien précaire encore et bien mêlée que celle des sages…Les privilèges de la personne,  - la pure vie de l’intelligence et de la liberté, la pure agilité de l’esprit, qui se suffit pour agir comme pour être,  - sont tellement enfouis pour nous dans la matière de notre individualité charnelle, que nous ne les pouvons dégager qu’en acceptant  de tomber en terre et d’y mourir afin de porter un fruit divin, et que  nous ne connaîtrons notre vrai visage qu’en recevant  la pierre blanche où Dieu a inscrit notre nom nouveau. Il n’y a de personnalité vraiment parfaite que chez les saints.

 

« Les saints ont acquis en un sens, ils ont reçu par grâce ce que Dieu possède par nature : l’indépendance à l’égard de tout le créé, non plus seulement à l’égard des corps  mais même des intelligences. « Les saints  ont leur empire, leur éclat, leur victoire, leur lustre, et n’ont nul besoin de grandeurs charnelles ou spirituelles, où elles n’ont nul  rapport, car elles n’y ajoutent ni ôtent : ils sont vus de Dieu et des anges et non des corps ni des esprits curieux ; Dieu leur suffit.

 

« Mais quoi ! Les saints  se sont-ils proposé  de « développer leur personnalité » ? Ils l’ont trouvée sans la chercher, et parce qu’ils ne la  cherchaient pas , mais Dieu seul. Ils ont compris que leur personne, en tant même que personne, en tant même que libre, est toute dépendance à l’égard de Dieu, et que cette maîtrise intérieure de nos actes , que nous ne pouvons abdiquer devant homme ni ange, ils devaient la remettre elle-même entre les mains de Dieu, par l’esprit duquel il faut être agi pour être ses fils. « Ils ont compris  que Dieu devait leur devenir un autre moi plus intime à eux-mêmes que leur propre moi, que Dieu était plus eux-mêmes qu’eux-mêmes, parce qu’il l’est éminemment ; » ils  ont alors  cherché à se faire quelque chose de Dieu, quid Dei ». Je suis rivé à la croix avec le Christ. Mais je vis, non pas moi, c’est le Christ qui vit en moi. Bien que dans l’ordre de l’être ils gardent un moi distinct de celui de Dieu, « dans l’ordre de l’opération, de la connaissance et de l’amour, ils ont pour ainsi dire substitué le moi divin à leur propre moi, «  renonçant à toute personnalité ou indépendance à l’égard de Dieu, comprenant que le premier-né d’entre eux, leur exemplaire éternel, n’a pas eu de personnalité humaine, mais la Personnalité divine elle-même en qui sa nature humaine subsistait.

 

« Tel est le secret de notre vie d’homme, que le pauvre monde ignore : nous ne conquérons notre âme qu’à la condition de  la perdre ; une mort totale est requise avant que nous puissions nous trouver. Et quand nous sommes bien dépouillés, bien perdus, bien arrachés de nous–mêmes, alors tout est à nous qui sommes au Christ, et le Christ même et, Dieu même, est notre bien.

« Mais si nous prétendons trouver notre âme, et si nous prenons notre moi pour centre, notre substance se dissipe, nous passons au service des forces aveugles  de l’univers ».

(Trois Réformateurs. P. 35-37)