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Un regard sur l’actualité politique et religieuse

 

 

Au 9 mai  2006

 

N°88

 

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

 

 

La Rome de Benoît XVI

et

l’Islam

 

On sait que l’Islam a été l’un des quatre sujets abordés par Benoît XVI et les cardinaux pendant la journée « de réflexion et prière » du dernier consistoire, le 23 mars dernier. Pape et cardinaux ont abordé ce sujet et planché sur « la position, aujourd’hui, de l’Église catholique, et du Saint-Siège en particulier, face à l’Islam ».

 

Les discussions se sont déroulées en secret, mais certains  cardinaux ont rapporté que des jugements beaucoup plus «durs » que dans le passé par rapport au défi de l’Islam au Christianisme et à l’Occident y ont été émis, et qu’il a eu un appui général à Benoît XVI pour son opposition énergique au terrorisme et aux violations de la liberté religieuse.

 

On sait en effet que Benoît XVI, lors de son voyage en Allemagne, à Cologne, lors des JMJ avait reçu les représentants de l’Islam., le samedi 20 août 2006. Là il avait particulièrement condamné, tout terrorisme. Le terrorisme islamique. Il leur avait dit : « Je suis sûr d'interpréter aussi votre pensée en mettant en évidence, parmi les  préoccupations, celle qui naît du constat de l'expansion du phénomène du terrorisme. …Des actions terroristes continuent à se produire dans diverses parties du monde, jetant les personnes dans les larmes et le désespoir. Ceux qui ont pensé et programmé ces attentats démontrent leur désir de vouloir envenimer nos relations et détruire la confiance, en se servant de tous les moyens, même de la religion, pour s'opposer à tous les efforts de convivialité pacifique et sereine. Grâce à Dieu, nous sommes d'accord sur le fait que le terrorisme, quelle qu'en soit l'origine, est un choix pervers et cruel, qui bafoue le droit sacro-saint à la vie et qui sape les fondements mêmes de toute convivialité sociale. Si nous réussissons ensemble à extirper de nos coeurs le sentiment de rancoeur, à nous opposer à toute forme d'intolérance et à toute manifestation de violence, nous freinerons ensemble la vague du fanatisme cruel qui met en danger la vie de nombreuses personnes, faisant obstacle à la progression de la paix dans le monde. La tâche est ardue, mais elle n'est pas impossible. Le croyant - et nous tous en tant que chrétiens et musulmans sommes croyants - sait en effet qu'il peut compter, malgré sa fragilité, sur la force spirituelle de la prière ».

 

Un mois avant, le lundi 20 février, lors de la réception du nouvel ambassadeur du Maroc auprès du Saint-Siège, le Pape avait réclamé de nouveau avec force le refus de la violence et le plein respect de la liberté religieuse « de manière réciproque dans toutes les sociétés » :

 

« Monsieur l’Ambassadeur, vous avez souligné la contribution de votre pays à la consolidation du dialogue entre les civilisations, les cultures et les religions. Pour sa part, dans le contexte international que nous connaissons actuellement, l’Église catholique demeure convaincue que, pour favoriser la paix et la compréhension entre les peuples et entre les hommes, il est nécessaire et urgent que les religions et leurs symboles soient respectés, et que les croyants ne soient pas l’objet de provocations blessant leur démarche et leurs sentiments religieux. Cependant, l’intolérance et la violence ne peuvent jamais se justifier comme des réponses aux offenses, car ce ne sont pas des réponses compatibles avec les principes sacrés de la religion; c’est pourquoi on ne peut que déplorer les actions de ceux qui profitent délibérément de l’offense causée aux sentiments religieux pour fomenter des actes violents, d’autant plus que cela se produit à des fins étrangères à la religion. Pour les croyants comme pour tous les hommes de bonne volonté, la seule voie qui peut conduire à la paix et à la fraternité est celle du respect des convictions et des pratiques religieuses d’autrui, afin que, de manière réciproque dans toutes les sociétés, soit réellement assuré pour chacun l’exercice de la religion librement choisie ».

Et le 22 mars, par l’intermédiaire du secrétaire d’Etat Angelo Sodano, le Pape avait envoyé au Président d’Afghanistan une demande urgente de libération du citoyen afghan Abdul Rahman condamné à mort pour cause de conversion au christianisme. Rahman a été, en effet, libéré et transféré, sous protection, en Italie. Et il a exprimé pour tout cela sa reconnaissance à Benoît XVI.

Rome semble ainsi prendre une position plus énergique…

Mais, est-ce que cette approche plus énergique de la question islamique se trouve aussi dans l’analyse qu’en fait l’Église ?

 

La réponse semble être positive.

 

Une preuve éclatante de cela est un « essai » paru dans le dernier numéro de « Studium », un influent bimestriel italien de culture catholique fondé en 1906, publié par la maison d’édition du même nom, et dirigé aujourd’hui par deux savants d’un grand prestige : Vincenzo Cappelletti, philosophe de la science et directeur de l’Institut de l’Encyclopédie Italienne, et Francesco Paolo Casavola, juriste, ancien président de la Cour Constitutionnelle.

 

Cet essai a pour titre « La question islamique », il s’étend sur une trentaine de  pages de la revue. Il est accompagné d’un large appareil de notes et se trouve suffisamment mis en valeur à la une de couverture du magazine : un minaret qui se détache parmi les gratte-ciels d’une ville occidentale.

 

Mais l’élément intéressant à noter, ce sont les rédacteurs de cet essai : Roberto A.M.Bertacchini et surtout  le Père Piersandro Vanzan.. Le père Vanzan est jésuite, professeur de théologie pastorale à l’Université Pontificale Grégorienne, à Rome. Et surtout, il fait partie du comité de rédaction de « La Civiltà Cattolica », la revue de la Compagnie de Jésus qui est publiée sous le contrôle et avec l’autorisation des autorités du Vatican.

 

A cause de son contenu explosif, il est impensable que l’essai de Bertacchini et Vanzan soit publié par une revue si étroitement liée de par ses statut au Saint-Siège, et si représentative de la ligne officielle.

 

Mais le fait que l’auteur principal de l’article soi, en plus,  un jésuite lié à « La Civiltà Cattolica » et publié par un magazine influent comme « Studium » montre assez, non seulement, l’importance de l’article mais l’état d’esprit qui règne dans les couloirs de la Rome de Benoît XVI.

Tout ceci est à noter de prêt.

 

Qui a lu « La rage et l’orgueil » et les autres écrits sur l’Islam d’Oriana Fallaci, comme « La force de la raison » —auteur de célébrité mondiale qui habite depuis de nombreuses années à New York— trouvera de nombreux points communs avec l’essai de Bertacchini et Vanzan.

 

Or Oriana Fallaci est une critique acharnée des raisons religieuses et culturelles qui, selon elle, nourrissent le défi que le monde musulman pose à l’Occident et à la Chrétienté, Occident et Chrétienté qu’elle défend l’épée à la main même si elle se déclare ouvertement athée.

 

Elle est aussi une grande admiratrice de Benoît XVI qui a lu beaucoup de ses livres. Il ne faut pas oublié que Benoît XVI l’a reçue en audience privée à Castelgandolfo,  le 1 août de l’année dernière.

 

Le seul point important qui sépare l’analyse d’Oriana Fallaci de celle que font Bertacchini et Vanzan est que, tandis que la première considère l’Islam comme irréformable et incompatible avec l’Occident chrétien, ces derniers admettent qu’une intégration entre les deux civilisations peut être possible même si elle est extrêmement difficile.

Nous savons, aussi, que Benoît XVI admet cette dernière possibilité.

Je crains que les faits donnent raison à Oriana Fallaci…

 

Voici un extrait de l’essai, beaucoup plus long, publié par « Studium » dans son numéro de janvier-février 2006.

Cet essai m’a été envoyé par un ami et traduit par lui.

 

 

 

La question islamique

 

Par Roberto A.M.Bertacchini et Piersandro Vanzan S.I.

 

 

Le terrorisme islamique est une réponse assez complexe à la rencontre avec l’Occident, perçu comme une menace dévastatrice, mortelle.

 

A la fin des années 80 il y a eu dans le camp islamiste une confrontation serrée entre les positions d’Abdulla Azzam et celles, plus outrancières, d’Ayman Al-Zawahiri, vrai idéologue du jihad dans sa forme actuelle qui inclut, même, dans la catégorie d’ennemis les « hérodiens », c'est-à-dire les collaborateurs avec l’Occident. Le 24 novembre 1989, Azzam tomba victime d’un attentat à Peshawar et le «zélote » Al-Zawihiri eut le champ libre.

 

Pour les zélotes tout ce qui vient de l’étranger est un poison pour leurs formes traditionnelles de vie, c’est pourquoi il n’y a pour eux qu’un moyen d’éviter la catastrophe culturelle : expulser l’envahisseur et fermer hermétiquement les frontières, de façon que rien ne puisse polluer et corrompre leur macrocosme. Celle-là est, en partie, la position d’Ossama Bin Laden, contraire à la présence américaine non seulement en Irak mais même en Arabie Saoudite.

 

Mais contre la civilisation occidentale ce programme défensif serait, de toutes façons, irréalisable. Elle n’est pas, en effet, à la différence de toutes les civilisations précédentes, de type local, c'est-à-dire territorialement circonscrite. L’invasion universelle du village global est telle qu’il n’y a qu’un seul moyen d’échapper à son emprise : le détruire. Le programme idéologique d’Al-Zawihiri est, précisément, celui-là, et ce programme est poursuivi avec une stratégie complexe. A la formule « moderniser l’Islam », Al-Zawihiri répond avec cette autre formule: « islamiser la modernité » donc, par conséquent, l’Occident.

 

A l’intérieur du monde musulman, islamiser veut dire « desoccidentaliser » tout: et ce depuis les institutions politiques et culturelles jusqu’aux structures économiques, au point d’arriver à repenser le système bancaire lui-même. En dehors du monde musulman, islamiser signifie répandre l’Islam avec une puissante action missionnaire, soit en Europe, soit aux États-Unis : des actions soutenues, avant tout, par l’Arabie Saoudite. Mais, si l’on suit des interprétations plus radicales, islamiser l’Occident signifie agresser violemment le pouvoir politique et l’économie, sans exclure les attaques contre les populations civiles.

 

Ce programme panislamisant peut faire sourire, comme, dans d’autres temps, beaucoup sourirent devant Hitler avant son ascension politique. Par contre, il s’agit d’un programme vrai, poursuivi selon un dessein lucide et qui, même lentement, engrange des succès.

On peut constater, à partir de plusieurs faits, qu’il s’agit d’un vrai programme.

 

* * *

 

Le premier fait macroscopique est que de l’Afghanistan au Kashmir, à la Tchétchénie, au Daghestan, à l’Ossétie, aux Philippines, à l’Arabie Saoudite, au Soudan, à la Bosnie, au Kosovo, à la Palestine, à l’Égypte, à l’Algérie, au Maroc, des groupes importants ont déclaré la guerre à l’Occident. Il est impossible de penser qu’il s’agisse d’attaques totalement indépendantes les unes des autres.

 

Le deuxième fait macroscopique est le terrorisme, surtout si on a la patience de parcourir le fil rouge qui du 7 juillet 2005 arrive jusqu’à 1969, jusqu’à l’avion parti de Rome-Fiumicino que Leila Khaled dévia et fit exploser à Damas.

1972 fut l’année des Jeux olympiques à Moscou et du correspondant massacre. Mais déjà le 16 août de cette même année, un vol direct à Tel-Aviv explosa à cause d’un magnétophone à cassettes rempli de tolite, offert à deux touristes anglaises par deux arabes qui leur faisaient la cour. Si nous y repensons aujourd’hui, nous avons le frisson : Al Qaeda est une nouveauté très relative. Faire la cour à deux femmes pour provoquer un massacre, cela signifie, en fait, être radicalement bourré d’idéologie. Et cela signifie qu’il y a une articulation entre l’idéologie et l’organisation. Ce n’est pas chez le quincaillier, en fait, qu’on peut acheter le magnétophone à la tolite. Encore moins c’est par hasard que deux arabes rencontrent deux touristes qui vont à Tel-Aviv, et ont à portée de la main un ami qui, toujours par hasard, leur fournit leur paquet surprise. Mais, déjà, tout au long de 1970, il y eut six cas d’avions détournés ou explosés en plein vol ou encore sur le terrain d’atterrissage.

Les conditions requises pour la réalisation de l’attentat du 16 août 1972 sont tellement complexes qu’elles exigent des années de planification, d’excellentes structures de propagande et des ressources humaines et économiques de premier ordre. Le sens moral des personnes ne se modifie pas en cinq secondes. Il est probable que ces jeunes filles-là étaient jolies et qu’il y eut quelque histoire d’amour. Si l’on met en parallèle cet épisode avec la tuerie de l’école de Beslan en 2004, avec le 550 enfants assassinés, avec les trois jours de sévices et la torture de la soif dans le gymnase, avec les fillettes violées avant d’être tuées, nous voyons à l’œuvre une férocité tellement opposée au sens moral commun qu’elle exige une charge d’idéologie absolue. Et une telle idéologie, qui a une base religieuse, suppose justement que les théoriciens de la terreur se cachent parmi les théologiens.

 

Le troisième, est l’antisionisme. Regardons la « consecutio temporum ». En 1969, nous avons eu la guerre des six jours, c'est-à-dire la grande humiliation islamique. L’antisionisme est évident dans les premiers attentats des années ’70 : l’épisode de Moscou a fait beaucoup de bruit. En 1973, la guerre du Kippur qui a vu capituler à nouveau des pays islamiques. Mais, le 16 et 17 octobre de cette même année, c'est-à-dire pendant la guerre égypto-syrienne  contre Israël, la réunion de l’OPEC à Koweit a établi : a) quadrupler le prix du pétrole brut ; b) l’embargo contre les États-Unis, le Danemark et la Hollande ; c) la diminution progressive de l’extraction de pétrole ; d) l’effort pour étendre l’embargo aux pays qui n’accepteraient pas leurs conditions ; d) inclure parmi les conditions politiques l’acceptation imposée aux partenaires économiques d’un retrait d’Israël des territoires occupés, la reconnaissance des palestiniens, la participation de l’OLP aux pourparlers de paix, l’application de la résolution 242 de l’ONU. C’est un fait que la création de l’État d’Israël ne fut pas reconnue par les pays arabes. Et l’hostilité de Saddam Hussein lui fut acquise jusqu’à la fin. Il y a, donc, une convergence évidente entre les politiques économiques, militaires et terroristes. Après les attentats de New York, de Madrid, de Londres, de Sharm EL Sheik, ne pas voir que le synchronisme est un élément quasi maniaque de cet Islam-là serait le propre des aveugles. Mais le synchronisme existe même entre la réunion de l’OPEC et la guerre du Kippour. Le synchronisme est un message culturel envoyé à l’intérieur du monde musulman, un moyen privilégié d’affirmer que l’Islam est uni et coordonné.

 

Le quatrième élément est l’activité missionnaire, et le cinquième est l’immigration. Une italienne de Milan convertie à l’Islam, Aisha Farina, qui a proclamé publiquement qu’elle admire Ben Laden et le considère comme un guide sûr, a déclaré : « Il est possible que tous les italiens finissent par se convertir. Quoi qu’il en soit, nous allons vous conquérir pacifiquement parce que, à chaque génération, notre nombre double. Vous, par contre, vous avez un taux de natalité zéro. »

 

Mais l’Islam avance aussi d’une autre manière. En Sicile, à Mazara del Vallo, depuis la fin des années soixante-dix, il existe une communauté tunisienne qui a obtenu de rester telle quelle sous tous les aspects, avec des écoles tunisiennes, des enseignants envoyés de Tunisie, des lois tunisiennes, etc. De telle façon que, même si la polygamie reste illégale, elle y est tolérée. Ailleurs l’Islam ouvre des écoles clandestines, sans que l’État intervienne. L’infibulation y est pratiquée, mais aucun procès ne s’ensuit. Dans les faits, cela conduit à une inégalité des citoyens devant la loi, qui fait que certaines minorités, jusqu’ici protégées, deviennent privilégiées. Et cela prouve l’incompatibilité entre multiculturalisme radical et état de droit.

 

Mais cette stratégie rencontre un obstacle : les troupes américaines sur le sol islamique. De là découlent deux lignes politiques dont la différence n’est pas la fin poursuivie mais la stratégie employée. Ben Laden, en fait, mais sûrement aussi l’Iran et, peut-être, le Pakistan, considère que la menace pétrolière finira par peser moins que la menace atomique. C’est-à-dire que le chantage du pétrole ne pourra durer longtemps pour deux motifs : le premier est que la hausse du prix du cru ne peut pas aller jusqu’à rendre d’autres sources d’énergie plus rentables. Le second est que le jour où l’Occident se trouvera vraiment acculé il réagira par les armes. Voilà pourquoi il existe une autre stratégie qui, portant la guerre au sein de l’Europe et de l’Amérique, pourrait rendre impossible la riposte atomique. Mais pour mettre en œuvre cette stratégie, il est nécessaire de disposer d’immenses sommes d’argent et de préparer le changement des gouvernements qui se sont aujourd’hui aux mains des musulmans moins radicaux. C’est ainsi que la ligne politique terroriste marche dans deux directions parallèles : elle combat les régimes islamiques « modérés » et elle commet en Occident des attentats spectaculaires afin d’accroître son prestige dans le monde musulman et légitimer son guide. Si les « scenarii » possibles sont bien ceux-ci force est d’admettre que même la politique de George W.Bush devient intelligible d’une façon tout à fait différente. Il s’agit de la politique du contre-chantage. C’est un choix dont nous essaierons de vérifier la validité.

 

Le sixième et dernière élément est constitué par la liesse manifestée par la population islamique dans les places, sur les sites Internet et même dans la presse, soit après le 11 septembre 2001, soit après la catastrophe produite par le Katrina, qualifié de « soldat envoyé par Dieu » par le quotidien koweitien « Al-Siyassa ». Si on est capable de se réjouir de choses aussi épouvantables, cette joie-là brise la naturelle solidarité humaine et précise le sens de l’expression « chiens infidèles ». Un massacre de chiens ne me concerne pas, ce ne sont pas des hommes. Et cela est du racisme, et il faudrait commencer à l’appeler par son nom, en en tirant les conséquences qui s’imposent.

 

 

***

 

En somme, l’islamisation de l’Occident n’est ni un phantasme ni une crainte : c’est une intention et un fait qui ressort de l’examen objectif des éléments ici exposés.

 

L’Islam modéré n’existe pas à proprement parler, parce qu’il n’existe pas de théologie islamique institutionnelle et modérée. Il existe des musulmans modérés, même parfois clairvoyants. Par contre, l’Islam, c’est-à-dire la culture institutionnelle religieuse des musulmans, lors de sa rencontre avec la modernité, a réagi en se retranchant sur des positions fondamentalistes. Et ce non seulement en Iran ou au Pakistan, mais même en Égypte.

 

Il y a donc une convergence objective entre le courant théologique islamique et l’idéologie des terroristes. Heureusement, tous les imams n’ont pas le même zèle jihadiste, mais le problème est que l’islam modéré n’existe pas, c'est-à-dire, il n’existe pas de théorie islamique ayant intégré la modernité. Voilà pourquoi il ne serait pas seulement prudent, comme le soutenait déjà le cardinal Giaccomo Biffi, de décourager l’immigration islamique en Europe, mais ce serait carrément masochiste que de l’encourager sans exiger une contrepartie en termes d’intégration.

 

L’Islam n’est pas compatible avec la démocratie libérale pour des raisons plus fortes et profondes qu’on ne le pense habituellement : ce n’est pas seulement question de polygamie, de voile, du vendredi, etc. C'est-à-dire ce n’est pas seulement un problème de règles de comportement, morales ou religieuses. On voit cela dans le fonctionnement de l’Islam chez lui. En Iran, il y a des mollahs chargés du contrôle de la moralité. Et plus que de regarder dans les chambres à coucher, il contrôlent beaucoup plus le cinéma, la presse et les livres : c’est la surveillance systématique de l’expression publique de la pensée, qui est censurée si elle n’est pas conforme à la charia ou au Coran et à son interprétation officielle. Un enseignant ne peut pas dire à l’école ce qu’il veut, un intellectuel qui publie ses opinions assume des risques.

 

Pour mieux comprendre ce que nous disons, c’est vrai que seulement avec le Concile Vatican II l’Église a aboli l’Index, mais cette institution n’avait, avant d’être abolie, aucun pouvoir sur la vie civile. Ce n’est pas le cas dans l’Islam. Une censure religieuse y devient ipso facto une censure civile, parce que les autorités religieuses ont une autorité civile et vice-versa.

 

L’ensemble de ces faits et d’autres similaires interpelle alors notre honnêteté intellectuelle, parce que nous ne pouvons pas les considérer comme des cas isolés privés d’une signification générale. Et si ce ne sont pas des cas isolés, il faut en tirer une seule conséquence : en arabe le mot « liberté » n’a pas existé pendant des siècles, parce que la civilisation islamique ne la prévoit même pas (il fut introduit, avec le sens de « hurriyya », affranchissement, seulement en 1774, à cause du besoin de signer des traités avec les occidentaux). Et donc l’absolutisme saoudite et des autres émirats, l’infériorité juridique de la femme, etc., ne sont pas des bizarreries qu’on puisse corriger. Ce sont des effets d’une cause radicale que l’on ne peut éliminer sans détruire l’Islam. Voilà pourquoi ont tient tellement à de telles bizarreries. Parce que elles ont un rapport avec l’identité islamique, et donc une certaine intégration pourra se faire avec des musulmans pris individuellement, mais non pas avec l’Islam.

 

Malheureusement, la société libérale se heurte à l’aporie quand elle est confrontée à une civilisation fermée non compatible. Le problème de la tolérance fut posé au sein de la civilisation chrétienne pour affaiblir ses conflits intestins. Mais sa formulation avait un sens parce que la tolérance était une valeur que les uns et les autres pouvaient reconnaître, dans la mesure où elle pouvait être théologiquement justifiée.

 

Par contre, dans l’Islam la tolérance n’a pas de justification théologique dans le sens large qui caractérise nos sociétés laïques. La liberté de la presse n’a pas de sens. Le Moyen Âge a Boccace et la Renaissance a Pierre Arétin. Mais l’Islam a censuré, pour beaucoup moins, le mathématicien et poète Omar Khayyam (1048-1122) qui parlait de vin et d’ébriété. Et le fait qu’à la fin du XXème siècle il ait été un peu réhabilité en Iran ne représente pas l’ouverture qu’on voudrait nous faire croire. En Arabie Saoudite l’Islam se protège en interdisant même le port apparent de petites croix. Mais comment peut-il se protéger en Europe ? Il ne s’agit pas du problème des jeans des jeunes filles. Il y a le problème de l’école, des journaux, des syndicats, des femmes dans des rôles dirigeants, du cinéma, de la télévision, des bibliothèques : c’est tout l’Occident qui est, dans toutes ses institutions, une menace anti-islamique. Et ce, non parce qu’il veuille l’être, mais simplement du fait de son existence. Comme Israël.

 

***

 

La nécessité d’une grande autocritique sur les rapports avec l’Islam, qui échappe finalement à un « angélisme » aveugle et suicidaire, est donc inéluctable.

 

Dialoguer avec qui a l’arrière-pensée de nous islamiser et de nous réduire à la condition de dhimmis, de sujets de second ordre, tout simplement n’a pas de sens. Le dialogue avec les musulmans modérés doit être non seulement poursuivi mais approfondi, et ils doivent être soutenus de toutes les façons comme ont été soutenus les dissidents soviétiques. Mais parallèlement à une telle ouverture il faut une politique de la défiance et du soupçon qui serre dans la mesure du possible les mailles du filet et décourage au maximum la présence des islamisateurs en Europe. Ceux-ci sont, en fait, la colonne idéologique du terrorisme : on ne peut pas combattre celui-ci sans contrecarrer ceux-là.

 

(Traduit de l’italien par M.A.F et C.C.)