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Un regard sur le monde

politique et religieux

 

au 8 août 2008

 

N° 179

 

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

 

 

UNE INTERVIEW DE

MGR TISSIER DE MALLERAIS

 

 

 

Dans sa lettre d’information religieuse du 5 août 2008, (Aletheia, n° 129),  Yves  Chiron donne la traduction française d’une interview de Mgr Tissier de Mallerais à la revue « The Angelus », revue de la FSSPX aux Etats-Unis.

 

Comme Yves Chiron le dit à juste titre, il est important de la faire connaître aussi aux fidèles catholiques de France.

 

Je suis, personnellement, ébahi, du ton de certaines réponses de l’interview et de certaines affirmations de l’évêque.

Le ton est dur, sec et cassant. Je ne reconnais plus le séminariste Bernard Tisser de Mallerais que j’ai connu à Fribourg. Il était modeste, pondéré et mesuré. On le trouvait même plutôt « silencieux » et peu loquace.  Attentif, il écoutait plus qu’il n’intervenait dans un débat. Nul doute qu’il n’est plus le même. Comment peut-on changer à ce point de caractère ?  Cela ne me parait pas normal ! Pense-t-il devoir adopter ce ton pour se dresser contre la barbarie ? Serait-ce alors surnaturel ? J’ai du mal à le croire. Il s’est durci ? Sans aucun doute dans son caractère. Lorsque j’étais au séminaire d’Ecône, j’avais coutume de dire à certains de mes élèves « aussi très durs », « trop durs » : « Faites attention, la dureté n’est pas une bonne chose. Ni un  signe de solidité. Voyez ! Plus un pont est rigide plus facilement il casse. La souplesse est signe de force. La dureté, signe de faiblesse ».

 

Certaines des affirmations de « notre évêque » me paraissent inconvenantes. Yves Chiron dans ses premières réflexions,  en retient, à juste titre, quelques unes.

 

Tout d’abord, son jugement sur le Pape Benoît XVI est manifestement outrancier : «  le modernisme, comme c’est le cas avec Benoît XVI, dit-il, un vrai moderniste, avec la théorie complète du modernisme mis à jour ! C’est si grave que je ne peux pas exprimer mon horreur. Je me tais. Mgr Lefebvre, donc, crierait : « Hérétiques, vous pervertissez la Foi ! ».

 

Voyons ! Comment osez écrire cela ? Il vous suffit de lire le discours de Benoît XVI prononcé pour l’ouverture de « l’Année paulinienne » que je vous donne dans « la Paroisse saint Michel » pour voir que ce jugement est excessif. Il n’est pas juste.

 

Voyez également le discours de Benoît XVI aux évêques et séminaristes en Australie, le 18 juillet dernier. Je vous l’ai donné dans Item, n° 178.

 

Tout ce qui est excessif est sans valeur !

 

Oser même affirmer que ce serait le jugement de Mgr Lefebvre. Qu’il le «hurlerait » !. Tout de même ! Je ne le crois pas. Mgr Lefebvre ne parlait jamais comme cela de l’autorité ecclésiastique, surtout pas du pape. Voyez sa déclaration du 21 novembre 1974, pourtant particulièrement sévère. Il n’attaque pas de plein fouet l’autorité du Pontife suprême (1 :voir la note 1). Il est bien plus habile et déférent malgré son intransigeance doctrinale. C’est du reste ce qu’il me faisait remarquer lorsque j’organisais, avec M l’abbé Coache et Monsieur François Brigneau,  la défense de la mémoire de nos martyrs, lors de la commémoration du bi centenaire de la Révolution française. Il m’avait fait remarquer qu’il n’agissait pas de la sorte.  Il n’attaquait jamais directement, d’une manière frontale,  l’autorité. Il défendait un bien, une tradition. C’est tout différent. Il devait avoir trop grande vénération de l’autorité pour agir autrement. « Notre » évêque devrait bien se souvenir de cette disposition de Mgr Lefebvre.

 

Qu’il se souvienne aussi, je ne peux imaginer autrement, des conseils que M l’abbé Luc Lefebvre a du lui donner. C’était son directeur spirituel. ..

 

Enfin, réduire aussi la restauration de l’Eglise,  presque,  au seul travail apostolique de la Fraternité sacerdotale saint Pie X me parait particulièrement « étroit ». Et réduire même cet apostolat aux seuls prieurés, aux écoles, aux seules familles  est vraiment par trop réducteur. .Que fait-il de l’apostolat de la « plume », des revues, des livres, de l’usage d’Internet, de la Radio et si l’on pouvait de la Télévision… Si encore tout cet apostolat augmentait en des proportions suffisantes…Mais c’est loin d’être le cas.  .

 

Et que pensez du rôle qu’il attribue à la femme et à la jeune fille : « Pour les jeunes filles, des livres de cuisine, de couture, et pour aménager la maison »? Exprime-t-il vraiment la pensée de l’Eglise. Pie XII a une autre pensée sur le rôle de la femme. Ce pape développe certes leur rôle d’épouse et de mères, de mères aux foyers, d’éducatrices, mais aussi leur rôle dans  le monde  politique, social. Il les encourage même à sortir de la famille pour s’engager dans des grandes causes nationales.

 

Enfin critiquer l’attitude des « communautés « ecclesia Dei » comme il le fait, avec un certain mépris « …la Fraternité saint Pierre et tous les autres », « les pauvres »,  est bien navrant. Contrairement à ce qu’il dit, nous ne nous sommes pas engagés à être des « chiens mués ». Je peux lui montrer la « convention » signée entre Mgr Aumônier et l’Institut du Bon Pasteur. Qu’il regarde quelque fois sur Item…

 

Et lui-même a-t-il toujours manifesté le meilleur des jugements et la meilleure clairvoyance et dans sa direction du séminaire d’Ecône, et dans ces contactes avec Rome en mai 1988 et dans son jugement sur l’opportunité de procéder aux sacres « sauveurs » ? Quant aux sacres, il s’en fait le chaud défenseur. Je m’en réjouis. Mais ce ne fut pas le cas le 28 mai ou 30 mai 1988…Un peu d’humilité serait appréciable.

 

« Ne cherchez pas de «  réconciliation », mais combattez ! » nous dit Mgr Tissier de Mallerais. Certes ! Mais tout en combattant, Mgr Lefebvre ne cherchait-il pas une « réconciliation », une « normalisation »,  « une régularisation ». J’en veux pour preuve la lettre remise par lui au cardinal Gagnon à l’issue de la visite apostolique en décembre 1987. Ce fut, sans cesse, sa grande préoccupation  Ces deux attitudes ne sont pas incompatibles. Voilà ce que j’ai appris auprès de Mgr Lefèvre. Etait-il libéral ? Certains, à l’époque, l’ont pensé. Ont-ils aujourd’hui le pouvoir ? Ou sont-ils proches du pouvoir ?

 

Enfin dire que le Motu Proprio de Benoît XVI, tout en le louangeant, est  « un miracle inattendu », c’est n’avoir rien lu des ouvrages que le cardinal Ratzinger nous a donnés sur la liturgie, avant son élection à la papauté. . Il était évident que sur le trône de Pierre, il rappellerait le droit de cette messe de saint Pie V et la redonnerait à l’Eglise. Il suffisait de lire ces livres. Mais faut-il encore les lire ! Ou avoir trois sous de « jujotte ».

 

Cette interview, émouvante sous certains points, manque de mesure.

 

Je suis confus de dire tout cela…Mais l’amour que je porte à Mgr Lefebvre et à son œuvre  m’y pousse et m’y contraint.

 

.

 

Voici le texte de Mgr Tissier de Mallerais publié dans The Angelus et dont la traduction française est paru dans Alethia, n° 129,  sous le titre :

 

UNE INTERVIEW DE

MGR TISSIER DE MALLERAIS

 

« Mgr Bernard Tissier de Mallerais a répondu aux questions de la revue américaine The Angelus. Il est utile de faire connaître intégralement ses déclarations aux lecteurs francophones. La traduction publiée ici est parue sur internet. Je l’ai retouchée en quelques

endroits d’après l’original américain.

 

The Angelus : Après 20 ans d'épiscopat, que pensez-vous de l'état de l'Eglise?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : Jean-Paul II n'a rien fait pour reconstruire la Foi. La

grande apostasie s'est amplifiée, la jeunesse est presque entièrement perdue dans l'impureté et dans les drogues. La liberté religieuse et les droits de l'Homme ont complètement détruit la royauté sociale du Christ. Nous vivons la grande apostasie dont parle saint Paul aux Thessaloniciens : “venerit discessio primum” (II Thess. 2,3).

 

The Angelus : Quelque chose a-t-il changé dans la Fraternité1 ? Et si oui : quoi?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : De quelle société parlez-vous ? De la Fraternité Saint Pie X ? Bien sûr, la Fraternité a grandi, Dieu merci, passant de 150 à 450 prêtres ; le nombre de frères a doublé. Peu de nouveaux prieurés ; il vaut mieux consolider la vie en commun des prêtres ! Mais beaucoup de nouvelles missions, partout. Pas beaucoup de nouveaux pays, ce n'est pas nécessaire. Nous devons nous développer là où nous avons débuté. C’est suffisant.

 

The Angelus : Combien de pays avez-vous visités depuis votre sacre ?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : À peu près tous les pays dans lesquels nos prêtres

travaillent, sauf le Japon et la Corée. Combien cela fait-il ? Sans doute plus de 30 ou 40.

 

The Angelus : Qu'est-ce qui vous a impressionné chez les fidèles, quand vous voyagez pour

confirmer ?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : Le grand nombre de familles nombreuses, bien sûr.

Parfois plus de 10 enfants - c'est merveilleux ! C'est l'effet de la Grâce du Saint Sacrifice de la messe. Et, cela va avec, les nombreuses écoles de garçons ou de filles ouvertes, des écoles primaires à proximité de nos prieurés dans beaucoup d'endroits. Une église, un prieuré, une école : c'est maintenant l'unité normale.

 

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1 En anglais, la « Fraternité Saint-Pie X » est appelée « Society of Saint Pius X ». D’où la réponsed’abord hésitante à la question.

 

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The Angelus : Qu'aurait-il pu se passer sans les sacres ?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : Nous serions morts : des prêtres âgés, seulement des

prêtres âgés, des Frères âgés, des Sœurs âgées, des séminaires vides et morts ; et pas de

Fraternité Saint-Pierre ni tout le reste. La tradition serait morte. Les sacres d'évêques ont été

un "acte sauveur" [en français dans le texte]. L'"opération survie" a été un succès complet,

grâce à Dieu et grâce à l'acte héroïque de Mgr Lefebvre.

 

The Angelus : La situation avec Rome est-elle plus encourageante vingt ans après ?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : Non, rien n'a changé. À part le motu proprio du 7 juillet

2007, qui est un miracle inattendu, et qui change radicalement la pratique du Saint-Siège

vis-à-vis de la messe traditionnelle. Mais en pratique, peu de prêtres reviennent à la

Tradition. Seuls de jeunes prêtres, quelques-uns parmi eux, sont intéressés. Mais pour ce

qui est de la liberté religieuse, des droits de l'Homme, de l'intérêt que Rome porte à notre

travail : rien n'a changé - induratio cordium ! Un endurcissement des cœurs, un aveuglement

des esprits.

 

The Angelus : Que voudriez-vous dire à ceux qui prédisaient, en 1988, que la Fraternité Saint Pie X créait une Eglise parallèle ? L'histoire ne leur a-t-elle pas donné tort?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : Je vous réponds : où est l'Eglise, mes chers ?

Reconnaissez l'arbre à ses fruits. Là où sont les fruits, là est l'Eglise. Je ne veux pas dire que

l'Eglise se réduit à la Fraternité, mais que son cœur est dans la Fraternité. La vraie Foi,

l'enseignement vrai, les sacrements non abâtardis (the non-bastard sacraments) : tout cela est dans la Fraternité. Partout ailleurs, il y a un mélange plein de compromis à cause du

libéralisme et de la faiblesse d'esprit. L'Eglise parallèle, c'est la néo-Eglise de Vatican II : son

esprit, sa nouvelle religion ou non-religion (her new-religion or no-religion).

 

The Angelus : Quel est le développement le plus important des vingt dernières années ? La mort de Monseigneur [Mgr Lefebvre] ? L'élection de Benoît XVI ? Le Motu Proprio ?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : La réponse, c'est notre persévérance, notre existence. La continuation miraculeuse de la Tradition. Les sacres d'évêques étaient un simple moyen pour tendre à ce but. Non, la mort de Mgr Lefebvre, l'élection de Benoît XVI, et ce genre de choses, ne sont pas des événements d’importance. Vraiment, il ne s'est rien passé d'important depuis vingt ans, à part le miracle de la survie de la Tradition.

 

The Angelus : Beaucoup de catholiques qui s'étaient d'abord battus aux côtés de Monseigneur, il y a des années, sont maintenant enclins à unir leurs forces avec Rome qui semble plus conservatrice, en s'alliant à des instituts dont le statut canonique est plus "régulier" au sein de l'Eglise.

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : Oui, il y a eu beaucoup de pertes. À cause du manque

de principes, de l'infidélité au combat de la Fraternité, de la recherche de compromis, de

l’aspiration à la paix, du désir d'une victoire avant le temps que Dieu à prévu. Ces pauvres

gens (des prêtres, des religieux, des laïcs) sont des libéraux et des pragmatiques. Ils sont

séduits par les sourires des gens du Vatican, je veux dire des prélats de la Curie. Ce sont des gens qui étaient fatigués du long, long combat pour la Foi : "Quarante ans, c'est assez !".

Mais ce combat durera encore trente ans. Donc : ne cessez pas, ne cherchez pas de

"réconciliation,", mais combattez !

 

The Angelus : Quel est votre souvenir le plus marquant de Monseigneur ?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : Le 13 octobre 1969, quand il nous a accueilli au 106,

route de Marly, à Fribourg, en Suisse, il était seul et recevait 9 séminaristes dans deux

appartements qu'il louait aux Salésiens. Seul et âgé 63 ans, et commençant tout à zéro avec

nous, pauvres jeunes gens ! C'était émouvant de voir comment il prenait soin de nous, nous

donnant des conférences spirituelles, très simples, théologiques, à l'aide de saint Thomas

d'Aquin et de son expérience de missionnaire. Un archevêque, ancien supérieur général

[d’une congrégation] de 3.000 membres, ancien délégué Apostolique, et maintenant seul avec neuf jeunes gens à commencer quelque chose pour le bien du sacerdoce, quelque chose dont il ignorait le futur. Réalisez sa Foi !

 

The Angelus : Quel est le moment le plus marquant de votre séminaire ?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : Fabuleux ! Mon premier contact avec la Somme de saint Thomas d'Aquin, durant les merveilleux cours du Père Thomas Mehrle, O.P., qui chaque semaine venait de Fribourg à Ecône pour nous enseigner le Christ et Dieu. Quel délice c'était d'entendre le Père Mehrle commenter la Somme, et nous étions là, à lire la Somme en latin, le merveilleux latin de saint Thomas. Combien d'heures de délices, chaque matin, de 8 heures et quart à 9 heures, à ma table dans ma chambre, avec la Somme à méditer et à apprendre ! Et maintenant encore je continue, je fais exactement la même chose !

 

The Angelus : Direz-vous que le combat pour la messe a complètement changé depuis les sacres?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : Absolument pas. Rien n'a changé ! La persécution contre les jeunes prêtres d'aujourd'hui qui retournent à la vieille messe est la même que la

persécution contre les bons prêtres, des prêtres qui, il y a 40 ans, restaient fidèles à la messe de leur ordination. À quelques très rares exceptions, les évêques détestent la messe

traditionnelle. Leur nouvelle religion s'oppose à la vraie messe, et la vraie messe détruit leur

fausse religion, une religion sans sacrifice, sans expiation, sans satisfaction, sans justice

divine, sans pénitence, sans renonciation à soi-même, sans ascétisme ; la religion du soi-disant "amour, amour, amour" qui n'est que des mots.

 

The Angelus : D'un autre côté, ne diriez-vous pas qu'aujourd'hui le combat pour la doctrine est devenu plus important ?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : C'est le même combat : ratio cultus, ratio fides. La loi de

la Foi est la loi de la liturgie, et la loi de la liturgie est la loi de la Foi : lex orandi, lex credendi ;

lex credendi, lex orandi. La devise est vraie dans les deux sens. La messe traditionnelle est

l'expression la plus magnifique de la royauté du Christ alors que regnavit a ligno Deus – Dieu

a régné par le bois de la Croix. Le mystère de la Rédemption, comme expiation parfaite et

surabondante des péchés, s’exprime dans la Messe traditionnelle. Au contraire, ce mystère

est obscurci et estompé par la Nouvelle Messe.

En conséquence, le combat contre la liberté religieuse ne peut pas être séparé du combat

pour la Messe. C'est vrai aussi du combat contre l'œcuménisme, parce que si le Christ est

Dieu, Il est capable par Sa passion d'apporter expiation et satisfaction, pour tous les péchés;

de même, Lui seul a le droit de conformer les lois civiles à l'Evangile. Je ne vois pas de

séparation entre le combat pour la messe, le combat pour l'esprit chrétien du sacrifice, et le

combat pour la royauté sociale du Christ. Les modernistes ne voient pas de différence entre

leur nouvelle messe, leur refus du mystère de la Rédemption, et leur dénégation de la

royauté sociale de Jésus-Christ. Tout se tient.

 

The Angelus : À part Mgr Rifan, Rome n'a pas donné d'évêque traditionnel aux communautés "Ecclesia Dei". Que cela signifie-t-il ? Cela ne justifie-t-il pas la décision de Monseigneur ?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : Oui, bien sûr. À Rome (à quelques exceptions près), ils

ne veulent pas d’évêques traditionnels ! Ils n’en veulent toujours pas. La Rome occupée ne

peut pas se permettre d’avoir des évêques traditionnels dans l’Eglise. Ce serait la destruction de leur destruction ! Mgr Rifan a eu le cerveau bien lavé, avant d’être « réconcilié ». Il garde la sainte messe traditionnelle, mais ne se bat plus contre la nouvelle messe, la liberté religieuse, et ainsi de suite. Il a dû arrêter le combat.

Les communautés « Ecclesia Dei » ont dû accepter de ne jamais critiquer le Concile de

Vatican II ni la nouvelle messe. Ils ont été réduits au silence et ont accepté de se taire. Tel a

été le prix de leur « réconciliation ».

Mgr Lefebvre avait donc entièrement raison quand il disait que seuls des évêques

entièrement catholiques et entièrement libres, libres de l’influence libérale de Rome,

pouvaient travailler pour le bien de l’Eglise en attendant la conversion du Pape.

 

The Angelus : Quels sont, selon vous, les plus grands défis auxquels la Fraternité et les fidèles devront faire face dans les années à venir ?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : D’abord, notre persévérance à refuser les erreurs du

concile de Vatican II. Deuxièmement, la force de notre refus de toute « réconciliation » avec la Rome occupée. Troisièmement, le développement de nos écoles, nos collèges pour soutenir une éducation catholique et aider les familles. Quatrièmement, la résistance face à la persécution par les autorités civiles, et proclamer que le christianisme est l’unique source de la civilisation.

 

The Angelus : Quel regard pensez-vous que Monseigneur porterait sur la crise, vu l’état des

choses en 2008 ?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : Il dénoncerait non seulement le libéralisme – comme

c’était le cas avec Paul VI – mais le modernisme, comme c’est le cas avec Benoît XVI : un vrai moderniste, avec la théorie complète du modernisme mis à jour ! C’est si grave que je ne peux pas exprimer mon horreur. Je me tais. Mgr Lefebvre, donc, crierait : « Hérétiques, vous pervertissez la Foi ! ».

 

The Angelus : Quel conseil donneriez-vous aux parents qui élèvent leurs enfants dans le monde d’aujourd’hui ?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : Ne vous contentez pas d’avoir des enfants, beaucoup

d’enfants, mais élevez-les, éduquez-les ! Ne vous contentez- pas de les nourrir, de leur

donner à manger ! Et envoyez-les dans des écoles vraiment catholiques, où ils seront non

seulement protégés de la corruption du monde, mais seront formés pour être des chrétiens.

 

The Angelus : Quel conseil donneriez-vous à des jeunes gens et des jeunes filles qui envisagent la vie religieuse ?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : Ne l’ « envisagez » pas, ne l’essayez pas non plus, mais entrez-y avec détermination et persévérance ! Mon Dieu, combien de volontés faibles !

 

The Angelus : Quels sont les livres les plus essentiels, selon vous, pour les fidèles aujourd’hui ?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : Pour tous, leur missel (le livre de messe) et leur

catéchisme. Pour les jeunes gens, des livres sur la royauté sociale du Christ. Pour les jeunes

filles, des livres de cuisine, de couture, et pour aménager la maison.

 

The Angelus : Que voyez-vous dans les 20 ans qui viennent ?

 

Mgr Bernard Tissier de Mallerais : En Europe, des républiques islamiques en France, en

Grande-Bretagne, en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas. Aux Etats-Unis, la

banqueroute et la guerre civile. À Rome, l’apostasie organisée avec la religion juive. En nous, de l’héroïsme, de l’héroïsme chrétien. Dans la Fraternité, le sacre de nouveaux évêques, si ça s’avère nécessaire. Je me fais vieux. À Rome, un nouveau pape ? Vraiment, s’il doit être pis encore, il n’y en a pas besoin. S’il doit être un Petrus Romanus, alors là, oui. C’est mon espérance.

. . .

 

Quelques remarques

 

Un tel document est révélateur d’une situation — celle de la FSSPX à l’été 2008,

vingt ans après les sacres accomplis par Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer — et

elle témoigne de l’état d’esprit de celui qui a répondu aux questions de la revue

américaine.

 

Mgr Tissier de Mallerais fut un des quatre évêques sacrés par Mgr Lefebvre en juin

1988. Il avait été, en mai précédent, un de ceux qui pensaient que le fondateur de la

FSSPX devait accepter l’accord proposé par Rome. Pourtant il se rangea à l’avis,

finalement, contraire de Mgr Lefebvre et consentit, le mois suivant, à recevoir de ses

mains la consécration épiscopale.

 

On comprend les motivations qui ont conduit Mgr Lefebvre à choisir l’abbé Tissier

de Mallerais pour être un des quatre prêtres appelés à lui succéder. Outre ses

éminentes qualités spirituelles — qui apparaissent à quiconque entre en relations

avec lui —, l’abbé Tissier de Mallerais avait été, en 1984 et 1985, le principal

collaborateur de Mgr Lefebvre dans la rédaction des « Dubia » sur la liberté religieuse qui furent présentés à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en octobre 19852.

Depuis sa consécration, il parcourt le monde pour exercer une « juridiction

extraordinaire » ou « de suppléance » : confirmations, ordinations, confessions. Plus

discrètement, et toujours dans l’esprit de la juridiction de suppléance qu’il a

théorisée3, Mgr Tissier de Mallerais rend des sentences qui ont « valeur obligatoire ».

Il le fait dans le cadre de la Commission canonique Saint Charles Borromée, créée en 1991 et qu’il préside : les sentences rendues concernent des dispenses

d’empêchement de mariage, des annulations de mariage ou des absolutions de

censures.

On ajoutera que Mgr Tissier de Mallerais est l’auteur de la première biographie

historique de Mgr Lefebvre, publiée en 2002, aux éditions Clovis, et saluée comme

telle, y compris par les revues historiques scientifiques.

 

Sans m’autoriser à faire un commentaire exhaustif de telles déclarations

épiscopales, je me permettrai quelques remarques immédiates :

 

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2 Ces « Dubia », d’un volume de 138 pages, ont connu d’abord une diffusion restreinte, en 1987, par les

soins du séminaire d’Ecône, en Suisse. En 2000, ils ont été réédités par les éditions Clovis sous le titre

Mes doutes sur la liberté religieuse. La Congrégation pour la Doctrine de la Foi, présidée alors par le

cardinal Ratzinger, avait répondu par écrit à Mgr Lefebvre. Ces réponses n’ont jamais été rendues

publiques, ni par la FSSPX ni par le Saint-Siège.

3 Sa longue justification sur le sujet a été publiée, en brochure, aux Etats-Unis sous le titre : Supplied

jurisdiction and traditional priests, Angelus Press, 2007.

 

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• le ton général de cet entretien est plus que pessimiste. Il témoigne, chez son

auteur, d’une radicalisation qui n’est pas nouvelle mais qui s’amplifie. Est-ce là la position personnelle d’un des quatre évêques de la FSSPX, position qui n’engagerait que lui ? Ce serait oublier que, pour le commun des fidèles de la FSSPX, les positions exprimées par « leurs » évêques ne se hiérarchisent pas. Preuve s’il en est besoin, ce sont les quatre évêques de la FSSPX qui ont été interrogés par la revue. Trois ont répondu (Mgr Fellay, Mgr Williamson et Mgr Tissier de Mallerais) et The Angelus n’est pas une revue quelconque mais un des organes officiels de la FSSPX aux Etats-Unis.

 

• les analyses et positions exprimées par Mgr Tissier de Mallerais sont à lire

comme une réponse à ce qu’a demandé le cardinal Castrillon Hoyos le 4 juin dernier

(cf. Aletheia, 25.6.2008). Le président de la Commission Ecclesia Dei posait comme deuxième des cinq conditions pour aboutir à un accord entre Rome et la FSSPX :

« L’engagement d’éviter toute intervention publique qui ne respecte pas la personne du Saint-Père et qui serait négative pour la charité ecclésiale ». En disant de Benoît XVI qu’il est « un vrai moderniste, avec la théorie complète du modernisme mis à jour », Mgr Tissier de Mallerais refuse de se plier aux demandes de Rome.

Ces demandes, Mgr Fellay les avait déjà qualifiées d’ « ultimatum » (« shut up » avait aussi traduit Mgr Fellay pour le public américain).

L’accusation de modernisme portée contre le Pape actuel est l’accusation la plus

grave que puisse porter la FSSPX contre un membre du clergé. Elle n’est pas

nouvelle. Mgr Tissier de Mallerais avait déjà prétendu faire la démonstration du

modernisme de Benoît XVI dans une conférence qui, à ce jour, n’a pas été publiée.

 

• Il ne peut y avoir d’entente avec un pape « moderniste ». C’est ce que dit

expressément Mgr Tissier de Mallerais : « Refus de toute “réconciliation“ avec la Rome occupée ». Mgr Fellay avait déjà exprimé un même Non possumus, même si c’était en des termes différents.

 

• Le ton de Mgr Tissier de Mallerais est plus que pessimiste, il a une tonalité

apocalyptique (au sens commun du terme). Il prévoit que des « républiques

islamiques » existeront dans cinq pays d’Europe d’ici vingt ans. La chose lui apparaît

inéluctable. Il prône un repli communautariste réduit au minimum : les chapelles

traditionalistes, les prieurés, les écoles.

 

Quand on l’interroge sur les conseils de lecture « pour les fidèles », là aussi il

énumère une sorte de minimum vital. Il semble réduire le rôle de la jeune fille et de la

femme chrétienne à la cuisine, à la couture et à l’aménagement de la maison. Cela

rappelle les trois K de l’Allemagne bismarckienne (Kinder, Küche, Kirche : les enfants, la cuisine, l’église). Sans évoquer la légitimité ou la nécessité du travail des femmes, même dans une vision vraiment traditionnelle de la place et du rôle des femmes dans l’Eglise militante, il est clair que les siècles passés et la situation actuelle ne cantonnent pas les femmes chrétiennes aux travaux domestiques. On ne citera pas Jeanne d’Arc ou ces pieuses laïques qui furent à l’origine des principales et considérables œuvres d’aide aux missions au XIXe siècle. Pour nous en tenir à notre XXe siècle si troublé, la militance féminine chrétienne a été bellement illustrée par un nombre considérable de femmes « engagées ». Travailler au Règne social de Jésus- Christ n’est certainement pas l’apanage des seuls hommes chrétiens : que l’on songe à Cristina Campo ou à Katharina Tangari, femmes d’énergie et d’initiatives, qui furent si proches de la FSSPX, ou à Gianna Beretta Molla, médecin, militante d’Action catholique, morte en 1962 dans un si beau sacrifice, béatifiée en 1994.

 

Mgr Tissier de Mallerais déplore « l’endurcissement des cœurs, l’aveuglement des esprits » qui règneraient à Rome. Le jugement est sévère et risque d’être renvoyé à celui qui le prononce.

 

Yves Chiron

 

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(1) La déclaration de Mgr Lefebvre

- 21 novembre 1974 -

 

 

Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité.

Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s'est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le concile dans toutes les réformes qui en sont issues.

Toutes ces réformes, en effet, ont contribué et contribuent encore à la démolition de l'Église, à la ruine du Sacerdoce, à l'anéantissement du Sacrifice et des Sacrements, à la disparition de la vie religieuse, à un enseignement naturaliste et teilhardien dans les Universités, les Séminaires, la catéchèse, enseignement issu du libéralisme et du protestantisme condamnés maintes fois par le magistère solennel de l'Église.

Aucune autorité, même la plus élevée dans la hiérarchie, ne peut nous contraindre à abandonner ou à diminuer notre foi catholique clairement exprimée et professée par le magistère de l'Église depuis dix-neuf siècles.

 « S'il arrivait, dit saint Paul, que NOUS-MÊME ou un Ange venu du ciel vous enseigne autre chose que ce que je vous ai enseigné, qu'il soit anathème. » (Gal. 1, 8.)

N'est-ce pas ce que nous répète le Saint-Père aujourd'hui? Et si une certaine contradiction se manifestait dans ses paroles et ses actes ainsi que dans les actes des dicastères, alors nous choisissons ce qui a toujours été enseigné et nous faisons la sourde oreille aux nouveautés destructrices de l'Église.

On ne peut modifier profondément la « lex orandi » sans modifier la « lex credendi ». A messe nouvelle correspond catéchisme nouveau, sacerdoce nouveau, séminaires nouveaux, universités nouvelles, Église charismatique, pentecôtiste, toutes choses opposées à l'orthodoxie et au magistère de toujours.

Cette Réforme étant issue du libéralisme, du modernisme, est tout entière empoisonnée ; elle sort de l'hérésie et aboutit à l'hérésie, même si tous ses actes ne sont pas formellement hérétiques. Il est donc impossible à tout catholique conscient et fidèle d'adopter cette Réforme et de s'y soumettre de quelque manière que ce soit.

La seule attitude de fidélité à l'Église et à la doctrine catholique, pour notre salut, est le refus catégorique d'acceptation de la Réforme.

C'est pourquoi sans aucune rébellion, aucune amertume, aucun ressentiment nous poursuivons notre oeuvre de formation sacerdotale sous l'étoile du magistère de toujours, persuadés que nous ne pouvons rendre un service plus grand à la Sainte Église Catholique, au Souverain Pontife et aux générations futures.

C'est pourquoi nous nous en tenons fermement à tout ce qui a été cru et pratiqué dans la foi, les mœurs, le culte, l'enseignement du catéchisme, la formation du prêtre, l'institution de l'Église, par l'Église de toujours et codifié dans les livres parus avant l'influence moderniste du concile en attendant que la vraie lumière de la Tradition dissipe les ténèbres qui obscurcissent le ciel de la Rome éternelle.

Ce faisant, avec la grâce de Dieu, le secours de la Vierge Marie, de saint Joseph, de saint Pie X, nous sommes convaincus de demeurer fidèles à l'Église Catholique et Romaine, à tous les successeurs de Pierre, et d'être les « fideles dispensatores mysteriorum Domini Nostri Jesu Christi in Spiritu Sancto ». Amen.

 

Mgr Marcel Lefebvre