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Un regard sur le monde

politique et religieux

 

 

au 8 novembre 2007

 

N° 145

 

 

Le Motu Proprio  

Quel accueil en France?

 

 

Monsieur l’abbé Christophe Héry, supérieur du séminaire saint Vincent de Paul de l’Institut du Bon Pasteur, vient de publier un excellent article sur le Motu Proprio de Benoît XVI dans le Mascaret du mois d’octobre. Je le porte à la connaissance des lecteurs d’Item. Ils l’apprécieront. Les évêques de France ne semblent pas vouloir faire un bon accueil à ce Motu Proprio…Voyez aussi Flash-Info du 6 novembre.

 

 

« Le 14 septembre, fête de la Sainte Croix, est entré en vigueur le nouveau droit établi par le Motu Proprio du Saint Père Summorum Pontificum, du 7 juillet 2007, rétablissant l’usage de la messe traditionnelle. Est-ce à dire qu’a vraiment commencé sa mise en application ? Tandis que le Cardinal Castrillon vient d’ordonner magnifiquement cinq nouveaux prêtres de l’Institut du Bon Pasteur à St-Éloi, dans le rite traditionnel, en présence du cardinal Ricard archevêque de Bordeaux (diocèse où quatre lieux de culte officiels abritent la liturgie tridentine), ailleurs, en revanche, du côté des demeures épiscopales françaises, l’accueil du Motu proprio semble plutôt froid et empesé.

 

 

Revenons sur ce document historique promulgué au début de l’été (le 7/07/2007, fête du Précieux Sang), si attendu par les uns et tant redouté des autres. Le pape lui même, dans sa lettre d’accompagnement adressée aux évêques du monde entier, souligne la longue maturation et les difficultés de ce projet de loi particulièrement sensible qui a subi toutes les craintes et les oppositions avant même que son contenu soit révélé. Certaines réactions ont manifesté l’hostilité sous-jacente, parfois idéologique, qui se déchaîne contre la liturgie traditionnelle – pourtant « jamais abrogée », a tranché le pape – dans les conseils presbytéraux. 

 

Pour résumer la quintessence de ce texte de loi promulgué par le pape lui-même (c’est le sens de la formule latine « Motu proprio »), notons qu’il s’articule d’abord en deux parties distinctes : la première est théologique, la seconde juridique.

 

La liturgie, acte de « transmission intègre de la foi »

 

Un principe théologique ouvre en effet ce document majeur : celui de la Tradition, définie comme acte de transmission continue des rites reçus des apôtres, et comme acte de transmission « intègre de la foi ».

 

Ce principe diffère nettement de la « Tradition vivante » prise au sens d’évolutive ou progressiste, au sens où la « Tradition » tout court serait morte. Il fut d’ailleurs rappelé par Jean-Paul II en 2002, dans la  Présentation générale du Missel romain (3e édition du Missel depuis 1969), que cite Benoît XVI : l’observation des usages liturgiques a pour fonction de « transmettre l’intégrité de la foi »  (ce mot fâcheux qui a donné « intégrisme ») ; ils doivent être « universellement reçus de la tradition apostolique ». À travers un survol de l’histoire, de St Grégoire le Grand à Jean XXIII, le pape manifeste la nécessaire continuité de la Tradition liturgique reçue des apôtres. Loin de tout esprit de rupture, les papes ont toujours veillé à réformer la liturgie quand celle-ci se dégradait ou se dégénérait, comme par un mouvement par trop naturel. Il précise que la messe grégorienne a été tout au long de l’histoire source non seulement de sanctification, mais de civilisation des peuples chrétiens. Cet effet civilisateur de la Messe traditionnelle revêt une importance particulière à l’heure où l’on parle au contraire volontiers d’inculturation des rites… Ce principe traditionnel étant posé de la continuité de l’Église et de la non- évolution indéfinie de sa Tradition, le pape passe au problème crucial de la réforme récente, dite de Paul VI.

 

Lorsque les réformes sont survenues en 1969, beaucoup de fidèles qui n’étaient pas que des nostalgiques réfractaires à tout changement, ont été surpris par la radicalité de celles-ci, et par l’interdiction apparente du rite grégorien, pourtant reçu précisément de la Tradition des apôtres. Le pape cite l’action de Jean-Paul II qui, enfin, «  accorda en 1984, par l’Indult spécial Quattuor abhinc annos, la faculté [qui n’existait donc plus] d’utiliser le Missel romain publié en 1962 par Jean XXIII » ; puis de nouveau en 1988, par le célèbre Motu proprio Ecclesia Dei (qui excommuniait durement Mgr Lefebvre).

 

Un  texte de loi historique qui libère (la Messe) et qui oblige (les pasteurs)

 

Tout en s’inscrivant dans la suite de Jean-Paul II, Benoît XVI va cette fois beaucoup plus loin. La partie juridique du texte, claire et nette, peut se résumer en cinq points :

 

1)      « Il est donc permis » : L’article 1 lâche cette bombe à retardement, peu relevée par ceux qui se retranchent ordinairement derrière de virtuelles conditions d’application supposées restrictives : « Il est donc permis de célébrer le Sacrifice de la Messe suivant l’édition type du Missel romain promulgué en 1962, et jamais abrogé » !  Le pape n’écrit pas : « J’autorise », ni « Je permets » sous telles conditions ; il écrit seulement : « Il est permis », c’est-à-dire il a toujours été permis, car ce missel de Jean XXIII n’a « jamais été abrogé ». « Jamais juridiquement abrogé », insiste le pape (lettre d’accompagnement)… Voilà qui tranche singulièrement. Ce Missel avait bien été interdit par Paul VI, mais non pas abrogé en bonne et due forme (voir encadré). Voilà la bonne nouvelle : les tradis, comme on les appelle, cette frange marginale de parias, avaient le plein droit de garder ce Missel, ce paroissien romain, et nul ne pouvait légitimement les exclure ni les obliger à l’abandonner pour adopter l’autre contre leur gré. Ils se trouvent aujourd’hui comme blanchis à demi-mot : il n’avaient pas tous les torts en résistant coûte que coûte pour sauver le patrimoine de la Messe grégorienne (bientôt inscrit à l’Unesco ?), et préserver leur droit de la célébrer.

 

 

2)      Comment concilier le nouveau et l’ancien usage, ainsi devenu bon et rendu libre ? Y aura-t-il deux rites ? Non point : ce serait tout compliquer et se préparer une difficulté insurmontable. Le Pape la surmonte en définissant deux « usages » d’un seul et même rite romain. Ce terme canonique « usage » est celui que nous avions retenu dans la convention qui attribue à l’IBP notre paroisse personnelle de St-Éoi, « déterminée par l’usage des livres liturgiques de 1962 ». Si l’on définissait le Missel de Jean XXIII comme un rite propre, tel le rite arménien, maronite, syriaque, grec ou copte… alors le statut et le développement de la liturgie traditionnelle seraient comparables à celui d’un ghetto, de type communautariste. Ce n’est pas la perspective du pape, qui veut rendre à l’Église entière la possibilité de l’usage traditionnel.

 

 

3)      C’est le curé d’abord qui est habilité à faire droit aux demandes d’usage de la Messe grégorienne – que cet usage soit réclamé ponctuel ou permanent, dominical ou non – et invité par le pape à accueillir « volontiers » celles-ci (art. 5). Cela est capital, pour autant que ne règnent pas sur les curés la crainte de la hiérarchie ou la terreur du Conseil paroissial ou presbytéral. L’autorité du curé, comme celle de l’évêque, se trouve affirmée pleinement par ce document, qui complète et tempère évidemment les conceptions trop épiscopaliennes ou trop collégiales qui peuvent sourdre et peser lourdement au sein de l’Église de France. Selon ce texte, l’évêque ne peut légitimement interdire une célébration traditionnelle, même habituelle, décidée par un de ses curés. Si d’aventure un curé de paroisse refuse une demande (ce qui n’est pas arrivé depuis cette rentrée 2007, nous l’avons nous-même expérimenté pour des mariages et des baptêmes : les prêtres nous accueillent en effet volontiers), les fidèles peuvent s’adresser à l’évêque ; mais si l’évêque refuse aussi, (ou si naît une discorde en déviant l’autorisation de célébrer sur un autre célébrant ou sur un autre lieu de culte), alors les fidèles peuvent recourir à la Commission pontificale Ecclesia Dei, présidée par le cardinal Castrillon, qui « exercera l’autorité même du Saint Siège », et dont le pouvoir se trouvera étendu en conséquence (art. 11 et 12).

 

 

4)      Tous les sacrements selon le rituel de 1962 sont autorisés (ainsi que le bréviaire des prêtres et le Pontifical pour les ordinations et confirmations), ce qui étend considérablement le rayonnement de la liturgie traditionnelle et, par là, son efficacité (ceci revêt une importance capitale pour le baptême et aplanit toutes les difficultés concrètes quant aux cérémonies traditionnelles de mariage, d’enterrement, ou de confirmation).

 

 

5)      « Eviter la discorde et favoriser l’unité de l’Église » (art. 5-1) : tel est selon le pape l’esprit et la motivation même de ce Motu Proprio, requis de la part des Pasteurs et des fidèles.Y a-t-il des conditions juridiques qui limiteraient l’octroi d’un lieu de culte pour la liturgie traditionnelle à tel « groupe stable » ou telle communauté ? L’art. 5-4 répond seulement ceci : il faut un prêtre idoine, c’est-à-dire en pleine communion avec Rome et non empêché par le droit – ce qui est le cas des membres du Bon Pasteur.

 

 

                                                                                                             

La motivation principale du pape promulguant cette législation libératoire est bien de « parvenir à une réconciliation interne au sein de l’Église ».  L’enjeu est de taille. Que Notre Dame du Rosaire assiste en cette cause toute l’Église.

 

Nous nous pencherons le mois prochain sur la lettre du Saint Père aux évêques qui accompagne le Motu Proprio, sur les réponses qu’elle apporte et les interrogations qu’elle suscite.

 

Abbé Christophe Héry

 

 

N.B. 1 - Remarques juridiques

 

« Ce Missel (de 1962) n’a jamais été juridiquement abrogé »

(Benoît XVI, 7 juillet 2007)

- 16 juin 1971 : la Sacrée Congrégation pour le Culte divin publie, sans date ni signature, une officieuse « Notification sur le missel romain, la liturgie des heures et le calendrier », laquelle interdit le Missel de 1962 à tous les fidèles et à tous les prêtres, sauf les invalides qui célèbrent seuls et sans assistance. Cette même Notification introduit le nouveau bréviaire et supprime l’ancien.

- 24 mai 1976 : dans un célèbre Discours au consistoire, Paul VI reprend les termes de cette Notification pour réitérer la même interdiction, cependant sans portée juridique – puisque le pape Benoît XVI affirme nettement le 7 juillet que ce missel ne fut « jamais  juridiquement abrogé ».

- 3 octobre 1984 : le Cal A. Mayer, Pro-Préfet de la Congrégation pour le Culte divin, signe l’Indult Quattuor abhinc annos. Le Missel de 1962 peut être ponctuellement autorisé par les évêques, sous conditions (n’avoir aucun lien avec la FSSPX) et uniquement dans des chapelles ou oratoires privés, jamais en paroisse.

- 1er juillet 1988 : Le Motu Proprio d’excommunication Ecclesia Dei adflicta du pape Jean-Paul II demande aux évêques « l’application large et généreuse » du précédent Indult ; mais aux conditions de celui-ci (aucun lien avec le « schisme »), il ajoute l’exigence d’adhérer au caractère normatif du nouveau magistère postconciliaire et à la « Tradition vivante ». Le Missel de 1962 ne peut être permis que par dérogation, non comme un droit.

- 7 juillet 2007 : Benoît XVI reconnaît le plein droit d’usage des livres liturgiques de 1962, car ils n’ont « jamais été juridiquement abrogés ». Il accorde cet usage sans conditions juridiques, ce droit devant être désormais garanti par l’autorité des curés, des évêques et, en dernier recours, du saint Siège.

 

N.B. 2 - Quelques cas précis

 

Tout d’abord, au lendemain de cette entrée en vigueur, beaucoup d’évêques ont annoncé qu’il n’y avait pas de demande des fidèles pour la liturgie traditionnelle… Mais les fidèles intéressés ont-ils eu le temps de se manifester ? Certains l’ont fait de longue date, comme à Reims ; d’autres plus récemment. Ainsi, un archevêque a reçu la demande en bonne et due forme d’une confrérie de Pénitents, pour que l’IBP desserve habituellement leur chapelle privée : il y répond en interdisant tout ministère en son diocèse, à tout prêtre appartenant à l’Institut du Bon Pasteur – pas même un mariage, un baptême, une confession ou un enterrement, en aucune circonstance ! Rappelons que la lettre du Saint Père qui accompagne son texte de loi du 7 juillet précise : « Le rôle [de l’évêque] demeurera de toute façon celui de veiller à ce que tout se passe dans la paix et la sérénité »… Et si des fidèles lui demandent une chapelle traditionnelle, voire une paroisse personnelle : « L’évêque est instamment prié d’exaucer leur désir » (Motu Proprio., art. 7), insiste le pape.

 

Une rumeur non démentie indique que la réunion du 11 septembre, à Paris, des archevêques métropolitains de France, se serait conclue sur une orientation qui vise à évincer de l’application du Motu Proprio les instituts de prêtres ou les communautés spécialisées dans la liturgie traditionnelle, en limitant aux prêtres diocésains cette application. Nous n’osons recevoir sans vérification une telle hypothèse, pour vraisemblable qu’elle paraisse. Du reste, grand bien nous fasse si de nombreux prêtres apprennent dans les diocèses à célébrer la messe grégorienne ! Mais s’il est vrai est que des archevêques ou évêques, ne pouvant désormais interdire la messe de St-Pie V, ont résolu d’interdire en leurs diocèses le ministère des prêtres qui (comme en Avignon) , en pleine communion avec Rome, célèbrent exclusivement selon l’usage antique, alors l’expérience missionnaire du Motu Proprio ne pourra jamais être concluante : elle aura été littéralement empêchée. Le Cardinal Castrillon, au cours de ces dernières ordinations bordelaises (le 22/09/2007), a pourtant précisé que les instituts « spécialisés » dans la liturgie tridentine, avaient une mission particulière inscrite dans l’application du Motu Proprio.