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Un regard sur le monde

politique et religieux

 

au 14 mars 2008

 

N° 163

 

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

 

En souvenir de

Dom Gérard Calvet

 

 

 

Le Très Révérend Père Dom Gérard  Calvet nous a quitté s’endormant dans la paix du Seigneur, le jeudi 28 février 2008.  Il fut une grande figure de la Tradition en ce XX ème et XXI ème  siècle. Sur le mont du Barroux, sous le ciel de Provence, il a chanté la gloire de Dieu dans la belle liturgie latine, grégorienne et romaine. Il a édifié de beaux monastères, certainement le reflet de son âme.  Il laisse de nombreux disciples continuer cette œuvre, la plus belle des œuvres : l’adoration du Seigneur et Maître par le chant au chœur. Cela est beau ! Qu’ils en gardent le souvenir ! Car « le souvenir est l’âme de la fidélité » (Dom Gérard, cité par Alain Sanders dans Présent du 7 mars 2008).

 

Vous trouverez les deux sermons que le TRP Abbé Louis Marie, le successeur de Dom Gérard,  a donnés le dimanche 2 mars et le lundi 3 mars 2008, le jour des funérailles,  au monastère du Barroux.

 

 

 

 

 

SERMON DU TRP DOM LOUIS-MARIE

LE DIMANCHE 2 MARS

VEILLE DE L’ENTERREMENT DE DOM GÉRARD

 

 

 

Mes chers frères,

cher Jean et Hubert,

chers fidèles et amis,

 

 

Dom Gérard nous a souvent répété que la liturgie est la source première et indispensable du véritable esprit chrétien. Il nous a quittés en plein milieu de carême, temps de pénitence et de

prière, sans doute pour nous rappeler que nous ne sommes pas faits pour les joies de la terre

mais pour celles du ciel.

 

Aujourd’hui nous célébrons le 4è dimanche de carême, connu sous le nom de dimanche de Lætare. “Réjouis-toi, Jérusalem”. Sans doute pour nous dire que nous pouvons dès ici bas nous préparer aux joies du ciel.

 

En relisant l’évangile de ce dimanche de Lætare, j’ai été frappé d’y retrouver les grandes lignes de la vie de dom Gérard. Jésus qui traverse la mer de Galilée, Jésus suivi par une foule nombreuse, Jésus qui prend pitié de cette foule affamée, Jésus qui multiplie les pains et les fait

distribuer, et enfin Jésus qui part seul dans la montagne.

 

Dom Gérard a traversé avec Jésus la mer de Galilée quand il a quitté, il y a plus de 50 ans, les joies de la vie d’une famille bordelaise aisée, unie, cultivée. Il a passé la mer pour embrasser les austérités de la vie monastique sous la règle de saint Benoît. Il n’a pas choisi un grand et beau monastère mais la petite fondation très pauvre de Madiran qui est devenu Tournay. Puis avec Jésus, dans la tourmente des années 70, il est monté avec Jésus sur la montagne, là où l’air est plus pur, plus vif, plus frais. Là où les matins ressemblent au premier matin sorti des doigts de Dieu. C’était Bédoin avec son charme indéfinissable des premiers débuts. Tous ceux qui ont connu Bédoin à ses débuts en ont une certaine nostalgie. Et toujours comme Jésus, avec Jésus, dom Gérard a vu arriver la foule, une foule grandissante, une foule de postulants et de fidèles chrétiens affamés de vérité. Il y avait dans cette foule des mères et des pères de famille, des jeunes gens et des personnes âgées, des militaires et des politiques, des clochards et des théologiens, des enfants et des prélats. Je suis frappé par le nombre de témoignages que nous recevons de toutes parts et de tous bords. Dom Gérard a aidé un nombre incalculable de personnes avec cette grâce qu’il avait d’être tout entier à chacun et de donner l’impression de n’exister que pour son interlocuteur. Il donnait du pain ; pas du pain sec mais un pain sorti du four, qui redonne confiance et courage. Car il ne suffit pas de donner aux âmes des principes purs mais il faut les offrir bien préparés, bien présentés, bien adaptés. Il a sauvé plusieurs âmes de l’abandon de la foi. Il a sauvé plusieurs personnes de la désespérance. Il a sauvé plusieurs familles du naufrage de la division et du divorce. Il avait le cœur sur la main. Les passants, ceux qui n’ont pour domicile que la voûte étoilée, savaient qu’il valait mieux demander à dom Gérard plutôt qu’au cellérier une aide matérielle. Il donnait sans regarder, sans vérifier et surtout sans compter, ce dont il était d’ailleurs incapable. Permettez-moi de vous raconter une anecdote : lorsque les sœurs de Médéa, en Algérie, décidèrent de rentrer en France en 1975, elles firent une visite à Dom Gérard qu’elles ne connaissaient pas plus que ça. Il les accueillit avec une grande chaleur. Elles lui exposèrent leur recherche d’un lieu d’implantation en France. Il s’excusa de son impuissance à les renseigner mais leur dit de ne pas bouger et s’en alla chercher quelque chose et revint quelques minutes plus tard. Il leur fit don de son carnet d’adresses afin qu’elles puissent

demander de l’aide. C’est tout dom Gérard, dans la beauté d’un geste tout chevaleresque.

Il a aidé un nombre incalculable de personnes à résister au torrent du conformisme, au

délitement intellectuel, à la facilité de l’avachissement tout simplement parce qu’il aimait Dieu et

qu’il avait mis toute sa joie à se donner à Dieu. La vie chrétienne et la vie monastique étaient

pour lui non pas un froid moralisme mais une lumière, une entrée de Dieu dans la pâte humaine.

Un jour que je lui parlais de l’éventualité pour les chrétiens de devoir retourner dans les

glorieuses catacombes des premiers chrétiens, il me répondit : glorieuses catacombes, oui, mais

dans lesquelles il ne faudrait pas retourner trop facilement sans se battre. Il croyait encore il y a

trois jours, il croyait encore à la chrétienté. Et pas du tout par optimisme béat. Il y croyait à

cause de Dieu, d’un Dieu infiniment puissant, infiniment proche de ses créatures. Il y croyait

à cause du mystère ineffable et complètement fou de l’incarnation : Dieu qui a fait cette folie de

s’incarner et qui désire de plus en plus faire son entrée dans le monde, à travers les sacrements

mais pas seulement, à travers les coutumes, les mœurs et les lois. Il croyait à la Chrétienté parce

qu’il croyait à la puissance dynamique de la résurrection du Christ, puissance toujours efficace

sur notre monde. Dom Gérard croyait que le Christ, Roi de l’univers par nature et par conquête,

continue à nous toucher par les sacrements, par la liturgie, par la doctrine et par la vie

monastique.

 

Et puis dom Gérard, comme Jésus et avec lui, nous a demandé, à nous ses fils de

ramasser les morceaux à conserver pour continuer à nous nourrir du bon pain qu’il nous

donné. Il nous lance le défi de la fidélité, de la permanence, de la stabilité monastique qui

demande beaucoup de silence et de renoncement à soi. Permettez-moi de vous lire un passage

de la lettre aux amis qu’il a écrite juste après la prise d’habit de trois moines qui se retrouvent

aujourd’hui être le père Abbé, le père prieur du Barroux et le prieur de La Garde :

«La permanence, celle d’une fidélité à toute épreuve aux amours d’ici-bas : vouloir ce

qu’on a voulu, donner ce qu’on a promis ; redire éternellement avec les mots de l’amour le

pacte qui a été scellé une fois avec du sang. Et ceci sans l’ombre d’une crispation, avec la

douceur des choses qui résistent à la durée ; il s’agit moins d’une répétition que d’un

renouvellement. Ce à quoi tend l’amour, disait un philosophe, c’est à ressusciter la première

extase : l’idéal serait de recommencer toujours sans se répéter jamais. Et de retrouver dans le

dernier âge de la vie un amour aussi incandescent qu’à son origine. Ce qui m’incline, continuait dom Gérard, à vous dire cela aujourd’hui, c’est la vision que je garde de ces trois postulants, dans l’abbatiale, en place pour leur cérémonie de vêture, une certaine soirée d’hiver. Seront-ils fidèles ? il est facile d’être novice, facile de monter à l’assaut difficile de tenir très longtemps une position. En un temps de dissociété, de défaitisme, où tout se dé-fait, sauront-ils témoigner pour un amour fidèle, pour un amour vainqueur, jusqu’à la mort, usque ad mortem ? Sauront-ils qu’à leur fidélité s’attachent d’autres fidélités, comme une grande chaîne qui remonte jusqu’à Dieu, la fidélité des époux, celle des hommes d’armes et celle des princes qui nous gouvernent ?»

Et il finissait la lettre en nous donnant un conseil pour pouvoir réellement être fidèles en

citant Philippe-Auguste, au matin de la Bataille de Bouvines : “Seigneur, chevauchez devant, je

suivrai. Et partout, après vous, j’irai.”

 

Dom Gérard est maintenant parti sur une autre montagne, seul, comme Jésus, avec

Jésus. Seul, pas tout à fait. Il est parti seul parce que sans nous. Il se préparait depuis longtemps

à la mort. Depuis qu’il était moine puisque le moine doit penser tous les jours à la mort. Il s’y

préparait plus particulièrement ces derniers temps. Il aimait à dire qu’il n’était pas pressé de

partir mais qu’il était pressé d’arriver. En janvier dernier, à son frère Hubert, il parlait de la mort

non pas comme un départ, ni comme une arrivée, mais du point de vue de Dieu. Il a répondu

à son frère qui n’était pas pressé de le voir partir : “mais le Père m’attend” et en même temps, il

imitait le Père du ciel se courber délicatement, avec une ineffable douceur. Il est parti seul dans la montagne où il est moins seul que jamais. Je crois que les anges lui ont fait un bon accueil en chantant “Lætare”. Il est parti en priant rejoindre ceux qu’il priait souvent pour faire de toute son existence une liturgie continuelle en présence de Dieu.

 

Mais il faut continuer à bien prier pour lui. Venez demain nombreux à la messe de

Requiem qui sera chantée à 10h00 pour prier ensemble. J’aimerais beaucoup que cette foule

qu’il a nourrie, qu’il a éclairée et réconfortée soit comme des fils unis autour de sa table, comme

une couronne vivante de gloire et de prière autour de leur père.

Amen.

 

+F. Louis-Marie, abbé

Le dimanche 2 mars 2008

Lætare

 

 

SERMON DU TRP DOM LOUIS-MARIE

 

LE LUNDI 3 MARS

 

MESSE D’ENTERREMENT DE DOM GÉRARD

 

Monsieur le Cardinal,

Monseigneur l’archevêque d’Avignon,

Monseigneur, mes Révérendissimes Pères abbés chers frères,

chère famille de Dom Gérard, chers amis,

 

Mercredi dernier, nous étions, dom Gérard et moi, dans l’auto. Nous revenions des obsèques de

madame Jean Calvet, sa belle-sœur. Nous étions en train de réciter l’office de None. Dom Gérard aimait beaucoup l’hymne de cet office qui compare le coucher du soleil à la gloire éternelle qui récompense une sainte mort. Nous avions passé cinq heures ensemble, cinq heures délicieuses grâce à sa bienveillance, à culture, sa grande présence d’esprit et sa largeur de vue. Il aurait aimé mourir au choeur. Il officiait None quand il a eu son attaque. Ses derniers mots furent : « Pater noster ». Il s’est penché légèrement pour signifier l’inclination profonde que nous faisons en respect pour la majesté du Père céleste et il ne s’est jamais redressé. Sa mort comme toute sa vie ressemble comme un simple et majestueux plongeon dans les bras du Père, un plongeon en Dieu. Et ses derniers mots sont, de façon providentielle, comme un dernier testament, le résumé de toute sa vie, Pater noster.

 

Dom Gérard n’a eu de cesse de répéter et de vivre durant toute son existence de moine, de fondateur et d’abbé le primat de Dieu. Dans sa vie, il n’y a rien de médiocre, rien de petit, rien de facile car il voyait les choses à la lumière de la transcendance de Dieu. C’est la transcendance de Dieu qui l’a happé dans la vie monastique. Écoutez sa confession lorsqu’il définit la vie contemplative

« C’est Dieu qui en est le principe et la fin. Dieu, par son excellence même, suscite la vie

contemplative. Dieu mérite infiniment que des créatures se livrent, se consacrent tout entières, pour toujours et exclusivement, à Le regarder, à Le louer, à L’adorer, c’est cela qui est la norme... Une religion qui n’est pas contemplative est indigne de Dieu ! Alors, parce qu’il s’intéresse à Dieu par dessus tout, non seulement le moine indique Dieu, non seulement il Le prouve, mais il témoigne de l’excellence de Dieu. »

 

Dom Gérard est un véritable chevalier de Dieu. Il suffit de regarder cette abbatiale et ce monastère dont l’ampleur des travaux fut un véritable défi sinon une provocation à ce monde moderne sans Dieu. Rien n’est trop grand pour les œuvres accomplies au service de la majesté divine. Cette abbatiale exprime par elle-même toute l’audace de son adoration et de confiance en Dieu.

 

Dom Gérard est bien connu pour avoir défendu avec verdeur le principe de vérité qui émaille

sa longue série des lettres aux amis. La plus grande bataille de tous les temps selon le mot de son maître André Charlier. Dom Gérard nous a mis en garde contre cette tendance qu’ont les hommes à préférer, parce qu’elles sont moins dangereuses à vivre, les vérités diminuées, qui ne font plus peur à personne. Mais orientait notre regard vers ces grands saints, vers ceux qui ont fait l’Europe, vers ces hommes et ces femmes qui redressent l’histoire vers le ciel, et qui ont toujours été à contre-courant, qui ont toujours tenu la barre haute pour répondre en tout aux exigences de la vérité intégrale.

 

Un jour, Gustave Thibon lui écrivait dans une lettre à la fois drôle et profonde qu’il avait choisi la

bonne place entre « le caravansérail progressiste où tout se confond et l’isoloir intégriste ou tout se sépare » Et dom Gérard de lui répondre qu’entre ces deux extrêmes, il n’y a qu’une seule place qui est la bonne, c’est celle qui unit à une véritable passion pour la vérité intégrale, un amour généreux pour ce monde en train de naître.

 

Dom Gérard est plus connu encore pour sa défense de la liturgie traditionnelle. Il est bien connu et même redouté. Car c’est un domaine sacré qui nous prend tous au cœur. Car la liturgie est pour toujours liée à la foi, à la vérité de la foi, à la vérité intégrale de la foi. Il aimait cette grande liturgie reçue du fond des âges, polie par le temps et l’expérience, il aimait cette liturgie comme une merveilleuse éducatrice, qui enseigne, mieux que par n’importe quel procédé, à faire l’apprentissage de la transcendance de Dieu.

 

Et là, on commence à toucher du doigt la vie intérieure de Dom Gérard. J’ai commencé le sermon

d’hier par cette citation de saint Pie X qu’aimait tant Dom Gérard. « La liturgie est la première et

indispensable source du véritable esprit chrétien. » Mais plus profondément encore, il nous livrait quelque chose de son âme lorsqu’il dévoilait que dans ces cérémonies sacrées, solennelles, « quelque chose de céleste et de pacifiant vient toucher la terre ; la liturgie suscite en nous un esprit d’enfance qui s’émerveille, un esprit d’adoration qui est le socle de l’humilité et la condition du véritable amour, un esprit de paix entre les hommes, qu’elle rassemble et unit avec douceur autour de l’Homme-Dieu, présent in sacramento. »

 

Pour essayer d’entrer dans l’intimité de Dom Gérard, il faut entrer dans la vie intérieure. Lorsqu’on lui faisait des compliments sur sa communauté, jeune, fervente, nombreuse, il répondait que la beauté et l’avenir d’une communauté sont surtout liés à la qualité de vie intérieure de chacun de ses membres et non aux variations de sa prospérité apparente. Et Dom Gérard nous entrouvrait encore son cœur quand il chantait cette béatitude : « Bienheureuses les communautés dont les moines, soit dans le silence de la cellule, soit dans leur stalle au choeur, peuvent goûter quelque chose du souverain bien et connaître l’avant goût des joies éternelles. »

 

Dans la lettre aux amis n°95, il nous lançait un défi, à nous ses fils, en nous rappelant que

notre communauté a grandi grâce à l’influence exercée sur elle par le souvenir et l’exemple de nos fondateurs : le Père Muard, un homme de grande prière, dom Romain Banquet et Mère Marie Cronier, dont l’idée maîtresse fut la vie intérieure. Il précisait que c’était sans doute dans ce sens qu’il nous faudra travailler si nous voulons rester fidèles à l’esprit de notre saint Patriarche.

La vie intérieure n’est nullement un lâche abandon du temporel et de nos frères du siècle mais une vie toute perdue en Dieu pour la vie du monde. Il disait que le moine doit œuvrer non pas dans le monde mais sur le monde.

 

Dom Gérard est bien connu pour ses combats mais pour ne pas le caricaturer, il ne faudrait surtout pas oublier sa grande bonté et sa profonde douceur. Dom Gérard croyait à la puissance de la vérité et il croyait tout autant à celle de la bonté. La bonté, disait-il en reprenant un proverbe indien, est comme le bois de santal qui parfume la hache qui le coupe.

 

Il savait que cette douceur était indispensable de part et d’autre pour une réconciliation entre Monseigneur Lefebvre et Rome. Voici ce qu’il écrivait au début de l’année1988 : « On ne peut cacher la joie qui règne dans ces maisons, la santé doctrinale, l’abondance et la jeunesse

du recrutement. Mais supposons qu’une solution de réintégration de ces œuvres dans les cadres officiels de l’Église soit réalisable, pense-t-on que cela se produise sans un effort de compréhension mutuelle ? » C’est une intention de prière qu’il a portée dans son chapelet depuis 20 ans et qu’il a emportée au ciel.

 

Dans la voiture qui nous menait à Bordeaux, il y a quelques jours, nous parlions de ces divisions au sein de l’Église, de ces divisions qui sont partout et cause de tous les manques de charité. Et je le revois faire un geste coutumier, les mains sur le tempes, et de s’exclamer : « C’est épouvantable. »

 

Et pour notre communauté, je me dois de rappeler sa dernière exhortation en tant qu’abbé. C’était un certain 24 novembre 2003, la veille de l’élection de son successeur. Il nous rappela les trois piliers de la fondation : la vérité, la Règle et la liturgie et il ajouta qu’il manquait quelque chose, ce quelque chose sans lequel toute fondation reste bancale. Ce quelque chose, c’est le courant de la charité fraternelle. Et il nous a donné comme modèle la belle icône du mystère de la Visitation. La bienheureuse Vierge Marie, Mère du Sauveur, qui embrasse sa cousine Elisabeth en laquelle tressaille saint Jean-Baptiste. Je vous rappelle ses tout derniers mots d’abbé : « C’est la dernière fois que je me prononce comme abbé devant vous... Vous devinez toute mon émotion... Mes dernières paroles seront : « Aimez-vous les uns les autres. »

En nous indiquant cela, il nous renvoyait à son pacte avec les saints anges. Il leur avait demandé

deux choses : premièrement qu’il n’y ait pas d’accident de personne sur le chantier et deuxièmement qu’il n’y ait pas de blessure faite à la justice ni à la charité. En nous disant ces dernières paroles, il nous replongeait dans la charité incandescente du père Muard qu’il a tant aimé. Le père Muard avait ordonné que dans toutes les maisons issues de la Pierre-qui-Vire devraient être gravées dans la pierre, ces paroles de saint Jean : « Mes petits enfant, aimez-vous les uns les autres. » Son souhait était que cette devise puisse s’inscrire en nos cœurs.

 

Et pour pénétrer un peu plus dans l’âme de notre très vénéré père, il faut maintenant nous tourner

vers Notre Dame. Il avait pris pour devise « per Te Virgo » et Elle était sur ses armes en l’étoile, Stella maris, Il avait une piété mariale presqu’impétueuse. Enfant, il lui avait construit un oratoire et il paraît qu’il fallut le calmer de ses ardeurs à entraîner sa famille entière à prier Notre Dame pour la France. Il est vrai qu’il n’a pas beaucoup consacré de lettres à la Vierge Marie. C’était devenu son jardin secret qu’il n’ouvrait que dans une plus grande intimité. La première fois que je l’ai rencontré pour m’ouvrir de ma vocation, je lui ai dit deux choses : tout d’abord que j’avais trouvé au Barroux les deux conditions de ma vocation : la fidélité à Rome et l’esprit traditionnel. Et puis nous avons beaucoup parlé de la sainte Vierge et de la puissance protectrice du chapelet contre les torrents destructeurs du siècle. Il m’a avoué que c’était Marie qui avait sorti la fondation de l’ornière. Nous n’entendrons plus le cliquetis de son chapelet. Il est parti un 28

février, jour de la 11ème apparition de la sainte Vierge à Lourdes.

J'avais ma main sur son coeur, j'ai entendu le dernier battement de son coeur, et j'ai encore au creux de la main ce tout petit dernier battement de coeur. Je le garde pour moi.

Dieu nous a donné dom Gérard.

Dieu nous a repris dom Gérard.

Que Dieu soit béni à jamais.

Pater noster.