ITEM
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Un regard sur le
monde politique et religieux
Au 11 novembre
2006
N°
106
Par Monsieur l’abbé
Aulagnier
Je suis heureux de donner, dans ce Regard sur le monde…
religieux, la parole à Monsieur l’abbé
Hery, co-fondateur de l’Institut du Bon Pasteur et assistant du Supérieur
Général, M l’abbé Philippe Laguérie.
Il nous présente l’Institut du Bon Pasteur et répond à
beaucoup de questions que l’on se pose sur cette fondation.
L’entretien a été publié dans le Mascaret du mois d’octobre.
L’accueil du Bon
Pasteur
Entretien avec l’abbé Héry
Dès sa
création à Rome le 8 septembre 2006 en Institut de droit pontifical dédié au
rite traditionnel, avec pour siège Saint-Éloi à Bordeaux, le Bon Pasteur est placé sous les
projecteurs. Certains rejettent à grand cris, mais la plupart accueillent ce
fruit de la conciliation romaine. Nombreux sont les prêtres et les fidèles d’horizons
divers qui nous manifestent leur joie. Mais L’Église de France s’interroge. Aux
fins de clarifier – et au risque de répétitions – l’abbé Héry répond aux
questions de Mascaret.
Comment
avez-vous conclu si vite un « accord » avec Rome ?
Les
circonstances providentielles que tous connaissent ont voulu que nous allions
seuls à Rome demander ce que nous avons finalement obtenu – grâce au pape et au
cardinal Castrillon – avec une rapidité qui a pu surprendre (mais nous avions
pris contact à Rome dès avril 2006). La solution ne pouvait venir que de Rome et nous avons
toujours considéré comme un mal – non comme un avantage – le fait d’être rejeté
de la communion juridique de l’Église. Le pape est le chef de l’Église.
Il a posé le 8 septembre un acte de gouvernement. Il a montré sa volonté
affirmée de s’appuyer sur tous les prêtres qui désirent évangéliser le
monde du XXIe siècle ; pour la première fois, Benoît XVI a concrétisé son désir
d’une plus grande communion avec les défenseurs de la liturgie traditionnelle
de la première heure ; il a tranché que, pour la première fois depuis
1971, le rite grégorien ne soit plus relégué au rang d’un sous-droit. C’est un
grand pas pour la paix de l’Église, sa liturgie et son unité. De notre côté, nous avons tout mis en œuvre pour demander la meilleure
solution possible : rechercher à Bordeaux la conciliation du Cardinal
Ricard au sujet de la paroisse St-Éloi, vivante et remplie de fidèles ;
convaincre le Saint-Siège de nous accorder la messe traditionnelle avec la
garantie d’un rite propre, afin de nous associer en paix au travail
missionnaire des paroisses.
La
fondation de l’Institut du Bon Pasteur serait-elle une énième tentative romaine
pour normaliser des prêtres traditionalistes ?
Cette
fondation peut sembler reproduire une logique déjà connue de normalisation sous
conditions. Mais pour un œil attentif, le contexte et le scénario sont
entièrement neufs et les commentaires médiatiques, favorables ou hostiles, ne
s’y sont pas trompés. La nouveauté la plus évidente des statuts et du décret
d’érection du Bon Pasteur par le Saint-Siège, c’est la reconnaissance par Rome
de la forme traditionnelle de la liturgie (messe et tous les sacrements, selon
les livres de 1962), comme « rite propre » et « exclusif »
de l’Institut.
Pourquoi ce privilège du
« rite propre », réservé à quelques prêtres mais non présenté comme
un droit pour tous ? Le danger de ghetto existe…
Comme le
soulignait Mgr Fellay dans sa
lettre au cardinal Castrillon du
6 juin 2004, « nous
ne voyons pas comment nous pourrions arriver à une reconnaissance sans passer
par un certain nombre d’étapes. » On
ne peut en effet imaginer parvenir à une plus grande liberté de la messe
traditionnelle sans étapes. Or, nul ne peut le nier, une étape irréversible
vient d’être franchie par le Saint Père ce 8 septembre 2006 en créant le
« rite propre » : l’ère du ghetto, des chapelles-hangars ou du
créneau horaire consenti à la messe grégorienne dans une église périphérique va
bientôt passer. Le terme d’ailleurs ne doit pas faire peur : le pape nous
confie cette mission d’ouvrir de véritables paroisses, non territoriales mais
« de rite propre », c’est-à-dire fondées exclusivement sur cette
liturgie, et accessible à tous les fidèles qui le désirent, sans conditions géographiques
ou autres. Déjà à Saint-Éloi, depuis le dimanche 10 septembre, l’assistance aux
messes le dimanche et en semaine a augmenté d’un coup d’une proportion de 25% à
30 %, venue de toutes parts. Certains retrouvent la pratique après des années.
De nombreux jeunes viennent prier. Il n’y a là pas l’ombre d’un
« communautarisme », mais au contraire un encouragement missionnaire.
Le ghetto commence lorsque, par crainte, on conçoit sa propre mise à l’écart
comme un confort et un bien. C’est une attitude que Mgr Lefebvre lui-même n’a
jamais partagée.
Serez-vous
amenés à concélébrer dans le nouveau rite ?
Non. D’une
part, nos statuts qui ont reçu l’approbation du Saint Père ne nous permettent
de célébrer que le rite traditionnel. D’autre part, selon le Droit canon, nul
ne peut obliger un prêtre à la concélébration qui reste entièrement libre.
Cette liberté de ne pas concélébrer devrait-elle subir des contraintes ?
Ne doit-elle pas être respectée dans l’Église ? La communion inclut cette
liberté et ne peut la détruire.
Quel
est l’enjeu pour l’avenir d’un « rite propre » traditionnel ?
Selon ce qu’a
voulu le pape, « rite propre » veut dire qu’il ne s’agit plus d’un
« indult », d’une concession ou d’un passe-droit, soumis aux clauses
restrictives du Motu proprio Ecclesia Dei
de 1988, mais un plein droit de célébrer le rite traditionnel, sans conditions.
C’est la première fois depuis sa suppression en 1971 que la messe de St Pie V
(qui remonte en réalité à St Grégoire le Grand, pape du VIe siècle),
fait l’objet d’une vraie reconnaissance dans le droit romain. Cette ouverture
est majeure. L’interdit sur la messe grégorienne est levé en son principe.
L’élargissement de ce droit pour d’autres prêtres suivra certainement. Pour
l’heure, de vraies paroisses de « rite propre », comme Saint-Éloi,
pourront s’ouvrir en France et rayonner par la beauté de la liturgie antique de
manière ordinaire. C’est un pas
considérable vers une communion plus ouverte à ses propres racines et à sa
Tradition.
Avez-vous
dû demander pardon ou signer des concessions ?
Nous
avons négocié à Rome et tenu des conversations pastorales et doctrinales, dans
un climat de confiance réciproque et non de repentance. J’ai envoyé au Saint
Siège plusieurs exemplaires du livre Non-lieu
sur un schisme, publié en novembre 2005, comme préalable informel à nos
conversations, et ce livre a été lu et bien accueilli, non seulement dans sa
partie juridique, mais théologique. Aucune rétractation ne m’a été demandée, ni
à mes confrères sur leurs propres écrits. Ce qui montre que notre accord n’est
pas d’abord un accord pratique, mais une entente sur le fond qui laisse une
grande marge de discussion doctrinale.
N’êtes-vous
pas liés au Motu proprio Ecclesia
Dei ?
Il
ne faut évidemment pas confondre la Commission pontificale Ecclesia Dei, cadre juridique de notre Institut, avec le Motu proprio du même nom qui fut un
texte de condamnation et d’exclusion. Les choses ont évolué à Rome depuis ce
document du 2 juillet 1988, qui offrait une concession à la messe
traditionnelle, mais cette offre restait soumise à conditions :
l’acceptation sans débat possible des formes postconciliaires du magistère, au
nom de la tradition renommée « vivante ». Ces conditions restaient
logiquement liées à la sentence d’excommunication et à l’accusation de schisme,
dont le livre Non-lieu sur un schisme,
présenté à Rome, démontre l’injustice et la fausseté. Ce n’est donc pas sur la
base du Motu proprio que nous avons
négocié, mais sur la base des principes (tels que défendus dans ce livre). Pour
le Bon Pasteur, les conditions de 1988 ne s’appliquent plus : nous
célébrons la messe traditionnelle de plein droit.
Qu’en
est-il alors de votre engagement par rapport à Vatican II ?
Il
est indéniable que Vatican II pose à l’Église les questions essentielles de la
modernité : la conscience, la liberté religieuse, la vérité, la raison et
la foi, l’unité naturelle ou surnaturelle du genre humain, la violence et le
dialogue avec les cultures, etc. Mais le
Concile date de 1965 et il n’est plus aujourd’hui un discours clôt. Nous le
reconnaissons pour ce qu’il est : un concile œcuménique relevant du
magistère authentique, mais non infaillible en tout point et, en raison même de
ses nouveautés, en butte à certaines difficultés dans sa continuité avec
l’Évangile et la Tradition. Face au faux « esprit du Concile » qu’il
a nommément mis en question le 22 décembre 2005 devant la Curie comme une cause
de « rupture » dans l’Église, Benoît XVI affirme qu’il entend
soumettre Vatican II à une relecture pour en donner une interprétation
authentique, encore à venir. Dans cette perspective, nous sommes invités à
mener de façon constructive, à notre modeste niveau, un travail critique. Le
débat fondamental qui est latent depuis quarante ans va pouvoir s’ouvrir au
sein de l’Église, sans esprit de système, sur les points majeurs de
discontinuité posés par le Concile et qui troublent la foi.
Le
Bon Pasteur est une Société de vie apostolique de droit pontifical Quelle
différence avec une prélature personnelle ou une administration
apostolique ? De quel évêque dépendrez-vous ?
Le
Bon pasteur est plus indépendant qu’une prélature personnelle, laquelle
demanderait l’accord de l’évêque du lieu pour l’implantation de toutes ses
maisons. Une société de vie apostolique – tout comme une administration
apostolique – a besoin de l’accord de l’évêque et dépend de lui quant à la
mission auprès des fidèles, dès qu’il s’agit de recevoir la charge d’une
paroisse. En revanche, s’il s’agit d’ouvrir pour ses membres une école, un
séminaire, un centre culturel ou une chapelle privée, le Bon Pasteur ne
dépendra pas de la juridiction de l’évêque du lieu. Il ne dépend que du Saint
Siège pour la juridiction sur ses membres et peut choisir l’évêque qu’il veut
pour les ordinations. Les autres ministères possibles (aumônerie, service des
malades, etc.) devront se faire dans une concertation harmonieuse avec les
évêques et le clergé diocésain, à laquelle le Droit canon invite – et oblige –
les uns et les autres
Cette
naissance du Bon pasteur augure-t-elle un changement dans le paysage catholique français ?
Il y a dans
les faits, sinon dans les esprits, une amorce de changement considérable, tant
il est vrai que le début est déjà la moitié de la chose. Les évêques se sont
engagés à Lourdes en avril 2006, à accueillir les traditionalistes. La
fondation du Bon Pasteur est un signe d’espoir qui modifie le sort
difficile que leur réservait jusque là une partie des responsables
français : aujourd’hui, l’accord de principe donné par le cardinal Ricard,
président des évêques de France, pour accueillir le siège du Bon Pasteur à
Saint-Éloi en son diocèse de Bordeaux, même s’il rencontre ça et là
l’incompréhension, marque un tournant au bénéfice de la réconciliation et de la
concertation entre frères de l’Église catholique, la cohabitation à des étages
différents, comme l’a exprimé le cardinal Ricard, demandera aux uns et aux
autres souplesse, respect mutuel et charité ; « Il y a plusieurs
demeures dans la maison du Père. »
Abbé
Christophe Héry
Propos
recueillis par Mascaret