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 Un regard sur l’actualité politique et religieuse

 

au 12 septembre  2004

N°8

par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

Numéro spécial

 

L’Eglise et la trilogie révolutionnaire

 

Liberté Egalité Fraternité.

 

 

On sait que le Cardinal Ratzinger voit dans la déclaration conciliaire «  sur  l’Eglise dans le monde  de ce temps», appelée« Gaudium et Spes »,  le texte majeur du Concile Vatican II. et comme son testament.  Il l’a écrit dans son livre « Les Principes de la Théologie Catholique ».  A la fin de son ouvrage, dans son Epilogue intitulé : « situation de l’Eglise et de la théologie catholique » et dans ses ultimes remarques  sous le titre : « l’Eglise et le monde », il écrit :

 

« Dans tous les textes de IIe Concile du Vatican, la constitution pastorale « sur l’Eglise dans le monde de ce temps » (Gaudium et Spres) a été incontestablement le plus difficile et aussi, à côté de la constitution sur la liturgie et du décret sur l’œcuménisme, le plus riche en conséquences. Par sa forme et la direction de ses déclarations, il s’écarte dans une large mesure de la ligne de l’histoire des conciles et permet, par le fait même, plus que tous les autres textes, de percevoir la physionomie spéciale du dernier Concile. C’est pourquoi il a été considéré de plus en plus après le Concile comme le véritable testament de celui-ci : après un processus de fermentation de trois années, il semble que sa véritable volonté soit enfin apparue et ait trouvé sa forme. L’incertitude qui pèse encore sur la question de la vraie signification de Vatican II est en rapport avec des diagnostics de ce genre et donc aussi en rapport avec ce document. » ( p 423)

 

Cette déclaration est de la plus haute importance.

 

Elle est faite par un vrai connaisseur de Concile. On connaît en effet son rôle au deuxième Concile du Vatican : à l’âge de 35 ans, il était déjà Conseiller en théologie du Cardinal Frings de Cologne et juste avant la fin de la première session de ce Concile, il en devenait le théologien officiel. Le Cardinal Ratzinger parle ainsi vraiment en connaisseur.

 

Quel est alors pour lui le « formel » de ce document conciliaire : « Gaudium et Spes » ?

 

Il le dit clairement quelques pages plus loin, dans son livre. Pour lui, ce texte est un véritable « contre-syllabus ».

 

« Si l’on cherche un diagnostic global du texte, on  pourrait dire qu’il est (en liaison avec les textes sur la liberté religieuse et sur les religions du monde) une révision du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-syllabus. Harnack, on le sait, a interprété le Syllabus de Pie IX tout simplement comme un défi à son siècle ; ce qu’il y a de vrai, c’est qu’il a tracé une ligne de séparation devant les forces déterminantes du XIX e siècle : les conceptions scientifiques et politiques du libéralisme. Dans la controverse moderniste, cette double frontière a été encore une fois renforcée et fortifiée

Depuis lors, sans doute, bien des choses s’étaient modifiées. La nouvelle politique ecclésiastique de Pie XI avait instauré une certaine ouverture à l’égard de la conception libérale de l’Etat. L’exégèse et l’histoire de l’Eglise, dans un combat silencieux mais persévérant, avaient adopté de plus en plus les postulats de la science libérale, et d’un autre côté le libéralisme s’était vu dans la nécessité, au cours des grands retournements politiques du XX e siècle, d’accepter des corrections notables.

 

C’est pourquoi, d’abord en Europe centrale, l’attachement unilatéral, conditionné par la situation, aux positions prises par l’Eglise à l’initiative de Pie  IX et Pie X contre la nouvelle période de l’histoire ouverte par la révolution française, avait été dans une large mesure corrigé « via facti » ; mais une détermination fondamentale nouvelle des rapports avec le monde tel qu’il se présentait depuis 1789 manquait encore.

….

 

Contentons-nous ici de constater que le texte( conciliaire) joue le rôle d’un contre-syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation officielle de l’Eglise avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789. D’un côté, cette vue seule éclaire le complexe de ghetto dont nous avons parlé au début ; et d’un autre côté, elle seule permet de comprendre le sens de cet étrange vis-à-vis de l’Eglise et du monde : par « monde » on entend, au fond, l’esprit des temps modernes, en face duquel la conscience de groupe dans l’Eglise se ressentait comme u n sujet séparé qui, après une guerre tantôt chaude et tantôt froide, recherchait le dialogue et la coopération ». (pp. 423-427) 

 

Si j’en crois le cardinal, il est clair que le Concile Vatican II, avec son texte « Gaudium et Spes » a fait  le choix pastoral d’entrer, enfin en « dialogue », plus même, en « coopération » avec le « monde » moderne, c’est-à-dire avec « l’esprit des temps modernes ». Ce texte « Gaudium et Spes » exprime même plus qu’un dialogue, plus qu’une coopération. Il s’agit franchement d’une « réconciliation officielle de l’Eglise avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789 ».

 

Ce texte exprime donc plus qu’une orientation pastorale, il exprime une position « philosophique », « théologique » absolument nouvelle de l’Eglise face à la Révolution et à sa philosophie. Le Cardinal parle bien, n’est ce pas d’une : « une réconciliation officielle de l’Eglise avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789 », d’une « coopération » avec « l’esprit des temps modernes ».

 

Mais jusqu’où peut aller, jusqu’où va, jusqu’où a été cette « réconciliation » ?

 

Le philosophe Jean Viguerie affirmera que cette « réconciliation » a été jusqu’à l’ « adhésion », à tel point que le Vatican lui-même en vient étonnement à soutenir  « l’idéologie révolutionnaire », « les droits de l’homme ». Il le dit clairement dans son entretien avec  Jérôme Bourbon dans  Rivarol du début du mois d’Août :

 

 « Au reste, on le voit nettement aujourd’hui, dit-il,  il suffit d’adhérer aux droits de l’homme pour être Français. De même il suffit qu’un pays adhère à cette philosophie matérialiste de l’homme et du monde pour pouvoir entrer dans l’Union européenne, même si ce pays n’a rien d’européen comme c’est notoirement la cas de la Turquie. A vrai dire, il n’est même plus nécessaire de faire cette profession de foi religieuse puisque l’on sait aujourd’hui que le  monde et l’idéologie (cette idéologie révolutionnaire) se confondent. Tous les pays, et pas seulement ceux membres de l’ONU, professent actuellement cette idéologie des droits de l’homme, y compris le Vatican. »

 

Et  Mgr Ricard nous en apporte la preuve puisqu’il a écrit, le 30 janvier 2004, en plein page du Figaro, alors que le «  Laïcisme » faisait, à l’occasion du problème islamique, une nouvelle percée « législative » en France:

 

« Toutes les composantes religieuses doivent avoir droit de cité, publiquement, (j’imagine au titre de la liberté religieuse…garantie bien sur par l’Etat…Passons !)  à condition de savoir aussi donner leur place aux autres et de ne pas se mettre en contradiction avec les grands principes de la République ».

 

Jean Madiran, dans Présent du 21 août, fait ce  cinglant commentaire : « Relisons, dit-il. La condition pour qu’une religion ait droit à l’existence dans la République française : ne pas se mettre en contradiction avec les grands principes de la République ! On croit rêver. Ces « grands principes » …ce sont les « droits de l’homme », et parmi eux, le « droit à l’avortement »….Demain peut-être, parmi ces « grands principes », on verra figurer le droit à l’euthanasie, le mariage homosexuel, et Dieu sait quoi encore !…

Plus fondamentalement, quelles que soient les suites de l’évolution fantaisiste et illimitée de ces « grands principes de la République », le droit de cité de l’Eglise catholique ne peut dépendre de sa conformité à une loi politique, fut-ce une loi constitutionnelle.
 

 

On voit jusqu’où peut aller « la réconciliation officielle de l’Eglise avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789 ». La réconciliation est totale.

 

Combien est juste alors la remarque de Jean Madiran commentant toujours de texte de Mgr Ricard :

 

« Et ce fut un jour sombre, annonciateur de grands malheurs, ce jour du 30 janvier 2004 où le président de l’épiscopat français situa la légitimité de l’Eglise ailleurs que dans sa mission divine. »

 

On voit combien le Concile Vatican II,  son texte « Gaudium et Spes » porte des fruits….

 

Ainsi  si on nous demande : où et en quoi nous nous opposons à l’évolution conciliaire ?

 

Nous  répondons simplement et, avec la grâce de Dieu, indéfectiblement, nous répondons que   nous nous opposons à cette évolution de la pensé et de la pratique de l’Eglise voulant se « réconcilier à ce monde moderne tel qu’il est devenu depuis 1789 ».  Pour nous c’est un point de doctrine capital. Et cette position a des conséquences capitales,  ne serait-ce qu’au niveau du Droit Public de l’Eglise.

 

En effet,  la Révolution et sa philosophie est absolument opposée à la philosophie chrétienne

 

Mais comment justifiez-vous cette opposition ?

 

Nous pourrions alléguer mille raisons, mille autorités tant dans le monde laïc que ecclésiastique. Nous pourrions alléguer toutes les oeuvres de Mgr Lefebvre, par exemple ses nombreuses conférences et  plus particulièrement son livre : « Ils l’on découronné » publié aux éditions « Fideliter ».

Nous pourrions vous renvoyer à la petite étude très bien faites du RP Philippes que nous publions actuellement sur notre site dans la rubrique : « Doctrine Politique » sous le titre « Droit public de l’Eglise ». Je vous invite très vivement à lire cette petite étude et à l’analyser.


Et encore à mille autres références.

 

Mais aujourd’hui, dans ce numéro spécial,  nous invoquerons seulement la pensée de Monsieur l’abbé Meinvielle. Ce théologien argentin écrivit un livre fameux « De Lamennais à Maritain ». Ce livre traduit de l’espagnol, fut diffusé par la « Cité Catholique » dans sa revue « Verbe » en ses  numéros 61 à 77, puis publié en livre. C’est cette traduction que je vous donne ici.

 

En effet dans la cinquième partie de ce livre, « sa conclusion », le Père Meinvielle étudie le processus d’infiltration des idées de la Révolutions Maçonnique, la « Trilogie : Liberté, Egalité, Fraternité », dans la société chrétienne. Il constate que la Révolution applique sur le plan politico-social, le programme même de l’Eglise, mais en le naturalisant, d’où sa  complète perversion.

 

Voilà ce que je vous propose dans les colonnes  suivantes. L’exposé du Père Meinvielle sur  :

 

 

 

 

La Révolution applique sur le plan politico-sacial le programme même de l’Eglise

 

 

Confondant d'une manière perverse la nature et la grâce...

 

I° concile du Vatican, Constitution Unigenitus.

 

 

Selon l’enseignement constant des textes les plus explicites du haut Magistère, au cours des deux derniers siècles, il apparaît clairement que la cité de la Révolution est l’œuvre de la maçonnerie, qui organise et dirige, dans les temps modernes, la lutte séculaire commencée, au Calvaire, contre le Christ et son Église : lutte hypocrite qui, au nom de l'idéal « chrétien » de l'Évangile, veut appliquer, sur le plan politico-social, sans l’Église, le programme même de l’Eglise, qui doit se réaliser sur le plan surnaturel et, de là, vivifier le temporel. Pour donner une idée de la nature et de l’ampleur de cette lutte, considérons les quatre notions éminemment chrétiennes de liberté, égalité, fraternité et progrès, dont se nourrit la Révolution.

 

 

 

Notions chrétiennes de liberté, égalité, fraternité, progrès.

 

 

w La liberté.

 

Saint Paul, prêchant aux Galates, dit : « Car vous, frères, vous êtes appelés à un état de liberté » (5,13). Quel est cet état de liberté que prêche l’Apôtre ? Saint Thomas enseigne que cet état de liberté dont parle l'Apôtre est l’état de la foi chrétienne, qui est liberté même, dont les Juifs voulaient détourner les convertis pour les ramener à la servitude des rites judaïques. « Car vous n’avez pas reçu un esprit de servitude, leur dit encore le même Apôtre (Rm 8, 15), pour agir encore sous la crainte comme l’esclave, mais vous avez reçu l’esprit d’adoption des enfants en qui nous crions avec confiance : Abba, c’est-à-dire : mon Père. » [In omnes sancti Pauli epistolas commentaria.]

Ces paroles avaient-elles dans la bouche de l'Apôtre un sens politique, et incitaient-elles les esclaves et les peuples à l’émancipation ? Nullement. Aussi, le même Apôtre écrit-il dans l’Épître à son disciple, l’évêque Tite (2, 9) : « Exhorte les esclaves à l’obéissance envers leurs maîtres, à leur faire plaisir en tout, à ne pas répondre, à ne leur déplaire en rien, mais à montrer en toutes choses une loyauté parfaite afin que leur conduite fasse respecter dans le monde entier la doctrine de Dieu. notre Seigneur. » Le sens spirituel de la prédication de saint Paul resplendit dans le fameux texte de la 2° Épître aux Corinthiens (3, 17), où il écrit « Car le Seigneur est Esprit ; et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. »

L’enseignement de l’Apôtre n’a-t-il donc aucune portée sociale ou politique ? Directement, aucune. Indirectement, une très grande : car, en tant qu’il exhortait tous les hommes, libres et esclaves, dirigeants et sujets, à accomplir toute la loi naturelle et à pratiquer la charité surnaturelle, il tendait à supprimer les injustices, à consolider les droits et les légitimes différences, naturelles et historiques, qui existent entre les hommes et, par-dessus ces dernières, à resserrer les liens d’union dans la charité par amour de Dieu.

Le mot liberté bien compris, renferme toute la civilisation chrétienne.

 

w L'égalité.

 

 Dans son Épître aux Galates, saint Paul enseigne : « Il n’y a plus de distinction entre le Juif et le Grec, entre l’esclave et l’homme libre, entre l’homme et la femme ; tout devient UN dans le Christ Jésus. »

Saint Thomas, commentant ce passage de l'Apôtre, écrit : « Car rien ne peut empêcher les hommes de recevoir la foi du Christ et le baptême. Et prenant comme exemple trois catégories d’hommes. il montre, par elles, qu’aucun d’eux n’est exclu de la foi du Christ. Différence de rite : il n’y a plus ni Juif ni Grec ; différence de condition : il n’y a ni esclave ni homme libre ; différence de nature : il n’y a ni homme ni femme. »

De ces paroles de l'Apôtre, s’ensuit-il que les différences de droit naturel ou historique, entre Juif et Grec, entre esclave et homme libre, entre homme et femme, doivent disparaître ? Nullement. Et c’est pourquoi l’Apôtre rappelle aux époux et aux épouses (Eph 5, 22-23), aux fils et aux pères (Eph 6, 1-4), aux serviteurs et aux maîtres (Eph 6, 5-9), leurs devoirs respectifs.

Mais, en établissant l’égalité, sur le plan surnaturel de l’Église. entre Grecs et Juifs, hommes libres et esclaves. hommes et femmes. indirectement et comme par surcroît, les bienfaits descendent sur le plan naturel, non, certes, par la suppression des différences nécessaires et justifiées (ce qui serait ruine et non salut), mais par l’élimination des injustices et par l’affermissement des différences naturelles et historiques bienfaisantes – c’est pourquoi l’Eglise a gardé l’ordre juridique romain et la science grecque - et, par-dessus ces différences, l’union surnaturelle des intelligences et des cœurs.

En sorte que les chrétiens, l’un juif et l’autre gentil, l’un libre et l’autre esclave, l’un homme et l’autre femme. différenciés selon des caractères naturels, sans briser ni diminuer ces différences, c’est-à-dire sans cesser d’être l’un juif et l’autre grec, l’un libre et l’autre esclave, l’un homme et l’autre femme, doivent reconnaître l’importance première et fondamentale de cette vérité surnaturelle d’être des chrétiens et de s’aimer comme une seule chose dans le Christ, en accomplissant chacun les devoirs de sa condition et de son état. Alors, l’ordre naturel, loin d’être affaibli par la vérité surnaturelle, se fortifie et la vérité surnaturelle, gardant la primauté sur le naturel, crée une union plus haute et plus excellente entre les hommes qui s’embrassent et s’aiment en Jésus-Christ. Remarquons-le bien : en agissant ainsi, on ne « confond pas, d’une manière perverse, la nature et la grâce » [Conc. Vatic. I]. Les droits de chaque ordre sont affermis dans leur sphère propre, parfaitement distincts, sans séparation et, en même temps, intrinsèquement subordonnés, de même que le naturel est subordonné au surnaturel.

 

L'égalité chrétienne, bien comprise, c’est toute la civilisation chrétienne.

 

w La fraternité.

 

Saint Paul. dans son Épître aux Romains (12, 10), écrit : « Ayez le mal en horreur ; attachez-vous fortement au bien ; aimez-vous les uns les autres avec tendresse et charité fraternelle, en vous prévenant d’honneur les uns les autres. » Commentant ce passage, saint Thomas écrit : « Aimons par charité non seulement nos frères, mais la charité elle-même par laquelle nous les aimons et en sommes aimés. Car, si nous aimons la charité elle-même, nous ne la briserons pas facilement, afin que la charité de la fraternité demeure en vous (Heb 13, 1). » Cette fraternité des chrétiens doit se traduire, sur le plan surnaturel, par l’amour des uns envers les autres, par une sorte d’égalisation des biens surnaturels : affection, prières, dans le Christ et par le Christ. Doit-elle se traduire aussi sur le plan politico-social par une égalisation des biens civiques - tous les hommes égaux -. des biens économiques - tous les hommes également propriétaires ou tous également dépouillés de toute propriété-, par une suppression universelle de frontières, de différences sociales, de sexes et de conditions ? En aucune façon. Car, s’il en était ainsi, l’ordre de la grâce détruirait l’ordre de la nature, ce qui est contraire à tout l’enseignement de l’Église, résumé dans le célèbre axiome théologique : « La grâce ne détruit pas la nature. » Mais il est clair que l’amour de nos frères en Dieu doit nous porter à les aider dans leurs besoins spirituels et temporels, selon cette parole de saint Jean : « Celui qui possède le bien de ce monde et qui, voyant son frère dans le besoin, lui ferme son cœur, comment l’amour de Dieu peut-il résider en lui ? »

La « fraternité » chrétienne n’est donc que la charité surnaturelle - qui a pour objet formel l’amour surnaturel de Dieu - et un mouvement vers Dieu, sans supprimer les différences et les hiérarchies naturelles, car les choses de Dieu ordinatae sunt, sont ordonnées (Rom 13, 1). Elle élève et unit les âmes sur le plan surnaturel.

 

 

La fraternité chrétienne, bien comprise, contient toute la civilisation chrétienne.

 

 

 

 

 

w Le progrès.

 

 

Dans l’Épître aux Galates, l’apôtre saint Paul écrit : « Ainsi quand nous étions enfants, nous étions assujettis comme des esclaves..., soumis à des tuteurs et à des curateurs... ; et ainsi aucun d’entre vous n’est plus esclave, mais fils » (Gal 4. 1-7).

 

L’Apôtre enseigne que le peuple juif accomplissait les commandements de la loi par crainte des peines et avec l’espoir de biens temporels ; mais, par la venue du Christ, nous avons été appelés à un état de maturité spirituelle où règne, non plus la loi de la crainte, mais le commandement de l’amour. L’Apôtre enseigne aussi, dans son Épître aux Éphésiens, que Jésus-Christ est monté aux cieux « afin de tout remplir : c’est lui aussi qui a fait les uns apôtres, d’autres prophètes, d’autres évangélistes, d’autres pasteurs et docteurs, en vue du perfectionnement des saints, pour l’œuvre du ministère, pour l’édification du corps du Christ, jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’unité de la joie et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’homme fait, à la mesure de la stature parfaite du Christ en nous » (Eph 4, 10-13).

 

L’Apôtre parle ici de la perfection que doit atteindre le Corps mystique du Christ, c’est-à-dire l’Eglise, en conformité avec la plénitude de l’âge du Corps mystique.

 

Cette idée de « progrès » a-t-elle, comme le prétendait Lamennais, un sens politico-social applicable aux peuples chrétiens qui sortent de l’enfance pour entrer dans leur maturité ? Directement, non. Mais indirectement, oui ! Car si les peuples se soumettent à la grâce surnaturelle de la Sainte Église, ils progressent dans leur vie vraiment humaine qui est la vie intérieure et, par ce progrès, ils élèvent vers Dieu toutes les autres manifestations de la vie, liées entre elles organiquement en une unité parfaite, ce qui entraîne un progrès authentique du savoir et de l’activité culturelle, politique et économique. Et ainsi s’accomplissent les paroles de Léon XIII dans Immortale Dei : « œuvre immortelle du Dieu de miséricorde, l’Église, bien qu’en soi et de sa nature, elle ait pour but le salut des âmes et la félicité éternelle, est cependant, dans la sphère même des choses humaines, la source de tant et de tels avantages qu’elle n’en pourrait procurer de plus nombreux et de plus grands, lors même qu’elle eût été fondée surtout et directement en vue d’assurer la félicité de cette vie. Partout, en effet, où l'Église a pénétré, elle a immédiatement changé la face des choses et imprégné les mœurs publiques non seulement de vertus inconnues jusqu’alors, mais encore d’une civilisation toute nouvelle. Tous les peuples qui l’ont accueillie se sont distingués par la douceur, l’équité et la gloire des entreprises. »

 

 

 

Traduction directe de ces idées sur le plan naturel

 

 

 

Qu’arriverait-il si quelqu'un appliquait directement sur le plan naturel - à la vie terrestre, au domaine politico-social - les vérités surnaturelles de liberté, d’égalité, de fraternité et de progrès, prêchées par l’apôtre saint Paul ?

 

w La liberté,

 

qui, en soi, signifie indépendance et affranchissement, fortifierait la conscience de chaque homme individuel, lui ferait prendre conscience de la dignité et de l’indépendance - prise de conscience - de droits nouveaux, liés à cette nouvelle prise de conscience, et, par conséquent, briserait toute sujétion d’homme à homme, indigne et contraire à la dignité de la personne humaine. Et, si chaque homme individuel n’adoptait pas une position d’absolue indépendance face à tout être distinct de lui même, comme le prétend l’orgueil kantien qui a envahi la pensée et la vie modernes, il adopterait au moins une indépendance relative face à l’autorité publique qui ne serait reconnue et tolérée que dans la mesure où elle émanerait de lui-même et serait consentie par lui. C’est sur cette seconde position que s’appuie la doctrine de Lamennais, de Marc Sangnier et de Maritain. C’est contre l’erreur d’une pareille doctrine qui affecte des principes strictement dogmatiques que Léon XIII a lancé tout spécialement son encyclique Quod Apostolici numeris dans laquelle il rappelle les vérités suivantes :

« Ainsi, l’Église inculque constamment à la multitude des sujets ce précepte apostolique : Il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été établies par Dieu. C’est pourquoi. qui résiste à la puissance résiste à l’ordre de Dieu. Or, ceux qui résistent attirent sur eux-mêmes la condamnation. Ce précepte ordonne encore d’être nécessairement soumis, non seulement par crainte de la colère mais encore par conscience, et de rendre à tous ce qui leur est dû, à qui le tribut, le tribut ; à qui l’impôt, l’impôt ; à qui la crainte, la crainte ; à qui l’honneur, l’honneur (Rom 13. 1-7). Car celui qui a créé et qui gouverne toutes choses les a disposées, dans sa prévoyante sagesse, de manière que les inférieures atteignent leur fin par les moyennes et celles-ci par les supérieures. »

 

Le mot liberté, mal compris, renferme toute la civilisation anti-Chrétienne.

 

 

w L’égalité,

 

qui, en soi, exclut les différences et les échelons, considérée directement sur le plan politico-social, supprimerait la distinction de nationalités - il n'y a pas de distinction entre le Juif et le Grec -. la distinction des classes sociales - il n’y a pas de distinction entre l’homme libre et l’esclave -, la distinction de sexes - il n’y a pas de distinction entre l’homme et la femme. Et, dans une destruction absolue et universelle des servitudes, des différences et des hiérarchies, tous les hommes, sans distinction de nationalité, d’état. de condition et de sexe, auraient les mêmes droits et libertés, personnels, économiques et politiques. L’univers deviendrait un immense marché où seraient supprimées les différences de cultures, de races. de traditions nationales (vivaces et non folkloriques), les différences de classes sociales comme valeurs permanentes répondant à diverses fonctions essentielles : le savoir, le pouvoir, l’argent et le travail ; il n’y aurait qu’une cité universelle unique, une religion universelle unique, celle d’occuper le plus joyeusement et le plus tranquillement possible le temps de notre inévitable passage sur la terre. Telle est la cité rêvée par Lamennais, Marc Sangnier et Maritain.

Mais cette cité égalitaire serait la négation radicale du fait que le bien de l’homme n’est pas constitué par un bien homogène, travail. plaisir, argent. mais par un bien hétérogène, le travail-argent au service de la vertu, la politique, et la politique au service de la science - la culture- et le tout, économie, politique et culture, au service de la divine contemplation : la Religion. Cette cité égalitaire s'opposerait fondamentalement aux principes dogmatiques catholiques. Elle s’opposerait. D’un côté, à ceux qui enseignent la suprématie du droit divin de la sainte Religion qui doit être recherchée en toutes choses d’abord et avant tout, selon ces paroles du Seigneur : Cherchez d’abord le royaume et Dieu et sa justice (Matth 6, 33) ; en sorte que les institutions et les personnes qui incarnent ces valeurs ne peuvent être mises sur un pied d’égalité avec le reste de la cité. Celle-ci s’opposerait également aux principes qui enseignent la suprématie de la culture sur le pouvoir et du pouvoir sur les rapports économiques. Enfin, une cité égalitaire ne pourrait se réaliser pratiquement sans une profonde déchéance de toutes les personnes humaines qui la composent. Elles jouiraient, certes, de tous les droits théoriques à la perfection de la vie religieuse, de la vie culturelle, de la vie politique et de la vie économique ; mais dans la réalité concrète et parce qu’ils auraient été sacrifiés à l’égalitarisme, les organes et les véhicules propices à ces diverses perfections ne seraient plus que des particules homogènes, sans religion, sans culture, sans vertu, des pièces mécaniques d’un monstrueux et informe engrenage social. Une telle cité s’opposerait radicalement à ce qu’enseigne Léon XIII dans

Quod Apostolici muneris : « Ainsi que Dieu a voulu que, même dans le royaume céleste, les chœurs des anges fussent distincts et subordonnés les uns aux autres, ainsi encore qu’il a établi dans l’Église différents degrés d’ordres avec la diversité des fonctions, en sorte que tous ne fussent pas apôtres, ni tous docteurs, ni tous pasteurs (1 Cor 10), ainsi a-t-il constitué, dans la société civile, plusieurs ordres différents en dignité, en droits et en puissance, afin que l’État comme l’Église, formât un seul corps composé d’un grand nombre de membres, les uns plus nobles que les autres, mais tous nécessaires les uns aux autres et soucieux du bien commun. »

 

L’égalité, mal comprise. renferme tonte la civilisation antichrétienne

 

 

La fraternité

 

qui, en soi, implique l’amour réciproque des hommes par le seul fait qu’ils sont des hommes, si elle est portée directement sur le plan politico-social, comporte la communion et le don de soi d’homme à homme, sans distinction d'aucune sorte : intimité, concorde, camaraderie des hommes entre eux, sans tenir compte des différences religieuses ou des différences locales, régionales, nationales, culturelles, raciales. et des différences sociales dérivées elles-mêmes de différences de niveau politiques ou économiques. D’après cette conception, commune à Lamennais, Marc Sangnier et Maritain, l’univers serait une immense et grandiose cité où les hommes, par-dessus leur diversité dogmatique dans le domaine religieux et leurs indestructibles différenciations individuelles, s’étreindraient fraternellement en une communion dans l’Humanité.

Cette conception de la fraternité s’oppose radicalement aux principes dogmatiques de l’Église. L’Église accepte et prêche l’unité du genre humain, mais comme valeur soumise à un autre principe d’unité qui est celui que le Christ a apporté au monde, quand il a dit : « Je ne prie pas seulement pour ceux-ci, mais aussi pour ceux qui croient en Moi ; je prie pour qu’ils soient un comme nous sommes un. Je suis en eux, comme Toi, Père, Tu es toujours en Moi, afin qu’ils soient parfaitement un et que le monde connaisse que Tu M’as envoyé et que Tu les as aimés comme Tu M’as aimé » (Jean 17, 20-23). Les hommes doivent être aimés dans la mesure où ils nous conduisent à Dieu, au Christ et à son Église, et s’ils sont aimés de nous, ils le seront vraiment dans la mesure où nous les conduirons à Dieu, qui est Charité. L’amour, pour être authentique et non utopie ou funeste humanitarisme, doit être intrinsèquement ordonné au Dieu de Charité surnaturelle. La valeur suprême, l’institution à laquelle tout doit se rapporter n’est pas l’Humanité, mais l’Église. Et, comme là où il y a valeur suprême, principe de référence, tout se hiérarchise, l’ordre bien compris exige que les personnes humaines, affermies dans leurs droits naturels et historiques inaliénables [Cf. Pie XII, Message de Noël 1942.] se subordonnent au bien supérieur de la nation et que les nations, affermies dans leurs droits naturels et historiques inaliénables, se subordonnent au bien de la communauté internationale, et que toutes et chacune, personnes humaines, nations et communauté internationale, se subordonnent à la Sainte Église, société surnaturelle des hommes et des anges en communion avec Dieu.

 

La fraternité, mal comprise, renferme toute la civilisation antichrétienne.

 

 

w L’idée de progrès

 

 qui, en soi, dit accroissement, considérée sur le plan politico-social, mesurera cette ascension par l’accroissement de liberté, d’égalité et de fraternité. Et cet enseignement sublime de l’Apôtre, selon lequel l’enfant, pendant qu’il est enfant, vit sous la crainte servile de la loi et qui, lorsqu’il sort de l’enfance pour entrer dans la maturité, entre également dans la loi d'amour où la crainte disparaît, cet enseignement, disions-nous, porté directement sur le plan politico-social, réclamera des droits sociaux-politiques de l’âge majeur, c'est-à-dire d’autonomie et d’indépendance, qui ne correspondent pas à un état d'authentique perfectionnement réalisé dans les mœurs publiques, mais à un état d’orgueil et de rébellion qui réclame de prétendus droits sans conditions morales pour les exercer. Cette idée, elle aussi, est commune à Lamennais, Marc Sangnier et Maritain. D’après elle, au nom du « christianisme » du plus pur Évangile, la société universelle des hommes se convertirait en une cité fraternelle dont le progrès serait fonction de cette acquisition d’indépendance opérée par chaque homme dans l’œuvre de sa propre destinée, à ses risques et périls, sans qu’aucune autorité, du moins humaine, ait à intervenir dans ce mouvement progressif et ascendant de l’humanité.

Par ailleurs, comme, dans l’absolu, une société sans distinction ni hiérarchie n’est pas possible, la destruction de toutes les différences introduites par le droit naturel, mari et femme, gouvernants et sujets, parents et enfants, maîtres et serviteurs, ou par le droit historico-naturel, nationalité, race, culture, etc., tout ce processus d’élimination des hiérarchies et différences historico-naturelles en créerait nécessairement d’autres, antinaturelles et antihistoriques. La nouvelle cité universelle aurait des différences et des hiérarchies essentiellement différentes de celles de la société chrétienne. Et, si, dans la cité chrétienne traditionnelle, le prêtre était au sommet de la cité, puis venait le dirigeant, puis le bourgeois et enfin l’artisan-agriculteur, dans la nouvelle cité, le « travailleur », le Quatrième État, serait au-dessus de tous.

Dans la cité chrétienne, l’unité était maintenue parce que, au-dessus des différences et des hiérarchies naturelles et historiques du plan naturel, les hommes communiquaient entre eux, à l’intérieur même de leurs professions respectives, classes, nations, cultures et races, dans la communauté surnaturelle de l’Église, c’est-à-dire qu’ils se libéraient, s’égalisaient, fraternisaient et progressaient dans le Christ par un mouvement vers le haut, orienté vers l’ordre surnaturel et suspendu à lui. par un échange, d’abord et avant tout, de biens surnaturels. Dans la nouvelle cité fraternelle, au contraire, la libération, l’égalisation, la fraternisation et le progrès de l’homme s’établiraient par un mouvement vers le bas, dans une communication des biens naturels. Mais sur quoi se fonderait cette commune participation ? Sur une vertu ou sur une science communes ? Cela est impossible, car tous les hommes, laissés à leurs seules forces naturelles, ne peuvent atteindre ni la même vertu ni la même science. Elle devra donc être fondée sur ce qu’il y a de plus bas dans l’homme, sur une tendance vers une commune participation aux biens matériels. Or, ceci, c’est ni plus ni moins le communisme matérialiste. C’est l’aboutissement du libéralisme de Rousseau, du collectivisme de Marx, du calvinisme des Pilgrim Fathers, de la franc-maçonnerie et de la Révolution.

 

 

 Abbé Julio Meinvielle De Lamenais à Maritain, du mythe du progrès à l’utopie de la nouvelle chrétienté Nuestro Tiempo, Buenos Aires 1945, Nihil obstat & imprimi potest Trad. Hervé Le Lay 1956 Réed DMM 2001. pp. 279-288 (Conclusion)