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Un
regard sur le monde politique et
religieux
Au 13 avril
2005
N°38
Le Testament
Nous
allons parcourir la troisième partie du livre « Mémoire et identité »
que Jean-Paul II , qui a conduit l’Eglise jusqu’à l’orée du nouveau millénaire, nous a laissé en guise de
« testament spirituel et politique ». Elle comprend cinq chapitres
tous centrés sur l’idée de « patrie ».
Le 1er chapitre analyse le
« concept de patrie ».
Le second chapitre est consacré à la
notion de « patriotisme ».
Le troisième chapitre traite du
« concept de nation ».
Le quatrième a pour objet
« l’histoire »
Enfin le cinquième chapitre est relatif
au binôme : « Nation et culture ».
Mais
pourquoi donc aborder ces sujets aujourd’hui ? Ils ne sont plus
d’actualité.
Détrompez-vous.
Ils sont au cœur de la vie politique en
une période où le « mondialisme » et « l’apatridie »
menacent l’existence même des « patries ».
C’est
bien, du reste, dans ce contexte
historique mondialiste, en « ce
temps misérable de l’apatridie », comme l’écrit très justement Jean
Madiran dans Présent du 9 avril 2005, que le pape analyse ces concepts de
« patrie », de « patriotisme », de « nation »,
de « culture ».
C’est
bien dans cette « dialectique » européiste et mondialiste que le pape va nous livrer sa pensée comme un
testament.
C’est,
du reste, la
« problématique » de ces interlocuteurs. Ils l’écrivent clairement en
introduisant le sujet : « Actuellement, nous nous trouvons face à la
nécessité de définir le rapport de
Vous
le voyez les sujets sont très actuels. Ils sont de plus clairement définis,
l’objet bien précisé, ainsi que la « problématique ».
Quelle
est donc la pensée du Pape sur ces sujets ?
Nous
le citerons simplement .
Et
comme nous l’avons fait pour les chapitres précédents, nous accompagnerons sa
pensée de quelques commentaires pris chez
nos auteurs bien aimés, Charles Péguy et Charles Maurras.
Pour
le pape, la patrie se définit par la notion d’héritage, par un ensemble de
biens de tous ordres, matériels comme spirituels, biens qui sont
pour chacun comme un « héritage », un « patrimoine »
à conserver et à faire fructifier.
« L’expression
« patrie », dit le pape, se rattache au concept et à la réalité de
« père » (pater). En un sens, la patrie s’identifie au patrimoine,
c’est-à-dire à l’ensemble des biens que nous avons reçus de nos pères en
héritage. De manière significative, on utilise souvent, dans ce
contexte, l’expression « mère-patrie ». Par expérience personnelle,
nous savons tous dans quelle mesure la transmission du patrimoine spirituel se
réalise par les mères. La patrie est donc l’héritage et, en même temps, la situation patrimoniale
qui découle d’un tel héritage ; cela
concerne aussi la terre, le territoire. Mais plus encore, le concept de patrie implique
les valeurs et l’aspect spirituel qui composent la culture d’une nation
déterminée » (p. 76)
Cette
phrase du pape est extrêmement riche
Charles
Maurras, dans « Mes idées politiques » ne s’exprime pas autrement.
Il
écrit dans « retour aux choses vivantes : « naître dans une
patrie…c’est naître possesseur d’un capital immense et d’un privilège
sacré. C’est porter avec soi, en soi, un titre d’héritage »(
Mes idées politiques. p. 249). La patrie, c’est « ce trésor
territorial, intellectuel et moral…descendu à travers les siècles,
jusque à nous, c’est un bienfait
que tout citoyen et tout homme digne de ce nom doivent s’attacher à prolonger
et à perpétuer » (p. 249). Comme le pape, Maurras va dire que la patrie
c’est « la terre des pères ». ou encore, « c’est avant
tout un phénomène d’hérédité »… « Ainsi nous le suggère
le nom même de la patrie ; ainsi le crie plus haut encore le terme de
nation qui dit naissance ou ne dit rien » (p. 254)
« Terre »,
« territoire », « ensemble de biens »
« patrimoine », « héritage », « valeurs
spirituelles », voilà donc les réalités que recouvre la notion de patrie.
Ce patrimoine, cet héritage et territorial et spirituel, plus même spirituel
que territorial, méritent tous les
sacrifices…jusqu’à l’héroïsme de sa vie. Ce « patrimoine » à défendre
comme la vie, fut, du reste, pour
Mais
pour primordial que soit le « patrimoine spirituel » d’un peuple, son
aspect territorial est aussi important. Le pape y insiste en disant :
« A partir de là, on voit que, dans le concept même de patrie, se trouve
un lien profond entre l’aspect spirituel et l’aspect matériel, entre la
culture et le territoire. Le territoire retranché par la force à une nation
devient, en un sens, une imploration et même un cri adressé à
l’ « esprit » de la nation elle-même. L’esprit de la nation se
réveille, vit d’une vie nouvelle et lutte pour que les droits soient rendus à la
terre » (p. 78)
Et
ne voyez-vous pas la même pensée exprimée par Maurras dans ce passage fameux
qui aborde avec d’autres mots, le même problème : l’existence de la
patrie. « Certes, écrit
Maurras, il faut que la patrie se conduise justement. Mais ce n’est pas le
problème de sa conduite, de son mouvement,
de son action qui se pose quand il s’agit d’envisager ou de pratiquer le
patriotisme, c’est la question de son être même, c’est le problème de sa vie ou
de sa mort. Pour être juste ( ou injuste), il faut tout d’abord qu’elle soit.
…Vous remercierez et vous honorerez vos père et mère parce qu’ils sont vos père
et mère indépendamment de leur titre personnel à votre sympathie. Vous
respecterez et vous honorerez
Le
pape l’exprime clairement dans son chapitre 13 où on lui pose la
question : « Comment faut-il entendre la nation, cette entité idéale
à laquelle l’homme fait référence dans son sentiment patriotique ? ».
« Si
on examine attentivement les deux termes
- de patrie et de nation -, il
existe un lien étroit entre la signification de patrie et celle de
nation » (p.86). Il fait remarquer très heureusement que le mot
« nation » dérive de « génération », tout comme patrie de
« père ».
« Le
père est celui qui, avec la mère, donne la vie à un nouvel être humain. A cette
génération du père et de la mère se rattache, nous l’avons vu, le concept de
patrimoine, qui est sur l’arrière-plan du terme « patrie ». Le
patrimoine et avec lui la patrie sont donc, du point de vue conceptuel,
étroitement unis à l’acte de génération » (p. 86). Il en est de même pour
le concept « nation ». « Le terme « nation » a aussi,
du point de vue étymologique, un rapport avec le fait de naître ». (p. 86)
Le
terme de « nation » implique donc, pour le pape, une relation
nécessaire avec le territoire et la culture. Il ne peut se comprendre que dans
sa relation à une terre, à un patrimoine, à une culture. Elle ne relève en rien
d’un contrat entre personnes.
Le
pape est très clair sur cette idée : « La doctrine sociale
catholique, écrit-il, considère que tant la famille que la nation sont des sociétés
naturelles et ne sont pas le fruit d’une simple convention »
(p. 87). Et le pape de conclure : « C’est pourquoi, dans l’histoire
de l’humanité, elles ne peuvent être remplacées par rien d’autre. Par exemple,
on ne peut remplacer la nation par l’Etat, bien que la nation, de par sa nature, tende à se constituer en Etat,
comme le montre l’histoire de chaque nation européenne et l’histoire polonaise
elle-même » (p. 87)
Un
peu auparavant, il avait déjà écrit : « La doctrine sociale
catholique parle en ce cas (patrie et nation) de sociétés « naturelles »,
pour indiquer le lien particulier, de la famille ou de la nation, avec la
nature de l’homme, qui a une dimension sociale. Les voies fondamentales de
la formation de toute société passent par la famille : sur ce point, il ne
peut y avoir aucun doute Mais il semble qu’une observation analogue s’applique
aussi à la nation. »(p. 84)
Charles
Maurras enseigne la même vérité. Il écrit dans « Mes idées
politiques » : « Notre patrie
n’est pas née d’un contrat entre ses enfants, elle n’est pas le fait
d’un pacte consenti entre leurs volontés ». (p. 251). Il poursuit :
« On est tenté de la définir ( la patrie ou la nation) une association
d’intérêts ; mais si le mot d’intérêts porte un sens précieux, celui
d’association en détruit l’effet, car « s’associer » est un acte de
volonté personnelle, et ce n’est pas
notre volonté qui nous a faits Français (ou Polonais, dirait le pape). Nous
n’avons pas voulu notre nationalité, nous ne l’avons ni délibérée ni même
acceptée. Quelques transfuges la
quittent bien : ceux qui restent ne choisissent pas de rester. C’est un
état dont ils s’accommodent et dont mille fois contre une, ils ne songent même
pas à cesser de s’accommoder. Une association dure par l’acte continu de la
volonté personnelle, mais la patrie dure au contraire par une activité générale
supérieure en valeur, comme en date, à la volonté des personnes. La patrie
est une société naturelle, ou, ce qui revient absolument au même,
historique. Son caractère décisif est la naissance. On ne choisit pas plus
sa patrie - la terre des pères - que l’on ne choisit son père et sa mère. On
naît Français par le hasard de la naissance, comme on peut naître Montmorency
ou Bourbon. C’est avant tout un phénomène d’hérédité ». (p.252).
La
patrie, la nation, réalité naturelle !
Cette vérité confessée a, au moins,
une conséquence immédiate : il est impensable, pour le pape,
j’interprète, que la construction européenne puisse se réaliser au
détriment des nations qui y seront réunies. Le pape dira un peu plus loin dans
son livre : « Il semble toutefois que, comme la famille, la nation et
la patrie demeurent des réalités irremplaçables ». En ce sens que
« l’identité culturelle et historique des sociétés est sauvegardée, dit le
pape, et entretenue par ce qui est
inclus dans le concept de nation » ; (p. 84) Ainsi, pour le pape, la
patrie et la nation ne peuvent être sacrifiées pour aucune raison, pour aucune « affaire ».
Le pape dit cela face, précisément, au danger du XX siècle qui avance
« dans la direction de structures supranationales ou même du
cosmopolitisme ». (p. 84) Il faut y insister.
Charles
Maurras, lui aussi, soutenait cette même idée. Il écrivait dans « Mes
idées politiques » : « Subsumant tous les autres grands
intérêts communs et les tenant dans sa dépendance, il est parfaitement clair
que, en cas de conflit, tous ces intérêts doivent lui céder, par
définition : lui cédant, ils cèdent encore à ce qu’ils contiennent
eux-mêmes de plus général » (Mes idées politiques » p. 258)
Je
suis heureux de pouvoir établir ce parallélisme de la pensée de nos deux
auteurs.
Si
la patrie, la nation disent comme l’écrit le pape Jean-Paul II, « héritage »,
« patrimoine » « culture », « terre »,
« histoire », « culture », on comprend que l’une et l’autre
doivent être aimées. C’est ce que le pape appelle « la valeur moral »
de ces choses (p. 82) C’est le « patriotisme ». Chacun doit avoir à l’égard et de sa patrie
et de sa nation, grande « piété ».
C’est
la « patriotisme ». C’est, là, simple justice. Et ce sentiment
relève, nous dit le pape, du quatrième Commandement du Décalogue « qui
nous engage à honorer notre père et notre mère ». (p.82)
Qu’est-ce
à dire ? « Il s’agit de l’un
des sentiments que la langue latine désigne sous le terme « pietas »,
soulignant la valeur religieuse qui sous-tend le respect et la vénération dus à
nos parents. Nous devons vénérer nos parents, parce qu’ils représentent pour
nous Dieu Créateur. En nous donnant la
vie, ils participent au mystère de la création et ils méritent pour cela une
vénération qui renvoie à celle que nous attribuons à Dieu Créateur. Le
patriotisme comporte en lui-même cette
sorte d’attitude intérieure, du fait que
la patrie est aussi pour chacun, d’une manière particulièrement vraie, une
mère. Le patrimoine spirituel qui nous est transmis par notre patrie nous
parvient par notre père et notre mère, et il fonde en nous le devoir
correspondant de la « piété ». (p. 83) « un grand
devoir », dit le pape.
Maurras
nous donne même définition. Il distingue cependant mieux que ne fait le pape
entre le « patriotisme « et « le nationalisme ». Il
écrit : « le patriotisme s’est toujours dit de la piété envers
le sol national, la terre des ancêtres et par extension naturelle, le
territoire historique d’un peuple : la vertu qu’il désigne s’applique
surtout à la défense du territoire contre l’Etranger ». (Mes idées
politiques p. 264) Le « nationalisme » est le même sentiment de piété
mais « plutôt qu’à la terre des Pères, aux Pères eux-mêmes, à leur sang et
à leurs œuvres, à leur héritage moral et spirituel, plus encore que
matériel »(ib p. 264). « La nationalisme est la sauvegarde due à tous
ces trésors qui peuvent être menacés sans qu’une armée étrangère ait passé la
frontière, sans que le territoire soit physiquement envahi. Il défend la nation
contre l’Etranger de l’intérieur »(ib. p. 264).
L’honneur
que l’on doit porter à la patrie, à notre nation, ne doit pas, il est vrai,
devenir exclusive de toute autre. C’est un risque qu’il faut éviter. Et là, le
pape met en garde conte le « nationalisme ». Il fait allusion aux
« expériences extrêmement éloquentes » qu’a connues le XX siècle.(cf.
p. 84-85) Certes, mais il eut été bien ici que le pape distingue. Car il y a
« nationalisme et nationalisme ».
D- La patrie « charnelle » et la patrie « éternelle ».
Très
légitimement, Jean-Paul II aborde le problème des relations entre la patrie
« charnelle » ou « humaine » et la patrie
« éternelle ».
Nous
pourrions même parler du problème du
« patrimoine divin » et du
patrimoine « humain». Ces termes se trouvent tout à fait dans le
texte de Jean-Paul II. Il cherche même à établir leurs relations. Ce sujet,
vous l’imaginez, est capital. Il est au
principe de la chrétienté ; il est au principe de la fondation d’une
« Europe chrétienne » pour laquelle le pape et ses dicastères ont
tant agi ces dernières années.
« Puisque
nous sommes entrés dans l’analyse du
concept même de patrie, il est opportun de nous référer maintenant à
l’Evangile. Dans l’Evangile en effet, dans la bouche du Christ, apparaît
précisément le terme « Père » comme parole fondamentale. De fait,
« c’est l’appellation qu’il utilise le plus fréquemment » (p. 78) et
de multiplier les citations de l’Evangile : de Matthieu 11 27, de Luc 10
12, de Saint jean 5 20.. Pensons au « Notre Père qui êtes au
Cieux »…Il poursuit, en conséquence : « Les enseignements du
Christ contiennent en eux-mêmes les plus profonds éléments d’une vision
théologique de la patrie comme de la culture. En tant que Fils venu du Père
chez nous, le Christ s’est présenté à l’humanité avec un patrimoine spécial, un
héritage particulier. » (p. 78)
Quel
est ce patrimoine ?
Rien
d’autre que l’ « héritage céleste ». Et de citer saint Paul dans
sa lettre aux Galates : « Lorsque les temps furent accomplis, Dieu a
envoyé son Fils, il est né d’une femme… pour faire de nous des fils… Ainsi
tu n’es plus esclave mais fils, et comme fils, tu es héritier par la grâce de
Dieu ». (Gal 4 4-7)
Et là, je ne peux pas ne pas penser à ces
magnifiques passages de Péguy, dans son « Mystère des Saints
innocents » où il médite sur l’importance de la prière du Notre Père
enseigné par le Fils divin, dans la civilisation temporelle, terrestre, et des
« Je vous salue Marie »… Ces
deux prières qui comme « une flotte
visible » comme des « beaux vaisseaux de haut bord … s’avancent
comme des galères innocentes comme de virginales birèmes. Comme des vaisseaux
plats, qui ne blessent point l’humilité de la mer…Toute cette immense flotte de
prières et de pénitences m’attaquent, (dit Dieu) avec l’éperon que vous
savez…C’est une flotte de charge, classis onéraria. Et c’est une flotte
de ligne. Une flotte de combat. Comme une belle flotte antique, comme une
flotte de trirèmes qui s’avancerait à l’attaque du roi…Et moi que voulez-vous
que je fasse : je suis attaqué. Et dans cette flotte, dans cette
innombrable flotte, chaque pater est comme un vaisseau de haut bord, qui a lui-même son propre éperon, notre père
qui êtes au cieux »…(Péguy. Le Mystères des saints Innocents » Dans
Et
le pape a cette belle pensée, toute basée sur le mystère de l’Incarnation et du
« oui » de Notre Dame : cet « héritage du Père éternel
s’est transmis, en un sens très vrai, par le cœur de Marie et il s’est ainsi
enrichi de tout ce que l’extraordinaire génie féminin de
Dès lors « l’Evangile a donc conféré une
nouvelle signification au concept de patrie… ». « L’héritage dont
nous sommes redevables au Christ oriente vers
Dès
lors le patrimoine divin va façonner la patrie temporelle. Elle va lui donner
principes et forces, grâces et espérance. « Le Christ est venu dans le
monde pour confirmer les lois éternelles
de Dieu, du Créateur »
Dès
lors « d’une manière concomitante, il a donné naissance à une culture
tout à fait nouvelle » : « nouveau » le monde
crée…De cette manière, le patrimoine divin a revêtu la forme de la « culture
chrétienne ». Par son
mystère, « le Christ a en un sens « cultivé de nouveau » le
monde créé. Les hommes eux-mêmes sont devenus le « champ de Dieu »
comme l’écrit saint Paul (I Cor 3 9) (p. 80)
Et
c’est ainsi que s’explique l’existence et la signification « de ce
qu’on appelle les racines chrétiennes de la culture polonaise et, plus
généralement, celles de l’Europe. Lorsqu’on utilise une telle expression, on
pense normalement aux racines historiques
de la culture, et cela a une signification, car la culture a un
caractère historique. L’examen de ces racines
va donc de pair avec l’examen de notre histoire, y compris de notre
histoire politique. » (p. 81)
Vous
comprenez pourquoi le pape est si souvent revenu sur ce sujet de
« chrétienté » lors de l’élaboration de la « Constitution »
de l’Union Européenne. Et je ne suis pas sûr qu’il ait donné aussi vite
que les épiscopats européens, un
« placet » à cette constitution…Même sous cette seule considération.
Mais
nous aurons, je pense l’occasion d’y revenir la semaine prochaine en étudiant
la pensée du pape sur l’Europe.