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Un regard sur le monde  politique et religieux

Au 13 avril  2005

 

N°38

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

 

Le Testament

spirituel et politique

de Jean-Paul II

 

« Mémoire et identité »

« Quand je pense « Patrie »

 

 

 

Nous allons parcourir la troisième partie du livre « Mémoire et identité » que Jean-Paul II , qui a conduit l’Eglise jusqu’à l’orée du  nouveau millénaire, nous a laissé en guise de « testament spirituel et politique ». Elle comprend cinq chapitres tous centrés sur l’idée de « patrie ».

Le 1er chapitre analyse le « concept de patrie ».

Le second chapitre est consacré à la notion de « patriotisme ».

Le troisième chapitre traite du « concept de nation ».

Le quatrième a pour objet « l’histoire »

Enfin le cinquième chapitre est relatif au binôme : « Nation et culture ».

 

Mais pourquoi donc aborder ces sujets aujourd’hui ? Ils ne sont plus d’actualité.

 

Détrompez-vous. Ils sont au cœur de la vie politique en  une période où le « mondialisme » et « l’apatridie » menacent  l’existence même des  « patries ».

 

C’est bien, du reste,  dans ce contexte historique mondialiste, en  « ce temps misérable de l’apatridie », comme l’écrit très justement Jean Madiran dans Présent du 9 avril 2005, que le pape analyse ces concepts de « patrie », de « patriotisme », de « nation », de  « culture ».

 

C’est bien dans cette « dialectique » européiste et mondialiste  que le pape va nous livrer sa pensée comme un testament.

 

C’est, du reste,   la « problématique » de ces interlocuteurs. Ils l’écrivent clairement en introduisant le sujet : « Actuellement, nous nous trouvons face à la nécessité de définir le rapport de la Pologne avec l’Europe et avec le monde. Jusqu’à ces derniers temps, on  discutait sur le thème des conséquences  - des profits et des coûts  - de l’entrée dans l’Union européenne. On discutait en particulier du risque que la nation perde sa culture et l’Etat sa souveraineté. L’entrée de la Pologne dans une communauté plus grande impose de réfléchir sur les conséquences que cela pourrait avoir sur une attitude intérieure hautement appréciée au long de l’histoire  polonaise : le patriotisme. Soutenus par un tel sentiment, de nombreux Polonais se sont montrés disposés, au cours des siècles, à donner leur vie dans la lutte pour la liberté de leur patrie, et, de fait, beaucoup ont sacrifié leur vie. Selon vous, Très Saint-Père, que signifient les concepts de « patrie », « nation », « culture » ? Quel est le rapport entre ces concepts ? »(p. 75)

 

Vous le voyez les sujets sont très actuels. Ils sont de plus clairement définis, l’objet bien précisé, ainsi que la « problématique ».

 

Quelle est donc la pensée du Pape sur ces sujets ?

 

Nous le citerons simplement .

Et comme nous l’avons fait pour les chapitres précédents, nous accompagnerons sa pensée de quelques commentaires pris chez  nos auteurs bien aimés, Charles Péguy et Charles Maurras.

 

A-La patrie : un héritage

 

Pour le pape, la patrie se définit par la notion d’héritage, par un ensemble de biens de tous ordres, matériels comme spirituels, biens  qui sont  pour chacun comme un « héritage », un « patrimoine » à conserver et à faire fructifier.

 

« L’expression « patrie », dit le pape, se rattache au concept et à la réalité de « père » (pater). En un sens, la patrie s’identifie au patrimoine, c’est-à-dire à l’ensemble des biens que nous avons reçus de nos pères en héritage. De manière significative, on utilise souvent, dans ce contexte, l’expression « mère-patrie ». Par expérience personnelle, nous savons tous dans quelle mesure la transmission du patrimoine spirituel se réalise par les mères. La patrie est donc l’héritage  et, en même temps, la situation patrimoniale qui découle d’un tel héritage ; cela  concerne aussi la terre, le territoire. Mais  plus encore, le concept de patrie implique les valeurs et l’aspect spirituel qui composent la culture d’une nation déterminée » (p. 76)

 

Cette phrase du pape est extrêmement riche

 

Charles Maurras, dans « Mes idées politiques » ne s’exprime pas autrement.

 

Il écrit dans « retour aux choses vivantes : « naître dans une patrie…c’est naître possesseur d’un capital immense et d’un privilège sacré. C’est porter avec soi, en soi, un titre d’héritage »( Mes idées politiques. p. 249). La patrie, c’est « ce trésor territorial, intellectuel et moral…descendu à travers les siècles, jusque  à nous, c’est un bienfait que tout citoyen et tout homme digne de ce nom doivent s’attacher à prolonger et à perpétuer » (p. 249). Comme le pape, Maurras va dire que la patrie c’est « la terre des pères ». ou encore, « c’est avant tout un phénomène d’hérédité »… « Ainsi nous le suggère le nom même de la patrie ; ainsi le crie plus haut encore le terme de nation qui dit naissance ou ne dit rien » (p. 254)

 

« Terre », « territoire », « ensemble de biens » « patrimoine », « héritage », « valeurs spirituelles », voilà donc les réalités que recouvre la notion de patrie. Ce patrimoine, cet héritage et territorial et spirituel, plus même spirituel que territorial,  méritent tous les sacrifices…jusqu’à l’héroïsme de sa vie. Ce « patrimoine » à défendre comme la vie, fut, du reste, pour  la Pologne , comme le fer de lance, le « sursum corda » du polonais au milieu des toutes les épreuves que nous raconte  l’histoire de ce peuple. La patrie est un héritage, « un patrimoine spirituel » qui est la raison d’une vie : « Même lorsque les Polonais furent privés de leur territoire, écrit le pape,  et que la nation fut démembrée, les Polonais ne perdirent pas le sens de leur patrimoine spirituel, ni la culture reçue de leurs ancêtres. Ce sens se développa même de manière extraordinairement dynamique » (p. 76) . C’est ce patrimoine à garder qui porta la nation à retrouver son indépendance. « Effacée de la carte de l’Europe et du monde, la Pologne y réapparaît à partir de 1918 et continua dès lors à y être présente. Même la folle explosion de haine qui s’est déchaînée de l’Est et de l’Ouest entre 1939 et 1945 n’a pas réussi à en supprimer la présence » (p. 77-78)

 

Mais pour primordial que soit le « patrimoine spirituel » d’un peuple, son aspect territorial est aussi important. Le pape y insiste en disant : « A partir de là, on voit que, dans le concept même de patrie, se trouve un lien profond entre l’aspect spirituel et l’aspect matériel, entre la culture et le territoire. Le territoire retranché par la force à une nation devient, en un sens, une imploration et même un cri adressé à l’ « esprit » de la nation elle-même. L’esprit de la nation se réveille, vit d’une vie nouvelle et lutte pour que les droits soient rendus à la terre » (p. 78)

 

Et ne voyez-vous pas la même pensée exprimée par Maurras dans ce passage fameux qui aborde avec d’autres mots, le même problème : l’existence de la patrie.  « Certes, écrit Maurras, il faut que la patrie se conduise justement. Mais ce n’est pas le problème  de sa conduite, de son mouvement, de son action qui se pose quand il s’agit d’envisager ou de pratiquer le patriotisme, c’est la question de son être même, c’est le problème de sa vie ou de sa mort. Pour être juste ( ou injuste), il faut tout d’abord qu’elle soit. …Vous remercierez et vous honorerez vos père et mère parce qu’ils sont vos père et mère indépendamment de leur titre personnel à votre sympathie. Vous respecterez et vous honorerez la Patrie parce qu’elle est elle et que vous êtes vous, indépendamment des satisfactions qu’elle peut donner à votre esprit de justice ou à votre amour de la gloire. Votre père peut être envoyé au bagne : vous l’honorerez. Votre Patrie peut commettre de grandes fautes ; vous commencerez par la défendre, par la tenir en sécurité et en liberté. La justice n’y perdra rien, la première condition d’une patrie juste, comme de toute patrie, étant d’exister, la seconde étant d’ailleurs de posséder cette indépendance de mouvement et cette liberté de l’action volontaire sans laquelle la justice n’est plus qu’un rêve ». ( Mes Idées politiques. p. 255)

 

 

 

B- La patrie, la nation : un fait de nature
 
Pour le pape, comme pour toute la doctrine sociale de l’Eglise, la patrie, la nation sont des faits de nature. Qui tirent leur origine  de la « génération » et non point d’un quelconque  « pacte social ».

 

Le pape l’exprime clairement dans son chapitre 13 où on lui pose la question : « Comment faut-il entendre la nation, cette entité idéale à laquelle l’homme fait référence dans son sentiment patriotique ? ».

 

« Si on examine attentivement les deux termes  - de patrie et de nation  -, il existe un lien étroit entre la signification de patrie et celle de nation » (p.86). Il fait remarquer très heureusement que le mot « nation » dérive de « génération », tout comme patrie de « père ».

« Le père est celui qui, avec la mère, donne la vie à un nouvel être humain. A cette génération du père et de la mère se rattache, nous l’avons vu, le concept de patrimoine, qui est sur l’arrière-plan du terme « patrie ». Le patrimoine et avec lui la patrie sont donc, du point de vue conceptuel, étroitement unis à l’acte de génération » (p. 86). Il en est de même pour le concept « nation ». « Le terme « nation » a aussi, du point de vue étymologique, un rapport avec le fait de naître ». (p. 86)

 

Le terme de « nation » implique donc, pour le pape, une relation nécessaire avec le territoire et la culture. Il ne peut se comprendre que dans sa relation à une terre, à un patrimoine, à une culture. Elle ne relève en rien d’un contrat entre personnes.

Le pape est très clair sur cette idée : « La doctrine sociale catholique, écrit-il, considère que tant la famille que la nation sont des sociétés naturelles et ne sont pas le fruit d’une simple convention » (p. 87). Et le pape de conclure : « C’est pourquoi, dans l’histoire de l’humanité, elles ne peuvent être remplacées par rien d’autre. Par exemple, on ne peut remplacer la nation par l’Etat, bien que la nation, de par  sa nature, tende à se constituer en Etat, comme le montre l’histoire de chaque nation européenne et l’histoire polonaise elle-même » (p. 87)

 

Un peu auparavant, il avait déjà écrit : « La doctrine sociale catholique parle en ce cas (patrie et nation) de sociétés « naturelles », pour indiquer le lien particulier, de la famille ou de la nation, avec la nature de l’homme, qui a une dimension sociale. Les voies fondamentales de la formation de toute société passent par la famille : sur ce point, il ne peut y avoir aucun doute Mais il semble qu’une observation analogue s’applique aussi à la nation. »(p. 84)

 

Charles Maurras enseigne la même vérité. Il écrit dans « Mes idées politiques » : « Notre patrie  n’est pas née d’un contrat entre ses enfants, elle n’est pas le fait d’un pacte consenti entre leurs volontés ». (p. 251). Il poursuit : « On est tenté de la définir ( la patrie ou la nation) une association d’intérêts ; mais si le mot d’intérêts porte un sens précieux, celui d’association en détruit l’effet, car « s’associer » est un acte de volonté  personnelle, et ce n’est pas notre volonté qui nous a faits Français (ou Polonais, dirait le pape). Nous n’avons pas voulu notre nationalité, nous ne l’avons ni délibérée ni même acceptée. Quelques transfuges  la quittent bien : ceux qui restent ne choisissent pas de rester. C’est un état dont ils s’accommodent et dont mille fois contre une, ils ne songent même pas à cesser de s’accommoder. Une association dure par l’acte continu de la volonté personnelle, mais la patrie dure au contraire par une activité générale supérieure en valeur, comme en date, à la volonté des personnes. La patrie est une société naturelle, ou, ce qui revient absolument au même, historique. Son caractère décisif est la naissance. On ne choisit pas plus sa patrie  - la terre des pères  - que l’on ne choisit son père et sa mère. On naît Français par le hasard de la naissance, comme on peut naître Montmorency ou Bourbon. C’est avant tout un phénomène d’hérédité ». (p.252).

 

La patrie, la nation, réalité naturelle !  Cette vérité confessée a, au moins,  une conséquence immédiate : il est impensable, pour le pape, j’interprète,  que la construction européenne puisse se réaliser au détriment des nations qui y seront réunies. Le pape dira un peu plus loin dans son livre : « Il semble toutefois que, comme la famille, la nation et la patrie demeurent des réalités irremplaçables ». En ce sens que « l’identité culturelle et historique des sociétés est sauvegardée, dit le pape,  et entretenue par ce qui est inclus dans le concept de nation » ; (p. 84) Ainsi, pour le pape, la patrie et la nation  ne peuvent  être sacrifiées  pour aucune raison, pour aucune « affaire ». Le pape dit cela face, précisément, au danger du XX siècle qui avance « dans la direction de structures supranationales ou même du cosmopolitisme ». (p. 84) Il faut y insister. 

 

Charles Maurras, lui aussi, soutenait cette même idée. Il écrivait dans « Mes idées politiques » : « Subsumant tous les autres grands intérêts communs et les tenant dans sa dépendance, il est parfaitement clair que, en cas de conflit, tous ces intérêts doivent lui céder, par définition : lui cédant, ils cèdent encore à ce qu’ils contiennent eux-mêmes de plus général » (Mes idées politiques » p. 258)

 

Je suis heureux de pouvoir établir ce parallélisme de la pensée de nos deux auteurs.

 

 

C- La patrie, la nation : la « pietas » 

 

 

 

 

Si la patrie, la nation  disent   comme l’écrit le pape Jean-Paul II,  « héritage », « patrimoine » « culture », « terre », « histoire », « culture », on comprend que l’une et l’autre doivent être aimées. C’est ce que le pape appelle « la valeur moral » de ces choses (p. 82) C’est le « patriotisme ».  Chacun doit avoir à l’égard et de sa patrie et de sa nation, grande « piété ».

C’est la « patriotisme ». C’est, là, simple justice. Et ce sentiment relève, nous dit le pape, du quatrième Commandement du Décalogue « qui nous engage à honorer notre père et notre mère ». (p.82)

 

Qu’est-ce à dire ?  « Il s’agit de l’un des sentiments que la langue latine désigne sous le terme « pietas », soulignant la valeur religieuse qui sous-tend le respect et la vénération dus à nos parents. Nous devons vénérer nos parents, parce qu’ils représentent pour nous  Dieu Créateur. En nous donnant la vie, ils participent au mystère de la création et ils méritent pour cela une vénération qui renvoie à celle que nous attribuons à Dieu Créateur. Le patriotisme comporte en lui-même  cette sorte d’attitude  intérieure, du fait que la patrie est aussi pour chacun, d’une manière particulièrement vraie, une mère. Le patrimoine spirituel qui nous est transmis par notre patrie nous parvient par notre père et notre mère, et il fonde en nous le devoir correspondant de la « piété ». (p. 83) « un grand devoir », dit le pape.

 

Maurras nous donne même définition. Il distingue cependant mieux que ne fait le pape entre le « patriotisme «  et « le nationalisme ». Il écrit : « le patriotisme s’est toujours dit de la piété envers le sol national, la terre des ancêtres et par extension naturelle, le territoire historique d’un peuple : la vertu qu’il désigne s’applique surtout à la défense du territoire contre l’Etranger ». (Mes idées politiques p. 264) Le « nationalisme » est le même sentiment de piété mais « plutôt qu’à la terre des Pères, aux Pères eux-mêmes, à leur sang et à leurs œuvres, à leur héritage moral et spirituel, plus encore que matériel »(ib p. 264). « La nationalisme est la sauvegarde due à tous ces trésors qui peuvent être menacés sans qu’une armée étrangère ait passé la frontière, sans que le territoire soit physiquement envahi. Il défend la nation contre l’Etranger de l’intérieur »(ib. p. 264). 

 

L’honneur que l’on doit porter à la patrie, à notre nation, ne doit pas, il est vrai, devenir exclusive de toute autre. C’est un risque qu’il faut éviter. Et là, le pape met en garde conte le « nationalisme ». Il fait allusion aux « expériences extrêmement éloquentes » qu’a connues le XX siècle.(cf. p. 84-85) Certes, mais il eut été bien ici que le pape distingue. Car il y a « nationalisme et nationalisme ».

 

 

D- La patrie « charnelle » et la patrie « éternelle ».

 

 

Très légitimement, Jean-Paul II aborde le problème des relations entre la patrie « charnelle » ou « humaine » et la patrie « éternelle ».

Nous pourrions même  parler du  problème du  « patrimoine divin » et du  patrimoine « humain». Ces termes se trouvent tout à fait dans le texte de Jean-Paul II. Il cherche même à établir leurs relations. Ce sujet, vous l’imaginez,  est capital. Il est au principe de la chrétienté ; il est au principe de la fondation d’une « Europe chrétienne » pour laquelle le pape et ses dicastères ont tant agi ces dernières années.

 

« Puisque nous  sommes entrés dans l’analyse du concept même de patrie, il est opportun de nous référer maintenant à l’Evangile. Dans l’Evangile en effet, dans la bouche du Christ, apparaît précisément le terme « Père » comme parole fondamentale. De fait, « c’est l’appellation qu’il utilise le plus fréquemment » (p. 78) et de multiplier les citations de l’Evangile : de Matthieu 11 27, de Luc 10 12, de Saint jean 5 20.. Pensons au « Notre Père qui êtes au Cieux »…Il poursuit, en conséquence : « Les enseignements du Christ contiennent en eux-mêmes les plus profonds éléments d’une vision théologique de la patrie comme de la culture. En tant que Fils venu du Père chez nous, le Christ s’est présenté à l’humanité avec un patrimoine spécial, un héritage particulier. » (p. 78)

 

Quel est ce patrimoine ?

 

Rien d’autre que l’ « héritage céleste ». Et de citer saint Paul dans sa lettre aux Galates : « Lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils, il est né d’une femme… pour faire de nous des fils… Ainsi tu n’es plus esclave mais fils, et comme fils, tu es héritier par la grâce de Dieu ». (Gal 4 4-7)

 

 Et là, je ne peux pas ne pas penser à ces magnifiques passages de Péguy, dans son « Mystère des Saints innocents » où il médite sur l’importance de la prière du Notre Père enseigné par le Fils divin, dans la civilisation temporelle, terrestre, et des « Je vous  salue Marie »… Ces deux prières qui comme  « une flotte visible » comme des « beaux vaisseaux de haut bord … s’avancent comme des galères innocentes comme de virginales birèmes. Comme des vaisseaux plats, qui ne blessent point l’humilité de la mer…Toute cette immense flotte de prières et de pénitences m’attaquent, (dit Dieu) avec l’éperon que vous savez…C’est une flotte de charge, classis onéraria. Et c’est une flotte de ligne. Une flotte de combat. Comme une belle flotte antique, comme une flotte de trirèmes qui s’avancerait à l’attaque du roi…Et moi que voulez-vous que je fasse : je suis attaqué. Et dans cette flotte, dans cette innombrable flotte, chaque pater est comme un vaisseau de haut bord,  qui a lui-même son propre éperon, notre père qui êtes au cieux »…(Péguy. Le Mystères des saints Innocents » Dans la Pléiade p.  336-339 et ss).

 

Et le pape a cette belle pensée, toute basée sur le mystère de l’Incarnation et du « oui » de Notre Dame : cet « héritage du Père éternel s’est transmis, en un sens très vrai, par le cœur de Marie et il s’est ainsi enrichi de tout ce que l’extraordinaire génie féminin de la Mère pouvait apporter au patrimoine du Christ….Dans sa dimension universelle, le christianisme est le patrimoine dans lequel l’apport de la Mère est très significatif…En parlant ainsi, nous nous  référons implicitement au patrimoine divin, dont nous avons été rendus participants grâce à la venue du Christ » (p. 79) par l’acte de foi que chacun doit poser pour prendre part à ce royaume ouvert par le Fils grâce au consentement de sa Mère.

 

Dès lors « l’Evangile a donc conféré une nouvelle signification au concept de patrie… ». « L’héritage dont nous sommes redevables au Christ oriente vers la Patrie éternelle ce qui fait partie du patrimoine des patries  humaines et des cultures humaines »  (p. 79). Le Christ, par le mystère de l’Ascension, étant  reparti vers le  Père « inaugure une nouvelle Patrie dans l’histoire  de toutes les patries et de tous les hommes. On dit parfois : « la Patrie céleste », « la Patrie éternelle ». Ce sont des expressions qui indiquent précisément ce qui est advenu dans l’histoire de l’homme  et des nations à la suite de la venue du Christ dans le monde et de son départ de ce monde vers le Père. Le départ du Christ a ouvert le concept de patrie à la dimension de l’eschatologie et de l’éternité, mais il n’a nullement supprimé son contenu temporel. Par  expérience, en fonction de l’histoire polonaise, nous savons que la pensée de la Patrie éternelle a favorisé la promptitude à servir la patrie terrestre, disposant les citoyens à affronter toutes sortes de sacrifices en sa faveur  - sacrifices en général héroïques ».(p. 79)

 

Dès lors le patrimoine divin va façonner la patrie temporelle. Elle va lui donner principes et forces, grâces et espérance. « Le Christ est venu dans le monde  pour confirmer les lois éternelles de Dieu, du Créateur »

 

Dès lors « d’une manière concomitante, il a donné naissance à une culture tout à fait nouvelle » : «  nouveau » le monde crée…De cette manière, le patrimoine divin a revêtu la forme de la « culture chrétienne ».  Par son mystère, « le Christ a en un sens « cultivé de nouveau » le monde créé. Les hommes eux-mêmes sont devenus le « champ de Dieu » comme l’écrit saint Paul (I Cor 3 9) (p. 80)

 

Et c’est ainsi que s’explique l’existence et la signification « de ce qu’on appelle les racines chrétiennes de la culture polonaise et, plus généralement, celles de l’Europe. Lorsqu’on utilise une telle expression, on pense normalement aux racines historiques  de la culture, et cela a une signification, car la culture a un caractère historique. L’examen de ces racines  va donc de pair avec l’examen de notre histoire, y compris de notre histoire politique. » (p. 81)

 

Vous comprenez pourquoi le pape est si souvent revenu sur ce sujet de « chrétienté » lors de l’élaboration de la « Constitution » de l’Union Européenne. Et je ne suis pas sûr qu’il ait donné aussi vite que  les épiscopats européens, un « placet » à cette constitution…Même sous cette seule considération.

 

Mais nous aurons, je pense l’occasion d’y revenir la semaine prochaine en étudiant la pensée du pape sur l’Europe.