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Un regard sur le monde
politique et religieux
au 12 septembre 2008
N° 182
Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier
Evêque, c’est par toi que
je meurs !
Maître
Jacques Trémolet de Villers vient de publier dans Présent, dans sa chronique
« Nouvelles de
Il
constate, dans ses trois articles, le drame pour notre pays de l’absence de
prêtres. Il le constate d’abord pour sa Corse natale. Son article est très
émouvant Il l’intitule : « La dernière messe ».
Puis
il médite sur la politique résolue de l’évêque de Corse de supprimer le prêtre
de sa paroisse de Venaco. Maître Trémolers de Villers réfléchit sur la
résolution de l’évêque fort clairement exprimée :« et même, si par
malheur il y avait encore, cette année, un prêtre à Venaco, il faudrait que
s’accomplisse ce plan, car c’est lui qui est prioritaire ! »
Et ce plan est décidé et arrêté « d’évêque à évêque ». On comprend alors l’intitulé de l’article : « Evêque, c’est
par toi que je meurs ! ». L’article est cinglant, mais juste. Et de fait, Mgr Vingt Trois interrogé par le Figaro, à
l’occasion de la venue du Pape en France, dira la même chose : L’Eglise de France doit savoir qu’elle n’est plus au
XIXe siècle où on comptait un
prêtre par village, un pasteur pour deux cents âmes… Elle doit trouver
de nouvelles formules, avec mobilisation des laïcs… »
Enfin
dans le troisième article, notre auteur se dresse contre cette
« politique » épiscopale ; il en montre le drame. Il constate surtout la
différence d’état d’esprit sur ce problème entre l’épiscopat du 19è siècle et celui du 20è. Il intitule ce
troisième article : « Eglise d’hier et d’aujourd’hui : la
différence ! »
En
lisant ce dernier article, je pensais à Mgr Lefebvre qui lui prit hardiment
« en mains » le problème du manque de vocation sacerdotale…Aussi il
eut la joie d’ordonner plus de 150 prêtres…dans les dernières années de sa vie.
.Si chaque évêque, dans son diocèse, avait « jouer la même politique »,
il n’y aurait pas aujourd’hui de crise des vocations et les paroles du cardinal
Bertone, dans le Figaro, le jour de la venue du Pape, serait sans objet : « S'il
me faut indiquer une priorité, il me semble que c'est la question des vocations
sacerdotales qui mérite la plus grande considération. On ne peut se résigner à la baisse du nombre
des prêtres, et une paroisse sans pasteur est comme une famille qui a perdu son
père. [...] » Voilà qui est bien dit et devrait faire méditer les
prélats de l’Eglise de France. La « politique » de l’épiscopat
français ne semble pas être celle souhaitée par le Vatican !
Premier article
La dernière Messe
"Je vous écris
de Vivario, où l’actualité, en cette fin d’été, est tragique. Je ne parle pas
seulement du légionnaire du 2e REP mort en Afghanistan, à qui la Corse a rendu
les honneurs. Je parle de l’événement qui secoue le Venacais, au cœur des
montagnes de l’île, et les quatorze paroisses du doyenné qui s’étagent sur les
flancs du Monte Doro, du Monte Rotondo et des vallées avoisinantes. L’évêque de
la Corse a décidé qu’il n’y aurait plus de prêtre résident dans ce qui n’est
plus un doyenné ni un ensemble de paroisses, mais une ZEP, Zone d’Ecclésialité
Prioritaire. Je n’invente rien. Je l’ai entendu de mes oreilles. Cette ZEP
donne à l’évêque l’occasion de réaliser ce qu’il considère comme l’expérience
d’Eglise la plus importante aujourd’hui : une
église sans prêtre. Une équipe
pilote de laïcs, menée par des femmes, répercute les directives de l’évêque,
établit un bilan de la situation, met en relation les animateurs de secteurs,
organise des rassemblements périodiques où, dans la convivialité festive, par
la grâce du covoiturage, ce qui reste de fidèles « fait Eglise » en un lieu
déterminé à l’avance par le Comité d’action en accord avec le Commissaire
central – je parle de l’évêque.
Un paroissien s’est levé pour exprimer son désaccord et demander que les
prêtres restent à demeure. Comme il ne voulait pas que sa réclamation fût une
vaine plainte, il proposa à l’évêque de lui amener deux ou trois prêtres
puisque officiellement le motif de cette « refondation » était l’absence de
prêtres.
L’évêque répliqua qu’il ne pouvait pas accepter ainsi la proposition, car une
telle offre le contraignait à exercer son devoir de discernement, et que ces
questions-là se réglaient d’évêque à évêque.
Devant cette réponse qui n’en était pas une, le paroissien insista en demandant
qu’il lui fût répondu par oui ou par non.
— « Vraiment, dit l’évêque interloqué, il vous faut un oui ou un non. »
— « Vraiment, répliqua le paroissien, que votre oui soit oui, que votre non
soit non. »
— « Alors, en l’état des choses, dit l’évêque, ce sera non ». Puis, il reprit
l’exposé du plan de sa ZEP, et conclut souriant, « et même, si par malheur il y
avait encore, cette année, un prêtre à Venaco, il faudrait que s’accomplisse ce
plan, car c’est lui qui est prioritaire ! »
Il y eut comme un grondement dans l’église. On entendait des hommes dire, en
français ou en corse, « mais enfin, l’Eglise c’est le prêtre, et le prêtre
c’est l’Eglise ! ». Comment faire une Eglise sans prêtre ? Le grondement se fit
plus intense quand il leur fut expliqué qu’il faudrait, dorénavant, se passer
de prêtre pour les obsèques, et réserver la messe pour « la sortie de deuil ».
La mort dans l’île est plus présente qu’ailleurs. Elle est dans les regards,
dans les discours, dans les chants, et naturellement dans les prières. C’est la
mort qui conduit les Corses jusqu’à l’Eglise, parfois à deux, voire à trois
reprises dans la journée. On ne manque pas un enterrement. Ainsi des chrétiens
dits non pratiquants et des libres penseurs peuvent, allègrement entendre deux
voire trois ou quatre messes dans la semaine.
C’est à l’occasion de la mort que le prêtre peut enseigner, rappeler, et s’il
le faut, réprimander, secouer. Une telle méconnaissance de son troupeau serait
surprenante s’il n’était avéré que cet évêque n’est pas un bon pasteur. Un bon
pasteur n’organise pas l’abandon de ses brebis.
C’est ce qu’a dit le dimanche du 24 août, le curé du lieu, dans son homélie de
départ, à chaque messe de chaque paroisse. Nous avions tous le cœur serré, en
l’entendant répéter, de sa voix de prêtre polonais, qui, les yeux fermés,
faisait irrésistiblement écho à la voix de son compatriote, Jean-Paul II le
Grand : « Comment peut-on imaginer une église sans prêtre ? comment ne pas
vouloir qu’ici, à Vivario, ici à Venaco, ici à Vezzani, ici à Rospigliani, ici
à Vizzavone, ici à Murraciole, il n’y aura plus ni le prêtre, ni la messe, ni
le saint sacrement, ni la confession ? Pourquoi ces églises à l’abandon ? Ma
désolation est grande. Mais j’ai fait ce que j’ai pu, j’ai donné six ans de ma
vie à l’Eglise de France. Maintenant je retourne en Pologne. C’est un grand
mystère que cette ignorance du mystère de l’Eglise, chez des hommes d’Eglise.
Mais malgré tout, l’Eglise reste, comme son époux, sainte et trois fois sainte.
Je prierai pour vous. »
La chorale avait prévu de chanter, à la sortie « Jubilez, criez de joie… ».
Elle a rengainé, les larmes dans les yeux, son chant d’allégresse et comme le
curé nous avait tous confiés à Marie, Mère de l’Eglise, elle a entonné,
spontanément, et dans un cri chargé d’une intense émotion Chez nous, Soyez
Reine – la Corse est à vous…
Le prêtre polonais était accompagné d’une famille amie, venue de Pologne passer
l’été chez lui, dans le centre de la Corse. La jeune femme s’est avancée vers
le paroissien qui avait exprimé à l’évêque sa demande « si vous ne voulez pas
nous donner des prêtres, acceptez au moins que nous recevions ceux qui se
proposent ». Elle avait la main droite fermée sur un objet, qui devait être
précieux. Elle lui dit d’une voix que ses yeux remplis de larme rendaient plus
grave en polonais – le prêtre traduisit :« J’ai assisté à la discussion avec
l’évêque. J’ai compris votre douleur, je la partage. Nous savons, nous, en
Pologne, ce que c’est que d’être privé de prêtre. Je prie pour vous et avec
vous. » Et, ouvrant sa main, elle ajouta : « Je veux vous faire un cadeau, le
cadeau de ce que j’ai de plus précieux, un chapelet béni par le pape Jean-Paul
II. Je l’ai récité souvent et j’ai toujours reçu de grandes grâces. Priez avec
ce chapelet, je prierai avec vous, et vous verrez, vous aurez un prêtre à
Vivario ! »
En partant, le curé a serré vigoureusement la main du paroissien et en lui
tapant virilement sur l’épaule, lui a lancé
« Courage ! ».
Sous le regard de Marie, après cette dernière messe devant cette église où nos
anciens reçurent leurs dernières bénédictions, où nos enfants se marièrent et
où nos petits-enfants furent baptisés et qu’aujourd’hui, par ordre de l’évêque,
le Seigneur doit abandonner, c’était, dans tous les sens du terme, le mot de la
fin.
"
JACQUES TREMOLET DE VILLERS
Article extrait du n° 6660 de Présent
du Mercredi 27 août 2008
_________________
Deuxième article
« Evêque, c’est par toi que je meurs ! »
Par Jacques Trémolet de Villers
JE VOUS écris de
l’abbaye Notre-Dame de Fontgombault où les liens du cœur et du sang se joignent
aux amitiés de l’esprit pour m’appeler et me réconforter lorsque les
tribulations se font trop douloureuses. Beaucoup de lecteurs m’ont écrit,
téléphoné, envoyé des courriers électroniques ou des télécopies pour me dire
que ce que j’avais vécu, à la fin du mois d’août, dans mon village de Corse,
était, depuis longtemps, le lot commun de nombreux diocèses. Le malheur des
autres ne fait pas mon bonheur. Dans ma profession d’avocat, « porter le
fardeau de son frère » est le devoir d’état quotidien. Le frère, à son
tour, porte le fardeau des honoraires qu’il paie à son conseil. Cette
exploitation réciproque est le lien social, expression élémentaire de la
charité.
Mais qui portera le fardeau spirituel, moral, affectif
de mon village quand, par ordre exécuté de l’évêque, le Seigneur aura été
retiré de notre église et le prêtre de notre paroisse ? Ce que ni les Génois,
ni les Arabes, ni
de son prêtre, c’est un évêque, notre évêque,
successeur des apôtres, pour
Nous ne monterons plus, le dimanche matin, et les
jours de fête carillonnée, en modeste procession familiale, le long du cours,
en nous arrêtant pour serrer les mains ou échanger quelques mots avec les amis
installés au bar, sur la place de la fontaine, ou parlant à la porte des
épiceries :
«Tu vas à la messe ?
«Tu veux venir avec moi ?
« Ça va, prie pour moi au moins…»
Au retour, à l’heure de l’apéritif, on ne fait pas que
passer. On s’arrête, on boit, on parle encore :
« Et le curé il a bien parlé ?
«Tu aurais dû l’entendre !
« Une autre fois tu sais… cette semaine j’en ai fait
trois… trois enterrements. Trois messes… qui ne seront plus. »
Ce n’est rien, dira le sociologue ecclésiastique, qui
ne connaît ni les hommes ni les villages, mais garde l’œil et le nez rivés sur
ses plans, ses structures, son organisation, ses modules et ses équipes. Ce
n’est rien ? Mais non ! C’est tout ! La religion est le lien social. Parce
qu’elle fête la naissance et accompagne la mort, parce qu’elle est au
commencement et à la fin, qu’elle bénit le
berceau et ouvre le tombeau, en reliant les hommes
avec leur origine et leur fin, avec l’alpha et l’oméga, elle relie les hommes
avec eux-mêmes.
Quelques-uns le savent et le disent. Le plus grand
nombre le ressent, sans savoir le dire. Ceux-là sont les vrais pauvres, qui
souffrent et pleurent intérieurement, plus que les autres.
Comme l’homme n’aime pas souffrir, il se distrait pour
oublier. La télévision, les DVD, les films de toute nature – et pas de la plus
belle – rempliront ce vide. On parlera encore moins et on se repliera sur sa misère.
Les corps et les murs de nos villages sont très fragiles, et, parfois
agonisants. Ils ont besoin de soins, d’attention, de prévenances. Le simple
abandon est la formule la plus radicale de leur extinction. Enlever le prêtre,
c’est ôter l’âme. Les responsables ne sont pas les pauvres, si pécheurs qu’ils
soient. Eux, nous, nous sommes des victimes.
Les responsables ce sont les pasteurs !
« Evêque, c’est par toi que je meurs ! »
Ils sont
nombreux, les villages, qui auront gagné le triste droit de lancer, à leur
tour, le cri de Jeanne à l’évêque Brunin.
« Mais, que peut-il faire d’autre ? me dit une
voix amie. Il n’y a plus de prêtres. Il faut faire avec ceux que nous
avons.
« Et pourquoi, si nous proposons d’en appeler
d’autres, nous a-t-il répondu non ? Pourquoi éconduire la proposition du
cardinal Glemp d’envoyer des prêtres de Pologne, en lui répondant “Je préfère
faire confiance aux vocations corses”. »
Etrange nationalisme dans l’Eglise catholique
(universelle), foule immense de peuples et de races, que de réserver les
paroisses corses aux natifs de l’Ile ! Serait-il corse, notre évêque ? Julie ou
Dévote, si elles sont deux, ce qui n’est pas sûr, nos
saintes patronnes venaient du nord de l’Afrique, du pays de Perpétue,
l’actuelle Tunisie. Ce sont les capucins et les franciscains
italiens et sardes qui nous ont réévangélisés, et
c’est un religieux flamand – Jean-Paul Poletti le rappelle à chacun de ses
récitals – qui a retrouvé, en un demi-siècle de travail, les plus beaux
morceaux originels de nos chants sacrés. Ces
soi-disant raisons n’ont aucun fondement.
« Mais, rétorque
encore cette voix amie, c’est l’évêque, c’est lui le chef, et non pas vous,
c’est lui qui a reçu l’ordre et le saint-chrême, c’est lui le successeur des
apôtres, désigné par le Pape. Nous n’avons plus qu’à nous incliner. » «
Je m’incline devant son autorité épiscopale, mais en
m’inclinant, par une exigence qui me dépasse, par une
force qui vient de beaucoup plus loin que moi, le sang de mes aïeux, le cri de
ma terre, terre chrétienne depuis seize siècles, le souci de mes enfants et de
mes petits-enfants, la plainte de tous mes compatriotes, je dis : “Vous n’avez
pas
le droit de nous priver d’un prêtre. Vous n’avez pas
le droit de nous priver de la présence réelle du Corps et du Sang de notre Dieu
dans notre église. Vous n’avez pas le droit de nous priver des sacrements”. »
Vous n’avez pas le droit de vous contenter de gérer une
faillite, si faillite il y a et de refuser, au nom de je ne sais quel plan
établi, d’envisager les secours qui se présentent.
Vous passerez, Monseigneur, votre carrière vous appellera
ailleurs. Il est fini, le temps où les évêques épousaient leur diocèse, comme
nous laïcs, épousons nos conjoints. Comme un préfet, vous serez promu. Nous, nous
resterons, avec nos maisons, nos jardins, nos tombeaux.
Je sais bien qu’à la fin, c’est nous qui aurons
raison. Je sais bien que
qui reviennent en force dans la jeunesse
d’aujourd’hui, par les chants, les confréries, les études, la littérature et
les poèmes créent un climat exceptionnellement favorable à l’Eglise, mais cette
occasion ne peut être saisie que par des hommes consacrés, par de vrais prêtres.
Aucune équipe de laïcs, même la plus dévouée, ne peut incarner l’objet de cet
appel : le sacré. Il faut des hommes dont on sait, dont on voit, dont on sent qu’ils
sont des hommes de Dieu. Quel président ou quelle présidente d’action
catholique, fut-elle la plus dévouée qui soit, peut prétendre à cette fonction
? Quel animateur de secteur, quelle « équipe-pilote », voire quel prieur laïque
de confrérie peut, sans rire, ou sans rougir, se voir donner ce titre : homme
de Dieu ? Voué à Dieu ! « eunuque pour le royaume des Cieux » ?
« Si le prêtre se connaissait, il en mourrait »,
disait le curé d’Ars. Nous, nous risquons de mourir, en tant que communauté, en
tant que village, en tant que petite nation, de ne plus pouvoir connaître notre
prêtre. Si encore c’était par violence
qu’il nous était enlevé, cette violence même serait un bienfait. Mais quand c’est
par décision administrative, création d’une ZEP et volonté idéologique ? Nous
sommes trop forts et trop sûrs de notre droit pour l’accepter.
J’écris cela dans le jardin de cette abbaye que fonda,
il y a dix siècles, Petrus A Stella, Pierre de l’Etoile. Il y a moins de
soixante-dix ans, c’était une ruine. A sa place, il y avait une usine à
fabriquer des boutons. Aujourd’hui, elle a essaimé en France et aux Etats-Unis.
Soixante hommes de Dieu y chantent Dieu, sept fois le jour.
C’est toujours Dieu – et les hommes de Dieu – qui ont le dernier mot.
J.T.V.
PRÉSENT — Mercredi 3 septembre 2008
Troisième article
Eglise d’hier et d’aujourd’hui : la
différence !
Mais un fait, cependant, frappe. Dans le constat de
l’état de l’Eglise de France, le désert des campagnes, des villages et même des
bourgs de moyenne importance – cantons, doyennés – n’est plus nié. Il est
reconnu mais, pas obligatoirement comme un mal. « Epoque de transition »
a dit Mgr Vingt-Trois, dans le Figaro, dans le journal du Dimanche, et sur
Europe 1, ajoutant : « L’Eglise de France doit savoir qu’elle n’est plus au
XIXe siècle où on comptait un prêtre par village, un pasteur pour
deux cents âmes… Elle doit trouver de nouvelles formules,
avec mobilisation des laïcs… » On connaît la chanson.
La référence au XIXe siècle interpelle, comme on
disait naguère chez les dominicains à la mode. Il est vrai qu’à la fin du XIXe
siècle, avant la grande persécution des lois dites de séparation de l’Eglise et
de l’Etat,
Comment était-on arrivé à une telle richesse, et
comment sommes-nous passés de cette surabondance à notre absolue disette ? Il
peut être utile d’y jeter un regard
approfondi.
En réalité, la référence au XIXe siècle doit être
nuancée, selon le moment du siècle dont nous parlons. A la fin de l’époque
napoléonienne, même si le Concordat a porté religieusement ses fruits, les
campagnes sont vidées des hommes par les guerres et le commencement de l’ère
industrielle provoque, par nécessité, un exode rural massif vers les
concentrations d’usines.
D’où un désert démographique, moral, spirituel,
peut-être pire que celui que nous connaissons aujourd’hui.
Mais, la
grande différence de ce temps d’avec le nôtre, est que l’épiscopat, les
autorités religieuses, ne se résignent pas à cette situation. Ils ne la
théorisent pas pour en faire le ciment d’une refondation selon un nouveau
style, qui épouserait les conditions du temps.
Au contraire, la réaction, dont le saint Curé d’Ars
est le modèle, est de donner à la paroisse, à son curé, une place que,
peut-être, elle n’avait pas encore connue. Les congrégations, masculines et
féminines, se multiplient, qui viennent apporter leur aide à ce pivot de la
renaissance, à la fois catholique, civique et sociale : le curé de campagne.
Les missions réévangélisent. Nous voyons
encore, aujourd’hui, à l’entrée des villages, les
croix qu’en souvenir de leur passage, et pour les remercier, les paroissiens
reconnaissants avaient plantées. Cette merveille du tissu social, national et
religieux recomposé, malgré l’épuisement des vingt-trois années de guerre –
1792-1815 – malgré la révolution, malgré les idées à la mode, malgré une
révolution industrielle absolument
désordonnée, malgré un pouvoir indifférent, quand il
n’est pas hostile – sauf les périodes de monarchie (1815-1848) – est le fruit
d’une volonté constante, de l’énergie des évêques dont certains sont restés
célèbres : Mgr Pie, Mgr Freppel, Mgr Dupanloup ; de fondations et de
congrégations ; et encore une fois, de l’exemple du saint Curé d’Ars.
Les laïcs, eux, lorsqu’ils se mobilisent, comme ce fut
le cas avec le bienheureux Frédéric Ozanam, Maurice Maignan, Léon le Prévost,
Armand de Melun, et tout le salon de Madame Swetchine, sans omettre un grand
confrère, le modèle des avocats, Pierre-Antoine Berryer, ne songent pas un
instant à se substituer, en quoi que ce soit, au prêtre. Le champ de leur «
action catholique au temporel » est suffisamment vaste, et leur sens du
caractère sacré, unique, irremplaçable, du prêtre est suffisamment vif pour que
cette idée ne les effleure même pas. Ils sont mystiques, actifs,
parfois excellents théologiens, mais ils ont,
pardessus tout, le sens catholique de la distinction des
ordres et du respect du prêtre.
Lorsqu’il est venu à Ars, le pape Jean-Paul II a
rappelé et célébré cet exemple du saint curé comme le modèle toujours valable
aujourd’hui.
L’histoire,
elle, prouve que rien n’est jamais définitif, ni le désert, ni la surabondance.
Elle prouve aussi que la grâce de Dieu ne manque
jamais, même si, souvent, c’est nous qui manquons à cette grâce.
L’affaire n’est pas seulement ecclésiastique. Elle est
culturelle. Elle est une question de civilisation, et, au bout du compte, elle
est, dans le plus noble sens du mot, une question politique.
le réseau des villes et villages, des églises et des
cathédrales, des monastères et des chapelles, des curés et des moines. Aucune
zone ne remplace ce qui, depuis, quinze siècles, est la chair et l’âme de notre
pays. C’est ne rien connaître à l’histoire de France comme à l’histoire de
l’Eglise, que de mépriser ces réalités.
Le pouvoir politique en place – le pays légal –
méconnaît absolument cette réalité historique. Il ne la combat pas. Il
l’ignore. Les dirigeants pensent à autre chose. L’Europe, l’euro-méditerranée,
les enjeux mondiaux, le village planétaire absorbent leur attention. Une partie
de l’établissement ecclésiastique suit le même mouvement. Et nos campagnes
changent. Elles se vident. Leurs églises sont désertes. Bientôt, les mosquées
dans de nombreuses régions, les auront remplacées.
Les minarets résonneront des appels du muezzin. Les
cloches se seront tues. Nous nous
réveillerons ailleurs. Car la nature a horreur du vide et
Français, sera occupée par d’autres. Les zones, alors,
d’ecclésialité, d’éducation prioritaire ou d’aménagement en tous genres,
voleront en éclats, et il faudra, ou mourir, ou encore une fois, tout
reconquérir, et tout réévangéliser.
Plus on
attend, et plus ce sera dramatique.
Politiques
et religieux portent ici une responsabilité immense, devant Dieu, devant
l’histoire, devant nos enfants et nos petits-enfants.
Leurs plans
nous indiffèrent. Leurs commentaires nous laissent de marbre.
Il s’agit de notre terre, de nos églises, de nos
villages. Nous en sommes responsables. Avec eux ou sans eux, et, s’il le faut
contre eux, nous les garderons français et catholiques, toujours.
Et Benoît XVI, après Jean-Paul II, et avec l’appui de quinze
siècles où l’histoire de France rejoint l’histoire de l’Eglise, nous confirmera
dans notre lutte.
J.T.V
PRÉSENT — Mercredi 10 septembre 2008