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Un regard sur le monde

politique et religieux

 

au 12 septembre 2008

 

N° 182

 

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

Evêque, c’est par toi que je meurs !

 

 

 

 

 

Maître Jacques Trémolet de Villers vient de publier dans Présent, dans sa chronique « Nouvelles de la France qui vient », trois articles d’une très grande importance.

 

Il constate, dans ses trois articles, le drame pour notre pays de l’absence de prêtres. Il le constate d’abord pour sa Corse natale. Son article est très émouvant Il l’intitule : « La dernière messe ».

 

Puis il médite sur la politique résolue de l’évêque de Corse de supprimer le prêtre de sa paroisse de Venaco. Maître Trémolers de Villers réfléchit sur la résolution de l’évêque fort clairement exprimée :« et même, si par malheur il y avait encore, cette année, un prêtre à Venaco, il faudrait que s’accomplisse ce plan, car c’est lui qui est prioritaire ! » Et ce plan est décidé et arrêté « d’évêque à évêque ». On comprend alors l’intitulé de l’article : « Evêque, c’est par toi que je meurs ! ». L’article est cinglant, mais juste. Et de fait,  Mgr Vingt Trois interrogé par le Figaro, à l’occasion de la venue du Pape en France,  dira la même chose : L’Eglise de France doit savoir qu’elle n’est plus au XIXe siècle où on comptait un prêtre par village, un pasteur pour deux cents âmes… Elle doit trouver de nouvelles formules, avec mobilisation des laïcs… » 

 

Enfin dans le troisième article, notre auteur se dresse contre cette « politique » épiscopale ; il  en  montre le drame. Il constate surtout la différence d’état d’esprit sur ce problème entre l’épiscopat du 19è  siècle et celui du 20è. Il intitule ce troisième article : « Eglise d’hier et d’aujourd’hui : la différence ! »

 

En lisant ce dernier article, je pensais à Mgr Lefebvre qui lui prit hardiment « en mains » le problème du manque de vocation sacerdotale…Aussi il eut la joie d’ordonner plus de 150 prêtres…dans les dernières années de sa vie. .Si chaque évêque, dans son diocèse,  avait « jouer la même politique », il n’y aurait pas aujourd’hui de crise des vocations et les paroles du cardinal Bertone, dans le Figaro, le jour de la venue du Pape,  serait sans objet : « S'il me faut indiquer une priorité, il me semble que c'est la question des vocations sacerdotales qui mérite la plus grande considération. On ne peut se résigner à la baisse du nombre des prêtres, et une paroisse sans pasteur est comme une famille qui a perdu son père. [...] » Voilà qui est bien dit et devrait faire méditer les prélats de l’Eglise de France. La « politique » de l’épiscopat français ne semble pas être celle souhaitée par le  Vatican !

 

Premier article

La dernière Messe

 

"Je vous écris de Vivario, où l’actualité, en cette fin d’été, est tragique. Je ne parle pas seulement du légionnaire du 2e REP mort en Afghanistan, à qui la Corse a rendu les honneurs. Je parle de l’événement qui secoue le Venacais, au cœur des montagnes de l’île, et les quatorze paroisses du doyenné qui s’étagent sur les flancs du Monte Doro, du Monte Rotondo et des vallées avoisinantes. L’évêque de la Corse a décidé qu’il n’y aurait plus de prêtre résident dans ce qui n’est plus un doyenné ni un ensemble de paroisses, mais une ZEP, Zone d’Ecclésialité Prioritaire. Je n’invente rien. Je l’ai entendu de mes oreilles. Cette ZEP donne à l’évêque l’occasion de réaliser ce qu’il considère comme l’expérience d’Eglise la plus importante aujourd’hui : une église sans prêtre. Une équipe pilote de laïcs, menée par des femmes, répercute les directives de l’évêque, établit un bilan de la situation, met en relation les animateurs de secteurs, organise des rassemblements périodiques où, dans la convivialité festive, par la grâce du covoiturage, ce qui reste de fidèles « fait Eglise » en un lieu déterminé à l’avance par le Comité d’action en accord avec le Commissaire central – je parle de l’évêque.

Un paroissien s’est levé pour exprimer son désaccord et demander que les prêtres restent à demeure. Comme il ne voulait pas que sa réclamation fût une vaine plainte, il proposa à l’évêque de lui amener deux ou trois prêtres puisque officiellement le motif de cette « refondation » était l’absence de prêtres.

L’évêque répliqua qu’il ne pouvait pas accepter ainsi la proposition, car une telle offre le contraignait à exercer son devoir de discernement, et que ces questions-là se réglaient d’évêque à évêque.

Devant cette réponse qui n’en était pas une, le paroissien insista en demandant qu’il lui fût répondu par oui ou par non.

— « Vraiment, dit l’évêque interloqué, il vous faut un oui ou un non. »

— « Vraiment, répliqua le paroissien, que votre oui soit oui, que votre non soit non. »

— « Alors, en l’état des choses, dit l’évêque, ce sera non ». Puis, il reprit l’exposé du plan de sa ZEP, et conclut souriant, « et même, si par malheur il y avait encore, cette année, un prêtre à Venaco, il faudrait que s’accomplisse ce plan, car c’est lui qui est prioritaire ! »

Il y eut comme un grondement dans l’église. On entendait des hommes dire, en français ou en corse, « mais enfin, l’Eglise c’est le prêtre, et le prêtre c’est l’Eglise ! ». Comment faire une Eglise sans prêtre ? Le grondement se fit plus intense quand il leur fut expliqué qu’il faudrait, dorénavant, se passer de prêtre pour les obsèques, et réserver la messe pour « la sortie de deuil ».

La mort dans l’île est plus présente qu’ailleurs. Elle est dans les regards, dans les discours, dans les chants, et naturellement dans les prières. C’est la mort qui conduit les Corses jusqu’à l’Eglise, parfois à deux, voire à trois reprises dans la journée. On ne manque pas un enterrement. Ainsi des chrétiens dits non pratiquants et des libres penseurs peuvent, allègrement entendre deux voire trois ou quatre messes dans la semaine.

C’est à l’occasion de la mort que le prêtre peut enseigner, rappeler, et s’il le faut, réprimander, secouer. Une telle méconnaissance de son troupeau serait surprenante s’il n’était avéré que cet évêque n’est pas un bon pasteur. Un bon pasteur n’organise pas l’abandon de ses brebis.

C’est ce qu’a dit le dimanche du 24 août, le curé du lieu, dans son homélie de départ, à chaque messe de chaque paroisse. Nous avions tous le cœur serré, en l’entendant répéter, de sa voix de prêtre polonais, qui, les yeux fermés, faisait irrésistiblement écho à la voix de son compatriote, Jean-Paul II le Grand : « Comment peut-on imaginer une église sans prêtre ? comment ne pas vouloir qu’ici, à Vivario, ici à Venaco, ici à Vezzani, ici à Rospigliani, ici à Vizzavone, ici à Murraciole, il n’y aura plus ni le prêtre, ni la messe, ni le saint sacrement, ni la confession ? Pourquoi ces églises à l’abandon ? Ma désolation est grande. Mais j’ai fait ce que j’ai pu, j’ai donné six ans de ma vie à l’Eglise de France. Maintenant je retourne en Pologne. C’est un grand mystère que cette ignorance du mystère de l’Eglise, chez des hommes d’Eglise. Mais malgré tout, l’Eglise reste, comme son époux, sainte et trois fois sainte. Je prierai pour vous. »

La chorale avait prévu de chanter, à la sortie « Jubilez, criez de joie… ». Elle a rengainé, les larmes dans les yeux, son chant d’allégresse et comme le curé nous avait tous confiés à Marie, Mère de l’Eglise, elle a entonné, spontanément, et dans un cri chargé d’une intense émotion Chez nous, Soyez Reine – la Corse est à vous…

Le prêtre polonais était accompagné d’une famille amie, venue de Pologne passer l’été chez lui, dans le centre de la Corse. La jeune femme s’est avancée vers le paroissien qui avait exprimé à l’évêque sa demande « si vous ne voulez pas nous donner des prêtres, acceptez au moins que nous recevions ceux qui se proposent ». Elle avait la main droite fermée sur un objet, qui devait être précieux. Elle lui dit d’une voix que ses yeux remplis de larme rendaient plus grave en polonais – le prêtre traduisit :« J’ai assisté à la discussion avec l’évêque. J’ai compris votre douleur, je la partage. Nous savons, nous, en Pologne, ce que c’est que d’être privé de prêtre. Je prie pour vous et avec vous. » Et, ouvrant sa main, elle ajouta : « Je veux vous faire un cadeau, le cadeau de ce que j’ai de plus précieux, un chapelet béni par le pape Jean-Paul II. Je l’ai récité souvent et j’ai toujours reçu de grandes grâces. Priez avec ce chapelet, je prierai avec vous, et vous verrez, vous aurez un prêtre à Vivario ! »

En partant, le curé a serré vigoureusement la main du paroissien et en lui tapant virilement sur l’épaule, lui a lancé
« Courage ! ».

Sous le regard de Marie, après cette dernière messe devant cette église où nos anciens reçurent leurs dernières bénédictions, où nos enfants se marièrent et où nos petits-enfants furent baptisés et qu’aujourd’hui, par ordre de l’évêque, le Seigneur doit abandonner, c’était, dans tous les sens du terme, le mot de la fin.
"
JACQUES TREMOLET DE VILLERS


Article extrait du n° 6660 de Présent
du Mercredi 27 août 2008
_________________

 

 

Deuxième article

 

« Evêque, c’est par toi que je meurs ! »

 

 Par   Jacques Trémolet de Villers

 

JE VOUS écris de l’abbaye Notre-Dame de Fontgombault où les liens du cœur et du sang se joignent aux amitiés de l’esprit pour m’appeler et me réconforter lorsque les tribulations se font trop douloureuses. Beaucoup de lecteurs m’ont écrit, téléphoné, envoyé des courriers électroniques ou des télécopies pour me dire que ce que j’avais vécu, à la fin du mois d’août, dans mon village de Corse, était, depuis longtemps, le lot commun de nombreux diocèses. Le malheur des autres ne fait pas mon bonheur. Dans ma profession d’avocat, « porter le fardeau de son frère » est le devoir d’état quotidien. Le frère, à son tour, porte le fardeau des honoraires qu’il paie à son conseil. Cette exploitation réciproque est le lien social, expression élémentaire de la charité.

 

Mais qui portera le fardeau spirituel, moral, affectif de mon village quand, par ordre exécuté de l’évêque, le Seigneur aura été retiré de notre église et le prêtre de notre paroisse ? Ce que ni les Génois, ni les Arabes, ni la Révolution de 1789, ni la loi dite de Séparation de l’Eglise et de l’Etat n’avait réussi à faire : vider l’église de la messe, le tabernacle du Saint-Sacrement et la paroisse

de son prêtre, c’est un évêque, notre évêque, successeur des apôtres, pour la Corse, qui le fait.

Nous ne monterons plus, le dimanche matin, et les jours de fête carillonnée, en modeste procession familiale, le long du cours, en nous arrêtant pour serrer les mains ou échanger quelques mots avec les amis installés au bar, sur la place de la fontaine, ou parlant à la porte des épiceries :

 

«Tu vas à la messe ?

«Tu veux venir avec moi ?

« Ça va, prie pour moi au moins…»

 

Au retour, à l’heure de l’apéritif, on ne fait pas que passer. On s’arrête, on boit, on parle encore :

 

« Et le curé il a bien parlé ?

«Tu aurais dû l’entendre !

« Une autre fois tu sais… cette semaine j’en ai fait trois… trois enterrements. Trois messes… qui ne seront plus. »

 

Ce n’est rien, dira le sociologue ecclésiastique, qui ne connaît ni les hommes ni les villages, mais garde l’œil et le nez rivés sur ses plans, ses structures, son organisation, ses modules et ses équipes. Ce n’est rien ? Mais non ! C’est tout ! La religion est le lien social. Parce qu’elle fête la naissance et accompagne la mort, parce qu’elle est au commencement et à la fin, qu’elle bénit le

berceau et ouvre le tombeau, en reliant les hommes avec leur origine et leur fin, avec l’alpha et l’oméga, elle relie les hommes avec eux-mêmes.

 

Quelques-uns le savent et le disent. Le plus grand nombre le ressent, sans savoir le dire. Ceux-là sont les vrais pauvres, qui souffrent et pleurent intérieurement, plus que les autres.

 

Comme l’homme n’aime pas souffrir, il se distrait pour oublier. La télévision, les DVD, les films de toute nature – et pas de la plus belle – rempliront ce vide. On parlera encore moins et on se repliera sur sa misère. Les corps et les murs de nos villages sont très fragiles, et, parfois agonisants. Ils ont besoin de soins, d’attention, de prévenances. Le simple abandon est la formule la plus radicale de leur extinction. Enlever le prêtre, c’est ôter l’âme. Les responsables ne sont pas les pauvres, si pécheurs qu’ils soient. Eux, nous, nous sommes des victimes.

 

Les responsables ce sont les pasteurs !

« Evêque, c’est par toi que je meurs ! »

 

 Ils sont nombreux, les villages, qui auront gagné le triste droit de lancer, à leur tour, le cri de Jeanne à l’évêque Brunin.

 

« Mais, que peut-il faire d’autre ? me dit une voix amie. Il n’y a plus de prêtres. Il faut faire avec ceux que nous avons.

« Et pourquoi, si nous proposons d’en appeler d’autres, nous a-t-il répondu non ? Pourquoi éconduire la proposition du cardinal Glemp d’envoyer des prêtres de Pologne, en lui répondant “Je préfère faire confiance aux vocations corses”. »

 

Etrange nationalisme dans l’Eglise catholique (universelle), foule immense de peuples et de races, que de réserver les paroisses corses aux natifs de l’Ile ! Serait-il corse, notre évêque ? Julie ou

Dévote, si elles sont deux, ce qui n’est pas sûr, nos saintes patronnes venaient du nord de l’Afrique, du pays de Perpétue, l’actuelle Tunisie. Ce sont les capucins et les franciscains

italiens et sardes qui nous ont réévangélisés, et c’est un religieux flamand – Jean-Paul Poletti le rappelle à chacun de ses récitals – qui a retrouvé, en un demi-siècle de travail, les plus beaux

morceaux originels de nos chants sacrés. Ces soi-disant raisons n’ont aucun fondement.

 

« Mais, rétorque encore cette voix amie, c’est l’évêque, c’est lui le chef, et non pas vous, c’est lui qui a reçu l’ordre et le saint-chrême, c’est lui le successeur des apôtres, désigné par le Pape. Nous n’avons plus qu’à nous incliner. » « Je m’incline devant son autorité épiscopale, mais en

m’inclinant, par une exigence qui me dépasse, par une force qui vient de beaucoup plus loin que moi, le sang de mes aïeux, le cri de ma terre, terre chrétienne depuis seize siècles, le souci de mes enfants et de mes petits-enfants, la plainte de tous mes compatriotes, je dis : “Vous n’avez pas

le droit de nous priver d’un prêtre. Vous n’avez pas le droit de nous priver de la présence réelle du Corps et du Sang de notre Dieu dans notre église. Vous n’avez pas le droit de nous priver des sacrements”. »

 

Vous n’avez pas le droit de vous contenter de gérer une faillite, si faillite il y a et de refuser, au nom de je ne sais quel plan établi, d’envisager les secours qui se présentent.

 

Vous passerez, Monseigneur, votre carrière vous appellera ailleurs. Il est fini, le temps où les évêques épousaient leur diocèse, comme nous laïcs, épousons nos conjoints. Comme un préfet, vous serez promu. Nous, nous resterons, avec nos maisons, nos jardins, nos tombeaux.

Je sais bien qu’à la fin, c’est nous qui aurons raison. Je sais bien que la Corse, qui en a vu d’autres, absorbera aussi cette souffrance. Je sais que l’Eglise a résisté à tout, même et surtout aux hommes d’Eglise. Mais pourquoi faire si compliqué quand la solution est si simple ? Les corses ont leurs défauts, que je ne connais que trop, mais le Corse est un animal religieux. Ses traditions

qui reviennent en force dans la jeunesse d’aujourd’hui, par les chants, les confréries, les études, la littérature et les poèmes créent un climat exceptionnellement favorable à l’Eglise, mais cette occasion ne peut être saisie que par des hommes consacrés, par de vrais prêtres. Aucune équipe de laïcs, même la plus dévouée, ne peut incarner l’objet de cet appel : le sacré. Il faut des hommes dont on sait, dont on voit, dont on sent qu’ils sont des hommes de Dieu. Quel président ou quelle présidente d’action catholique, fut-elle la plus dévouée qui soit, peut prétendre à cette fonction ? Quel animateur de secteur, quelle « équipe-pilote », voire quel prieur laïque de confrérie peut, sans rire, ou sans rougir, se voir donner ce titre : homme de Dieu ? Voué à Dieu ! « eunuque pour le royaume des Cieux » ?

 

« Si le prêtre se connaissait, il en mourrait », disait le curé d’Ars. Nous, nous risquons de mourir, en tant que communauté, en tant que village, en tant que petite nation, de ne plus pouvoir connaître notre prêtre. Si encore c’était par violence qu’il nous était enlevé, cette violence même serait un bienfait. Mais quand c’est par décision administrative, création d’une ZEP et volonté idéologique ? Nous sommes trop forts et trop sûrs de notre droit pour l’accepter.

 

J’écris cela dans le jardin de cette abbaye que fonda, il y a dix siècles, Petrus A Stella, Pierre de l’Etoile. Il y a moins de soixante-dix ans, c’était une ruine. A sa place, il y avait une usine à fabriquer des boutons. Aujourd’hui, elle a essaimé en France et aux Etats-Unis.

Soixante hommes de Dieu y chantent Dieu, sept fois le jour. C’est toujours Dieu – et les hommes de Dieu – qui ont le dernier mot.

J.T.V.

 

PRÉSENT — Mercredi 3 septembre 2008

 

 

Troisième article

 

 

Eglise d’hier et d’aujourd’hui : la différence !

 

LA VENUE de Benoît XVI sur le sol de France provoque une vague d’entretiens, articles, commentaires, tous révélateurs, non pas de l’état moral, mental et religieux du pays, mais des préoccupations des soi-disant élites. Je ne les reprendrai pas ici. Nous les connaissons. Elles sont à mille lieues des nôtres et à grande distance de celles du Pape.

 

Mais un fait, cependant, frappe. Dans le constat de l’état de l’Eglise de France, le désert des campagnes, des villages et même des bourgs de moyenne importance – cantons, doyennés – n’est plus nié. Il est reconnu mais, pas obligatoirement comme un mal. « Epoque de transition » a dit Mgr Vingt-Trois, dans le Figaro, dans le journal du Dimanche, et sur Europe 1, ajoutant : « L’Eglise de France doit savoir qu’elle n’est plus au XIXe siècle où on comptait un prêtre par village, un pasteur pour deux cents âmes… Elle doit trouver de nouvelles formules,

avec mobilisation des laïcs… » On connaît la chanson.

 

La référence au XIXe siècle interpelle, comme on disait naguère chez les dominicains à la mode. Il est vrai qu’à la fin du XIXe siècle, avant la grande persécution des lois dites de séparation de l’Eglise et de l’Etat, la France, non seulement était remplie de prêtres nés en son sein, mais ses congrégations missionnaires en exportaient dans le monde entier. Etait-ce le fait d’un temps inexorablement heureux, alors que nous vivrions un temps inexorablement malheureux ? Etait-ce dû à des conditions sociales – la ruralité – la lenteur des moyens de transport, des structures matérielles différentes !

 

Comment était-on arrivé à une telle richesse, et comment sommes-nous passés de cette surabondance à notre absolue disette ? Il peut être utile d’y jeter un regard

approfondi.

 

En réalité, la référence au XIXe siècle doit être nuancée, selon le moment du siècle dont nous parlons. A la fin de l’époque napoléonienne, même si le Concordat a porté religieusement ses fruits, les campagnes sont vidées des hommes par les guerres et le commencement de l’ère industrielle provoque, par nécessité, un exode rural massif vers les concentrations d’usines.

D’où un désert démographique, moral, spirituel, peut-être pire que celui que nous connaissons aujourd’hui.

 

Mais, la grande différence de ce temps d’avec le nôtre, est que l’épiscopat, les autorités religieuses, ne se résignent pas à cette situation. Ils ne la théorisent pas pour en faire le ciment d’une refondation selon un nouveau style, qui épouserait les conditions du temps.

 

Au contraire, la réaction, dont le saint Curé d’Ars est le modèle, est de donner à la paroisse, à son curé, une place que, peut-être, elle n’avait pas encore connue. Les congrégations, masculines et féminines, se multiplient, qui viennent apporter leur aide à ce pivot de la renaissance, à la fois catholique, civique et sociale : le curé de campagne. Les missions réévangélisent. Nous voyons

encore, aujourd’hui, à l’entrée des villages, les croix qu’en souvenir de leur passage, et pour les remercier, les paroissiens reconnaissants avaient plantées. Cette merveille du tissu social, national et religieux recomposé, malgré l’épuisement des vingt-trois années de guerre – 1792-1815 – malgré la révolution, malgré les idées à la mode, malgré une révolution industrielle absolument

désordonnée, malgré un pouvoir indifférent, quand il n’est pas hostile – sauf les périodes de monarchie (1815-1848) – est le fruit d’une volonté constante, de l’énergie des évêques dont certains sont restés célèbres : Mgr Pie, Mgr Freppel, Mgr Dupanloup ; de fondations et de congrégations ; et encore une fois, de l’exemple du saint Curé d’Ars.

 

Les laïcs, eux, lorsqu’ils se mobilisent, comme ce fut le cas avec le bienheureux Frédéric Ozanam, Maurice Maignan, Léon le Prévost, Armand de Melun, et tout le salon de Madame Swetchine, sans omettre un grand confrère, le modèle des avocats, Pierre-Antoine Berryer, ne songent pas un instant à se substituer, en quoi que ce soit, au prêtre. Le champ de leur « action catholique au temporel » est suffisamment vaste, et leur sens du caractère sacré, unique, irremplaçable, du prêtre est suffisamment vif pour que cette idée ne les effleure même pas. Ils sont mystiques, actifs,

parfois excellents théologiens, mais ils ont, pardessus tout, le sens catholique de la distinction des

ordres et du respect du prêtre.

 

Lorsqu’il est venu à Ars, le pape Jean-Paul II a rappelé et célébré cet exemple du saint curé comme le modèle toujours valable aujourd’hui.

 

L’histoire, elle, prouve que rien n’est jamais définitif, ni le désert, ni la surabondance.

 

Elle prouve aussi que la grâce de Dieu ne manque jamais, même si, souvent, c’est nous qui manquons à cette grâce.

 

L’affaire n’est pas seulement ecclésiastique. Elle est culturelle. Elle est une question de civilisation, et, au bout du compte, elle est, dans le plus noble sens du mot, une question politique. La France des trente-six mille communes est la France des trente-six mille paroisses. Le royaume de France a sa structure terrienne, ses racines spirituelles et charnelles tout ensemble dans

le réseau des villes et villages, des églises et des cathédrales, des monastères et des chapelles, des curés et des moines. Aucune zone ne remplace ce qui, depuis, quinze siècles, est la chair et l’âme de notre pays. C’est ne rien connaître à l’histoire de France comme à l’histoire de l’Eglise, que de mépriser ces réalités.

Le pouvoir politique en place – le pays légal – méconnaît absolument cette réalité historique. Il ne la combat pas. Il l’ignore. Les dirigeants pensent à autre chose. L’Europe, l’euro-méditerranée, les enjeux mondiaux, le village planétaire absorbent leur attention. Une partie de l’établissement ecclésiastique suit le même mouvement. Et nos campagnes changent. Elles se vident. Leurs églises sont désertes. Bientôt, les mosquées dans de nombreuses régions, les auront remplacées.

Les minarets résonneront des appels du muezzin. Les cloches se seront tues. Nous nous réveillerons ailleurs. Car la nature a horreur du vide et la France, terre bénie des dieux, toujours convoitée par l’Est et par le Sud, ou par les deux à la fois, si elle n’est pas habitée des

Français, sera occupée par d’autres. Les zones, alors, d’ecclésialité, d’éducation prioritaire ou d’aménagement en tous genres, voleront en éclats, et il faudra, ou mourir, ou encore une fois, tout reconquérir, et tout réévangéliser.

Plus on attend, et plus ce sera dramatique.

Politiques et religieux portent ici une responsabilité immense, devant Dieu, devant l’histoire, devant nos enfants et nos petits-enfants.

Leurs plans nous indiffèrent. Leurs commentaires nous laissent de marbre.

 

Il s’agit de notre terre, de nos églises, de nos villages. Nous en sommes responsables. Avec eux ou sans eux, et, s’il le faut contre eux, nous les garderons français et catholiques, toujours.

 

Et Benoît XVI, après Jean-Paul II, et avec l’appui de quinze siècles où l’histoire de France rejoint l’histoire de l’Eglise, nous confirmera dans notre lutte.

J.T.V

PRÉSENT — Mercredi 10 septembre 2008