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Un regard sur le monde  politique et religieux

Au 17 juin  2005

 

N°47

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

 

 

 

A- ACTUALITÉ RELIGIEUSE

 

Pour Benoît XVI , le gouvernement français  doit renoncer au « droit de regard » dont il dispose depuis les années 20 pour la nomination  des évêques.

 

 On se souvient que le 24 octobre 1998, le cardinal Ratzinger, recevant à Rome les communautés « Ecclesia Dei », avait fait une allusion concernant l’épiscopat français. Il avait dit « Nous devons faire notre possible pour former une nouvelle génération de prélats ».

 

Je me permets de situer cette déclaration dans son contexte. Le cardinal recevait en ce jour, les prêtres et les fidèles qui étaient venus dire à Rome leur action de grâces pour la publication du Motu Proprio « Ecclesia Dei adflicat » mais aussi pour dire leur déception de voir une épiscopat français toujours aussi opposé à la célébration de la messe « ancienne ».

 

Le cardinal les avait reçus à Rome. Je m’y étais joint.

 

Il leur avait adressé une très belle conférence sur cette « affaire » de la célébration de l’ancienne messe.

 

Puis Dom Gérard avait pris la parole.

 

Après l’exposé de Dom Gérard, le cardinal avait repris la parole et cette fois, parlant « ex abundantia cordis » fît quelques considérations sur le discours de Dom Gérard. Il s’adressa à lui, ne lui donna pas une totale approbation, ne partageant pas tout à fait les considérations canoniques qu’il  venait de proposer pour améliorer la situation de la célébration de la Messe  dite de Saint Pie V en France. Non qu’elles ne soient pas dignes d’intérêt mais, pour le cardinal, elles n’étaient  ni primordiales ni essentielles. Elles resteront lettres mortes. Ce n’est pas de cette façon, dit-il, qu’on améliorera la situation en faveur de l’ancienne messe. Notre effort doit s’appliquer ailleurs. Il faut changer les cœurs et les intelligences. C’est cela qui est urgent, dit le Cardinal. C’est alors qu’il affirma cette fameuse phrase qui fut même reproduite dans le papier d’ Elie Maréchal du Figaro du lendemain, le 25 octobre 1998 :   « nous devons faire notre possible pour former une nouvelle génération de prélats ».

 

Avec la nomination du cardinal à la papauté, il semble bien que l’heure soit  arrivée.

 

Le droit de regard dont jouit le gouvernement sur la nomination des évêques n’est certes pas la  meilleure des choses…

 

Benoît XVI vient de faire savoir qu’il faudrait que pour la nomination des évêques en France, le gouvernement renonce à son « droit » de regard sur cette nomination.

 

Le Figaro s’en est fait l’écho dans son édition du 14 juin.

 

Voici le compte rendu qu’en fait l’abbé Lotte dans son bulletin remarquable « Balise », le n° 13 de juin 2005.

 

Avec son aimable autorisation nous en reproduisons intégralement le texte.  (M. l’abbé Christian Lotte 1 rue de la mairie 89150 Savigny/Clairis)

 

 

« Sous ce titre le Figaro du 14 juin fait part d’une décision capitale de Benoît XVI qui constitue un tournant fondamental non seulement pour la France mais pour l'Église. C’est vraiment comme il l’a dit lors de sa première homélie, « la fidélité à la Tradition » Apostolique qu’il entend renouer. Depuis Saint Pie X, ce moment était attendu. Voici quasi en entier l’article du figaro avec les notes de l’Abbé Charles Tinotti qui nous l’a communiqué.

En raison d’accords bilatéraux entre la France et le Saint Siège datant des années 20, le gouvernement français est encore aujourd’hui consulté sur la nomination des évêques catholiques. Une procédure, certes symbolique, mais désormais unique en son genre en Europe. Le Saint-Siège souhaite revoir cette survivance du passé dans une logique de séparation claire entre l’Église catholique et l’État, mais aussi pour assurer sa pleine indépendance. [Note de l’Abbé : elle n’est donc pas si symbolique cette procédure, sinon, pourquoi y toucher ? On comprend que ‘le figaro’ étant un journal politiquement lié soit tenu à des précautions humaines qui en fait ne trompent personne] Un dossier sur lequel les évêques de France sont susceptibles de se pencher dans le cadre des réflexions entamées hier durant leur assemblée plénière bisannuelle.

 

Le Vatican veut revoir avec Paris la procédure de nomination des évêques

 

par Sophie de Ravinel

[…] il est un sujet sur lequel les évêques s’expriment peu publiquement : celui de leur nomination, soumise à une consultation préalable du gouvernement depuis les accords entre la France et le Saint-Siège de 1924. S’il s’agissait alors d’apaiser le climat après 1905, cette procédure semble aujourd’hui décalée dans une logique de séparation des pouvoirs. [Note de l’Abbé : elle n’est pas décalée seulement aujourd’hui mais en soi tant vis-à-vis de la loi dite de 1905 que vis-à-vis de la liberté absolue et de la primauté souveraine sur toute société qui revient de droit divin à l'Église Catholique. St Pie X l’avait fort bien compris qui, face à la rupture du Concordat dont pleurait les évêques jusqu’alors en fait ligotés par le Pouvoir Politique et voyant leurs émoluments et prébendes disparaître, s’exclama : « ils nous rendent notre liberté, profitons en ». Briand, plus fin que Combes, le comprit aussi, d’où l’accord officieux pour récupérer la mainmise sur l’Episcopat malgré la ‘séparation théorique de 1905’ : la République adoucit sa législation en échange d’un droit de regard –en fait de veto- sur la nomination des évêques, accord réalisé par le très curieux et mystérieux Cardinal Gasparri qui fit passer dorénavant non par la Congrégation des Evêques mais par la section française de la Secrétairerie d’Etat –qui a « l’oreille des Frères »- la nomination des postes en France]

Avant toute nomination officielle, le nonce apostolique (ambassadeur du Vatican) réunit avec l’aide de quelques évêques une liste de trois noms qu’il transmet à Rome où le Pape, assisté par la Congrégation pour les évêques, est chargé du choix final. Ensuite, le nonce contacte le prêtre élu pour lui proposer cette charge. Si la réponse est positive, il transmet une note au ministère français des Affaires étrangères qui la renvoie au ministère de l’Intérieur et avertit l’Élysée. Après consultations en particulier du casier judiciaire - une note, favorable ou non, est envoyée par les autorités françaises au nonce apostolique. Une procédure purement formelle qui prend quelques jours. [Note de l’Abbé : pas si formelle que ça en fait, on l’a vu plus haut]

Depuis l’entrée en vigueur du nouveau concordat entre le Saint-Siège et le Portugal, le 18 décembre dernier, la France est désormais le seul Etat européen à conserver ce droit de regard. Pour se garantir une totale indépendance, le Saint-Siège souhaite que la France envisage de renoncer à ce privilège. [Note de l’Abbé : encore une fois : si c’était si formel, on ne voit pas pourquoi le Saint Siège voudrait ‘se garantir une totale indépendance’]

Le gouvernement ne semble pas très motivé pour entreprendre une réforme de ce « pilier de l’Histoire » [Note de l’Abbé : on le comprend !] dont il ne perçoit pas les avantages dont pourrait bénéficier le Saint-Siège. « Il s’agit d’un gage de bonnes relations, explique un diplomate français, et d’un filet de sécurité dont tout le monde profite.’ [Note de l’Abbé : ‘tout le monde’ ou ceux qui sont plus ‘frères’ que d’autres ?]

Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur et à ce titre chargé des cultes, confirme cette réserve. […] Or, depuis les années 1950, « il n’y a eu que deux refus : en 1952 pour un prêtre guadeloupéen indépendantiste et, en 1968, pour un prêtre du diocèse de Rennes qui avait appelé à une grève des impôts ». « Il est peu probable qu’il s’en produise de nos jours », reconnaît le ministre. Pour lui, « seuls le poids de l’histoire et le souci de relations confiantes entre la France et le Saint-Siège expliquent le maintien de cette procédure ». [Note de l’Abbé : il est sûr que tant que la section française de la secrétairie d’Etat s’empressera de devancer les désirs du Ministère français, en partageant avec lui la même ‘fraternité’ de pensée, celui-ci ne s’y opposera pas ; voilà ce qu’il faut entendre par ‘relations confiantes’]

Au sein de la Conférence des évêques, on avance avec prudence, en soulignant que « la question mérite d’être posée mais demeure délicate ». Le dossier, dit-on, « devra être abordé de manière bilatérale afin que cela ne soit pas considéré comme un geste de rupture ». [Note de l’Abbé : pourquoi tant de ‘prudence’ sur un sujet ‘délicat’ gros d’une ‘rupture’ possible si c’était la ‘procédure’ actuelle était si ‘formelle’ qu’on nous le dit ? allons donc ! Il est vrai qu’il faudrait outre la prudence un sacré courage dans l’épiscopat actuellement nommé avec l’agrément d’un Etat foncièrement anti-catholique pour remettre en cause cette prépotence indue, un courage digne des grands évêques gaulois du bas empire et du haut moyen-Age, un courage comme celui de Benoît XVI qui renoue, par delà la politique de transactions et de compromissions réimposée depuis Benoît XV, avec le zèle surnaturel des Apôtres envers la sainteté de l'Église, sa liberté inaliénable, sa primauté sur toute création. Benoît XVI a repris la croix pectorale de Saint Pie X : d’aucuns y ont vu un simple symbole. On sait maintenant que c’est le choix irrévocable d’une fidélité. Vu l’état profondément anticatholique et de plus en plus violemment et insidieusement, de toutes les sphères ‘officielles’ françaises, il nous faut nous préparer aux conséquences qui s’annoncent dans la radicalité des choix qu’il faudra poser.] 

 

 

 

B- Quelle est la philosophie de notre nouveau premier Ministre : M. de Villepin ?

 

Pour le savoir, on peut se référer à son discours du 25 juin 2003.

 

On se souvient en effet que le 25 juin 2003 M . de Villepin, à l’époque ministre des Affaires étrangères, recevait, dans son ministères, les Francs-maçons du Grand Orient de France, à l’occasion du 250è anniversaire de leur fondation en France.

Il leur tint ce langage. 

 

 

« Mesdames et Messieurs les Grands Maîtres, Mesdames et Messieurs, Chers Amis, Je suis heureux de vous accueillir au Quai d'Orsay. dans le temple de la boussole et de l'horloge, vous, hommes et femmes de l' équerre et du compas, à l'occasion du 275° anniversaire de la fondation de la Maçonnerie française. Ici réunis, vous formez le symbole de la profonde diversité qui est la vôtre. Diversité de vos obédiences, diversité de vos écoles de pensée, diversité géographique, puisque vous êtes issus de France, mais aussi de toute l'Europe, du Proche et du Moyen-Orient et de l'Afrique. Mais ce qui est remarquable, c'est de voir à quel point cette diversité s'incarne dans un esprit commun, dans des idéaux partagés forgés au fil des siècles avec une constance et une fidélité particulières. Aujourd'hui, dans un contexte de montée des peurs et de l'irrationnel, les valeurs de progrès, de tolérance et de liberté sont plus que jamais indispensables pour redonner à l'homme la place qui lui revient dans notre action - la première de toutes. A l'aube d'un nouveau siècle où les identités et les civilisations jouent un rôle chaque jour plus central, vos idéaux sont aussi ceux qui peuvent permette à chaque culture de s'enrichir du regard des autres. Il est donc naturel que le ministère des Affaires étrangères soit associé à cette commémoration. D'autant que l'histoire de votre courant de pensée est, dès son origine, marquée par la dimension internationale. C'est en effet d'Angleterre, où elle s'était organisée à l'aube du XVII° siècle, que vinrent les premiers représentants de la Franc-Maçonnerie. Partisans des Stuart détrônés, ils fondèrent la première Loge en France, reconnue en 1728 avec un premier Grand Maître anglais, le duc de Wharton. Après des débuts difficiles - elle était soumise au harcèlement policier et accusée d'être une « secte » au service de l'étranger -, elle se développa pour devenir l'une des sources d'inspiration des idées des Lumières et. par la suite, de la Révolution française, Son rôle fut également signalé dans la guerre d'indépendance américaine, et nous avons bien sûr à l'esprit la grande figure de La Fayette, ami des « insurgents » et de George Washington, auquel la franc-maçonnerie française porte à juste titre une grande admiration. Nous nous souvenons aussi que ce fut Léon Bourgeois, prix Nobel de la paix, qui fut l'un des Pères fondateurs de la Société des Nations. Cette dimension internationale s'est très tôt amplifiée et ramifiée, par un essaimage dans de très nombreux pays étrangers. En Europe, bien sûr, mais aussi bien au-delà de l'Afrique à l'Asie, de l'Amérique du Nord à l'Amérique Latine : où son rôle fut si déterminant dans l'accession à l'indépendance de nombreux pays. Aujourd'hui, environ trois millions de membres défendent sur l'ensemble de la planète les valeurs qui sont les vôtres, et je salue vos efforts pour fédérer, au plan international tout autant que national, les différents courants qui vous composent : création de l'Institut maçonnique de France en 2001 et première réunion, en septembre 2002, de l'Espace maçonnique européen, avec dans quelques jours la seconde prévue à Lyon. La France est héritière de votre histoire, comme la franc-maçonnerie est héritière de l'Histoire de la France. Je ne me livrerai pas à l'exercice qui consiste à déterminer le rôle de la Maçonnerie dans l'Histoire de France. Quelques noms illustres suffisent à en rappeler l'importance : Marat, Talleyrand, Le Chapelier, Condorcet, mais aussi Laclos, Sieyès, Guillotin, Desmoulins, Danton, Hébert et tant d'autres. La franc-maçonnerie a, en grande partie, formé l'ossature des clubs révolutionnaires qui ont mené la France à la République, « avec ses ombres et ses lumières », comme le souhaitait Michelet. Vos prédécesseurs, devenus eux aussi victimes de la Terreur à partir de 1793, en imprimant leur marque au Directoire puis au Consulat, ont consolidé l'acquis révolutionnaire, plusieurs d'entre eux étant d'ailleurs issus de la famille Bonaparte. La Maçonnerie française a évolué dans sa conception du fait religieux. La première Constitution du Grand Orient de 1849 affirme que la franc-maçonnerie, « institution éminemment philanthropique, philosophique et progressive, a pour base l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme » : en 1865 on y ajoute « la liberté de conscience » comme « un droit propre à chaque homme » et en 1877, s'effectue le grand changement qui a consisté à considérer « les conceptions métaphysiques comme étant du domaine exclusif de l'appréciation individuelle de ses membres » et aussi à « se refuser à toute affirmation dogmatique ». On ne peut s'empêcher de retrouver dans ce débat des éléments d'interrogations très contemporaines, notamment au niveau européen. Votre histoire se situe au coeur des principaux débats qui ont fait évoluer la France. Débats sur la liberté, avec Blanqui ; débats sur la question des Droits de l'Homme. avec du fardeau dans la lutte contre les totalitarismes : interdite en 1941 l'abolition de l'esclavage par Victor Schoelcher ; débats sur l'idée même de République, proclamée par Gambetta ce fameux 4 septembre 1870 à l’Hôtel de Ville ; débats sur la question scolaire, avec les principes mêmes de l'instruction publique mis en oeuvre par Jules Ferry. Autant d'apports décisifs aujourd'hui au cœur de notre société. De l'instruction à la vie associative et syndicale, du rôle de la femme et de la famille à la définition des sphères respectives de l'Etat et des religions avec la loi dite « de séparation » de 1905 c'est aujourd'hui, au carrefour de toutes les mutations du monde que l'on mesure l'importance de ces fondations indispensables. L'ensemble des obédiences françaises ont pour devise celle de la République : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Dans de nombreux domaines, votre mouvement a été très en avance sur son temps : je ne mentionnerai ici que l'admission des femmes dans les « loges d'adoption », présidées par la duchesse de Bourbon dès 1774 ; puis l'ouverture effective des Loges aux femmes avec l'entrée de Maria Deraime en 1881. Enfin, la franc-maçonnerie a porté sa part sous Vichy, victime des déportations sous le régime nazi, des persécutions sous le régime franquiste en Espagne et sous les régimes communistes dans les pays où elle représentait une réelle force, de la Pologne à la Roumanie, de la Bulgarie à la Tchécoslovaquie ou à la Hongrie.

 

Les défis contemporains appellent à un nouvel engagement pour penser et refonder le monde. Un héritage tel que le vôtre -j'entends le mot d'héritage dans son acception vivante - vous engage à apporter une contribution essentielle aux grands enjeux du monde. La globalité des menaces auxquelles nous sommes confrontés. du terrorisme à la prolifération des armes de destruction massive, de la criminalité organisée à la destruction de l'environnement, montre bien que l'humanité tout entière est aujourd'hui embarquée dans le même navire, soumise aux mêmes intempéries, placée devant les mêmes devoirs. A nous d'en prendre la mesure, en cherchant à définir une nouvelle architecture internationale qui place le respect et le dialogue au centre de la communauté mondiale. Une architecture qui s'appuie sur une triple exigence de justice, de solidarité et de responsabilité. Nous devons repenser en profondeur les rapports entre les peuples, mais aussi entre les hommes et les sociétés. Fidèles à vos valeurs et à votre tradition, vous êtes bien placés pour participer à cette grande aventure humaine. Aujourd'hui, certaines questions se posent en particulier, auxquelles il nous appartient d'inventer ensemble des réponses. Comment lutter efficacement contre les extrémismes, les intégrismes et les fondamentalismes ? Nous voyons malheureusement s'opérer un dévoiement et une instrumentalisation du fait religieux, à la source de tensions et parfois de conflits qui menacent l'équilibre du monde. Il est de notre devoir à tous de résister à cette spirale néfaste et de construire un chemin de réconciliation et de paix entre identité et ouverture à l'autre. Nous nous apprêtons à fêter le centenaire de la loi de 1905. Celle-ci, ne nous cachons pas la vérité, avait en son temps littéralement déchiré la France. Les esprits se sont heureusement apaisés et un modus vivendi serein entre les pouvoirs publics et les cultes, fondé sur le principe de la laïcité, a permis de sortir de la « querelle des deux France ». Mais cet équilibre n'est jamais acquis et nous devons veiller à ce que de nouvelles divisions ne viennent pas le troubler. Aux sources même d'une identité européenne encore à définir, certains défis moraux, politiques, sociaux et économiques sont aujourd'hui au coeur de questionnements indispensables pour l'avenir, de la bioéthique à la définition de la vie et des droits inaliénables qui s'y attachent : du développement durable au sort réservé aux plus faibles et aux handicapés dans nos sociétés ; de la place du travail aux relations entre pays riches et pays pauvres. Attachés au progrès, mais soucieux de ne pas le limiter à ses aspects technologiques ou matériels, nous partageons la même quête, la même exigence d'assurer un avenir meilleur pour l'homme. A nous de développer une réflexion et de forger des concepts opératoires, d'inventer ensemble un modèle d'humanisme moderne et renouvelé. Enfin, une meilleure compréhension de l'autre est toujours plus nécessaire à l'échelle internationale, y compris entre pays alliés et aurais de longue date. Le général de La Fayette, ce « héros des deux mondes », pour reprendre les termes de vos prédécesseurs en 1830, nous fournit ce symbole fort des liens culturels et politiques avec le monde anglo-saxon. La création toute récente de l'Ordre maçonnique de La Fayette va renforcer ce rôle de passeurs que vous avez toujours su jouer. Chers Amis, je crois, comme vous, aux « Hommes de bonne volonté ». Aujourd'hui plus que jamais, le monde exige qu'ils répondent présent devant les grandes missions qui nous attendent. Nous partageons une vision et une ambition : celle d'un monde plus juste, d'un destin plus ouvert, d'une fraternité plus grande entre les hommes. 

 

 

En résumé : « oui à l’héritage maçon, non aux racines chrétiennes »

 

C- Une lettre de Donoso Cortès au cardinal Fornari.

 

 

Ce texte du célèbre mais pas assez lu Donoso Cortès (1809-1853) est fort actuel et éclairant sur la nature religieuse de la crise de notre société, suite naturelle de la crise religieuse dans l'Église…

 

 

LETTRES A S. É. LE CARDINAL FORNARI

 

[…] Il n’est pas une des erreurs contemporaines qui n’aboutisse à une hérésie, et il n’est pas une hérésie contemporaine qui n’aboutisse à une autre depuis longtemps condamnée par l’Eglise. Dans les erreurs passées l’Eglise a condamné les erreurs présentes et les erreurs futures. Identiques entre elles quand on les considère sous le point de vue de leur nature et de leur origine, les erreurs offrent cependant le spectacle d’une variété prodigieuse, quand on les considère sous le point de vue de leur application.

Mon intention est de les considérer aujourd’hui plutôt par le côté de leur application que par celui de leur nature et de leur origine, plutôt par ce qu’elles ont de politique et de social que par ce qu’elles ont de purement religieux, par ce qu’elles ont de divers plutôt que par ce qu’elles ont d’identique, par ce qu’elles ont de changeant plutôt que par ce qu’elles ont d’absolu.

Il y eut un temps où la raison humaine, se complaisant en de folles .spéculations, se montrait satisfaite d’elle-même quand elle était parvenue à opposer une négation à une affirmation dans les sphères intellectuelles, une erreur à une vérité dans les sphères métaphysiques, une hérésie à un dogme dans les sphères religieuses : aujourd’hui elle n’est contente que lors qu’elle a pu descendre dans les sphères politiques et sociales pour y jeter le désordre et le trouble ; faisant, sortir comme par enchantement de chaque erreur un conflit, de chaque hérésie une révolution, et une catastrophe gigantesque de chacune de ses orgueilleuses négations.

L’arbre de l’erreur paraît aujourd’hui arrivé à sa maturité providentielle : planté par la première génération des audacieux hérésiarques, arrosé par une suite d’autres générations, il se couvrit de feuilles au temps de nos aïeux, de fleurs au temps de nos pères, et aujourd’hui il est devant nous et à la portée de notre main, chargé de fruits. Ses fruits doivent être maudits d’une malédiction spéciale, comme l’ont été, dans les temps anciens, les fleurs dont il s’est parfumé, les feuilles dont il s’est couvert, le tronc qui les a supportées, et les hommes qui l’ont planté.

… Entre ces temps et le nôtre, on remarque en effet cette différence notable, qu’autrefois les erreurs étaient renfermées dans les livres de telle sorte, que, lorsqu’on n’allait point les y chercher, ou ne les trouvait pas ailleurs, tandis qu’aujourd’hui l’erreur est dans les livres et hors des livres ; elle y est et elle est partout. Elle est dans les livres, dans les institutions, dans les lois, dans les journaux, dans les discours, dans les conversations, dans les salons, dans les clubs, au foyer domestique, sur la place publique, dans ce qu’on dit et dans ce qu’on tait. Pressé par le temps, j’ai questionné ce qui m’entoure de plus près; et l’atmosphère m a répondu.

Les erreurs contemporaines sont infinies : mais toutes, si l’on veut bien y faire attention, prennent leur origine et se résolvent dans deux négations suprêmes, l’une relative à Dieu, l’autre relative à l’homme. La société nie de Dieu qu’il ait aucun souci de ses créatures ; elle nie de l’homme qu’il soit conçu dans le péché. Son orgueil a dit deux choses à l’homme de nos jours, qui les a crues toutes deux, à savoir, qu’il est sans souillure et qu’il n’a pas besoin de Dieu ; qu’il est fort et qu’il est beau : c’est pourquoi nous le voyons enflé de son pouvoir et épris de sa beauté.

La négation du péché étant supposée, parmi beaucoup d’autres choses on nie les suivantes : - que la vie temporelle soit une vie d’expiation, et que le monde où elle se passe doive être une vallée de larmes ; - que la lumière de la raison soit faible et vacillante ; - que la volonté de l’homme soit infirme et malade ; - que le plaisir nous ait été offert plutôt comme une tentation que pour nous inviter à nous livrer à ses attraits ; - que la douleur soit un bien, lorsqu’elle est acceptée par un motif surnaturel, d’une acceptation volontaire ; - que le temps nous ait été donné pour notre sanctification ; - que l’homme ait besoin d’être sanctifié.

Ces négations étant supposées, on affirme, entre beaucoup d’autres choses : - que la vie temporelle nous a été donnée pour nous élever par nos propres efforts, et au moyen d’un progrès indéfini, aux plus hautes perfections ; - que le lieu où cette vie se passe peut et doit être radicalement transformé pour l’homme ; - que, la raison de l’homme étant saine, il n’y a pas de vérité à laquelle elle ne puisse atteindre, et que, hors de sa portée, il ne peut pas y avoir de vérité ; - qu’il n’y a pas d’autre mal que celui que la raison entend être mal, ni d’autre péché que celui que la raison dit être péché, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’autre mal ni d’autre péché que le mal et le péché philosophiques ; - que la raison de l’homme, étant droite de soi, n’a pas besoin d’être rectifiée ; - que nous devons fuir la douleur et rechercher le plaisir ; - que le temps nous a été donné pour jouir du temps, et que l’homme est bon et sain de soi.

Ces négations et ces affirmations relatives à l’homme conduisent à des négations et affirmations analogues relatives à Dieu. De la supposition que l’homme n’est pas tombé, on arrive à nier et on nie qu’il ait été relevé ; de la supposition que l’homme n’a pas été relevé, on arrive à nier et on nie le mystère de la Rédemption et celui de l’lncarnation, le dogme de la personnalité extérieure du Verbe et le Verbe lui-même. En supposant, d’une part, l’intégrité naturelle de la volonté humaine, et en refusant, d’autre part, de reconnaître l’existence d’un autre mal et d’un autre péché que le mal et le péché philosophiques, on est conduit à nier et on nie l’action sanctifiante de Dieu sur l’homme, et avec elle le dogme de la personnalité de l’Esprit-Saint. De toutes ces négations résulte la négation du dogme souverain de la très-sainte Trinité, pierre angulaire de notre foi et fondement de tous les dogmes catholiques.

De là naît, de là tire son origine un vaste système, de naturalisme qui est la contradiction radicale, universelle, absolue, de toutes nos croyances. Nous, catholiques, nous croyons et professons que l’homme pécheur a perpétuellement besoin de secours, et que Dieu lui octroie perpétuellement ce secours par le moyen d’une assistance surnaturelle , œuvre merveilleuse de son amour infini et de son infinie miséricorde. Pour nous, le surnaturel est l’atmosphère du naturel, c’est-à-dire ce qui, sans se faire sentir, l’enveloppe et en même temps le soutient. Entre Dieu et l’homme il y avait un abîme insondable ; le Fils de Dieu s’est fait homme, et, réunissant en lui les deux natures, l’abîme fut comblé. Entre le Verbe divin, Dieu et homme en même temps, et l’homme pécheur, il y avait encore une immense distance ; pour la diminuer, Dieu mit entre son Fils et sa créature la mère de son Fils, la très-sainte Vierge, la femme sans péché. Entre la femme sans péché et l’homme pécheur, la distance était encore grande, et Dieu, dans sa miséricorde infinie, mit entre la Vierge très-sainte et l’homme pécheur les saints pécheurs. Qui n’admirera un si grand, si souverain, si merveilleux et si parfait artifice ? Le plus grand pécheur n’a besoin que d’étendre sa main pécheresse pour rencontrer qui l’aide à s’élever, de degré en degré, de l’abîme de son péché au plus haut des cieux.

Et tout cela n’est que la forme visible et extérieure, et, jusqu’à un certain point imparfaite, des effets merveilleux de ce secours surnaturel que Dieu donne à l’homme pour qu’il marche d’un pied ferme dans le rude sentier de la vie. Pour se faire une idée de ce surnaturalisme merveilleux, il faut pénétrer avec les yeux de la foi dans les régions les plus hautes et les plus reculées ; il faut regarder l’Eglise, mue perpétuellement par l’action très secrète de l’Esprit-Saint ; il faut pénétrer dans le sanctuaire retiré des âmes, et y voir comment la grâce de Dieu les sollicite et les recherche, comment l’âme de l’homme ouvre ou ferme son oreille à ce divin appel, et comment s’établit et se poursuit continuellement, entre la créature et son créateur, un silencieux entretien. Il faut voir, d’un autre côté, ce qu’y fait, ce qu’y dit, ce qu’y cherche l’esprit des ténèbres, et comment l’âme de l’homme va et vient et s’agite et se fatigue entre deux éternités pour s’abîmer enfin, selon l’esprit qu’elle suit, dans les régions de la lumière ou dans celles des ténèbres. Il faut regarder et voir à notre côté notre ange gardien veillant attentivement pour que les pensées importunes ne nous tourmentent pas, mettant ses mains devant nos pieds pour que nous n’allions pas heurter contre quelque pierre. Il faut ouvrir l’histoire et y lire la manière merveilleuse dont Dieu dispose les événements humains pour sa propre gloire et pour le bien de ses élus, événements dont il est maître, sans que pour cela l’homme cesse d’être maître de ses actions. Il faut voir comment il suscite, en temps opportun, les conquérants et les conquêtes, les généraux et les guerres, et comment il rétablit et pacifie tout en un instant, renversant les guerriers et domptant l’orgueil des conquérants ; comment il permet que des tyrans se lèvent contré un peuple pécheur, et comment il permet que les peuples rebelles soient parfois le châtiment des tyrans ; comment il réunit les tribus et sépare les castes ou disperse les nations ; comment il donne et ôte à son gré les empires, comment il les couche à terre et comment il les élève jusqu’aux nues ; il faut voir enfin comment les hommes marchent, perdus et aveugles, dans ce labyrinthe de l’histoire, construisant les nations humaines sans qu’aucune sache dire quelle est sa structure, ni où est son entrée ni quelle est son issue.

Tout ce vaste et splendide système de surnaturalisme, clef universelle et universelle explication des choses humaines, est nié implicitement ou explicitement par ceux qui affirment la conception immaculée de l’homme. Et ceux qui affirment cela aujourd’hui ne sont pas quelques philosophes seulement ; ce sont les gouverneurs des peuples, les classes influentes de la société et la société elle-même, empoisonnée du venin de cette hérésie perturbatrice.

Là est l’explication de tout ce que nous voyons et de tout ce que nous touchons dans l’état où nous sommes tombés, entraînés par la logique de l’erreur. En premier lieu, si la lumière de notre raison n’a pas été obscurcie, cette lumière est suffisante, sans le secours de la foi, pour découvrir la vérité. Si la foi n’est pas nécessaire, la raison est souveraine et indépendante. Les progrès de la vérité dépendent des progrès de la raison ; les progrès de la raison dépendent de son exercice ; son exercice consiste dans la discussion ; la discussion est donc la vraie loi fondamentale des sociétés humaines et l’unique creuset où, après la fusion, la vérité, dégagée de tout alliage d’erreur, apparaisse dans sa pureté. De ce principe sortent la liberté de la presse, l’inviolabilité de la tribune et la souveraineté réelle des assemblées délibérantes. En second lieu, si la volonté de l’homme n’est pas malade, l’attrait du bien lui suffit pour suivre le bien sans le secours surnaturel de la grâce. Si l’homme n’a pas besoin de ce secours, il n’a pas besoin non plus des sacrements qui le lui donnent ni des prières qui le lui procurent : si la prière n’est pas nécessaire, elle est inutile, et la vie contemplative est une pure oisiveté. Si la vie contemplative n’est qu’oisiveté, la plupart des communautés religieuses n’ont aucune raison d’être : aussi, partout où ont pénétré ces idées, ces communautés ont-elles été détruites. Si l’homme n’a pas besoin des sacrements, il n’a pas besoin non plus de ceux qui les administrent, et, s’il n’a pas besoin de Dieu, il n’a pas besoin de médiateurs : de là le mépris ou la proscription du sacerdoce partout où ces idées ont jeté des racines. Le mépris du sacerdoce se résout partout dans le mépris de l’Église, et le mépris de l’Eglise se mesure au mépris de Dieu. L’action de Dieu sur l’homme étant niée, et un abîme insondable étant de nouveau ouvert autant qu’il est possible entre le créateur et sa créature, immédiatement la société s’écarte instinctivement de l’Église à une distance égale ; de sorte que partout où Dieu est relégué dans le ciel, l’Eglise est reléguée dans le sanctuaire ; tandis qu’au contraire partout où l'homme vit assujetti à la domination de Dieu, il s’assujettit naturellement et instinctivement à la domination de son Église. Tous les siècles attestent cette vérité, et le siècle présent lui rend le même témoignage que les siècles passés.

Tout ce qui est surnaturel étant ainsi écarté, et la religion étant convertie en un déisme vague, l’homme, qui n’a pas besoin de l’Église, enfermée dans son sanctuaire, ni de Dieu, prisonnier dans son ciel comme Encelade sous son rocher, tourne ses yeux vers la terre et se consacre exclusivement au culte des intérêts matériels : c’est l’époque des systèmes utilitaires, des grands développements du commerce, des fièvres de l’industrie, des insolences des riches et des impatiences des pauvres. Cet état de richesse matérielle et d’indigence religieuse est toujours suivi d’une de ces catastrophes gigantesques que la tradition et l’histoire gravent perpétuellement dans la mémoire des hommes. Les prudents et les habiles se réunissent en conseil pour les conjurer ; mais la tempête arrive en grondant, met en déroute leur conseil et les emporte avec leurs conjurations.

De là une impossibilité absolue d’empêcher l’invasion des révolutions et l’avènement des tyrannies, qui ne sont au fond qu’une même chose, puisque révolutions et tyrannies se résument également dans la domination de la force, qui seule peut régner lorsqu’on a relégué Dieu dans le ciel et l’Eglise dans le sanctuaire.

Tenter de combler le vide que leur absence laisse dans la société par une sorte de distribution artificielle et équilibrée des pouvoirs publics n’est qu’une folle présomption, une tentative semblable à celle d’un homme qui, en l’absence des esprits vitaux, voudrait reproduire, à force d’industrie et par des moyens purement mécaniques, les phénomènes de la vie. Dieu, l’Église, ne sont pas des formes, aussi n’y a-t-il aucune forme qui puisse remplir le grand vide qu’ils laissent quand ils se retirent des sociétés humaines. Au contraire, il n’y a aucune forme de gouvernement qui soit essentiellement dangereuse lorsque Dieu et son Église se meuvent librement, si, d’un autre côté, les moeurs lui sont amies et les temps favorables.

Il n’y a pas d’accusation plus singulière et plus étrange que celle qui consiste à affirmer, d’une part, avec certaines écoles, que le catholicisme est favorable au gouvernement des masses, et, de l’autre, avec d’autres sectaires, qu’il empêche le développement de la liberté, qu’il favorise l’expansion des grandes tyrannies. Y a-t-il absurdité plus grande que d’accuser du premier fait le catholicisme, continuellement occupé à condamner les révoltes et à sanctifier l’obéissance comme une obligation commune à tous les hommes ? Y a-t-il absurdité plus grande que d’accuser du second fait la seule religion de la terre qui enseigne aux peuples que nul homme n’a droit sur l’homme, parce que toute autorité vient de Dieu, que nul ne sera grand s’il n’est petit à ses propres yeux, que les pouvoirs sont institués pour le bien, que commander c’est servir, et que la souveraineté est un ministère, et par conséquent un sacrifice ? Ces principes révélés de Dieu, et maintenus dans toute leur intégrité par sa sainte Église, constituent le droit public de toutes les nations chrétiennes. Ce droit public est l’affirmation perpétuelle de la vraie liberté, parce qu’elle est la perpétuelle négation, la condamnation permanente, d’un côté, du droit des peuples de laisser les voies de l’obéissance pour celles de la révolte, et, d’un autre côté, du droit des princes de convertir leur pouvoir en tyrannie. La liberté consiste précisément dans la double négation de ce droit de tyrannie et de ce droit de révolte, et cela est tellement vrai, que, cette négation acceptée, la liberté est inévitable, tandis que, si on la rejette, la liberté est impossible : l’affirmation de la liberté et la négation de ces droits ne sont, à y bien regarder, que deux expressions différentes d’une seule et même chose. D’où il suit non-seulement que le catholicisme n’est l’ami ni des tyrannies ni des révolutions, mais encore que lui seul les nie et les repousse véritablement : non-seulement qu’il n’est pas l’ennemi de la liberté, mais encore que lui seul a découvert, par sa double négation de la tyrannie et de la révolte, le caractère propre de la vraie liberté.

Il n’est pas moins absurde de supposer, comme le font quelques-uns, que la sainte religion que nous professons, et l’Église qui la contient et la prèche, ou arrêtent ou regardent avec regret le libre développement de la richesse publique, la bonne solution des questions économiques et l’accroissement des intérêts matériels ; s’il est certain que la religion se propose, non pas de rendre les peuples puissants, mais heureux, non pas de rendre les hommes riches, mais saints, il ne l’est pas moins qu’un de ses nobles et grands enseignements impose à l’homme la mission de transformer la nature entière, et de la mettre à son service par le travail. Ce que l’Église cherche, c’est un certain équilibre entre les intérêts matériels et les intérêts moraux et religieux ; ce qu’elle cherche dans cet équilibre, c’est que chaque chose soit à sa place, et qu’il y ait place pour toutes choses ; ce qu’elle cherche enfin, c’est que la première place soit occupée par les intérêts moraux et religieux, et que les intérêts matériels ne viennent qu’après ; et cela, non seulement parce que les notions les plus élémentaires de l’ordre l’exigent, mais encore parce que la raison nous dit et l’histoire nous enseigne que cette prépondérance, condition nécessaire de cet équilibre, peut seule conjurer et qu’elle conjure infailliblement les grandes catastrophes, toujours prêtes à surgir partout où le développement exclusif des intérêts matériels met en fermentation les grandes concupiscences.

Certains hommes, de nos jours se montrent persuadés de la nécessité où est le monde, pour ne pas périr, d’avoir l’appui et le secours de notre religion sainte et de la sainte Église ; mais, craignant de se soumettre à son joug, qui, s’il est doux pour les humbles, est lourd pour l’orgueil humain, ils cherchent une issue dans une transaction, acceptant de l’Église et de la religion certaines choses et en repoussant d’autres qu’ils estiment exagérées. Ces hommes sont d’autant plus dangereux, qu’ils prennent un certain air d’impartialité très-propre à tromper et à séduire les peuples, et au moyen duquel ils se font juges du camp, obligeant l’erreur et la vérité à comparaître devant eux, et cherchant avec une fausse modération je ne sais quel milieu impossible entre elles. La vérité, cela est certain, se trouve entre les erreurs opposées et extrêmes ; mais entre la vérité et l’erreur il n’y a point de milieu : entre ces deux pôles contraires il n’y a rien qu’un vide immense ; celui qui se place dans ce vide est aussi loin de la vérité que celui qui se place dans l’erreur : on n’est dans la vérité que lorsqu’on est complètement en union avec elle.

Telles sont les principales erreurs des hommes et des classes à qui est échu de notre temps le triste privilège de gouverner les nations. Mais lorsque, tournant les yeux d’un autre coté, le regard s’arrête sur ceux qui se présentent pour réclamer le grand héritage du gouvernement, la raison est troublée et l’imagination confondue de se trouver en présence d’erreurs plus pernicieuses encore et plus abominables. C’est une chose digne de remarque pourtant que, si pernicieuses et abominables qu’elles soient, elles sortent logiquement, comme autant de conséquences rigoureuses et inévitables, des erreurs que je signalais tout à l’heure.

L’immaculée conception de l’homme et la beauté intégrale de la nature humaine étant supposées, voyons quelles questions se présentent naturellement à l’esprit. Les uns se disent : « Si notre raison est lumineuse et notre volonté droite et excellente, pourquoi nos passions, qui sont de nous et en nous, aussi bien que notre raison et notre volonté, ne seraient-elles pas également bonnes et excellentes ? » D’autres se demandent : « Si la discussion est bonne en soi, si elle est le moyen d’arriver à la vérité, comment peut-il y avoir des choses soustraites à sa juridiction souveraine ? » D’autres ne conçoivent pas pourquoi, en partant des prémisses acceptées, on n’arrive pas à cette conclusion : « La liberté de penser, de vouloir et d’agir, doit être absolue. » Ceux qui se livrent aux controverses religieuses sont conduits à poser cette question : « Si Dieu n’est pas bon dans la société, pourquoi le reconnaîtrait-on dans le ciel, et pourquoi, si l’Église ne sert de rien, l’admettrait-on dans le sanctuaire ? » Un plus grand nombre encore fait celle-ci : « Puisque le progrès vers le bien est indéfini, pourquoi ne pas tenter l’héroïque entreprise d’élever les jouissances à la hauteur des concupiscences, et de changer cette vallée de larmes en un jardin de délices ? » Les philanthropes se montrent scandalisés lorsqu’ils rencontrent un pauvre dans les rues, ils ne peuvent comprendre que le pauvre, étant si laid, soit réellement un homme, ni que l’homme, étant si beau, puisse être pauvre. Et ces questions, ces raisonnements, aboutissent à cette conclusion dernière, que, sous une forme ou sous une autre, tous proclament unanimes : « Il y a nécessité, nécessité impérieuse, de bouleverser la société, de supprimer les gouvernements, de partager les richesses et d’en finir d’un coup avec toutes les institutions humaines et divines. »

Il est encore, quoique la chose paraisse impossible, il est une erreur qui, n’étant pas à beaucoup près aussi détestable, considérée en elle-même, a néanmoins, par ses conséquences, une portée plus haute que toutes ces erreurs ; je veux parler de l’aveuglement de ceux qui ne voient aucun lien entre ces erreurs et les erreurs mères que j’ai d’abord signalées, de ceux qui refusent de croire que celles-là naissent nécessairement et inévitablement de celles-ci. Si la société ne sort pas bientôt de cette erreur pour condamner d’une condamnation radicale et souveraine toutes ces erreurs, les unes comme conséquences et les autres comme prémisses, la société, humainement parlant, est perdue.

En parcourant l’énumération incomplète que je viens de faire des erreurs monstrueuses de notre temps, on remarque que les unes aboutissent à la confusion absolue, à l’anarchie absolue, tandis que les autres rendent nécessaire, pour leur réalisation, un despotisme de proportions inouïes et gigantesques. La première catégorie comprend celles qui se rapportent à l’exaltation de la liberté individuelle et à la violente destruction de toutes les institutions ; la seconde, celles qui supposent une ambition organisatrice. Dans le dialecte de l’Ecole, on appelle socialistes en général les sectaires qui répandent les premières, et communistes ceux qui sèment les secondes. Ce que ceux-là cherchent surtout, c’est l’expansion indéterminée de la liberté individuelle aux dépens de l’autorité publique supprimée ; les autres, au contraire, tendent à l’entière suppression de la liberté humaine et à un développement gigantesque de l’autorité de l’État. La formule la plus complète de la première de ces doctrines se trouve dans les écrits de M. Émile de Girardin et dans le dernier livre de M. Proudhon. Celui-là a découvert la force centrifuge, celui-ci la force centripète de la société future que gouverneront les idées socialistes, et qui obéira à deux mouvements contraires, l’un de répulsion, produit par la liberté absolue, l’autre d’attraction, produit par un tourbillon de contrats. Quant au communisme, son essence consiste dans la confiscation de toutes les libertés et de toutes choses au profit de l’État.

Ce que toutes ces erreurs sociales ont de monstrueux tient à la profondeur des erreurs religieuses, où elles ont leur explication et leur origine. Les socialistes ne se contentent pas de reléguer Dieu dans le ciel ; ils vont plus loin, ils font profession publique d’athéisme, ils nient Dieu en tout. La négation de Dieu, source et origine de toute autorité, étant admise, la logique exige la négation absolue de l’autorité même : la négation de la paternité universelle entraîne la négation de la paternité domestique : la négation de l’autorité religieuse entraîne la négation de l’autorité politique. Quand l’homme se trouve sans Dieu, aussitôt le sujet se trouve sans, roi et le fils sans père.

Il me semble évident que le communisme, de son côté, procède des hérésies panthéistes et de celles qui leur sont parentes. Lorsque tout est Dieu et que Dieu est tout, Dieu est surtout démocratie et multitude : les individus, atomes divins et rien de plus, sortent du tout qui les engendre perpétuellement pour rentrer dans le tout qui perpétuellement les absorbe. Dans ce système, ce qui n’est pas le tout n’est pas Dieu, quoique participant de la Divinité, et ce qui n’est pas Dieu n’est rien, parce qu’il n’y a rien hors de Dieu, qui est tout. De là le superbe mépris des communistes pour l’homme et leur négation insolente de la liberté humaine ; de là ces aspirations immenses à la domination universelle par la future démagogie, qui s’étendra sur tous les continents et jusqu’aux dernières limites de la terre ; de là ces projets d’une folie furieuse, qui prétend mêler et confondre toutes les familles, toutes les classes, tous les peuples, toutes les races d’hommes, pour les broyer ensemble dans le grand mortier de la révolution, afin que de ce sombre et sanglant chaos sorte un jour le Dieu unique, vainqueur de tout ce qui est divers ; le Dieu universel, vainqueur de tout ce qui est particulier; le Dieu éternel, sans commencement ni fin, vainqueur de tout ce qui naît et passe ; le Dieu Démagogie annoncé par les derniers prophètes, astre unique du firmament futur, qui apparaîtra porté par la tempête, couronné d’éclairs et servi par les ouragans. La démagogie est le grand Tout, le vrai Dieu, Dieu armé d’un seul attribut, l’omnipotence, et affranchi de la bonté, de la miséricorde, de l’amour, ces trois grandes faiblesses du Dieu catholique. À ces traits, qui ne reconnaîtrait le Dieu d’orgueil, Lucifer ?

[…] Ainsi, par exemple, il me paraît hors de doute que tout ce qui altère la notion du gouvernement de Dieu sur l’homme affecte au même degré et de la même manière les gouvernements institués dans les sociétés civiles. La première erreur religieuse des temps modernes a été le principe de l’indépendance et de la souveraineté de la raison humaine. A cette erreur dans l’ordre religieux correspond, dans l’ordre politique, celle qui consiste à affirmer la souveraineté de l’intelligence. Et de là vient que la souveraineté de l’intelligence a été le fondement universel du droit public dans les sociétés combattues par les premières révolutions. Telle est l’origine des monarchies parlementaires avec leur cens électoral, leur division des pouvoirs, leur presse libre et leur tribune inviolable.

La seconde erreur est relative à la volonté, et consiste, quant à l’ordre religieux, à affirmer que la volonté, droite de soi, n’a jamais besoin, pour se porter au bien, de la sollicitation ni de l’impulsion de la grâce. À cette erreur correspond, dans l’ordre politique, celle qui consiste à affirmer que, toute volonté étant de soi droite, il ne doit y en avoir aucune qui soit dirigée et aucune qui ne soit directrice. Ce principe est la base du suffrage universel, et c’est là l’origine du système républicain.

La troisième erreur se rapporte aux appétits et consiste à affirmer, dans l’ordre religieux, l’immaculée conception de l’homme étant supposée, que ses appétits sont tous et toujours légitimes. A cette erreur correspond, dans l’ordre polilique, celle qui demande aux gouvernements de s’ordonner pour une seule fin : la satisfaction de toutes les concupiscences. Ce principe est la base de tous ces systèmes socialistes, dont les partisans combattent aujourd’hui pour la domination, et qui, les choses suivant leur cours naturel sur la pente où nous sommes, finiront par la conquérir.

On le voit donc : l’hérésie perturbatrice, qui, d’un côté, nie le péché originel, affirmant, de l’autre, que l’homme n’a pas besoin d’une direction divine, cette hérésie conduit d’abord à affirmer la souveraineté de l’intelligence, ensuite à affirmer la souveraineté de la volonté, et enfin à affirmer la souveraineté des passions, trois souverainetés perturbatrices.

Il n’y a qu’à savoir ce qui s’affirme ou se nie de Dieu dans les régions religieuses, pour savoir ce qui s’affirme ou se nie du gouvernement dans les régions politiques. Lorsqu’un vague déisme prévaut dans les premières, tout en reconnaissant que Dieu règne sur toute la création, on nie qu’il la gouverne. Alors, dans les régions politiques prévaut la maxime parlementaire : Le roi règne et ne gouverne pas.

Lorsqu’on nie l’existence de Dieu, on nie tout du gouvernement, et on lui refuse jusqu’au droit d’exister. A ces époques de malédiction surgissent et se propagent avec une épouvantable rapidité les idées anarchiques des écoles socialistes.

Enfin, lorsque l’idée de la Divinité et celle de la création se confondent dans cette affirmation que les choses créées sont Dieu, et que Dieu est l’universalité des choses créées, alors le communisme prévaut dans les régions politiques, comme le panthéisme dans les régions religieuses, et la justice de

Dieu met l’homme à la merci d’abjects et abominables tyrans.

Ramenant les yeux vers l’Église, il me sera facile de démontrer qu’elle a été l’objet des mêmes erreurs, qui conservent toujours leur indestructible identité, soit qu’elles s’appliquent à Dieu, soit qu’elles troublent son Église, soit qu’elles bouleversent les sociétés civiles.

L’Eglise peut être considérée de deux manières différentes : ou en elle-même, comme une société indépendante et parfaite qui a en soi tout ce qu’il lui faut pour agir librement et pour se mouvoir largement ; ou dans ses rapports avec les sociétés civiles et les gouvernements de la terre.

Considérée sous le point de vue de son organisme intérieur, l’Église s’est vue dans la nécessité de contenir et de repousser un vaste débordement de pernicieuses erreurs, et il est digne de remarque que, parmi ces erreurs, les plus pernicieuses sont celles qui attaquent son unité dans ce qu’elle a de plus merveilleux et de plus parfait, le pontificat, pierre fondamentale du divin édifice. Au nombre de ces erreurs est celle qui refuse au vicaire de Jésus-Christ sur la terre la succession unique et indivise du pouvoir apostolique en ce qu’il a d’universel, et qui, partageant cette succession, fait des évêques ses cohéritiers. Si cette erreur pouvait prévaloir, elle introduirait la confusion et le désordre dans l’Église du Seigneur, et la convertirait par la multiplication du souverain pontificat, qui est l’autorité essentielle, l’autorité indivisible, l’autorité incommunicable, en une aristocratie des plus turbulentes. Conservant l’honneur d’une vaine présidence, mais dépouillé de la juridiction réelle et du gouvernement effectif, le Souverain Pontife, sous l’empire de cette erreur, vit, inutile, au Vatican, comme Dieu, sous l’empire de l’erreur déiste, vit, inutile, dans le ciel, et comme le roi, sous l’empire de l’erreur parlementaire, vit, inutile, sur le trône.

Ceux qui, s’accommodant mal de l’empire de la raison, de soi aristocratique, lui préfèrent celui de la volonté, de soi démocratique, tombent dans le presbytérianisme, qui est la république dans l’Église, comme ils tombent dans le suffrage universel, qui est la république dans les sociétés civiles.

Ceux qui, épris de la liberté individuelle, l’exagèrent jusqu’au point de lui reconnaître une souveraineté sans bornes et de demander la destruction de toutes les institutions répressives, ceux-là tombent, quant à l’ordre civil, dans la société contractuelle de Proudhon, et, quant à l’ordre religieux, dans ce système de l’inspiration individuelle que professèrent de fanatiques sectaires durant les guerres religieuses de l’Angleterre et de l’Allemagne.

Enfin, ceux qui sont séduits par les erreurs panthéistes aboutissent, dans l’ordre ecclésiastique, à la souveraineté indivise de la multitude des fidèles, comme dans l’ordre divin, à la déification de toutes choses, comme dans l’ordre civil, à la constitution de la souveraineté universelle et absorbante de l’État communiste.

Toutes ces erreurs relatives à l’ordre hiérarchique établi de Dieu dans son Église, si graves qu’elles soient dans la région des spéculations, perdent grandement de leur importance dans le domaine des faits, parce qu’il est absolument impossible qu’elles puissent prévaloir dans une société que les promesses divines mettent à l’abri de leurs ravages. Mais il n’en est pas de même des erreurs qui touchent aux rapports entre l’Église et la société civile, entre le sacerdoce et l’empire. Celles-ci ont eu, en d’autres siècles, la puissance de troubler la paix des peuples, et cette puissance, elles l’ont encore ; non pas qu’il leur soit donné d’empêcher l’expansion irrésistible de l’Église dans le monde, mais elles mettent à cette expansion des obstacles et des entraves et retardent ainsi le jour où son empire n’aura d’autres limites que les limites mêmes de la terre.

Ces erreurs sont de diverses espèces, selon qu’on affirme de l’Église ou qu’elle est égale à l’État, ou qu’elle lui est inférieure, ou qu’elle ne doit avoir aucun rapport avec l’État, ou qu’elle est de tout point inutile. La première est l’affirmation des régalistes modérés ; la seconde, celle des régalistes conséquents ; la troisième, celle des révolutionnaires qui proposent pour première prémisse de leurs arguments la dernière conséquence du régalisme ; la dernière est celle des socialistes et des communistes, c’est-à-dire de toutes les écoles radicales, lesquelles prennent pour prémisses de leur argument la dernière conséquence où s’arrête l’école révolutionnaire.

La théorie de l’égalité entre l’Église et l’État conduit les régalistes modérés à représenter comme étant de nature laïque ce qui est de nature mixte, et comme étant de nature mixte ce qui est de nature ecclésiastique. Ils sont forcés de recourir à ces usurpations pour en former la dot ou le patrimoine que l’État apporte dans cette société égalitaire. D’après cette théorie entre l’Église et l’État, presque tous les points sont controversables, et tout ce qui est controversable doit se résoudre par des arrangements amiables et des transactions : du reste le placet pour les bulles, les brefs apostoliques et tous les actes de l’autorité ecclésiastique, est de rigueur, de même que la surveillance, l’inspection et la censure exercée sur l’Église au nom de l’Etat.

La théorie de l’infériorité de l’Église vis-à-vis de l’État conduit les régalistes conséquents à proclamer le principe des églises nationales, le droit du pouvoir civil de révoquer les accords conclus avec le Souverain Pontife, de disposer à son gré des biens de l’Église, et enfin le droit de gouverner l’Église par des décrets ou des lois, œuvre des assemblées délibérantes.

La théorie qui consiste à affirmer que l’Église n’a rien de commun avec l’État conduit l’école révolutionnaire à proclamer la séparation absolue entre l’État et l’Église, et, comme conséquence forcée, ce principe que l’entretien du clergé et la conservation du culte doivent être à la charge exclusive des fidèles.

L’erreur qui consiste à affirmer que l’Église n’est ici-bas d’aucune utilité, étant la négation de l’Église même, donne pour résultat la suppression violente de l’ordre sacerdotal par un décret qui trouve naturellement sa sanction dans une persécution religieuse.

Ces erreurs, on le voit, ne sont que la reproduction de celles que nous avons déjà constatées dans les autres sphères : dans l’ordre politique, la coexistence de la liberté individuelle et de l’autorité publique ; dans l’ordre moral, la coexistence du libre arbitre et de la grâce ; dans l’ordre intellectuel, la coexistence de la raison et de la foi ; dans l’ordre historique, la coexistence de la providence divine et de la liberté humaine ; dans les sphères les plus élevées de la spéculation, la coexistence de deux mondes, par la coexistence de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel, donnent lieu aux mêmes affirmations et négations erronées que la coexistence de l’Eglise et de l’État.

[…] On voit par là qu’en dernière analyse et en dernier résultat toutes ces erreurs, dans leur variété presque infinie, se résolvent en une seule, laquelle consiste en ce qu’on a méconnu ou faussé l’ordre hiérarchique, immuable de soi, que Dieu a mis dans les choses. Cet ordre établit la supériorité hiérarchique de tout ce qui est surnaturel sur tout ce qui est naturel, et, par conséquent, la supériorité hiérarchique de la foi sur la raison, de la grâce sur le libre arbitre, de la providence divine sur la liberté humaine, de l’Eglise sur l’État, et, pour tout dire à la fois et en un seul mot, la supériorité de Dieu sur l’homme.

[…] Telles sont les indications que je crois devoir soumettre à Votre Éminence sur les plus pernicieuses erreurs du temps. De cet examen impartial il résulte, ce me semble, que deux points sont démontrés : le premier, que toutes les erreurs ont une même origine et un même centre ; le second, que, considérées dans leur centre et dans leur origine, elles sont toutes des erreurs religieuses. Tant il est vrai que la négation d’un seul des attributs divins entraîne le désordre dans toutes les sphères et met en danger de mort les sociétés humaines.

[…] Paris, le 19 juin 1852.

ŒUVRES DE DONOSO CORTÈS, Volume Deuxième, Chez Auguste Vaton, Paris, 1858. pp. 211-242