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Un regard sur le monde politique et religieux
Au 17 juin 2005
N°47
A- ACTUALITÉ RELIGIEUSE
Pour Benoît XVI , le gouvernement français doit renoncer au « droit de regard »
dont il dispose depuis les années 20 pour la nomination des évêques.
On se souvient
que le 24 octobre 1998, le cardinal Ratzinger, recevant à Rome les communautés
« Ecclesia Dei », avait fait une allusion concernant
l’épiscopat français. Il avait dit « Nous
devons faire notre possible pour former une nouvelle génération de prélats ».
Je me permets de situer cette déclaration dans son
contexte. Le cardinal recevait en ce jour, les prêtres et les fidèles qui
étaient venus dire à Rome leur action de grâces pour la publication du Motu
Proprio « Ecclesia Dei adflicat »
mais aussi pour dire leur déception de voir une épiscopat français toujours
aussi opposé à la célébration de la messe « ancienne ».
Le cardinal les avait reçus à Rome. Je m’y étais
joint.
Il leur avait adressé une très belle conférence sur
cette « affaire » de la célébration de l’ancienne messe.
Puis Dom Gérard avait pris la parole.
Après l’exposé de Dom Gérard, le cardinal avait repris
la parole et cette fois, parlant « ex abundantia
cordis » fît quelques considérations sur le discours
de Dom Gérard. Il s’adressa à lui, ne lui donna pas une totale approbation, ne
partageant pas tout à fait les considérations canoniques qu’il venait de proposer pour améliorer la situation
de la célébration de
Avec
la nomination du cardinal à la papauté, il semble bien que l’heure soit arrivée.
Le
droit de regard dont jouit le gouvernement sur la nomination des évêques n’est
certes pas la meilleure des choses…
Benoît
XVI vient de faire savoir qu’il faudrait que pour la nomination des évêques en
France, le gouvernement renonce à son « droit » de regard sur cette
nomination.
Le Figaro s’en est fait l’écho dans son édition du 14 juin.
Voici le compte rendu qu’en fait l’abbé Lotte dans son bulletin
remarquable « Balise », le n° 13 de juin 2005.
Avec son aimable autorisation nous en reproduisons intégralement le
texte. (M.
l’abbé Christian Lotte 1 rue de la mairie 89150 Savigny/Clairis)
« Sous ce titre le Figaro du 14 juin fait part d’une décision
capitale de Benoît XVI qui constitue un tournant fondamental non seulement pour
En raison d’accords
bilatéraux entre
Le Vatican veut revoir avec Paris la procédure de nomination
des évêques
par Sophie de Ravinel
[…] il est un sujet sur lequel
les évêques s’expriment peu publiquement : celui de leur nomination, soumise à
une consultation préalable du gouvernement depuis les accords entre
Avant toute nomination officielle,
le nonce apostolique (ambassadeur du Vatican) réunit avec l’aide de quelques
évêques une liste de trois noms qu’il transmet à Rome où le Pape, assisté par
Depuis l’entrée en vigueur du nouveau
concordat entre le Saint-Siège et le Portugal, le 18 décembre dernier,
Le gouvernement ne semble pas
très motivé pour entreprendre une réforme de ce « pilier de l’Histoire » [Note
de l’Abbé : on le comprend !] dont il ne perçoit pas les avantages dont
pourrait bénéficier le Saint-Siège. « Il s’agit d’un gage de bonnes relations,
explique un diplomate français, et d’un filet de sécurité dont tout le monde
profite.’ [Note de l’Abbé : ‘tout le monde’ ou
ceux qui sont plus ‘frères’ que d’autres ?]
Nicolas Sarkozy, ministre de
l’Intérieur et à ce titre chargé des cultes, confirme cette réserve. […] Or,
depuis les années 1950, « il n’y a eu que deux refus : en 1952 pour un prêtre
guadeloupéen indépendantiste et, en 1968, pour un prêtre du diocèse de Rennes
qui avait appelé à une grève des impôts ». « Il est peu probable qu’il s’en
produise de nos jours », reconnaît le ministre. Pour lui, « seuls le poids de
l’histoire et le souci de relations confiantes entre
Au sein de
B- Quelle est la philosophie de notre nouveau premier Ministre :
M. de Villepin ?
Pour le savoir, on peut
se référer à son discours du 25 juin 2003.
On se souvient en effet
que le 25 juin 2003 M . de Villepin, à l’époque
ministre des Affaires étrangères, recevait, dans son ministères, les
Francs-maçons du Grand Orient de France, à l’occasion du 250è anniversaire de leur
fondation en France.
Il leur tint ce
langage.
« Mesdames et Messieurs
les Grands Maîtres, Mesdames et Messieurs, Chers Amis, Je suis heureux de vous
accueillir au Quai d'Orsay. dans le temple de la boussole et de l'horloge,
vous, hommes et femmes de l' équerre et du compas, à l'occasion du 275°
anniversaire de la fondation de
Les défis contemporains
appellent à un nouvel engagement pour penser et refonder le monde. Un héritage
tel que le vôtre -j'entends le mot d'héritage dans son acception vivante - vous
engage à apporter une contribution essentielle aux grands enjeux du monde. La
globalité des menaces auxquelles nous sommes confrontés. du terrorisme à la
prolifération des armes de destruction massive, de la criminalité organisée à
la destruction de l'environnement, montre bien que l'humanité tout entière est
aujourd'hui embarquée dans le même navire, soumise aux mêmes intempéries, placée
devant les mêmes devoirs. A nous d'en prendre la mesure, en cherchant à définir
une nouvelle architecture internationale qui place le respect et le dialogue au
centre de la communauté mondiale. Une architecture qui s'appuie sur une triple
exigence de justice, de solidarité et de responsabilité. Nous devons repenser
en profondeur les rapports entre les peuples, mais aussi entre les hommes et
les sociétés. Fidèles à vos valeurs et à votre tradition, vous êtes bien placés
pour participer à cette grande aventure humaine. Aujourd'hui, certaines
questions se posent en particulier, auxquelles il nous appartient d'inventer
ensemble des réponses. Comment lutter efficacement contre les extrémismes, les
intégrismes et les fondamentalismes ? Nous voyons malheureusement s'opérer un
dévoiement et une instrumentalisation du fait religieux, à la source de
tensions et parfois de conflits qui menacent l'équilibre du monde. Il est de
notre devoir à tous de résister à cette spirale néfaste et de construire un
chemin de réconciliation et de paix entre identité et ouverture à l'autre. Nous
nous apprêtons à fêter le centenaire de la loi de 1905. Celle-ci, ne nous
cachons pas la vérité, avait en son temps littéralement déchiré
En résumé : « oui à
l’héritage maçon, non aux racines chrétiennes »
C- Une lettre de Donoso Cortès au cardinal Fornari.
Ce texte du célèbre mais
pas assez lu Donoso Cortès (1809-1853) est fort
actuel et éclairant sur la nature religieuse de la crise de notre société,
suite naturelle de la crise religieuse dans l'Église…
LETTRES A S. É. LE CARDINAL FORNARI
[…] Il n’est pas une des
erreurs contemporaines qui n’aboutisse à une hérésie, et il n’est pas une
hérésie contemporaine qui n’aboutisse à une autre depuis longtemps condamnée
par l’Eglise. Dans les erreurs passées l’Eglise a condamné les erreurs
présentes et les erreurs futures. Identiques entre elles quand on les considère
sous le point de vue de leur nature et de leur origine, les erreurs offrent
cependant le spectacle d’une variété prodigieuse, quand on les considère sous
le point de vue de leur application.
Mon intention est de les
considérer aujourd’hui plutôt par le côté de leur application que par celui de
leur nature et de leur origine, plutôt par ce qu’elles ont de politique et de
social que par ce qu’elles ont de purement religieux, par ce qu’elles ont de
divers plutôt que par ce qu’elles ont d’identique, par ce qu’elles ont de
changeant plutôt que par ce qu’elles ont d’absolu.
Il y eut un temps où la raison
humaine, se complaisant en de folles .spéculations, se montrait satisfaite
d’elle-même quand elle était parvenue à opposer une négation à une affirmation
dans les sphères intellectuelles, une erreur à une vérité dans les sphères
métaphysiques, une hérésie à un dogme dans les sphères religieuses :
aujourd’hui elle n’est contente que lors qu’elle a pu descendre dans les
sphères politiques et sociales pour y jeter le désordre et le trouble ;
faisant, sortir comme par enchantement de chaque erreur un conflit, de chaque
hérésie une révolution, et une catastrophe gigantesque de chacune de ses
orgueilleuses négations.
L’arbre de l’erreur paraît
aujourd’hui arrivé à sa maturité providentielle : planté par la première
génération des audacieux hérésiarques, arrosé par une suite d’autres
générations, il se couvrit de feuilles au temps de nos aïeux, de fleurs au
temps de nos pères, et aujourd’hui il est devant nous et à la portée de notre
main, chargé de fruits. Ses fruits doivent être maudits d’une malédiction
spéciale, comme l’ont été, dans les temps anciens, les fleurs dont il s’est
parfumé, les feuilles dont il s’est couvert, le tronc qui les a supportées, et
les hommes qui l’ont planté.
… Entre ces temps et le nôtre,
on remarque en effet cette différence notable, qu’autrefois les erreurs étaient
renfermées dans les livres de telle sorte, que, lorsqu’on n’allait point les y
chercher, ou ne les trouvait pas ailleurs, tandis qu’aujourd’hui l’erreur est
dans les livres et hors des livres ; elle y est et elle est partout. Elle est
dans les livres, dans les institutions, dans les lois, dans les journaux, dans
les discours, dans les conversations, dans les salons, dans les clubs, au foyer
domestique, sur la place publique, dans ce qu’on dit et dans ce qu’on tait.
Pressé par le temps, j’ai questionné ce qui m’entoure de plus près; et
l’atmosphère m a répondu.
Les erreurs contemporaines
sont infinies : mais toutes, si l’on veut bien y faire attention, prennent leur
origine et se résolvent dans deux négations suprêmes, l’une relative à Dieu,
l’autre relative à l’homme. La société nie de Dieu qu’il ait aucun souci de ses
créatures ; elle nie de l’homme qu’il soit conçu dans le péché. Son orgueil a
dit deux choses à l’homme de nos jours, qui les a crues toutes deux, à savoir,
qu’il est sans souillure et qu’il n’a pas besoin de Dieu ; qu’il est fort et
qu’il est beau : c’est pourquoi nous le voyons enflé de son pouvoir et épris de
sa beauté.
La négation du péché étant
supposée, parmi beaucoup d’autres choses on nie les suivantes : - que la vie
temporelle soit une vie d’expiation, et que le monde où elle se passe doive
être une vallée de larmes ; - que la lumière de la raison soit faible et
vacillante ; - que la volonté de l’homme soit infirme et malade ; - que le
plaisir nous ait été offert plutôt comme une tentation que pour nous inviter à
nous livrer à ses attraits ; - que la douleur soit un bien, lorsqu’elle est
acceptée par un motif surnaturel, d’une acceptation volontaire ; - que le temps
nous ait été donné pour notre sanctification ; - que l’homme ait besoin d’être
sanctifié.
Ces négations étant supposées,
on affirme, entre beaucoup d’autres choses : - que la vie temporelle nous a été
donnée pour nous élever par nos propres efforts, et au moyen d’un progrès
indéfini, aux plus hautes perfections ; - que le lieu où cette vie se passe
peut et doit être radicalement transformé pour l’homme ; - que, la raison de
l’homme étant saine, il n’y a pas de vérité à laquelle elle ne puisse
atteindre, et que, hors de sa portée, il ne peut pas y avoir de vérité ; -
qu’il n’y a pas d’autre mal que celui que la raison entend être mal, ni d’autre
péché que celui que la raison dit être péché, c’est-à-dire qu’il n’y a pas
d’autre mal ni d’autre péché que le mal et le péché philosophiques ; - que la
raison de l’homme, étant droite de soi, n’a pas besoin d’être rectifiée ; - que
nous devons fuir la douleur et rechercher le plaisir ; - que le temps nous a
été donné pour jouir du temps, et que l’homme est bon et sain de soi.
Ces négations et ces
affirmations relatives à l’homme conduisent à des négations et affirmations
analogues relatives à Dieu. De la supposition que l’homme n’est pas tombé, on
arrive à nier et on nie qu’il ait été relevé ; de la supposition que l’homme
n’a pas été relevé, on arrive à nier et on nie le mystère de
De là naît, de là tire son
origine un vaste système, de naturalisme qui est la contradiction radicale,
universelle, absolue, de toutes nos croyances. Nous, catholiques, nous croyons
et professons que l’homme pécheur a perpétuellement besoin de secours, et que
Dieu lui octroie perpétuellement ce secours par le moyen d’une assistance
surnaturelle , œuvre merveilleuse de son amour infini et de son infinie
miséricorde. Pour nous, le surnaturel est l’atmosphère du naturel, c’est-à-dire
ce qui, sans se faire sentir, l’enveloppe et en même temps le soutient. Entre
Dieu et l’homme il y avait un abîme insondable ; le Fils de Dieu s’est fait
homme, et, réunissant en lui les deux natures, l’abîme fut comblé. Entre le
Verbe divin, Dieu et homme en même temps, et l’homme pécheur, il y avait encore
une immense distance ; pour la diminuer, Dieu mit entre son Fils et sa créature
la mère de son Fils, la très-sainte Vierge, la femme
sans péché. Entre la femme sans péché et l’homme pécheur, la distance était
encore grande, et Dieu, dans sa miséricorde infinie, mit entre
Et tout cela n’est que la
forme visible et extérieure, et, jusqu’à un certain point imparfaite, des
effets merveilleux de ce secours surnaturel que Dieu donne à l’homme pour qu’il
marche d’un pied ferme dans le rude sentier de la vie. Pour se faire une idée
de ce surnaturalisme merveilleux, il faut pénétrer avec les yeux de la foi dans
les régions les plus hautes et les plus reculées ; il faut regarder l’Eglise, mue
perpétuellement par l’action très secrète de l’Esprit-Saint
; il faut pénétrer dans le sanctuaire retiré des âmes, et y voir comment la
grâce de Dieu les sollicite et les recherche, comment l’âme de l’homme ouvre ou
ferme son oreille à ce divin appel, et comment s’établit et se poursuit
continuellement, entre la créature et son créateur, un silencieux entretien. Il
faut voir, d’un autre côté, ce qu’y fait, ce qu’y dit, ce qu’y cherche l’esprit
des ténèbres, et comment l’âme de l’homme va et vient et s’agite et se fatigue
entre deux éternités pour s’abîmer enfin, selon l’esprit qu’elle suit, dans les
régions de la lumière ou dans celles des ténèbres. Il faut regarder et voir à
notre côté notre ange gardien veillant attentivement pour que les pensées
importunes ne nous tourmentent pas, mettant ses mains devant nos pieds pour que
nous n’allions pas heurter contre quelque pierre. Il faut ouvrir l’histoire et
y lire la manière merveilleuse dont Dieu dispose les événements humains pour sa
propre gloire et pour le bien de ses élus, événements dont il est maître, sans
que pour cela l’homme cesse d’être maître de ses actions. Il faut voir comment
il suscite, en temps opportun, les conquérants et les conquêtes, les généraux
et les guerres, et comment il rétablit et pacifie tout en un instant,
renversant les guerriers et domptant l’orgueil des conquérants ; comment il
permet que des tyrans se lèvent contré un peuple pécheur, et comment il permet
que les peuples rebelles soient parfois le châtiment des tyrans ; comment il
réunit les tribus et sépare les castes ou disperse les nations ; comment il
donne et ôte à son gré les empires, comment il les couche à terre et comment il
les élève jusqu’aux nues ; il faut voir enfin comment les hommes marchent,
perdus et aveugles, dans ce labyrinthe de l’histoire, construisant les nations
humaines sans qu’aucune sache dire quelle est sa structure, ni où est son
entrée ni quelle est son issue.
Tout ce vaste et splendide
système de surnaturalisme, clef universelle et universelle explication des
choses humaines, est nié implicitement ou explicitement par ceux qui affirment
la conception immaculée de l’homme. Et ceux qui affirment cela aujourd’hui ne
sont pas quelques philosophes seulement ; ce sont les gouverneurs des peuples,
les classes influentes de la société et la société elle-même, empoisonnée du
venin de cette hérésie perturbatrice.
Là est l’explication de tout
ce que nous voyons et de tout ce que nous touchons dans l’état où nous sommes
tombés, entraînés par la logique de l’erreur. En premier lieu, si la lumière de
notre raison n’a pas été obscurcie, cette lumière est suffisante, sans le
secours de la foi, pour découvrir la vérité. Si la foi n’est pas nécessaire, la
raison est souveraine et indépendante. Les progrès de la vérité dépendent des
progrès de la raison ; les progrès de la raison dépendent de son exercice ; son
exercice consiste dans la discussion ; la discussion est donc la vraie loi
fondamentale des sociétés humaines et l’unique creuset où, après la fusion, la
vérité, dégagée de tout alliage d’erreur, apparaisse dans sa pureté. De ce
principe sortent la liberté de la presse, l’inviolabilité de la tribune et la
souveraineté réelle des assemblées délibérantes. En second lieu, si la volonté
de l’homme n’est pas malade, l’attrait du bien lui suffit pour suivre le bien
sans le secours surnaturel de la grâce. Si l’homme n’a pas besoin de ce
secours, il n’a pas besoin non plus des sacrements qui le lui donnent ni des
prières qui le lui procurent : si la prière n’est pas nécessaire, elle est
inutile, et la vie contemplative est une pure oisiveté. Si la vie contemplative
n’est qu’oisiveté, la plupart des communautés religieuses n’ont aucune raison
d’être : aussi, partout où ont pénétré ces idées, ces communautés ont-elles été
détruites. Si l’homme n’a pas besoin des sacrements, il n’a pas besoin non plus
de ceux qui les administrent, et, s’il n’a pas besoin de Dieu, il n’a pas
besoin de médiateurs : de là le mépris ou la proscription du sacerdoce partout
où ces idées ont jeté des racines. Le mépris du sacerdoce se résout partout
dans le mépris de l’Église, et le mépris de l’Eglise se mesure au mépris de
Dieu. L’action de Dieu sur l’homme étant niée, et un abîme insondable étant de
nouveau ouvert autant qu’il est possible entre le créateur et sa créature,
immédiatement la société s’écarte instinctivement de l’Église à une distance
égale ; de sorte que partout où Dieu est relégué dans le ciel, l’Eglise est
reléguée dans le sanctuaire ; tandis qu’au contraire partout où l'homme vit
assujetti à la domination de Dieu, il s’assujettit naturellement et
instinctivement à la domination de son Église. Tous les siècles attestent cette
vérité, et le siècle présent lui rend le même témoignage que les siècles
passés.
Tout ce qui est surnaturel
étant ainsi écarté, et la religion étant convertie en un déisme vague, l’homme,
qui n’a pas besoin de l’Église, enfermée dans son sanctuaire, ni de Dieu,
prisonnier dans son ciel comme Encelade sous son rocher, tourne ses yeux vers
la terre et se consacre exclusivement au culte des intérêts matériels : c’est
l’époque des systèmes utilitaires, des grands développements du commerce, des
fièvres de l’industrie, des insolences des riches et des impatiences des
pauvres. Cet état de richesse matérielle et d’indigence religieuse est toujours
suivi d’une de ces catastrophes gigantesques que la tradition et l’histoire
gravent perpétuellement dans la mémoire des hommes. Les prudents et les habiles
se réunissent en conseil pour les conjurer ; mais la tempête arrive en grondant,
met en déroute leur conseil et les emporte avec leurs conjurations.
De là une impossibilité
absolue d’empêcher l’invasion des révolutions et l’avènement des tyrannies, qui
ne sont au fond qu’une même chose, puisque révolutions et tyrannies se résument
également dans la domination de la force, qui seule peut régner lorsqu’on a
relégué Dieu dans le ciel et l’Eglise dans le sanctuaire.
Tenter de combler le vide que
leur absence laisse dans la société par une sorte de distribution artificielle
et équilibrée des pouvoirs publics n’est qu’une folle présomption, une
tentative semblable à celle d’un homme qui, en l’absence des esprits vitaux,
voudrait reproduire, à force d’industrie et par des moyens purement mécaniques,
les phénomènes de la vie. Dieu, l’Église, ne sont pas des formes, aussi n’y
a-t-il aucune forme qui puisse remplir le grand vide qu’ils laissent quand ils
se retirent des sociétés humaines. Au contraire, il n’y a aucune forme de
gouvernement qui soit essentiellement dangereuse lorsque Dieu et son Église se
meuvent librement, si, d’un autre côté, les moeurs lui sont amies et les temps
favorables.
Il n’y a pas d’accusation plus
singulière et plus étrange que celle qui consiste à affirmer, d’une part, avec
certaines écoles, que le catholicisme est favorable au gouvernement des masses,
et, de l’autre, avec d’autres sectaires, qu’il empêche le développement de la
liberté, qu’il favorise l’expansion des grandes tyrannies. Y a-t-il absurdité
plus grande que d’accuser du premier fait le catholicisme, continuellement
occupé à condamner les révoltes et à sanctifier l’obéissance comme une
obligation commune à tous les hommes ? Y a-t-il absurdité plus grande que
d’accuser du second fait la seule religion de la terre qui enseigne aux peuples
que nul homme n’a droit sur l’homme, parce que toute autorité vient de Dieu,
que nul ne sera grand s’il n’est petit à ses propres yeux, que les pouvoirs
sont institués pour le bien, que commander c’est servir, et que la souveraineté
est un ministère, et par conséquent un sacrifice ? Ces principes révélés de
Dieu, et maintenus dans toute leur intégrité par sa sainte Église, constituent
le droit public de toutes les nations chrétiennes. Ce droit public est
l’affirmation perpétuelle de la vraie liberté, parce qu’elle est la perpétuelle
négation, la condamnation permanente, d’un côté, du droit des peuples de
laisser les voies de l’obéissance pour celles de la révolte, et, d’un autre
côté, du droit des princes de convertir leur pouvoir en tyrannie. La liberté
consiste précisément dans la double négation de ce droit de tyrannie et de ce
droit de révolte, et cela est tellement vrai, que, cette négation acceptée, la
liberté est inévitable, tandis que, si on la rejette, la liberté est impossible
: l’affirmation de la liberté et la négation de ces droits ne sont, à y bien
regarder, que deux expressions différentes d’une seule et même chose. D’où il
suit non-seulement que le catholicisme n’est l’ami ni
des tyrannies ni des révolutions, mais encore que lui seul les nie et les
repousse véritablement : non-seulement qu’il n’est
pas l’ennemi de la liberté, mais encore que lui seul a découvert, par sa double
négation de la tyrannie et de la révolte, le caractère propre de la vraie
liberté.
Il n’est pas moins absurde de
supposer, comme le font quelques-uns, que la sainte religion que nous
professons, et l’Église qui la contient et la prèche,
ou arrêtent ou regardent avec regret le libre développement de la richesse
publique, la bonne solution des questions économiques et l’accroissement des
intérêts matériels ; s’il est certain que la religion se propose, non pas de
rendre les peuples puissants, mais heureux, non pas de rendre les hommes
riches, mais saints, il ne l’est pas moins qu’un de ses nobles et grands
enseignements impose à l’homme la mission de transformer la nature entière, et
de la mettre à son service par le travail. Ce que l’Église cherche, c’est un
certain équilibre entre les intérêts matériels et les intérêts moraux et
religieux ; ce qu’elle cherche dans cet équilibre, c’est que chaque chose soit
à sa place, et qu’il y ait place pour toutes choses ; ce qu’elle cherche enfin,
c’est que la première place soit occupée par les intérêts moraux et religieux,
et que les intérêts matériels ne viennent qu’après ; et cela, non seulement parce
que les notions les plus élémentaires de l’ordre l’exigent, mais encore parce
que la raison nous dit et l’histoire nous enseigne que cette prépondérance,
condition nécessaire de cet équilibre, peut seule conjurer et qu’elle conjure
infailliblement les grandes catastrophes, toujours prêtes à surgir partout où
le développement exclusif des intérêts matériels met en fermentation les
grandes concupiscences.
Certains hommes, de nos jours
se montrent persuadés de la nécessité où est le monde, pour ne pas périr,
d’avoir l’appui et le secours de notre religion sainte et de la sainte Église ;
mais, craignant de se soumettre à son joug, qui, s’il est doux pour les
humbles, est lourd pour l’orgueil humain, ils cherchent une issue dans une
transaction, acceptant de l’Église et de la religion certaines choses et en
repoussant d’autres qu’ils estiment exagérées. Ces hommes sont d’autant plus
dangereux, qu’ils prennent un certain air d’impartialité très-propre
à tromper et à séduire les peuples, et au moyen duquel ils se font juges du
camp, obligeant l’erreur et la vérité à comparaître devant eux, et cherchant
avec une fausse modération je ne sais quel milieu impossible entre elles. La
vérité, cela est certain, se trouve entre les erreurs opposées et extrêmes ;
mais entre la vérité et l’erreur il n’y a point de milieu : entre ces deux
pôles contraires il n’y a rien qu’un vide immense ; celui qui se place dans ce
vide est aussi loin de la vérité que celui qui se place dans l’erreur : on
n’est dans la vérité que lorsqu’on est complètement en union avec elle.
Telles sont les principales
erreurs des hommes et des classes à qui est échu de notre temps le triste
privilège de gouverner les nations. Mais lorsque, tournant les yeux d’un autre
coté, le regard s’arrête sur ceux qui se présentent pour réclamer le grand
héritage du gouvernement, la raison est troublée et l’imagination confondue de
se trouver en présence d’erreurs plus pernicieuses encore et plus abominables.
C’est une chose digne de remarque pourtant que, si pernicieuses et abominables
qu’elles soient, elles sortent logiquement, comme autant de conséquences
rigoureuses et inévitables, des erreurs que je signalais tout à l’heure.
L’immaculée conception de
l’homme et la beauté intégrale de la nature humaine étant supposées, voyons
quelles questions se présentent naturellement à l’esprit. Les uns se disent : «
Si notre raison est lumineuse et notre volonté droite et excellente,
pourquoi nos passions, qui sont de nous et en nous, aussi bien que notre raison
et notre volonté, ne seraient-elles pas également bonnes et excellentes ? » D’autres se demandent : « Si la discussion est bonne en soi, si elle est le moyen d’arriver à la
vérité, comment peut-il y avoir des choses soustraites à sa juridiction
souveraine ? » D’autres ne conçoivent pas pourquoi, en partant des prémisses
acceptées, on n’arrive pas à cette conclusion : « La liberté de penser, de vouloir et d’agir, doit être absolue. » Ceux qui se livrent aux
controverses religieuses sont conduits à poser cette question : « Si Dieu n’est pas bon dans la société, pourquoi le reconnaîtrait-on
dans le ciel, et pourquoi, si l’Église ne sert de rien, l’admettrait-on dans le
sanctuaire ? » Un plus grand nombre encore fait celle-ci : « Puisque le progrès vers le bien est indéfini, pourquoi ne pas tenter
l’héroïque entreprise d’élever les jouissances à la hauteur des concupiscences,
et de changer cette vallée de larmes en un jardin de délices ? » Les philanthropes se
montrent scandalisés lorsqu’ils rencontrent un pauvre dans les rues, ils ne
peuvent comprendre que le pauvre, étant si laid, soit réellement un homme, ni
que l’homme, étant si beau, puisse être pauvre. Et ces questions, ces
raisonnements, aboutissent à cette conclusion dernière, que, sous une forme ou
sous une autre, tous proclament unanimes : « Il y a nécessité, nécessité
impérieuse, de bouleverser la société, de supprimer les gouvernements, de
partager les richesses et d’en finir d’un coup avec toutes les institutions
humaines et divines. »
Il est encore, quoique la
chose paraisse impossible, il est une erreur qui, n’étant pas à beaucoup près
aussi détestable, considérée en elle-même, a néanmoins, par ses conséquences,
une portée plus haute que toutes ces erreurs ; je veux parler de l’aveuglement
de ceux qui ne voient aucun lien entre ces erreurs et les erreurs mères que
j’ai d’abord signalées, de ceux qui refusent de croire que celles-là naissent
nécessairement et inévitablement de celles-ci. Si la société ne sort pas
bientôt de cette erreur pour condamner d’une condamnation radicale et
souveraine toutes ces erreurs, les unes comme conséquences et les autres comme
prémisses, la société, humainement parlant, est perdue.
En parcourant l’énumération
incomplète que je viens de faire des erreurs monstrueuses de notre temps, on remarque
que les unes aboutissent à la confusion absolue, à l’anarchie absolue, tandis
que les autres rendent nécessaire, pour leur réalisation, un despotisme de
proportions inouïes et gigantesques. La première catégorie comprend celles qui
se rapportent à l’exaltation de la liberté individuelle et à la violente
destruction de toutes les institutions ; la seconde, celles qui supposent une
ambition organisatrice. Dans le dialecte de l’Ecole, on appelle socialistes en
général les sectaires qui répandent les premières, et communistes ceux qui
sèment les secondes. Ce que ceux-là cherchent surtout, c’est l’expansion
indéterminée de la liberté individuelle aux dépens de l’autorité publique
supprimée ; les autres, au contraire, tendent à l’entière suppression de la liberté
humaine et à un développement gigantesque de l’autorité de l’État. La formule
la plus complète de la première de ces doctrines se trouve dans les écrits de
M. Émile de Girardin et dans le dernier livre de M. Proudhon. Celui-là a
découvert la force centrifuge, celui-ci la force centripète de la société
future que gouverneront les idées socialistes, et qui obéira à deux mouvements
contraires, l’un de répulsion, produit par la liberté absolue, l’autre
d’attraction, produit par un tourbillon de contrats. Quant au communisme, son
essence consiste dans la confiscation de toutes les libertés et de toutes
choses au profit de l’État.
Ce que toutes ces erreurs
sociales ont de monstrueux tient à la profondeur des erreurs religieuses, où
elles ont leur explication et leur origine. Les socialistes ne se contentent
pas de reléguer Dieu dans le ciel ; ils vont plus loin, ils font profession
publique d’athéisme, ils nient Dieu en tout. La négation de Dieu, source et
origine de toute autorité, étant admise, la logique exige la négation absolue
de l’autorité même : la négation de la paternité universelle entraîne la
négation de la paternité domestique : la négation de l’autorité religieuse
entraîne la négation de l’autorité politique. Quand l’homme se trouve sans Dieu,
aussitôt le sujet se trouve sans, roi et le fils sans père.
Il me semble évident que le
communisme, de son côté, procède des hérésies panthéistes et de celles qui leur
sont parentes. Lorsque tout est Dieu et que Dieu est tout, Dieu est surtout
démocratie et multitude : les individus, atomes divins et rien de plus, sortent
du tout qui les engendre perpétuellement pour rentrer dans le tout qui
perpétuellement les absorbe. Dans ce système, ce qui n’est pas le tout n’est
pas Dieu, quoique participant de
[…] Ainsi, par exemple, il me
paraît hors de doute que tout ce qui altère la notion du gouvernement de Dieu
sur l’homme affecte au même degré et de la même manière les gouvernements
institués dans les sociétés civiles. La première erreur religieuse des temps modernes
a été le principe de l’indépendance et de la souveraineté de la raison humaine.
A cette erreur dans l’ordre religieux correspond, dans l’ordre politique, celle
qui consiste à affirmer la souveraineté de l’intelligence. Et de là vient que
la souveraineté de l’intelligence a été le fondement universel du droit public
dans les sociétés combattues par les premières révolutions. Telle est l’origine
des monarchies parlementaires avec leur cens électoral, leur division des
pouvoirs, leur presse libre et leur tribune inviolable.
La seconde erreur est relative
à la volonté, et consiste, quant à l’ordre religieux, à affirmer que la
volonté, droite de soi, n’a jamais besoin, pour se porter au bien, de la
sollicitation ni de l’impulsion de la grâce. À cette erreur correspond, dans
l’ordre politique, celle qui consiste à affirmer que, toute volonté étant de
soi droite, il ne doit y en avoir aucune qui soit dirigée et aucune qui ne soit
directrice. Ce principe est la base du suffrage universel, et c’est là l’origine
du système républicain.
La troisième erreur se
rapporte aux appétits et consiste à affirmer, dans l’ordre religieux,
l’immaculée conception de l’homme étant supposée, que ses appétits sont tous et
toujours légitimes. A cette erreur correspond, dans l’ordre polilique,
celle qui demande aux gouvernements de s’ordonner pour une seule fin : la
satisfaction de toutes les concupiscences. Ce principe est la base de tous ces
systèmes socialistes, dont les partisans combattent aujourd’hui pour la
domination, et qui, les choses suivant leur cours naturel sur la pente où nous
sommes, finiront par la conquérir.
On le voit donc : l’hérésie
perturbatrice, qui, d’un côté, nie le péché originel, affirmant, de l’autre,
que l’homme n’a pas besoin d’une direction divine, cette hérésie conduit
d’abord à affirmer la souveraineté de l’intelligence, ensuite à affirmer la
souveraineté de la volonté, et enfin à affirmer la souveraineté des passions,
trois souverainetés perturbatrices.
Il n’y a qu’à savoir ce qui
s’affirme ou se nie de Dieu dans les régions religieuses, pour savoir ce qui
s’affirme ou se nie du gouvernement dans les régions politiques. Lorsqu’un
vague déisme prévaut dans les premières, tout en reconnaissant que Dieu règne
sur toute la création, on nie qu’il la gouverne. Alors, dans les régions
politiques prévaut la maxime parlementaire : Le roi règne et ne gouverne pas.
Lorsqu’on nie l’existence de
Dieu, on nie tout du gouvernement, et on lui refuse jusqu’au droit d’exister. A
ces époques de malédiction surgissent et se propagent avec une épouvantable
rapidité les idées anarchiques des écoles socialistes.
Enfin, lorsque l’idée de
Dieu met l’homme à la merci
d’abjects et abominables tyrans.
Ramenant les yeux vers
l’Église, il me sera facile de démontrer qu’elle a été l’objet des mêmes
erreurs, qui conservent toujours leur indestructible identité, soit qu’elles
s’appliquent à Dieu, soit qu’elles troublent son Église, soit qu’elles
bouleversent les sociétés civiles.
L’Eglise peut être considérée
de deux manières différentes : ou en elle-même, comme une société indépendante
et parfaite qui a en soi tout ce qu’il lui faut pour agir librement et pour se
mouvoir largement ; ou dans ses rapports avec les sociétés civiles et les
gouvernements de la terre.
Considérée sous le point de
vue de son organisme intérieur, l’Église s’est vue dans la nécessité de
contenir et de repousser un vaste débordement de pernicieuses erreurs, et il
est digne de remarque que, parmi ces erreurs, les plus pernicieuses sont celles
qui attaquent son unité dans ce qu’elle a de plus merveilleux et de plus
parfait, le pontificat, pierre fondamentale du divin édifice. Au nombre de ces
erreurs est celle qui refuse au vicaire de Jésus-Christ sur la terre la
succession unique et indivise du pouvoir apostolique en ce qu’il a d’universel,
et qui, partageant cette succession, fait des évêques ses cohéritiers. Si cette
erreur pouvait prévaloir, elle introduirait la confusion et le désordre dans
l’Église du Seigneur, et la convertirait par la multiplication du souverain
pontificat, qui est l’autorité essentielle, l’autorité indivisible, l’autorité
incommunicable, en une aristocratie des plus turbulentes. Conservant l’honneur
d’une vaine présidence, mais dépouillé de la juridiction réelle et du
gouvernement effectif, le Souverain Pontife, sous l’empire de cette erreur,
vit, inutile, au Vatican, comme Dieu, sous l’empire de l’erreur déiste, vit,
inutile, dans le ciel, et comme le roi, sous l’empire de l’erreur
parlementaire, vit, inutile, sur le trône.
Ceux qui, s’accommodant mal de
l’empire de la raison, de soi aristocratique, lui préfèrent celui de la
volonté, de soi démocratique, tombent dans le presbytérianisme, qui est la
république dans l’Église, comme ils tombent dans le suffrage universel, qui est
la république dans les sociétés civiles.
Ceux qui, épris de la liberté
individuelle, l’exagèrent jusqu’au point de lui reconnaître une souveraineté
sans bornes et de demander la destruction de toutes les institutions
répressives, ceux-là tombent, quant à l’ordre civil, dans la société
contractuelle de Proudhon, et, quant à l’ordre religieux, dans ce système de
l’inspiration individuelle que professèrent de fanatiques sectaires durant les
guerres religieuses de l’Angleterre et de l’Allemagne.
Enfin, ceux qui sont séduits
par les erreurs panthéistes aboutissent, dans l’ordre ecclésiastique, à la
souveraineté indivise de la multitude des fidèles, comme dans l’ordre divin, à
la déification de toutes choses, comme dans l’ordre civil, à la constitution de
la souveraineté universelle et absorbante de l’État communiste.
Toutes ces erreurs relatives à
l’ordre hiérarchique établi de Dieu dans son Église, si graves qu’elles soient
dans la région des spéculations, perdent grandement de leur importance dans le
domaine des faits, parce qu’il est absolument impossible qu’elles puissent
prévaloir dans une société que les promesses divines mettent à l’abri de leurs
ravages. Mais il n’en est pas de même des erreurs qui touchent aux rapports
entre l’Église et la société civile, entre le sacerdoce et l’empire. Celles-ci
ont eu, en d’autres siècles, la puissance de troubler la paix des peuples, et
cette puissance, elles l’ont encore ; non pas qu’il leur soit donné d’empêcher
l’expansion irrésistible de l’Église dans le monde, mais elles mettent à cette
expansion des obstacles et des entraves et retardent ainsi le jour où son
empire n’aura d’autres limites que les limites mêmes de la terre.
Ces erreurs sont de diverses
espèces, selon qu’on affirme de l’Église ou qu’elle est égale à l’État, ou
qu’elle lui est inférieure, ou qu’elle ne doit avoir aucun rapport avec l’État,
ou qu’elle est de tout point inutile. La première est l’affirmation des
régalistes modérés ; la seconde, celle des régalistes conséquents ; la troisième,
celle des révolutionnaires qui proposent pour première prémisse de leurs
arguments la dernière conséquence du régalisme ; la dernière est celle des
socialistes et des communistes, c’est-à-dire de toutes les écoles radicales,
lesquelles prennent pour prémisses de leur argument la dernière conséquence où
s’arrête l’école révolutionnaire.
La théorie de l’égalité entre
l’Église et l’État conduit les régalistes modérés à représenter comme étant de
nature laïque ce qui est de nature mixte, et comme étant de nature mixte ce qui
est de nature ecclésiastique. Ils sont forcés de recourir à ces usurpations
pour en former la dot ou le patrimoine que l’État apporte dans cette société
égalitaire. D’après cette théorie entre l’Église et l’État, presque tous les points
sont controversables, et tout ce qui est controversable doit se résoudre par
des arrangements amiables et des transactions : du reste le placet pour les bulles, les brefs apostoliques et tous les actes de
l’autorité ecclésiastique, est de rigueur, de même que la surveillance,
l’inspection et la censure exercée sur l’Église au nom de l’Etat.
La théorie de l’infériorité de
l’Église vis-à-vis de l’État conduit les régalistes conséquents à proclamer le
principe des églises nationales, le droit du pouvoir civil de révoquer les
accords conclus avec le Souverain Pontife, de disposer à son gré des biens de
l’Église, et enfin le droit de gouverner l’Église par des décrets ou des lois,
œuvre des assemblées délibérantes.
La théorie qui consiste à
affirmer que l’Église n’a rien de commun avec l’État conduit l’école
révolutionnaire à proclamer la séparation absolue entre l’État et l’Église, et,
comme conséquence forcée, ce principe que l’entretien du clergé et la
conservation du culte doivent être à la charge exclusive des fidèles.
L’erreur qui consiste à
affirmer que l’Église n’est ici-bas d’aucune utilité, étant la négation de
l’Église même, donne pour résultat la suppression violente de l’ordre
sacerdotal par un décret qui trouve naturellement sa sanction dans une
persécution religieuse.
Ces erreurs, on le voit, ne
sont que la reproduction de celles que nous avons déjà constatées dans les
autres sphères : dans l’ordre politique, la coexistence de la liberté
individuelle et de l’autorité publique ; dans l’ordre moral, la coexistence du
libre arbitre et de la grâce ; dans l’ordre intellectuel, la coexistence de la
raison et de la foi ; dans l’ordre historique, la coexistence de la providence
divine et de la liberté humaine ; dans les sphères les plus élevées de la spéculation, la coexistence de deux mondes, par la coexistence
de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel, donnent lieu aux mêmes
affirmations et négations erronées que la coexistence de l’Eglise et de l’État.
[…] On voit par là qu’en
dernière analyse et en dernier résultat toutes ces erreurs, dans leur variété
presque infinie, se résolvent en une seule, laquelle consiste en ce qu’on a
méconnu ou faussé l’ordre hiérarchique, immuable de soi, que Dieu a mis dans
les choses. Cet ordre établit la supériorité hiérarchique de tout ce qui est
surnaturel sur tout ce qui est naturel, et, par conséquent, la supériorité
hiérarchique de la foi sur la raison, de la grâce sur le libre arbitre, de la
providence divine sur la liberté humaine, de l’Eglise sur l’État, et, pour tout
dire à la fois et en un seul mot, la supériorité de Dieu sur l’homme.
[…] Telles sont les
indications que je crois devoir soumettre à Votre Éminence sur les plus
pernicieuses erreurs du temps. De cet examen impartial il résulte, ce me
semble, que deux points sont démontrés : le premier, que toutes les erreurs ont
une même origine et un même centre ; le second, que, considérées dans leur
centre et dans leur origine, elles sont toutes des erreurs religieuses. Tant il
est vrai que la négation d’un seul des attributs divins entraîne le désordre
dans toutes les sphères et met en danger de mort les sociétés humaines.
[…] Paris, le 19 juin 1852.
ŒUVRES
DE DONOSO CORTÈS, Volume Deuxième, Chez Auguste Vaton,
Paris, 1858. pp. 211-242