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Un regard sur le monde  politique et religieux

Au 18 mai  2005

 

N°43

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

 

 

Le Testament

spirituel et politique

de Jean-Paul II

 

« Mémoire et identité »

 

Des « ombres » dans ce testament ?

 

N° 2

 

Comme indiqué dans « Regard sur le monde » de la semaine dernière, je  poursuis mon analyse critique de la pensée de Jean-Paul II sur la « philosophie de Lumières ». Je vous redonne sa pensée largement exprimée dans son chapitre 18 et tout particulièrement dans cette phrase:

 

« Les Lumières européennes n’ont pas seulement produit les atrocités de la Révolution françaises : elles ont eu des fruits positifs comme les idées de liberté, d’égalité et de fraternité, qui sont aussi des valeurs enracinées dans l’Evangile. Même si elles ont été proclamées indépendamment de lui, ces idées révélaient à elles seules leur origine. De cette façon, les Lumières françaises ont préparé le terrain à une meilleures compréhension des droits de l’homme. En vérité, la Révolution a violé de fait, et de bien des manières, ces droits. Toutefois, la reconnaissance effective des droits de l’homme commença à partir de là à être mise en œuvre avec une plus grande détermination, dépassant les traditions féodales. Il faut cependant relever que ces droits étaient déjà reconnus comme fondés dans la nature de l’homme créé par Dieu à son image et proclamés comme tels dans la Sainte Ecriture dès les premières pages du livre de la Genèse. Le Christ lui-même y fait référence à plusieurs reprises, lui qui dans  l’Evangile affirme, entre autres, que « le sabbat a été fait  pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat (Mc 2 27). Par ces paroles il explique avec autorité la dignité supérieure de l’homme, indiquant, en définitive, le fondement divin de ses droits ». (p 131-13)

 

Voilà un jugement d’une importance formidable.

 
La semaine dernière, je montrais que la « trilogie révolutionnaire : « liberté, égalité, fraternité » telle que conçue par la philosophie des « Lumières » ne prenait nullement ses fondements dans l’esprit évangélique, dans l’esprit de la Révélation. Bien au contraire. Certes ces mots se trouvent dans l’Evangile. Oh combien. Ce sont des mots précieux pour tous baptisés. Mais ils ont, dans la pensée « révolutionnaire », un sens radicalement différent de celui des Evangiles.

 

Nous l’avons démontré clairement  en nous inspirant de la critique que,  déjà en 1793, le Père de Clorivière faisait d’une manière générale de la « Déclaration des droits de l’homme »de 1789. Nous avons vu combien grande est la différence. Oui ! Des épître de Saint Paul, où l’on trouve cette trilogie, à la « Déclaration des droits de l’homme », il y a un monde. L’esprit en est radicalement différent.

 

Je voudrais le montrer cette semaine d’une manière plus spécifique en m’attachant essentiellement à la notion de « liberté ».

 

La « liberté révolutionnaire »  est radicalement différente de la liberté invoquée par Saint Paul, par Saint Thomas, par l’Eglise.

 

L’étude de Jean-Marie Vaissière sur la notion de liberté dans son livre « Les fondements de la cité » nous permettra de le bien comprendre   Ce sera l’objet de ce  « Regard sur le Monde ».

 

Nous n’omettrons pas, non plus, de citer Mgr Freppel et son étude sur la « Révolution Française », publiée à l’occasion du centenaire de 1789. Un chapitre  sur la  « Révolution et la liberté » est fort intéressant.

Mais commençons, aujourd’hui, par montrer que la Révolution française n’a pas tiré ses principes de l’Evangile. Elle ne le peut, elle qui est essentiellement antichrétienne.Je ne comprends pas comment Jean-Paul II, philosophe, ait pu écrire  : « Les lumières européennes… ont eu des fruits positifs comme les idées de liberté, d’égalité et de fraternité, qui sont aussi des valeurs enracinées dans l’Evangile ».

 

Rien ne me paraît plus faux que ce jugement. Pour la bonne et simple raison, encore une fois,  que les « Lumières » ont un  principe fondamental : le « rationalisme athée » qui est contradictoire à la Révélation. C’est ce qu’explique très bien Mgr Freppel dans le chapitre 2 de son livre  « La Révolution française ».

Commençons par le lire. Nous nous concentrerons ensuite sur la notion de liberté.  l

 

« La révolution française et le christianisme ».

 

de Mgr Freppel.

 

« La Révolution française est l’application du rationalisme à l’ordre civil, politique et social : voilà son caractère doctrinal, le trait qui la distingue de tous les autres changements survenus dans l’histoire des Etats. Car, on ne saurait trop le répéter, ce serait s’arrêter à la surface des choses, que d’y voir une simple question de dynastie, ou de forme de gouvernement, de droits à étendre ou à restreindre pour telle ou telle catégorie de citoyens. Il y a là toute une conception nouvelle de la société humaine envisagée dans son origine, dans sa constitution et dans ses fins.

Il ne serait même pas exact de vouloir  réduire à une attaque fondamentale contre l’Eglise  catholique l’œuvre commencée par la Constituante , poursuivie par la Législative et la Convention. Assurément la destruction du catholicisme en France, par la constitution civile du clergé d’abord, par la persécution violente, dans la suite, n’a cessé d’être le principal objectif des chefs de la Révolution. Protestants et jansénistes les ont servis de leur mieux par leurs haines communes contre l’Eglise et la royauté. Mais si tout s’était réduit à faire triompher le schisme et l’hérésie, le mouvement antireligieux du dix-huitième siècle n’eut pas différé sensiblement de celui du seizième ; or, bien que la Réforme lui ait préparé la voie, en attaquant le principe d’autorité sous sa forme la plus élevée, la Révolution française a été bien autrement radicale dans ses négations. De là vient, comme nous le montrerons plus loin, que les Etats protestants eux-mêmes sont demeurés plus ou moins réfractaires à ses théories.

 

Non, ce n’est pas seulement  l’Eglise catholique , sa hiérarchie et ses institutions, que la Révolution française entend bannir de l’ordre civil politique et social. Son principe comme son but , c’est d’en éliminer le christianisme tout entier, la révélation divine et l’ordre  surnaturel, pour s’en tenir  uniquement à ce que ses théoriciens appellent les données de la nature et de la raison.

 

Lisez la « Déclaration des droits de l’homme » soit de 89, soit de 93, voyez quelle idée l’on se forme, à ce moment là, des pouvoirs publics, de la famille, du mariage, de l’enseignement, de la justice et des lois : à lire tous ces documents, à voir toutes ces institutions nouvelles, on dirait que pour cette nation chrétienne depuis quatorze siècles, le christianisme n’a jamais existé et qu’il n’y a pas lieu d’en tenir le moindre compte. Attributions du clergé en tant que corps politique, privilèges  à restreindre ou à supprimer, tout cela est d’intérêt secondaire. C’est  le règne social de Jésus-Christ qu’il s’agit de détruire et d’effacer jusqu’au moindre vestige. La Révolution, c’est la société déchristianisée ; c’est  le Christ refoulé au fond de la conscience individuelle, banni de tout  ce qui est public, de tout ce qui est social ; banni de l’Etat, qui ne cherche plus dans son autorité la consécration de la sienne propre ; banni des lois , dont sa loi n’est plus la règle souveraine ; banni de la famille, constituée en dehors de sa bénédiction ; banni de l’école, où son enseignement n’est plus l’âme de l’éducation ; banni de la science, où il n’obtient plus pour tout hommage qu’une sorte de neutralité non moins injurieuse que la contradiction ; banni de partout , si ce n’est peut-être d’un coin de l’âme où l’on consent à lui laisser un reste  de domination. La révolution, c’est la nation chrétienne débaptisée, répudiant sa foi historique, traditionnelle, et cherchant à se reconstruire en dehors de l’Evangile, sur les bases de la raison pure, devenue la source unique du droit et la seule règle du devoir. Une société n’ayant plus d’autre guide que les lumières naturelles de l’intelligence, isolées de la Révélation, ni d’autre fin que le bien-être de l’homme en ce monde, abstraction faite de ses fins supérieures, divines, voilà dans son idée essentielle, fondamentale, la doctrine de la révolution.

 

Or qu’est-ce que cela, sinon le rationalisme appliqué à l’ordre social, rationalisme déiste ou athée ? Car, depuis son origine jusqu’au nos jours, la Révolution française n’a cessé d’osciller entre les deux termes, allant du déisme  de Voltaire et de Rousseau à l’athéisme de Diderot et d’Helvetius, mais toujours constante dans son dessein de déchristianiser un ordre social où le Christ avait régné pendant quatorze siècles. La haine du surnaturel restera son trait caractéristique. Au début, elle semble vouloir respecter certaines vérités dans lesquelles la philosophie du dix-huitième siècle résumait la religion naturelle, telle que l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme. Le déisme importé d’Angleterre selon la formule de Bolongbrocke…paraît devenu le programme officiel. C’est en présence de l’Etre suprême que les constituants de 1789 promulguent la « Déclaration des droits de l’homme ». mais ce document  même explique, mieux que toute autre chose, avec quelle facilité et par quel enchaînement rigoureux de faits et d’idées on allait passer du rationalisme déiste au rationalisme athée. Tant  il est vrai que dans un pays où la logique exerce un si grand empire, on s’arrête difficilement à moitié chemin, du moment qu’on déserte la tradition pour se lancer dans l’inconnu !

C’est en présence de l’Etre suprême que les constituants de 1789 font leur déclaration de principes. Fort bien ! mais cette mention de Dieu en tête de leur profession de foi est-elle autre chose qu’un hors d’œuvre ? A-t-elle la moindre influence sur l’ensemble de leurs doctrines politiques et sociales ? Est-ce en Dieu qu’ils cherchent le principe et la source de l’autorité ? Nullement : c’est dans l’homme, et dans l’homme seul. La loi est-elle pour eux l’expression de la raison et de la volonté divines déterminant et ordonnant ce qu’il faut faire et ce que l’on doit éviter ? Pas le moins du monde . La loi est pour eux l’expression de la volonté générale, d’une collectivité d’hommes qui décident en dernier ressort et sans recours possible  à aucune autre autorité, de ce qui est juste ou injuste. Existe-t-il, à leurs yeux, des vérités souveraines, des droits antérieurs et supérieurs à toute convention positives, de telle sorte que tout ce qui se ferait à l’encontre serait nul de plein droit  et non avenu ? Ils n’ont même pas l’air de  soupçonner l’existence de ce principe  en dehors duquel tout est livré à l’arbitraire et au caprice d’une majorité. Si le peuple est souverain, y a-t-il au moins des limites à cette souveraineté dans des lois que Dieu, législateur suprême, impose à la société ? Pas un mot indiquant qu’une déclaration des droits de l’homme implique nécessairement une déclaration corrélative de ses devoirs. Dans le système  philosophique des constituants de 1789, qui est la vraie  doctrine de la Révolution française, tout part de l’homme et revient à l’homme, sans aucun égard à une loi divine quelconque. La nature  et la raison humaine sont l’unique source et la seule mesure du pouvoir, du droit  et de la justice. C’est par suite et en vertu d’un contrat d’intérêts que les hommes se réunissent en société, font des lois, s’obligent  envers eux-mêmes, sans chercher en dehors ni au-dessus d’eux le principe d’autorité et le lien de l’obligation. Plus de droit divin d’aucune sorte ; la justice est humaine, toute humaine, rien qu’humaine. Peu importe, pare conséquent, qu’on laisse le nom de l’Etre suprême au frontispice de l’œuvre comme un décor ou un trompe l’œil : en réalité, l’homme a pris la place de Dieu, et la conséquence logique de tout le système est l’athéisme politique et social.

 

Il ne s’agira donc plus seulement pour la Révolution française de détruire l’Etat chrétien, la famille chrétienne, le mariage  chrétien, la justice chrétienne, l’enseignement chrétien. Non, ce qu’elle se verra conduite  à vouloir établir, par la logique de son principe, c’est l’Etat sans Dieu, l’école sans Dieu le prétoire sans Dieu, l’armée sans Dieu, c’est-à-dire l’idée même de Dieu bannie de toutes les lois et de toutes les institutions. Est-ce que j’exagère le moins du monde ? est-ce que , à cent ans de 1789, nous ne retrouvons pas exactement les même formules dans la bouche et sous la plume de tous ceux qui  se réclament des plus pures traditions de la Révolution ?  Ne sont-elles pas près de passer, si ce n’est déjà fait, dans le droit public  et dans la pratique quotidienne des choses ?  On s’étonne parfois que des hommes de gouvernement cherchent à les appliquer avec tant d’opiniâtreté, au risque de nuire à leurs  propres intérêts et de soulever contre eux une bonne partie de l’opinion publique. Mais c’est qu’il est difficile de se soustraire aux conséquences, tant qu’on retient le principe. Substituer l’homme à Dieu comme principe de la souveraineté, c’était proclamer l’athéisme légal ; dès lors, par une suite naturelle,  cet athéisme officiel ne pouvait manquer d’imprimer sa marques à toutes les manifestations de la vie publique. C’est le triste spectacle que nous avons sous les yeux ; et, pour en être surpris, il faudrait ne pas se rendre  un compte exact de ce qu’il y a au fond du mouvement révolutionnaire de 1789.

Car, on voudra bien le remarquer, ce n’est pas dans les excès ni dans les crimes de 1793 que nous cherchons le caractère doctrinal de la Révolution française. Certes, ces épouvantables forfaits ont une relation directe avec les vœux que formai Diderot : « Et ses mains, ourdissant les entrailles du prêtre, en feraient un cordon pour le dernier des rois ».

Sous l’excitation d’un demi-siècle de diatribes furieuses et de calomnies atroces, on vit surgir  en France une bande de scélérats tels qu’il ne s’en était jamais vu sur la scène du monde. Auprès des forcenés dont je ne veux même pas citer les noms , les Césars païens les plus cruels pouvaient passer pour des hommes modérés ; et c’est avec raison que  Macaulay a pu appeler ces massacres à froid « le plus horrible  événement que raconte l’histoire ». Tant il est vrai que l’idée de Dieu une fois disparue, il fait nuit dans l’âme humaine, et qu’on peut y prendre au hasard le vice pour la vertu, et le crime pour la légalité !  Mais laissons là ces pages sanglantes pour aller au fond des doctrines. Ce n’est pas en 1973, mais bien en 1789 que la France a reçu la blessure profonde dont elle souffre  depuis lors et qui pourra causer sa mort si une réaction forte et vigoureuse ne parvient pas à la ramener dans les voies d’une guérison complète. C’est en 1789 qu’en renonçant à la notion de peuple chrétien pour appliquer à l’ordre social le rationalisme déiste ou athée, ses représentants  ont donné au monde le lamentable  spectacle d’une apostasie nationale  jusqu’alors sans exemple dans les pays catholiques. C’est en 1789 qu’a été accompli, dans l’ordre social, un véritable déicide, analogue à celui qu’avait commis, sur la personne de l’Homme-Dieu, dix-sept siècles auparavant, le peuple juif, dont la mission historique offre plus d’un trait de ressemblance avec celle du peuple français. A cent ans de distance le cri « Ecrasons l’infâme » a trouvé un écho  dans cet autre cri, expression plus dissimulée, mais non moins fidèle de la même idée : « Le cléricalisme , voilà l’ennemi ! »( Mgr Freppel. La Révolution Française. Ed. du Trident. p. 20-30)

 

Cette démonstration nous montre combien peut être faux le jugement de Jean-paul II sur l’esprit de Lumières tel qu’il l’exprime dans les premières lignes du chapitre 18  de son « Mémoire et Identité ».

 

De la liberté.

De Jean- Marie Vaissière.

Dans « Fondements de la Cité ».

 

La liberté des libéraux et anarchistes

 

« Contrairement à ce que pense le grand nombre, l’erreur du libéralisme n’est point tant dans sa méconnaissance,  son rejet de l’autorité. C’est parce que les libéraux, les libertaires se trompent d’abord sur le « concept de liberté », sur cette liberté  dont ils se disent et se croient les théoriciens et les apôtres, que  libertaires et libéraux commencent par avoir tort. Et c’est parce qu’ils commencent par avoir tort sur la liberté qu’ils sont amenés à se tromper non moins lourdement sur l’autorité.

Ainsi le veut l’ordre des choses.

Car il est dans l’ordre des choses, dans les exigences les plus impérieuses de l’ordre humain, que le problème de notre liberté  soit résolu avant tout autre.

 

L’homme est-il libre ou ne l’est-il pas ?

 

Selon la réponse à cette question, toutes les perspectives humaines peuvent changer. C’est la définition de l’homme « animal raisonnable » qui est en jeu et, avec elle, toute la morale, et, derrière la morale, toutes nos conceptions politiques, toutes nos  idées sur le bien public.

Si l’homme est libre, en effet, et, si, vraiment, la liberté est une chose dont la privation détruit son intégrité d’homme pour ne laisser subsister qu’une abjecte bestialité, on devra tenir compte de cette liberté. L’autorité qui aura à s’exercer sur des êtres humains ne pourra, ne devra pas être la même que celle de la fermière gardant ses vaches ou le maquignon ses chevaux.

En clair, cet homme libre, on ne pourra pas en disposer. On n’aura pas le droit de le manœuvrer comme on déplace un fruit ou une pierre, comme on utilise une charrue ou un  robot.

 

On voit, dès lors, combien le problème de la liberté est fondamental.

Toute erreur en cet endroit conduit à une fausse conception de l’ordre humain. Et c’est bien parce que la Révolution, le libéralisme se sont trompés « lourdement » sur ce point qu’ils ont provoqué le désordre sur la planète entière en y répandant  leur fausse conception de la liberté.

Et puisqu’on ne peut tourner, puisqu’on ne peut éviter ce problème de la liberté, il faut s’appliquer à distinguer la vraie liberté  de la fausse, la vraie liberté de la liberté révolutionnaire.

 

Dans le trinôme maçonnique « Liberté, Egalité, Fraternité , les catholiques pourraient abandonner, en effet, sans trop de mal l’usage des deux derniers termes….

 

Le terme irremplaçable, par contre  - celui qu’on ne peut  abandonner à la Révolution  - est celui de « Liberté ». Celui-là, il nous le faut à tout prix. Et c’est trop souvent qu’on entend des contre-révolutionnaires qui, par désir de sauvegarder le principe d’autorité, abandonneraient à l’adversaire le mot : liberté. Cela prouve que ces contre-révolutionnaires ont adopté, en fait, l’essentiel de ce qu’ils prétendrent combattre. « Ils sont  pour l’autorité », comme ils disent, au lieu que les révolutionnaires mettent l’accent sur la liberté. Ils n’en estiment pas moins, ensemble, que la liberté et autorité sont choses qui s’excluent. Or , c’est en cela que réside l’erreur révolutionnaire. Voilà où prend racine son péché. Voilà où est le nœud de l’option fondamentale.

Dès lors, il n’y a pas deux solutions. Ce mot de « lier té » dont l’ennemi a fait son mensonge de base, il faut le reprendre. Il faut le ramener à son sens véritable. Il faut l’arracher aux griffes des révolutionnaires, en démasquant, d’abord, l’inconsistance, l’absurdité de l’idée qu’ils s’en font.

 

Refus libéral de tout déterminisme : « Moi seul ».

 

Liberté essentiellement conçue comme un rejet, un refus de tout ce qui peut, de l’extérieur, ordonner l’action de l’homme…De tout ce qui étant  « autre » que lui risque de s’imposer ou d’agir dans la détermination de son comportement.

Selon cette théorie, je ne suis libre que dans la mesure où je puis faire « ce qui me plaît », le mot étant pris ici dans son sens le plus voisin de « caprice ».

 

Conception essentiellement négative ; conception « nihiliste », au sens plein du terme.

Conception fausse, qui, dans son principe, est aussi libérale que libertaire ou anarchiste, aucune différence essentielle n’existant entre les deux, leur distinction étant seulement d’ordre quantitatif. Simple question de degré dans le développement d’une notion fondamentale commune.

 

Ainsi le libéral cossu, type Louis-Philippe, admet sans peine que la liberté s’arrête où commence la liberté d’autrui, et que l’éducation, les institutions, une certaine contrainte social, ne la menacent pas sérieusement.

 

Libertaires et anarchistes, au contraire, jugent inadmissibles et odieuses ces pressions, ces influences, ces contraintes, plus ou moins subtiles, de l’éducation, des institutions, du climat social. Autant de forces qui, à les croire ( et qui pourrait dire qu’ils ne sont pas dans la logique du système ?), autant de forces qui menacent ou détruisent cette exclusive disposition de soi qu’ils nomment liberté.

Sus, donc, à l’ordre social ! Sus au cadre modeleur et « influence », si l’on peut dire, des institutions ! Sus à tout ordre objectif, tout ordre non spécifiquement issu de soi ! Sus à toute autorité !

Sus à ce qu’on appelle préjugés, routines, le « qu’en dira-t-on », l’esprit bourgeois !Sus à toute morale !

Sus à toute supériorité, toute domination, fut-ce celle de la gloire. Car la gloire, la renommée, agissent comme une invitation tentatrice à ordonner nos actes, selon une hiérarchie de valeurs exaltées par d’autres que nous et qui, par conséquent,  tendent à s’imposer à nous !

Autant dire, sus à tout…sauf à soi-même !

Et encore !

 

Sus à cette partie de nous-même qui est fort logiquement considérée par l’anarchie comme n’étant pas pleinement nous-même, dans la mesure où elle est un  reflet et comme  la présence en nous de l’ordre universel ! Nous voulons parler de la raison, de l’intelligence, qui sont en nous la voix de l’ordre naturel et divin.

 

Conception libertaire de la liberté : conception romantique.

 

Pour l’une comme pour l’autre, la raison et l’intelligence ont un caractère trop objectif, trop distinct du « sujet », trop universel. Elles tendent trop à nous arracher à nous-mêmes, pour  n’être point suspectes au regard de ceux pour lesquels liberté signifie refus de toute influence extérieur à soi.

 

Sus donc à la raison et à l’intelligence qui tendent à nous diriger selon des normes non issues de « nous-mêmes », en ce que  ce « nous-même » a de plus fermé, de plus farouchement replié !

 

Sus autrement dit, à tout ce qui ne nous est pas exclusivement propre… 

Pratiquement sus à tout ce qui n’est point élan brut de nos sens, obscur mouvement de nos passions !

 

Critique : Absurdité radicale du libéralisme : animalité.

 

Voici l’abîme !

 

De quelque nom que le romantisme décore une aussi pitoyable fin, il est clair que nous sommes ici aux confins de l’animalité.

Et cela n’est pas seulement la conclusion, logique, certes, d’un raisonnement dont on pourrait quand même se demander s’il n’a jamais conduit un libéral authentique à pareille extrémité. Cette référence à l’animal, comme modèle de liberté, on la trouve explicitement formulée en mains passages d’auteurs révolutionnaires.

 

Soit quelques lignes de Voltaire, extraites de ses « Recherches sur le droit de propriété et sur le vol » : « les animaux , y lisons-nous, ont, naturellement, au-dessous de nous, l’avantage de l’indépendance …Dans cet état naturel dont jouissent les quadrupèdes non domptés, les oiseaux et le reptiles , l’homme serait aussi heureux qu’eux ».

Idéal d’un bipède indompté ! Voilà un sommet de la perfection que le catholicisme n’a pas su entrevoir ! Accordons à la Révolution qu’elle seule pouvait l’imaginer et qu’il est dans la logique du système.

« Parmi les animaux, il n’y a ni rois, ni sujets, lit-on encore dans une feuille maçonnique ; tous se gouvernent eux-mêmes dans la pleine possession de leur liberté ».

 

Oui, tel est bien ce que l’on doit enseigner dès qu’on admet la conception libérale ou libertaire de la liberté. Mais conception dont il faut dire qu’elle mène droit à l’absurde, au sens strict du mot (lequel signifie : contradiction).

 

Absurde, disons-nous, parce qu’il est, en effet, contradictoire que le développement logique d’une notion aussi spécifiquement humaine que la notion de liberté mène droit à quelque chose de non-humain et de spécification animal.

 

Négation de la liberté

 

Cette conception est absurde.

 

Elle l’est tellement qu’il s’en trouve bien peu qui n’aient pas songé à mettre en doute l’existence d’une pareille liberté. Le danger tient à ce que, prenant cette fausse liberté pour la liberté véritable, certains se persuadent que l’homme n’est point libre  du tout.

Que refusent-ils d’admettre, en effet, sinon cette prétention d’indépendance et d’indétermination quasi-absolues qui est au fond du concept révolutionnaire de liberté ?

D’où la force incontestable de ces arguments au regard de ceux qui ignorent qu’il est deux conceptions de la liberté : une fausse et une vraie, la conception libérale et la conception catholique. Le tout est de ne pas confondre. Et n’est-il point navrant de voir  les nôtres si souvent troublés par des objections qui n’ont valeur et sens qu’à l’endroit du libéralisme ; le concept catholique de liberté se trouvant rigoureusement hors d’atteinte ?

 

Ce serait pourtant l’occasion de lancer le fameux « Suave mari magno ».  Qu’avons-nous à craindre, en effet, et comment se peut-il que nous n’ayons point l’humeur de trouver suave ( si l’on veut nous passer cette traduction un libre du célèbre vers de Lucrèce)… oui, suave d’avoir le pieds au sec pendant que l’ennemi est dans le lac ? Car telle est bien la situation en pareille aventure. Qu’avons-nous à voir dans ces conflits où rien n’est engagé de ce qui est nôtre ?

 

Si la liberté est, comme l’implique la notion libertaire, la faculté d’agir sans détermination extérieure, pourquoi nous étonnerions-nous qu’on la dise illusoire, puisque c’est l’évidence même qui le crie ? Autrement dit, si l’on admet qu’une action n’est plus libre dès qu’on y est poussé par une raison quelconque, il devient clair comme la lumière du jour que l’homme n’est point libre du tout.

 

Il n’est pas libre de boire, parce que, s’il boit, c’est qu’il est poussé par la soif, l’amour du vin ; l’amicale insistance de qui lui offre l’apéritif

Il n’est pas libre de choisir un métier, parce que, s’il en choisit un, c’est qu’il y est conduit par son éducation, les circonstances, des motifs d’intérêt, d’agrément ou de commodité.

Il n’est pas libre de sauter d’un train en marche, parce que l’instinct de conservation l’empêche de chercher à se rompre le cou, à moins qu’étant serré de près par quelque fou furieux, ce même instinct de conservation ne le pousse à enjamber la portière pour échapper au poignard dont on le menace. Mais, dans l’un ou l’autre cas, point de liberté, une raison plus forte le déterminant soit à sauter, soit à ne pas sauter.

Et caetera.

 

Autant d’arguments dont il faut convenir qu’ils prouvent la non-liberté de l’homme, si l’on conçoit sa liberté selon le schème libéral. Aussi les libéraux eux-mêmes arrivent-ils à douter de cette liberté. La preuve en est qu’ils éprouvent parfois le besoin de se la manifester d’une façon plus sensible par ce qu’un « gidien » par exemple, appelle « acte gratuit », c’est-à-dire un acte sans  autre raison que celle d’une manifestation qui, voulant prouver sa liberté, crut péremptoire de s’embarquer pour l’Indochine pour cette seule raison qu’il n’en  avait aucune de s’y rendre. Du moins le croyait-il, car il avait bien celle de n’en pas avoir, raison qui, pour l’existentialiste qu’il était, ne pouvait  pas ne pas être la raison péremptoire, comme la suite l’a prouvé. De telle  sorte que ce pauvre garçon, qui voulut payer si cher la preuve de sa liberté, ne s’est même pas rendu compte du féroce déterminisme dont il fut victime en s’embarquant.

Voilà jusqu’où peut mener la sottise de la notion libérale de liberté.

Pauvre madame Roland, qui ne croyait pas si bien dire en lançant son fameux : « Liberté, que de crimes se commetten,t en ton nom ».
Certes, ce n’est pas cela, ce n’est pas cette liberté aux conséquences sanglantes et grotesques que le Seigneur avait en vue en créant l’homme libre.

Non ! là n’est point cette liberté dont la Sainte Ecriture nous dit que Dieu lui-même ne la traite qu’avec une grande révérence « magna reverentia ».

Non ! là n’est point, là ne peut pas être ce qu’avec l’Eglise nous devons appeler « la sainte liberté des enfants de Dieu ».

 

La vraie liberté des « enfants de Dieu ».

 

Liberté des enfants de dieu.

La formule est plus rigoureuse qu’on ne pense. Elle n’est pas là pour une facilité de transition.

Elle contient tout ce qui nous reste à dire.

Dans le langage de l’Ecriture, comme dans celui des peuples anciens, la condition libre par excellence, à l’opposé de la condition d’esclave, n’est-ce point la condition filiale ? Etre le fils ou être  libre, observe le cardinal Pie, c’est tout un : « liber ». Or la condition de fils est aussi une condition d’obéissance et e subordination…devenir libre, ce n’est donc pas nécessairement, sortir du rang des esclaves pour passer dans le rang des rebelles ; c’est être soustrait au joug du maître pour être placé sous la puissance du père, c’est être transféré du domaine des choses dans le domaine des personnes, c’est quitter la servitude pour être agrégé à la famille ».

Disons que c’est tout à la fois le devoir d’être soumis au père autant que l’assurance de régner avec lui.

Don libre de l’âme à Dieu », « notre père ».

Mais, « liberté des enfants de Dieu », qu’est-ce à dire encore si ce n’est que Dieu est père ? « Notre Père »

Et nul n’est plus père que lui. « Nemo tam pater », enseigne Tertullien.

Or, si Dieu peut être ainsi déclaré le père par excellence  n’est-ce point parce qu’il est amour ? « Deux caritas est » nous dit saint Jean (I Jn 4 9)

Tout est là !

Et rien n’existerait sans cela !

Voici, dans le principe comme dans la fin, la raison de tout et, donc la raison de notre liberté.

Mais raison qui va nous apparaître d’une force extraordinaire. Car, si l’amour de Dieu est cause universelle, en ce qui concerne notre liberté, cette causalité divine va se faire, si l’on peut dire, plus adorablement délicate, plus ineffablement tendre, et telle que nous ne pourrions certainement pas la découvrir si nous  avions à parler de ce qu’univers minéral, végétal ou animal compte de plus exquis ou de plus précieux.

Il y a au chapitre de la liberté, ce qu’on ne trouve nulle part ailleurs…. : la convenance exacte de la liberté à l’amour. Autrement dit, l’amour de Dieu, pour se complaire dans une créature, devait la rendre libre. Car l’amour, en effet, selon le mot de sainte Thérèse de Lisieux, « ne se payant que par l’amour », il est clair que l’amour postule la liberté. Parce qu’il n’y a pas, parce qu’il ne peut pas y avoir d’amour directement contraint.

Pas d’échange d’amour possible avec des robots.

Donc, pour que son Amour pût être effectivement payé par de l’amour, Dieu ne pouvait faire autrement que de créer des êtres libres, des êtres qui ne le paieraient ni avec de l’or, ni avec de l’argent, mais par le libre élan vers Lui de tout leur être.

« ce qui compte c’est le don libre de l’âme à Dieu » a fort bien dit le P. de Montcheuil.

Test suprême de l’amour !

Pour qu’il pût être réellement payé par de l’amour, il était impossible que Dieu nous contraignît à l’aimer directement. M. Jean Daujat l’a fort bien dit : « Si Dieu nous a créés pour se donner entièrement à nous dans un échange d’amour, il a fallu pour cela qu’il nous crée libres, pour que nous choisissions librement de l’aimer ». Bien loin, donc, de se présenter à nous dans l’éclat d’une toute puissance qui ne pourrait que s’imposer, ce Dieu d’amour, tout au contraire, tendra à s’effacer ; il se fera « Deus absconditus »  -Dieu caché », un Dieu qui tient surtout à ne laisser parler, d’abord, que les merveilles qu’il nous offre dans sa création, dans sa Rédemption, dans son Eglise…

Il se fera « mendiant  d’amour », comme ces soupirants qui se consument et ne savent trop comment s’y prendre pour obtenir, dans le charme de sa spontanéité, la libre réponse d’amour de l’être aimé.

 

Et c’est un fait que le P. Romagnan excelle à présenter. Toute la création, observe-t-il, proclame la Puissance de Dieu. Il a suffi d’un éclair de son Vouloir, et les mondes, la galaxies, ont pris leur course dans l’espace. Univers physique ou chimique, végétal ou animal, tout a obtempéré et obtempère sans broncher aux prescriptions de la Souveraineté Infinie. Mais, s’agit-il des êtres  libres que nous sommes, la Toute Puissance paraît s’évanouir. Et cela, non seulement parce qu’Elle nous a crées « le moins possible », selon le mot de Blanc de saint Bonnet, mais parce que Dieu semble tenu en échec devant la liberté de l’homme. Celui auquel la mer et les vents obéissent apparaît soudain comme ne sachant plus que faire ni comment s’y prendre pour obtenir la libre réponse d’amour.

On sait jusqu’où est allé le paradoxe adorable… : jusqu’à l’humiliation d’un Dieu s’abaissant et souffrant . Jusqu’à Sa mort ! Et « mortem autem crucis »  s’étonne saint Paul éperdu et « jusqu’à Sa mort sur la croix ».

Oui ! telle est la force de notre liberté qu’on a pu voir Dieu s’abaisser devant elle ; mais parce que telle est la loi de l’amour.

 

Amour et liberté : mot-clés de l’ordre humain.

Amour et liberté : les deux mots clés de l’ordre humain ! Deux mots qui expriment tellement ce qu’il y a en nous de plus fondamental, de plus divin, qu’il est impossible que l’homme les entende sans être comme remué dans ses fibres les plus secrètes. Même quand il en a perdu le sens exact, un certain charme ne laisse pas  d’agir, indiquant par là, jusque dans nos plus sinistres désordres que la loi profonde de notre être  est celle de la liberté et de l’amour.

Aussi est-il possible de dire que tout le bien, tout le bonheur de l’homme, consistent en ce que sa liberté et, donc,  son amour  soient vraiment ce qu’ils doivent être. Tout son malheur, tout le désordre, toute l’immoralité, toute la Révolution, consistant dans une déformation, caricature blasphématoire de la liberté et de l’amour.

C’est au nom de la vraie liberté et du véritable amour que les saints sont devenus et deviennent ce qu’ils sont. Comme c’est au nom de la liberté, mais de la fausse, au nom de l’amour, mais de l’amour menteur, que se font toutes les turpitudes individuelles et sociales.

Telle est l’alternative : le meilleur ou le pire.

 

L’amour seule raison d’être de notre liberté.

 

La liberté est loi d’amour, avons-nous dit, parce qu’il n’ a pas, parce que ‘il ne peut pas y avoir d’amour directement contraint.

Directement contraint.

Tout est là

L’amour ne serait point l’amour, en effet, s’il ne cherchait à conquérir, à forcer le cœur de l’être aimé, comme pour le contraindre à aimer à son tour.

Quelque logicien borné pourra crier au paradoxe.

Pour répondre, il suffit d’évoquer la formule de tout ceux qui partent à la conquête d’une belle par trop lointaine au début : « Oh ! je vous aimerai tant, que je saurai bien vous forcer à m’aimer », Et, à n’en point douter, il s’agit bien, ici, de se « efforcer » à aimer librement ».

Car, s’il ne peut être d’amour directement contraint, puisque l’amour veut être payé en amour libre, il reste que cette contrainte peut s’exercer indirectement.

Pense-t-on qu’en parlant de « forcer »à aimer », notre amoureux ait songé à quelque contrainte directe, comme le seraient, par exemple, la menace d’un couteau ou d’un revolver, voire une bastonnade jusqu’à ce qu’amour s’ensuive ?

Non ! C’est par un ensemble de causes secondes susceptibles de provoquer l’amour chez celle qu’il aime que l’amoureux s’efforce de la conquérir. Causes secondes qui peuvent aller d’un plus grand soin apporté à la toilette, coup de peigne et surcroît de cosmétique, offrande de bijoux, à l’exquise délicatesse d’innombrables attentions : corrections apportées, peut-être, à une  conduite douteuse jusque-là, parfois même transformation complète de soi pour se rendre ainsi plus digne d’affection.

Tout est fait, autrement dit, pour que, devant la généreuse magnificence de cette gerbe de mille biens offerts au regard de la belle, celle-ci ne puisse rester insensible et sente vraiment naître au fond de son cœur ce libre élan d’amour qui seul peut être le prix de l’amour.

Tactique de l’amoureux de Magali, popularisée par la chanson de Mireille ; tactique de tous les amoureux de la terre. Mais tactique qui est aussi celle de Dieu.

Lui non plus ne cherche pas, ne peut pas et ne veut pas chercher à contraindre directement nos cœurs. Mais quelle folie ce serait de croire qu’IL se désintéresse de nous contraindre à l’aimer. Il met tout en œuvre, au contraire, pour y parvenir, mais indirectement.

Dans un jaillissement d’inépuisable Bonté, Il nous comblera, nous préviendra, pour que, finalement touché par tant de grâces, notre cœur réponde librement à Son Amour.

 

Et donc voici que nous entrevoyons la solution du problème. Elle découle de la double constatation que nous venons de faire.

La liberté est condition de l’amour.

Et l’amour seule raison d’être de notre  liberté.

Tout le mystère de l‘homme est dans le nœud de cette relation.
Qu’un des aspects soit oublié, l’harmonie disparaît.

Nous sommes aux antipodes du libéralisme et de l’anarchisme libertaire.

Non ! la vraie liberté ne peut pas être celle qu’ils proposent ! Et cela, parce que la vraie liberté est condition de l’amour, n’a de sens  qu’en fonction  de l’amour, qu’ordonnée à l’amour…Alors que, tout au contraire, la liberté libérale n’ a rien à voir avec l’amour, qu’elle en est la négation, puisqu’elle est, par essence, liberté de l’indifférence à tout ce qui n’est pas soi, liberté qu’aucune affection ne détermine, liberté qui refuse de se laisser amoureusement contraindre, liberté qui rien n’émeut et que rien ne doit émouvoir sous peine de n’être plus réellement liberté.

Liberté libérale ; liberté non de l’amour, mais liberté du repli égoïste, liberté du « moi seul » et du « chacun pour soi et par soi ». loi de la jungle considérée comme principe d’ordre humain.

Telle n’est point la liberté des enfants de Dieu, seule vraie liberté.

Elle ne peut pas être…disons plus : il serait insensé qu’elle fût la liberté de faire n’importe quoi, et comme la permission de ne pas aimer Dieu, puisque c’est tout au contraire, pour que nous L’aimions et puissions l’aimer réellement (librement) que Dieu nous a faits libres.

Et non seulement la vraie liberté ne peut être celle de faire n’importe quoi (puisque c’est pour l’aimer que Dieu nous faits libres) nazis c’est aussi parce qu’Il nous aime, parce qu’Il veut réellement notre plus grand bien, parce qu’Il veut pour nous un bonheur infini, que ce Dieu ne pouvait vouloir que la liberté pût être liberté de s’engager en des voies dont Il ne serait pas le terme.

Si Dieu nous a faits libres, au sens libéral du mot, c’est-à-dire libres  de cette liberté de tout faire et d’aller n’importe où, ce serait la preuve qu’IL ne nous aime pas : père qui n’aurait  aucun souci de ses enfants et qui se moquerait de les voir s’éloigner de lui.

Tout au contraire, c’est par amour, parce que Dieu, qui est Dieu par nature, tient à faire de nous des Dieux par participation, comme le dit saint Jean de la Croix, qu’Il  nous a voulus libres.

Ce n’est que par et dans l’exercice de notre liberté, en effet, que peut se manifester notre mérite.

« Une créature raisonnable, enseigne saint Thomas, se détermine elle-même à agir, en vertu de son libre arbitre ; c’est pourquoi son action est une action méritoire ». Et encore « l’homme mérite en tant que c’est par sa volonté propre qu’il fait ce qu’il doit » (I II 114 1)

« Il faut que l’homme ait la vie de l’Infini, mais qu’il y entre sans y confondre, écrit Blanc de Saint Bonnet.  Il semble que le but de la création, par rapport à l’(homme, est d’éviter que sa nature ne s’absorbe dans l’Infini, ce qu’on obtient par le mérite ; puis de rendre cette nature capable de goûter l’Infini, ce qu’on obtient par l’amour…

« Dès lors, tout ce qui pourra purifier et déployer la personnalité, ou augmenter la vie de l’amour, conduira l’âme à ses destinées absolues… ».

tel est le plan dont la liberté est la condition, parce que la liberté, dit encore Blanc de saint Bonnet « c’est la faculté d’être cause…et , dès lors, d’être responsable ».

« Voici le fait. Dieu impose sa loi à la nature et il la propose à l’homme. La liberté est, donc, au fond, le pouvoir qu’à l’homme d’accomplir lui-même sa loi. Pouvoir qui le rend semblable à Dieu… (Mais) il faut y prendre garde, le pouvoir d’accomplir, se rencontre (la possibilité pratique) de ne pas accomplir. Interprétation qui serait digne du néant, d’où nous sommes, et non de l’être que Dieu (par amour) veut en faire sortir… ».

 

la liberté, pouvoir de choix entre des biens

 

Dieu nous aimant et, par amour pour nous (pour notre bien, pour notre bonheur), tenant à ce que nous l’aimions, il est faux de dire que la liberté réside essentiellement dans la possibilité  d’un choix entre le bien et le mal. La possibilité pratiquée de mal faire, bien loin d’être comme telle une manifestation de notre liberté, en est une imperfection et, par le fait même, ne saurait être appelée liberté. Ce qui permet à saint Thomas d’affirmer que « la faculté de pécher n’est pas une liberté, mais une servitude ».

Cette possibilité pratique de pécher est bien, sans doute, une particularité de notre liberté et la prouve même, si l’ont veut, mais comme la mort peut être dite une preuve de la vie qu’elle présuppose.

Aussi le Père Grou fait-il observer : « La vrai liberté ne consiste pas dans le pouvoir de mal agir. Ce pouvoir est , au contraire, un défaut inhérent à la créature. Un tel pouvoir est si peu un attribut de la liberté que Dieu, pourtant souverainement libre, est dans l’impossibilité absolue de faire le mal. Il s’ensuivrait donc que l’homme est plus libre que Dieu si la liberté consistait dans le pouvoir de se livrer au bien ou au mal. »

Au reste, quand on dit que la liberté serait un pouvoir de choisir entre les deux, a-t-on pris garde à ce que une  telle formule peut offrir de difficultés ? N’est-ce pas oublier que la volonté ne saurait être déterminée que par son objet propre et que, cet objet, il est métaphysiquement impossible de le voir ailleurs que dans le bien, l bon, ce qui convient ?

Aussi saint Thomas, pour définir le péché, se garde-t-il de le présenter comme le choix d’un mal. Ce qui serait parler pour ne rien dire, attendu qu’il resterait à expliquer en quoi consiste ce mal qui constitue le péché. Saint Thomas le définit, beaucoup plus sagement, comme le fait de détourner de Dieu pour lui préférer la créature . Préférence insensée et qui constitue le péché aussi bien que le mal. Reste que cette créature injustement préférée, dans la mesure même où elle nous séduit, n’y parvient que par l’éclat du bien qui est en elle, du bien que nous en attendons et qui seul détermine notre choix.

Ainsi l’ivrogne qui s’enivre préfère le vin au respect du plan de Dieu, qui a fait l’homme raisonnable et non cet être privé de raison (« moins qu’une bête »), comme est effectivement l’homme saoul. Donc il est mal de s’enivrer. Mais le fait est que la volonté de celui qui s’enivre n’ a pas « été déterminée par ce mal voulu pour tel. Tout au contraire, c’et par amour pour ce bien qu’est, en lui-même, le vin, que l’ivrogne commet son péché.

Et ainsi de tout.

 

 Notre volonté ne pouvant se porter qu’à des biens, notre liberté ne peut s’exercer quà choisir entre plusieurs biens, non entre le bien et le mal. On comprend dès lors qu’un saint Thomas se plaise à voir dans un jugement droit comme le nerf de la sagesse. «  recta  sapere », lisons-nous dans l’Oraison au Saint Esprit. Autrement dit : avoir le sens de la hiérarchie des êtres et des biens et donc le sens de Dieu, pour que nous puissions, certes, faire usage de tout, puisque « tout est à nous » mais autant que… pas plus que… »

Est-il liberté plus parfaite, en effet, que cette totale maîtrise de disposition de soi exprimée dans l’admirable prière de saint Ignace à la fin des Exercices : « Suscipe universam meam libertatem… » :

« Emparez-vous, Seigneur, de ma liberté tout entière. Recevez ma mémoire, mon intelligence, toute ma volonté. Tout ce que j’ai, tout ce que je possède, vous me l’avez donné. Je vous le rends et l’abandonne à votre gré. Donnez moi seulement votre amour et votre grâce. Et je suis assez riche. Et je n’ai rien de plus à vous demander ».

Cri d’amour, comble de liberté, que cette suprême disposition de soi qui identifie notre volonté à celle de Dieu.

Justification du titre  des Exercices… » «  Exercices spirituels pour se vaincre soi-même et régler sa vie sans se déterminer par aucune affection désordonnée ».

Se vaincre soi-même pour être libre. Et être libre parce que débarrassé de toute affection indigne de la sagesse d’un être  raisonnable.

 

 

Liberté vraie et intelligence de l’ordre divin.

 

Dès lors, bien loin de considérer, à la façon du libertaire que l’intelligence, la raison nous asservissent et qu’il n’est de liberté que dans l’élan brut de nos passions et de nos snes, nous ne nous  étonnerions plus que ce soit dans l’intelligence , la raison, qu’il faille chercher la justification de tout libre comportement. Et d’abord la réponse à cette question posée dès le début de cette étude : comment déterminer des actes libres ?

L’explication est facile.

 

Ce que, dans la science de la matière, on entend par détermination, ne saurait convenir aux actes humains ? ces derniers sont libres ( quand ils le sont, et ceux là seuls qui le sont) parce que non déterminés par cette nécessité physique et aveugle qui préside à la plupart des phénomènes matériels.

 C’et parce qu’ils sont (et dans la mesure où ils le sont) intelligents que nos actes sont libres. C’est parce qu’ils sont ( et dans la mesure où ils sont) commandés par la raison que les actes humains peuvent être tout à la fois libres et déterminé. Mais déterminés par un acte de réflexion, un choix raisonnable.

Au contraire, dans la mesure où ils obéissent à des $ressorts plus obscurs ( passions, instincts..) nos actes sont moins libres et par là-même, moins moraux…L’intelligence seule, parce qu’elle nous est donnée pour comprendre les dispositions de l’ordre divin (naturel et surnaturel) peut éclaircir notre choix et notre conduite selon la sagesse de ce divin vouloir.

Puisque notre volonté est ordonnée à ne poursuivre que des biens, l’intelligence seule peut indiquer à cette volonté le programme de ses affections ou l’itinéraire de son amour.  Et cela parce qu’il est donné à l’intelligence de comprendre que tel bien choisi entelle circonstance ou dans telle démesure est péché, alors que tel autre, moins agréable, peut-être, sera progrès, sera vertu, sera preuve d’amour à l’adresse de Celui qui ne veut  être payé qu’en amour.

« Que chacun de nous s’écoute et se consulte soi-même » , écrit Bossuet dans son « Traité du libre arbitre », « il sentira qu’il est libre comme il sentira qu’il est raisonnable ».

Entendez qu’il se sentira libre parce que raisonnable et dans la mesure où il l’est ; autant dire dans la mesure où ses actes seront plus conformes au jugement moral de la raison, seule capable de donner à l’homme une véritable maîtrise de ses actes.

Telle est la liberté.

« Dieu a crée l’homme libre, écrit saint Thomas, non qu’il soit permis de faire ce qu’il veut ; mais parce qu’au lieu d’être obligé de faire ce qu’il doit par la nécessité de sa nature, comme les créatures sans raison, il agit en vertu d’un libre choix procédant de son propre conseil ».

La vraie liberté consiste donc à ce soumettre, à obéir, mais à obéir à la droite raison, à l’intelligence, en sachant pour quels motifs il faut, pour quels motifs il est bon d’agir de telle sorte.

 

C’est pourquoi l’on peut dire que l’homme « agit » au vrai sens du terme, alors que l’animal, plutôt, est «  agi », soumis qu’il est sans réflexion aux lois de son instinct.

 

Nous sommes loin de cet idéal de « quadrupèdes non domptés » que Voltaire proposait tout à l’heur ! Rousseau, n’a-t-il point dit que « l’homme qui pense est un animal dépravé » ? Conclusion logique des théories libérales et libertaires.

Tout au contraire, l’homme est libre dans la mesure où il « pense » son action, comprend l’ordre des choses qu’il lui faut combiner ou auquel il doit obéir.

Ainsi disparaît l’antinomie que les libéraux ou libertaires s’acharnent à désigner entre l’idée de gouvernement, d’autorité et l’idée de liberté ».

 

Tout ceci nous permet de comprendre combien ce sont trompés les philosophes de Lumières. Et que leur liberté est loin de plonger ses racines dans la Révélation.
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