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Un regard sur le monde
politique et religieux
au 19 septembre 2008
N° 183
Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier
Le voyage du Pape en
France.
A- Paris
Nous donnerons dans ce « Regard sur le monde »
les discours du pape prononcés d’abord à Paris, les 12 et 134 septembre. Dans
le prochain, nous donnerons ses discours prononcés à Lourdes, les 14 et 15
spetmebre.
1- Discours de bienvenue du président Nicolas Sarkozy
à Benoît XVI
Nous publions ci-dessous le discours que le président
français Nicolas Sarkozy a prononcé le vendredi 12 septembre, lors de la
cérémonie d'accueil de Benoît XVI, au palais présidentiel de l'Elysée.
Très Saint Père,
C'est un honneur
pour le gouvernement français, pour toutes les personnes présentes dans cette
salle, et bien sûr pour moi-même et pour ma famille, de vous accueillir
aujourd'hui au Palais de l'Elysée.
Tout au long de son
histoire,
Qu'ils soient
catholiques ou fidèles d'une autre religion, croyants ou non croyants, tous les
Français sont sensibles à votre choix de Paris pour vous adresser cet
après-midi au monde de la culture, vous qui êtes, profondément, un homme de
conviction, de savoir et de dialogue. Vous renouvelez l'honneur fait à
Pour les millions de
Français catholiques, votre visite est un évènement exceptionnel. Elle leur
procure une joie intense et suscite de grandes espérances. Il est naturel que
le Président de
J'ai souhaité que
soient présents dans cette salle un certain nombre d'entre eux, connus ou moins
connus, mais engagés dans tous les secteurs de la société : mouvements de
jeunesse et éducation, secteur social et associatif, santé, entreprise,
syndicalisme, administration et vie politique, journalisme, communauté
scientifique, monde du sport, des arts et du spectacle, monde de la littérature
et des idées, et bien sûr institutions ecclésiales. Ils sont le visage d'une
Eglise de France diverse, moderne, qui veut mettre toute son énergie au service
de sa foi.
Sont également
présents dans cette salle, et je les en remercie, les représentants des autres
religions et traditions philosophiques, et beaucoup de Français agnostiques ou
non croyants, eux aussi engagés pour le bien commun. Dans
Très Saint Père, le
dialogue entre la foi et la raison a occupé une part prépondérante dans votre
cheminement intellectuel et théologique. Non seulement vous n'avez cessé de
soutenir la compatibilité entre la foi et la raison, mais encore vous pensez
que la spécificité et la fécondité du christianisme ne sont pas dissociables de
sa rencontre avec les fondements de la pensée grecque.
La démocratie non plus ne doit pas se couper de la
raison. Elle ne peut se contenter de reposer sur l'addition arithmétique des
suffrages, ni sur les mouvements passionnés des individus. Elle doit également
procéder de l'argumentation et du raisonnement, rechercher honnêtement ce qui
est bon et nécessaire, respecter des principes essentiels reconnus par
l'entendement commun. Comment d'ailleurs la démocratie pourrait-elle se priver des
lumières de la raison sans se renier elle-même, elle qui est fille de la raison
et des Lumières ? C'est là une exigence quotidienne pour le gouvernement
des choses publiques et le débat politique.
Aussi est-il
légitime pour la démocratie et respectueux de la laïcité de dialoguer avec les
religions. Celles-ci, et notamment la religion chrétienne avec laquelle nous
partageons une longue histoire, sont des patrimoines vivants de réflexion et de
pensée, pas seulement sur Dieu, mais aussi sur l'homme, sur la société, et même
sur cette préoccupation aujourd'hui centrale qu'est la nature. Ce serait une
folie de nous en priver, tout simplement une faute contre la culture et contre
la pensée. C'est pourquoi j'en appelle à une laïcité positive.
En cette époque où le
doute, le repli sur soi, mettent nos démocraties au défi de répondre aux
problèmes de notre temps, la laïcité positive offre à nos consciences la
possibilité d'échanger, par delà les croyances et les rites, sur le sens que
nous voulons donner à nos existences.
De même, les progrès
rapides et importants de la science dans les domaines de la génétique et de la
procréation posent à nos démocraties de délicates questions de bioéthique.
Elles engagent notre conception de l'homme et de la vie, et peuvent conduire à
des mutations de société. C'est pourquoi elles ne peuvent rester l'affaire des
seuls experts.
La responsabilité du
politique est d'organiser le cadre propre à cette réflexion. C'est ce que
La laïcité positive,
la laïcité ouverte, c'est une invitation au dialogue, à la tolérance et au
respect.
C'est une chance, un
souffle, une dimension supplémentaire donnée au débat public.
C'est un
encouragement pour les religions, comme pour tous les courants de pensée. Et
aussi un défi : car il y a trente ans encore, aucun de nos prédécesseurs n'aurait
pu imaginer, ni même soupçonner, les questions auxquelles nous sommes
aujourd'hui confrontés.
Très Saint Père,
vous vous rendrez demain à Lourdes. Dans le cœur de millions de personnes en
France et dans le monde, Lourdes tient une place particulière. On y vient
souvent chercher une guérison du corps, on en revient avec une guérison de
l'âme et du cœur. Même pour le profane, il existe bien un miracle de
Lourdes : celui de la compassion, du courage, de l'espérance, au milieu de
souffrances physiques ou morales souvent extrêmes et indicibles.
La souffrance,
qu'elle soit le fait de la maladie, du handicap, du désespoir, de la mort ou
tout simplement du mal, est assurément l'une des principales interrogations que
pose la vie à la foi ou à l'espérance humaine. A cet égard, ce que vous direz
lundi aux malades sera écouté bien au-delà de la communauté catholique. Mais
par sa capacité à affronter la souffrance, à la surmonter et à la transformer,
l'homme donne aussi, aux croyants comme aux non croyants, un signe tangible,
une preuve manifeste de sa dignité.
La dignité humaine,
l'Eglise ne cesse de la proclamer et de la défendre. A nous, responsables
politiques, il incombe de la protéger toujours davantage, en défiant les
contraintes économiques et en surmontant les hésitations politiques, dans le
respect de la démocratie et de la liberté de conscience qui sont des éléments
constitutifs de cette dignité.
Quand
Quand elle engage un
plan massif contre la maladie d'Alzheimer, elle se donne les moyens d'assurer
leur dignité à un nombre croissant de personnes touchées par cette maladie.
Quand elle crée un
contrôleur général des prisons, réforme son système pénitentiaire, investit
pour garantir une cellule individuelle à tout prisonnier, elle veut concilier
la protection de la société avec la dignité de chaque détenu.
Quand elle dessine
de nouveaux contours à sa politique d'immigration, elle entend respecter la
dignité de chaque étranger, mais assume cette conviction raisonnable, et en
tout cas raisonnée, que les désordres d'une immigration non contrôlée portent
atteinte à la dignité de tous. Cette politique serait condamnable si elle ne
cherchait pas à donner, grâce au développement, des conditions de vie meilleure
aux populations concernées dans leur pays d'origine. C'est notre engagement.
Progressivement, la
dignité humaine s'est imposée comme une valeur universelle. Elle est au cœur de
A l'heure où
ressurgissent tant de fanatismes, à l'heure où le relativisme exerce une
séduction croissante, où la possibilité même de connaître et de partager une
certaine part de la vérité est mise en doute, à l'heure où les égoïsmes les
plus durs menacent les relations entre les nations et au sein des nations,
cette option absolue pour la dignité humaine et son ancrage dans la raison
doivent être tenus pour un trésor des plus précieux.
Là réside le vrai secret
de l'Europe, celui dont l'oubli a précipité le monde dans les pires barbaries,
celui qui ranime sans cesse notre désir d'agir pour la paix et la stabilité du
monde, et conforte notre légitimité à le faire, hommes et femmes de bonne
volonté ensemble.
Là se trouve aussi
l'esprit de l'Union pour
Je connais, Très
Saint Père, et je partage votre inquiétude croissante pour certaines
communautés chrétiennes au travers le monde, notamment en Orient. Je veux
spécialement saluer, à cet égard, Monsieur Estifan Majid, présent parmi nous,
qui est le frère de l'archevêque de Mossoul récemment assassiné, Monseigneur
Faraj Rahho. L'Union pour
En Inde, chrétiens,
musulmans et hindouistes doivent renoncer à toute forme de violence et s'en
remettre aux vertus du dialogue. Ailleurs en Asie, la liberté de pratiquer sa
religion, quelle qu'elle soit, doit être respectée.
La paix durable et
véritable n'est possible que par le dialogue. Un dialogue authentique. Un
dialogue fondé sur le vrai désir et la passion réelle de comprendre un point de
vue différent. Un dialogue qui reçoit autant qu'il donne, tant il est vrai que,
dans le dialogue, il est plus facile de délivrer sa vérité que d'accueillir
celle de l'autre. Un dialogue où chacun accepte le principe qu'il peut changer
d'avis ou faire évoluer son opinion. Un dialogue qui ne reporte pas tous les
problèmes sur le religieux et le culturel, mais qui ne les ignore pas non plus.
Un dialogue qui n'est pas le fait d'une élite mondialisée et bien-pensante,
mais qui pénètre au fond des peuples. C'est pourquoi les Eglises doivent y
participer de manière active.
Rien ne serait plus
dommageable que la reprise d'une guerre des religions. C'est pourquoi j'ai
voulu parler de religion à Riyad avec le roi d'Arabie Saoudite. Et c'est
pourquoi j'ai tenu à insister sur ce que les religions ont en commun, qui est
en vérité beaucoup plus grand que ce qui les divise.
Le dialogue avec et
entre les religions est un enjeu majeur du siècle naissant. Les responsables
politiques ne peuvent s'en désintéresser. Mais ils ne peuvent y contribuer que
s'ils respectent les religions. Car il n'y a pas de dialogue sans confiance, et
pas de confiance sans respect.
Oui, je respecte les
religions, toutes les religions. Je connais les erreurs qu'elles ont commises
par le passé et les intégrismes qui les menacent, mais je sais le rôle qu'elles
ont joué dans l'édification de l'humanité. Le reconnaître ne diminue en rien
les mérites des autres courants de pensée.
Je sais l'importance
des religions pour répondre au besoin d'espérance des hommes et je ne le
méprise pas. La quête de spiritualité n'est pas un danger pour la démocratie,
pas un danger pour la laïcité.
Je ne désespère pas
des religions quand je lis, sous la plume de Frère Christian, le prieur de
Tibhirine : « L'Algérie et l'Islam, pour moi, c'est un corps et une âme.
Je l'ai assez proclamé, au vu et au su de ce que j'en ai reçu, y retrouvant si
souvent ce droit fil conducteur de l'Evangile appris aux genoux de ma mère, ma
tout première Eglise, précisément en Algérie, et déjà, dans le respect des
croyants musulmans ».
Et quand il ajoute,
dans ce testament prémonitoire : « J'aimerais, le moment venu, avoir cette
lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes
frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cœur à qui m'aurait
atteint », alors, oui, je pense que les religions peuvent élargir le cœur
de l'homme.
Pour toutes ces
raisons, Très Saint Père, soyez le bienvenu en France.
2- Discours de Benoît XVI aux autorités de l’Etat à
l’Elysée (12 septembre)
Nous publions ci-dessous le texte intégral du discours que le pape Benoît XVI a prononcé en réponse au discours du Président Sarkozy, au palais présidentiel de l'Elysée, en présence des autorités de l'Etat français.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis !
Foulant le sol de France pour la première fois depuis que
Mon pèlerinage à Lourdes devait comporter une étape à Paris.
Votre capitale m'est familière et je la connais assez bien. J'y ai souvent
séjourné et j'y ai lié, au fil des ans, en raison de mes études et de mes
fonctions antérieures, de bonnes amitiés humaines et intellectuelles. J'y
reviens avec joie, heureux de l'occasion qui m'est ainsi donnée de rendre
hommage à l'imposant patrimoine de culture et de foi qui a façonné votre pays
de manière éclatante durant des siècles et qui a offert au monde de grandes
figures de serviteurs de
L'Histoire suffit à le montrer : dès ses origines, votre
pays a reçu le message de l'Évangile. Si les documents font parfois défaut, il
n'en reste pas moins que l'existence de communautés chrétiennes est attestée en
Gaule à une date très ancienne : on ne peut rappeler sans émotion que la ville
de Lyon avait déjà un évêque au milieu du IIe siècle et que saint Irénée,
l'auteur de l'Adversus haereses, y donna un témoignage éloquent de la
vigueur de la pensée chrétienne. Or, saint Irénée venait de Smyrne pour prêcher
la foi au Christ ressuscité. Lyon avait un évêque dont la langue maternelle
était le grec : y a-t-il plus beau signe de la nature et de la destination
universelles du message chrétien ? Implantée à haute époque dans votre pays,
l'Église y a joué un rôle civilisateur auquel il me plaît de rendre hommage en
ce lieu. Vous y avez-vous-même fait allusion dans votre discours au Palais du
Latran en décembre dernier. Transmission de la culture antique par le biais des
moines, professeurs ou copistes, formation des coeurs et des esprits à l'amour
du pauvre, aide aux plus démunis par la fondation de nombreuses congrégations
religieuses, la contribution des chrétiens à la mise en place des institutions
de
De nombreuses personnes en France se sont arrêtées pour réfléchir sur les rapports de l'Église et de l'État. Sur le problème des relations entre la sphère politique et la sphère religieuse, le Christ avait déjà offert le principe d'une juste solution lorsqu'il répondit à une question qu'on Lui posait : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mc 12,17). L'Église en France jouit actuellement d'un régime de liberté. La méfiance du passé s'est transformée peu à peu en un dialogue serein et positif, qui se consolide toujours plus. Un nouvel instrument de dialogue existe depuis 2002 et j'ai grande confiance en son travail, car la bonne volonté est réciproque. Nous savons que restent encore ouverts certains terrains de dialogue qu'il nous faudra parcourir et assainir peu à peu avec détermination et patience. Vous avez d'ailleurs utilisé, Monsieur le Président, l'expression belle de «laïcité positive» pour qualifier cette compréhension plus ouverte. En ce moment historique où les cultures s'entrecroisent de plus en plus, je suis profondément convaincu qu'une nouvelle réflexion sur le vrai sens et sur l'importance de la laïcité est devenue nécessaire. Il est en effet fondamental, d'une part, d'insister sur la distinction entre le politique et le religieux, afin de garantir aussi bien la liberté religieuse des citoyens que la responsabilité de l'État envers eux, et d'autre part, de prendre une conscience plus claire de la fonction irremplaçable de la religion pour la formation des consciences et de la contribution qu'elle peut apporter, avec d'autres instances, à la création d'un consensus éthique fondamental dans la société.
Le Pape, témoin d'un Dieu aimant et Sauveur, s'efforce d'être un semeur de charité et d'espérance. Toute société humaine a besoin d'espérance, et cette nécessité est encore plus forte dans le monde d'aujourd'hui qui offre peu d'aspirations spirituelles et peu de certitudes matérielles. Les jeunes sont ma préoccupation majeure. Certains d'entre eux peinent à trouver une orientation qui leur convienne ou souffrent d'une perte de repères dans leur vie familiale. D'autres encore expérimentent les limites d'un communautarisme religieux. Parfois marginalisés et souvent abandonnés à eux-mêmes, ils sont fragiles et ils doivent affronter seuls une réalité qui les dépasse. Il est donc nécessaire de leur offrir un bon cadre éducatif et de les encourager à respecter et à aider les autres, afin qu'ils arrivent sereinement à l'âge responsable.
L'Église peut apporter dans ce domaine sa contribution spécifique. La situation sociale occidentale, hélas marquée par une avancée sournoise de la distance entre les riches et les pauvres, me soucie aussi. Je suis certain qu'il est possible de trouver de justes solutions qui, dépassant l'aide immédiate nécessaire, iront au coeur des problèmes afin de protéger les faibles et de promouvoir leur dignité. À travers ses nombreuses institutions et par ses activités, l'Église, tout comme de nombreuses associations dans votre pays, tente souvent de parer à l'immédiat, mais c'est à l'État qu'il revient de légiférer pour éradiquer les injustices. Dans un cadre beaucoup plus large, Monsieur le Président, l'état de notre planète me préoccupe aussi. Avec grande générosité, Dieu nous a confié le monde qu'il a créé. Il faudra apprendre à le respecter et à le protéger davantage.
Il me semble qu'est arrivé le moment de faire des propositions plus constructives pour garantir le bien des générations futures.
L'exercice de
Monsieur le Président, chers amis, je désire une fois encore
vous exprimer ma gratitude pour cette rencontre. Je vous assure de ma fervente
prière pour votre belle Nation afin que Dieu lui concède paix et prospérité,
liberté et unité, égalité et fraternité. Je confie ces voeux à l'intercession
maternelle de
3- Discours de
Benoît XVI au monde de la culture (collège des Bernardins)
Nous publions ci-dessous le discours que le pape Benoît XVI a prononcé le vendredi, vers 17h00, au collège des Bernardins, à Paris, à l'occasion de sa rencontre avec le monde de la culture.
Monsieur le Cardinal,
Madame le Ministre de
Monsieur le Maire,
Monsieur le Chancelier de l'Institut,
Chers amis,
Merci, Monsieur le Cardinal, pour vos aimables paroles. Nous
nous trouvons dans un lieu historique, lieu édifié par les fils de saint
Bernard de Clairvaux et que votre prédécesseur, le regretté Cardinal Jean-Marie
Lustiger, a voulu comme un centre de dialogue de
J'aimerais vous parler ce soir des origines de la théologie occidentale et des racines de la culture européenne. J'ai mentionné en ouverture que le lieu où nous nous trouvons était emblématique. Il est lié à la culture monastique. De jeunes moines ont ici vécu pour s'initier profondément à leur vocation et pour bien vivre leur mission. Ce lieu évoque-t-il pour nous encore quelque chose ou n'y rencontrons-nous qu'un monde désormais révolu ? Pour pouvoir répondre, nous devons réfléchir un instant sur la nature même du monachisme occidental. De quoi s'agissait-il alors ? En considérant les fruits historiques du monachisme, nous pouvons dire qu'au cours de la grande fracture culturelle, provoquée par la migration des peuples et par la formation des nouveaux ordres étatiques, les monastères furent des espaces où survécurent les trésors de l'antique culture et où, en puisant à ces derniers, se forma petit à petit une culture nouvelle. Comment cela s'est-il passé ? Quelle était la motivation des personnes qui se réunissaient en ces lieux ? Quelles étaient leurs désirs ? Comment ont-elles vécu ?
Avant toute chose, il faut reconnaître avec beaucoup de
réalisme que leur volonté n'était pas de créer une culture nouvelle ni de
conserver une culture du passé. Leur motivation était beaucoup plus simple.
Leur objectif était de chercher Dieu, quaerere Deum. Au milieu de la confusion
de ces temps où rien ne semblait résister, les moines désiraient la chose la plus
importante : s'appliquer à trouver ce qui a de la valeur et demeure toujours,
trouver
Pour avoir une vision d'ensemble de cette culture de la
parole liée à la recherche de Dieu, nous devons faire un pas supplémentaire.
Il y a encore un autre pas à faire.
Pour saint Benoît, la règle déterminante de la prière et du
chant des moines est la parole du Psaume : Coram angelis psallam Tibi,
Domine - en présence des anges, je veux te chanter, Seigneur (cf. 138, 1).
Se trouve ici exprimée la conscience de chanter, dans la prière communautaire,
en présence de toute la cour céleste, et donc d'être soumis à la mesure suprême
: prier et chanter pour s'unir à la musique des esprits sublimes qui étaient
considérés comme les auteurs de l'harmonie du cosmos, de la musique des
sphères. Les moines, par leurs prières et leurs chants, doivent correspondre à
la grandeur de
Enfin, pour s'efforcer de saisir cette culture monastique
occidentale de la parole, qui s'est développée à partir de la quête intérieure
de Dieu, il faut au moins faire une brève allusion à la particularité du Livre
ou des Livres par lesquels cette Parole est parvenue jusqu'aux moines. Vue sous
un aspect purement historique ou littéraire,
Nous pouvons exprimer tout cela d'une manière plus simple :
l'Écriture a besoin de l'interprétation, et elle a besoin de la communauté où
elle s'est formée et où elle est vécue. En elle seulement, elle a son unité et,
en elle, se révèle le sens qui unifie le tout. Dit sous une autre forme : il
existe des dimensions du sens de
Le caractère crucial de ce thème est éclairé par les écrits
de saint Paul. Il a exprimé de manière radicale ce que signifient le
dépassement de la lettre et sa compréhension holistique, dans la phrase : « La
lettre tue, mais l'Esprit donne la vie » (2 Co 3, 6). Et encore : « Là
où est l'Esprit..., là est la liberté » (2 Co 3, 17). Toutefois, la
grandeur et l'ampleur de cette perception de
En considérant « l'école du service du Seigneur » - comme
Benoît appelait le monachisme -, nous avons jusque-là porté notre attention
prioritairement sur son orientation vers la parole, vers l'« ora ». Et, de
fait, c'est à partir de là que se détermine l'ensemble de la vie monastique.
Mais notre réflexion resterait incomplète si nous ne fixions pas aussi notre
regard, au moins brièvement, sur la deuxième composante du monachisme, désignée
par le terme « labora ». Dans le monde grec, le travail physique était
considéré comme l'œuvre des esclaves. Le sage, l'homme vraiment libre, se
consacrait uniquement aux choses de l'esprit ; il abandonnait le travail
physique, considéré comme une réalité inférieure, à ces hommes qui n'étaient
pas supposés atteindre cette existence supérieure, celle de l'esprit. La
tradition juive était très différente : tous les grands rabbins exerçaient
parallèlement un métier artisanal. Paul, comme rabbi puis comme héraut de
l'Évangile aux Gentils, était un fabricant de tentes et il gagnait sa vie par
le travail de ses mains. Il n'était pas une exception, mais il se situait dans
la tradition commune du rabbinisme. Le monachisme chrétien a accueilli cette
tradition : le travail manuel en est un élément constitutif. Dans sa Regula,
Benoît ne parle pas au sens strict de l'école, même si l'enseignement et
l'apprentissage - comme nous l'avons vu - étaient acquis dans les faits ; en
revanche, il parle explicitement du travail (cf. chap. 48). Augustin avait fait
de même en consacrant au travail des moines un livre particulier. Les
chrétiens, s'inscrivant dans la tradition pratiquée depuis longtemps par le
judaïsme, devaient, en outre, se sentir interpellés par la parole de Jésus dans
l'Évangile de Jean, où il défendait son action le jour du shabbat : « Mon Père
(...) est toujours à l'œuvre, et moi aussi je suis à l'œuvre » (5, 17). Le
monde gréco-romain ne connaissait aucun Dieu Créateur. La divinité suprême
selon leur vision ne pouvait pas, pour ainsi dire, se salir les mains par la
création de la matière. L'« ordonnancement » du monde était le fait du
démiurge, une divinité subordonnée. Le Dieu de
Nous sommes partis de l'observation que, dans l'effondrement
de l'ordre ancien et des antiques certitudes, l'attitude de fond des moines
était le quaerere Deum - se mettre à la recherche de Dieu. C'est là,
pourrions-nous dire, l'attitude vraiment philosophique : regarder au-delà des
réalités pénultièmes et se mettre à la recherche des réalités ultimes qui sont
vraies. Celui qui devenait moine s'engageait sur un chemin élevé et long, il
était néanmoins déjà en possession de la direction :
Le schéma fondamental de l'annonce chrétienne ad extra - aux
hommes qui, par leurs questionnements, sont en recherche - se dessine dans le
discours de saint Paul à l'Aréopage. N'oublions pas qu'à cette époque,
l'Aréopage n'était pas une sorte d'académie où les esprits les plus savants se
rencontraient pour discuter sur les sujets les plus élevés, mais un tribunal
qui était compétent en matière de religion et qui devait s'opposer à
l'intrusion de religions étrangères. C'est précisément ce dont on accuse Paul :
« On dirait un prêcheur de divinités étrangères » (Ac 17, 18). Ce à quoi Paul
réplique : « J'ai trouvé chez vous un autel portant cette inscription :
"Au dieu inconnu". Or, ce que vous vénérez sans le connaître, je
viens vous l'annoncer » (cf. 17, 23). Paul n'annonce pas des dieux inconnus. Il
annonce Celui que les hommes ignorent et pourtant connaissent :
l'Inconnu-Connu. C'est Celui qu'ils cherchent, et dont, au fond, ils ont
connaissance et qui est cependant l'Inconnu et l'Inconnaissable. Au plus
profond, la pensée et le sentiment humains savent de quelque manière que Dieu
doit exister et qu'à l'origine de toutes choses, il doit y avoir non pas
l'irrationalité, mais
Sous de nombreux aspects, la situation actuelle est différente de celle que Paul a rencontrée à Athènes, mais, tout en étant différente, elle est aussi, en de nombreux points, très analogue. Nos villes ne sont plus remplies d'autels et d'images représentant de multiples divinités. Pour beaucoup, Dieu est vraiment devenu le grand Inconnu. Malgré tout, comme jadis où derrière les nombreuses représentations des dieux était cachée et présente la question du Dieu inconnu, de même, aujourd'hui, l'actuelle absence de Dieu est aussi tacitement hantée par la question qui Le concerne. Quaerere Deum - chercher Dieu et se laisser trouver par Lui : cela n'est pas moins nécessaire aujourd'hui que par le passé. Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l'humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves. Ce qui a fondé la culture de l'Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L'écouter, demeure aujourd'hui encore le fondement de toute culture véritable.
Merci beaucoup.
4- Discours de Benoît XVI à Notre-Dame de Paris en
présence du clergé
Nous publions ci-dessous le discours que le pape Benoît XVI a prononcé au cours des Vêpres, à Notre-Dame de Paris, en présence du clergé et des personnes consacrées, le vendredi 12 septembre, vers 19h00.
Chers Frères Cardinaux et Évêques,
Messieurs les Chanoines du Chapitre,
Messieurs les Chapelains de Notre-Dame,
Chers prêtres et diacres,
Chers amis membres des Églises et Communautés ecclésiales non catholiques,
Chers frères et sœurs !
Béni soit Dieu qui nous permet de nous retrouver en un lieu si cher au cœur des Parisiens, mais aussi de tous les Français ! Béni soit Dieu qui nous donne la grâce de Lui faire l'hommage de notre prière vespérale pour Lui rendre la louange qu'Il mérite avec les paroles que la liturgie de l'Église a héritées de la liturgie synagogale pratiquée par le Christ et par ses premiers disciples ! Oui, béni soit Dieu de venir ainsi à notre aide - in adiutorium nostrum - pour nous aider à faire monter vers Lui l'offrande du sacrifice de nos lèvres !
Nous voici dans l'église mère du diocèse de Paris, la
cathédrale Notre-Dame, qui se dresse au cœur de la cité comme un signe vivant
de la présence de Dieu au milieu des hommes. Mon prédécesseur Alexandre III en
posa la première pierre, les Papes Pie VII et Jean-Paul II l'honorèrent de leur
visite, et je suis heureux de m'inscrire à leur suite, après y être venu voici
un quart de siècle pour y prononcer une conférence sur la catéchèse. Il est
difficile de ne pas rendre grâce à Celui qui a créé la matière aussi bien que
l'esprit, pour la beauté de l'édifice qui nous reçoit. Les chrétiens de Lutèce
avaient déjà construit une cathédrale dédiée à saint Étienne, premier martyr,
mais, devenue trop exiguë, elle fut remplacée progressivement, entre le XIIe et
le XIVe siècle, par celle que nous admirons de nos jours. La foi du Moyen Âge a
bâti les cathédrales, et vos ancêtres sont venus ici pour louer Dieu, lui
confier leurs espérances et lui dire leur amour. De grands événements religieux
et civils se sont déroulés dans ce sanctuaire où les architectes, les peintres,
les sculpteurs et les musiciens ont donné le meilleur d'eux-mêmes. Qu'il
suffise de rappeler, parmi bien d'autres, les noms de l'architecte Jean de
Chelles, du peintre Charles Le Brun, du sculpteur Nicolas Coustou et des
organistes Louis Vierne et Pierre Cochereau. L'art, chemin vers Dieu, et la
prière chorale, louange de l'Église au Créateur, ont aidé Paul Claudel, venu
assister aux vêpres du jour de Noël 1886, à trouver le chemin vers une
expérience personnelle de Dieu. Il est significatif que Dieu ait illuminé son
âme précisément pendant le chant du Magnificat, dans lequel l'Église écoute le
cantique de
Témoin (...) de l'échange incessant que Dieu a voulu établir
entre les hommes et Lui,
Notre marche vers la cité sainte ne serait pas possible si
elle ne se faisait en Église, germe et préfiguration de
Le Verbe, Sa Parole, qui depuis toujours était auprès de Lui
(cf. Jn 1, 1), est né d'une Femme, est né sujet de
Dès maintenant,
«
Et vous, chers diacres, qui êtes d'efficaces collaborateurs
des Évêques et des prêtres, continuez à aimer
À un titre particulier, les religieux, les religieuses et
toutes les personnes consacrées vivent de
Avec une confiance indéfectible en la puissance de Dieu qui
nous a sauvés « en espérance » (cf. Rm 8, 24) et qui veut faire de nous un seul
troupeau sous la houlette d'un seul pasteur, le Christ Jésus, je prie pour
l'unité de l'Église. Je salue avec respect et affection les représentants des
Églises chrétiennes et des communautés ecclésiales, venus prier fraternellement
les Vêpres avec nous dans cette cathédrale. La puissance de
Chers frères et sœurs, en Notre Dame, nous avons le plus bel
exemple de la fidélité à
Amen.
5- Benoît XVI à Paris : Discours aux jeunes
Nous publions ci-dessous le discours que le pape Benoît XVI a adressé aux jeunes réunis sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame, à Paris, le vendredi soir, après le chant des Vêpres.
Chers jeunes,
Après le recueillement priant des Vêpres à Notre-Dame, c'est
avec enthousiasme que vous me saluez ce soir, donnant ainsi un caractère festif
et très sympathique à cette rencontre. Elle me rappelle celle inoubliable de
juillet dernier à Sydney, à laquelle certains d'entre vous ont participé à
l'occasion de
Le premier se rapporte au thème choisi pour Sydney. Il est
aussi celui de votre veillée de prière qui va débuter dans quelques instants.
Il s'agit d'un passage tiré des Actes des Apôtres, livre que certains appellent
fort justement l'Évangile du Saint Esprit : « Vous allez recevoir une force,
celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins » (Ac
1, 8). Le Seigneur vous le dit à vous maintenant. Sydney a fait redécouvrir à
de nombreux jeunes l'importance de l'Esprit Saint, dans notre vie, dans
la vie du chrétien. L'Esprit nous met intimement en rapport avec Dieu, chez qui
se trouve la source de toute richesse humaine authentique. Tous, vous cherchez
à aimer et à être aimés ! C'est vers Dieu que vous devez vous tourner pour apprendre
à aimer et pour avoir la force d'aimer. L'Esprit, qui est Amour, peut ouvrir
vos cœurs pour recevoir le don de l'amour authentique. Tous, vous cherchez la
vérité et vous voulez en vivre, en vivre réellement ! Cette vérité, c'est le
Christ. Il est le seul Chemin, l'unique Vérité et la vraie Vie. Suivre le
Christ signifie véritablement « prendre le large », comme le disent à plusieurs
reprises les Psaumes. La route de
Pour approfondir ces vérités de foi, je vous encourage à
méditer la grandeur du sacrement de
En cette année dédiée à saint Paul, je voudrais vous confier
un second trésor, qui était au centre de la vie de cet Apôtre fascinant. Il
s'agit du mystère de
L'Esprit ouvre l'intelligence humaine à de nouveaux horizons
qui la dépassent et lui fait comprendre que l'unique vraie sagesse réside dans
la grandeur du Christ. Pour les chrétiens,
L'Esprit Saint vous en fera comprendre les mystères d'amour
et vous crierez alors avec Saint Paul : « Pour moi, que la croix de notre
Seigneur Jésus Christ reste mon seul orgueil. Par elle, le monde est à jamais
crucifié pour moi, comme moi pour le monde » (Gal 6, 14). Paul avait
compris la parole de Jésus - apparemment paradoxale - selon laquelle c'est
seulement en donnant («en perdant ») sa propre vie qu'on peut la trouver (cf. Mc
8, 35 ; Jn 12, 24) et il en avait conclu que
Il est temps maintenant de commencer la veillée de prière
pour laquelle vous vous êtes rassemblés ce soir. N'oubliez pas les deux trésors
que le Pape vous a présentés ce soir : l'Esprit Saint et
Bien volontiers, je vous donne
Merci pour votre foi et bonne veillée.
6- Benoît XVI à Paris : Homélie aux Invalides
Nous publions ci-dessous le texte de l'homélie que le pape Benoît XVI a prononcée lors de la messe qu'il a présidée, le samedi matin, 13 septembre, à 10h00, sur l'esplanade des Invalides, à Paris.
Monsieur le Cardinal Vingt-Trois,
Messieurs les Cardinaux et Chers Frères dans l'Épiscopat,
Frères et soeurs dans le Christ,
Jésus-Christ nous rassemble en cet admirable lieu, au coeur de Paris, en ce jour où l'Église universelle fête saint Jean Chrysostome, l'un de ses plus grands Docteurs qui par son témoignage de vie et son enseignement, a montré efficacement aux chrétiens la route à suivre. Je salue avec joie toutes les Autorités qui m'ont accueilli en cette noble cité, tout spécialement le Cardinal André Vingt-Trois, que je remercie pour ses aimables paroles. Je salue aussi tous les Évêques, les Prêtres, les Diacres qui m'entourent pour la célébration du sacrifice du Christ. Je remercie toutes les Personnalités, en particulier Monsieur le Premier Ministre, qui ont tenu à être présentes ici ce matin ; je les assure de ma prière fervente pour l'accomplissement de leur haute mission au service de leurs concitoyens.
La première Lettre de saint Paul, adressée aux Corinthiens, nous fait découvrir, en cette année paulinienne qui s'est ouverte le 28 juin dernier, à quel point les conseils donnés par l'Apôtre restent d'actualité. « Fuyez le culte des idoles » (1Co 10, 14), écrit-il à une communauté très marquée par le paganisme et partagée entre l'adhésion à la nouveauté de 'Évangile et l'observance de vieilles pratiques héritées de ses ancêtres. Fuir les idoles, cela voulait dire alors, cesser d'honorer les divinités de l'Olympe et de leur offrir des sacrifices sanglants. Fuir les idoles, c'était se mettre à l'école des prophètes de l'Ancien Testament qui dénonçaient la tendance humaine à se forger de fausses représentations de Dieu. Comme le dit le Psaume 113 à propos des statues des idoles, elles ne sont qu' « or et argent, ouvrages de mains humaines. Elles ont une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas, des oreilles et n'entendent pas, des narines et ne sentent pas » (4-5). Hormis le peuple d'Israël, qui avait reçu la révélation du Dieu unique, le monde antique était asservi au culte des idoles. Très présentes à Corinthe, les erreurs du paganisme devaient être dénoncées, car elles constituaient une puissante aliénation et détournaient l'homme de sa véritable destinée. Elles l'empêchaient de reconnaître que le Christ est le seul et le vrai Sauveur, le seul qui indique à l'homme le chemin vers Dieu.
Cet appel à fuir les idoles reste pertinent aujourd'hui. Le monde contemporain ne s'est-il pas créé ses propres idoles ? N'a-t-il pas imité, peut-être à son insu, les païens de l'Antiquité, en détournant l'homme de sa fin véritable, du bonheur de vivre éternellement avec Dieu ? C'est là une question que tout homme, honnête avec lui-même, ne peut que se poser. Qu'est-ce qui est important dans ma vie ? Qu'est-ce que je mets à la première place ? Le mot « idole » vient du grec et signifie « image », « figure », « représentation », mais aussi « spectre », « fantôme », « vaine apparence ». L'idole est un leurre, car elle détourne son serviteur de la réalité pour le cantonner dans le royaume des apparences. Or n'est-ce pas une tentation propre à notre époque, la seule sur laquelle nous puissions agir efficacement ? Tentation d'idolâtrer un passé qui n'existe plus, en oubliant ses carences, tentation d'idolâtrer un avenir qui n'existe pas encore, en croyant que, par ses seules forces, l'homme réalisera le bonheur éternel sur la terre ! Saint Paul explique aux Colossiens que la cupidité insatiable est une idolâtrie (Cf. 3,5) et il rappelle à son disciple Timothée que l'amour de l'argent est la racine de tous les maux. Pour s'y être livrés, précise-t-il, « certains se sont égarés loin de la foi et se sont infligés à eux-mêmes des tourments sans nombre » (1 Tm 6, 10). L'argent, la soif de l'avoir, du pouvoir et même du savoir n'ont-ils pas détourné l'homme de sa Fin véritable, de sa propre Vérité ?
Chers frères et soeurs, la question que nous pose la liturgie de ce jour trouve sa réponse dans cette même liturgie, que nous avons héritée de nos Pères dans la foi, et notamment de saint Paul lui-même (Cf. 1 Co 11, 23). Dans son commentaire de ce texte, saint Jean Chrysostome fait remarquer que saint Paul condamne sévèrement l'idolâtrie, qui est une « faute grave », un « scandale », une véritable « peste » (Homélie 24 sur la première Lettre aux Corinthiens, 1). Immédiatement, il ajoute que cette condamnation radicale de l'idolâtrie n'est en aucun cas une condamnation de la personne de l'idolâtre. Jamais, dans nos jugements, nous ne devons confondre le péché qui est inacceptable, et le pécheur dont nous ne pouvons pas juger l'état de la conscience et qui, de toute façon, est toujours susceptible de conversion et de pardon. Saint Paul en appelle à la raison de ses lecteurs : « Je vous parle comme à des gens réfléchis : jugez vous-mêmes de ce que je dis » (1 Co 10, 15). Jamais Dieu ne demande à l'homme de faire le sacrifice de sa raison ! Jamais la raison n'entre en contradiction réelle avec la foi ! L'unique Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, a créé notre raison et nous donne la foi, en proposant à notre liberté de la recevoir comme un don précieux. C'est le culte des idoles qui détourne l'homme de cette perspective, et la raison elle-même peut se forger des idoles. Demandons donc à Dieu qui nous voit et nous entend, de nous aider à nous purifier de toutes nos idoles, pour accéder à la vérité de notre être, pour accéder à la vérité de son être infini !
Mais comment parvenir à Dieu ? Comment parvenir à trouver ou retrouver Celui que l'homme cherche au plus profond de lui-même, tout en l'oubliant si souvent ? Saint Paul nous demande de faire usage non seulement de notre raison, mais surtout de notre foi pour le découvrir. Or, que nous dit la foi ? Le pain que nous rompons est communion au Corps du Christ; la coupe d'action de grâce que nous bénissons est communion au Sang du Christ. Révélation extraordinaire, qui nous vient du Christ et qui nous est transmise par les Apôtres et par toute l'Église depuis deux millénaires : le Christ a institué le sacrement de l'Eucharistie au soir du Jeudi Saint. Il a voulu que son sacrifice soit de nouveau présenté, de manière non sanglante, chaque fois qu'un prêtre redit les paroles de la consécration sur le pain et le vin. Des millions de fois, depuis deux mille ans, dans la plus humble des chapelles comme dans la plus grandiose des basiliques ou des cathédrales, le Seigneur ressuscité s'est donné à son peuple, devenant ainsi, selon la formule de saint Augustin, « plus intime à nous-mêmes que nous mêmes» (cf. Confessions III, 6. 11).
Frères et soeurs, entourons de la plus grande vénération le
sacrement du Corps et du Sang du Seigneur, le Très Saint-Sacrement de la
présence réelle du Seigneur à son Église et à toute l'humanité. Ne négligeons
rien pour lui manifester notre respect et notre amour ! Donnons-lui les plus
grandes marques d'honneur ! Par nos paroles, nos silences et nos gestes,
n'acceptons jamais de laisser s'affadir en nous et autour de nous la foi dans
le Christ ressuscité présent dans l'Eucharistie ! Comme le dit magnifiquement
saint Jean Chrysostome lui-même : « Passons en revue les ineffables bienfaits
de Dieu et tous les biens dont il nous fait jouir, lorsque nous lui offrons
cette coupe, lorsque nous communions, lui rendant grâce d'avoir délivré le
genre humain de l'erreur, d'avoir rapproché de lui ceux qui en étaient
éloignés, d'avoir fait, des désespérés, et des athées de ce monde, un peuple de
frères, de cohéritiers du Fils de Dieu » (Homélie 24 sur
Élever la coupe du salut et invoquer le nom du Seigneur, n'est-ce pas précisément le meilleur moyen de « fuir les idoles », comme nous le demande saint Paul ? Chaque fois qu'une Messe est célébrée, chaque fois que le Christ se rend sacramentellement présent dans son Église, c'est l'oeuvre de notre salut qui s'accomplit. Célébrer l'Eucharistie signifie reconnaître que Dieu seul est en mesure de nous offrir le bonheur en plénitude, de nous enseigner les vraies valeurs, les valeurs éternelles qui ne connaîtront jamais de couchant. Dieu est présent sur l'autel, mais il est aussi présent sur l'autel de notre coeur lorsque, en communiant, nous le recevons dans le Sacrement eucharistique. Lui seul nous apprend à fuir les idoles, mirages de la pensée.
Or, chers frères et soeurs, qui peut élever la coupe du
salut et invoquer le nom du Seigneur au nom du peuple de Dieu tout entier,
sinon le prêtre ordonné dans ce but par l'Évêque ? Ici, chers fidèles de Paris
et de la région parisienne, mais aussi vous tous qui êtes venus de
Enfin, si nous reprenons les Paroles que le Christ nous a laissées dans son Évangile, nous verrons qu'Il nous a lui-même appris à fuir l'idolâtrie, en nous invitant à bâtir notre maison « sur le roc » (Lc 6, 48). Qui est ce roc, sinon Lui-même ? Nos pensées, nos paroles et nos actions n'acquièrent leur véritable dimension que si nous les référons au message de l'Évangile. « Ce que dit la bouche, c'est ce qui déborde du coeur » (Lc 6, 45). Lorsque nous parlons, cherchons-nous le bien de notre interlocuteur ? Lorsque nous pensons, cherchons-nous à mettre notre pensée en accord avec la pensée de Dieu ?
Lorsque nous agissons, cherchons-nous à répandre l'Amour qui
nous fait vivre? Saint Jean Chrysostome dit encore : «maintenant, si nous
participons tous au même pain, et si tous nous devenons cette même substance,
pourquoi ne montrons-nous pas la même charité ? Pourquoi, pour la même raison,
ne devenons-nous pas un même tout unique ? ... ô homme, c'est le Christ qui est
venu te chercher, toi qui étais si loin de lui, pour s'unir à toi ; et toi, tu
ne veux pas t'unir à ton frère ? » (Homélie 24 sur
L'espérance demeurera toujours la plus forte ! L'Église,
bâtie sur le roc du Christ, possède les promesses de la vie éternelle, non
parce que ses membres seraient plus saints que tous les autres hommes, mais
parce que le Christ a fait cette promesse à Pierre : « Tu es Pierre, et sur
cette pierre, je bâtirai mon Église, et la puissance de la mort ne l'emportera
pas sur elle. » (Mt 16, 18). Dans cette espérance indéfectible de la présence
éternelle de Dieu à chacune de nos âmes, dans cette joie de savoir que le
Christ est avec nous jusqu'à la fin des temps, dans cette force que l'Esprit
donne à tous ceux et à toutes celles qui acceptent de se laisser saisir par
lui, je vous confie, chers chrétiens de Paris et de France, à l'action
puissante et miséricordieuse du Dieu d'amour qui est mort pour nous sur
Que Dieu notre Père vous conduise à Lui et fasse briller sur
vous la splendeur de sa gloire ! Que le Fils unique de Dieu, notre Maître et
notre Frère, vous révèle la beauté de son visage de Ressuscité ! Que l'Esprit
Saint vous comble de ses dons et vous donne la joie de connaître la paix et la
lumière de
Amen !
7- Discours du pape à l’Institut de
France
Nous publions ci-dessous le texte du discours que le pape Benoît XVI a adressé vendredi après-midi à l'Institut de France.
Monsieur le Chancelier,
Madame et Messieurs les Secrétaires Perpétuels des Cinq Académies,
Messieurs les Cardinaux,
Chers frères dans l'Épiscopat et le Sacerdoce,
Chers Amis Académiciens, Mesdames et Messieurs !
C'est pour moi un très grand honneur d'être reçu ce matin
sous
Rabelais affirmait fort justement en son temps : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme ! » (Pantagruel, 8). C'est pour contribuer à éviter le risque d'une semblable dichotomie que, au mois de janvier, et pour la première fois en trois siècles et demi, deux Académies de l'Institut, deux Académies Pontificales et l'Institut Catholique de Paris ont organisé un Colloque inter-académique sur l'identité changeante de l'individu qui a illustré l'intérêt de larges recherches pluridisciplinaires. Cette initiative pourrait se poursuivre afin d'explorer en commun les innombrables sentiers des sciences humaines et expérimentales. Ce voeu s'accompagne de la prière que je fais monter vers le Seigneur pour vous, pour les personnes qui vous sont chères et pour tous les membres des Académies, ainsi que pour tout le personnel de l'Institut de France. Que Dieu vous bénisse !
NB. Le pape eut l’occasion, dans l’avion qui l’amenait à
Paris, de préciser les raisons de son amour pour
Q - Vous aimez et
connaissez
Il répondit : « Je
n'oserais pas dire que je connais bien
J'ai eu des relations personnelles très bonnes avec Etienne
Gilson, Henri-Irénée Maroux. Donc, j'ai eu réellement un contact très profond,
très personnel et enrichissant avec la grande culture théologique et
philosophique de