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Un regard sur le monde

politique et religieux

 

au 20 mars   2009

 

N° 208

 

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

Mgr Lefebvre

et

La Nouvelle messe

 

La FSSPX, de sa propre volonté et avec le consentement de Benoît XVI, va donc entamer, très prochainement des conversations  doctrinales, avec les autorités romaines sur le Concile Vatican II et plus particulièrement sur le problème de la liberté religieuse d’après Vatican II, sur l’œcuménisme, le dialogue interreligieux et sur la réforme liturgique, principalement sur la réforme de la Sainte Messe. Le but de ces « colloques nécessaires » comme le dit le Cardinal Re dans son décret de la levée des excommunications sera d’ «  approfondir toutes questions qui restent en suspens » afin « de pouvoir parvenir rapidement à une pleine et satisfaisante solution au problème qui s'est posé à l'origine ».

 

Pour aborder convenablement ces colloques, les autorités de la FSSPX devront travailler activement – elles le font déjà sans doute -  et se pencher certainement sur la pensée de Mgr Lefebvre.

 

C’est ce que j’ai fait, personnellement,  cette semaine en reprenant la lecture d’un numéro d’Itinéraires, le numéro 233, de mai 1979 intitulé : « Mgr Lefevbvre et le saint Office ».

 

1978-1979. C’était l’époque où le dossier «  Lefebvre » était confié, par le pape Paul VI, puis par le pape Jean Paul II, au cardinal Seper. .Le cardinal avait envoyé à Mgr Lefebvre, dans une lettre du 28 janvier 1978, un volumineux questionnaire où Mgr Lefebvre devait  répondre de certains de ses écrits et discours ainsi que de ses actes. Il devait le faire  d’abord par écrit, puis au cours de colloques. Il lui disait : « Sa sainteté le Pape Paul VI a chargé la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la foi d’examiner votre situation dans l’Eglise au point de vue des propositions doctrinales que vous avez prises dans vos déclarations et vos écrits et qui s’expriment aussi dans vos entreprises » Y était jointe en annexe l’exposé des  points litigieux : « L’annexe, y était-il dit, comprendra deux parties qui auront chacune, leurs subdivisions. La première partie traitera d’assertions particulières sur : 1) la liberté religieuse d’après Vatican II ; 2) l’Ordo Missae promulgué par le Pape Paul VI ; 3) le rite de la Confirmation également promulgué par lui. La deuxième partie aura pour objet des assertions plus générales : « 1) sur l’autorité du Concile Vatican II ; 2) sur l’autorité du Pape Paul VI ».

 

Mgr Lefebvre devait répondre à tout cela rapidement, dans le mois.

 

Enfin notons que la finalité de tout cela était parfaitement exprimée par le cardinal Seper : « Ces réponses seront étudiées avec un intérêt bienveillant ; car la Congrégation pour la Doctrine de la foi désire ardemment qu’avec l’aide du Seigneur vous puissiez trouver le chemin d’une vraie réconciliation avec le Vicaire de Notre Seigneur Jésus-Christ et son Eglise ».

 

1978. 2009. Nous voilà dans la même situation matériellement parlant.

 

La FSSPX est de nouveau, comme Mgr Lefebvre, face à la Congrégation de la Doctrine de la Foi  pour des entretiens doctrinaux dont l’objet est le même : éclaircissement à donner sur des points doctrinaux.. La finalité est la même :  afin de régulariser une situation canonique.

 

Mgr Lefebvre comprenait, bien sûr, en 1978, la valeur historique de tout cela. Il présentait son dossier dans Itinéraires par ces mots : « Je ne puis m’empêcher de penser en toute sincérité que ces colloques ont une valeur historique parce qu’ils sont l’écho d’une opposition profonde et qui remonte à tout le moins au Concile de Trente, entre la doctrine catholique et le libéralisme protestant, entre la foi catholique et le naturalisme rationaliste maçonnique, dont l’histoire des quatre derniers siècles est une illustration dramatique ».

L’importance historique aujourd’hui est la même. Elle n’a pas changé.  

 

Mais Rome est-elle dans la même situation ? Beaucoup ont démontré que la situation à Rome a changé, du moins quant à l’autorité suprême, le pape Benoît XVI !

 

 

Dans ce numéro de Regard sur le monde je donnerai la réponse que fit Mgr Lefebvre sur la question particulière de l’Ordo Missae. Je réserverai pour les numéros prochains le problème de la liberté religieuse. Le développement en est plus long.

 

A- L’ordo Missae publié par le pape Paul VI

 

Cette question est, dans la lettre du cardinal Seper, le deuxième point particulier.

 

Voici les critiques que le cardinal Seper adresse à la pensée de Mgr Lefebvre sur ce point particulier de la Nouvelle Messe.  :

 

« Votre critique de l’Ordo Missae promulgué par Paul VI va loin au-delà d’une préférence liturgique, elle a un caractère essentiellement doctrinal. Vous dites avec raison qu’il y a trois réalités essentielles au sacrifice de la Messe : « le Prêtre…la présence réelle et substantielle de la Victime qui est le Christ…l’oblation sacrificielle réalisée par le prêtre dans la consécration » (Un évêque parle p. 142) Malheureusement vous ajoutez que « toute la Réforme (liturgique) directement ou indirectement porte atteinte à ces  trois vérités essentielles à la foi catholique » que «  tout ce qui a été prescrit se ressent clairement (d’une) nouvelle conception plus proche de la conception protestante que de la conception catholique » (loc. cit.) Et vous déclarez : « Il n’y a plus rien dans cette nouvelle conception de la Messe…c’est pourquoi je ne vois pas comment on peut faire un séminaire avec cette nouvelle messe ».(Op.cit. p. 163) Vous vous gardez cependant de dire que la nouvelle messe est hérétique : « Jamais, assurez-vous, vous ne direz cela (op. cit. p228). Mais « les changements du nouveau rite » sont propres à faire que les «  jeunes prêtres perdent l’intention de faire ce que fait l’Eglise et ne disent plus de messes valides » (op.cit. p. 285-286). Malheureusement il vous arrive de parler d’une manière beaucoup moins modérée : « Comment peut-on hésiter, dites- vous, entre une messe qui est véritable Sacrifice et une messe qui est en définitive un culte protestant, un repas, une eucharistie, une cène comme le disait déjà Luther ? ». On peut voir dans cette dernière expression un excès de langage (condamnable certes), mais le reste est déjà suffisamment grave.

Un fidèles ne peut en effet mettre en doute la conformité avec la doctrine de la foi d’un rite sacramentel promulgué par le Pasteur suprême, surtout s’il s’agit du rite de la Messe qui est au cœur de la vie de l’Eglise.

Certes, il faut maintenir le lien entre le prêtre et l’accomplissement du sacrifice de la messe dans la consécration (et la transsubstantiation). L’Ordo Missae de Paul VI le fait, en réservant au prêtre seul les paroles de la consécration et l’ensemble du canon, tout comme dans le rite antérieur.

La nouvelle liturgie eucharistique ne porte pas atteinte à la foi en la présence réelle et substantielle du Christ sous les apparences du pain et du vin. Si le nombre de génuflexions est restreint, celles-ci sont maintenues pourtant comme signe d’adoration aux moments culminants de la messe : la consécration et la communion. La foi traditionnelle en la présence réelle demeure parfaitement signifiée par l’élévation et la prière finale du canon ; elle est mise en relief dans la distribution de la communion, et affirmée clairement dans  beaucoup d’oraisons après la communion..

Enfin le caractère sacrificiel et propitiatoire de la messe, absolument réaffirmée conformément au Concile de Trente dans le Praemium n°2 de l’Institution Generalis du nouveau Missel romain est signifié clairement et expressément non seulement dans beaucoup de prières après l’offrande des oblats mais également dans les Canons.

 

Du reste vous-même admettez bien la validité du nouvel Ordo Missae, suspectant seulement la valeur de l’intention chez beaucoup de ceux qui l’appliquent. Pourtant vos déclarations à son sujet et votre opposition à son usage répandent parmi les fidèles la défiance, le désarroi, voire la rébellion.

Vous avez souvent voulu justifier votre opposition par la nécessité de combattre les abus et le désordre qui accompagnent en bon nombre de pays la mise en œuvre de la réforme liturgique. Ce n’est cependant pas en jetant la suspicion sur l’orthodoxie d’un Ordo Missae promulgué par l’Autorité suprême de l’Eglise que vous parviendrez à un résultat positif ».

 

B- Voilà la réponse de Mgr Lefebvre.

 

« La nouvelle conception du monde et des relations de l’Eglise avec ce monde devait nécessairement atteindre les moyens par lesquels l’Eglise exprime sa foi et la vit : la liturgie, école de la foi, sera donc elle aussi transformée sous l’effet de cet esprit œcuménique libérale qui voit dans le protestants des frères séparés et non plus des hérétiques imbus de principes radicalement contraires à la doctrine de l’Eglise.

 

On ne cherche plus à convertir mais à unir, d’où l’effort de synthèse de la liturgie catholique et du culte protestant.

 

La présence de  six pasteurs protestants à la commission de la Réforme liturgique est éloquente.

Le Pape lui-même (allocution du 13 janvier 1965) parlera de «  rénovation liturgique » comme « d’une nouvelle pédagogie religieuse » qui va prendre « la place de moteur central dans le grand mouvement inscrit dans les principes constitutionnels de l’Eglise », principes rénovés du Concile.

 

Mgr Dwyer, membre du Concilium liturgique, archevêque de Birmingham, reconnaît l’importance de cette Réforme (Conférence de presse, 23.10.67 :

 

C’est la liturgie qui forme le caractère, la mentalité des hommes affrontés aux problèmes.  La Réforme liturgique est dans un sens très profond la clé de l’aggiornamento, ne vous y trompez pas, c’est là que commence la Révolution »

 

On insistera sur l’esprit communautaire, la participation active des fidèles, on ne peut s’empêcher de penser à l’esprit qui anima Luther et ses premiers disciples (voir le livre de Cristiani « Du Luthérianisme au Protestantisme) (voir « les institutions Liturgiques » de Dom Guéranger, extraits édités par la Diffusion de la Pensée Française, spécialement les chapitres 14 et 23).  Dom Guéranger en révélant tous les efforts des hérétiques contre la liturgie romaine jette une lumière singulière sur la Réforme liturgique du Concile et poste-Conciliaire.

 

De plus si l’on étudie tous les détails de la nouvelle Réforme de la messe en particulier, on est stupéfait d’y retrouver les Réformes  que Luther, les Jansénistes et le Concile de Pistoie préconisaient.

 

Comment concilier cette Réforme de la Mess avec les canons du Concile de Trente et les condamnations de la Bulle « Auctorem fidei » de Pie V ?

Nous ne jugeons pas des intentions ; mais les faits ( et les conséquences de ces faits, semblables d’ailleurs à celles qui se sont produites dans les siècles passés, là où ces Réformes on été introduites) nous obligent à reconnaître avec les Cardinaux Ottaviani et Bacci (Bref Examen critique remis au Saint Père le 3 septembre 1969) « que le Nouvel Ordo s’éloigne d’une manière impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détails, de la théologie catholique de la sainte Messe, définie à jamais par el Concile de Trente ».

 

D’ailleurs la « messe normative » présentée par le Père Bunigni en 1967 au Synode des Evêques à Rome a été très contestée par les évêques. A la conférence qu’il fit aux Supérieurs généraux en octobre 1967, à laquelle j’assistais, nous avons été stupéfaits de la manière dont le passé liturgique de l’Eglise était traité. J’étais personnellement indigné des réponses faites aux objecteurs. Les cardinaux Cicognani et Gut m’ont fait  part de leur immense douleur devant cette incompréhensible réforme. Un autre cardinal encore de ce monde me disait que l’article 7 de l’Institution, première rédaction, était hérétique..

Les explications, au dire de Mgr Bunigni lui-même, n’ont rien changé à la doctrine exprimée auparavant. En tout cas, la Messe nouvelle n’a pas été modifiée, elle est demeurée une synthèse catholico protestante. Les protestants eux-mêmes l’ont reconnu publiquement.

 

Si la Congrégation de la foi me le demande, je puis faire une étude approfondie et très précise avec références sur les similitudes de la Nouvelle Messe avec le culte protestant et la similitude des expressions employées désormais pour les réalités divines de la Messe avec les expressions protestantes.

 

En conclusion, il est certain, au dire même de ceux qui célèbrent selon le Nouvel Ordo Missae, que la nouvelle Messe représente une dévalorisation très sensible du Mystère sacré aussi bien dans l’expression de la foi catholique dans les réalités divines de ce mystère : expression des paroles, des gestes, des actes, de tout ce qui donne un caractère de sublimité à cette réalité qui est le cœur de l’Eglise.

 

Bien plus, de nombreuses suppressions et attitudes nouvelles finissent par engendrer le doute dans l’esprit de fidèles et les amènent à adopter une mentalité protestante, sans s’en rendre compte.

L’œcuménisme libéral produit ses effets peu à peu et diminue la foi des fidèles. Beaucoup abandonnent l’Eglise, surtout les jeunes.

 

Comment le Saint Siège a-t-il pu engager une telle Réforme sans se soucier des actes du magistère, et en reprenant à son compte les errements des protestants, des jansénistes, du Concile de Pistoie ?

 

C’est le motif de notre attachement à la Messe Romaine de toujours, qui ne peut être abolie et ne peut être l’objet de censures selon le jugement infaillible de saint Pie V ; nous voulons garder la foi catholique par la messe catholique, non par une messe œcuménique quand bien même valide et non hérétique, mais « favens  haeresim ».

C’est ce qui me fait dire que je ne vois pas comment on peut former des clercs avec la nouvelle Messe ; le prêtre et le sacrifice ont une relation quasi transcendantale ; rendre le sacrifie douteux c’est rendre le sacerdoce douteux.

 

C- La position de Julien Green.

 

Mgr Lefebvre ajoutait un confirmatur : le témoignage de Julien Green de l’Académie Française, en joignant à sa réponse un  extrait de son livre : « Ce qu’il faut d’amour à l’homme ». On sait que Julien Green s’est converti de l’Anglicanisme en 1916

 

« La première fois que j’entendis la messe en français, j’eus peine à croire qu’il s’agissait d’une messe catholique et ne m’y retrouvai plus. Seule me rassura la consécration, bien qu’elle fut mot pour mot pareille à la consécration anglicane. (p135)

 

« Un jour que j’étais à la campagne avec ma sœur Anne nous assistâmes à une messe télévisée….Ce que je reconnus, comme Anne de son côté, était une imitation assez grossière du service anglican qui nous était familier dans notre enfance. Le vieux protestant qui sommeille en moi dans sa foi catholique se réveilla tout à coup devant l’évidence et absurde imposture que nous offrait l’écran, et cette étrange cérémonie, ayant pris fin, je demandai simplement à ma sœur : « pourquoi nous sommes nous convertis ? » (p 138)

 

« Je compris d’un coup avec quelle habileté on menait l’Eglise d’une façon de croire à une autre. Ce n’était pas une manipulation de la foi, mais quelque chose de plus subtil. A ceux qui m’eussent objecté que le sacrifice était mentionné au moins trois fois dans la nouvelle messe, je pourrais répondre qu’entre mentionné une  vérité et la mettre en lumière la différence ne laissait pas d’être forte. Que la messe fut le mémorial de la  Cène, nous le savions bien, Que l’Eucharistie fût aussi la mise en Croix du Seigneur, sans quoi point de salut, on ne nous le disait plus. Or cette réalité du sacrifice propitiatoire de la messe est en train de s’effacer discrètement de la conscience des catholiques, laïcs ou prêtres.

Les vieux prêtres qui l’ont, si je peux dire, dans le sang, ne sont pas près de l’oublier et disent par conséquent des messes conformes aux intentions de l’Eglise, mais que dire des jeunes prêtres ? Que croient-ils ? Que croient-ils encore et qui osera dire ce que vaut leur messe ? «  (p. 143)

 

« Les encycliques des papes ne changeront rien au fait que le monde rationaliste moderne refuse le miracle. On ne peut faire admettre la messe que si l’on en supprime l’élément miraculeux. Retaillée aux dimensions protestantes, elle aura quelques chances de survivre dans la chrétienté d’aujourd’hui, mais ce ne sera plus la messe. » (p. 144)

 

« Dans  une Eglise en désordre s’élevèrent des remous quand Mgr Lefebvre prit position contre la messe de Paul VI et le Concile. L’histoire de son interminable controverse avec le Vatican est trop connue pour que je la raconte ici. Des millions de catholiques se sentirent touchés et je fus de ceux-là. La question que je posai à des prêtres conciliaires était simple : « Que reproche-t-on à l’ancienne messe ? Réponse : « Elle est surannée. » Par ailleurs, on nous disait que la nouvelle messe s’inspirait des sources plus anciennes et se rapprochait d’autant plus des premières messes que l’Eglise avait dites. Il fallait des spécialistes pour voir clair dans ces problèmes obscurs. De véhémentes discussions eurent lieu au sujet de l’effacement du sacrifice de la Croix. Cette croix dans la nouvelle messe n’était plus qu’un fantôme. Nous étions au Cénacle, le soir du Jeudi saint, alors que nous étions à la fois à la Cène et au Calvaire dans la messe abandonnée de saint Pie V. L’écart était énorme et permettait à l’Eglise Anglicane d’entrevoir une union possible et ardemment désirée dès avant la guerre de 14. La réponse de la nouvelle Eglise fut vive. Le sacrifice était nommé trois fois au moins dans la nouvelle messe. Nommé, oui, mais c’était tout, alors que l’Eucharistie était très abondamment expliquée aux fidèles. De toute évidence nous étions en présence de ce que les théologiens appellent un obscurcissement d’une partie capitale de la messe. Protester fit considéré comme un acte de rébellion. Les évêques français laissèrent dire que la messe de saint Pie V était désormais interdite, ce qui était une contre vérité formelle. Et la déchirure se fit. Pour ma part j’en fuis très affecté, car j’avais à l’âge de seize ans juré fidélité à la messe du Concile de Trente et aujourd’hui il m’était enjoint de n’y plus assister. Quelle que soit l’opinion que l’on ait de certaines prises de positions de Mge Lefebvre, nous devons à ce prélat français d’avoir courageusement réveillé la conscience de toute une partie du monde catholique en l’obligeant à s’interroger sur sa foi. Croyons-nous ou ne croyons-nous pas à la réalité du sacrifice de la messe ? Dans quelle mesure sommes-nous catholiques romains ou inclinons-nous vers une foi prête à faire des concessions au protestantisme ? Je reconnais l’autorité du Pape et l’idée de quitter l’Eglise me ferait proprement horreur, mais je reste fidèle à ma profession de foi de 1916 et n’en bougerai pas d’une ligne. Dire que préférer la messe de saint Pie V est un acte de rébellion ne peut se défendre » (p 150-151).

 

D- Conclusion

 

Voilà la réponse qu’adressa Mgr Lefebvre au Cardinal Seper

La réponse est claire, nette. De cette messe nouvelle, il n’en veut pas. Il ne la célébrera pas, ni ne la prendra dans ses séminaires, non point qu’il n’en reconnaisse pas la validité, mais parce qu’elle n’exprime pas clairement les trois grandes vérités de la doctrine de la foi sur la messe, Il la refuse en raison de son aspect équivoque.

 

Ce refus de la messe tridentine fut considéré par la hiérarchie romaine comme une rébellion, qu’il fallait condamner. Sa fidélité à la messe tridentine fut, en effet, la raison de toutes les sanctions. Mgr Lefebvre, à juste titre, les considéra toujours comme nulles  de plein droit.

 

Le pape Benoît XVI a finalement reconnu, honneur à lui, dans le Motu Proprio du 7 juillet 2007 que la messe tridentine ne fut jamais interdite dans l’Eglise, faisant ainsi droit à la justice et à la vérité. Il accepta suite à Jean-Paul II qu’un prêtre, une institution sacerdotale puissent être « mono ritualiste ». C’est le cas de l’Administration Apostolique saint Jean Marie Vianney, sous Jean-Paul II. C’est le cas de l’Institut de Bon Pasteur, avec Benoît XVI. Ce sera vraisemblance aussi le cas pour  la nouvelle forme canonique qui sera donné à la FSSPX. Mais Rome recevra-t-elle les critiques doctrinales de la nouvelle messe, elle qui en fait encore le rite « ordinaire » de son culte? Sera-ce l’occasion d’aller de l’avant « dans la réforme de la réforme » que souhaite Benoît XVI ? La FSSPX saura-t-elle distinguer, dans cette affaire liturgique, l’aspect pratique de l’aspect doctrinal. ?  Si elle ne veut voir que l’aspect doctrinal, les conversations ne risquent-elles de s’éterniser et même d’échouer. Ce qui serait très grave pour la suite.…

 

Affaire à suivre.

 

Dans la réponse de Mgr Lefebvre, on  a vu l’importance qu’il attribuait à la Pensée liturgique de Dom Guéranger et tout particulièrement à son ouvrages « les Institutions liturgiques ». C’est dans cet oiuvrage que l’on trouve la pensée de Dom Gueranger sur l’hérésie anti liturgique. Il est bon de la connaître. Ce texte est certainement au cœur de la pensée de Mgr Lefebvre..

 

E-  L’hérésie antiliturgique.

Ce texte se trouve dans le  Tome I, Chap. IV des INSTITUTIONS LITURGIQUES. De l'hérésie antiliturgiste, et de la réforme protestante du XVIe siècle considérée dans ses rapports avec la liturgie : pp. 396 à 407 de la deuxième édition, parue en 1878 (1ère édition du T.I : 1840).

…Pour donner une idée des ravages de la secte antiliturgiste, il nous a semblé nécessaire de résumer la marche des prétendus réformateurs du christianisme depuis trois siècles, et de présenter l'ensemble de leurs actes et de leur doctrine sur l'épuration du culte divin. Il n'est pas de spectacle plus instructif et plus propre à faire comprendre les causes de la propagation rapide du protestantisme. On y verra l'œuvre d'une sagesse diabolique agissant à coup sûr, et devant infailliblement amener de vastes résultats.

1° Le premier caractère de l'hérésie antiliturgiste est la haine de la Tradition dans les formules du culte divin. On ne saurait contester ce caractère spécial dans tous les hérétiques, depuis Vigilance jusqu'à Calvin, et la raison en est facile à expliquer. Tout sectaire, voulant introduire une doctrine nouvelle, se trouve infailliblement en présence de la Liturgie, qui est la tradition à sa plus haute puissance, et il ne saurait avoir de repos qu'il n'ait fait taire cette voix, qu'il n'ait déchiré ces pages qui recèlent la foi des siècles passés. En effet, comment le luthéranisme, le calvinisme, l'anglicanisme se sont-ils établis et maintenus dans les masses ? Il n'a fallu pour cela que la substitution de livres nouveaux et de formules nouvelles, aux livres et aux formules anciennes, et tout a été consommé. Rien ne gênait plus les nouveaux docteurs; ils pouvaient prêcher tout à leur aise : la foi des peuples était désormais sans défense. Luther comprit cette doctrine avec une sagacité digne de nos jansénistes, lorsque, dans la première période de ses innovations, à l'époque où il se voyait obligé de garder encore une partie des formes extérieures du culte latin, il établit le règlement suivant pour la messe réformée :

" Nous approuvons et nous conservons les introït des dimanches et des fêtes de Jésus-Christ, savoir de Pâques, de la Pentecôte et de Noël. Nous préférerions volontiers les psaumes entiers d'où ces introït sont tirés, comme on faisait autrefois ; mais nous voulons bien nous conformer à l'usage présent. Nous ne blâmons pas même ceux qui voudront retenir les introït des Apôtres, de la Vierge et des autres Saints, LORSQUE CES TROIS INTROIT SONT TIRÉS DES PSAUMES ET D'AUTRES ENDROITS DE L'ÉCRITURE " Il avait trop en horreur les cantiques sacrés composés par l'Eglise elle-même pour l'expression publique de la foi. Il sentait trop en eux la vigueur de la Tradition qu'il voulait bannir. En reconnaissant à l'Eglise le droit de mêler sa voix dans les assemblées saintes aux oracles des Ecritures, il s'exposait par-là même à entendre des millions de bouches anathématiser ses nouveaux dogmes. Donc, haine à tout ce qui, dans la Liturgie, n'est pas exclusivement extrait des Ecritures saintes.

2° C'est en effet, le second principe de la secte antiliturgiste, de remplacer les formules de style ecclésiastique par des lectures de l'Ecriture sainte. Elle y trouve deux avantages : d'abord, celui de faire taire la voix de la Tradition qu'elle craint toujours ; ensuite, un moyen de propager et d'appuyer ses dogmes, par voie de négation ou d'affirmation. Par voie de négation, en passant sous silence, au moyen d'un choix adroit, les textes qui expriment la doctrine opposée aux erreurs qu'on veut faire prévaloir ; par voie d'affirmation, en mettant en lumière des passages tronqués qui, ne montrant qu'un des côtés de la vérité, cachent l’autre aux yeux du vulgaire. On sait depuis bien des siècles que la préférence donnée, par tous les hérétiques, aux Ecritures saintes sur les définitions ecclésiastiques, n'a pas d'autre raison que la facilité qu'ils ont de faire dire à la parole de Dieu tout ce qu'ils veulent, en la laissant paraître ou l'arrêtant à propos. Nous verrons ailleurs ce qu'ont fait en ce genre les jansénistes, obligés, d'après leur système, à garder le lien extérieur avec l'Eglise ; quant aux protestants, ils ont presque réduit la Liturgie tout entière à la lecture de l'Ecriture, accompagnée de discours dans lesquels on l'interprète par la raison. Quant au choix et à la détermination des livres canoniques, ils ont fini par tomber au caprice du réformateur, qui, en dernier ressort, décide non plus seulement du sens de la parole de Dieu, mais du fait de cette parole. Ainsi Martin Luther trouve que, dans son système de panthéisme, l'inutilité des œuvres et la suffisance de la foi sont dogmes à établir et dès lors il déclarera que l'Epître de saint Jacques est une épître de paille, et non une épître canonique, par cela seul qu'on y enseigne la nécessité des œuvres pour le salut. Dans tous les temps, et sous toutes les formes, il en sera de même ; point de formules ecclésiastiques ; l'Ecriture seule, mais interprétée, mais choisie, mais présentée par celui ou ceux qui trouvent leur profit à l'innovation. Le piège est dangereux pour les simples, et ce n'est que longtemps après que l'on s'aperçoit qu'on a été trompé, et que la parole de Dieu, ce glaive à deux tranchants, comme parle l'Apôtre, a fait de grandes blessures, parce qu'elle était maniée par des fils de perdition.

3° Le troisième principe des hérétiques sur la réforme de la Liturgie est, après avoir expulsé les formules ecclésiastiques et proclamé la nécessité absolue de n'employer que les paroles de l'Ecriture dans le service divin, voyant ensuite que l'Ecriture ne se plie pas toujours, comme ils le voudraient, à toutes leurs volontés, leur troisième principe, disons-nous, est de fabriquer et d'introduire des formules diverses, pleines de perfidie, par lesquelles les peuples sont plus solidement encore enchaînés à l'erreur, et tout l'édifice de la réforme impie sera consolidé pour des siècles.

4° On ne doit pas s'étonner de la contradiction que l'hérésie présente ainsi dans ses œuvres, quand on saura que le quatrième principe, ou, si l'on veut, la quatrième nécessité imposée aux sectaires par la nature même de leur état de révolte, est une habituelle contradiction avec leurs propres principes. Il en doit être ainsi pour leur confusion dans ce grand jour, qui vient tôt ou tard, où Dieu révèle leur nudité à la vue des peuples qu'ils ont séduits, et aussi parce qu'il ne tient pas à l'homme d'être conséquent; la vérité seule peut l'être. Ainsi, tous les sectaires, sans exception, commencent par revendiquer les droits de l'antiquité; ils veulent dégager le christianisme de tout ce que l'erreur et les passions des hommes y ont mêlé de faux et d'indigne de Dieu ; ils ne veulent rien que de primitif, et prétendent reprendre au berceau l'institution chrétienne. A cet effet, ils élaguent, ils effacent, ils retranchent; tout tombe sous leurs coups, et lorsqu'on s'attend à voir reparaître dans sa première pureté le culte divin, il se trouve qu'on est encombré de formules nouvelles qui ne datent que de la veille, qui sont incontestablement humaines, puisque celui qui les a rédigées vit encore. Toute secte subit cette nécessité ; nous l'avons vu chez les monophysites, chez les nestoriens; nous retrouvons la même chose dans toutes les branches des protestants. Leur affectation à prêcher l'antiquité n'a abouti qu'à les mettre en mesure de battre en brèche tout le passé, et puis ils se sont posés en face des peuples séduits, et leur ont juré que tout était bien, que les superfétations papistes avaient disparu, que le culte divin était remonté à sa sainteté primitive. Remarquons encore une chose caractéristique dans le changement de la Liturgie par les hérétiques. C'est que, dans leur rage d'innover, ils ne se contentent pas d'élaguer les formules de style ecclésiastique qu'ils flétrissent du nom de parole humaine, mais ils étendent leur réprobation aux lectures et aux prières mêmes que l'Eglise a empruntées à l'Ecriture ; ils changent, ils substituent, ne voulant pas prier avec l’Eglise, s'excommuniant ainsi eux-mêmes, et aussi craignant jusqu'à la moindre parcelle de l'orthodoxie qui a présidé au choix de ces passages.

5° La réforme de la Liturgie étant entreprise par les sectaires dans le même but que la réforme du dogme dont elle est la conséquence, il s'ensuit que, de même que les protestants se sont séparés de l'unité afin de croire moins, ils se sont trouvés amenés à retrancher dans le culte toutes les cérémonies, toutes les formules qui expriment des mystères. Ils ont taxé de superstition, d'idolâtrie, tout ce qui ne leur semblait pas purement rationnel, restreignant ainsi les, expressions de la foi, obstruant par le doute et même la négation toutes les voies qui ouvrent sur le monde surnaturel. Ainsi, plus de sacrements, hors le baptême, en attendant le socinianisme qui en affranchira ses adeptes; plus de sacramentaux, de bénédictions, d'images, de reliques des saints, de processions, de pèlerinages, etc. Il n'y a plus d'autel, mais simplement une table; plus de sacrifice, comme dans toute religion, mais simplement une cène ; plus d'église, mais seulement un temple, comme chez les Grecs et les Romains; plus d'architecture religieuse, puisqu'il n'y a plus de mystères ; plus de peinture et de sculpture chrétiennes, puisqu'il n'y a plus de religion sensible; enfin, plus de poésie dans, un culte qui n'est fécondé ni par l'amour ni par la foi.

6° La suppression des choses mystérieuses dans la Liturgie protestante devait produire infailliblement l'extinction totale de cet esprit de prière qu'on appelle onction dans le catholicisme. Un cœur révolté n'a point d'amour, et un cœur sans amour pourra tout au plus produire des expressions passables de respect ou de crainte, avec la froideur superbe du pharisien ; telle est la Liturgie protestante. On sent que celui qui la récite s'applaudit de n'être pas du nombre de ces chrétiens papistes qui rabaissent Dieu jusqu'à eux par la familiarité de leur langage vulgaire.

7° Traitant noblement avec Dieu, la Liturgie protestante n'a point besoin d'intermédiaires créés. Elle croirait manquer au respect dû à l'Etre souverain en invoquant l'intercession de la Sainte Vierge, la protection des saints. Elle exclut toute cette idolâtrie papiste qui demande à la créature ce qu'on ne doit demander qu'à Dieu seul ; elle débarrasse le calendrier de tous ces noms d'hommes que l'Eglise romaine inscrit si témérairement à côté du nom de Dieu ; elle a surtout en horreur ceux des moines et autres personnages des derniers temps qu'on y voit figurer à côté des noms révérés des apôtres que Jésus-Christ a choisis, et par lesquels fut fondée cette Eglise primitive qui seule fut pure dans la foi et franche de toute superstition dans le culte et de tout relâchement dans la morale.

8° La réforme liturgique ayant pour une de ses fins principales l'abolition des actes et des formules mystiques, il s'ensuit nécessairement que ses auteurs devaient revendiquer l'usage de la langue vulgaire dans le service divin. Aussi est-ce là un des points les plus importants aux yeux des sectaires. Le culte n'est pas une chose secrète, disent-ils ; il faut que le peuple entende ce qu'il chante. La haine de la langue latine est innée au cœur de tous les ennemis de Rome ; ils voient en elle le lien des catholiques dans l'univers, l'arsenal de l'orthodoxie contre toutes les subtilités de l'esprit de secte, l'arme la plus puissante de la papauté. L'esprit de révolte qui les pousse à confier à l'idiome de chaque peuple, de chaque province, de chaque siècle, la prière universelle, a, du reste, produit ses fruits, et les réformés sont à même tous les jours de s'apercevoir que les peuples catholiques, en dépit de leurs prières latines, goûtent mieux et accomplissent avec plus de zèle les devoirs du culte que les peuples protestants. A chaque heure du jour, le service divin a lieu dans les églises catholiques ; le fidèle qui y assiste laisse sa langue maternelle sur le seuil ; hors les heures de la prédication, il n'entend que des accents mystérieux qui même cessent de retentir dans le moment le plus solennel, au canon de la messe ; et cependant ce mystère le charme tellement qu'il n'envie pas le sort du protestant, quoique l'oreille de celui-ci n'entende jamais que des sons dont elle perçoit la signification. Tandis que le temple réformé réunit, à grand-peine, une fois la semaine, les chrétiens puristes, l'Eglise papiste voit sans cesse, ses nombreux autels assiégés par ses religieux enfants ; chaque jour, ils s'arrachent à leurs travaux pour venir entendre ces paroles mystérieuses qui doivent être de Dieu, car elles nourrissent la foi et charment les douleurs. Avouons-le, c'est un coup de maître du protestantisme d'avoir déclaré la guerre à la langue sainte ; s'il pouvait réussir à la détruire, son triomphe serait bien avancé. Offerte aux regards profanes, comme une vierge déshonorée, la Liturgie, dès ce moment, a perdu son caractère sacré, et le peuple trouvera bientôt que ce n'est pas trop la peine qu'il se dérange de ses travaux ou de ses plaisirs pour aller entendre parler comme on parle sur la place publique. Otez à l'Eglise française ses déclamations radicales et ses diatribes contre la prétendue vénalité du clergé, et allez voir si le peuple ira longtemps écouter le soi-disant primat des Gaules crier : Le Seigneur soit avec vous ; et d'autres lui répondre: Et avec votre esprit. Nous traiterons ailleurs, d'une manière spéciale, de la langue liturgique.

En ôtant de la Liturgie le mystère qui abaisse la raison, le protestantisme n'avait garde d'oublier la conséquence pratique, savoir l'affranchissement de la fatigue et de la gêne qu'imposent au corps les pratiques de la Liturgie papiste. D'abord, plus de jeûne, plus d'abstinence ; plus de génuflexion dans la prière ; pour le ministre du temple, plus d'offices journaliers à accomplir, plus même de prières canoniales à réciter, au nom de l'Eglise. Telle est une des formes principales de la grande émancipation protestante : diminuer la somme des prières publiques et particulières. L'événement a montré bientôt que la foi et la charité, qui s'alimentent par la prière, s'étaient éteintes dans la réforme, tandis qu'elles ne cessent, chez les catholiques, d'alimenter tous les actes de dévouement à Dieu et aux hommes, fécondées qu'elles sont par les ineffables ressources de la prière liturgique accomplie par le clergé séculier et régulier, auquel s'unit la communauté des fidèles.

10° Comme il fallait au protestantisme une règle pour discerner parmi les institutions papistes celles qui pouvaient être les plus hostiles à son principe, il lui a fallu fouiller dans les fondements de l'édifice catholique, et trouver la pierre fondamentale qui porte tout. Son instinct lui a fait découvrir tout d'abord ce dogme inconciliable avec toute innovation : la puissance papale. Lorsque Luther écrivit sur sa bannière : Haine à Rome et à ses lois, il ne faisait que promulguer une fois de plus le grand principe de toutes les branches de la secte antiliturgiste. Dès lors, il a fallu abroger en masse le culte et les cérémonies, comme l'idolâtrie de Rome ; la langue latine, l'office divin, le calendrier, le bréviaire, toutes abominations de la grande prostituée de Babylone. Le Pontife romain pèse sur la raison par ses dogmes, sur les sens par ses pratiques rituelles il faut donc proclamer que ses dogmes ne sont que blasphème et erreur, et ses observances liturgiques qu'un moyen d'asseoir plus fortement une domination usurpée et tyrannique. C'est pourquoi, dans ses litanies émancipées, l'Eglise luthérienne continue de chanter naïvement: De l'homicide fureur, calomnie, rage et férocité du Turc et du Pape, délivrez-nous, Seigneur. C'est ici le lieu de rappeler les admirables considérations de Joseph de Maistre, dans son livre Du Pape, où il montre, avec tant de sagacité et de profondeur, qu'en dépit des dissonances qui devraient isoler les unes des autres les diverses sectes séparées, il est une qualité dans laquelle elles se réunissent toutes, celle de non romaines. Imaginez une innovation quelconque, soit en matière de dogme, soit en matière de discipline, et voyez s'il est possible de l'entreprendre sans encourir, bon gré, mal gré, la note de non romain, ou si vous voulez de moins romain, si on manque d'audace. Reste à savoir quel genre de repos pourrait trouver un catholique dans la première, ou même dans la seconde de ces deux situations.

11° L'hérésie antiliturgiste, pour établir à jamais son règne, avait besoin de détruire en fait et en principe tout sacerdoce dans le christianisme ; car elle sentait que là où il y a un pontife, il y a un autel, et que là ou il y a un autel, il y a un sacrifice, et partant un cérémonial mystérieux. Après donc avoir aboli la qualité du Pontife suprême, il fallait anéantir le caractère de l'évêque, duquel émane la mystique imposition des mains qui perpétue la hiérarchie sacrée. De là un vaste presbytérianisme, qui n'est que la conséquence immédiate de la suppression du Pontificat souverain. Dès lors, il n'y a plus de prêtre proprement dit ; comment la simple élection, sans consécration, ferait-elle un homme sacré ? La réforme de Luther et de Calvin ne connaîtra donc plus que des ministres de Dieu, ou des hommes, comme on voudra. Mais il est impossible d'en rester là. Choisi, installé par des laïques, portant dans le temple la robe d'une certaine magistrature bâtarde, le ministre n'est qu'un laïque revêtu de fonctions accidentelles ; il n'y a donc plus que des laïques dans le protestantisme ; et cela devait être, puisqu'il n'y a plus de Liturgie; comme il n'y a plus de Liturgie, puisqu'il n'y a plus que des laïques.

12° Enfin, et c'est là le dernier degré de l'abrutissement, le sacerdoce n'existant plus, puisque la hiérarchie est morte, le prince, seule autorité possible entre laïques, se proclamera chef de la Religion, et l'on verra les plus fiers réformateurs, après avoir secoué le joug spirituel de Rome, reconnaître le souverain temporel pour pontife suprême, et placer le pouvoir sur la Liturgie parmi les attributions du droit majestatique. Il n'y aura donc plus de dogme, de morale, de sacrements, de culte, de christianisme, qu'autant qu'il plaira au prince, puisque le pouvoir absolu lui est dévolu sur la Liturgie par laquelle toutes ces choses ont leur expression et leur application dans la communauté des fidèles. Tel est pourtant l'axiome fondamental de la Réforme, et dans la pratique et dans les écrits des docteurs protestants. Ce dernier trait achèvera le tableau, et mettra le lecteur à même de juger de la nature de ce prétendu affranchissement, opéré avec tant de violence à l'égard de la papauté, pour faire place ensuite, mais nécessairement, à une domination destructive de la nature même du christianisme. Il est vrai que, dans les commencements, la secte antiliturgiste n'avait pas coutume de flatter ainsi les puissants : albigeois, vaudois, wiclefites, hussites, tous enseignaient, qu'il fallait résister et même courir sus à tous princes et magistrats qui se trouvaient en état de péché, prétendant qu'un prince était déchu de son droit du moment qu'il n'était pas en grâce avec Dieu. La raison de ceci est que ces sectaires, craignant le glaive des princes catholiques, évêques du dehors, avaient tout à gagner en minant leur autorité. Mais du moment que les souverains, associés à la révolte contre l’Eglise, voulaient faire de la religion une chose nationale, un moyen de gouvernement, la Liturgie, réduite, aussi bien que le dogme, aux limites d'un pays, ressortissait naturellement à la plus haute autorité de ce pays, et les réformateurs ne pouvaient s'empêcher d'éprouver une vive reconnaissance envers ceux qui prêtaient ainsi le secours d'un bras puissant à l'établissement et au maintien de leurs théories. Il est bien vrai qu'il y a toute une apostasie dans cette préférence donnée au temporel sur le spirituel, en matière de religion ; mais il s'agit ici du besoin même de la conservation. Il ne faut pas seulement être conséquent, il faut vivre. C'est pour cela que Luther, qui s'est séparé avec éclat du pontife de Rome, comme fauteur de toutes les abominations de Babylone, ne rougit pas lui-même de déclarer théologiquement la légitimité d'un double mariage pour le landgrave de Hesse, et c'est pour cela aussi que l'abbé Grégoire trouve dans ses principes le moyen de s'associer tout à la fois au vote de mort contre Louis XVI à la Convention, et de se faire le champion de Louis XIV et de Joseph II contre les Pontifes romains.

Telles sont les principales maximes de la secte antiliturgiste. Nous n'avons certes, rien exagéré ; nous n'avons fait que relever la doctrine cent fois professée dans les écrits de Luther, de Calvin, des Centuriateurs de Magdebourg, de Hospinien, de Kemnitz, etc. Ces livres sont faciles à consulter, ou plutôt l'œuvre qui en est sortie est sous les yeux de tout le monde. Nous avons cru qu'il était utile d'en mettre en lumière les principaux traits. Il y a toujours du profit à connaître, l'erreur; l'enseignement direct est quelquefois moins avantageux et moins facile. C'est maintenant au logicien catholique de tirer la contradictoire.

 

Dom GUÉRANGER.