ITEM
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Un
regard sur le monde politique et
religieux
Au 19 août 2006
N° 99
Par Monsieur
l’abbé Paul Aulagnier
Une
« première mondiale »
Une Interview accordée par le
Pape Benoît XVI à la télévision publique de Bavière
le Pape Benoît XVI a accordé
une interview à la télévision publique de Bavière, Bayerischer
Rundfunk (ARD), à la chaîne de télévision publique
allemande ZDF, à la chaîne d'information allemande Deutsche Welle,
et à Radio Vatican, le 13 août dernier. .
Question : Très Saint-Père, au mois de septembre vous visiterez
l'Allemagne, ou plus précisément,
Benoît XVI: Certainement. Le motif de ma visite c'est justement
mon désir de revoir encore une fois les lieux, les personnes auprès desquels
j'ai grandi, qui m'ont marqué et qui ont façonné ma vie, je voulais remercier
ces personnes. Et naturellement aussi adresser un message qui aille au-delà de
ma terre, en accord avec mon ministère. Les thèmes, ils seront indiqués tout
simplement par le calendrier liturgique. Le
thème fondamental est que nous devons redécouvrir Dieu et pas n'importe quel
dieu, mais le Dieu à visage humain, puisque quand nous voyons Jésus Christ nous
voyons Dieu. Et à partir de là nous devons trouver les chemins pour nous
rencontrer au sein des familles, entre générations et puis aussi entre cultures
et entre peuples, et les chemins de la réconciliation et de la convivialité
pacifique en ce monde, et les chemins qui mènent vers l'avenir. Ces chemins
vers l'avenir nous ne pouvons les trouver que si nous recevons la lumière qui
vient d'en haut. Je n'ai donc pas choisi des thèmes très spécifiques, c'est pour ainsi dire la liturgie qui me
guide à exprimer le message fondamental de la foi, qui naturellement se greffe
dans l'actualité de nos jours, où nous voulons par-dessus tout chercher la
collaboration entre les peuples, et les chemins possibles vers la
réconciliation et la paix.
Question : En tant que Pape, vous êtes responsable de l'Eglise dans le
monde entier. Mais naturellement votre visite focalise l'attention sur la
situation des catholiques en Allemagne. Or, tous les observateurs sont d'accord
pour dire que le climat est bon, grâce aussi à votre élection. Bien entendu,
les vieux problèmes demeurent, pour ne citer que quelques exemples: il y a
toujours moins de pratiquants, moins de baptêmes, et surtout moins d'influence
sur la société. Comment voyez-vous la situation actuelle de l'Eglise catholique
en Allemagne?
Benoît XVI : Je dirais avant tout que l'Allemagne appartient à
l'Occident, même s'il y a des nuances qui lui sont propres, et dans le monde occidental aujourd'hui nous
connaissons une nouvelle vague d'illuminisme drastique ou de laïcité, si vous
préférez. Il est devenu plus difficile de croire, puisque le monde où nous
nous trouvons, nous le faisons par nous-mêmes, et Dieu, pour ainsi dire, n'y
comparaît plus directement. On ne boit plus directement à la source, mais dans
le récipient qu'on nous présente déjà plein et ainsi de suite. Les hommes ont reconstruit leur propre
monde par eux-mêmes, et il est devenu plus difficile de retrouver Dieu dans
ce monde. Cela n'est pas une spécificité
de l'Allemagne, c'est quelque chose qui se produit dans le monde entier, en
particulier en Occident.
D'un autre côté, l'Occident
est aujourd'hui fortement touché par d'autres cultures, où l'élément religieux d'origine
est très marqué, et qui sont horrifiées par la froideur qu'elles constatent en Occident à l'égard de Dieu. Et cette présence du sacré dans d'autres
cultures, même si elle est voilée de diverses façons, touche à nouveau le monde
occidental, elle nous touche nous qui nous trouvons au carrefour de tant de
cultures. Et d'autre part le besoin de
quelque chose « de plus grand » est entrain de poindre du plus profond de
l'homme occidental et en Allemagne aussi. Nous voyons que les jeunes
cherchent un « supplément », nous voyons
que d'une certaine manière le phénomène religieux - comme on dit - revient,
même si cette recherche est souvent plutôt floue. Mais avec tout cela
l'Eglise est à nouveau présente, la foi s'offre comme réponse. Et je pense que
cette visite justement, comme celle de Cologne déjà, est une opportunité afin
que l'on puisse voir qu'il est beau de
croire, que la joie d'une grande communauté universelle possède une force
entraînante, que derrière elle, il y a quelque chose d'important et que par
conséquent avec ces nouveaux mouvements de recherche, il y a aussi de nouveaux
débouchés pour la foi, qui nous conduisent les uns vers les autres et qui sont
également positifs pour la société dans son ensemble.
Question : Très Saint Père, il y a tout juste un an vous étiez à
Cologne avec les jeunes, et je crois que vous avez constaté que la jeunesse est
extraordinairement prête à l'accueil, et que vous, personnellement, vous avez
été très bien accueilli. Avez-vous pour ce prochain voyage un message spécial
pour les jeunes?
Benoît XVI : Je dirais avant tout que je suis très heureux qu'il
y ait des jeunes qui désirent être ensemble, être ensemble dans la foi, et
faire quelque chose de bon. La disponibilité au bien est très forte chez les
jeunes, qu'il suffise de penser aux nombreuses formes de volontariat. L'engagement à offrir sa propre
contribution aux besoins de ce monde est quelque chose de grand. La
première impulsion peut donc être de les encourager: Allez de l'avant! Cherchez
les occasions de faire le bien! Le monde a besoin de cette volonté, il a besoin
de cet engagement! Et puis peut-être faudrait-il ajouter: ayez le courage des décisions définitives! Chez les jeunes, il y a beaucoup de générosité, mais face au risque de
s'engager pour la vie entière, aussi bien dans le mariage que dans le
sacerdoce, ils ont peur.
Le monde est en mouvement de
façon dramatique: actuellement je peux disposer à tout moment de ma vie entière
avec tous ses imprévisibles événements futurs: mais si je prends une décision
définitive, est-ce que je ne vais pas enchaîner ma propre liberté, est-ce que
je ne vais pas me priver de ma liberté de mouvement? Réveiller le courage d'oser des décisions définitives, les seules en
réalité qui permettent de grandir, d'aller de l'avant et de parvenir à quelque
chose de grand dans la vie, les seules qui ne détruisent pas la liberté, mais
qui lui offrent la juste direction dans l'espace. Prendre ce risque, ce saut - pour ainsi dire - dans le définitif, et
accueillir pleinement la vie, voilà ce que je serais heureux de pouvoir
communiquer.
Question : Très Saint Père, une question sur la politique étrangère.
Les espoirs de paix au Moyen Orient ont diminué au cours de ces dernières
semaines. Quelles possibilités voyez-vous pour le Saint-Siège concernant la
situation actuelle? Quelle influence positive pouvez-vous exercer sur la
situation, sur les développements au Moyen Orient ?
Benoît XVI : Naturellement nous n'avons aucune possibilité
politique, et nous ne voulons aucun pouvoir politique. Mais nous voulons faire
appel aux chrétiens et à tous ceux qui se sentent d'une manière ou d'une autre
interpellés par la parole du Saint-Siège, afin
que soient mobilisées toutes les forces qui reconnaissent que la guerre est la
pire des solutions pour tous. Qu'elle n'apporte rien de bon pour personne, pas
même pour ses apparents vainqueurs. Nous le savons très bien en Europe,
après deux guerres mondiales. Ce dont tous ont besoin c'est la paix. Et il y a
une forte communauté chrétienne au Liban, il y a des chrétiens parmi les
arabes, il y a des chrétiens en Israël, et des chrétiens du monde entier pour
qui ces pays sont chers. Il y a des forces morales qui sont prêtes à faire
comprendre qu'une solution est possible: nous devons vivre ensemble. Ces forces
nous voulons les mobiliser: les politiques doivent trouver les moyens pour que
cela puisse se réaliser le plus vite possible et surtout d'une manière durable.
Question : En tant qu'Evêque de Rome vous êtes le successeur de saint
Pierre. Comment le ministère de Pierre peut-il s'exercer d'une manière
appropriée au temps présent? Et comment voyez-vous le rapport de tension et
d'équilibre entre la primauté du Pape d'un côté et la collégialité des évêques
de l'autre?
Benoît XVI : Il y a naturellement un rapport fait de tension et
d'équilibre, et nous disons que cela est bien. La multiplicité et l'unité
doivent sans cesse redéfinir leur rapport réciproque et ce rapport doit
s'intégrer d'une manière toujours nouvelle dans les situations mouvantes du
monde. Aujourd'hui nous avons une nouvelle polyphonie de cultures, où l'Europe
n'est plus le seul élément déterminant, mais où les communautés chrétiennes des
divers continents sont en train d'acquérir leur propre poids, leur propre
couleur. Nous devons toujours apprendre à nouveau cette fusion des diverses
composantes. C'est pour cela que nous avons développé divers instruments; ce
que l'on appelle « visites ad limina »
des évêques ; elles ont toujours existé, mais on s'en sert beaucoup plus
aujourd'hui pour dialogue réellement avec toutes les instances du Saint-Siège
et avec moi-même. Je parle personnellement avec chaque évêque. J'ai déjà parlé
avec presque tous les évêques d'Afrique et avec de nombreux évêques d'Asie.
Maintenant, ce sera le tour de l'Europe Centrale, l'Allemagne,
Question : L'Allemagne en tant que terre de la réforme est
naturellement marquée d'une manière particulière par les rapports entre les
diverses confessions. Les rapports oecuméniques sont une réalité sensible qui
se heurte toujours à de nouvelles difficultés. Quelles possibilités voyez-vous
d'améliorer les rapports avec l'Eglise évangélique ou quelles difficultés
voyez-vous sur ce chemin?
Benoît XVI : Il est peut-être important de dire avant tout que
l'Eglise évangélique présente une remarquable diversité. En Allemagne nous
avons, si je ne m'abuse, trois communautés principales: les Luthériens, les
Réformés et l'Union Prussienne. En outre de nombreuses Eglises libres (Freikirchen) se forment aujourd'hui et, au sein même des
Eglises classiques, des mouvements, comme « l'Eglise qui confesse » et ainsi de
suite. Il s'agit donc d'un ensemble à plusieurs voix avec lequel nous devons
entrer en dialogue dans la recherche de l'unité, en respectant la multiplicité
des voix et avec lequel nous voulons collaborer. Je crois que la première chose à faire dans la société actuelle c'est
de nous engager tous ensemble à clarifier, trouver et mettre en pratique les
grandes lignes directrices éthiques afin de garantir la consistance éthique de
la société, sans laquelle cette société ne pourra pas réaliser l'objectif
ultime de la politique, qui est justice pour tous, paix et convivialité. Dans
ce domaine, je crois que l'on fait déjà beaucoup, que nous nous retrouvons déjà
réellement ensemble sur un fondement chrétien commun face aux grands défis
moraux. Naturellement il faut ensuite témoigner Dieu dans un monde qui a du
mal à le trouver, comme on l'a déjà dit, et rendre visible Dieu dans le visage humain de Jésus Christ, et
offrir aux hommes l'accès à ces sources sans lesquelles la morale devient
stérile, perd ses repères, et aussi apporter la joie pour que nous ne soyons
pas isolés en ce monde. Ce n'est
qu'ainsi que peut naître la joie devant la grandeur de l'homme qui n'est pas un
produit raté de l'évolution, mais l'image de Dieu. Nous devons agir sur ces
deux plans - pour ainsi dire - celui des grands repères éthiques et celui qui
prouve - de l'intérieur et en s'orientant vers eux - la présence de Dieu, d'un
Dieu concret. Si nous le faisons, et surtout si dans chacun de nos
regroupements nous essayons de ne pas vivre la foi d'une manière
particulariste, mais toujours à partir de ses fondements les plus profonds,
nous n'arriverons peut-être pas très vite à des manifestations extérieures
d'unité, mais nous pourrons mûrir vers une unité intérieure qui, si Dieu le
veut, portera un jour aussi à des formes extérieures d'unité.
Question : Le thème de la famille. Il y a un mois environ vous étiez à
Valence pour la rencontre mondiale des familles. Ceux qui vous ont écouté
attentivement - comme nous avons essayé de le faire à Radio Vatican - ont noté
que vous n'avez jamais prononcé les mots « mariages homosexuels », que vous
n'avez jamais parlé d'avortement ni de contraception. Des observateurs
attentifs ont trouvé que cela était intéressant!
A l'évidence votre intention est d'annoncer
la foi et non pas de parcourir le monde comme un « apôtre de la morale ».
Pouvez-vous commenter cela?
Benoît XVI : Oui, naturellement. Il faut avant tout dire que
j'avais à ma disposition pour parler en tout deux fois 20 minutes. Et quand on
a aussi peu de temps, on ne peut pas en venir à bout en disant simplement non.
Il faut savoir avant tout ce que nous voulons réellement, n'est-ce pas? Et le christianisme, le catholicisme,
n'est pas une somme d'interdits, mais une option positive. Et il est très
important que cela soit à nouveau visible, car aujourd'hui cette conscience a
presque totalement disparu. On a
tellement entendu parler de ce qui n'était pas permis qu'il est nécessaire de
proposer aujourd'hui nos idées positives: nous avons une idée positive à vous proposer à savoir que l'homme et la
femme sont faits l'un pour l'autre, que la séquence - pour ainsi dire -
sexualité, éros, agapè, indique les dimensions de l'amour et que c'est sur
cette voie que se développe en premier lieu le mariage, qui est la rencontre
débordante de bonheur et de bénédiction d'un homme et d'une femme, et puis la
famille qui garantit la continuité entre les générations, et où les générations
se réconcilient entre elles et où même les cultures peuvent se rencontrer. Il
est donc important, avant tout de mettre en évidence ce que nous voulons. En second lieu, on peut aussi voir ce que nous
ne voulons pas et pourquoi. Et je crois qu'il faut voir et réfléchir, car,
et ce n'est pas une invention catholique, l'homme et la femme sont faits l'un
pour l'autre afin que l'humanité continue à vivre: toutes les cultures le
savent. En ce qui concerne l'avortement, il n'entre pas dans le sixième mais
dans le cinquième commandement: « tu ne tueras point!». Et cela nous devons le considérer comme une évidence et nous devons
toujours réaffirmer que la personne humaine commence dans le sein de sa mère et
reste une personne humaine jusqu'à son dernier souffle. L'homme doit toujours
être respecté en tant qu'homme. Mais cela devient plus clair si on a
commencé par dire ce qu'il y a de positif.
Question : Très Saint Père, ma question se rattache d'une certaine
manière à celle du Père von Gemmingen.
Dans le monde entier les croyants attendent de la part de l'Eglise catholique
des réponses aux problèmes globaux les plus urgents, comme le SIDA et la
surpopulation. Pourquoi l'Eglise catholique insiste-t-elle autant sur la morale
plutôt que sur les efforts destinés à apporter une solution concrète à ces
problèmes cruciaux pour l'humanité, par exemple sur le continent africain?
Benoît XVI : Justement, c'est le problème: est-ce que nous
insistons vraiment tant que cela sur la morale? Moi je dirais - et j'en suis
toujours plus convaincu après mes entretiens avec les évêques africains - que la question fondamentale, si nous voulons
faire des pas en avant dans ce domaine, c'est l'éducation, la formation. Le progrès ne peut être authentique que
s'il rend service à la personne humaine et si la personne humaine elle-même
grandit, non seulement au niveau de son potentiel technique, mais aussi de ses
capacités morales. Et je crois que
le vrai problème dans la conjoncture historique actuelle c'est le déséquilibre
entre la croissance incroyablement rapide de notre potentiel technique et celui
de nos capacités morales, qui n'ont pas grandi de manière proportionnelle. C'est pourquoi la vraie recette c'est la
formation de la personne humaine, c'est, selon moi, la clef de tout, et c'est
aussi notre option.
Et cette formation - pour
être bref - a deux dimensions : tout d'abord naturellement nous devons
apprendre, acquérir des connaissances, des compétences, know how comme ont dit.
L'Europe, et au cours des dernières décennies l'Amérique, ont fait beaucoup
dans cette direction, et c'est très important. Mais si on se limite à propager
uniquement le know how, si on enseigne seulement la façon de construire et
d'utiliser les machines, et le mode d'emploi des contraceptifs, alors il ne
faut pas s'étonner si on finit par se retrouver avec des guerres et des
épidémies de SIDA. Nous avons besoin de deux dimensions: il faut dans le même temps la formation des coeurs - si je peux
m'exprimer ainsi - qui permet à la personne humaine d'acquérir des repères et
d'apprendre aussi à employer correctement sa technique. Voilà ce que nous
essayons de faire.
Dans toute l'Afrique et aussi
dans de nombreux pays d'Asie, nous avons un vaste réseau d'école à tous les
degrés, où on peut avant tout apprendre, acquérir de vraies connaissances, des
compétences professionnelles, et donc obtenir l'autonomie et la liberté. Mais
dans ces écoles nous cherchons justement non seulement à communiquer du
know-how, mais à former des personnes humaines, qui aient envie de se
réconcilier, qui sachent qu'il faut construire et non détruire, et qui aient
les repères nécessaires pour savoir vivre ensemble. Les évêques ont institué
avec les musulmans des comités communs pour voir comment on peut créer la paix
dans les situations de conflit. Et ce réseau d'écoles, d'étude et de formation
humaine, qui est très important, est complété par un réseau d'hôpitaux et de
centres d'assistance qui rejoint de façon capillaire les villages les plus
reculés. Et en de nombreux endroits, malgré les destructions de la guerre,
l'Eglise est la seule force qui soit restée intacte. Voilà la réalité! Et là où
on soigne, où on soigne aussi le SIDA, on offre aussi une éducation, qui aide à
nouer de justes rapports avec les autres. C'est pourquoi je crois qu'il
faudrait corriger l'image selon laquelle nous ne faisons que semer autour de
nous des « non » catégoriques. En Afrique, justement, on travaille beaucoup,
afin que les diverses dimensions de la formation puissent s'intégrer et afin
qu'il soit possible de surmonter la violence et les épidémies aussi, parmi
lesquelles il faut citer également le paludisme et la tuberculose.
Question : Très Saint Père, le christianisme s'est répandu dans le
monde entier à partir de l'Europe. Aujourd'hui, beaucoup pensent que l'avenir
de l'Eglise se trouve dans les autres continents. Est-ce vrai? Ou en d'autres
termes, quel avenir pour le christianisme en Europe, où il a l'air de se
réduire petit à petit à une affaire privée ne touchant qu'une minorité?
Benoît XVI : Tout d'abord je voudrais introduire quelques
nuances. En fait, comme nous le savons,
le christianisme est né au Proche-Orient. Et pendant longtemps c'est là
principalement qu'il s'est développé et il s'est répandu en Asie beaucoup plus que
ce que nous croyons aujourd'hui après les changements apportés par l'Islam.
D'autre part pour ces raisons justement son axe s'est déplacé sensiblement vers
l'Occident et l'Europe, et l'Europe - nous en sommes fiers et nous nous en
félicitons - a ultérieurement développé le christianisme dans ses grandes
dimensions intellectuelles et culturelles également. Mais je crois qu'il est
important de se souvenir des chrétiens d'Orient, puisqu'ils risquent d'émigrer,
eux qui ont toujours représenté une minorité importante, entretenant des
rapports fructueux avec le contexte environnant. Et le grand danger est que ces
lieux d'origine du christianisme se vident de leurs chrétiens. Je pense que
nous devons les aider à rester.
Mais venons-en à votre
question. L'Europe est devenue certainement le coeur du christianisme et de son
mouvement missionnaire. Aujourd'hui les autres continents, les autres cultures,
font partie au même titre du concert de l'histoire mondiale. Ce qui fait que le
nombre des voix de l'Eglise augmente, et c'est un bien. Il est bon que puissent
s'exprimer les divers tempéraments, les dons propres à l'Afrique, à l'Asie et à
l'Amérique et en particulier aussi à l'Amérique latine. Tous naturellement sont
touchés non seulement par la parole du christianisme, mais aussi par le message
séculier de ce monde. Tous les évêques des autres endroits du monde nous
disent: nous avons encore besoin de l'Europe, même si l'Europe n'est qu'une
partie d'un tout plus vaste. Nous
portons aujourd'hui encore la responsabilité qui nous vient de nos expériences,
de la science théologique qui s'est développée ici, de notre expérience
liturgique, de nos traditions, et aussi des expériences oecuméniques que nous
avons accumulées: tout cela est très important y compris pour les autres
continents. C'est pourquoi nous ne devons pas capituler, nous plaindre,
nous dire: « Voilà, nous ne sommes qu'une minorité, essayons au moins de
sauvegarder notre petit nombre! »; au contraire, nous devons tenir en vie notre
dynamisme, nouer des relations afin que nous puissions aussi recevoir des
autres des forces nouvelles. Aujourd'hui il y a des prêtres indiens et
africains en Europe, et au Canada aussi de nombreux prêtres africains font un
travail très intéressant. Il y a cet échange mutuel. Mais si à l'avenir nous
recevons davantage, il faudra aussi continuer à donner avec un courage et un
dynamisme croissant.
Question : Un thème qui a déjà en partie été abordé, très Saint Père.
Les sociétés modernes, lorsqu'il s'agit de prendre des décisions importantes en
matière de politique et de science, ne s'inspirent pas des valeurs chrétiennes
et l'Eglise - les enquêtes le prouvent - est la plupart du temps considérée
uniquement comme une voix qui met en garde, voire qui freine. L'Eglise ne
devrait-elle pas sortir de cette attitude défensive et assumer une attitude
plus positive vis-à-vis de l'avenir et de sa construction?
Benoît XVI : Je dirais que de toute manière nous avons le devoir
de mieux mettre en évidence ce qui pour nous est positif. Et nous devons le
faire en premier lieu dans le dialogue des cultures et des religions, puisque,
comme je l'ai déjà dit je crois, le continent africain, l'âme africaine ainsi
que l'âme asiatique sont horrifiées par la froideur de notre rationalisme. Il
est important qu'elles puissent voir qu'il n'y a pas que cela chez nous. Et
réciproquement il est important que notre monde laïciste se rende compte que la
foi chrétienne n'est pas une entrave, mais un pont pour le dialogue avec les
autres mondes. Il est erroné de croire que la culture purement rationnelle, en
vertu de sa tolérance, dispose d'une approche plus facile avec les autres
religions. Il lui manque en partie «l'organe religieux » et par conséquent le
point d'accroche à partir duquel et vers lequel les autres veulent entrer en
relation. C'est pourquoi nous devons, nous pouvons montrer que justement pour
la nouvelle inter culturalité, dans laquelle nous vivons, le pur rationalisme libéré de Dieu est insuffisant, mais qu'il faut un
rationalisme plus ample, qui considère Dieu en harmonie avec la raison,
conscient que la foi chrétienne qui s'est développée en Europe est aussi un
moyen pour faire converger la raison et la culture et pour les compléter aussi
avec l'action dans une vision unitaire et globale. Dans ce sens je crois
que nous avons une tâche importante à accomplir, montrer que cette Parole que
nous possédons, n'appartient pas - pour ainsi dire - aux oripeaux de
l'histoire, mais qu'elle est nécessaire justement aujourd'hui.
Question : Très Saint Père, parlons de
vos voyages. Vous êtes au Vatican, cela vous coûte peut-être d'être un peu loin
des personnes, coupé du monde, ici aussi dans le très beau cadre de Castelgandolfo. Mais vous allez avoir bientôt 80 ans.
Pensez-vous, avec l'aide de Dieu, pouvoir faire encore de nombreux voyages?
Avez-vous une idée de ceux que vous aimeriez faire? En terre Sainte, au Brésil?
Avez-vous déjà décidé?
Benoît XVI : A vrai dire je ne suis pas si seul que cela.
Naturellement il y a - pour ainsi dire - les murs qui rendent l'accès
difficile, mais il y a une « famille pontificale », je reçois chaque jour de
nombreuses visites, surtout quand je suis à Rome. Il y a les évêques qui
viennent, il y a d'autres personnes, il y a les visites d'Etat, de
personnalités qui veulent parler avec moi personnellement et non seulement de
questions politiques. Dans ce sens il y a une multiplicité de rencontres qui
grâce à Dieu me sont données sans cesse. Et il est aussi important que le siège
du Successeur de Pierre soit un lieu de rencontre - n'est-ce pas? Depuis
l'époque de Jean XXIII d'autre part, le pendule s'est déplacé aussi dans
l'autre direction: les papes ont commencé à rendre visite eux aussi. Je dois
dire que je ne me sens pas assez fort pour programmer de nombreux grands
voyages, mais je voudrais aller là où je pourrai apporter un message ou - pour
ainsi dire - répondre à un vrai désir ; je voudrais y aller, en « dosant » ce
que je peux faire. Certaines choses sont déjà prévues: l'année prochaine au
Brésil se déroulera la rencontre du CELAM, le Conseil épiscopal Latino
Américain, et je pense qu'il est important que j'y sois dans le contexte actuel
que l'Amérique du Sud vit intensément, et pour renforcer l'espérance qui est
vive dans cette région. Puis je voudrais aller en Terre Sainte, et j'espère
pouvoir la visiter en temps de paix, et pour le reste nous verrons ce que
Question : Permettez-moi d'insister. Les Autrichiens parlent eux aussi
l'allemand et ils vous attendent à Mariazell.
Benoît XVI : Oui, des accords ont été pris. Moi je l'ai tout
simplement promis, d'une manière un peu imprudente. C'est un lieu qui m'a tant
plu et j'ai dit: Oui, je reviendrai à
Question :
J'insiste encore. Je vous admire tous les mercredis, quand vous présidez
l'audience générale. Il y a 50.000 personnes. Cela doit être fatigant, très
fatigant. Vous arrivez à résister?
Benoît XVI : Oui, le Bon Dieu me donne la force nécessaire. Et
quand on voit la cordialité de l'accueil, naturellement c'est encourageant.
Question : Très Saint Père, vous venez de dire que vous avez fait une
promesse une peu imprudente. Entendez-vous dire que malgré votre ministère,
malgré les nombreuses contraintes protocolaires, vous ne perdez pas votre
spontanéité?
Benoît XVI : En tous les cas, j'essaye de ne pas la perdre.
Parce que, même si les choses sont établies, je voudrais essayer de garder et
de réaliser aussi quelque chose de purement personnel.
Question : Très Saint Père, les femmes sont très actives dans diverses
fonctions dans l'Eglise catholique. Leur contribution ne devrait-elle pas
devenir plus clairement visible, même à des postes de responsabilité plus
élevés dans l'Eglise?
Benoît XVI : Sur ce sujet naturellement on réfléchit beaucoup.
Comme vous le savez, nous considérons que notre foi, la constitution du collège
des Apôtres, nous obligent et ne nous permettent pas de conférer l'ordination
sacerdotale aux femmes. Mais il ne faut pas non plus penser que dans l'Eglise
seuls les prêtres ont un rôle à jouer. Dans l'histoire de l'Eglise il y a eu de
très nombreuses tâches et fonctions. En commençant par les soeurs des Pères de
l'Eglise, pour arriver au Moyen-âge, lorsque de grandes femmes ont joué un rôle
déterminant, et jusqu'aux temps modernes. Qu'il suffise de penser à Hildegarde
de Bingen, qui protestait avec force contre des
évêques et contre le Pape; à Catherine de Sienne et à Brigitte de Suède. Ainsi
même à l'époque moderne les femmes doivent - et nous avec elles - chercher pour
ainsi dire leur juste place. Aujourd'hui, elles sont bien présentes aussi dans
les Dicastères du Saint Siège. Mais il y a un problème juridique: celui de la
juridiction, c'est-à-dire le fait que selon le Droit Canonique le pouvoir de
prendre des décisions juridiquement contraignantes est lié à l'Ordre sacré. De
ce point de vue il y a donc des limites, mais je crois que les femmes
elles-mêmes, avec leur élan et leur force, avec leur supériorité, avec ce que
je définirais leur « puissance spirituelle », sauront déblayer le terrain. Et
nous, nous devrions essayer de nous mettre à l'écoute de Dieu, afin de ne pas
entraver ce mouvement, mais au contraire nous réjouir que l'élément féminin obtienne
dans l'Eglise la place pleine d'efficacité qui lui convient, à commencer par
Question : Très Saint Père, depuis quelque temps on parle du nouvel
attrait qu'exerce le catholicisme. Quels sont donc la vitalité et les
possibilités d'avenir pour cette institution si ancienne?
Benoît XVI : Je dirais que déjà tout le pontificat de Jean Paul
II a attiré l'attention des hommes et les a réunis. Ceux qui s'est produit à
l'occasion de sa mort est historique, un événement unique: des centaines de
milliers de personnes accourraient de manière disciplinée vers
Question : Très Saint Père, vous avez parlé de l'expérience
communautaire. Vous venez en Allemagne pour la seconde fois déjà depuis votre
élection. Avec
Benoît XVI : Je dirais que la transformation intérieure de la
société allemande et même de la mentalité allemande a déjà commencé avec la fin
de la seconde guerre mondiale et s'est renforcée encore plus avec la
réunification. Nous nous sommes insérés beaucoup plus profondément dans la
société mondiale et naturellement nous avons été transformés aussi par sa mentalité.
Et alors des aspects du caractère allemand dont les autres auparavant n'étaient
pas conscients apparaissent au grand jour. Et nous avons peut-être un peu trop
été décrits comme si nous étions tous toujours disciplinés et réservés ce qui
n'est certes pas sans fondement. Mais si on voit maintenant un peu mieux ce que
tous sont en train de voir, je trouve c'est bien: les allemands ne sont pas seulement réservés, ponctuels et
disciplinés, mais ils sont aussi spontanés, gais, accueillants. Cela est très
beau. Et voilà ce que je souhaite: que ces vertus se développent encore
plus, et qu'elles puissent profiter de l'élan et du caractère durable que donne
la foi chrétienne.
Question : Très Saint Père, votre Prédécesseur a proclamé un très grand
nombre de bienheureux et de saints. Certains trouvent même que c'était trop.
Voici ma question: les béatifications et les canonisations n'apportent à
l'Eglise quelque chose de nouveau que si ces personnes peuvent être considérées
comme de vrais modèles. L'Allemagne produit un nombre relativement faible de
saints et de bienheureux par rapport à d'autres pays. Peut-on faire quelque
chose pour que cette dimension pastorale se développe et pour que le besoin de
béatifications et de canonisations donne de vrais fruits pastoraux?
Benoît XVI : Au début je pensai un peu moi aussi que le grand
nombre de béatifications nous écrasait presque et que peut-être il fallait
mieux choisir: des figures qui puissent pénétrer plus clairement dans nos
consciences. Entre-temps j'ai décentralisé les béatifications, pour que, à
chaque fois, ces figures soient plus visibles dans les lieux spécifiques de
leur appartenance. Peut-être qu'un saint du Guatemala ne nous intéresse pas en
Allemagne et vice versa un saint d'Altötting
peut-être n'intéresse personne à Los Angeles et ainsi
de suite, vous ne pensez pas? En outre je crois que cette décentralisation est
en accord avec la collégialité de l'épiscopat, avec ses structures collégiales,
et qu'elle est opportune justement pour bien montrer que chaque pays a ses
propres grandes figures et que celles-ci sont plus efficaces dans leurs pays.
J'ai par ailleurs noté que ces béatifications dans des lieux différents
touchent d'innombrables personnes et que les gens se disent: «Enfin, un des
nôtres! » et ils vont vers lui et ils s'en inspirent. Le bienheureux leur
appartient et nous sommes heureux qu'il y en ait beaucoup. Et si petit à petit
nous aussi, avec le développement de la société mondiale, nous apprenons à
mieux les connaître, c'est bien. Mais avant tout il est important que la
multiplicité soit présente aussi dans ce domaine et c'est pourquoi il est
important que nous aussi en Allemagne nous apprenions à connaître nos propres
grandes figures et à nous réjouir de les avoir. A côté de cela il y a les canonisations
des plus grandes figures qui sont importantes pour l'Eglise tout entière. Je
dirais que chaque Conférence épiscopale devrait choisir, voir ce qui est plus
opportun, ce qui peut nous apporter réellement quelque chose et qu'elles
devraient rendre ces figures plus visibles - il ne faut pas qu'il y en ait trop
- des figures qui laissent des traces profondes. Elles peuvent le faire par la
catéchèse, la prédication, on pourrait peut-être leur consacrer des films.
J'imagine de très beaux films. Moi naturellement je ne connais bien que les
Père de l'Eglise: un film sur Augustin, et un aussi sur Grégoire de Nizance et sa personnalité si particulière, sa façon de
fuir sans cesse les responsabilités toujours plus grandes qui lui étaient
confiées et ainsi de suite. Il faut essayer de réfléchir à tout cela: Il n'y a pas que les situations mauvaises
auxquelles sont consacrés tant de films, il y a des figures merveilleuses de
l'histoire, qui ne sont pas du tout ennuyeuses, qui sont très actuelles.
Bref il faut essayer de ne pas trop peser sur les gens, mais de leur proposer
les figures qui restent actuelles et dont on peut s'inspirer.
Question : Des histoires où il y ait aussi un peu d'humour? En 1989 à
Munich vous avez été décoré du Karl Valentin Orden.
Quel est le rôle de l'humour dans la vie d'un Pape, de la légèreté de l'être?
Benoît XVI (en riant) : Je
ne suis pas le genre d'homme qui a toujours une blague à raconter. Mais je
trouve qu'il est très important de savoir cueillir les côtés amusants de la vie
et sa dimension joyeuse et de ne pas tout prendre de façon tragique, et je
dirais que cela est même nécessaire pour mon ministère. Un écrivain a dit que
les anges pouvaient voler parce qu'ils ne se prennent pas trop au sérieux. Et
nous, nous pourrions peut-être voler un peu plus, si nous ne nous donnions pas
toujours de grands airs.
Question : Quand on a une responsabilité importante comme la vôtre,
Très Saint Père, on est naturellement scruté à la loupe. On parle beaucoup de
vous. Et j'ai été frappé de lire que certains observateurs trouvent que le Pape
Benoît XVI est différent du Cardinal Ratzinger. Quel regard portez-vous sur
vous-même, si je peux me permettre de poser cette question ?
Benoît XVI : J'ai déjà été sectionné plus d'une fois: le
professeur de la première période, puis la période intermédiaire, puis les
premiers temps du cardinalat puis la période suivante. Et maintenant une
nouvelle section. Bien entendu, on est influencé par les circonstances, par les
situations, par les hommes aussi, quand on recouvre des postes différents. Ma
personnalité de base et aussi ma vision de base se sont développées, mais elles
sont restées identiques dans tout ce qui est essentiel, et je me réjouis que
l'on mette aujourd'hui en avant des aspects qui n'avaient pas été remarqués
auparavant.
Question : Est-ce qu'on peut dire que votre rôle vous plait, que ce
n'est pas un poids pour vous?
Benoît XVI : Ce serait
aller trop loin, parce qu'en fait c'est fatigant, mais quoiqu'il en soit
j'essaye de trouver de la joie là aussi.
Conclusion : En mon nom et au
nom de mes collègues je vous remercie très sincèrement de ce colloque, de cette
« première mondiale ». Nous nous réjouissons de votre prochaine visite en
Allemagne, en Bavière. Au revoir.