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Un regard sur le monde
politique et religieux
au 21 novembre 2008
N° 191
Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier
Le
Saint-Siège fait la fête
pour
les Droits de l’Homme
« Est-ce une concession
diplomatique et mondaine ou une
révolution doctrinale ?»
J’attache
tellement d’importance à ce texte, que si le Bon Dieu me rappelait aujourd’hui
à lui, il serait mon testament.
Jean Madiran, dans Présent du mercredi 19 novembre
2008, nous apprend que « le 10 décembre prochain, le Saint-Siège fêtera,
avec solennité et jubilation, le soixantième anniversaire de
Il nous dit que : « l’initiative en revient
au cardinal Renato R. Martino, président du Conseil pontifical Justice et Paix.
Il en a énuméré les festivités, la principale étant évidemment celle où la
présence du Pape est attendue : un concert donné par l’orchestre de l’Opéra de
Francfort, qui jouera des œuvres de Mendelssohn, de Mozart et de Manuel de
Falla, sous la direction du Compositeur, Directeur et Maestro Inma Shara…».
Et il souhaite, tout comme nous, que cette initiative
soit plus « une concession diplomatique et mondaine qu’une révolution
doctrinale : « le caractère principalement musical de la
manifestation nous suggère qu’il doit s’agir d’une concession diplomatique et
mondaine plutôt que d’une révolution doctrinale ».
Et de fait, Jean Madiran fait remarquer que cette
Déclaration des Droits de l’Homme de 1948 n’a, à l’époque, soulevée dans la
hiérarchie ecclésiale, aucune « ferveur » mais bien plutôt le silence
et la critique. Telle fut l’attitude de Pie XII. Il fallut attendre Jean XXIII
et son Encyclique « Pacem in
Terris » pour trouver dans la bouche de la hiérarchie une louange
sur ce sujet. Il écrit : « Le cardinal Martino a souligné le caractère
tardif de la ferveur vaticane pour les Droits de l’Homme. Elle ne commence
qu’avec Jean XXIII en 1963, soit quinze ans après coup. Sur le moment Pie XII,
qui pourtant aimait lui aussi les concerts de musique classique, resta
silencieux, dans une grande tristesse dont L’Osservatore romano donna
la raison. Cette raison et cette tristesse sont aussi les nôtres aujourd’hui ».
Et Jean Madiran, dans une synthèse merveilleuse, nous
les rappelle. Il écrit :
« Le Cardinal a cependant omis de mentionner une
précision que donnait Jean XXIII : « Certains points de cette
Déclaration, écrivait- il, ont soulevé des objections et fait
l’objet de réserves justifiées. » Il n’indiquait pas lesquelles.
On peut supposer que ce sont, entre autres, celles
exprimées par Jean-Paul II (et que le cardinal Martino a omises elles aussi) :
il avertissait que l’« engagement » à l’égard des Droits de l’Homme est « illusoire,
inefficace et peu durable » s’il est « en marge ou au mépris des droits
imprescriptibles de Dieu ». Il n’y a pas de Dieu dans
Assurément Jean XXIII avait pu apercevoir quelques
bonnes choses dans
Première erreur
: l’égalité des droits. Les hommes sont égaux par nature. Il est faux de penser
que cette égalité de nature entraîne nécessairement une utopique égalité des
droits. Nous le savons avec certitude parce que c’est l’Eglise qui nous l’a
enseigné par sa doctrine sociale contenue dans les documents pontificaux de
Léon XIII à Pie XII.
Seconde erreur,
article 21, § 3 : « La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des
pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections (etc.). »
Non pas : les élections peuvent désigner les gouvernants et législateurs, c’est
une éventualité honnête, ce n’est pas un droit obligatoire. Et la « volonté
du peuple » n’est pas le fondement nécessaire de l’autorité. Ce n’est pas
l’Eglise, du moins jusqu’ici, c’est le chiracommunisme qui proclame : pas de
loi morale supérieure à la loi civile.
La menace :
elle est habituellement inaperçue. C’est qu’elle figure seulement dans les deux
derniers articles, et qu’elle y est un peu voilée ; mais elle ne fait aucun doute.
Les « droits et libertés » énoncés par
D’ici au 10 décembre, et le jour même, on verra s’il
se confirme que l’apparente révolution doctrinale s’efface derrière une simple concession
diplomatique et mondaine ».
JEAN MADIRAN
(1) Article 16
1.
A
partir de l'âge nubile, l'homme et la femme, sans aucune restriction quant à la
race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une
famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et
lors de sa dissolution.
2. Le mariage ne peut être conclu qu'avec le libre et plein consentement des
futurs époux.
3. La famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à
la protection de la société et de l'Etat.
Ce sujet de
Ces Déclarations des Droits
de l’Homme sont fondées sur « la philosophie des Lumières » et donc
sur le rationalisme, le naturalisme. Elles ont répandues dans la vie politique
des Etats le principe majeur de la « laïcité ». Ce principe est le
formel de toute législation actuelle. Elle en constitue le quotidien. C’est ce
que Jean Madiran appelle, à la fin de son article, « la démocratie
totalitaire ». C’est le « principe du laïcisme » qui est la
raison du totalitarisme démocratique.
Aussi faut-il en bien comprendre le sens. Ce sera
l’objet de notre première considération. Nous verrons ensuite que Jean-Paul II
s’est dressé contre ce principe ainsi que
Benoît XVI. Ce qui nous fait espérer que cette commémoration au Vatican
de
Enfin, je terminerai ce « papier » en revenant
sur le concept de démocratie totalitaire.
Jean
Paul II, sur ce concept de « liberté » et de ses constituants
essentiels, a écrit dans l’Encyclique « Evangelium vitae » : « La
liberté se renie elle-même, elle se détruit (…) quand elle ne reconnaît plus et
ne respecte plus son lien constitutif avec la vérité. Chaque fois
que la liberté, voulant s’émanciper de toute tradition et de toute autorité, se
ferme même aux évidences premières d’une vérité objective et commune, fondement
de la vie personnelle et sociale, la personne finit par prendre pour unique et
indiscutable critère de ses propres choix non plus la vérité sur le bien et le
mal, mais seulement son opinion subjective et changeante ou même ses intérêts
égoïstes et ses caprices » ( Encyclique Evangelium
vitae, du 25 mars 1995, n. 19).
Et
c’est pourquoi Jean-Paul II ne craint pas de parler, face au politique, de l’utopie de la « liberté sans la vérité », ce qui n’est rien d’autre que le « principe
de laïcité ».
C’est
très fort.
Il
voit très bien que cette utopie, poussée en son extrême, comme c’est la cas
aujourd’hui, nie finalement les
postulats de l’éthique naturelle – ce n’est pas la vérité objective qui
assure la rationalité juridique et la légalité morale des lois ou des
sentences, mais seulement la vérité relative ou conventionnelle, qui est
le fruit pragmatique du compromis de l’État ou politique.
C’est
pourquoi, Jean-Paul II mettait en garde lors de
Ainsi,
pour le pape Jean-Paul II, Pilate, avec sa remarque « Mais qu’est-ce que la vérité ? » est-il le modèle parfait du
« démocrate » animée du seule « principe de laïcité » qui
refuse et nie toute vérité. Méditant sur le dramatique procès de Jésus,
Jean-Paul II a écrit : « Ainsi, donc, la condamnation de Dieu de la part de l’homme
ne s’appuie pas sur la vérité, mais sur l’abus de pouvoir, sur la conjuration
sournoise. N’est-ce pas précisément la vérité de l’histoire de l’homme, la
vérité de notre siècle ? De nos jours, cette condamnation a été répétée au
sein de nombreux tribunaux dans le contexte des régimes d’oppression
totalitaire. Et ne la répète-t-on pas également dans les parlements
démocratiques, lorsque, par exemple, à travers une loi promulguée en toute
régularité, l’on condamne à mort l’homme qui n’est pas encore né ? » (Entrez dans l’espérance,
Plon/Mame, 1994).
Que
de fois, Jean-Paul II est-il revenu sur
ce sujet.
Là,
le pouvoir laïc grince des dents !
Honneur
à l’Eglise et son Magistère !
Il
faut donc retrouver la vérité. Il faut donc revenir à la « recta ratio ». Tel fut le langage
que le Pape, avec l’influence prépondérante d’année après année du cardinal
Raztinger, a tenu aux hommes politiques.
C’est indispensable si l’on veut œuvrer au bonheur de l’homme. Mais c’était,
par la même, contester le « principe
même de laïcité ».
Il
tenait ce langage déjà dans son fameux discours à l’O.N.U :
« La liberté possède
une ‘‘logique’’ interne qui la qualifie et l’ennoblit : elle est
ordonnée à la vérité et elle se réalise dans la recherche et la mise en
œuvre de la vérité. Séparée de la vérité sur la personne humaine, elle se dégrade
en licence dans la vie individuelle et, dans la vie politique, en arbitraire
des plus forts et en arrogance du pouvoir. C’est pourquoi, loin d’être une
limitation ou une menace pour la liberté, la référence à la vérité de l’homme –
vérité universellement connaissable par la loi morale inscrite dans le cœur de
chacun – est réellement une garantie de l’avenir de la liberté » (8).
Discours du 5 octobre 1995 à l’Assemblée générale de l’ONU pour le 50e anniversaire
de sa fondation : ORLF n. 41 du 10 octobre 1995.
Et
voilà pourquoi Jean-Paul II est peut-être un des Papes qui a le plus parlé et
rappelé le droit naturel et son nécessaire respect. La liberté doit avoir comme
principe la vérité. Et dans le domaine politique, la loi morale naturelle en
est le principe.
En
ce sens, Jean-Paul II a écrit : « la loi naturelle, dans la mesure où elle
réglemente les relations inter-humaines, vaut comme ‘‘droit naturel’’ et, comme
telle, exige le respect de la dignité des personnes dans la recherche du bien
commun. Une conception authentique du droit naturel, entendu comme protection
de la dignité éminente et inaliénable de tout être humain, est garante de
l’égalité et donne un contenu véritable aux ‘‘droits de l’homme’’ qui
constituent les fondements des Déclarations internationales. Les droits de
l’homme, en effet, doivent avoir pour référence ce que l’homme est par nature,
en vertu de sa propre dignité, et non ce qui est l’expression de choix
subjectifs faits par ceux qui jouissent du pouvoir de participer à la vie sociale
ou par ceux qui obtiennent le consentement de la majorité » (Discours
aux participants à l’Assemblée générale de l’Académie pontificale pour
L’idéologie libertaire, substance même du
« principe de laïcité » avec le relativisme moral qui en découle, a
« obscurci, commente le cardinal Herrans, dans son article que je
suis, dangereusement les limites de la
rationalité et de la légitimité du droit. Cela a affaibli profondément l’ordre
juridique démocratique face à la
tentation d’une liberté dénaturée »
Aussi
face à ce relativisme dont se nourrit
par principe le pouvoir politique démocratique actuel, le pape a eu
l’audace de lui dire :
« Les éléments
constitutifs de la vérité objective sur l’homme et sur sa dignité
s’enracinent profondément dans la recta ratio, dans l’éthique et dans le
droit naturel : ce sont des valeurs qui précèdent tout système juridique
positif et que la législation, dans un État de droit, doit toujours préserver,
en les soustrayant à l’arbitraire des individus et à l’arrogance des
puissants » (Discours
aux participants au Symposium international « Evangelium Vitae et
Droit », 23 mai 1996, n. 5. ORLF n. 25 du 18 juin 1996).
Et
j’ajouterai volontiers « à l’expression de la volonté générale »…qui n’est pas, de
soi, nécessairement, la loi…
Jean-Paul
II, sur ce sujet est formel. Il a écrit :
« La dignité de la
personne ne peut pas être sauvée par ces déclarations solennelles si souvent
réitérées dans les moments de crise de confiance en l’avenir, entre le
désespoir et l’utopie. L’homme ne peut retrouver son assurance et sa confiance
qu’en reprenant conscience que sa dignité est intangible, et non pas parce qu’un
Parlement ou une Assemblée en a décidé ainsi, mais parce qu’il est déterminé
ainsi par le fait d’être une personne » ‘J. Vidal
Gallardo, « Secularidad y dignidad de la persona », Actes du
Symposium « Secularización y laicidad en la experiencia democratica
moderna », San-Sebastien, 1996, p. 109.
Aujourd’hui on voudrait légiférer sur les
« unions homosexuels, sur l’euthanasie… Les pressions politiques sur
certains sont très fortes. Jean-Paul II alors se demande :
« L’on peut et même
l’on doit se demander si n’est pas ici à l’œuvre une nouvelle idéologie du mal,
peut-être plus sournoise et cachée, qui tente d’exploiter, contre l’homme et
contre la famille, jusqu’aux droits de l’homme eux-mêmes. Pourquoi tout cela
a-t-il lieu ? Quelle est la racine de ces idéologies post-philosophie des
Lumières ? La réponse en définitive est simple : cela a lieu parce
que l’on a rejeté Dieu comme Créateur, et donc comme source de la
discrimination entre ce qui est bien et ce qui est mal. On a refusé la notion de
ce qui, de manière plus profonde, nous constitue comme êtres humains,
c’est-à-dire la notion de nature humaine comme ‘‘présupposé réel’’ que l’on a
remplacé par un ‘‘produit de la pensée’’ librement formé et librement
modifiable selon les circonstances. ( Mémoire et Identité, op. cit).
Et
je crois que nous pourrions multiplier les citations pour montrer combien le
Pape Jean-Paul II a été fort dans son rappel de la nécessaire quête de la
vérité. On doit dire que Jean-Paul II
n’a pas tu – lui- la vérité sur le pouvoir politique. Il a confessé que l’Etat, pouvoir politiquement souverain,
est cependant soumis à une loi morale qui lui est supérieure, qu’il ne peut
ignorer ni modifier.
Alors qu’il n’était encore que cardinal, il s’adressa aux Sénateurs italiens, le 13 mai 2004. Il leur parle de l’Europe et de
son devenir. Il leur dit : « Nous nous trouvons ainsi face à la question : comment
les choses doivent-elles évoluer ? Dans les violents bouleversements de
notre temps, y a-t-il une identité de l’Europe qui ait un avenir et pour
laquelle nous puissions nous engager entièrement ? Je ne suis pas en mesure de rentrer dans une
discussion détaillée sur la future Constitution européenne. Je voudrais
seulement indiquer brièvement les éléments moraux fondamentaux qui, à mon avis,
devront en faire partie ».
Il
leur rappelle, dans le premier point, le
nécessaire respect de la loi naturelle, de la personne humaine. Loi naturelle,
Personne humaine et sa dignité …sont là des « valeurs précédant toute
juridiction d’Etat ».
« Un premier élément
est l’inconditionnalité avec laquelle la dignité humaine et les droits de
l’homme doivent être présentés comme des valeurs précédant toute juridiction
d’Etat.
Ces droits fondamentaux ne sont pas créés par
le législateur, ni conférés aux citoyens, « mais ils existent
plutôt comme droit propre, ils doivent toujours être respectés par le
législateur, ils s’imposent à lui comme valeurs d’ordre supérieur . Cette
validité de la dignité humaine préalable à toute action et à toute décision
politique renvoie ultime ment au Créateur. Lui seul peut déterminer des valeurs
qui se fondent sur l’essence de l’homme et qui sont intangibles. L’existence de
valeurs qui ne soient pas manipulables par qui que ce soit, est la véritable
garantie de notre liberté et de la grandeur humaine ; la foi chrétienne
voit là le mystère du Créateur et de la condition d’image de Dieu que celui-ci
a conférée à l’homme. »
N’est-ce
pas , là aussi, tout équivalemment dire que « L’Etat, pouvoir
politiquement souverain, est cependant soumis à une loi morale qui lui est
supérieure, qu’il ne peut ignorer ni modifier »
N’est-ce
pas, la encore, s’opposer à la définition de la laïcité telle que nous l’ont
donné et Littré et Renan.
Mais il faut surtout citer
son discours du 8 décembre 2005. Là, il
porte son regard sur le monde moderne,
sur la politique moderne. Il le décrit à
la lumière du péché originel. Il le dit formellement. « Si nous réfléchissons sincèrement à
nous-mêmes et à notre histoire, nous constatons qu'à travers ce récit (du péché
originel) est non seulement décrite l'historie du début, mais l'histoire de
tous les temps, et que nous portons tous en nous une goutte du venin de cette
façon de penser illustrée par les images du Livre de
« Quelle est la situation qui nous est présentée dans
cette page ? L’homme n’a pas confiance en Dieu. Tenté par le serpent, il
nourrit le soupçon que Dieu, en fin de compte, ôte quelque chose à sa vie, que
Dieu est un concurrent qui limite notre liberté et que nous ne serons pleinement des êtres humains que lorsque nous l'aurons mis de côté; en somme,
que ce n'est que de cette façon que nous pouvons réaliser en plénitude notre
liberté. L'homme vit avec le soupçon que l'amour de Dieu crée
une dépendance et qu'il lui est nécessaire de se débarrasser de cette
dépendance pour être pleinement lui-même. L'homme
ne veut pas recevoir son existence et la plénitude de sa vie de Dieu. Il veut
puiser lui-même à l'arbre de la connaissance le pouvoir de façonner le monde,
de se transformer en un dieu en s'élevant à Son niveau, et de vaincre avec ses
propres forces la mort et les ténèbres. Il ne veut pas compter sur l'amour
qui ne lui semble pas fiable; il compte uniquement sur la connaissance, dans la
mesure où celle-ci confère le pouvoir. Plutôt
que sur l'amour il mise sur le pouvoir, avec lequel il veut prendre en main de
manière autonome sa propre vie. Et en agissant ainsi, il se fie au mensonge
plutôt qu'à la vérité et cela fait
sombrer sa vie dans le vide, dans la mort…
Nous vivons de manière juste, si
nous vivons selon la vérité de notre être, c'est-à-dire selon la volonté de
Dieu. Car la volonté de Dieu ne constitue pas pour l'homme une loi imposée
de l'extérieur qui le force, mais la mesure intrinsèque de sa nature, une
mesure qui est inscrite en lui et le rend image de Dieu, et donc une créature
libre. Si nous vivons contre l'amour et
contre la vérité – contre Dieu – , alors nous nous détruisons réciproquement et
nous détruisons le monde. Alors nous
ne trouvons pas la vie, mais nous faisons le jeu de la mort. Tout cela est
raconté à travers des images immortelles dans l'histoire de la chute originelle
et de l'homme chassé du Paradis terrestre ».
L’autonomie ! Voilà la
revendication moderne, la politique contemporaine. Mais c’est là un drame, nous
dit Benoît XVI. Il parle de « la
dimension dramatique du fait d'être autonome ». C’est dire
qu’ « être
véritablement un homme comprend la liberté de dire non, de descendre au fond
des ténèbres du péché et de vouloir agir seul; que ce n'est qu'alors que l'on peut exploiter totalement toute
l'ampleur et la profondeur du fait d'être des hommes, d'être véritablement
nous-mêmes; que nous devons mettre cette liberté à l'épreuve, également contre
Dieu, pour devenir en réalité pleinement nous-mêmes. En un mot, nous
pensons au fond que le mal est bon, que nous avons au moins un peu besoin de
celui-ci pour faire l'expérience de la plénitude de l'être. … Nous pensons que
traiter un peu avec le mal, se réserver un peu de liberté contre Dieu est au
fond un bien, et peut-être même absolument nécessaire.
Cependant, en regardant le monde autour de nous, nous constatons qu'il n'en est
pas ainsi, c'est-à-dire que le mal empoisonne toujours, il n'élève pas l'homme,
mais l'abaisse et l'humilie, il ne le rend pas plus grand, plus pur et plus
riche, mais il lui cause du mal et le fait devenir plus petit…L’homme qui
s'abandonne totalement entre les mains de Dieu ne devient pas une marionnette
de Dieu, une personne consentante, ennuyeuse; il ne perd pas sa liberté. Seul
l'homme qui se remet totalement à Dieu trouve la liberté véritable, l'ampleur
vaste et créative de la liberté du bien. L'homme qui se tourne vers Dieu ne
devient pas plus petit, mais plus grand, car grâce à Dieu et avec Lui il
devient grand, il devient divin, il devient vraiment lui-même. L'homme qui se
remet entre les mains de Dieu ne s'éloigne pas des autres en se retirant dans
sa rédemption en privé; au contraire, ce n'est qu'alors que son cœur s'éveille
vraiment et qu'il devient une personne sensible et donc bienveillante et
ouverte ».
Tel est le regard que Benoît
XVI porte sur le monde moderne. Ce regard est « ontologique »,
« essentiel ». Il nous fait penser au jugement que nous donnait déjà Jacques Maritain dans son fameux livre
« Antimoderne ». Cela vaut
la peine d’être rappelé.
« Désormais l’animal raisonnable va s’appuyer sur
lui-même, la pierre d’angle ne sera plus le Christ. L’esprit d’indépendance absolue, qui, en définitive, porte l’homme à
revendiquer pour lui-même l’ « aséité », et que l’on peut appeler l’esprit de la Révolution
antichrétienne, s’introduit victorieusement en Europe, avec la Renaissance et
la Réforme, il soustrait à l’ordre chrétien ici la sensibilité esthétique et
toutes les curiosités de l’esprit, là la spiritualité religieuse et la volonté,
et vise à remplacer partout le culte des Trois Personnes divines par le culte du Moi humain. Réprimé au XVII
siècle, lancé au XVIII et au XIX siècle à la conquête de l’univers, servi avec
persévérance et habileté par la contre-église maçonnique, il réussit à écarter Dieu de
tout ce qui est centre de pouvoir ou d’autorité dans les peuples…L’homme
s’isole…il se soustrait à Dieu par antithéologisme et à l’être par idéalisme.
Il se replis sur soi, s’enferme comme un tout puissant dans sa propre
immanence, fait tourner l’univers autour de sa cervelle, s’adore enfin comme
étant l’auteur de la vérité par sa pensée et l’auteur de la loi par sa
volonté ».
Le jugement est le même,
« ontologique» prenant en compte le fait du péché originel.
Vraiment
la pensée des papes, de tous les papes, pas seulement de Jean-Paul II et de Benoît XVI, est à l’opposée du « principe de laïcité » tel que
définit par Littré et Renan et bien exposé par Jean Madiran dans le premier
chapitre de son très précieux ouvrage : « La laïcité dans l’Eglise » que je vous ai transcrit en
A.
D- « La démocratie des mœurs »
Et on comprend bien qu’il en
soit ainsi.
Au seul titre des principes.
L’Eglise, de fait, dresse
principe contre principe.
Mais aussi on comprend cette
opposition irréductible à la seule vue des conséquences du « principe de laïcité » lorsqu’il est
appliqué sans retenue dans le « domaine des mœurs ». C’est ce que va
exposer Jean Madiran dans son ultime chapitre : « la démocratie des mœurs ». C’est
l’appendice IV de l’ouvrage.
Je vous en donne le bref
texte.
« C’est en 1998 que le
parti socialiste a proposé les « pacs » ; pacte civil de
solidarité, dont le principal effet est d’institutionnaliser les couples
homosexuels. Le parti socialiste nous avertissait :
-Le pacs est une grande réforme de société, comparable à la loi sur
l’IVG.
Le « débat » est
donc ouvert, nous prévenait l’éditorial du quotidien parisien du soir, (Le
Monde) laissant prévoir que tout
naturellement l’on envisageait ensuite de donner des enfants aux couples homosexuels par la voie de l’adoption et par
celle de la procréation artificielle. Ce « débat », précisait
l’éditorial d’inspiration paleo-trotskiste, doit être mené dans le cadre rationnel
de la démocratie des mœurs ».
La « démocratie des
mœurs, qu’est-ce donc ?
On nous le dit et sous la
formule nouvelle nous reconnaissons l’idée ancienne, mais désormais régnante,
selon laquelle « la règle ne peut
naître que du libre débat », et qui veut « que toute référence à un principe soit elle-même soumise à la
discussion ».
La question demeure toutefois
de savoir qui arbitre la discussion et qui conclut le débat.
La démocratie actuelle veut
que ce soit l’établissement d’un consensus quasi unanime ou largement
majoritaire. La définition stricte de la démocratie la représentait comme le
régime politique où le suffrage universel désigne les législateurs et
éventuellement le président (comme Mitterrand) ou le monarque (comme Napoléon
III). La « démocratie des
mœurs » ne s’arrête pas là : elle soumet, même les
« principes », au débat pour un consensus absolu ou relatif, naturel
ou artificiel.
Le scientifique, le
philosophe n’admettent rien qu’ils n’aient éprouvé et vérifié selon les
méthodes propres aux sciences ou à la philosophie. Ils ne répugnent pas, dans
leurs recherches et dans leurs vérifications, aux débats avec leur pairs,
supposés compétents, des académies scientifiques ou philosophiques. La
« démocratie des mœurs » veut en somme que tous les citoyens, désormais, soumettent eux-mêmes tous les sujets à des débats où ils pratiquent ensemble les
remises en cause du philosophe et les vérifications du scientifique.
L’objection principale n’est
pas l’incompétence probable de la plupart des citoyens. Seraient-ils supposés
compétents, l’objection principale demeurerait dans toute sa force : le débat entre citoyen, dans la
« démocratie des mœurs », n’est pas le même débat que celui entre
philosophes ou entre savants.
Le « consensus »
s’impose comme règle et loi aux citoyens de la « démocratie des mœurs » ;
il clôt la discussion. Au contraire, les incessants révolutions intellectuelles
qui, pour le meilleur ou pour le pire, bouleversent les sciences et la
philosophie se produisent en général à l’encontre du consensus des académies
compétentes : ce consensus ne s’impose ni au philosophe ni au savant, ils n’y sont pas soumis, ils ne
cèdent qu’à l’évidence (ou à l’illusion) de la vérité.
Le débat démocratique a pour
règle et pour but l’établissement d’un consensus, au prix de retranchements
réciproques sur les convictions qui s’opposent. Le débat philosophique ou
scientifique a pour règle et pour but la victoire d’une certitude nouvelle sur
une certitude ancienne (ou inversement la confirmation d’une certitude ancienne
par la défaite d’une certitude nouvelle
mal fondée). Le consensus démocratique
peut s’établir, et même s’établit de préférence en dehors de la réalité, il est
à lui-même sa seule loi. La
discussion scientifique ou philosophique recherche au contraire une meilleure
adéquation au réel.
L’idée aujourd’hui dominante
est que « dans d’autres systèmes, le
problème (par exemple : le
problème moral, comme pour le pacs) est
résolu d’avance (sic) par la
référence à une théologie ou une
idéologie normative » ; « en démocratie, rien de tel ». Mais si : dans la
démocratie qui n’est plus simplement la désignation des législateurs et des
gouvernants au suffrage universel, -
dans la « démocratie des mœurs », il y a un dogme pré-établi ;
un dogme obligatoire ; un dogme négatif,
mais qui n’en est pas moins
« normatif » : le dogme
selon lequel il n’y a rien d’antérieur et de supérieur aux humains et à leurs
sociétés. D’où, parfait résumé, la formule du candidat Chirac répondant au
pape Jean-Paul II : « Non à une
loi morale qui primerait la loi civile ». (Enquête du Journal du
Dimanche auprès des candidats à la présidence, 2 avril 1995). Le candidat
Chirac a été élu sur ce programme (à
cause, ou bien malgré, comme on
voudra). Aucune autorité morale ou religieuse n’a élevé la voix pour dire aux
chrétiens :
-Tant qu’il n’aura pas abjuré ce blasphème, ne votez
pas pour lui.
Le principe de la laïcité
républicaine à la française ne permettrait pas une intervention publique de
cette sorte. La laïcité galopante de l’Eglise en France l’empêchait de
seulement en imaginer l’éventualité.
La formule chiraquienne
est bien celle d’une théophanie militante. Pas toujours consciente, mais toujours impliquée dans le refus de
quoi que ce soit de supérieur à l’arbitraire humain. Il n’y a donc plus de Dieu
créateur, législateur et fin dernière. La « théophanie » aujourd’hui dominante n’impose pas (pas
encore ?) d’abjurer publiquement la foi en Dieu. Elle impose de la garder
en silence. Dieu est interdit en public, il est interdit en politique, il est
interdit dans les « problèmes de société », il est interdit dans la
« démocratie des moeurs ». Preuve de l’interdiction :
aucun évêque n’a cru pouvoir oser faire remarquer que le saisissant résumé
chiraquien, le non de Chirac à une
loi morale qui primerait la loi civile est forcément une proclamation
d’athéisme : l’athéisme militant qui, par l’adhésion présidentielle et par
l’installation souveraine de la « démocratie des mœurs »,
gouverne aujourd’hui au nom du principe de laïcité une France captive ».
I-« La condition du droit à l’existence »
Un « France
captive » ! Heureuse formule par sa triste justesse.
Et si, comme nous l’avons vu,
la papauté dans la bouche de ses derniers pontifes, garde, elle, toute liberté
de dénoncer l’erreur et de rappeler le vrai, il n’en est pas ainsi
–malheureusement – de l’épiscopat français.
La preuve ?
Voyez l’entretien de l’ancien
président de l’épiscopat français, Mgr Ricard, au quotidien « Le
Figaro ».
Vous le trouvez dans le numéro du 30 janvier 2004.
Jean Madiran le commente dans
son livre « La laïcité dans
l’Eglise » dans un chapitre qu’il intitule
« La condition du droit à l’existence ».
En voici quelques
passages !
« Le 30 janvier 2004, le
président de l’épiscopat, Mgr Ricard, donne ès qualités une grande et grave
interview au quotidien Le Figaro.
Le président Ricard y atteste
et proclame que « la loi sur la laïcité » qui va être examinée par
l’Assemblée nationale à partir du 3 février, « ne menace pas la liberté
religieuse ».
C’est sans doute cette
caution-là que le président de
Cela n’empêche pas
l’interviewer de maintenir au passage quelques « réserves »,
notamment à propos de l’islam :
« Nos concitoyens s’inquiètent des initiatives et des pressions venues de
groupes politico-religieux liés à l’islam… »
(Mais en vérité c’est l’islam
tout entier qui est « politico-religieux ».)
« ….qui voudraient imposer leurs coutumes et leurs traditions
communautaires à la société française. Une loi n’effacera pas cette inquiétude »
On ne sait pas s’il tient
toujours à ce que la religion catholique bénéficie d’un « traitement
différentiel », comme il le réclamait quelques jours plus tôt, c’était le
18 janvier. Car maintenant il déclare :
« Nous ne réclamons aucun privilège, mais seulement l’application d’une
laïcité qui n’exclue pas l’expression sociale du christianisme. »
Il maintient cependant que
l’islam est hétérogène à la « sensibilité » française :
« En France, il y a davantage de clochers que de
minarets. L’oublier serait nier la sensibilité profonde de beaucoup de français
(….) le Christianisme a contribué à façonner l’Europe. Il peut aujourd’hui
aider à donner une âme à sa construction politique et économique. »
C’est dans la dernière
colonne de sa déclaration au Figaro que l’on voit apparaître deux anomalies
assez étranges.
La première est déjà grave,
bien que mineure. Concernant la suppression du lundi de Pentecôte, il
reconnaît : « On nous avait
promis une consultation, mais rien n’est venu ».
De la part du gouvernement,
c’est plus que de la désinvolture. Et malgré cela, Mgr Ricard ajoute
aussitôt : « Les points de
désaccord ne doivent pas donner à penser qu’il y aurait aujourd’hui une
dégradation des relations entre l’Eglise catholique et les responsables de
l’Etat. Ces relations restent bonnes. »
Ah, les relations restent
bonnes ! Suffit-il donc de le dire pour que cela devienne vrai ?
La seconde est une anomalie
majeure. Elle est dans la conclusion :
« Toutes les
composantes religieuses doivent avoir droits de cité, publiquement, à condition
de savoir aussi donner leur place aux autres et de ne pas se mettre en
contradiction avec les grands principes de
Relisons.
Condition pour qu’une religion ait droit à l’existence
dans
On croit rêver. Ces « grands principes »,
c’est la mixité généralisée, composante obligatoire du principe essentiel de
laïcité, ainsi que l’affirme l’exposé des motifs de la nouvelle loi laïque. Ce
sont les « droits de l’homme », et parmi eux le « droit à
l’avortement ». Et aussi l’éducation morale des enfants entièrement et
sans appel soumise à l’autorité de l’Etat. Demain peut-être, parmi ces « grands
principes », on verra figurer le droit à l’euthanasie, le mariage
homosexuel, et Dieu sait quoi encore !...
Plus fondamentalement encore,
quelles que soient les suites de l’évolution fantaisiste et illimitée de ces
« grands principes de
Et ce fut un jour sombre,
annonciateur de grands malheurs, ce jour du 30 janvier 2004 où le président de
l’épiscopat français situa la légitimité de l’Eglise ailleurs que dans sa
mission divine ». (p.77-80)
Nos évêques sont-ils tous unis comme les doigts d’une
main ? C’est ce que j’entends dire.
Si c’est encore vrai en cette affaire,
c’est aussi un autre grand
malheur !