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Un regard sur le monde

politique et religieux

 

au 21 novembre  2008

 

N° 191

 

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

 

 

 

 

Le Saint-Siège fait la fête

pour les Droits de l’Homme

 

 

« Est-ce une concession diplomatique et mondaine ou une  révolution doctrinale ?»

J’attache tellement d’importance à ce texte, que si le Bon Dieu me rappelait aujourd’hui à lui, il serait  mon testament.

 

 

 

 

 

Jean Madiran, dans Présent du mercredi 19 novembre 2008, nous apprend que « le 10 décembre prochain, le Saint-Siège fêtera, avec solennité et jubilation, le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme ».

 

Il nous dit que : « l’initiative en revient au cardinal Renato R. Martino, président du Conseil pontifical Justice et Paix. Il en a énuméré les festivités, la principale étant évidemment celle où la présence du Pape est attendue : un concert donné par l’orchestre de l’Opéra de Francfort, qui jouera des œuvres de Mendelssohn, de Mozart et de Manuel de Falla, sous la direction du Compositeur, Directeur et Maestro Inma Shara…».

 

Et il souhaite, tout comme nous, que cette initiative soit plus « une concession diplomatique et mondaine qu’une révolution doctrinale : «  le caractère principalement musical de la manifestation nous suggère qu’il doit s’agir d’une concession diplomatique et mondaine plutôt que d’une révolution doctrinale ».

 

Et de fait, Jean Madiran fait remarquer que cette Déclaration des Droits de l’Homme de 1948 n’a, à l’époque, soulevée dans la hiérarchie ecclésiale, aucune « ferveur » mais bien plutôt le silence et la critique. Telle fut l’attitude de Pie XII. Il fallut attendre Jean XXIII et son Encyclique « Pacem in  Terris » pour trouver dans la bouche de la hiérarchie une louange sur ce sujet. Il écrit : « Le cardinal Martino a souligné le caractère tardif de la ferveur vaticane pour les Droits de l’Homme. Elle ne commence qu’avec Jean XXIII en 1963, soit quinze ans après coup. Sur le moment Pie XII, qui pourtant aimait lui aussi les concerts de musique classique, resta silencieux, dans une grande tristesse dont L’Osservatore romano donna la raison. Cette raison et cette tristesse sont aussi les nôtres aujourd’hui ».

 

Et Jean Madiran, dans une synthèse merveilleuse, nous les rappelle. Il écrit :

 

« Le Cardinal a cependant omis de mentionner une précision que donnait Jean XXIII : « Certains points de cette Déclaration, écrivait- il, ont soulevé des objections et fait l’objet de réserves justifiées. » Il n’indiquait pas lesquelles.

On peut supposer que ce sont, entre autres, celles exprimées par Jean-Paul II (et que le cardinal Martino a omises elles aussi) : il avertissait que l’« engagement » à l’égard des Droits de l’Homme est « illusoire, inefficace et peu durable » s’il est « en marge ou au mépris des droits imprescriptibles de Dieu ». Il n’y a pas de Dieu dans la Déclaration de 1948, pas même la vague invocation de la « présence de l’Etre suprême » qui figurait en tête de la Déclaration de 1789.

 

Assurément Jean XXIII avait pu apercevoir quelques bonnes choses dans la Déclaration de 1948, surtout sans doute l’article 16 (malheureusement isolé au milieu des autres, voire contredit par eux) (1) Mais cette Déclaration contient deux erreurs inacceptables et aussi une grave menace politique.

 

Première erreur : l’égalité des droits. Les hommes sont égaux par nature. Il est faux de penser que cette égalité de nature entraîne nécessairement une utopique égalité des droits. Nous le savons avec certitude parce que c’est l’Eglise qui nous l’a enseigné par sa doctrine sociale contenue dans les documents pontificaux de Léon XIII à Pie XII.

 

Seconde erreur, article 21, § 3 : « La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections (etc.). » Non pas : les élections peuvent désigner les gouvernants et législateurs, c’est une éventualité honnête, ce n’est pas un droit obligatoire. Et la « volonté du peuple » n’est pas le fondement nécessaire de l’autorité. Ce n’est pas l’Eglise, du moins jusqu’ici, c’est le chiracommunisme qui proclame : pas de loi morale supérieure à la loi civile.

 

La menace : elle est habituellement inaperçue. C’est qu’elle figure seulement dans les deux derniers articles, et qu’elle y est un peu voilée ; mais elle ne fait aucun doute. Les « droits et libertés » énoncés par la Déclaration ne sont valables « en aucun cas » pour ceux qui la critiquent. C’est le principe de la démocratie totalitaire, érigée en obligatoire religion d’Etat.

 

D’ici au 10 décembre, et le jour même, on verra s’il se confirme que l’apparente révolution doctrinale s’efface derrière une simple concession diplomatique et mondaine ».

 

JEAN MADIRAN

 

(1) Article 16

1.        A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.
2. Le mariage ne peut être conclu qu'avec le libre et plein consentement des futurs époux.
3. La famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l'Etat.

 

Ce sujet de la Déclaration des Droits de l’Homme, tant celle de 1789 que celle de 1948, me parait tellement important qu’il faut sans cesse revenir sur la question.

 

Ces Déclarations des Droits de l’Homme sont fondées sur « la philosophie des Lumières » et donc sur le rationalisme, le naturalisme. Elles ont répandues dans la vie politique des Etats le principe majeur de la « laïcité ». Ce principe est le formel de toute législation actuelle. Elle en constitue le quotidien. C’est ce que Jean Madiran appelle, à la fin de son article, « la démocratie totalitaire ». C’est le « principe du laïcisme » qui est la raison du totalitarisme démocratique.

Aussi faut-il en bien comprendre le sens. Ce sera l’objet de notre première considération. Nous verrons ensuite que Jean-Paul II s’est dressé contre ce principe ainsi que  Benoît XVI. Ce qui nous fait espérer que cette commémoration au Vatican de la Déclaration des Droits de l’Homme est  une simple concession « diplomatique et mondaine », nullement « doctrinale ». J’ose le croire. A suivre !

Enfin, je terminerai ce « papier » en revenant sur le concept de démocratie totalitaire.

 

 

Le Principe de laïcité

Jean Madiran, le maître en cette matière, a publié un livre majeur aux éditions « Consep »  sur la laïcité et sur le laïcisme.  Il l’a intitulé « La laïcité dans l’Eglise ». (13 rue Saint-Honoré, 78000 Versailles)

C’est un très beau livre qu’il faut lire. Les jeunes diraient : « Il est super… ». Il oblige à la réflexion.

Il  nous rappelle les grandes vérités sur la laïcité, sur le « laïcisme », sur le « principe de laïcité » et surtout il insiste, comme un témoin  à charge, sur la pénétration de cette notion dans la pensée épiscopale française, mais point dans la pensée de Jean-Paul II et de Benoît XVI. Ce qui nous laisse espérer un redressement!

Dans son premier chapitre intitulé « Le sens usuel d’un mot à double sens », il  nous précise le sens que les « Républicains » ont attaché à ce mot de « Laïcité ».

A cette lumière, nous pourrons apprécier les légitimes réactions d’un Jean Paul II, d’un Benoît XVI. Mais nous pourrons aussi  mieux comprendre la faiblesse de la position de l’épiscopat français.  Nous comprendrons alors le sens du titre de Jean Madiran : « La laïcité dans l’Eglise ». « La laïcité dans l’Eglise »…  Mais c’est la volonté expresse des « Républicains » qui ont façonné ce concept : « Laîcité-Laîcisme ». Mais c’est aussi - et c’est plus grave – la « capitulation » d’une certaine théologie.

C’est donc bien trois idées que je vais développer ici.

Et tout d’abord définissons les concepts.

A-« Le sens usuel d’un mot à double sens »

C’est le premier chapitre du livre de Jean Madiran.

« On dit (non sans raison) que la laïcité est entrée dans l’histoire de l’humanité avec le christianisme : une innovation évangélique, inspirant l’édification d’une doctrine catholique.

Une innovation évangélique : « Rendez à César… Et à Dieu… »

Une doctrine catholique : la doctrine de la distinction des deux pouvoirs, le temporel et le spirituel, chacun étant souverain dans son domaine.

En 1958, quand fut rédigée la Constitution qui est encore la nôtre, la  constitution de la Ve République, l’affirmation constitutionnelle que « la France est une République laïque » suscita de vives objections, auxquelles il fut répondu : « si la République n’était pas  laïque, elle serait donc ecclésiastique ?

En ce sens le pouvoir temporel est en effet laïc ; cette « laïcité » est saine et légitime.

Malheureusement, il y a tromperie : car ce sens-là n’est pas en France,  le sens usuel dans la langue politique, médiatique, scolaire, culturelle.

Littré et Renan sont les contemporains de l’apparition du concept de « laïcité » dans le vocabulaire et la politique française. Le mot de laïcité, le mot abstrait lui-même, n’était pas couramment employé, selon le Robert historique de la langue française, avant la seconde moitié du XIX siècle.

L’apparition du mot est contemporaine aux travaux de Littré (1863 à 1872), qui ne l’inscrit que dans le « Supplément » à son Dictionnaire de la langue française. Et c’est avec un sens redoutable que Littré l’y inscrit. Car s’il indique premièrement que la laïcité est le « caractère de ce qui est laïque », et s’il définit laïque : « qui n’est ni ecclésiastique ni religieux », il indique secondairement :

« Conception politique et sociale impliquant la séparation de la religion et de la société civile ».

Ainsi donc se manifeste l’idée de séparation, qui n’était ni dans la parole évangélique ni dans la doctrine catholique, lesquelles s’en tenaient à la « distinction » de deux pouvoirs, sans les opposer ni les séparer, mais en les invitant au contraire à coopérer.

En outre, « société civile » chez Littré ne s’entend pas au sens actuel, par distinction d’avec le métier politique (nous parlons par exemple de ministres pris dans la « société civile » et non dans la « classe politique »). Ici Littré entend pas société civile tout ce qui n’est pas  la société ecclésiastique. Séparer la religion de la société civile, ce n’est donc pas seulement séparer l’Etat et l’Eglise, mais séparer la religion de toute l’étendue de la vie publique et la réduire à rester enfermée dans la vie privée.

Parallèlement, Renan donne de la laïcité une définition distincte mais convergente, dans son discours pour la réception de Pasteur à l’Académie, le 27 avril 1882. Parmi les « faits prépondérants » de l’époque il désigne :

« ….le progrès continu de la laïcité, c’est-à-dire de l’Etat neutre entre les religions, tolérant pour tous les cultes… ».

Pour les nigauds, pour les électeurs, la neutralité religieuse de l’Etat et sa tolérance présenteront avec un sourire l’aimable visage d’une laïcité ouverte, paisible et conciliante. Et l’on s’en tiendra là : pas de disputes, pas d’affrontement, neutralité, tolérance tranquille. Mais la phrase n’est pas terminée. Reprenons. La laïcité c’est donc :

« …L’Etat neutre entre les religions, tolérant pour tous les cultes et forçant l’Eglise à lui obéir sur ce point capital ».

Ce point est en effet capital. Pourquoi la laïcité devient-elle tout à coup un évident abus de pouvoir, l’Etat forçant l’Eglise a lui obéir ? Il s’agissait de faire que l’Etat soit « neutre » et « tolérant ». Si quelqu’un doit éventuellement être « forcé », c’est l’Etat . Et c’est bien ce que l’on nous répète depuis un siècle : pas d’Etat confessionnel, pas d’Etat favorisant une religion plutôt qu’une autre, un Etat neutre et tolérant, qui laisse à chaque religion, et bien sûr à l’Eglise, son entière liberté. Pour réaliser ce programme laïque, on n’a pas besoin de contraindre l’Eglise d’y donner son approbation et sa bénédiction. L’Eglise est ce qu’elle est, à l’écart de l’Etat, séparée de l’Etat, et l’Etat, séparé de l’Eglise, met en œuvre de son côté sa conception politique de la tolérance et de la neutralité.

Eh bien non. La laïcité veut davantage. Elle  ne se contente pas d’avoir un Etat séparé, déclaré neutre et tolérant. Elle veut que cet Etat, au nom de la tolérance et de la neutralité, force l’Eglise à lui obéir. Obéir en quoi et pourquoi ? Si elle est séparée de l’Etat, l’Eglise  n’a aucun pouvoir de porter atteinte à la neutralité et à la tolérance établies dans l’Etat et par l’Etat.
Mais voilà : l’Eglise peut exprimer un avis différent, voire contraire. Quand elle prêche le « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu », elle prêche que César lui aussi doit rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est-à-dire reconnaître et observer la loi de Dieu dans le domaine moral et religieux. L’Eglise n’impose pas une telle reconnaissance ; voudrait-elle l’imposer par contrainte, elle n’aurait aujourd’hui aucun moyen de le faire. Mais cela ne suffit pas. La Laïcité veut qu’elle cesse de le dire, elle veut qu’on force l’Eglise à obéir sur ce point capital, elle v eut que l’Eglise se taise à ce sujet.

Précisément, que l’Eglise taise deux choses :

-que l’Etat, pouvoir politiquement autonome, est cependant soumis à une loi morale qui lui est supérieure, qu’il ne peut ignorer ni modifier ;

-que l’Eglise catholique est la seule détentrice de la vérité religieuse tout entière.

Et donc, qu’au contraire :

-l’Eglise accepte, jusque dans l’ordre moral et dans la définition du bien et du mal, la supériorité de la loi civile, émanation de la souveraine volonté générale ;

-et que l’Eglise ne prétende plus être la seule à détenir la vérité religieuse intégrale.

La Laïcité n’est donc pas seulement une conception politique et sociale. Inséparablement, elle est une conception impérieuse de ce qu’il est permis ou non à l’Eglise d’enseigner à ses fidèles.

Ce n’est plus simplement la « laïcité de l’Etat ». C’est une obligatoire laïcité de l’Eglise.

Comme quoi la définition de la laïcité par Littré et par Renan contenait l’annonce de ce qui s’est passé ensuite et de ce que nous vivons présentement dans les derniers progrès du « principe de laïcité ». (p. 9-15) 

B- La pensée de Jean-Paul II

 

Jean Madiran a terminé son analyse sémantique sur le mot « Laïcité » par ces dernières phrases :

« Mais voilà : l’Eglise peut exprimer un avis différent, voire contraire. Quand elle prêche le « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu », elle prêche que César lui aussi doit rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est-à-dire reconnaître et observer la loi de Dieu dans le domaine moral et religieux. L’Eglise n’impose pas une telle reconnaissance ; voudrait-elle l’imposer par contrainte, elle n’aurait aujourd’hui aucun moyen de la faire. Mais cela ne suffit pas. La Laïcité veut qu’elle cesse de le dire, elle veut qu’on force l’Eglise à obéir sur ce point capital, elle v eut que l’Eglise se taise à ce sujet »

Voilà des phrases capitales.

Voilà précisément ce à quoi n’a jamais  consenti l’Eglise et la papauté. L’Eglise a toujours rappelé aux pouvoirs politiques qu’ils doivent respect à  Dieu et à sa loi naturelle dans leur action politique, dans leur législation. La loi civile n’est pas au dessus de la loi morale. Elle doit s’y conformer. Ce fut certainement tout l’enseignement des Pontifes au cours des siècles. Et il n’a pas changé avec l’instauration dans les Etats du « principe de laïcité » dont Jean Madiran vient de nous rappeler tout le sens. Bien au contraire.

Il faut reconnaître que Jean Paul II a mis une insistance toute particulière en ce domaine, surtout dans les dernières années de son Pontificat.

Je me permettrais de vous rappeler un certain nombre de ses affirmations, prises dans ces différentes interventions, celles –là mêmes que le cardinal Julián  Herranz nous a présentées dans son magnifique article de l’Osservatore Romano du 21 juin 2005.

Jean-Paul II, dans son discours à un groupe d’évêques des Etats-Unis en visite ad limina,  leur disait :

 « Nous arrivons au terme d’un siècle qui commença avec confiance avec la perspective, de la part de l’humanité, d’un progrès presque illimité, mais qui est en train de se conclure sous le voile de l’effroi et de la confusion morale » (cf. Discours à la 50ème Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies, 5 Octobre 1995, nn. 16-18) ». 

Mais quelle a été la cause principale de cette situation d’« effroi et de confusion morale » et où doit-on découvrir, en ce début de Troisième Millénaire, les principes d’ordre ? On pourrait résumer la pensée de Jean-Paul II en disant : La cause de cette confusion morale fut l’oubli de la vérité, ou la dichotomie mise entre la liberté et la vérité. Le retour à l’ordre politique ne se fera pas sans le retour à la vérité. Liberté. Vérité. Voilà les deux maillons nécessaires de la chaîne. Deux maillons qu’il faut tenir ensemble, nécessairement. 

Jean Paul II, sur ce concept de « liberté » et de ses constituants essentiels, a écrit dans l’Encyclique « Evangelium vitae » : « La liberté se renie elle-même, elle se détruit (…) quand elle ne reconnaît plus et ne respecte plus son lien constitutif avec la vérité. Chaque fois que la liberté, voulant s’émanciper de toute tradition et de toute autorité, se ferme même aux évidences premières d’une vérité objective et commune, fondement de la vie personnelle et sociale, la personne finit par prendre pour unique et indiscutable critère de ses propres choix non plus la vérité sur le bien et le mal, mais seulement son opinion subjective et changeante ou même ses intérêts égoïstes et ses caprices » ( Encyclique Evangelium vitae, du 25 mars 1995, n. 19).

 

Et c’est pourquoi Jean-Paul II ne craint pas de parler, face au politique,  de l’utopie de la « liberté sans la vérité », ce  qui n’est rien d’autre que le « principe de laïcité ».

 

C’est très fort.

 

Il voit très bien que cette utopie, poussée en son extrême, comme c’est la cas aujourd’hui,  nie finalement les postulats de l’éthique naturelle – ce n’est pas la vérité objective qui assure la rationalité juridique et la légalité morale des lois ou des sentences, mais seulement la vérité relative ou conventionnelle, qui est le fruit pragmatique du compromis de l’État ou politique.

 

C’est pourquoi, Jean-Paul II mettait en garde lors de la Rencontre mondiale des Professeurs d’Université en l’an 2000 : « Il est urgent que nous œuvrions afin que le véritable sens de la démocratie, conquête authentique de la culture, (NDLR On peut en discuter !) soit totalement préservé. Sur ce thème apparaissent en effet des dérives inquiétantes, lorsque l’on assimile la démocratie à une pure procédure, ou lorsque l’on pense que la volonté exprimée par la majorité suffit ‘‘tout court’’ à déterminer le caractère moral d’une loi. En réalité, ‘‘la valeur de la démocratie, se maintient ou disparaît en fonction des valeurs qu’elle incarne et promeut […] Le fondement de ces valeurs ne peut se trouver dans des ‘majorités’ d’opinion provisoires et fluctuantes, mais seulement dans la reconnaissance d’une loi morale objective ». (Discours du 9 septembre 2000,n. 6, Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XXIII/2 (2000) p.357 ; cf. ORLF n. 37 du 12 septembre 2000).

 

Ainsi, pour le pape Jean-Paul II, Pilate, avec sa remarque « Mais qu’est-ce que la vérité ? »  est-il le modèle parfait du « démocrate » animée du seule « principe de laïcité » qui refuse et nie toute vérité. Méditant sur le dramatique procès de Jésus, Jean-Paul II a écrit : « Ainsi, donc, la condamnation de Dieu de la part de l’homme ne s’appuie pas sur la vérité, mais sur l’abus de pouvoir, sur la conjuration sournoise. N’est-ce pas précisément la vérité de l’histoire de l’homme, la vérité de notre siècle ? De nos jours, cette condamnation a été répétée au sein de nombreux tribunaux dans le contexte des régimes d’oppression totalitaire. Et ne la répète-t-on pas également dans les parlements démocratiques, lorsque, par exemple, à travers une loi promulguée en toute régularité, l’on condamne à mort l’homme qui n’est pas encore né ? » (Entrez dans l’espérance, Plon/Mame, 1994).

 

Que de fois, Jean-Paul II est-il  revenu sur ce sujet.

Là, le pouvoir laïc grince des dents !

Honneur à l’Eglise et son Magistère !

 

Il faut donc retrouver la vérité. Il faut donc revenir à la « recta ratio ». Tel fut le langage que le Pape, avec l’influence prépondérante d’année après année du cardinal Raztinger,  a tenu aux hommes politiques. C’est indispensable si l’on veut œuvrer au bonheur de l’homme. Mais c’était, par la même, contester le « principe même de laïcité ».

 

Il tenait ce langage déjà dans son fameux discours à l’O.N.U :

« La liberté possède une ‘‘logique’’ interne qui la qualifie et l’ennoblit : elle est ordonnée à la vérité et elle se réalise dans la recherche et la mise en œuvre de la vérité. Séparée de la vérité sur la personne humaine, elle se dégrade en licence dans la vie individuelle et, dans la vie politique, en arbitraire des plus forts et en arrogance du pouvoir. C’est pourquoi, loin d’être une limitation ou une menace pour la liberté, la référence à la vérité de l’homme – vérité universellement connaissable par la loi morale inscrite dans le cœur de chacun – est réellement une garantie de l’avenir de la liberté » (8). Discours du 5 octobre 1995 à l’Assemblée générale de l’ONU pour le 50e anniversaire de sa fondation : ORLF n. 41 du 10 octobre 1995.

 

Et voilà pourquoi Jean-Paul II est peut-être un des Papes qui a le plus parlé et rappelé le droit naturel et son nécessaire respect. La liberté doit avoir comme principe la vérité. Et dans le domaine politique, la loi morale naturelle en est le principe.

 

En ce sens, Jean-Paul II a écrit : « la loi naturelle, dans la mesure où elle réglemente les relations inter-humaines, vaut comme ‘‘droit naturel’’ et, comme telle, exige le respect de la dignité des personnes dans la recherche du bien commun. Une conception authentique du droit naturel, entendu comme protection de la dignité éminente et inaliénable de tout être humain, est garante de l’égalité et donne un contenu véritable aux ‘‘droits de l’homme’’ qui constituent les fondements des Déclarations internationales. Les droits de l’homme, en effet, doivent avoir pour référence ce que l’homme est par nature, en vertu de sa propre dignité, et non ce qui est l’expression de choix subjectifs faits par ceux qui jouissent du pouvoir de participer à la vie sociale ou par ceux qui obtiennent le consentement de la majorité »  (Discours aux participants à l’Assemblée générale de l’Académie pontificale pour la Vie, 27 février 2002, n. 6, Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XXV/1, 2002, p. 285 ; cf. ORLF n. 11 du 12 mars 2002).

 

L’idéologie libertaire, substance même du « principe de laïcité » avec le relativisme moral qui en découle, a « obscurci, commente le cardinal Herrans, dans son article que je suis,  dangereusement les limites de la rationalité et de la légitimité du droit. Cela a affaibli profondément l’ordre juridique  démocratique face à la tentation d’une liberté dénaturée »

 

Aussi face à ce relativisme dont se nourrit  par principe le pouvoir politique démocratique actuel, le pape a eu l’audace de lui dire :

 

« Les éléments constitutifs de la vérité objective sur l’homme et sur sa dignité s’enracinent profondément dans la recta ratio, dans l’éthique et dans le droit naturel : ce sont des valeurs qui précèdent tout système juridique positif et que la législation, dans un État de droit, doit toujours préserver, en les soustrayant à l’arbitraire des individus et à l’arrogance des puissants » (Discours aux participants au Symposium international « Evangelium Vitae et Droit », 23 mai 1996, n. 5. ORLF n. 25 du 18 juin 1996).

 

Et j’ajouterai volontiers « à l’expression de la  volonté générale »…qui n’est pas, de soi, nécessairement,  la loi…

 

Jean-Paul II, sur ce sujet est formel. Il a écrit :

« La dignité de la personne ne peut pas être sauvée par ces déclarations solennelles si souvent réitérées dans les moments de crise de confiance en l’avenir, entre le désespoir et l’utopie. L’homme ne peut retrouver son assurance et sa confiance qu’en reprenant conscience que sa dignité est intangible, et non pas parce qu’un Parlement ou une Assemblée en a décidé ainsi, mais parce qu’il est déterminé ainsi par le fait d’être une personne »J. Vidal Gallardo, « Secularidad y dignidad de la persona », Actes du Symposium « Secularización y laicidad en la experiencia democratica moderna », San-Sebastien, 1996, p. 109.

 

 Aujourd’hui on voudrait légiférer sur les « unions homosexuels, sur l’euthanasie… Les pressions politiques sur certains sont très fortes. Jean-Paul II alors se demande :

 

« L’on peut et même l’on doit se demander si n’est pas ici à l’œuvre une nouvelle idéologie du mal, peut-être plus sournoise et cachée, qui tente d’exploiter, contre l’homme et contre la famille, jusqu’aux droits de l’homme eux-mêmes. Pourquoi tout cela a-t-il lieu ? Quelle est la racine de ces idéologies post-philosophie des Lumières ? La réponse en définitive est simple : cela a lieu parce que l’on a rejeté Dieu comme Créateur, et donc comme source de la discrimination entre ce qui est bien et ce qui est mal. On a refusé la notion de ce qui, de manière plus profonde, nous constitue comme êtres humains, c’est-à-dire la notion de nature humaine comme ‘‘présupposé réel’’ que l’on a remplacé par un ‘‘produit de la pensée’’ librement formé et librement modifiable selon les circonstances. ( Mémoire et Identité, op. cit).

 

Et je crois que nous pourrions multiplier les citations pour montrer combien le Pape Jean-Paul II a été fort dans son rappel de la nécessaire quête de la vérité.  On doit dire que Jean-Paul II n’a pas tu – lui- la vérité sur le pouvoir politique. Il a confessé que l’Etat, pouvoir politiquement souverain, est cependant soumis à une loi morale qui lui est supérieure, qu’il ne peut ignorer ni modifier.

Il n’a cessé de rappeler que l’Eglise n’accepte pas,  jusque dans l’ordre moral et dans la définition du bien et du mal, la supériorité de la loi civile, émanation de la souveraine volonté générale.

Parce qu’elle détient la vérité de Dieu, l’Eglise parle. Elle a parlé. Il ne s’est pas laissé dicter son discours par le politique, animé du « principe de laïcité ».

C- La pensée de Benoît XVI

Alors qu’il n’était encore que cardinal, il  s’adressa aux Sénateurs italiens, le  13 mai 2004. Il leur parle de l’Europe et de son devenir. Il leur dit : «  Nous nous trouvons ainsi face à la question : comment les choses doivent-elles évoluer ? Dans les violents bouleversements de notre temps, y a-t-il une identité de l’Europe qui ait un avenir et pour laquelle nous puissions nous engager entièrement ?  Je ne suis pas en mesure de rentrer dans une discussion détaillée sur la future Constitution européenne. Je voudrais seulement indiquer brièvement les éléments moraux fondamentaux qui, à mon avis, devront en faire partie ».

 

Il leur rappelle, dans le premier point,  le nécessaire respect de la loi naturelle, de la personne humaine. Loi naturelle, Personne humaine et sa dignité …sont là des « valeurs précédant toute juridiction d’Etat ».

 

« Un premier élément est l’inconditionnalité avec laquelle la dignité humaine et les droits de l’homme doivent être présentés comme des valeurs précédant toute juridiction d’Etat. Ces droits fondamentaux ne sont pas créés par  le législateur, ni conférés aux citoyens, « mais ils existent plutôt comme droit propre, ils doivent toujours être respectés par le législateur, ils s’imposent à lui comme valeurs d’ordre supérieur . Cette validité de la dignité humaine préalable à toute action et à toute décision politique renvoie ultime ment au Créateur. Lui seul peut déterminer des valeurs qui se fondent sur l’essence de l’homme et qui sont intangibles. L’existence de valeurs qui ne soient pas manipulables par qui que ce soit, est la véritable garantie de notre liberté et de la grandeur humaine ; la foi chrétienne voit là le mystère du Créateur et de la condition d’image de Dieu que celui-ci a conférée à l’homme. »

 

N’est-ce pas , là aussi, tout équivalemment dire que « L’Etat, pouvoir politiquement souverain, est cependant soumis à une loi morale qui lui est supérieure, qu’il ne peut ignorer ni modifier »

N’est-ce pas, la encore, s’opposer à la définition de la laïcité telle que nous l’ont donné et Littré et Renan.

 

Mais il faut surtout citer son discours du 8 décembre 2005. Là, il porte  son regard sur le monde moderne, sur la politique moderne.  Il le décrit à la lumière du péché originel. Il le dit formellement. « Si nous réfléchissons sincèrement à nous-mêmes et à notre histoire, nous constatons qu'à travers ce récit (du péché originel) est non seulement décrite l'historie du début, mais l'histoire de tous les temps, et que nous portons tous en nous une goutte du venin de cette façon de penser illustrée par les images du Livre de la Genèse. Cette goutte de venin, nous l'appelons péché originel ». Et quelle est « cette façon de pensée illustrée par les images du Livre de la Genèse » ? C’est l’autonomie à l’égard de Dieu, C’est le refus de Dieu, le refus de son Amour, de sa Loi.  C’est le repli sur soi-même. Tel est, de fait, le monde moderne. Mettons-nous, dit le pape, à l’écoute de ce texte biblique :   

 « Quelle est la situation qui nous est présentée dans cette page ? L’homme n’a pas confiance en Dieu. Tenté par le serpent, il nourrit le soupçon que Dieu, en fin de compte, ôte quelque chose à sa vie, que Dieu est un concurrent qui limite notre liberté et que nous ne serons pleinement des êtres humains que lorsque nous l'aurons mis de côté; en somme, que ce n'est que de cette façon que nous pouvons réaliser en plénitude notre liberté. L'homme vit avec le soupçon que l'amour de Dieu crée une dépendance et qu'il lui est nécessaire de se débarrasser de cette dépendance pour être pleinement lui-même. L'homme ne veut pas recevoir son existence et la plénitude de sa vie de Dieu. Il veut puiser lui-même à l'arbre de la connaissance le pouvoir de façonner le monde, de se transformer en un dieu en s'élevant à Son niveau, et de vaincre avec ses propres forces la mort et les ténèbres. Il ne veut pas compter sur l'amour qui ne lui semble pas fiable; il compte uniquement sur la connaissance, dans la mesure où celle-ci confère le pouvoir. Plutôt que sur l'amour il mise sur le pouvoir, avec lequel il veut prendre en main de manière autonome sa propre vie. Et en agissant ainsi, il se fie au mensonge plutôt qu'à la vérité et cela fait sombrer sa vie dans le vide, dans la mort  Nous vivons de manière juste, si nous vivons selon la vérité de notre être, c'est-à-dire selon la volonté de Dieu. Car la volonté de Dieu ne constitue pas pour l'homme une loi imposée de l'extérieur qui le force, mais la mesure intrinsèque de sa nature, une mesure qui est inscrite en lui et le rend image de Dieu, et donc une créature libre. Si nous vivons contre l'amour et contre la vérité – contre Dieu – , alors nous nous détruisons réciproquement et nous détruisons le monde. Alors nous ne trouvons pas la vie, mais nous faisons le jeu de la mort. Tout cela est raconté à travers des images immortelles dans l'histoire de la chute originelle et de l'homme chassé du Paradis terrestre ».

 

L’autonomie ! Voilà la revendication moderne, la politique contemporaine. Mais c’est là un drame, nous dit Benoît XVI. Il parle de «  la dimension dramatique du fait d'être autonome ». C’est dire qu’ «  être véritablement un homme comprend la liberté de dire non, de descendre au fond des ténèbres du péché et de vouloir agir seul; que ce n'est qu'alors que l'on peut exploiter totalement toute l'ampleur et la profondeur du fait d'être des hommes, d'être véritablement nous-mêmes; que nous devons mettre cette liberté à l'épreuve, également contre Dieu, pour devenir en réalité pleinement nous-mêmes. En un mot, nous pensons au fond que le mal est bon, que nous avons au moins un peu besoin de celui-ci pour faire l'expérience de la plénitude de l'être. … Nous pensons que traiter un peu avec le mal, se réserver un peu de liberté contre Dieu est au fond un bien, et peut-être même absolument nécessaire.

Cependant, en regardant le monde autour de nous, nous constatons qu'il n'en est pas ainsi, c'est-à-dire que le mal empoisonne toujours, il n'élève pas l'homme, mais l'abaisse et l'humilie, il ne le rend pas plus grand, plus pur et plus riche, mais il lui cause du mal et le fait devenir plus petit…L’homme qui s'abandonne totalement entre les mains de Dieu ne devient pas une marionnette de Dieu, une personne consentante, ennuyeuse; il ne perd pas sa liberté. Seul l'homme qui se remet totalement à Dieu trouve la liberté véritable, l'ampleur vaste et créative de la liberté du bien. L'homme qui se tourne vers Dieu ne devient pas plus petit, mais plus grand, car grâce à Dieu et avec Lui il devient grand, il devient divin, il devient vraiment lui-même. L'homme qui se remet entre les mains de Dieu ne s'éloigne pas des autres en se retirant dans sa rédemption en privé; au contraire, ce n'est qu'alors que son cœur s'éveille vraiment et qu'il devient une personne sensible et donc bienveillante et ouverte ».

 

Tel est le regard que Benoît XVI porte sur le monde moderne. Ce regard est « ontologique », « essentiel ». Il nous fait penser au jugement  que nous donnait déjà  Jacques Maritain dans son fameux livre « Antimoderne ». Cela vaut la peine d’être rappelé.

 

« Désormais l’animal raisonnable va s’appuyer sur lui-même, la pierre d’angle ne sera plus le Christ. L’esprit d’indépendance absolue, qui, en définitive, porte l’homme à revendiquer pour lui-même l’ « aséité », et que l’on peut appeler l’esprit de la Révolution antichrétienne, s’introduit victorieusement en Europe, avec la Renaissance et la Réforme, il soustrait à l’ordre chrétien ici la sensibilité esthétique et toutes les curiosités de l’esprit, là la spiritualité religieuse et la volonté, et vise à remplacer partout le culte des Trois Personnes divines par le culte du Moi humain. Réprimé au XVII siècle, lancé au XVIII et au XIX siècle à la conquête de l’univers, servi avec persévérance et habileté par la contre-église maçonnique, il  réussit à écarter Dieu de tout ce qui est centre de pouvoir ou d’autorité dans les peuples…L’homme s’isole…il se soustrait à Dieu par antithéologisme et à l’être par idéalisme. Il se replis sur soi, s’enferme comme un tout puissant dans sa propre immanence, fait tourner l’univers autour de sa cervelle, s’adore enfin comme étant l’auteur de la vérité par sa pensée et l’auteur de la loi par sa volonté ».

 

Le jugement est le même, « ontologique» prenant en compte le fait du péché originel.

 

Vraiment la pensée des papes, de tous les papes, pas seulement de Jean-Paul II  et de Benoît XVI, est à l’opposée du « principe de laïcité » tel que définit par Littré et Renan et bien exposé par Jean Madiran dans le premier chapitre de son très précieux ouvrage : « La laïcité dans l’Eglise » que je vous ai transcrit en A.

 

D- « La démocratie des mœurs »

 

Et on comprend bien qu’il en soit ainsi.

Au seul titre des principes.

L’Eglise, de fait, dresse principe contre principe.

 

Mais aussi on comprend cette opposition irréductible à la seule vue  des conséquences du « principe de laïcité » lorsqu’il est appliqué sans retenue dans le « domaine des mœurs ». C’est ce que va exposer Jean Madiran dans son ultime chapitre : « la démocratie des mœurs ». C’est l’appendice IV de l’ouvrage.

Je vous en donne le bref texte.

 

« C’est en 1998 que le parti socialiste a proposé les « pacs » ; pacte civil de solidarité, dont le principal effet est d’institutionnaliser les couples homosexuels. Le parti socialiste nous avertissait :

 -Le pacs est une grande réforme de société, comparable à la loi sur l’IVG.

 

Le « débat » est donc ouvert, nous prévenait l’éditorial du quotidien parisien du soir, (Le Monde)  laissant prévoir que tout naturellement l’on envisageait ensuite de donner des enfants aux couples  homosexuels par la voie de l’adoption et par celle de la procréation artificielle. Ce « débat », précisait l’éditorial d’inspiration paleo-trotskiste, doit être mené dans le cadre rationnel de la démocratie des mœurs ».

La « démocratie des mœurs, qu’est-ce donc ?

On nous le dit et sous la formule nouvelle nous reconnaissons l’idée ancienne, mais désormais régnante, selon laquelle « la règle ne peut naître que du libre débat », et qui veut « que toute référence à un principe soit elle-même soumise à la discussion ».

 

La question demeure toutefois de savoir qui arbitre la discussion et qui conclut le débat.

La démocratie actuelle veut que ce soit l’établissement d’un consensus quasi unanime ou largement majoritaire. La définition stricte de la démocratie la représentait comme le régime politique où le suffrage universel désigne les législateurs et éventuellement le président (comme Mitterrand) ou le monarque (comme Napoléon III). La « démocratie des mœurs » ne s’arrête pas là : elle soumet, même les « principes », au débat pour un consensus absolu ou relatif, naturel ou artificiel.

Le scientifique, le philosophe n’admettent rien qu’ils n’aient éprouvé et vérifié selon les méthodes propres aux sciences ou à la philosophie. Ils ne répugnent pas, dans leurs recherches et dans leurs vérifications, aux débats avec leur pairs, supposés compétents, des académies scientifiques ou philosophiques. La « démocratie des mœurs » veut en somme que tous les citoyens, désormais, soumettent eux-mêmes tous les sujets  à des débats où ils pratiquent ensemble les remises en cause du philosophe et les vérifications du scientifique.

 

L’objection principale n’est pas l’incompétence probable de la plupart des citoyens. Seraient-ils supposés compétents, l’objection principale demeurerait dans toute sa force : le débat entre citoyen, dans la « démocratie des mœurs », n’est pas le même débat que celui entre philosophes ou entre savants.

Le « consensus » s’impose comme règle et loi aux citoyens de la « démocratie des mœurs » ; il clôt la discussion. Au contraire, les incessants révolutions intellectuelles qui, pour le meilleur ou pour le pire, bouleversent les sciences et la philosophie se produisent en général à l’encontre du consensus des académies compétentes : ce consensus ne s’impose ni au philosophe ni au  savant, ils n’y sont pas soumis, ils ne cèdent qu’à l’évidence (ou à l’illusion) de la vérité.

Le débat démocratique a pour règle et pour but l’établissement d’un consensus, au prix de retranchements réciproques sur les convictions qui s’opposent. Le débat philosophique ou scientifique a pour règle et pour but la victoire d’une certitude nouvelle sur une certitude ancienne (ou inversement la confirmation d’une certitude ancienne par la défaite d’une certitude  nouvelle mal fondée). Le consensus démocratique peut s’établir, et même s’établit de préférence en dehors de la réalité, il est à lui-même  sa seule loi. La discussion scientifique ou philosophique recherche au contraire une meilleure adéquation au réel.

 

L’idée aujourd’hui dominante est que « dans d’autres systèmes, le problème (par exemple : le problème moral, comme pour le pacs) est résolu d’avance (sic) par la référence à une théologie  ou une idéologie normative » ; «  en démocratie, rien de tel ». Mais si : dans la démocratie qui n’est plus simplement la désignation des législateurs et des gouvernants au suffrage universel,  - dans la « démocratie des mœurs », il y a un dogme pré-établi ; un dogme obligatoire ; un dogme négatif, mais  qui n’en est pas moins « normatif » : le dogme selon lequel il n’y a rien d’antérieur et de supérieur aux humains et à leurs sociétés. D’où, parfait résumé, la formule du candidat Chirac répondant au pape Jean-Paul II : « Non à une loi morale qui primerait la loi civile ». (Enquête du Journal du Dimanche auprès des candidats à la présidence, 2 avril 1995). Le candidat Chirac a été élu sur ce programme (à cause, ou bien malgré, comme on voudra). Aucune autorité morale ou religieuse n’a élevé la voix pour dire aux chrétiens :

 

-Tant qu’il n’aura pas abjuré ce blasphème, ne votez pas pour lui.

 

Le principe de la laïcité républicaine à la française ne permettrait pas une intervention publique de cette sorte. La laïcité galopante de l’Eglise en France l’empêchait de seulement en imaginer l’éventualité.

 

La formule chiraquienne est bien celle d’une théophanie militante. Pas toujours consciente, mais toujours impliquée dans le refus de quoi que ce soit de supérieur à l’arbitraire humain. Il n’y a donc plus de Dieu créateur, législateur et fin dernière. La « théophanie »  aujourd’hui dominante n’impose pas (pas encore ?) d’abjurer publiquement la foi en Dieu. Elle impose de la garder en silence. Dieu est interdit en public, il est interdit en politique, il est interdit dans les « problèmes de société », il est interdit dans la « démocratie des moeurs ». Preuve de l’interdiction : aucun évêque n’a cru pouvoir oser faire remarquer que le saisissant résumé chiraquien, le non de Chirac à une loi morale qui primerait la loi civile est forcément une proclamation d’athéisme : l’athéisme militant qui, par l’adhésion présidentielle et par l’installation souveraine de la « démocratie des mœurs », gouverne aujourd’hui au nom du principe de laïcité une France captive ».

 

 

I-« La condition du droit à l’existence »

 

Un « France captive » ! Heureuse formule par sa triste justesse.

 

Et si, comme nous l’avons vu, la papauté dans la bouche de ses derniers pontifes, garde, elle, toute liberté de dénoncer l’erreur et de rappeler le vrai, il n’en est pas ainsi –malheureusement – de l’épiscopat français.

 

La preuve ?

 

Voyez l’entretien de l’ancien président de l’épiscopat français, Mgr Ricard, au quotidien « Le Figaro ».

Vous le trouvez dans  le numéro du 30 janvier 2004.

Jean Madiran le commente dans son livre  « La laïcité dans l’Eglise » dans un chapitre qu’il intitule  « La condition du droit à l’existence ».

 

En voici quelques passages !

 

« Le 30 janvier 2004, le président de l’épiscopat, Mgr Ricard, donne ès qualités une grande et grave interview au quotidien Le Figaro.

Le président Ricard y atteste et proclame que « la loi sur la laïcité » qui va être examinée par l’Assemblée nationale à partir du 3 février, « ne menace pas la liberté religieuse ».

C’est sans doute cette caution-là que le président de la République et son gouvernement attendaient du président Ricard. Ils l’ont.

Cela n’empêche pas l’interviewer de maintenir au passage quelques « réserves », notamment à propos de l’islam :

« Nos concitoyens s’inquiètent des initiatives et des pressions venues de groupes politico-religieux liés à l’islam… »

(Mais en vérité c’est l’islam tout entier qui est « politico-religieux ».)

« ….qui voudraient imposer leurs coutumes et leurs traditions communautaires à la société française. Une loi n’effacera pas cette inquiétude »

On ne sait pas s’il tient toujours à ce que la religion catholique bénéficie d’un « traitement différentiel », comme il le réclamait quelques jours plus tôt, c’était le 18 janvier. Car maintenant il déclare :

« Nous ne réclamons aucun privilège, mais seulement l’application d’une laïcité qui n’exclue pas l’expression sociale du christianisme. »

Il maintient cependant que l’islam est hétérogène à la « sensibilité » française :

« En France, il y a davantage de clochers que de minarets. L’oublier serait nier la sensibilité profonde de beaucoup de français (….) le Christianisme a contribué à façonner l’Europe. Il peut aujourd’hui aider à donner une âme à sa construction politique et économique. »

C’est dans la dernière colonne de sa déclaration au Figaro que l’on voit apparaître deux anomalies assez étranges.

La première est déjà grave, bien que mineure. Concernant la suppression du lundi de Pentecôte, il reconnaît : « On nous avait promis une consultation, mais rien n’est venu ».

De la part du gouvernement, c’est plus que de la désinvolture. Et malgré cela, Mgr Ricard ajoute aussitôt : « Les points de désaccord ne doivent pas donner à penser qu’il y aurait aujourd’hui une dégradation des relations entre l’Eglise catholique et les responsables de l’Etat. Ces relations restent bonnes. »

Ah, les relations restent bonnes ! Suffit-il donc de le dire pour que cela devienne vrai ?

La seconde est une anomalie majeure. Elle est dans la conclusion :

« Toutes les composantes religieuses doivent avoir droits de cité, publiquement, à condition de savoir aussi donner leur place aux autres et de ne pas se mettre en contradiction avec les grands principes de la République ».

 

Relisons.

Condition pour qu’une religion ait droit à l’existence dans la République française : ne pas se mettre en contradiction avec les grands principes de la République !

On croit rêver. Ces « grands principes », c’est la mixité généralisée, composante obligatoire du principe essentiel de laïcité, ainsi que l’affirme l’exposé des motifs de la nouvelle loi laïque. Ce sont les « droits de l’homme », et parmi eux le « droit à l’avortement ». Et aussi l’éducation morale des enfants entièrement et sans appel soumise à l’autorité de l’Etat. Demain peut-être, parmi ces « grands principes », on verra figurer le droit à l’euthanasie, le mariage homosexuel, et Dieu sait quoi encore !...

 

Plus fondamentalement encore, quelles que soient les suites de l’évolution fantaisiste et illimitée de ces « grands principes  de la République », le droit de cité de l’Eglise catholique ne peut dépendre de sa conformité à une loi politique, fût-ce une loi constitutionnelle.

 

Et ce fut un jour sombre, annonciateur de grands malheurs, ce jour du 30 janvier 2004 où le président de l’épiscopat français situa la légitimité de l’Eglise ailleurs que dans sa mission divine ». (p.77-80)

 

Nos évêques sont-ils tous unis comme les doigts d’une main ?  C’est ce que j’entends dire. Si c’est encore vrai en cette affaire,  c’est  aussi un autre grand malheur !