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Un regard sur le monde

politique et religieux

 

au 24 avril   2009

 

N° 213

 

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

 

Mgr Lefebvre

et

la constitution pastorale

« Gaudium et Spes »

 

Nous poursuivons notre étude sur la pensée de Mgr Lefebvre face au Concile Vatican II. Nous avons dit que Mgr Lefebvre s’opposait à Vatican II ou plus exactement exprimait des « réserves » au sujet de  Vatican II et tout particulièrement au sujet de trois textes majeurs : la déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes intitulée « Nostra aetate », la déclaration sur la liberté religieuse appelée « Dignitatis humanae » et enfin la constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps : « Gaudium et Spes ».

Nous avons vu que ce qui légitimait, pour lui,  ses réserves sur le Concile, c’était le profond changement entervenu depuis le Concile « dans le rapport de l’Eglise avec le monde ». C’est ce qu’il exprimait très clairement dans sa lettre du 13 avril 1978 au cardinal Seper : « Le problème de fond de notre persévérance dans la Tradition, malgré les ordres donnés par Rome pour l’abandonner, c’est un problème de grave et profond changement dans le rapport de l’Eglise avec le monde ».

 

Ce changement peut se constater dans l’attitude de l’Eglise vis-à-vis  des Juifs : son langage et son enseignement ne sont plus les mêmes avant et après Vatican II. Le texte de Nostra aetate dans son paragraphe 4 sur les Juifs semble bien  l’illustrer. Nous l’avons vu dans deux numéros d’Item : les numéros 206 du 6 mars 2009 et 207 du 13 mars 2009.

 

Ce changement intervenu dans le rapport de l’Eglise avec le monde peut être également illustré en considérant le texte de  «  Gaudium et Spes ». Nous avons déjà vu (Item n° 211 du 10 avril 2009) que ce texte,  considéré comme le vrai testament du Concile, est  présenté comme « une sorte de  contre syllabus ». On ne peut parler plus clairement de changement. Quel changement ! Il ne s’agit pas seulement d’un changement mais bien d’une vraie révolution. Le Cardinal Ratzinger dans son livre « Les principes de la théologie catholique », dont nous avons donné un large extrait, affirme lui aussi ce changement et le justifie.  C’est le chapitre ultime de son  livre. Rappelez-vous son jugement: « Si l’on cherche un diagnostic global du texte, on pourrait dire qu’il est (en liaison avec les textes sur la liberté religieuse et sur les religions du monde) une révision du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-syllabus. Harnack, on le sait, a interprété le Syllabus de Pie IX tout simplement comme un défi à son siècle ; ce qu’il y a de vrai, c’est qu’il a tracé une ligne de séparation devant les forces déterminantes du XIX e  siècle : les conceptions scientifiques et politiques du libéralisme. Dans la controverse moderniste, cette double frontière a été encore une fois renforcée et fortifiée…..

Contentons nous ici de constater que le texte joue le rôle d’un contre-syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation officielle de l’Eglise avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789. … Par « monde » on entend, au fond, l’esprit des temps modernes, en face duquel la conscience de groupe dans l’Eglise se ressentait comme un sujet séparé qui, après une guerre tantôt chaude et tantôt froide, recherchait le dialogue et la coopération. »

 

« Réconciliation », « Dialogue et coopération » : ces trois mots sont capitales. Ils disent tout le changement intervenu « dans le rapport de l’Eglise avec le monde ».

 

Le Père Congar fut un des premiers à tracer la ligne à suivre à cet égard :

 

« Réconcilier  l’Eglise avec un certain  monde moderne ne pouvait pas se faire en introduisant telles quelles dans l’Eglise les idées de ce monde moderne ; cela supposait un travail en profondeur, par lequel les principes permanents du catholicisme prissent un développement nouveau en assimilant après les avoir décantés et au besoin purifiés, les apports valables de ce monde moderne » (Y Congar, Vraie et fausse réforme dans l’Eglise (Unam Sanctam, 20, Cerf Paris, 1950. p. 345)

 

Roger Aubert se fit l’écho fidèle de cette vue, l’année suivante : parlant des collaborateurs de l’Avenir, journal catholique libéral de Lamennais au XIX siècle, il dit :

 

« Ils n’avaient pas pris suffisamment soin de repenser les principes qui permettraient moyennant les discernements et les purifications nécessaires, d’assimiler au christianisme les idées de démocratie et de liberté, qui, nées en dehors de l’Eglise, s’étaient développées, dans un esprit hostile à celui-ci » (Roger Aubert.le magistère ecclésiastique et le libéralisme dans Tolérance et communauté humaine,  Casterman, 1951, p81-82)

 

.Or ce travail du purification et d’assimilation des principes de 1789, Vatican II a  affirmé qu’il était son premier but . Il l’affirme explicitement dans le chapitre 2 §2 de Gaudium et Spes :

 

«  Le Concile se propose avant tout de juger à cette lumière (de la foi) les valeurs les plus prisées par nos contemporains ( les droits de l’homme, la  liberté, la tolérance…) et de les relier à leur source divine. Car ces valeurs, dans la mesure où elles procèdent du génie humain, qui est un don de Dieu, sont fort bonnes; mais il n'est pas rare que la corruption du coeur humain les détourne de l'ordre requis: c'est pourquoi elles ont besoin d'être purifiées ». 

 

Et c’est bien ce que le Concile a réalisé, nous affirme le cardinal Ratzinger :

 

« Le problème des années soixante était d’acquérir les meilleurs valeurs exprimées de deux siècles de culture « libérale ». Ce sont, en fait des valeurs qui, même si elles sont nées en dehors de l’Eglise, peuvent trouver leur place, purifiées et corrigées – dans sa vision du monde. C’est ce qui a été fait ». (Entretien avec Vittorio Messori, mensuel Jésus, n ovembre 1984, p.72)

 

.Ainsi donc le grand projet du Concile Vatican II exprimé dans Gaudium et Spes fut d’avoir voulu se mettre en harmonie avec le monde tel qu’il est issu de la Révolution française.

 

En politique, les catholiques libéraux qui ont fait le Concile,  voient dans les principes de 1789, des vérités chrétiennes sans doute quelque peu dévergondées mais une fois purifiés les idéaux modernes sont somme toute assimilables par l’Eglise : la liberté, l’égalité, la fraternité, la démocratie (idéologie) et le pluralisme.

 

Ils déclarent que l’on ne peut pas être indéfiniment contre les idées de son temps, sans cesse ramer à contre courant, paraître rétrograde ou réactionnaire. On ne veut plus d’antagonisme entre l’Eglise et l’esprit libéral laïc, sans Dieu. On veut concilier les inconciliables, réconcilier l’Eglise et la Révolution, NSJC et le Prince de ce monde.

On ne peut imaginer d’entreprise plus impie et plus dissolvante de l’esprit chrétien, du combat de la foi, de l’esprit de croisade, c’est-à-dire du zèle pour conquérir le monde à Jésus-Christ.

 

 

Et vouloir « réconcilier » l’Eglise avec les principes libéraux de la Révolution française  et toutes ses libertés nouvelles – le  grand projet du Concile Vatican II- tout en les purifiant -  est la grande utopie des libéraux toutes tendances confondues. C’est cette utopie-  voulue par Gaudium et Spes aux dires mêmes de ceux qui en ont rédigé le texte qui est le grand changement intervenu dans l’Eglise.

 

Or c’est ce  qui fut toujours condamné par les Papes. C’est l’erreur que condamne Pie IX dans le Syllabus : « Le Pontife romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme, et la civilisation  moderne ».

 

Je me limiterai au Pape Pie IX.

 

Oui le Pape Pie IX condamna cette tentative catholique libérale de « marier l’Eglise et la Révolution ». En voici quelques textes :

 

Il s’adressa un jour de juin 1871 aux pèlerins de Nevers :

 

 « Ce qui afflige votre pays et l’empêche de mériter les bénédictions de Dieu, c’est ce mélange de principes. Je dirai le mot et ne le tairai pas ; ce que je crains, ce ne sont pas tous ces misérables de la Commune de Paris…Ce que je crains, c’est cette malheureuse politique, ce libéralisme catholique qui est le véritable fléau…Ce jeu de bascule qui détruirait la Religion. Il faut sans doute pratiquer la charité, faire ce qui est possible pour ramener ceux qui sont égarés ; il n’est cependant pas besoin pour cela de partager leurs opinions… ».

 

Ou encore s’adressant à un cercle catholique de Quimper :

 

« Avertissez donc, vénérable frère ( l’évêque de Quimper) les membres de l’association catholique que, dans les nombreuses occasions où Nous avons repris les sectateurs des opinions libérales, Nous n’avons pas eu en vue ceux qui  haïssent l’Eglise et qu’il eut été inutile de désigner ; mais bien ceux que Nous venons de signaler, lesquels, conservant et entretenant le virus caché des principes libéraux qu’ils ont sucé avec le lait, sous prétexte qu’il n’est pas infecté d’une malice manifeste et n’est pas, suivant eux, nuisible à la Religion, l’inoculent aisément aux esprits, et propagent ainsi les semences de ces révolutions dont le monde est depuis longtemps ébranlé ».

 

Ou encore s’adressant à un cercle catholique de Milan, en 1873 : 

 

« Cependant, et bien que les enfants de ce siècle soient plus habiles que les enfants de la lumière, leurs ruses (des ennemis de l’Eglise) auraient sans doute moins de succès si un grand nombre parmi ceux qui portent le nom de catholiques, ne leur tendaient une main amie. Oui ! hélas ! il y en a qui ont l’air de vouloir marcher d’accord avec nos ennemis et s’efforcent d’établir une alliance entre la lumière et les ténèbres, un accord entre la justice et l’iniquité, au moyen de ces doctrines qu’on appelle « catholiques libérales », lesquelles s’appuyant sur les principes les plus pernicieux, flattent le pouvoir laïque quand il envahit les choses spirituelles et poussent les esprits au respect, ou tout au moins, à la tolérance des lois les plus iniques, absolument comme s’il n’était pas écrit que personne ne peut servir deux maître. Or ceux-ci sont plus dangereux assurément et plus funestes que des ennemis déclarés, et parce qu’ils secondent leurs efforts sans être remarqués, peut-être sans s’en douter, et, parce que, se maintenant sur l’extrême limite des opinions formellement condamnées, ils se donnent une certaine apparence d’intégrité et de doctrine irréprochable, alléchant ainsi les imprudents amateurs de conciliation et trompant les gens honnêtes, lesquels se révolteraient contre une erreur déclarée. De la sorte ils divisent les esprits, déchirent l’unité et affaiblissent les forces qu’il faudrait réunir pour les tourner toutes ensemble contre l’ennemi ». 

 

Ou encore en décembre 1876, au rédacteur d’un journal catholique de Rodez :

 

 « Nous ne pouvons que vous approuver d’avoir entrepris de défendre et d’expliquer les décisions de Notre Syllabus surtout celles qui condamnent le Libéralisme soi-disant catholique, lequel comptant un grand nombre d’adhérents parmi les hommes honnêtes eux-mêmes, et paraissant s’écarter moins de la vérité, est plus dangereux pour les autres, trompe plus facilement ceux qui ne se tiennent pas sur leurs gardes et, détruisant l’esprit catholique insensiblement et d’une manière cachée, diminue les forces des catholiques et augmente celle des ennemis ».

 

Après la lecture de ces textes, il faudrait être aveugle  pour ne voir le changement intervenu avec le Concile Vatican II. Ce changement, par fidélité aux Papes antérieurs à Vatican II, Mgr Lefebvre ne le  veut. Il ne s’agit pas seulement d’être fidèle à la pensée de cet évêque, de cet archevêque. Il s’agit d’être fidèle à la pensée du « Magistère de toujours » exprimée d’une manière claire par Pie IX.

 

Emile Keller, député français en 1865, dans son livre Le Syllabus de Pie IX pouvait écrire :

 

« Quelle est donc cette transaction que l’on poursuit depuis de longues années et qui se formule aujourd’hui d’une façon de plus en plus pressante ? Quelle place veut-on faire à l’Eglise dans un édifice dont elle devrait d’abord e^tre exclue ? Libéraux et gouvernants l’acceptent volontiers pour auxiliaire. Mais se réservent en dehors d’elle et de son autorité leur pleine indépendance, leur souveraineté sans limite et leur entière liberté d’action. Ils lui abandonnent le domaine des consciences pourvu que de son côté elle leur livre la politique et qu’elle reconnaisse l’efficacité sociale des idées modernes connues sous le nom de principes de 89. Pris à ce piège séduisant bien des esprits généreux ne comprennent pas que ces propositions si modérées se puissent refuser. Les uns s’éloignent de l’Eglise s’imaginant chose absurde, que réellement elle exige le sacrifice du progrès et de la liberté. Certains du contraire, mais n’osant pas nier la vertu des formules modernes, les autres font de laborieux efforts pour décider comme eux l’Eglise à la réconciliation qu’on lui offre. A force de bonne volonté, ils  croient s’être prouvé à eux-mêmes qu’à part quelques nuances, les principes de 1789 sont des purs principes chrétiens, qu’il serait habile de s’en emparer et de les amener graduellement et sans secousse à être reconnues et bénis du Saint Siège ».

 

C’est ce qui s’est passé au moment du Concile Vatican II, dit Mgr Lefebvre : « les libéraux ont réussi à faire bénir par le pape et par le Concile les principes de 1789 ».

 

Ainsi cette politique libérale est d’abord et avant tout un problème de foi. C’est ce que dit aussi Mgr Lefebvre, dans son livre « Ils l’ont découronné ».

Citons le :

« Il y a dans tout ce libéralisme dit catholique un manque de foi ou  plus précisément un manque de l’esprit de foi qui est un esprit de totalité : tout soumettre à Jésus-Christ, « tout restaurer », « tout récapituler dans le Christ », comme dit Saint Paul (Ep 1 20) On n’ose pas revendiquer pour l’Eglise la totalité de ses droits, on se résigne sans lutte, on s’accommode même fort bien du laïcisme, on en arrive enfin à l’approuver. Dom Delatte et le Cardinal Billot caractérisent bien cette tendance à l’apostasie :

 

« Un large sillon divisait dorénavant (avec Falloux et Montalembert du côté libéral en France au XIX siècle) les catholiques en deux groupes : ceux qui avaient comme premier souci la liberté d’action de l’Eglise et le maintien de ses droits dans une société encore chrétienne ; et ceux qui premièrement s’efforçaient de déterminer la mesure du christianisme que la société moderne pouvait supporter, pour ensuite inviter l’Eglise à s’y réduire »

 

Tout le catholicisme libéral, dit Billot, est renfermé dans une équivoque entretenue « la confusion entre tolérance et approbation » :

 

« La question entre les libéraux et nous (…) n’est pas de savoir si, étant donné la malice du siècle, il faut supporter avec patience ce qui n’est pas en notre pouvoir, et travailler en même temps à éviter de plus grand maux et opérer tout le bien qui reste possible ; mais la question est précisément s’il convient d’approuver(…) (le nouvel état des choses), de chanter les principes qui sont le fondement de cet ordre de choses, de les promouvoir par la parole, par la doctrine, par les œuvres, ainsi que le font les catholiques dits libéraux »

Quelle plaie que ces catholiques libéraux ! Ils mettent la foi en poche et adoptent  les maximes du siècle. Quel dommage incalculable, ils ont causé à l’Eglise par leur manque de foi et leur apostasie.

 

Je terminerai par une page de Dom Guéranger, pleine de cet esprit de la foi dont je vous ai parlé :

« Aujourd’hui plus que jamais (…) la société a  besoin de doctrines fortes et conséquentes avec elles-mêmes. Au milieu de la dissolution générale des idées, l’assertion seule, une assertion ferme, nourrie, sans alliage, pourra se faire accepter. Les transactions deviennent de plus en plus stériles et chacune d’elles emporte un lambeau de la vérité (…) Montrez-vous donc (….) tels que vous êtes au fond, catholiques convaincus (…) Il y a une grâce attachée à la confession pleine et entière de la foi. Cette confession, nous dit l’Apôtre, est le salut de ceux qui la font et l’expérience  montre qu’elle est aussi le salut de ceux qui l’entendent » ( Le sens chrétien de l’histoire ).

 

Mais développons une autre considération plus philosophique.

 

Vouloir se « réconcilier » avec les principes de 1789,  et sa déclaration des droits de l’homme,  c’est une utopie parce ces principes et cette déclaration  n’ont aucunement, quoi qu’en dise le Père Congar,  leur fondement en Dieu et  en l’Evangile.

 

C’est ce que je voudrais montre en cette dernière partie.

 

La trilogie  révolutionnaire : « liberté, égalité, fraternité » telle que conçue par la philosophie des Lumières n’est nullement conçue dans l’esprit évangélique, dans l’esprit de la Révélation. Bien au contraire. Dans la Révélation, les mots y sont bien contenus. Certes. Pour le mot « liberté », voyez l’épître de Saint Paul aux Galates : Gal 5 13 : « Mes frères, vous avez été appelés à la liberté ; seulement ne faites pas de cette liberté un prétexte pour vivre selon la chair, mais rendez-vous, par la charité, serviteurs les uns des autres ». Pour « l’égalité », voyez encore l’épître aux Galates.  Pour la « Fraternité », voyez l’épître de saint Paul aux Romains : Rm 12 10 : « Quant à l’amour fraternel soyez pleins d’affection les uns pour les autres ».  Mais des Epîtres de Saint Paul à la « Déclaration des droits de l’homme », il y a un monde. L’esprit en est radicalement différent.

 

Ici,  je fonderai ma critique d’abord sur la doctrine du  Père de Clorivière S.J.,  sur  son commentaire de la  « Déclaration des droits de l’homme ». C’est tout simplement excellent. 

 

Nous verrons clairement que la liberté invoquée par la « Déclaration des droit de l’homme », n’a rien à voir avec la liberté chrétienne, don  surnaturel, obtenu par grâce divine. Cette « déclaration des droits de l’homme et du citoyen» a été élaborée dans une hostilité claire à Dieu et à son Christ à tel point que l’on peut légitimement parler de la déclaration des « Droits de l’homme » sans Dieu qui a détruit la civilisation chrétienne. C’était sa raison d’être.

 

C’est, du reste, la pensée d’un pape, la pensée de Benoît XV

 

Il écrivait  le 7 mars 1917 : « Depuis les trois premiers siècles et les origines de l’Eglise,  au cours desquels le sang des chrétiens féconda la terre entière, on peut dire que jamais l’Eglise ne  connut un tel danger que celui qui se manifesta à la fin du XVIII siècle. C’est alors, en effet, qu’une philosophie en délire, prolongement de l’hérésie et de l’apostasie des Novateurs, acquit sur les esprits une puissance universelle de séduction et provoqua un bouleversement total, avec le propos déterminé de ruiner les fondement chrétiens de la société, non seulement en France, mais, peu à peu, dans toutes les nations ».  « Ainsi, comme on faisait profession de rejeter publiquement l’autorité de l’Eglise, et qu’on avait cessé de tenir la Religion pour la gardienne et la sauvegarde du droit, du devoir et de l’ordre dans la cité, on se plut à placer dans le peuple, et non en Dieu, l’origine du pouvoir, à prétendre qu’entre les hommes, l’égalité de nature entraîne l’égalité des droits, que l’argument du bon plaisir définit ce qui est permis, en exceptant ce qu’interdirait la loi, que rien n’a force de loi s’il n’émane d’une décision de la multitude ».

 

L’homme est libre et vis-à-vis de l’autorité de Dieu et vis-à-vis de son Eglise et même finalement vis-à-vis de l’Etat ! La Révolution français s’est, en soi, l’anarchie parce que l’individu se fait « roi ».

 

La pensée de Benoît XV est claire ! De la philosophie des Lumières  à la doctrine sociale de l’Eglise, il y a un monde : celui de la vérité à l’erreur ! Deux pensées s’affrontent ainsi que deux mondes.

 

Le jugement du Père de Clorivière S.J.

 

Mais voyons le jugement du Père Pierre de Clorivière, S.J. qui a vécu en pleine période révolutionnaire  (1736-1820)

 

Lorsque l’on parle de cette Révolution française, on ne peut pas ne pas parler de « ces principes et de ces maximes que les maîtres de la Révolution ont répandus partout, et en particulier de ce qu’ils ont appelé « la Déclaration des droits de l’homme ». Cette déclaration, nous dit Le Père de Clorivière «  contient tous les  principes sur lesquels repose la révolution antichrétienne ». Il est donc « nécessaire d’en dévoiler la fausseté, de montrer au grand jour ce que les législateurs ont entendu par la liberté et l’égalité dont ils ont fait la base  de ces droits, mais sans jamais préciser le sens de ces mots. Il faut faire remarquer les contradictions que ces droits renferment et constater les suites funestes qui en résultent.» (Etudes sur la Révolutions Ed.  Fideliter. p. 58)

Voyons précisément la doctrine de la « Déclaration des droits de l’homme » présentée par le Père de Clorivière dans son opuscule écrit en juillet-août 1793. C’est lumineux. 

 

« En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Etre suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen…

 

Art. 2.- « Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté » Dans la Déclaration de 1793, on ajoutera « l’égalité »

 

Le père de Clorivière conteste l’énumération  de ces « droits ». Les vrais droits de l’homme sont tout autres. Pour les connaître, il faut prendre en considération « les biens de la nature humaine sur lesquels ces (vrais) droits sont fondés ». Il écrit, en effet : « Pour connaître quels sont  les droits naturels et imprescriptibles de l’homme, il faut considérer les biens de la nature sur lesquels ces droits sont  fondés ».

 

Or ces biens « sont  d’abord l’être, et cet être est composé d’une âme spirituelle et d’un corps matériel ; les facultés de l’âme sont le jugement, dont l’objet est le Vrai, et la volonté dont l’objet est le Bien ; les facultés du corps sont l’usage des sens et le pouvoir d’agir extérieurement. Et parce que l’homme est libre, il peut se servir librement de ses facultés tant de l’âme que du corps ».

 

« C’est, donc,  de ces biens de la nature que dérivent les droits naturels de l’homme ».

 

On peut, dès lors, les énumérer.

 

Parce que il a une  intelligence et donc un jugement, son premier droit est « de connaître la vérité et de s’y attacher ».

 

« Parce que qu’il est doué d’une volonté ou d’une capacité d’aimer, dont l’objet est le bien, il a droit d’en poursuivre la possession et de s’y attacher ». Et cela tant dans l’ordre naturel que dans l’ordre surnaturel.

 

« Parce qu’il a un corps et qu’il est libre, il peut faire tout ce qui n’est pas contraire à son devoir ».

« Parce qu’il a l’être, il a le droit de pourvoir à sa conservation personnelle et à son bien-être ».

 

« Voici quels sont les droits naturels et imprescriptibles de l’homme :

-la connaissance de la Vérité,

-la poursuite du Bien nécessaire à son bonheur et à sa fin,

-la liberté ou le pouvoir de faire tout ce qui n’est pas contraire à son devoir,

-la conservation de sa personne et de ses biens. »

 

Ces droits sont naturels puisqu’ils proviennent de la nature, et que sans eux les biens que l’homme a reçus de la nature seraient inutiles.

 

Les deux premiers sont tout à fait imprescriptibles. C’est-à-dire que « l’homme ne peut jamais les ôter à un autre homme, Dieu lui-même ne les ôte jamais dans cette vie »

 

«  Les deux derniers ne sont imprescriptibles qu’autant qu’on ne mérite pas d’en perdre la jouissance par quelque crime ».

Tel est le langage  vrai sur les droits de l’homme. « La nature et le bon sens ne nous montrent point dans l’homme  d’autres droits naturels et imprescriptibles. Ce sont ceux dont tout gouvernement doit essentiellement garantir la jouissance à chaque citoyen soit en lui procurant les biens  - si la chose est en son pouvoir  - soit en ne souffrant point qu’on y mette obstacle ».

 

Ces droits, comme on le voit, « sont fort différents de ceux qui sont exposés dans la Déclaration ».

 

On n’insistera pas sur les droits de « sûreté » et  de «  propriété » dont parle la Déclaration. Ils ne sont pas nouveaux : « On ne les a jamais contestés à l’homme dans quelque gouvernement que ce fût, lors même que les citoyens y étaient le plus opprimés par l’abus du pouvoir. Ils appartiennent entièrement à l’ordre civil »

 

Par contre il faut réfléchir sur l’ « égalité » et la «  liberté ». Cette « égalité » et cette « liberté » qu’on nous présente comme des droits naturels et imprescriptibles méritent de notre part une attention particulière. Car  ils  sont la base de toute constitution nouvelle du monde « révolutionnaire ».

 

La déclaration dit formellement : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». (Article 3)

C’est dire «  qu’il y a  parmi les hommes l’égalité la plus entière et la plus parfaite ; et cette égalité nous est présentée comme un droit naturel et imprescriptible ».

 

C’est dire que « la nature a placé tous les hommes au même rang, qu’elle  ne connaît entre eux aucune distinction, qu’elle ne soumet point un  homme à un autre, et qu’un homme ne peut, sans violer les droits de la nature, s’arroger quelque supériorité sur un autre homme ».

 

C’est dire encore  que  « la loi, quelle qu’elle soit, naturelle, divine, humaine, n’admet et ne reconnaît aucune distinction, aucune supériorité dans un  homme sur un autre homme ».

 

Or l’une et l’autre proposition énoncée de cette manière sont d’une fausseté manifeste.

 

Examinons d’abord l’égalité par rapport à la nature.

 

Certes « les hommes ont tous reçu de la nature, les mêmes biens naturels et généraux, les mêmes droits naturels, ils sont assujettis aux mêmes lois générales, sujets aux mêmes peines, etc… En cela ils sont tous égaux ».

 

Cette égalité  de l’homme n’a jamais été contestée ; mais elle n’exclut en aucune manière la diversité des rangs et des conditions. Car, reconnaît le Père de Clorivière : « La même nature qui rend les hommes égaux dans les choses essentielles à la nature de l’homme, a en même temps établi entre eux une grande inégalité », ne serait-ce que celles entre les parents et les enfants, « les uns donnent, les autres reçoivent ; ceux-ci dépendent nécessairement de ceux-là ». Et combien d’autres inégalités se rattachent à cette inégalité première !

 

Sur ce sujet, il est bon de se rappeler l’exposé fameux que Maurras écrivait dans son livre : « Mes idées politiques ». Dans un chapitre intitulé : « La politique naturelle » il parlait de l’enfant et là il parlait de l’ « inégalité protectrice » ; l’enfant est l’objet, s’il veut seulement survivre d’ « inégalité sans mesure et de nécessité sans réserve » et concluait que « ce sont les deux lois tutélaires dont l’enfant doit subir le génie, la puissance pour son salut…ce n’est que moyennant cet Ordre (différencié comme ,tous les ordres) que le petit homme pourra réaliser ce type idéal du Progrès : la croissance de son corps et de son esprit. Il grandira par la vertu de ces deux inégalités nécessaires… Il en concluait qu’ « on ne saurait prendre acte en termes trop formels, ni assez admirer ce spectacle d’autorité pure, ce paysage de hiérarchie absolument net… Ainsi, et non pas autrement, se configure au premier trait le rudiment de la société des hommes. La nature de ce début est si lumineusement définie qu’il en résulte tout de suite cette grave conséquence, irrésistible, - il ne faut pas craindre de le répéter - que personne ne s’est trompé autant que la philosophie des « immortels principes », quand elle a décrit les commencements de la société humaine comme le fruit de conventions entre des gaillards tout formés, plein de vie consciente et libre, agissant sur le pied d’une espèce d’égalité, quasi pairs sinon pairs, et quasi contractants, pour conclure tel ou tel abandon d’une partie de leurs « droits » dans le dessein exprès de garantir le respect des autres » (op. XVI-XVII).  Voilà une pensée réaliste que Maurras, lui-même appelle : « une Physique, mystérieuse,  archique et hiérarchique ».Nous sommes loin, il est vrai, de la pensée « révolutionnaire » et « moderniste ». Nous sommes dans le réel.

 

Mais que dire maintenant de cette fameuse liberté qui serait un droit imprescriptible ?

Nos « révolutionnaires » nous la présentent comme étant un  « pouvoir (de) faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».(Art 4)

 

On voit qu’il ne s’agit pas ici de la liberté essentielle à l’homme, qui est le libre arbitre, « le pouvoir naturel de vouloir ou de ne pas vouloir ».

 

Il ne s’agit pas non plus de la simple exemption d’esclavage. Il y a  longtemps que l’esclavage est aboli en France.

 

 Quelle est donc la vraie pensée des « révolutionnaires » sur la liberté. Ils disent : « La liberté est le pouvoir qui appartient à tout homme de faire  tout ce qui ne  nuit pas aux droits d’autrui ».

 

Cette notion est fausse dans son principe et désastreuse dans ses conséquences.

Quelle est-elle ?

 

Il s’agirait du «  pouvoir moral qui rend nos actions licites. On pourrait licitement faire tout ce qui ne nuit pas  aux droit d’autrui ». Voilà leur « liberté ». Il s’agirait donc d’ «  un  droit naturel et imprescriptible de l’homme, d’un droit inhérent à sa nature », qu’on ne pourrait  lui ravir ni lui en empêcher la jouissance.

 

Il faut en conclure que  « toutes les lois divines, ecclésiastiques, civiles, qui lui interdiraient quelque chose que ce soit qui ne blesse pas les droits d’autrui, seraient des lois injustes et tyranniques ». L’homme  en serait  affranchi par le droit naturel, imprescriptible. Une seule limite est mise à sa liberté « tout ce qui pourrait  nuire aux droits d’autrui ».

 

Dès lors, tout ce qui n’est  pernicieux qu’à son auteur, tout ce qui n’est contraire qu’à l’honnêteté naturelle, tout ce qui n’outrage que Dieu, mais « ne nuit point aux droits d’autrui », l’homme a  le droit de se les permettre. Sa liberté n’a pas de limite, sa seule limite, c’est le droit d’autrui à ne pas léser. Il peut dire, imprimer, contre Dieu, contre Jésus-Christ, contre la religion, les blasphèmes les plus impies ; les erreurs les plus évidentes ; adorer les idoles, les animaux, les démons ; adopter et exercer tel culte qu’il voudra sans que personne puisse s’y opposer. Il est libre ! Il pourrait se nuire à lui-même en toute liberté, s’il le veut. Rien ne peut l’en empêcher. Il est libre.

 

C’est bien la pensée de nos « révolutionnaires ». Ils le disent clairement dans l’article 10 de leur « Déclaration » : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

 

Ce droit est illimité quant à son objet. On ne peut y mettre aucune restriction parce que la loi n’en met aucune, sauf de ne pas nuire à autrui.  On pourrait croire, il est vrai, que ce droit est nécessairement renfermé dans les limites que la saine raison et la loi naturelle ont tracées à l’homme ; que par conséquent, il serait interdit à tout homme de publier rien qui soit injurieux à Dieu et préjudiciable aux bonnes mœurs. Mais ce serait s’abuser. Il faut dire, au contraire, que cette liberté est un pouvoir illimité pour le mal, et que ce pouvoir est nul pour le bien.

 

Dès lors cette  liberté, qu’on nous représente comme un  droit naturel et imprescriptible de l’homme, serait  une liberté qui nous affranchirait de tout devoir envers Dieu et envers nous-mêmes, et qui ne laisserait  subsister qu’une partie de nos devoirs envers les autres hommes : ne pas leur nuire.

 

Sans doute, la justice défend ce qui peut nuire aux autres hommes. Sans doute il est juste de dire que  « la limite morale de cette liberté est dans cette maxime : « ne fais pas à un autre ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait ». C’est là une des limites essentielles et nécessaires à l’exercice de la liberté humaine.

 

 Mais il faut faire remarquer tout de suite que ce n’est pas l’unique limite. 

 

La maxime qui exprime entièrement la limite absolument nécessaire à l’usage que l’homme peut faire de sa liberté, c’est « ne fais rien de ce qui est contraire à la loi naturelle et à la loi divine » ; et plus clairement encore : « Ne fais rien d’injurieux à Dieu, de nuisible au prochain et de funeste à toi-même ».

 

On voit par là que la maxime révolutionnaire, qu’on a citée plus haut : « ne fais rien qui puisse nuire à autrui », n’exprime qu’en partie la limite morale de la liberté. Il fallait qu’ils incluent aussi le respect de la loi naturelle et de la loi de Dieu.  Mais nos « révolutionnaires » ne pouvaient pas aller jusque là, puisqu’ils prétendaient «  affranchir l’homme du joug de la loi naturelle et de la loi divine » telle que leur définition de la liberté le laisse clairement entendre.  C’est dans tout affranchissement qu’ils font consister la liberté.

 

Et pour se convaincre que c’est  bien la pensée des « philosophes des Lumières », il suffit de voir leur définition de « la loi ». Ils la définissent, dans l’article 6 comme « expression  de la volonté générale. »

 

La définition qu’on donne ici de la loi est générale. Elle doit donc convenir à toute espèce de loi, car telle est la nature de la définition.

 

Or il est évident que cette définition ne convient ni à la loi naturelle, ni à la loi divine, ni à la plupart des lois humaines.

 

Elle ne convient point à la loi naturelle, puisque celle-ci est essentiellement l’expression de la Volonté immuable, éternelle de Dieu, de sa souveraine Sagesse inscrite dans le cœur humain. La loi ne peut être dite d’abord et essentiellement l’œuvre de l’opinion générale. Et si elle est déclarée telle c’est pour prendre ses distances, son indépendance par rapport à l’ordre divin. Et de son Décalogue.

 

Elle ne convient pas non plus  à la loi divine qui dépend uniquement de la Volonté souveraine de Dieu et ne dépend nullement de la volonté générale de ceux à qui la loi est donnée. Mais de cette loi divine, ils voulaient s’en affranchir de nouveau.

 

Elle ne convient point à la plupart des lois humaines parce qu’elles émanent de la volonté de celui ou de ceux qui ont la souveraine autorité sur la communauté, et qu’elle doit être conforme à l’ordre raisonnable sans qu’il soit nécessaire que ceux qui composent la communauté aient été consultés.


Ainsi par leur définition, nos législateurs rejettent la loi naturelle, la loi divine et la plupart des lois humaines parce qu’ils veulent s’affranchir de l’ordre naturel, du bien, du vrai et ne faire que ce que bon leur semble sans référence au moindre principe. L’immanentisme est la seule règle qu’ils acceptent. L’esprit des « philosophes des Lumières » est le règne du subjectivisme absolu. C’est le règne du seul « ego ». Voilà ce qu’on est obligé de penser.

 

Mais la loi perd ainsi toute contrainte puisqu’il est essentiel à toute loi humaine d’être appuyée sur la loi naturelle et divine. Sans cet appui, elle ne peut obliger, elle ne peut être loi. La Révolution est essentiellement anarchie. Mais comme la société ne peut vivre en perpétuelle anarchie. Le « mai 68 » n’a duré que quelques mois…il était donc  nécessaire d’ajouter cette clause à la définition de la liberté : pourvu qu’elle ne nuise pas au bien d’autrui. La limite n’est pas la loi naturelle et divine. La limite de la loi est un bien seulement « extrinsèque ».

 

Ainsi l’analyse des principes, et de la  doctrine révolutionnaire montre combien cette « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » est contraire à la vérité, à l’ordre et au bon sens. Vouloir se « concilier » une telle doctrine est un non sens.

 

Ces réflexions, je pense,  ont rempli suffisamment cet objet. Nous ne voyons pas qu’on puisse les lire avec quelque soin, sans reconnaître que cette Déclaration couvre la vérité d’un voile ténébreux ; qu’elle tend au renversement total de la religion de Jésus-Christ ; qu’elle est dans ses points principaux tout à fait opposée au Saint Evangile ; qu’elle affranchit l’homme de tous ses devoirs que la loi, même naturelle, lui impose par rapport à Dieu ; qu’elle est un véritable amas d’impiété et d’immoralités.

 

Car elle affirme que seule la raison ou l’opinion générale est la mesure de toutes choses ; que la volonté est autonome de tout ordre et de tout principe ; que l’homme se suffit à lui-même ; que sa liberté est essentiellement indépendante ; que cette indépendance est exigée par sa dignité même ; que sa liberté est licence de faire ce qui plait en toute indépendance ; que la souveraineté du nombre fait seule la loi ; et que l’individualisme peut aller jusqu’à l’anarchie pourvu qu’il ne gène pas autrui.

 

Alors que le catholicisme et l’évangile confessent que l’intelligence est dépendante du vrai ; la volonté du bien et de la loi : que dans cette dépendance se trouve la source de la perfection ; que la liberté est réglée par ce principe nécessaire : faire ce qui est bon.

 

Nous nous trouvons devant des principes radicalement différents qui ont engendrés deux mondes opposées, radicalement inconciliables : l’un dominé par « l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu » ; l’autre dominé par « l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi ».

 

Voilà comment on peut fort bien comprendre, je l’ai dit plus haut, qu’il est impossible que le Pape puisse  se « réconcilier » avec le monde moderne. Pie IX en effet condamne cette proposition : «  Le Pontife romain peut et doit se réconcilier et faire un compromis avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne”. C’est le contraire qui est donc vrai.

 

La liberté évangélique n’est pas la liberté « révolutionnaire » qui est licence. La loi évangélique n’est pas « indépendance » rationaliste. Elle est soumission et dépendance à Dieu et son Christ. L’égalité évangélique est celle des « enfants de Dieu ». Elle est hiérarchie. Elle n’est pas « égalitarisme ».

 

Entre l’Eglise et le monde de la Révolution, l’opposition est totale. Vouloir les concilier, même dans un esprit évangélique, est utopique. Vouloir entretenir « un colloque » d’amour et de respect, « un parler ensemble » et « comme la recherche en commun de la solution des problèmes » est peut-être une belle intention, mais c’est certainement une incohérence. Car le monde moderne, dans ses principes,  est essentiellement a-catholique. Mais Gaudium et Spes a décidé de  rompre – désir utopique-  avec « cette attitude de réserve critique à l’égard des forces déterminantes du monde moderne », il faut effacer cette attitude « par une insertion résolue » dans ce mouvement. Mais ce « mouvement » est révolutionnaire et « ses principes » sont opposés à la philosophie de l’Eglise.

 

C’est là que ce trouve l’essentiel du « profond changement dans le rapport de l’Eglise avec le monde ».

Voilà ce que devront soutenir les disciples de Mgr Lefebvre dans leurs colloques. Mais un « dialogue » permettra-t-il de régler ce différent ? Je n’en suis pas sur. Toujours est-il qu’il risque d’être bien long pour aboutir ! Aboutira-t-il ? J’en doute. Et continue à dire que ce n’était pas la solution…Mais ils sont partis dans ce sens…Il faut qu’ils travaillent durs et prient également.

 

 

 

 

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