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Un regard sur le monde

politique et religieux

 

au 25 janvier  2008

 

N° 156

 

Benoît XVI

et

le nouveau « Pape noir » :

le R.P. Adolfo Nicolas S.J.

 

Un acte de gouvernement !

 

 

Le samedi 19 janvier, en fin de matinée, la 35e Congrégation Générale de la Compagnie de Jésus réunie à Rome au lendemain de l’Epiphanie, a élu un successeur au R.P. Kolvenbach, Préposé Général,  démissionnaire pour raison de santé. L’élu de cette 35e Congrégation est le  R.P. Adolfo Nicolas, un espagnol.

 

Mais la Congrégation  qui est composée de 216 délégués, dont une grande majorité est non européenne, (1) n’a pas achevé pour autant  ses travaux. Elle va durer jusqu’au 21 février, date à laquelle le Pape recevra et le nouveau Préposé Général et les 216 délégués des Jésuites

 

L’élection faite, la Congrégation doit en effet  parler  des problèmes internes à la Compagnie de Jésus. Et ces problèmes  semblent nombreux si l’on en croit les deux interventions solennelles – elles y font de claires allusions - qui se sont exprimées auprès de cette Congrégation : celle du cardinal Franc Rodé, qui n’est pas jésuite mais qui est intervenu au nom du Souverain Pontife et surtout celle de  la lettre personnelle du pape Benoît XVI au Père Général démissionnaire, le Peter Hans Kolvenbach.

 

Ces deux interventions sont de véritables actes de gouvernement.

Commençons par étudier celle du cardinal.

 

L’exhortation du cardinal Franc Rodé : il invite les jésuites à accentuer leur fidélité au pape et à l'Eglise

 

La 35e Congrégation Générale s’est ouverte, en effet, le 7 janvier 2008, « dans un climat d’interrogation sur l’identité et la mission des Jésuites dans le monde » (Yves Chiron Aléthéia n° 119). Elle a débutée par une Concélébration présidée par le cardinal Franc Rodé, en sa qualité de préfet de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique.  

 

Le cardinal Franc Rodé a prononcé l’homélie dans laquelle il a exprimé deux fois sa « tristesse » et son  « inquiétude ».

 

Sa tristesse et son inquiétude, tout d’abord,  face à l’« éloignement croissant ( de la Compagnie de Jésus)  de la Hiérarchie »: « Avec tristesse et inquiétude je vois un éloignement croissant de la Hiérarchie. La spiritualité ignatienne du service apostolique "sous le Souverain Pontife" n’accepte pas cet éloignement. Dans les Constitutions qu’il vous a laissées comme norme de vie, Ignace veut véritablement modeler votre esprit et dans le livre des Exercices (n° 353) il écrit : "Renoncer à tout jugement propre et se tenir prêt à obéir promptement à la véritable Epouse de Jésus Christ, notre Seigneur, c’est à dire à la sainte Eglise hiérarchique, notre Mère".
Sur cette ligne, toujours suivie par la Compagnie au long de son histoire pluri-centenaire, la XXXVème Congrégation Générale doit se placer aussi au moment où elle s’ouvre par cette liturgie célébrée près des restes de votre Fondateur montrant votre volonté et votre engagement d’être fidèles au charisme qu’il vous a laissé en héritage et de l’actualiser pour répondre au mieux aux nécessités de l’Eglise de notre temps. ».

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(1) Comme le fait remarquer Yves Chiron dans Aléthéia, n° 119 : « l’origine de ces 225 délégués montre bien que le centre de gravité de la Compagnie de Jésus a basculé hors d’Europe : 18 délégués viennent d’Afrique, 40 d’Amérique Latine, 64 d’Asie et d’Australie, 69 d’Europe et 34 des Etats-Unis. Les Européens ne représentent plus qu’environ un quart des 22.000 Jésuites que compte la Compagnie (elle comptait 35.000 membres au début des années 1960).  « La Province de France, dirigée par le P. Dumortier, rassemble 27 petites communautés en France métropolitaine et 7 communautés extérieures (une au Maroc, trois en Algérie, une en Grèce, une sur l’île Maurice et une à La Réunion) rattachées à la Province de France. On est loin de l’époque où les Jésuites de France étaient répartis en six Provinces. Le noviciat de l’unique Province française, désormais situé à Saint-Didier-du-Mont-d’Or, près de Lyon, compte six novices (dont une fille, car le noviciat est mixte).

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Il ne mâche pas ses mots.

 

Aussi leur  demande-t-il de rester fidèle à leur fondateur, Saint Ignace et à son fameux « sentire cum ecclesia » : « Je vois avec tristesse et inquiétude que même chez plusieurs membres … le sentire cum Ecclesia, dont parle fréquemment votre Fondateur, diminue. L’Eglise attend de vous un effort pour restaurer le sensus Ecclesiae. Les Exercices Spirituels de Saint Ignace sont votre spécialité. Les règles du sentire cum Ecclesia forment une partie intégrante et essentielle de ce chef-d’œuvre de la spiritualité catholique. »  Soyez y donc fidèles !

 

Le cardinal Rodé demande ainsi une fidélité plus grande des jésuites à la hiérarchie catholique. C’est en ce sens qu’il faut que vous portiez un réel effort !

 

Il leur demande aussi « de présenter aux fidèles et au monde l’authentique vérité révélée dans l’Ecriture et la tradition ». Cela laisse supposer bien des choses…

Car une attitude d’infidélité au Magistère  « désoriente, leur dit-il, les fidèles et les conduit vers un relativisme sans horizon. La vérité est une, même si elle peut être connue plus profondément. Le garant de la vérité révélée est le "Magistère vivant de l’Eglise dont l’autorité s’exerce au nom de Jésus Christ" (DV 10). Les exégètes et les experts en théologie doivent s’appliquer à collaborer pour approfondir et expliquer, "sous la vigilance du Magistère",  - cette soumission au Magistère est répétée ainsi deux fois  - les richesses que cette vérité révélée contient (cf. DV 23). Vous, par votre longue et solide formation, vos centres de recherche, par l’enseignement dans les domaines philosophique, théologique et bibliques, vous vous trouvez dans une situation privilégiée pour la réalisation de cette difficile mission. Réalisez-la par l’étude et l’approfondissement, réalisez-la avec humilité, réalisez-la avec foi dans l’Eglise, réalisez-la avec l’amour pour l’Eglise. »

 

On ne peut être  plus clair !

 

Dans cette ligne, il souhaite que les  censeurs jésuites aient plus de vigilance: « Ceux qui, selon votre législation, doivent veiller sur la doctrine de vos revues, de vos publications, qu’ils le fassent à la lumière et selon les ”règles du sentire cum Ecclesia” avec amour et respect. ».

 

Comment ne pas voir ici une claire allusion aux théologiens jésuites qui ont fait ces deniers temps,  l’objet de notifications de la Congrégation pour la doctrine de la Foi pour leurs écrits erronés en matière de christologie : le P. Jacques Dupuis en 2001, le P. Roger Haight en 2004, le P. Jon Sobrino en 2006 et un quatrième, le P. Peter C. Phan,  qui a reçu, en 2006, de la part de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et, en 2007, de la part de la Commission doctrinale de la Conférence épiscopale américaine, des exhortations à s’expliquer sur plusieurs points litigieux de ses écrits.

On voit que, sans que leurs noms soient cités, la tendance hétérodoxe qu’ils représentent suscite de l’inquiétude à Rome et auprès du Pape qui fait un juste et nécessaire rappel. On peut dire que le pape veut que « les pendules  soient mises à l’heure ». C’est l’objet du discours du cardinal.

 

Cette fidélité au Magistère de l’Eglise peut aller jusqu’à sacrifier ses propres pensées, affirme encore le cardinal - ce qui est  certainement crucifiant. Mais n’est-ce pas la sagesse que vous a laissée Saint Ignace. Le cardinal le dit en une très belle phrase : « Servir dans la Compagnie signifie servir “sous l’étendard de la Croix”. Tout service fait avec amour implique nécessairement de se vider de soi-même, une kénose. Mais cesser d’accomplir ce qu’on désire accomplir pour faire ce que désire la personne aimée transforme cette kénose à l’image du Christ qui apprit, de ce qu’il souffrit, l’obéissance (cf. He 5,8). C’est pour cela que Saint Ignace avec réalisme ajoute que le Jésuite sert l’Eglise "sous l’étendard de la Croix" ».

 

Faites de même !

 

 On devine aisément que le cardinal Rodé exprime, dans son homélie,  la pensée et les attentes de Benoît XVI. Et ce qui préoccupe aussi  le chef de l’Eglise, c’est l'influence des jésuites sur les orientations d’autres ordres religieux et sur la formation de prêtres et d’étudiants en théologie dans les nombreuses écoles et universités que la Compagnie dirige dans le monde entier, à commencer par l’Université Pontificale Grégorienne de Rome, creuset de tant de futurs évêques. « Ils sont nombreux les Instituts de vie consacrée qui, participant à la spiritualité ignatienne, regardent avec attention vos choix ; ils sont nombreux les futurs prêtres qui, dans vos universités et facultés, se préparent à exercer un ministère; elles sont nombreuses les personnes qui, dans ou hors de l’Eglise, fréquentent vos centres d’enseignement avec le désir de trouver une réponse aux défis que la science, la technique, la mondialisation, l’inculturation, le consumérisme et la misère, posent à l’humanité, à l’Eglise et à la foi, avec l’espérance de recevoir une formation qui les rendent capables de construire un monde de vérité et de liberté, de justice et de paix. »

 

Voyons maintenant la lettre du Pape.

 

La lettre du Pape au R.P. Kolvenbach : « Réaffirmez votre totale adhésion à la Doctrine et au magistère de l’Eglise» 

 

Trois jours après l’homélie du cardinal Rodé, Benoît XVI adresse, le 10 janvier,  une lettre au R.P. Kolvenbach, pour lui exprimer, certes,  l’assurance de son « affection » : « A l'occasion de la 35ème Congrégation Générale de la Compagnie de Jésus, je souhaite vivement vous adresser, à vous-même et à tous ceux qui prendront part à cette Congrégation, mes cordiales salutations, jointes à l'assurance de mon affection et de ma constante proximité spirituelle ».  

 

Mais il veut surtout  faire « quelques considérations » pour « encourager » et « stimuler » les Jésuites « à réaliser toujours mieux l’idéal de la Compagnie » : « Vous avez là une occasion providentielle d'imprimer à la Compagnie de Jésus la nouvelle impulsion ascétique et apostolique que tous souhaitent, pour que les Jésuites puissent accomplir pleinement leur mission et affronter les défis du monde moderne avec cette fidélité au Christ et à l'Eglise qui a caractérisé l'action prophétique de Saint Ignace de Loyola et de ses premiers compagnons »

 

Il  demande à la Compagnie de rester fidèle au « vœu d’obéissance directe au successeur de Pierre, perinde ac cadaver » : « Je saisis …l'occasion de cette Congrégation Générale »  pour vous encourager et vous stimuler « à réaliser toujours mieux l'idéal de la Compagnie, tel qu'il est décrit dans ces paroles qui vous sont familières : « combattre pour Dieu sous l'étendard de la Croix et servir le Seigneur seul et l'Eglise son Epouse sous le Pontife Romain, vicaire du Christ sur la terre » (Exposcit debitum, 21 juillet 1550). Il s'agit d'une fidélité « particulière », sanctionnée pour beaucoup parmi vous par un vœu d'obéissance directe au Successeur de Pierre, « perinde ac cadaver ». De cette fidélité, qui constitue le signe distinctif de votre Ordre, l'Eglise a encore plus besoin aujourd'hui, à une époque où se ressent l'urgence de transmettre de manière intégrale à nos contemporains, distraits par tant de voix discordantes, le message unique et inchangé de salut qu'est l'Evangile, « non comme une parole d'homme mais comme ce qu'il est réellement, la parole de Dieu », qui opère en ceux qui croient.

 

Il  rappelle qu’ « il est indispensable […] que la vie des membres de la Compagnie de Jésus, ainsi que leur recherche doctrinale, soient toujours animées par un vrai esprit de foi et de communion en harmonie avec les indications du Magistère ».

 

Il souhaite aussi « vivement » que « tous les Jésuites » soient « encouragés à promouvoir la vraie et saine doctrine catholique. »

 

Si ces exhortations ne sont pas nouvelles – Benoît XVI  reprend, en effet,  certaines recommandations faites par Jean-Paul II et Paul VI lors des précédentes Congrégations Générales – la demande qui suit est plus inattendue. En effet, quittant les directives générales, Benoît XVI  demande à la Congrégation Générale de faire une profession de foi sur différents points et doctrines qui ont conduit notamment aux mises en garde et condamnations citées ci-dessus. « Il pourrait être fort utile, a dit le Pape, que la Congrégation Générale réaffirme, dans l’esprit de saint Ignace, son adhésion totale à la doctrine catholique, en particulier sur des points névralgiques fortement attaqués aujourd’hui dans la culture séculière, comme par exemple le rapport entre le Christ et les religions, certains aspects de la théologie de la libération, et divers points de la morale sexuelle, surtout pour ce qui regarde l’indissolubilité du mariage et la pastorale des personnes homosexuelles. »

 

Depuis longtemps on n’avait pas entendu un Pape se montrer aussi directif envers les Jésuites.

C’est là encore un vrai acte de gouvernement, cette fois, direct et  personnel. Une preuve de plus qu’il est légitime de dire que « les choses changent à Rome »… « Un coup de barre est donné à Rome en faveur de la Tradition ». Ne pas le reconnaître, c’est risquer de s’entêter. Alors attention !!!

 

Mais il est bon de lire intégralement cette lettre pour s’en convaincre.

 

« Au Révérend Père

PETER-HANS KOLVENBACH, SJ

Préposé Général de la Compagnie de Jésus

A l'occasion de la 35ème Congrégation Générale de la Compagnie de Jésus, je souhaite vivement vous adresser, à vous-même et à tous ceux qui prendront part à cette Congrégation, mes cordiales salutations, jointes à l'assurance de mon affection et de ma constante proximité spirituelle. Je sais quelle importance revêt pour la vie de la Compagnie l'événement que vous célébrez, et je sais aussi que, pour cette raison, il a été préparé avec grand soin. Vous avez là une occasion providentielle d'imprimer à la Compagnie de Jésus la nouvelle impulsion ascétique et apostolique que tous souhaitent, pour que les Jésuites puissent accomplir pleinement leur mission et affronter les défis du monde moderne avec cette fidélité au Christ et à l'Eglise qui a caractérisé l'action prophétique de Saint Ignace de Loyola et de ses premiers compagnons.

Aux fidèles de Thessalonique, l'Apôtre écrit qu'il leur a annoncé l'évangile de Dieu, « vous encourageant et vous adjurant -précise-t-il- de vous comporter d'une manière digne de Dieu qui vous appelle à son royaume et à sa gloire » (1 Th 2,12). Et il ajoute : « Voici pourquoi, de notre côté, nous rendons sans cesse grâce à Dieu : quand vous avez reçu la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l'avez accueillie, non comme une parole d'homme, mais comme ce qu'elle est réellement, la parole de Dieu, qui est aussi à l'œuvre en vous, les croyants » (1 Th 2,13). La parole de Dieu est donc d'abord « reçue », c'est-à-dire écoutée, puis, pénétrant jusqu'au cœur, elle est « accueillie », et qui la reçoit reconnaît que Dieu parle à travers son envoyé : ainsi la parole agit dans les croyants. Comme au temps de Paul, aujourd'hui encore l'évangélisation exige une adhésion totale et fidèle à la parole de Dieu : adhésion avant tout au Christ, et écoute attentive de son Esprit qui guide l'Eglise, obéissance docile aux Pasteurs que Dieu a placés comme guides de son peuple, et dialogue prudent et franc avec les requêtes sociales, culturelles et religieuses de notre temps. Tout cela suppose, nous le savons bien, une communion intime avec Celui qui nous appelle à être ses amis et ses disciples, une unité de vie et d'action qui se nourrit de l'écoute de sa parole, de contemplation et de prière, de détachement de la mentalité du monde, et d'une conversion incessante à son amour, pour que ce soit Lui, le Christ, qui vive et agisse en chacun de nous. Là est le secret de l'engagement apostolique et missionnaire de tout chrétien, et plus encore de ceux qui sont appelés à un service plus direct de l'Evangile.

Ceux qui prendront part à la Congrégation Générale sont bien conscients de tout cela, et je tiens à rendre hommage à l'important travail déjà accompli par la commission préparatoire qui, pendant l'année 2007, a examiné les postulats reçus des Provinces et indiqué les questions à aborder. Je voudrais adresser mes pensées de gratitude en premier lieu à Vous, cher et vénéré Père Préposé Général, qui guidez la Compagnie de Jésus depuis 1983 de façon éclairée, sage et prudente, cherchant toujours à la maintenir sur la voie du charisme originel. Vous avez demandé plusieurs fois, pour des raisons objectives, à être relevé d'une charge aussi lourde, assumée avec un grand sens de votre responsabilité à un moment nullement facile de l'histoire de votre Ordre. Je vous exprime mes vifs remerciements pour le service rendu à la Compagnie de Jésus, et plus généralement à l'Eglise. Mes sentiments de reconnaissance s'étendent à vos collaborateurs plus directs, aux participants à la Congrégation Générale, et à tous les Jésuites présents dans les différentes parties de la planète. Que parvienne à tous et à chacun, le salut du Successeur de Pierre, qui suit avec affection et estime les travaux apostoliques multiples et appréciés des Jésuites, et les encourage tous à continuer sur le chemin ouvert par leur saint Fondateur et parcouru par d'innombrables frères, dévoués à la cause du Christ, et dont beaucoup ont été inscrits par l'Eglise sur le livre des saints et des bienheureux. Que du ciel, ceux-ci protègent et soutiennent la Compagnie de Jésus dans la mission qu'elle remplit en notre époque, marquée par tant de défis complexes, sociaux, culturels et religieux.

A ce propos, comment ne pas reconnaître la contribution de valeur que la Compagnie apporte à l'action de l'Eglise en divers domaines et de différentes manières ? Contribution réellement importante et digne de louange, que seul le Seigneur pourra récompenser comme il se doit. Comme mes vénérés prédécesseurs, les serviteurs de Dieu Paul VI et Jean Paul II, je saisis moi aussi volontiers l'occasion de cette Congrégation Générale pour mettre en lumière tout cet apport, et pour offrir en même temps à votre réflexion quelques considérations qui vous encouragent et vous stimulent à réaliser toujours mieux l'idéal de la Compagnie, tel qu'il est décrit dans ces paroles qui vous sont familières : « combattre pour Dieu sous l'étendard de la Croix et servir le Seigneur seul et l'Eglise son Epouse sous le Pontife Romain, vicaire du Christ sur la terre » (Exposcit debitum, 21 juillet 1550). Il s'agit d'une fidélité « particulière », sanctionnée pour beaucoup parmi vous par un vœu d'obéissance directe au Successeur de Pierre, « perinde ac cadaver ». De cette fidélité, qui constitue le signe distinctif de votre Ordre, l'Eglise a encore plus besoin aujourd'hui, à une époque où se ressent l'urgence de transmettre de manière intégrale à nos contemporains, distraits par tant de voix discordantes, le message unique et inchangé de salut qu'est l'Evangile, « non comme une parole d'homme mais comme ce qu'il est réellement, la parole de Dieu », qui opère en ceux qui croient.

Pour cela, il est indispensable, comme le rappelait déjà notre bien-aimé Jean Paul II aux participants à la 34ème Congrégation Générale, que la vie des membres de la Compagnie de Jésus, ainsi que leur recherche doctrinale, soient toujours animées par un vrai esprit de foi et de communion « en harmonie avec les indications du Magistère » (Discours de Jean-Paul II, 5 janvier 1995, n.5). Je souhaite vivement que la présente Congrégation réaffirme clairement le charisme authentique de votre Fondateur, pour encourager tous les Jésuites à promouvoir la vraie et saine doctrine catholique. Comme Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, j'ai pu apprécier la précieuse collaboration de consulteurs et d'experts jésuites, qui en pleine fidélité à leur charisme, ont considérablement contribué à la promotion et la réception fidèle du Magistère. Ce n'est certes pas un engagement simple, spécialement quand on est appelé à annoncer l'Evangile dans des contextes sociaux et culturels très divers et qu'il faut affronter des mentalités différentes. J'apprécie donc sincèrement toute la peine prise ainsi au service du Christ, une peine qui est fructueuse pour le bien même des âmes, dans la mesure où l'on se laisse guider par l'Esprit Saint et demeure docile aux enseignements du Magistère, se référant aux principes de base de la vocation ecclésiale du théologien présentés dans l'Instruction Donum veritatis.

L'œuvre évangélisatrice de l'Eglise compte donc beaucoup sur la responsabilité formatrice qu'a la Compagnie dans les domaines de la théologie, de la spiritualité et de la mission. Pour offrir à l'entière Compagnie de Jésus une orientation claire qui soit un soutien pour un dévouement apostolique généreux et fidèle, il pourrait donc être fort utile que la Congrégation Générale réaffirme, dans l'esprit de saint Ignace, son adhésion totale à la doctrine catholique, en particulier sur des points névralgiques fortement attaqués aujourd'hui dans la culture séculière, comme par exemple le rapport entre le Christ et les religions, certains aspects de la théologie de la libération, et divers points de la morale sexuelle, surtout pour ce qui regarde l'indissolubilité du mariage et la pastorale des personnes homosexuelles.

Révérend et cher Père, je suis persuadé que la Compagnie perçoit l'importance historique de cette Congrégation Générale et que, guidée par l'Esprit Saint, elle voudra encore une fois, comme le disait le bien-aimé Jean-Paul II en janvier 1995, « réaffirmer sans équivoque et sans hésitation, son chemin vers Dieu si spécifique, que saint Ignace a tracé dans la Formula Instituti : la fidélité aimante à votre charisme sera la source assurée d'une fécondité renouvelée » (op.cit., n.3). Les paroles que mon vénéré prédécesseur Paul VI vous a adressées dans une autre circonstance analogue, sont elles aussi particulièrement actuelles : « nous devons tous veiller afin que l'adaptation nécessaire ne soit pas faite au détriment de l'identité fondamentale, de l'essence de la figure du Jésuite, telle qu'elle est décrite dans la Formula Instituti, telle que l'histoire et la spiritualité propre de l'Ordre la proposent, et telle que l'interprétation authentique des besoins mêmes des temps semble encore la réclamer aujourd'hui. Cette image ne doit pas être altérée, elle ne doit pas être défigurée » (Discours de Paul VI, 3 décembre 1974, II).

Les enseignements des successeurs de Pierre manifestent de façon continue leur grande attention envers les Jésuites, leur estime pour vous et leur désir de pouvoir compter toujours sur le précieux apport de la Compagnie à la vie de l'Eglise et à l'évangélisation du monde. Je confie la Congrégation Générale et l'entière Compagnie de Jésus à l'intercession de votre saint Fondateur et des saints de votre Ordre et à la protection maternelle de Marie, pour que chaque fils spirituel de saint Ignace puisse tenir le regard fixé « d'abord sur Dieu, ensuite sur la nature de son Institut » (Formula Instituti,1).

Vous assurant de ma prière, je vous accorde de grand cœur, à vous-même, Révérend Père, aux membres de la Congrégation Générale et à toute la Compagnie de Jésus, une bénédiction apostolique spéciale.

Au Vatican, 10 janvier 2008

Benedictus XVI

[© Copyright du texte original en italien : Libreria Editrice Vaticana - Traduction distribuée par le Bureau de presse des Jésuites]

 

Mais qui est Père Adolfo Nicolás, nouveau  Supérieur Général de la Compagnie de Jésus ?


Le jésuite espagnol Adolfo Nicolas, doyen de théologie à la Sophia University de Tokio, est le nouveau « pape noir » et, donc, le 29e successeur du fondateur Saint Ignace de Loyola. C’est lui qui a été élu par la Congrégation Générale des Jésuites réunie cette semaine à Rome pour élire le successeur de Peter Hans Kolvenbach. Le religieux espagnol a été délégué pour l'Asie Orientale et l'Océanie. Le Père Adolfo Nicolas, vécut pendant bien des années au Japon et a été élu au second scrutin; il a 71 ans, est né à Palencia, en Espagne, le 29 avril 1936.

Depuis son jeune âge, il a vécu en Asie, en particulier au Japon. Avant l'élection comme « pape noir, il était modérateur de la Conférence Jésuite de l'Asie Orientale et d'Océanie. Le 15 septembre 1953, il est entré au noviciat d'Aranjuez de la Province Toletana (Espagne). Entre 1958 et 1960, il a étudié la Philosophie à Madrid, en obtenant sa licence, et entre 1964 et 1968 la Théologie à Tokyo. Il a été ordonné prêtre dans la capitale nippone le 17 Mars 1967. Entre 1968 et 1971 il a fréquenté l’Université Pontificale Grégorienne, à Rome, en obtenant un Master en Théologie sacrée. Depuis 1971, il a été professeur de Théologie Systématique à la Sophia University de Tokyo. De 1978 à 1984, il a été directeur de l'Institut Pastoral de Manille (Philippines), de 1993 à 1999, provincial de la Province des Jésuites du Japon.

En 83, lorsque fut élu le père hollandais Kolvenbach, un des candidats parmi les plus cotés, provenait aussi de la Sophia University de Tokio : le père Giuseppe Pittau, l'homme choisi par le pape Jean Paul II comme vice-délégué pour seconder le père Paolo Dezza dans le remplacement difficile du père Pedro Arrupe, le « pape noir » qui avait été terrassé par une thrombose cérébrale.

Le nouveau préposé général jouit d’une vaste estime au sein même de l’ordre et au Vatican pour avoir été le secrétaire de la dernière Congrégation Générale, avec lequel le père Kolvenbach a ramené les jésuites à des positions plus modérées.
Il est l’auteur d’une étude sur les directives spirituelles de saint Ignace dans sa correspondance (1960), d’un essai sur la Théologie du Progrès (1972) et de réflexions sur la vie religieuse, intitulée L’horizon de l’espérance (1978).

C'est donc le 21 février prochain, que le pape Benoît XVI recevra au Vatican les membres de la 35e Congrégation Générale de la Compagnie de Jésus et leur nouveau Supérieur Général Le Père Adolfo Nicolás.