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Un regard sur le monde

politique et religieux

 

au 25avril 2008

 

N° 167

 

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

Dom Gérard et la messe

quelques nuances et précisions 

 

 

 

Dans Présent du jeudi 17 avril 2008,  Jean Madiran, dans un article intitulé « Dom Gérard et la messe »,  prend la « défense » de Dom Gérard quant à sa position sur la messe tridentine. Il refuse de voir quelques faiblesses de cet illustre père abbé en cette « affaire » liturgique. La « fermeté de Dom Gérard face à la nouvelle messe » est, dit-il évidente. Les fondations de Bedouin puis du Barroux en sont  la preuve. Les constitutions « approuvées et confirmées », le 16 mars 1989 par le Saint Siège sont claires. On peut y lire : « Plus de vingt ans après l’ouverture du Concile, au milieu de tant d’incertitudes et d’angoisses qui troublent même les catholiques fidèles, les moines du Monastère Sainte Madeleine veulent joindre, à la fidélité à (leur) héritage monastique, la fidélité à la tradition liturgique de la sainte Eglise, notamment au Missel romain promulgué en 1570 par saint Pie V, sur l’ordre du concile de Trente(….)

« Vie monastique, selon la Règle de saint Benoît et les coutumes léguées par nos anciens, office divin et liturgie de la messe célébrés, dans la langue latine : telles sont les deux sources qui ont donné naissance à la communauté du Barroux et constituent sa raison d’exister. »

 

Ces paroles sont citées dans « le Livre Blanc » du Barroux à la page 19. : « Livre Blanc reconnaissance canonique du Monastère. 1970-1990 »

 

Jean Madiran cite seulement le dernier paragraphe.

Voilà ce qu’a voulu dès le début et pour toujours Dom Gérard.

Honneur à Dom Gérard.

 

Jean Madiran cite également  dans cet article des passages d’une lettre que Dom Gérard a cru devoir écrire à ses moines quelques temps avant que le Bon Dieu le rappelle à Lui. Presque un an avant. On est content d’en connaître quelques extraits. Il n’en donne pas la date. Cette lettre est du  9 mars 2006.

Les raisons de cette lettre laissent supposer une situation « tendue » au monastère.  Les quelques concélébrations dans le rite nouveau que Dom Gérard avaient du concéder à l’extérieur du monastère, sous la pression des événements, auraient, semble-t-il, occasionné quelques confusions parmi les moines, certains en prenant occasion pour désirer introduire le nouveau rite dans les célébrations conventuelles, en en réclamant même le « droit ».

 

Dom Gérard réagit avec vigueur.  Jean Madiran en site, vous dis-je, quelques passages: « Je regrette infiniment, écrivait Dom Gérard, que les deux concélébrations que j’ai consenties pour le bien de notre fondation d’Agen puissent créer un précédent dont on s’autoriserait à tort, non seulement pour en poursuivre et multiplier la pratique, mais aussi et surtout pour le reconnaître comme l’exercice d’un droit. »

 

C’est une belle protestation. Elle nous réjouit profondément.

 

Gravement, il ajoutait, à ce sujet, nous dit encore Jean Madiran : « Il me revient le droit d’interdire formellement que l’on s’autorise de moi pour faire le contraire de ce que j’ai enseigné et pour quoi j’ai milité contre vents et marées ».

 

Aussi suppliait-il le 4 mars 2006, je peux l’ajouter,  « à deux genoux, pour l’unité de la communauté de tabler fermement sur notre droit propre. En 1997, il y a 9 ans, en réunion de prêtres, c’était la ligne définie par le Père Abbé pour la communauté. Merci mon cher Père Abbé de bien vouloir continuer ». Ce mot est souligné dans le texte. Il s’adressait au RP Louis Maris, son successeur à la tête du monastère.

 

Voici qui est clair. Voici ce qu’il faut retenir. Voici quel est, en quelque sorte,  son testament. Ceci connu, ce que je souhaitais,  fera l’unité du monastère. J’en suis convaincu.

 

Toutefois, il faut reconnaître, me semble-t-il,  que Dom Gérard eut parfois quelques attitudes « équivoques » et très « politiques » dans ce « combat » pour la messe dite de saint Pie V.

 

Je lui reproche d’avoir signé le protocole entre la C.M.F  (Centre Monastique de France) et l’abbaye du Barroux.

 

En voici le texte :

 

« En vue du vote d’admission de l’abbaye du Barroux comme membre de la conférence monastique de France, il a paru nécessaire aux membres du bureau de cette Conférence, réunis le 14 octobre 1998, d’inviter un représentant de ce monastère afin de préparer avec lui un protocole pouvant servir de base à ce vote. Le Père abbé du Barroux a délégué pour cela le P. Basile Valuet, préfet des études.

Il parait d’abord utile de prendre en compte l’histoire de ce monastère, son cheminement aussi bien avant qu’après sa réconciliation avec l’Eglise en 1988, le contexte familial de nombreux moines issus des milieux proches d’Ecône, et donc les ruptures avec leurs familles, leurs amis et même au sein de la communauté, souvent occasionnées par cette réconciliation.

 

Il convient d’ajouter que l’abbé et la communauté du Barroux n’ont jamais mis en doute la validité de la messe célébrée selon le rite de Paul VI, et que par ailleurs, suite à une étude approfondie du Concile Vatican II (notamment sur la liberté religieuse), ils adhèrent désormais unanimement à sa doctrine. Ceci permet d’augurer une évolution des moines de cette communauté, qu’il faut laisser se poursuivre à son rythme ( par exemple dans le domaine de la concélébration).

 

Ceci étant, le Père Abbé accepte :

 

-de concélébrer ou d’envoyer son représentant concélébrer avec l’évêque diocésain à la messe chrismale, partout où son monastère est ou sera implanté

-que les moines prêtres de son monastère puissent, s’ils le désirent, concélébrer à la messe conventuelle dans les communautés où ils seront en visite.

Enfin, il faut noter que les prêtres en visite à l’abbaye du Barroux peuvent, s’ils le souhaitent, célébrer, voire concélébrer, la messe selon le rite de Paul VI »

 

Au bas du document, vous trouvez la signature du Président du CMF, le RP Etienne Ricaud et le RP abbé Dom Gérard, OSB.

 

Dom Gérard n’aurait pas du signer un tel document. Il acceptait ainsi le bi ritualimse pour ses moines, même dans son propre monastère. Il ne dressait plus une totale  barrière face au nouveau rite, d’une « fabrication artificielle », comme le dit Benoît XVI, « pernicieuse par son caractère évolutif et œcuménique ».

 

Mais honneur à Dom Gérard qui, dans sa lettre du 9 mars 2006, à ses moines, écrit : «  je le regrette maintenant puisque certains d’entre vous le considèrent comme un précédent, chose que je ne voulais absolument pas ».

 

Certes ! Mais quel précédent !

Fallait-il pour avoir une reconnaissance dans un diocèse aller jusque là…J’ai toujours préféré la mâle attitude de Mgr Lefebvre…que j’ai cherché à appliquer, dans la FSSPX, dès années durant et que je poursuis.

 

De plus, il me paraît fragile de s’appuyer sur son « droit propre », fut-il reconnu par Rome…On sait ce qu’il en a coûté aux autres communautés « Ecclesia Dei Adflicta ». Elles ont bien failli être « englouties » malgré le droit propre inhérent à leurs Constitutions. (cf Mon livre : l’enjeu de l’Eglise : la messe, Livre IV l’affaire de la Fraternité saint Pierre p. 393 et sv, aux éd Héligolande. BP 2 27290 Pont-Authou). Il vaut mieux s’appuyer sur la Bulle Quo Primum Tempore, non abolie, comme vient de le reconnaître enfin Benoît XVI  qui donne un droit perpétuel à tout prêtre de célébrer cette messe tridentine. C’est un droit universel. C’est plus fort.

 

Je dois dire aussi que je regrette qu’il ait accepté de « recevoir » le « Motu proprio « Ecclesia Dei » du 2 juillet 1988. Il est vrai que l’Eglise s’engageait, dans ce texte,  à « respecter le désir spirituel de tous ceux qui se sent(ai)ent liés à la tradition liturgique latine en faisant une application large et généreuses des directives données en leur temps par le Siège Apostolique pour l’usage du missel romain selon l’édition  typique de 1962 ». C’était très tentant !

Mais quelles étaient donc les directives romaines en cette affaire liturgique, à cette époque,  sinon celles précisées par la lettre du 3 octobre 1984, la lettre « Quattuor abhinc annos ». La note 9 y renvoyait, du reste,  expressément. Il aurait du le voir.

 

Or cette lettre oblige, pour bénéficier de l’usage de la liturgie de 1962, de reconnaître la « légitimité et la rectitude doctrinale du missel romain promulgué en 1970 par le Pontife romain Paul VI ». C’est le « a » de la lettre du 3 octobre 1984.  

 

Or cela, Dom Gérard ne pouvait pas l’accepter. Que la nouvelle messe soit valide, nul ne l’a jamais nié ni contesté. Surtout pas le Père Calmel, l’abbé Dulac, Mgr Lefebvre, M Salleron…mais tous ont contesté la rectitude doctrinale de cette réforme liturgique. Ce fut la raison même de leur résistance. C’était la conclusion de la lettre de présentation signée par le cardina Ottaviani,  le Cardinal Bacci au Pape Paul VI.  C’est l’objet du Bref Examen Critique. M l’abbé Dulac, Mgr Lefebvre contestaient même la « légitimité canonique » du Novus Ordo Missae en ce sens qu’ils constataient  les  irrégularités canoniques dans sa publication.

 

Et voilà pourquoi j’ai tant reproché à  Dom Gérard – ce que me reproche gentiment Jean Madiran dans son article  -   d’avoir prononcé en 1998, le 24 octobre 1998, le mot « orthodoxie » devant le cardinal Ratzinger pour justifier sa concélébration avec le Pape Jean-Paul II. J’ai toujours compris ce mot dans le sens de « rectitude doctrinale ».  

C’est en ce sens, du moins, que je l’interprétais et qu’il fallait, je crois, l’interpréter.

 

Le cardinal Ratzinger lui-même venait de parler, le premier, en ce 24 octobre 1998,  « d’orthodoxie ». Il en donnait la définition. Il disait : « Il est bon de rappeler ici ce qu’a constaté le Cardinal Newman qui disait que l’Eglise, dans toute son histoire, n’avait jamais aboli ou défendu des formes liturgiques orthodoxes, ce qui serait tout à fait étranger à l’Esprit de l’Eglise. Une liturgie orthodoxe, c’est-à-dire qui exprime la vraie foi, n’est jamais la compilation faites selon des critères pragmatiques de diverses cérémonies dont on pourrait disposer de manières positivistes et arbitraires – aujourd’hui comme ça et demain autrement …».

 

Tout de suite après, Dom Gérard prenait la parole et disait : « Le scandale de la division doit cesser, pour être remplacé par la concorde, la concertation et l’unité. C’est dans cet esprit de paix et de concorde que le 27 avril 1995, j’ai accepté de concélébrer avec le saint Père, désirant montrer par là que nous tous qui militons pour le maintien de l’ancien missel, nous croyons à la validité et à l’orthodoxie du nouveau rite ».

 

Mais  précisément cette nouvelle messe exprime-t-elle la vraie foi ? Est-elle conforme en tous points, comme je le dis dans mon livre l’enjeu de l’Eglise : la messe, à la doctrine catholique ?  Ne s’éloigne-t-elle pas peu ou prou de la foi catholique ?  Mais enfin tout de même, le cardinal Ottaviani a dit que cette nouvelle messe s’éloignait de la doctrine catholique telle que définie pour toujours par le  concile de Trente en sa session 22è ?

Et voilà pourquoi j’ai trouvé légitime et je trouve encore légitime de protester contre cette affirmation de Dom Gérard.

 

J’ai, dans trois chapitres de ce livre, parlé de cette affaire, pour moi, importante mais toujours en des termes respectueux. Je me permets de vous donner un de ces chapitres, le chapitre I du livre III  intitulé : « JE REVIENS DE ROME »

 

« Informé par le tract de Dom Gérard, de la visite à Rome des communautés « Ecclesia Dei », les 24 et 26 octobre 1998, pour aller dire au Pape leur action de grâces et tout autant leurs inquiétudes, j’ai pensé utile de participer à ce voyage en tant qu’« auditeur libre ». Il y a des événements qu’il est bon de voir par soi-même. Celui-ci en était un, me semble-t-il. J’écris à Dom Gérard et lui demande de m’inviter. Je lui adresse, en plus, mon commentaire sur le livre de Christophe Geffroy, le numéro de septembre du Bulletin Saint-Jean-Eudes. Il connaîtra ainsi ma pensée. Il me répond, le 29 septembre 1998, favorablement, ne doutant pas de « mon esprit fraternel ». J’en informe la Maison Générale. Quelques jours passent. Je lui téléphone. Il me donne le programme des trois jours romains. Il me l’adresse par fax. Je fais retenir une place sur le vol Air France. Le vol est prévu pour le vendredi 23 octobre à 18h 55.

 

Le vendredi 23 octobre

.

J’arrive à Rome-Fumicino. Un confrère d’Albano m’attend, un « petit-suisse »… Il me conduit au prieuré.

 

Le 24 octobre à Rome

 

Les congressistes sont attendus par le Cardinal Ratzinger à 11h 30. Je prends le bus vers 9 heures, à Albano. Il m’amène jusqu’au métro. La ligne « A » traverse tout Rome jusqu’à son

terme: « Ottaviano San Petro ». Je vois le dôme de Saint-Pierre. J’arrive à Saint-Pierre. Je rencontre les premiers pèlerins français. Ils attendent ou recherchent Monsieur l’abbé Lourdelais, sont un peu perdus. Je leur donne les indications : via Aurélia, n° 619, au grand palace « Ergife ». Ils ont un fils prêtre à la Fraternité Saint-Pierre, aiment toujours, plus que jamais, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. Je les quitte.

La via Aurélia n’en finit pas… Impossible de faire le chemin à pied. Je prends le bus, derrière Saint-Pierre. J’arrive vers 11h 20, rencontre quelques fidèles, heureux de voir, ici, l’abbé Aulagnier. Ils me parlent des divisions dans les familles. Terrible situation. J’approche du grand hôtel. Mon pas ralentit… Je tombe sur Monsieur l’abbé Denis Le Pivain, ne le reconnais pas immédiatement. Il est froid, pâle, distant… Je vois plusieurs moines du Barroux… Quelques frères s’approchent. On annonce que le Cardinal va commencer sa conférence. Je descends vite dans la salle, une grande salle. Elle est pleine. Je m’approche de l’estrade. Je salue Dom Gérard. Je les retrouve tous… Le Père de Blignière, Mgr Wach, son sympathique acolyte, Monsieur l’abbé Pozzetto, très digne, petit sourire, Mgr Wladimir. Monsieur l’abbé Bisig arrive un peu en retard. Il connaissait déjà le texte du Cardinal en allemand, très bel allemand, m’a-t-il dit, traduit en français par Mgr Perl. Quelques ténors du Barroux… le père Basile, je crois. Ils ont la mine un peu fermée, pâllote. La presse est là : Elie Maréchal du Figaro, Olivier Mirande de Présent et d’autres encore. Sur l’estrade, au centre, le Cardinal Ratzinger, à sa gauche, Mgr Perl, Dom Gérard, un professeur allemand, Professeur, nous dit-on, de philosophie… Je n’ai pas retenu son nom. À la droite du Cardinal, Michaël Davies, un prêtre anglais, un prêtre américain, en habit de prélat. (NB : il s’agissait de fait, d’un Évêque américain).

Le cardinal commence sa conférence. Il parle en français, d’une voix élégante et douce, son visage est beau, ses yeux pétillants, sa coiffure blanche. Il n’est pas très grand. Il est distingué.

Il parle peut-être quarante minutes. Son discours est surtout centré sur l’attitude incompréhensible des Évêques face à la messe de toujours. Deux raisons semblent expliquer leur attitude rigide, fermée à l’égard de l’ancienne messe : l’unité à maintenir dans leur diocèse, l’obéissance au Concile Vatican II. Il argumente, réfute, suggère même aux traditionalistes de montrer aux évêques que le rite de saint Pie V est parfaitement conforme à l’esprit de la Constitution liturgique de Vatican II. Il analyse brièvement les grands principes liturgiques de la Constitution, les retrouve dans le rite antique. Cela pourrait éviter d’effaroucher le corps épiscopal… À voir ! Il est gentiment applaudi, sans plus.

 

Dom Gérard prend la parole, remercie le Cardinal, dit son action de grâces. Son discours est mou, sa voix un peu chantante… Il accroche quelquefois sur certains mots, se plaint de

l’attitude hostile des Évêques, les dit en contradiction avec le Motu Proprio « Ecclesia Dei ».

Il en arrive à la concélébration qu’il fit voilà quelque temps, avec le Souverain Pontife, dans sa chapelle privée et dans le rite conciliaire. Pour voir le Pape, il fallait nécessairement concélébrer… La fin, pense-t-il justifie les moyens… Mais, ici, ce jour, sur l’estrade, son explication est différente. J’ai voulu, par cette concélébration, montrer que la Nouvelle Messe est « valide et orthodoxe ». Ce sont ses deux mots. Je bous sur ma chaise, remue un peu, dis à mes voisins, le Père Argouac’h, Mgr Wach, le Père de Blignière, très concentré, ma stupéfaction. Le rite nouveau est valide – oui – si l’on

respecte le rite avec l’intention de faire ce que veut faire l’Église : la célébration renouvelée du Sacrifice de la Croix, mais orthodoxe, certainement pas. Je repense au Cardinal Ottaviani, au Révérend Père Calmel, à l’abbé Dulac, au Révérend Père Guérard des Lauriers, à Mgr Lefebvre, à Dom Guillou. Je repense au « Bref Examen Critique ». Je pourrais lui citer, par cœur, les passages importants. Je ne dis rien. Je suis venu écouter de mes oreilles, voir de mes yeux. Je n’aime pas les rapports. Je n’aime pas les « on m’a dit que », je n’aime pas les seuls bruits de couloir. J’ai entendu de mes oreilles, ces deux mots « valide » et « orthodoxe », dans la bouche de Dom Gérard. Mon témoignage est véridique.

 

Il se perd ensuite en considérations canoniques, soufflées peut-être par d’autres. Dom Gérard est un mystique, en rien un canoniste. Il souhaite un renforcement des pouvoirs de la Commission « Ecclesia Dei Adflicta », suggère la création d’un délégué apostolique, la création d’églises personnelles. Il va même jusqu’à suggérer l’insertion du rite ancien, du rite romain, dans les livres de la liturgie réformée… Ainsi le prêtre pourrait choisir etc. etc. C’est beaucoup demander à la fois !

 

Tout en l’écoutant, je repense à une conversation téléphonique que j’ai eue avec lui, sur la messe. Nous avons des amis communs à Caen. Ils me veulent quelque bien… souffrent de

nos divisions… De quoi bien disposer Dom Gérard. Il me téléphone. Nous abordons rapidement le problème de la messe. Il s’en fait l’avocat : « Monsieur l’abbé, me dit-il, la Nouvelle Messe a tout de même acquis un droit de prescription dans l’Église ». « Allons donc » ! Me souvenant de mes connaissances sur la prescription, ce n’est pas possible. « La légitime possession d’un bien par prescription suppose, lui dis-je, comme condition nécessaire, une possession paisible ». « Ce n’est tout de même pas le cas pour la Nouvelle Messe ». Nous étions en plein combat du Chamblac. « La Nouvelle Messe est peut-être célébrée partout… malheureusement, mais cette célébration est loin d’être paisible. Quelle guerre, au contraire ! Quel combat ! Quelle résistance héroïque ! Quelle agitation autour de cette réforme liturgique ! Quelle crise n’a-telle pas déclenchée dans l’Église ! Ce n’est pas sérieux ! ».

Notre échange téléphonique s’arrêta là.

Ainsi, validité… orthodoxie… légitime possession : tels sont les trois mots qui résument aujourd’hui la pensée de Dom Gérard. Un est juste, les deux autres… au moins discutables…

Et dire qu’il partageait, du vivant de Mgr Lefebvre, la pensée, les conclusions du « Bref Examen Critique », la pensée du Cardinal Ottaviani. Et dire qu’il demandait, en ce temps-là, et l’abrogation du nouveau rite, et le droit de continuer à recourir à l’intègre Missel Romain de saint Pie V. Et dire que Dom Gérard a diffusé, en France, La critique du Nouvel Ordo de Mgr Gamber qui parle, lui aussi, à ce sujet, de rupture avec la Tradition catholique. Et

dire qu’il louangeait, un temps, la pensée du Révérend Père Calmel, sa prise de position, son « non possumus ». Comme il a évolué ! Comme il a changé, pensais-je, tout en l’écoutant… Il en fait trop en faveur de la Nouvelle Messe. Et le Cardinal l’écoutait peut-être avec satisfaction. Demander que soit inséré l’ancien rite dans les livres liturgiques modernes, c’est le comble ! L’ancien rite aurait ainsi un « droit de cité » dans l’Église par le véhicule des livres liturgiques réformés. Le rite romain ancestral, éternel, serait ainsi à la remorque de la

réforme liturgique, instable, modulable, évolutive… Alors pourquoi ne pas dire la Nouvelle Messe ? Pourquoi donc agiter tant l’Église par le maintien du rite de saint Pie V? Je me fais toutes ces réflexions tout en l’écoutant. Et tous « ses pauvres », comme il les appelait au début de son propos, ceux qui l’écoutent… que deviendront leurs « clameurs » ?

 

Je remarquais l’absence des pères abbés des monastères de Fontgombault, de Randol, de Triors… Ni Dom Forgeot, ni Dom de Lesquen, ni Dom Courau n’étaient là. Ne partagent-ils pas, aujourd’hui, sa position sur la messe ? Dom de Lesquin ne nous demandait-il pas lui aussi « de reconnaître le caractère orthodoxe du Missel latin proposé, aujourd’hui, par le Saint-Siège » (p. 131, Enquête sur la messe traditionnelle). N’a-t-il pas, lui aussi, accepté le bi-ritualisme, ce bi-ritualisme là. « Depuis ce jour, le 22 février 1989, l’un et l’autre rites sont utilisés avec préférence habituelle donnée au rite immémorial » (p. 128, Enquête sur la messe traditionnelle). Dom Forgeot, lui-même, n’affirme-t-il pas, dans ce même livre, un trésor : « il faut souhaiter la coexistence pacifique des deux missels » (p. 125). Il a fait bien du chemin notre Dom Gérard, murmurais-je, même s’il chante joliment l’ancien rite, même s’il s’en fait toujours le beau défenseur, avec poésie… Il ne critique plus la réforme liturgique qui détruit l’Église parce qu’« équivoque », « hybride ». Il s’en fait même, à l’occasion, le défenseur : elle est « valide », « orthodoxe », « bien légitime » de l’Église. Alors, Rome peut lui manifester maintenant publiquement son attachement, son approbation. Un Cardinal, rien moins que le Cardinal Ratzinger, peut l’honorer, être présent à son chant d’action de grâces. Le Cardinal, lui aussi, a parlé en faveur de l’ancienne messe. Il a même reproché aux évêques

leur dureté de cœur, leur absence d’ouverture. Il a même montré la fragilité de leurs arguments contre l’autorisation facile de l’ancienne messe… mais il n’a rien dit, pas un mot, pas une seule critique du Nouvel Ordo Missae, de ce nouveau rite qui est si dommageable à l’unité de l’Église, à sa sainteté, à son apostolicité. C’est vrai que l’on ne peut tout dire… Mais « quand même » !

Il faudra revenir sur ce voyage romain très important, sur les paroles prononcées, y réfléchir, y bien réfléchir. Peut-on se taire sur cette réforme liturgique pour plaire aux modernistes en

place et « avoir pignon sur rue » ? Doctrinalement, jamais. Prudentiellement, peut-être, selon les circonstances… Nous vivons de la foi catholique, de son dogme, de sa liturgie. Nous

ne passons pas notre temps, de fait, à critiquer ? Nous voulons toutefois garder ces trésors. Doctrinalement, nous avons raison, prudentiellement aussi.

 

Son discours se termine. Les applaudissements sont assez discrets. C’est le tour de Michaël Davies, puis du professeur allemand.

Le Cardinal, enfin, reprend la parole. Il parle cette fois sans papier, « ex abundantia cordis ». Son français reste correct. Il s’adresse à Dom Gérard, ne lui donne pas une totale approbation.

Il ne partage pas tout à fait ses considérations canoniques, non qu’elles ne soient pas dignes d’intérêt mais, pour le Cardinal, elles ne sont ni primordiales, ni essentielles. Elles resteront lettres mortes, croyez-moi. Ce n’est pas de cette façon, dit-il, qu’on améliorera la situation en faveur de l’ancienne messe. Notre effort doit s’appliquer ailleurs. Il faut changer les cœurs, les intelligences. C’est cela qui est urgent. Il affirme même: « Nous devons faire notre possible pour former une nouvelle génération de prélats ».

Mon attention est renouvelée par ces mots. C’est inouï, dans la bouche du Cardinal. J’applaudis le premier. Tous les congressistes suivent. Un applaudissement long, intense. Le Cardinal a touché juste… vraiment. Tous souffrent de l’ostracisme mal fondé des épiscopes. Le Cardinal peut le mesurer… au baromètre des applaudissements… Le Cardinal semble un peu surpris, il est un peu ébranlé… Les applaudissements se poursuivent. Ils s’arrêtent enfin. Le Cardinal se reprend comme s’il avait été trop loin… Enfin, dit-il, les évêques « ce ne sont pas des personnes de mauvaise volonté ». Ils manquent peut-être de formation… J’aimerais bien être à Lourdes. Nos évêques sont en Assemblée. Les commentaires doivent aller bon train… Je vous l’assure. Quoi qu’il en soit, j’attends de voir la suite. Les évêques vont-ils

s’ouvrir à la « dialectique romaine » ? Notre tâche serait plus difficile… Je n’en suis pas sûr. S’ils s’en tiennent au discours du Cardinal, ils le devraient. Mais, s’ils s’attachent aux propos du Pape, du lundi 26 octobre, alors qu’il recevait tout son monde, en audience, au Vatican, je ne le pense pas. Ils risquent d’être toujours aussi fermés, hermétiques à l’ancienne messe comme des huîtres de Cancale. C’est leur désir. Ils sont sur le terrain, le Cardinal dans son bureau. Il est facile de parler d’unité… La Secrétairerie d’État qui contrôle tout, qui a préparé le discours du Pape, a remis, le lundi, les pendules à l’heure, a rééquilibré la pensée du Cardinal. Rien, à mon avis, ne changera. La conférence prend fin. Un Salve Regina est chanté. Sitôt fini, je monte sur l’estrade, passe devant Dom Gérard, me présente au Cardinal : « Monsieur l’abbé Aulagnier de la Fraternité Sacerdotale Saint- Pie X ». Il me sourit, prend mon pli : « Lettre ouverte au Cardinal Ratzinger : « Plaidoyer pour Mgr Lefebvre ». Il est affable, la met dans sa serviette. Nous échangeons deux mots, je me retire. J’étais venu aussi, surtout pour cela : lui remettre en main propre, ce plaidoyer. Mission accomplie »….

 

Voilà quelques précisions ou nuances sur l’article de Jean Madiran dans Présent du 17 avril 2008 au sujet de « Dom Gérard et la messe ». Ces précisions ou nuances ne sont pas rien.  Toutefois, l’essentiel, c’est qu’au monastère du Barroux les moines gardent la messe tridentine. Ils le feront plus facilement grâce à ces lettres du 4 et 9 mars 2006 adressées à Dom Louis Marie et à tous ses moines. Et sous ce rapport, il est bon que Jean Madiran, son ami, les ait révélées, du moins en partie,  aussi au grand public. Elles  nous tranquillisent.