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Un regard sur le monde

politique et religieux

 

au 20 juin 2008

 

N° 175

 

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

 

« Par fidélité à Mgr Lefebvre, la FSSPX doit-elle signer au plus tôt un accord avec Rome ? »

II

Deuxième partie

 

 

 

 

Nous avons publié, dans le « Regard sur le monde » du 18 juin dernier, la première partie d’une intéressante étude de M l’abbé Celier, membre de la FSSPX, sur le délicat problème d’une normalisation de la situation canonique de la Fraternité avec Rome.

 

Cette « normalisation » ou mieux encore cette « réintégration », pour utiliser les termes mêmes de Mgr Lefebvre dans sa lettre au cardinal Gagnon du 21 novembre 1987 suppose, bien évidemment,  d’entretenir des relations avec Rome pour arriver à bonne fin. D’aucuns, les « sedevacantistes », vont jusqu’à critiquer le maintien de ces relations romaines. Maintenir ces relations seraient aller contre la pensée de Mgr Lefebvre. Ils ne font pas dans les nuances ! M l’abbé Celier aborde cet aspect de la question dans  la première partie de sa « sage » étude. Des « sedevacantistes » et de leurs arguments, il n’en fait qu’une « boucher » !

 

Dans la deuxième partie,  que nous publions aujourd’hui, il réfute une autre tendance, celle qui voudrait voir Mgr Fellay, supérieur de la FSSPX,  signer un « accord » avec Rome au plus tôt. Il expose les arguments avancés et les réfute patiemment les uns après les autres. Il nous tient en allène jusqu’au bout…

 

Nous publierons la semaine prochaine, quelques observations.  

 

Voici la deuxième et dernière partie de son  texte.

 

Précisions préalables

 

Une discussion sur les relations actuelles avec Rome

 

Délimitons tout d’abord le sujet que nous entendons aborder ici, afin d’éviter toute ambiguïté et toute incompréhension.

 

Un livre récent (Olivier Pichon et abbé Grégoire Celier, Benoît XVI et les traditionalistes,

Entrelacs, 2007, p. 123) rappelle : « La Résistance catholique ou “traditionalisme” se définit par deux points essentiels : d’une part, l’analyse critique de certains points nouveaux, enseignés ou permis par le concile Vatican II ou à son occasion, et qui concernent en particulier la collégialité épiscopale, la liberté religieuse, l’œcuménisme et le dialogue interreligieux ; d’autre part, l’attachement à la liturgie traditionnelle, non seulement pour des raisons esthétiques, sentimentales, historiques, spirituelles, mais encore et surtout pour des raisons proprement doctrinales. Si l’on tient ces deux points (attachement doctrinal à la messe ancienne, rejet critique de certains points du Concile), on est un “traditionaliste” au sens précis du terme. »

 

Nous n’entendons pas analyser ici la pertinence et le bien-fondé du traditionalisme en général.

Nous prenons au contraire ce dernier pour un fait acquis. De fait Mgr Lefebvre, de fait la Fraternité Saint-Pie X, de fait Mgr Fellay contestent la collégialité épiscopale, la liberté religieuse, l’œcuménisme et le dialogue interreligieux tels qu’ils sont enseignés et pratiqués par le concile Vatican II ; de fait ils refusent de célébrer la liturgie postconciliaire et restent inébranlablement attachés à la liturgie traditionnelle. Tels sont les faits dont nous partons, et que nous n’avons pas l’intention de discuter au cours du présent travail.

 

On peut, bien sûr, c’est intéressant et c’est utile, examiner les raisons apportées par les

traditionalistes pour justifier leur attitude ; on peut essayer de contester leurs arguments et leurs preuves. Mais tel n’est pas notre propos en ce texte.

 

Nous supposons ici au contraire que les critiques exprimées par Mgr Lefebvre, par la Fraternité Saint-Pie X et par Mgr Fellay sont suffisamment justifiées et argumentées. Nous partons du principe que l’action de la Fraternité Saint-Pie X s’est située jusqu’ici, de façon légitime et proportionnée, dans le cadre d’un « état de nécessité » consécutif à la crise qui secoue l’Église.

 

En revanche, nous entendons examiner les objections de ceux qui affirment que, même étant admises ces critiques justifiées, même étant reconnu cet « état de nécessité », les circonstances présentes, l’évolution récente de la situation, les propositions faites par Rome, la personnalité de Benoît XVI, etc. changent radicalement la donne et rendent obligatoire pour Mgr Fellay et pour la Fraternité Saint-Pie X de signer un accord avec Rome dans les plus brefs délais.

 

La présente réflexion porte donc sur ce qu’il convient de faire dans la situation immédiatement actuelle, et non pas sur le traditionalisme en général, son bien ou son mal fondé, la pertinence de ses analyses sur le Concile et l’après Concile, la réalité passée d’un « état de nécessité », etc.

 

A propos du mot « accord »

 

Nous venons de prononcer le mot « accord ». Ce mot (au singulier ou au pluriel, selon les

personnes) est passé dans le langage usuel pour désigner la fin des rapports conflictuels entre la Fraternité Saint-Pie X et la Rome actuelle.

 

Ce terme « accord » est en soi malheureux et inexact : une simple partie de l’Église, comme la

Fraternité Saint-Pie X, n’a ni droit ni titre à imposer quoi que ce soit au successeur de Pierre, à dicter ses conditions au Saint-Père. Elle peut proposer, suggérer, mais en aucune manière ordonner la moindre chose : le pape reste le pape ! A ce titre, la Fraternité Saint-Pie X ne peut « conclure un accord » avec le Siège apostolique. Lorsque le jour sera venu, la réalité ne pourra évidemment être qu’une respectueuse demande de la part de la Fraternité Saint-Pie X, suivie d’une libre décision du Souverain Pontife (même si les termes de cet échange sont convenus auparavant).

 

Il est vain, cependant, de vouloir s’affranchir d’un usage du langage : même inadéquat, même

imparfait, cet usage s’impose à nous. Nous utiliserons donc ici le mot « accord », mais en sousentendant constamment la réserve préalable que nous venons d’exprimer.

 

Au sens précis, technique, des termes, le mot « accord » désigne un document juridique par lequel le Siège apostolique restituerait à la Fraternité Saint-Pie X sa pleine et entière légalité canonique, laquelle a été atteinte par les actes des années 1975-1976 : retrait de l’approbation de la Fraternité Saint-Pie X, par Mgr Mamie, évêque de Fribourg, le 6 mai 1975, retrait approuvé par la commission spéciale des trois cardinaux ; rejet du recours de Mgr Lefebvre le 10 juin 1975 ; lettre du cardinal Villot le 27 octobre 1975, demandant aux conférences épiscopales du monde entier de ne pas incardiner les séminaristes d’Écône ; discours de Paul VI au Consistoire le 24 mai 1976 ; suspense a divinis portée le 22 juillet 1976 contre Mgr Lefebvre, et en général contre les prêtres ordonnés par lui.

 

Ce document juridique du Saint-Siège s’accompagnerait d’une sanatio in radice (« remise en ordre canonique », pourrait-on traduire) de divers actes juridiques posées dans le cadre de la Fraternité Saint-Pie X depuis 1975.

 

En un sens plus large, on peut aussi appeler « accord » (ou élément d’un accord) tout échange,

toute rencontre, toute correspondance, tout acte concerté entre le Siège apostolique et la Fraternité Saint-Pie X visant à améliorer la situation de l’Église et de la Fraternité Saint-Pie X, de la Fraternité Saint-Pie X dans l’Église.

 

En ce sens large, on pourrait parler d’un « accord » (au moins partiel) si, par exemple, les excommunication, suspenses et autres sanctions fulminées par Rome (quoique non

reconnues par la Fraternité Saint-Pie X) étant écartées, la Fraternité Saint-Pie X bénéficiait d’un statut intermédiaire de « large tolérance », permettant de préparer la route à une restitution définitive et publique de la pleine légalité canonique.

 

Les réflexions que nous proposons ci-après sont valables, à nos yeux, aussi bien pour un accord partiel, intermédiaire, imparfait, que pour un accord total, définitif, parfait.

 

Sur la notion de « bref délai »

 

Nous allons donc examiner les arguments de ceux qui considèrent que, dans les circonstances

présentes, Mgr Fellay a l’obligation de signer (ou réaliser) un accord avec Rome, dans les plus brefs délais.

 

Précisons bien ce qu’implique cette expression de « bref délai ».

 

Il ne s’agit en aucune manière de notre position personnelle. Comme il a déjà été dit clairement, nous n’avons aucune lumière spéciale sur ce qu’il convient de faire vis-à-vis de Rome actuellement. Nous ne prétendons pas savoir, encore moins dire, si la Fraternité Saint-Pie X doit signer un accord dans un mois, dans un ans, dans dix ans ou dans cent ans.

 

Il ne s’agit pas non plus de la position de Mgr Fellay. Le Supérieur général de la Fraternité Saint- Pie X n’a pas révélé jusqu’ici (et, a priori, n’a pas l’intention de révéler) selon quel calendrier il estime qu’un accord pourrait advenir.

 

Ce sont donc les opposants, les objectants, et eux seuls, qui parlent de « bref délai ». Nous

examinons leurs arguments, et nous entendons montrer que ces arguments ne sont pas décisifs pour obliger le Supérieur général à conclure un accord dans les plus brefs délais. Il n’en ressort absolument pas que Mgr Fellay devrait signer ledit accord dans un moins bref délai, dans un délai un peu plus long, dans un délai d’une année ou de deux… En fait, il n’en ressort strictement rien concernant le délai. En bonne logique, la contradictoire de « dans les plus brefs délais » n’est pas « dans un délai un peu plus long », il est purement et simplement l’absence de tout délai.

 

Le Supérieur général (après la convocation d’un Chapitre général extraordinaire), et c’est le but même de la démonstration, garde donc toute sa liberté concernant l’accord aussi bien que son délai : court, moyen ou long.

 

En voyant revenir comme un leitmotiv l’expression « dans les plus brefs délais », il convient donc de se souvenir qu’il s’agit uniquement d’une expression des objectants, que l’on écarte précisément pour préserver la pleine liberté de Mgr Fellay, y compris sur le délai.

 

Les objections contre tout contact avec Rome diffèrent des objections pour un accord

 

Les objections que nous avons étudiées précédemment, et qui prétendaient empêcher le Supérieur général d’avoir des contacts avec la Rome actuelle, reposaient essentiellement sur la prémisse suivante : « Mgr Lefebvre ne l’aurait pas voulu, pas permis, pas admis ». La réponse était simple : montrer, par des citations suffisamment nombreuses, que Mgr Lefebvre, au contraire, avait tout à fait envisagé de tels contacts avec la Rome actuelle, et qu’il les estimait normaux.

 

Les objections que nous allons examiner maintenant se situent sur un plan différent. Elles

prétendent qu’en soi, et pour toutes sortes de raisons diverses, le Supérieur a désormais l’obligation de signer un accord avec Rome dans les plus brefs délais. Dans ce contexte, Mgr Lefebvre n’est plus invoqué que comme un argument parmi d’autres, sur le mode : « Si Mgr Lefebvre vivait encore, il signerait sûrement un tel accord ».

 

Ces nouvelles objections méritent un traitement spécifique, qui ne peut plus être purement et

simplement le recours à des citations de Mgr Lefebvre. Et c’est bien normal. Mgr Lefebvre, selon sa prudence de chef, a posé en son temps des actes dans un certain contexte (de la Tradition, de l’Église, du monde), et il a commenté ces actes et ce contexte dans des circonstances variées. Or Mgr Fellay, selon sa prudence de chef, doit poser aujourd’hui des actes dans un autre contexte (meilleur pour une part, pire pour une autre part) de la Tradition, de l’Église, du monde : vingt ans (presque une génération) se sont écoulés depuis les sacres, un pape a été élu que Mgr Lefebvre n’a connu que comme cardinal, le Motu Proprio a changé la situation légale de la liturgie traditionnelle, deux Chapitres généraux de la Fraternité Saint-Pie X ont eu lieu, etc. Mgr Fellay s’inspire, bien sûr, de tout ce qu’a dit et fait Mgr Lefebvre tant qu’il était vivant, il suit ses principes, il médite sur sa ligne générale de conduite, il vit de son esprit. Mais ses possibilités d’action comme Supérieur général actuel ne peuvent se réduire strictement aux choix pratiques qu’a posés Mgr Lefebvre en d’autres temps et d’autres circonstances. Mgr Fellay n’est pas tenu de suivre servilement et de façon purement matérielle la conduite de Mgr Lefebvre : il possède évidemment sa liberté d’appréciation sur les événements et les hommes.

 

Si l’on posait de façon absolue que Mgr Fellay ne peut faire et ne doit faire que ce que Mgr

Lefebvre a fait matériellement en son temps, on devrait en déduire que, Mgr Lefebvre n’ayant pas signé d’accord avec Rome, Mgr Fellay ne devrait jamais en signer, même si Rome redevenait intégralement et absolument catholique : ce qui serait évidemment absurde, et certainement contraire aux principes et à l’esprit de Mgr Lefebvre.

 

Donc Mgr Fellay agit dans l’esprit de Mgr Lefebvre, mais en posant parfois des actes

matériellement différents de ceux du Fondateur de la Fraternité Saint-Pie X, puisque les circonstances extérieures ont pu changer depuis presque vingt ans que Mgr Lefebvre est mort. Comme le dit Mgr Fellay : « A la relecture des prises de position, sermons, conférences de Mgr Lefebvre, on est frappé par leur actualité. Sa perception des conséquences pratiques découlant des principes adoptés au Concile est extraordinaire. Comme il avait vu juste ! Ceci n’exclut pas cependant que de nouveaux problèmes surgissent, auxquels il nous faudra répondre dans la même ligne si bien tracée » (« Échéance 2000 », Fideliter 109, janvier 1996, p. 12).

 

Le Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X peut donc aujourd’hui, au vu de l’évolution des choses, ouvrir une possibilité que Mgr Lefebvre avait laissée fermée parce qu’il la jugeait à l’époque impossible, inutile ou dangereuse. Il peut en sens contraire fermer une piste que Mgr Lefebvre estimait en son temps intéressante et prometteuse, parce que le temps écoulé, ainsi que les événements, ont révélé son inconsistance ou son danger (11).

 

C’est pourquoi, à ces nouvelles objections qui prétendent que Mgr Fellay a l’obligation de signer un accord dans les plus brefs délais, sera apportée une réponse directe, argumentée, démonstrative, différente en ce sens de l’accumulation de citations qui a caractérisé notre première partie. Quelques citations de Mgr Fellay seront toutefois ajoutées en note, pour manifester le fondement documentaire de l’argumentation.

 

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(11) Par exemple : « Cette expression, “[lire le Concile] à la lumière de la Tradition”, bien que nécessaire en soi pour comprendre le Concile, s’est avérée insuffisante. Elle est trop ambiguë, nous ne voulons plus l’utiliser. Certains textes du Concile sont irréconciliables avec la Tradition » (Mgr Bernard Fellay, Nice-Matin, 11 décembre 2006)

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Une attitude dilatoire coupable ?

 

De nombreuses critiques sont faites, en effet, concernant la façon d’agir de Mgr Fellay vis-à-vis de Rome, notamment en ce qui concerne les perspectives d’accord que la Rome actuelle propose de façon récurrente à la Fraternité Saint-Pie X. On accuse le Supérieur général de cette Fraternité d’une attitude dilatoire coupable vis-à-vis de ces ouvertures romaines. Nous allons examiner succinctement les principaux de ces reproches.

 

En ne se dirigeant pas vers la signature d’un accord aujourd’hui, alors que les conditions désirées par son Fondateur sont réunies, la Fraternité Saint-Pie X est gravement infidèle à l’esprit, à l’exemple et à la mémoire de Mgr Lefebvre.

 

 

Il a été cité précédemment un certain nombre de textes qui montrent que Mgr Lefebvre a gardé le contact avec Rome, a constamment recherché les perspectives d’accord et d’apaisement, a toujours désiré que la Fraternité Saint-Pie X retrouve une place normale, conforme au droit canonique, dans l’Église. Même au moment où il émettait les critiques les plus graves contre tel ou tel aspect (nouvelle liturgie, œcuménisme, etc.) de la pratique de la Rome actuelle, il n’a jamais voulu ni rompre avec Rome (12), ni fermer la porte à des retrouvailles, à un accord. On peut légitimement en conclure que Mgr Fellay, en maintenant des contacts avec la Rome actuelle (13), est loin d’être infidèle à Mgr Lefebvre, et même bien au contraire (14).

 

A l’inverse, toutefois, il est vrai de souligner que, même au moment où il poursuivait des contacts avec la Rome actuelle, voire élaborait un projet d’accord (comme en 1987-1988), Mgr Lefebvre n’a jamais cessé d’émettre les critiques publiques les plus graves contre certains aspects de la pratique de la Rome actuelle (15). Mgr Lefebvre lui-même en déduisait à haute voix qu’un éventuel accord serait complexe, précaire, difficile, périlleux, etc.

 

De facto, Mgr Lefebvre n’a jamais signé un accord final, même ayant signé un Protocole

préparatoire (le 5 mai 1988). Pourtant, beaucoup ont dit que cet accord prévu en 1988 représentait tout ce que Mgr Lefebvre demandait, qu’il offrait toutes les garanties nécessaires. Or, cela n’a pas été l’avis de Mgr Lefebvre, qui a estimé au contraire que l’accord prévu, dans son contexte, ne comportait pas les assurances indispensables pour l’avenir, comme le manifestait par exemple le refus du cardinal Ratzinger de préciser une date pour la consécration épiscopale envisagée.

Par ailleurs, Mgr Lefebvre n’a jamais dressé une liste des conditions nécessaires et suffisantes pour un accord. Il a évalué les circonstances, jaugé les hommes, sondé les intentions exprimées, ce qui l’a poussé dans un premier temps à un réel travail pour aboutir à un accord, dans un deuxième temps à un retrait provisoire, estimant que « le moment d’une collaboration franche et efficace [avec la Rome actuelle] n’était pas encore arrivé » (lettre au pape Jean-Paul II du 2 juin 1988).

 

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12 Sa déclaration de 1975, « Si un évêque rompt avec Rome, ce ne sera pas moi », est constamment restée sa boussole.

13 « Et si le pape vous appelait ? S’il m’appelle, je vais. Tout de suite. Ou plutôt, je cours. C’est certain. Par obéissance. Par obéissance filiale à l’égard du chef de l’Église » (Mgr Bernard Fellay, Trente Jours, septembre 2000, p. 8).

14 « Nous continuons tout simplement, sereinement ce chemin si bien indiqué par notre fondaterur, Mgr Lefebvre, et c’est tout. Nous savons que l’Église a les promesses de l’indéfectibilité, les portes de l’Enfer ne prévaudront jamais sur elle. Elle dépassera un jour cette crise. A nous de mettre toute notre énergie, à notre place évidemment, pour travailler à ce dépassement de la crise, et donc forcément nous aurons des relations avec Rome. C’est une erreur de prétendre qu’il ne faut pas discuter avec eux. On attend d’eux qu’un jour ils soient catholiques, et on voudrait ne pas discuter avec eux ? Saint Paul, parlant des païens, disait : “Comment se convertiront-ils s’ils n’entendent pas la foi, si personne ne leur rappelle les principes ?” Est-ce qu’on veut inventer, ou est-ce qu’on veut réclamer un miracle continuel de Notre-Seigneur ? Cela peut arriver, mais le chemin habituel du bon Dieu c’est d’utiliser les causes secondes pour toucher les âmes. Encore une fois, sans vouloir nous donner de rôle spectaculaire ou extraordinaire, nous sommes dans les circonstances de l’histoire où le bon Dieu nous a placés, où il nous faut accomplir notre devoir d’état de prêtre, d’évêque, chacun à sa place, en essayant d’obtenir le maximum de bien de ces autorités qui sont encore enténébrées » (Mgr Bernard Fellay, sermon au séminaire de Flavigny, 2 février 2006).

 

15 « Je me demande souvent comment Mgr Lefebvre se comporterait aujourd’hui. Il suivait deux voies : dialoguer avec Rome et en même temps en condamner les erreurs. Et nous sommes en train de faire la même chose. Ce sont toujours les questions doctrinales qui

ont créé le problème. Et ces questions n’ont pas encore été résolues » (Mgr Bernard Fellay, Trente Jours, septembre 2000, p. 8).

 

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Personne, donc, ne peut affirmer sérieusement que Mgr Fellay a aujourd’hui l’obligation de signer dans un bref délai un accord avec Rome, en prétextant que « Mgr Lefebvre, dans les circonstances actuelles, l’aurait sûrement fait ». En maintenant les contacts avec Rome (16), en évaluant les hommes et les circonstances, en cherchant à faire progresser la situation, Mgr Fellay reste au contraire fidèle à l’esprit et à la pratique de Mgr Lefebvre (17).

 

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16 « Humainement, je pourrais [être pessimiste sur les chances d’un accord]. Mais l’Église est surnaturelle, gardée par Dieu. N’en restons pas à nos vues humaines, même si des déclarations épiscopales en France ferment plus de portes qu’elles n’en ouvrent. Quelles que soient les difficultés du chemin, je ne perds pas l’espérance : un jour, Rome et Écône se retrouveront » (Mgr Bernard Fellay, Le Figaro, 24 mars 2001).

 

17 « Il s’est agi d’une rencontre [le 29 août 2005] qui s’est insérée, j’oserais dire normalement, dans le cadre d’un dialogue entre nous et Rome qui a commencé en 2000 et qui a connu un développement peut-être lent, mais bien orienté vers ce que nous désirons et ce que désire le Saint-Siège : une relation normale de Rome avec sa Tradition et par conséquent de la Fraternité avec Rome, de manière telle que la Fraternité puisse continuer son apostolat sans les ombres qui existent aujourd’hui » (Mgr Bernard Fellay, Trente Jours, septembre

2005, p. 34).

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En n’obéissant jamais au pape et aux évêques, en critiquant systématiquement ce qui vient du Siège de Pierre, la Fraternité Saint-Pie X laisse la porte ouverte en son sein à l’opinion sédévacantiste, et risque de connaître un progressif durcissement : les prêtres les plus attachés à Rome la quittant peu à peu, tandis que ceux qui restent seront chaque jour plus hostiles et plus méfiants.

 

 

Il existe tout d’abord, contre une telle objection, un fait massif et aisément constatable. Dans sa doctrine comme dans sa pratique, la Fraternité Saint-Pie X a constamment et depuis l’origine refusé l’opinion sédévacantiste. Et s’il y a des prêtres qui la quittent, une partie de ceux-ci le font pour rejoindre le courant sédévacantiste, et justement parce que la Fraternité Saint-Pie X refuse cette opinion. On pourrait donc dire à l’inverse que la Fraternité Saint-Pie X risque de connaître un « ramollissement », les prêtres les plus hostiles à la Rome actuelle la quittant, tandis que demeurent ceux qui lui sont le plus favorables.

 

Mais, dans la réalité, les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X ne sont ni plus ni moins proches de l’opinion sédévacantiste qu’avant : ils sont fondamentalement attachés aux positions doctrinales exprimées par Mgr Lefefebvre comme par le Supérieur général actuel (18).

 

Par ailleurs, si un risque de durcissement existe (éventuellement), il appartient au Supérieur général d’y veiller, de guider la Fraternité Saint-Pie X avec fermeté mais sans raideur, avec orthodoxie mais sans sectarisme, avec prudence mais sans enfermement (19). Il lui convient de savoir discerner, et montrer, dans ce qui vient de la Rome actuelle, ce qui est bon, ce qui constitue un progrès. Et c’est ce qu’a fait clairement, par exemple, Mgr Fellay après la parution du Motu Proprio Summorum Pontificum, soulignant, malgré ses défauts et ses limites, les progrès notables enregistrés dans la question de la liturgie traditionnelle grâce à ce document pontifical majeur (20).

La Fraternité Saint-Pie X, par la voix et l’action de son Supérieur général, reste toujours et plus que jamais ouverte à des contacts avec Rome, avec le pape, et souhaite de tout son cœur une amélioration

 

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18 « Nous avons souhaité rencontrer le Saint-Père parce que nous sommes catholiques et que, comme tout catholique, nous sommes attachés à Rome. En demandant cette audience [du 29 août 2005] nous voulions montrer que nous sommes catholiques. Tout simplement. Notre reconnaissance du pape ne se limite pas seulement à la mention de son nom au Canon de la messe par tous les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X. Il est normal que nous marquions notre déférence en tant que catholiques romains. Catholique veut dire universel, et le Corps mystique de l’Église ne se réduit pas à nos chapelles » (Mgr Bernard Fellay, DICI 120, 17 septembre 2005, p. 2).

 

19 « Risquez-vous de devenir une petite Église ? J’espère que non. Il est évident que notre position est délicate, du fait que nous sommes rejetés par les autorités officielles de l’Église et que, par conséquent, nous devons bien nous débrouiller par nous-mêmes. Conscients du danger, nous prenons les mesures pour nous en protéger. Nous ne sommes ni rigides ni arriérés, mais refusons que les adaptations présentes, voire nécessaires, touchent aux principes d’hier » (Mgr Bernard Fellay, Le Figaro, 3 juin 1998).

 

20 « La messe traditionnelle n’a jamais été abrogée. Quelle joie, chers fidèles, a rempli nos cœurs à l’annonce du Motu Proprio de Benoît XVI, le 7 juillet ! Nous y voyons une réponse du Ciel à notre croisade de rosaires. Non pas simplement par le fait de la publication du Motu Proprio, mais surtout en raison de l’étendue de l’ouverture vers la liturgie traditionnelle que nous y trouvons » (Mgr Bernard Fellay, Lettre aux amis et bienfaiteurs 71, DICI 165, 17 novembre 2007, p. 10).

 

« Nous avons demandé l’année passée une croisade du rosaire pour obtenir du bon Dieu qu’il donne suffisamment de forces au pape et qu’il libère enfin la messe traditionnelle. Le résultat est stupéfiant. Jamais, jamais nous nous ne nous attendions à ce que, dans les circonstances où nous nous trouvons, le pape donne autant que ce qu’il a donné. (…) Ce que nous avons eu, c’est une semence, un gland. Il faut que ce gland pousse, et l’on aura un chêne. La forêt viendra après. Mais il est certain que si ce gland n’avait pas été planté, il n’y aurait pas de chêne par la suite, ni de forêt. C’est un premier pas, mais un pas décisif dans la bonne direction » (Mgr Bernard Fellay, Nouvelles de Chrétienté 108, novembre 2007, p. 8-9).

 

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de l’état de l’Église, pour que celle-ci retrouve sa splendeur missionnaire. Et il s’agit bien de l’Église réelle et du pape réel (21). Depuis plus de trente-cinq ans que la Fraternité Saint-Pie X existe, c’est à Paul VI, à Jean-Paul II, à Benoît XVI qu’elle a eu affaire, non pas à Pie X ou à Pie XII. A Paris, par exemple, ce sont successivement le cardinal Marty, le cardinal Lustiger et Mgr Vingt-Trois qui ont été les évêques du lieu, et non pas des évêques fantomatiques, imaginaires, que la Fraternité Saint-Pie X aurait mis à leur place. La Fraternité Saint-Pie X a tous les jours, selon les circonstances, des contacts avec des fidèles, des prêtres, des évêques, la Curie romaine et même, lorsque l’occasion s’en présente, avec le pape lui-même (22). La Fraternité Saint-Pie X appartient bien à l’Église d’aujourd’hui, elle reconnaît bien le pape et les évêques d’aujourd’hui. Le danger seulement hypothétique, potentiel, conjectural, d’un « durcissement », d’un « sédévacantisme larvé », ne suffit certainement pas à créer une obligation de signer immédiatement et sans délai un accord avec Rome, dans la mesure où, comme Mgr Lefebvre le faisait, Mgr Fellay, désireux d’une amélioration de la situation, maintient plus que jamais avec Rome des contacts attentifs et sérieux.

 

 

21 « Cette Rome catholique n’est pas une abstraction, faisons très attention ! Cela n’est pas une abstraction, c’est une réalité. Lorsque Monseigneur Lefebvre dit : “Nous adhérons à la Rome catholique”, cela veut dire à la Rome catholique aujourd’hui. Cela n’est pas l’adhésion simplement à la Rome de Michel-Ange ou la Rome de saint Pierre » (Mgr Bernard Fellay, Nouvelles de Chrétienté 97, janvier 2006, p. 5).

 

22 « Le siège de Pierre est-il ou non vacant ? Il est parfaitement occupé. Le Saint-Père, vicaire du Christ, a été légitimement élu, il est doué de tous les pouvoirs du souverain pontife. (…) Certains chez vous n’affirment-ils pas que le siège de Pierre est vacant ? Ils ne sont pas chez nous, ou alors en marge. Nous n’acceptons pas leur affirmation. Ils prétendent résoudre un problème, mais ils en créent un plus grave. (…) Voilà une position facile qui, en réalité, dissout la visibilité de l’Église. Nous ne pouvons l’accepter » (Mgr Bernard Fellay, Le Figaro, 3 juin 1998).

 

 

 

En vivant en pleine autarcie, avec vos évêques, vos prêtres, vos chapelles, vos pèlerinages, vos revues, et même vos propres tribunaux ecclésiastiques qui se permettent de « dissoudre » des mariages, vous êtes tout simplement en train de constituer une petite Église. Seul un accord très rapide, vous réintégrant dans la structure canonique de l’Église catholique, vous permettrait d’éviter ce danger grave.

 

 

Cet objection peut être prise de deux façons : d’une part en soi ; d’autre part en rapport avec un projet d’accord. Démontrer qu’en soi la Fraternité Saint-Pie X ne constitue pas une petite Église prendrait ici trop de temps, et s’éloignerait de la ligne précise de notre réflexion (23).

 

Reste à répondre à la deuxième interprétation : dans la période immédiatement actuelle (disons : sous Benoît XVI), ne pas signer d’accords conduirait la Fraternité Saint-Pie X à se positionner comme une petite Église.

Mais si, par hasard, il existe pour la Fraternité Saint-Pie X un danger de devenir une « petite

Église », ce danger est lent, progressif. Il ne crée donc pas une urgence soudaine, et ne peut démontrer de façon pertinente que Mgr Fellay soit de ce seul fait dans l’obligation de signer à très brève échéance un accord avec Rome.

 

En réalité, le fond de cette objection est triple. Pour certains, c’est le refus, par principe, de toute « dissidence » par rapport à la Rome actuelle : cela signe simplement une divergence de fond sur l’analyse de la crise de l’Église.

Pour d’autres, il existe un danger progressif de durcissement : cette hypothèse a été prise en compte dans l’objection précédant celle-ci.

Enfin, pour quelques-uns, par l’élection de Josef Ratzinger comme pape sous le nom de

Benoît XVI, la situation a changé du tout au tout : cette affirmation va maintenant faire l’objet d’une réponse spécifique.

 

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23 Citons simplement sur ce point une réponse de Mgr Fellay : « Il y a des contacts avec des prêtres et des évêques orthodoxes. Il arrive parfois qu’ils s’adressent à nous avec sympathie, parce qu’ils nous considèrent comme des schismatiques anti-romains, ce qui ne nous plaît pas du tout. Nous ne sommes pas schi smatiques et nous tenons énormément aux liens avec Rome. Il est aussi arrivé que des évêques orthodoxes aient demandé à adhérer à l’Église catholique à travers une adhésion à notre Fraternité. Je leur ai toujours répondu qu’ils doivent s’adresser à l’évêque de Rome, au pape. Nous ne sommes pas, et nous ne voulons pas être une Église parallèle, et je ne suis pas un anti-pape » (Mgr Bernard Fellay, Trente Jours, septembre 2005, p. 36).

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Depuis le 19 avril 2005, la situation dans l’Église a substantiellement changé par l’élection comme Souverain Pontife de Josef Ratzinger sous le nom de Benoît XVI. Mgr Fellay ne peut plus parler et agir comme si nous étions encore sous Paul VI, voire sous Jean-Paul II. Benoît XVI a marqué, par ses interventions comme cardinal, par ses discours spectaculaires depuis son élection et par ses actions (notamment le Motu Proprio du 7 juillet 2007), sa volonté de rompre avec les errances de l’après-Concile et de restaurer l’Église et la foi dans leur authenticité et leur continuité historique. La Fraternité Saint-Pie X doit répondre à ce changement positif majeur en acceptant les accords que, très généreusement, le pape actuel lui propose.

 

 

La Fraternité Saint-Pie X a souligné en son communiqué officiel, lors de l’élection de Benoît XVI, qu’elle voyait en cette élection inespérée « une lueur d’espérance pour sortir de la profonde crise qui secoue l’Église ». Il est donc clair que, pour Mgr Fellay, la présence à la tête de l’Église de Josef Ratzinger est loin d’être anodine.

 

Cette situation nouvelle suffit-elle, non pas pour faire réfléchir Mgr Fellay à l’éventualité d’un accord, mais pour l’obliger positivement à signer un accord dans les plus brefs délais ?

 

Il ne le semble pas.

 

De façon sommaire, on résume souvent la critique traditionaliste à deux points : le concile

Vatican II et la réforme liturgique. Pour ne pas s’éloigner de la vérité, il serait plus juste de la résumer à quatre points. Concernant Vatican II, il faut parler d’une part de « l’esprit du Concile », ce concept fantomatique qui a été le prétexte commode de maintes et maintes folies des quarante dernières années. Il faut parler, d’autre part, de la lettre même du Concile, de ce qu’il dit effectivement, et notamment sur les points de la collégialité, de l’œcuménisme et de la liberté religieuse. Concernant la réforme liturgique, il faut parler d’une part de la liberté de célébrer la liturgie traditionnelle, d’autre part des problèmes doctrinaux que pose le texte même de la nouvelle liturgie en sa version latine originale.

 

Or si, sur deux de ces points, le pape Benoît XVI est intervenu de façon positive et encourageante, il n’en est pas de même sur les deux autres.

 

Benoît XVI, en effet, notamment par son discours du 22 décembre 2005, s’est élevé contre un

prétendu « esprit du Concile » qui se dresserait à côté, voire contre la lettre du Concile : mais c’était pour mieux s’attacher à cette lettre, selon « l’herméneutique de continuité ». De la même façon, par le Motu Proprio Summorum Pontificum, Benoît XVI a voulu réellement assurer la liberté de célébration du Missel traditionnel, dont il a rappelé à deux reprises qu’il n’avait « jamais été juridiquement abrogé » et que « par conséquent, en principe, il est toujours resté autorisé ». Mais en même temps, le Souverain Pontife a réaffirmé que le nouveau Missel est « l’expression ordinaire de la lex orandi de l’Église catholique de rite latin » et qu’on ne pouvait, à ses yeux, « par principe, exclure la célébration selon les nouveaux livres », car une telle attitude ne serait pas « cohérente avec la reconnaissance de la

valeur et de la sainteté » de la nouvelle liturgie.

 

Donc, sur la question de l’esprit du Concile et sur celle de la liberté de la messe traditionnelle, on peut dire, en quelque sorte, que la démarche de Benoît XVI tend à rejoindre les critiques

traditionalistes. En revanche, sur la lettre du Concile comme sur les problèmes doctrinaux que pose la réforme liturgique, le fossé est encore profond. Le verre est donc, selon qu’on le considère, à moitié plein ou à moitié vide. Or, entre deux parties, un état de choses susceptible d’appréciations divergentes voire contradictoires ne peut évidemment, par lui-même, rendre obligatoire un accord à bref échéance.

 

 

Il est évident qu’humainement, au moins, Benoît XVI est l’homme rêvé pour un accord. Rien ne dit que son successeur aura le même profil, la même disponibilité, la même patience, la même ouverture. C’est même le contraire qui risque d’être vrai : le successeur va avoir la tentation (et peut-être le désir) de tourner la page, de clore le dossier, de passer l’éponge et d’oublier carrément même l’existence de la Fraternité Saint-Pie X. On l’a bien vu à la fin de 2007 en France. Après les six années de présidence du cardinal Ricard, qui a été plutôt diplomate avec les « traditionalistes » de toutes obédiences, la Conférence des évêques de France a voté pour un triumvirat (Mgr Vingt-Trois, Mgr Ulrich et Mgr Simon) nettement hostile aux « traditionalistes » et décidé à leur mener la vie dure.

 

 

Il est clair que ce triumvirat a été élu à la présidence de la Conférence épiscopale notamment en raison de son hostilité militante au « traditionalisme ». Mais le temps nous montrera ce que le triumvirat pourra essayer de faire, et plus encore ce qu’il fera effectivement. Le « traditionalisme » est en France une réalité qu’on ne peut mettre de côté lorsqu’on a une responsabilité à la tête de l’épiscopat français, même si on y est personnellement hostile. Il n’est donc pas certain que la comparaison soit absolument pertinente.

 

L’objection affirme que le futur risque d’être beaucoup moins favorable que le présent. C’est

possible. Comme le contraire est également possible. Le successeur de Benoît XVI, formé dans son esprit, sera peut-être au contraire encore plus favorable que lui. C’est du moins à espérer.

L’expérience passée montre que parier sur l’avenir, parier sur l’évolution positive au cours du

temps, n’est pas un si mauvais choix que cela. Durant les trente ans écoulés, combien d’augures ont poussé la Fraternité Saint-Pie X à signer rapidement un accord, « car sinon demain Rome se désintéressera de vous et vous serez Gros-Jean comme devant ». Or ces prophètes avaient tort, l’histoire l’a montré.

 

Si la Fraternité Saint-Pie X avait signé des accords dans le passé, elle aurait considérablement

moins obtenu que ce qu’elle peut raisonnablement espérer aujourd’hui, ce qui aurait été une perte pour elle, ainsi que pour ceux qui, grâce à son obstination, ont bénéficié d’importantes avancées, notamment lorsqu’ils ont eux-mêmes signé un accord. Si la Fraternité Saint-Pie X avait cédé en 1974, la question de la messe traditionnelle aurait été passée par pertes et profits. Si Mgr Lefebvre n’avait pas sacré des évêques en 1988, les Instituts Ecclesia Dei n’existeraient pas. Sans les conversations entre Rome et la Fraternité Saint-Pie X en 2000-2001, l’Administration apostolique de Campos serait encore dans les limbes. Sans les récents contacts de la Fraternité Saint-Pie X avec Benoît XVI, le cardinal Castrillón Hoyos n’aurait pas accordé ce qu’il a concédé à l’Institut du Bon Pasteur. Etc.

 

En ce sens, ce que certains appellent l’obstination de la Fraternité Saint-Pie X semble assez payant sur le long terme. Quitte à spéculer sur l’avenir, pourquoi ne pas admettre qu’il soit possible que la Fraternité Saint-Pie X obtienne beaucoup mieux en persévérant dans sa ligne de fermeté ? Il suffit de voir ce qui a été admis grâce à trente ans de luttes : l’existence d’une crise majeure dans l’Église ; une certaine responsabilité de Vatican II dans cette crise, au moins en raison d’une mauvaise interprétation largement répandue ; l’importance de la messe traditionnelle, son « droit de citoyenneté » et la reconnaissance de sa liberté ; le rôle crucial de la Fraternité Saint-Pie X et sa place dans l’Église. Ne peut-on raisonnablement parier qu’en continuant à faire le siège des autorités romaines, celles-ci finiront pas ouvrir les yeux et par donner ce coup de barre salvateur vers la tradition dont l’Église a tant besoin ?

Cela ne veut pas dire que la personnalité de Benoît XVI soit sans importance : elle constitue au contraire un élément d’appréciation que Mgr Fellay considère avec grand soin dans son analyse de la situation et dans l’élaboration de sa stratégie. Mais cela signifie que cette personnalité de Benoît XVI ne constitue pas un élément déterminant à lui seul pour contraindre le Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X à signer immédiatement un accord.

 

 

Le problème, c’est que vos demandes, vos exigences, vos revendications sont inacceptables en l’état, et vous le savez très bien. Rome ne peut pas se renier, ne peut pas annuler quarante ans d’enseignement, biffer d’un trait de plume un concile œcuménique reçu par toute l’Église, interdire une liturgie utilisée par l’écrasante majorité des prêtres et des fidèles. Benoît XVI ne peut pas, demain, apparaître à sa loggia, face à la place Saint-Pierre, et annoncer tout à trac : « Mes frères, à la demande de la Fraternité Saint-Pie X, nous revenons aux us et coutumes qui existaient en 1958, à la mort de Pie XII. Tout ce qui s’est passé depuis ce moment n’existe plus. » C’est totalement absurde ! Donc, ce que vous pouvez réellement obtenir, et ce que Mgr Lefebvre demandait, c’est l’usage de la liturgie traditionnelle, c’est la possibilité de prêcher la doctrine catholique traditionnelle, c’est même la liberté d’émettre une « critique sérieuse et constructive » à l’encontre de certaines erreurs qui ont fleuri à la suite du Concile, ceci dans un cadre canonique qui garantisse votre charisme propre. Or, précisément, c’est ce que Rome vous propose aujourd’hui et que vous pouvez obtenir facilement et sans risque de vous renier.

 

Une telle présentation des choses ne correspond absolument pas à la démarche de la Fraternité

Saint-Pie X. Dans un intéressant entretien accordé au quotidien Présent du 24 novembre 2007, Mgr Fellay a éclairé les relations entre Rome et la Fraternité Saint-Pie X. Ses réponses au journaliste Olivier Figueras n’ont rien de binaire ni de simpliste.

« Figueras : N’y a-t-il pas un paradoxe à affirmer, avec le ton d’une connivence affectueuse pour le pape, que ce Motu Proprio constitue un indéniable pas en avant, et que vous attendez beaucoup dans la suite, et de dire, dans le même temps, que ce sera long – sans doute sur plusieurs générations ?

 

 Mgr Fellay : Non ! parce que dans toute médaille, il y a deux faces. D’une part, la possibilité de remèdes pratiques immédiats ; de l’autre, la paix de l’Église par la résolution de la crise qui est doctrinale. La situation présente est très contrastée. Pour que ce soit complet, il faut envisager les deux faces. »

 

« Figueras : Mais vous avez affirmé, devant certains journalistes, attendre “beaucoup plus” du

mouvement donné par le pape depuis le Motu Proprio.

 

Mgr Fellay : Lorsque je dis cela, j’envisage la possibilité, relativement prochaine, de trouver des remèdes pratiques. Mais quand je dis aux fidèles qu’il y faudra sans doute plusieurs générations, je veux parler de la paix retrouvée dans l’Église par la solution de la crise doctrinale. Si on veut combiner les deux points, les deux faces de la médaille, cela signifie que les remèdes pratiques arriveront bien avant la fin de la crise. Mais, même pour ce premier

point, il faudra que les conditions nécessaires soient réunies. Il y a, bien sûr, la messe, telle que nous venons de la retrouver dans le Motu Proprio. Le retrait du décret d’excommunication, qui ne semble guère poser de problème. Mais, tout d’abord, que l’on arrête de nous faire avaler du poison, en ce qui concerne la foi, le dogme. C’est toujours la première, la principale condition. »

 

Dans son entretien donné à DICI du 17 septembre 2005, juste après sa rencontre avec le pape

Benoît XVI, Mgr Fellay remarquait déjà : « Bien sûr, nous irons pas à pas. Il faut apporter sur le Concile un éclairage différent de celui qui est donné par Rome. Tout en dénonçant les erreurs, il est indispensable de montrer leur suite logique, leur incidence sur la situation désastreuse de l’Église aujourd’hui, sans toutefois provoquer une exaspération qui entraînerait une rupture de la discussion. Cela nous oblige donc à procéder par étapes. »

 

Dans une lettre remise au cardinal Castrillon Hoyos le 22 janvier 2003 (Cor Unum 74, février

2003, p. 4), Mgr Fellay écrivait : « Le Supérieur général de la Fraternité propose donc, avec toute la considération due, que les deux préalables (…) soient accordés et que le Saint-Siège observe pendant un temps plus ou moins long les fruits qui en résulteraient. Les discussions théologiques proposées par le cardinal Ratzinger trouveraient utilement leur place durant cette période.

 

Mgr Fellay suggère donc une sorte de déclaration unilatérale du Saint-Siège. La Fraternité s’engagerait en ce cas à intensifier ses entretiens avec la hiérarchie pour trouver ultérieurement une solution canonique adéquate pour la Fraternité et les œuvres liées à elle. »

 

Jamais, en vérité, la Fraternité Saint-Pie X n’a exigé de Rome un document solennel de repentance sur le dernier demi-siècle. Mgr Fellay a même déclaré explicitement le contraire au mensuel Trente Jours, en septembre 2000 : « Dans les actions concrètes, sur la façon de résoudre les problèmes, le savoir et l’habileté de Rome sont très grands. Le Vatican est donc capable de trouver la formule qui convient. Vous avez raison : il faut être réaliste. Nous ne nous attendons pas à ce que le Vatican fasse un grand mea culpa et dise quelque chose du genre : “Nous avons promulgué une fausse messe”. Nous ne voulons pas que l’autorité de l’Église soit encore affaiblie. Elle ne l’a que trop été déjà : maintenant, cela suffit. Mais Rome pourrait donner dans les faits le signal d’un clair changement de direction. »

 

Jamais non plus la Fraternité Saint-Pie X n’a envisagé de revenir purement et simplement à 1958. Mgr Fellay, interrogé déjà par Olivier Figueras, a même déclaré explicitement le contraire au quotidien Présent le 5 novembre 2005.

 

« Figueras : On ne peut pas faire comme si le Concile n’avait pas existé. On ne peut pas se retrouver en 1958…

 

Mgr Fellay : Non. On se retrouvera en 2006, 2007, 2008… On se retrouvera aujourd’hui. L’Église doit se relever de l’état pitoyable dans lequel elle se retrouve, à l’époque qui est la nôtre.

 

Figueras : Et les bonnes choses, les développements heureux qui ont pu être faits dans ce cadre général que vous n’acceptez pas…

 

Mgr Fellay : Eh bien ! les développements heureux seront conservés. L’Église est suffisamment sage, elle est guidée par l’Esprit-Saint, elle saura garder les bonnes choses. »

Il y a en réalité un troisième terme (et même de nombreux termes intermédiaires) entre une grande déclaration romaine d’annulation de tout le dernier demi-siècle, et la signature par la Fraternité Saint- Pie X d’un accord la concernant exclusivement et restrictivement. La Fraternité Saint-Pie X travaille activement pour ce troisième terme, afin d’aboutir à un accord canonique qui soit susceptible de perdurer précisément parce que Rome aura auparavant donné un suffisant coup de barre vers la tradition (sans pourtant, Mgr Fellay vient de la rappeler, que « la fin de la crise » soit déjà arrivée).

 

C’est pourquoi, le fait de signer immédiatement un accord n’est pas une obligation pour Mgr Fellay.

 

Étant donné la réelle bonne volonté montrée par Rome, qui acceptera sans aucun doute

toutes les demandes raisonnables et fondées de la Fraternité Saint-Pie X (et cela peut aller très loin) ; étant donné les déclarations désormais de plus en plus claires de Mgr Fellay qu’il y a une « possibilité, relativement prochaine, de trouver des remèdes pratiques », en raison notamment du tournant majeur que constitue le Motu Proprio Summorum Pontificum porté par la volonté expresse et personnelle de Benoît XVI ; il devient clair qu’il n’y a plus d’obstacles réels à un accord, qu’il s’agit donc de la part de la Fraternité Saint-Pie X de simples hésitations, d’un recul devant l’obstacle, d’un vertige en face de l’inconnu.

 

Contrairement à ce qui vient d’être dit, il y a évidemment encore des obstacles à un accord, puisque précisément Mgr Fellay, qui estime publiquement que la situation s’améliore, n’a même pas entamé les négociations canoniques.

Et c’est bien normal, si l’on reprend le cadre qu’il a fixé pour les rapports avec la Rome actuelle.

Celui-ci se compose de trois étapes. La première étape comprend les deux préalables : d’abord la liberté de la messe traditionnelle, dont on peut dire qu’elle a été accordée en substance par le Motu Proprio du 7 juillet 2007 ; ensuite le retrait du décret d’excommunication des évêques auxiliaires de la Fraternité Saint-Pie X qui, pour le moment, n’a pas été accordé, bien que Mgr Fellay ait demandé ce retrait à Rome, à plusieurs reprises et explicitement.

Après ces deux préalables, viennent les fameuses « discussions doctrinales ». Et c’est seulement après ces « discussions doctrinales » que viennent les discussions canoniques pour un accord.

Dans ce processus, il a été reconnu publiquement par Mgr Fellay, à plusieurs reprises,

qu’effectivement Rome semblait prête, sur le plan canonique, à de larges concessions (24). La Curie romaine est déterminée à accorder à la Fraternité Saint-Pie X un statut canonique stable, efficace et protecteur, où elle pourra se développer sans crainte selon son charisme propre. Les canonistes romains possèdent certainement les ressources intellectuelles pour adapter un instrument juridique existant, voire pour créer de toutes pièces un statut spécifique à la Fraternité Saint-Pie X.

 

Donc, la première demande des préalables a été satisfaite, et la dernière étape du processus, c’est-àdire l’accord canonique lui-même, est déjà virtuellement prête. En revanche, la seconde demande des préalables, à savoir la levée de l’excommunication des évêques auxiliaires de la Fraternité, n’a pas été satisfaite.

 

Quant aux « discussions doctrinales », elles n’ont même pas commencé. Dans les faits,

donc, la première des trois étapes du processus a été parcourue pour moitié. Pour la Fraternité Saint- Pie X ne pas conclure immédiatement un accord, loin d’être une tergiversation, représente tout simplement une fidélité au processus entamé (25).

 

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24 « Le Vatican s’est approché de nous à la fin de l’année passée en la personne du cardinal Castrillon Hoyos et nous a fait une proposition d’accord. (…) Rome ferait un décret par lequel serait érigé une sorte de quasi-diocèse personnel qui regrouperait autour de la Fraternité Saint-Pie X, qui en serait le noyau, toutes les sociétés amies (et même, si nous en étions d’accord, les communautés actuellement sous Ecclesia Dei). Nous serions indépendants des évêques locaux pour nos activités apostoliques et les fidèles seraient sous une juridiction mixte. C’est-à-dire qu’ils n’auraient besoin de poser aucun acte particulier pour pouvoir bénéficier de l’apostolat de nos prêtres et recevoir d’eux tous les sacrements. Ce serait une sorte de ratification en droit de ce que nous sommes et faisons de fait. Nous, et en particulier les évêques, n’aurions rien de spécial à signer, aucune déclaration particulière, mais simplement la profession de foi que toute personne doit prononcer en recevant une charge ecclésiastique avec le serment de fidélité. Il s’agit bien sûr de la profession de foi et du serment de fidélité du cardinal Ratzinger, ce qui n’est pas sans poser une difficulté » (Cor Unum 68, février 2001, pp. 1-2).

 

25 « Je pense qu’à côté de la méfiance, normale vu les circonstances, il faut aussi être suffisamment réaliste pour réussir à apprécier les choses au plus juste, précisément dans leur vérité objective. Nous sommes sûrs (c’est la foi qui nous le dit) qu’une crise de l’Église ne peut pas durer indéfiniment. Y a-t-il aujourd’hui déjà un début de réveil, un signe avant-coureur ? C’est difficile à dire. Car il faut faire attention à ne pas prendre ses désirs pour la réalité.

 

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C’est au contraire le fait de signer immédiatement, dans la hâte et sans réflexion, qui créerait une situation très dangereuse, avec le risque évident, dans les mois ou les années qui suivraient, d’une nouvelle cassure désormais irréparable. Pour cette raison, Mgr Fellay n’a certainement pas l’obligation de signer un accord dans les plus brefs délais.

 

 

Il existe aujourd’hui des conditions objectives nettement favorables à la signature d’un

accord, conditions objectives que Mgr Lefebvre ne connaissait pas lorsque pourtant, en mai 1988, il a signé un Protocole destiné à devenir très rapidement un accord. Ces conditions objectives favorables sont, par exemple, le Motu Proprio Summorum Pontificum qui reconnaît (déclaration inespérée) que le Missel traditionnel n’a jamais été interdit, qui en conclut en toutes lettres que pour célébrer au moins en mode privé selon ce Missel, « le prêtre n’a besoin d’aucune autorisation, ni du Siège apostolique ni de son Ordinaire », qui grave dans le marbre la possibilité d’user des rites traditionnels pour le bréviaire, le baptême, le mariage, la pénitence, le sacrement des malades et la confirmation (sans parler des rites traditionnels d’ordination, permis implicitement). On peut mettre également, dans ces conditions objectives favorables, le discours du 22 décembre 2005 sur l’interprétation de Vatican II, la nomination de Mgr Ranjith comme secrétaire à la Congrégation pour le Culte divin, la nomination de Mgr Guido Marini (à la place de Mgr Piero Marini) à la tête des Cérémonies pontificales, la célébration (« dos au peuple ») sur l’autel traditionnel à la Chapelle Sixtine le 13 janvier 2008, etc. Si Mgr Lefebvre a presque contresigné un accord en 1988, alors que de telles conditions objectives étaient encore inimaginables, cela prouve que Mgr Fellay pourrait (et donc devrait) signer aujourd’hui un tel accord.

 

 

Mgr Lefebvre a, certes, signé le Protocole d’accord le 5 mai 1988. Mais précisément, il n’a pas contresigné l’accord lui-même, car il a estimé qu’en réalité, « le moment d’une collaboration franche et efficace n’était pas encore arrivé ». Revenant sur sa rupture des négociations, il a expliqué en partie ses motifs de ne pas poursuivre. Mais, parmi ceux-ci, il n’a jamais affirmé que, si Rome accordait la liberté du Missel traditionnel, cela suffirait à débloquer la situation. Encore moins a-t-il envisagé de signer simplement en raison d’un discours sur l’interprétation du Concile ou à cause de la nomination

 

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« Dans la situation présente, plusieurs points sont à considérer. Tout d’abord, si ouverture ou proposition était faite, elle proviendrait d’une pure initiative de Rome, sans que nous l’ayons sollicitée. Il me semble que cette seule circonstance nous oblige à examiner avec attention la situation, pour discerner si ce n’est pas la Providence qui se manifeste ainsi à nous.

 

« Ensuite, si le souci de notre unité, le désir de notre préservation est essentiel, il ne doit pas nous faire oublier notre obligation de servir l’Église, selon nos moyens et nos possibilités. S’il y a une chance, une seule, que des contacts avec Rome puissent faire revenir un peu plus de Tradition dans l’Église, je pense que nous devons saisir l’occasion.

 

« Je ne suis pas sûr qu’une ouverture de Rome, aujourd’hui, puisse mener à un accord complet : trop de points graves nous divisent encore, et nous n’avons aucune intention de modifier nos principes et notre ligne de conduite. Mais je pense qu’il est possible de faire

avancer les choses sur plusieurs de ces points. Je suis persuadé qu’un mouvement est lancé, un mouvement qui, peu à peu, va finir par obliger Rome, à long terme, à réviser Vatican II, à abandonner les erreurs que peut receler ce concile, pour revenir à quelque chose de

plus solide. Maintenant, combien de temps cela prendra-t-il ? Probablement des décennies, sauf intervention extraordinaire du bon Dieu. Mais chaque étape possède son importance, et aujourd’hui semble se dessiner une de ces étapes.

 

« Je suis donc encore dans l’expectative, j’essaie de voir, d’apprécier les choses comme elles arrivent pour savoir s’il faut partir ou ne pas partir, se lancer ou ne pas se lancer. Tout va dépendre de la manière dont Rome va agir ou réagir » (Mgr Bernard Fellay, Fideliter

140, mars 2001, p. 7).

« 1) Le refus de notre part d’aller plus avant vers un accord pratique, sans qu’il faille nécessairement parler de “rupture”, repose sur un principe posé au départ : avant de s’engager, nous avons besoin que Rome donne la preuve par les faits qu’elle veut positivement et soutient le mouvement traditionnel dans l’Église.

 

2) Jusqu’ici, les diverses tentatives de rapprochement se sont toujours heurtés à des obstacles doctrinaux que nous ne pouvons absolument pas ignorer. Le concile Vatican II et la nouvelle messe restent des pierres d’achoppement : Rome nous demande toujours, et ceci est encore valable en 2003, l’acceptation de Vatican II et de la nouvelle messe comme condition d’accord. Nous n’accepterons pas de formules ambiguës sur ces sujets, à cause des conséquences énormes : objections pour la foi et la vie des fidèles catholiques.

 

3) Cette obstination doctrinale de fond aura pour conséquence nécessaire, tôt ou tard, au

niveau pratique, que la Rome moderne voudra nous faire glisser plus ou moins subrepticement dans l’acceptation de sa position doctrinale, quelle que soit la situation juridique qui serait accordée (Administration, prélature personnelle).

 

4) C’est pour changer ce climat doctrinal que nous réclamons le droit à la messe traditionnelle pour tous. Car, il faut le souligner, cette messe est antiœcuménique, anti-moderne, pleine de grâces, de sacré ; elle nourrit de la vraie foi catholique ceux qui y assistent, elle rayonne la grâce de la fidélité, elle éclaire.

 

5) Contrairement à ce que certains disent ou pensent, notre effort dans ce sens n’est pas vain et l’idée de cette libération fait des progrès, même au Vatican ; ce n’est pas le moment de lâcher.

 

6) De l’autre côté, on constate les premières pressions vaticanes sur l’Administration apostolique de Campos (…).

 

7) Dans le même sens, le Vatican fait pression pour que des groupes traditionnels invitent Mgr Rifan ; on veut probablement en faire le champion de la cause Ecclesia Dei. Combien d’illusion alors à vouloir croire que le refus de la proposition romaine serait injustifié de notre part ! » (Cor Unum 74, février 2003, pp. 1-3).

 

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d’un préfet aux Cérémonies pontificales plus ou moins traditionnel. Il n’est pas convenable

d’instrumentaliser sa personne, ses actions et ses déclarations dans un sens ou dans un autre. Il faut plutôt regarder les faits d’aujourd’hui, tels qu’ils sont, en s’efforçant de rester fidèles à son esprit.

Il est clair que, plus de quinze ans après la mort de Mgr Lefebvre, les choses ont évolué, se sont clarifiées. Des possibilités se sont réalisées. Mgr Lefebvre n’a pas connu certaines avancées, comme le Motu Proprio ou le discours du 22 décembre 2005, qui réalisent certaines espérances qu’il caressait.

Il faut reconnaître, et Mgr Fellay a reconnu plusieurs fois publiquement, que ces avancées sont nettement positives, encourageantes, qu’elles ouvrent une voie pour la résolution de la crise.

Toutefois, en examinant ces avancées, absolument incontestables et incontestées par Mgr Fellay, dans leur réalité objective (forcément complexe, et en lien avec la situation complexe de l’Église), il faut admettre que ces mêmes avancées détruisent en même temps certaines espérances que Mgr Lefebvre pouvait avoir, et qui faisaient partie de son évaluation de la situation.

Le Motu Proprio a rappelé que le Missel traditionnel n’a jamais été interdit et ne pouvait pas l’être, que tout prêtre peut librement en user, etc. Mais Mgr Lefebvre, lorsqu’il demandait un tel document, pouvait espérer que celui-ci ne parlerait pas du nouveau rite. C’est par exemple ce qu’il écrivait le 2 mars 1983 au cardinal Ratzinger : « Si le Saint-Siège souhaite la paix et la fin de la division, il serait, à mon sens, préférable de ne faire aucune allusion au Novus Ordo missæ, et ainsi d’éviter de faire des procès d’intention » (« Lettre de Mgr Lefebvre au cardinal Ratzinger » du 2 mars 1983, Fideliter 35, septembre 1983, pp. 53-54). Or cette espérance, elle, a été déçue : le Motu Proprio parle du nouveau rite, et équipare les deux rites ou, pour reprendre son vocabulaire, la forme ordinaire et la forme extraordinaire.

Le discours du 22 décembre 2005 a clairement affirmé que le concile Vatican II ne pouvait pas être abordé dans un esprit de rupture avec la Tradition de l’Église, et que le fameux « esprit du Concile », qui veut en faire le début d’une révolution ecclésiale, était nettement à rejeter. Mgr Lefebvre, lorsqu’il souhaitait que « le Concile soit interprété à la lumière de la Tradition », désirait au moins, pour commencer, des déclarations officielles de ce type. Mais il pouvait espérer que de telles déclarations laissent de côté les points vraiment litigieux du Concile. C’est par exemple ce qu’il exprimait le 23 novembre 1980 : « Nous demandons simplement, peut-être, de ne pas trop discuter les problèmes théoriques, de laisser les questions qui nous divisent, comme celle de la liberté religieuse. On n’est pas obligé de résoudre tous ces problèmes maintenant, le temps apportera sa clarté, sa solution »

(« Quinze ans après Vatican II, les raisons de la continuité de notre combat », conférence à Angers du 23 novembre 1980, p. 24). Or cette espérance, elle, a été déçue : le discours du 22 décembre 2005 fait, au contraire, une apologie en règle de la liberté religieuse telle qu’elle est enseignée par Vatican II.

Donc, s’il y a sans aucun doute des conditions objectives plus favorables pour un accord qu’au temps de Mgr Lefebvre, il y a en même temps, et pour les mêmes raisons, et dans les mêmes documents, des conditions objectives moins favorables. Mgr Fellay doit considérer ces conditions plus favorables, et il le fait. Il ne peut toutefois oublier ou omettre les conditions parallèles moins favorables. Ce mélange du favorable et du défavorable explique que, même aujourd’hui, Mgr Fellay ne soit pas dans l’obligation de signer un accord dans les plus brefs délais.

 

 

Les sanctions canoniques, même si la Fraternité Saint Pie X en fait fi et les estime nulles et invalides, sont tout de même un obstacle grave pour l’apostolat. Les diocèses, les paroisses, le clergé, les évêques rejettent les membres de la Fraternité Saint-Pie X. Les fidèles s’en détournent ou s’en méfient. La Fraternité Saint-Pie X est marquée du sceau de l’infamie et lourdement handicapée dans son rayonnement missionnaire. Au contraire, en signant un accord, en étant publiquement reconnue par Rome, les portes s’ouvriraient de nouveau. Les fidèles afflueraient dans les églises de la Fraternité Saint-Pie X, ainsi que les vocations dans ses séminaires. Elle pourrait accroître son action, contribuer à éclairer plus d’âmes, à prêcher plus largement la foi, à faire découvrir à plus de catholiques la splendeur de la doctrine et de la liturgie traditionnelles. Or, entre ces deux états, l’un où son apostolat est confiné aux marges, l’autre où il peut rayonner dans toute l’Église, il n’existe que la distance d’une simple signature.

N’est-ce pas manquer de zèle pour le royaume de Dieu et pour le salut des âmes que de refuser encore une telle signature ?

 

La description de ce qui se passerait si la Fraternité Saint-Pie X signait un accord canonique est exagérée. Il n’est pas sûr que toutes les portes s’ouvriraient d’un coup. L’exemple des accords passés (Ecclesia Dei, etc.) montre qu’un certain nombre de portes restent fermées, même après un accord avec Rome.

Mais il est vrai que, si la Fraternité Saint-Pie X retrouvait enfin son entière légalité canonique, un certain nombre de portes (et de cœurs) s’ouvriraient. La Fraternité Saint-Pie X atteindrait plus de fidèles et plus facilement, des vocations qui se détournent d’elle actuellement rejoindraient ses séminaires, etc. Cela serait bon, voire très bon. Mgr Lefebvre a toujours désiré, il a toujours milité et agi pour protéger cette légalité canonique lorsqu’elle existait, pour la restaurer lorsqu’elle fut illégalement et injustement supprimée. Mgr Fellay se situe nettement sur la même ligne (26).

 

Si donc, au regard du royaume de Dieu et du salut des âmes, il n’y avait entre la Fraternité Saint- Pie X et la légalité canonique (avec ses indéniables avantages) que l’obstacle d’une simple signature, il serait criminel et irresponsable pour Mgr Fellay de ne pas apposer dans l’heure cette signature. Mais ce point de vue n’est absolument pas suffisant, lorsqu’il est pris seul, indépendamment des circonstances objectives de la situation (27). Car il était vrai en 1975, il était vrai en 1978, il était vrai en 1988, il était vrai en 1991, il était vrai en 2000, il était vrai en 2005 que la pleine légalité canonique est, en soi, meilleure que l’absence partielle et extérieure de cette légalité. Cela n’a pas empêché, par exemple, Mgr Lefebvre de maintenir la Fraternité Saint-Pie X après sa prétendue suppression en 1975 ; cela ne l’a pas empêché de sacrer quatre évêques pour assurer la survie de la Tradition en 1988, etc. Or il est évident que, par ces actes, il se mettait en dehors d’une stricte légalité canonique et donc se fermait un certain nombre de portes.

 

La diabolisation la plus efficace de la Tradition a consisté à dire successivement : « Vous êtes désobéissants, supens a divinis… Vous êtes schismatiques, excommuniés… »

Si la Fraternité Saint-Pie X se trouve en dehors d’une certaine légalité canonique (et en souffre profondément, tant subjectivement, car c’est un déchirement pour un catholique de ne pas être en accord extérieur avec Rome, qu’objectivement, car il s’agit d’un obstacle non négligeable à son rayonnement missionnaire), c’est pour des raisons fondées (28). Et on ne peut pas faire comme si ces raisons n’existaient pas, comme si une simple signature pouvait les effacer par magie. Par exemple, la Fraternité Saint-Pie X sollicite depuis plusieurs années le retrait du décret d’excommunication censé

 

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26 « En ce qui concerne les excommunications, nous n’en souffrons aucunement. Mais cependant le Vatican les agite comme un épouvantail pour effrayer les bonnes gens qui, sans cela, s’approcheraient de nous. Cette censure a été l’une des mesures les plus efficaces de Rome pour nous marginaliser. Il est donc de bonne guerre de demander à cette même Rome qui propose des accords d’ôter cet obstacle. Encore une fois, il ne s’agit pas de nous, ou d’une préoccupation qui nous concernerait directement, mais du bien des fidèles. Il est difficile d’évaluer l’amplitude du bien qui pourrait être obtenu par de telles mesures, mais il me semble que nous pourrions le sous-estimer » (Cor Unum 68, février 2001, pp. 6-7).

 

« Nous demandons le retrait d’un décret d’excommunication auquel nous n’avons jamais accordé de valeur canonique, sans quoi bien évidemment nous n’aurions exercé aucun ministère : ni ordination, ni confirmation... Mais nous sommes bien conscients de la portée pratique de ce décret : la diabolisation efficace de la Tradition, l’empêchement pour les prêtres traditionnels de faire du bien dans les paroisses. Si une famille fait appel à nous pour un sacrement dans le rite traditionnel, l’évêque ou le curé n’a qu’un mot à dire : “Vous n’y pensez pas, ils sont excommuniés !” Voilà comment on neutralise la Tradition concrètement » (Mgr Bernard Fellay, DICI 132, 25 mars 2006, p. 2).

 

« Au sujet de l’excommunication : celle-ci est utilisée abondamment et presque exclusivement comme argument non tant contre les évêques mais contre tout ce qui est traditionnel. Vu que c’est le “lefebvrisme” qui a été excommunié et que le lien entre Mgr Lefebvre et “traditionnel” est devenu un automatisme, il suffit aux modernes de qualifier de “lefebvrisme” quoi que ce soit de conservateur pour qu’immédiatement l’étiquette “excommunié” vienne à l’esprit. Demander qu’on enlève l’étiquette néfaste revient à faire restituer à la Tradition son nom glorieux » (Cor Unum 85, octobre 2006, pp. 3-4).

 

27 « De notre côté, nous insistons sur tout autre chose : devant le problème énorme de la crise de l’Église engendrée par le Concile et les réformes subséquentes, le problème “canonique” de la Fraternité apparaît comme mineur. Et il est pour nous évident, sans négliger l’aspect canonique, que si le problème de fond n’est pas abordé et solutionné dans son principe, nous construirons sur une base flottante, prometteuse de tempêtes tout aussi graves que celles qui sévissent aujourd’hui. De plus, la situation concrète de l’Église officielle est

telle aujourd’hui qu’elle rend en elle-même une convivialité impossible. Pour survivre, nous devons garder l’autonomie dans laquelle nous nous trouvons. Ce n’est que le jour où le principe fondamental de la Tradition sera ancré de nouveau que nous pourrons aller de l’avant sur ce terrain pratique » (Cor Unum 83, février 2006, pp. 4-5).

 

28 « Franchement, s’il ne s’agissait que de dissiper la “perplexité” des évêques et de reconnaître la légitimité de la “sensibilité” traditionaliste, je crois que la crise aurait été résolue depuis longtemps. Mais ce qui est en jeu est d’une nature qui dépasse largement et la perplexité et la sensibilité » (Mgr Bernard Fellay, Nouvelles de Chrétienté 87, mai 2004, p. 6).

 

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frapper les évêques auxiliaires de la Fraternité Saint-Pie X : pour le moment, cela n’a pas été fait, or c’est un obstacle réel et objectif à un accord. Mgr Fellay considère donc avec attention les bienfaits insignes et évidents (pour le royaume de Dieu et le salut des âmes) d’un retour à une pleine légalité canonique, mais cette seule considération, indépendamment des conditions objectives de la crise de l’Église, ne peut lui créer une obligation immédiate de signer un accord avec Rome.

 

 

Dans sa première réaction après la création de l’Institut du Bon Pasteur, l’abbé Paul

Aulagnier, qui est un des fondateurs de ce nouvel Institut, mais qui fut en 1970 un des

fondateurs de la Fraternité Saint-Pie X, a écrit à propos de la forme juridique du nouvel

Institut : « La création d’une Administration apostolique, indispensable pour l’Europe, eût été bien mieux. Car la grande faiblesse de notre fondation se trouve au niveau missionnaire, apostolique. Mgr Fellay assume une responsabilité formidable dans cette faiblesse par son refus opiniâtre… L’histoire lui reprochera cet entêtement. » L’abbé Aulagnier estime donc que la Fraternité Saint-Pie X, avec tout son poids, toutes ses maisons, tous ses prêtres, pourrait signer un accord largement plus favorable que tous les accords signés précédemment, et qui viendrait fortifier et améliorer substantiellement ces accords précédents. La Fraternité Saint-Pie X renforcerait alors très puissamment le combat de la Tradition à l’intérieur même des structures ecclésiastiques, et permettrait à ce combat de vivre, de se développer et finalement de gagner la bataille décisive contre le progressisme et le modernisme. Parallèlement, les défenseurs de la Tradition dans l’Église (Ecclesia Dei, etc.) renforceraient la Fraternité Saint-Pie X. Or une armée unie et solidement organisée a toujours plus de chance de vaincre. En somme, il faut que la Fraternité Saint-Pie X signe au plus tôt un accord, pour que la Tradition vive et gagne dans l’Église.

 

 

Une fois encore, il ne faut pas exagérer la portée pratique de ce qui se passerait si la Fraternité

Saint-Pie X signait un accord. En rassemblant tous les prêtres attachés actuellement à la messe

traditionnelle (Fraternité Saint-Pie X, Ecclesia Dei et autres), on doit arriver à un total d’environ 2 000 prêtres : ce chiffre est à mettre en rapport avec les 400 000 prêtres de l’Église catholique. Le combat de la Tradition n’est pas en soi un combat d’ordre numérique, mais de vérité. Ce qui fait la force de la Tradition, même vis-à-vis de la Rome actuelle, c’est de représenter une vérité, de défendre des éléments essentiels de la foi qui sont actuellement oubliés ou mis de côté. Il est évident, et Mgr Fellay l’a dit publiquement, que la structure canonique à laquel Rome pense pour la Fraternité Saint-Pie X est plutôt favorable, au moins pour la période de transition. Par exemple, l’idée d’une Administration apostolique mondiale pour la Tradition, qui regrouperait la Fraternité Saint-Pie X ainsi que ceux qui, attachés à la messe traditionnelle, voudraient en faire partie, constituerait un environnement juridique assez protecteur. Considérée d’un point de vue purement

canonique, une telle structure est vue d’un bon œil par Mgr Fellay.

Mais la Fraternité Saint-Pie X a dit, redit et répété que le problème n’est pas que canonique, qu’il n’a jamais été que canonique. Il s’inscrit dans le contexte d’une crise grave de l’Église. C’est à cause de cette crise grave que la pleine légalité canonique (que la Fraternité Saint-Pie X possédait de 1970 à 1975) lui a été injustement et illégalement retirée. Ce ne peut être sans une « certaine résolution de cette crise » que la pleine légalité canonique pourra assurer son office de protection et de stabilisation de la Fraternité Saint-Pie X (29)

 

On ne peut sous-estimer la puissance formidable de l’appareil ecclésiastique, sa capacité à attirer, à imprégner, à orienter, à marquer les âmes. C’est l’une des forces principales de l’Église, nous ne devons pas nous en étonner. Le problème, c’est que cet appareil ecclésiastique roule aujourd’hui pour Vatican II. C’est donc vers Vatican II qu’il attire ceux qui, jusqu’ci, ont signé des accords. Il serait

 

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29 « On parle d’administration apostolique, de prélature personnelle, d’ordinariat…, cela semble prématuré. En souhaitant un accord canonique tout de suite et à tout prix, nous nous exposerions à voir immédiatement resurgir tous les problèmes doctrinaux qui nous opposent à Rome, et cet accord serait aussitôt caduc. Cette régularisation de notre statut canonique devra intervenir en dernier lieu, comme pour sceller un accord déjà réalisé au moins pour l’essentiel au niveau des principes, grâce aux faits constatés par Rome » (Mgr Bernard Fellay, DICI 132, 25 mars 2006, p. 3).

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téméraire pour la Fraternité Saint-Pie X de se croire plus maligne ou plus forte que ces derniers. Le nombre de ses prêtres, ou leur « qualité » supposée, ne sont certainement pas suffisants pour résister durablement à une telle « aspiration ».

Pour Mgr Fellay, et à juste titre, tant que l’appareil ecclésiastique sera fermement attaché à

Vatican II, les normes juridiques les plus favorables risquent de n’être qu’un frêle papier à cigarettes pour protéger la Fraternité Saint-Pie X des pressions (30). Lorsqu’au contraire un net coup de barre vers la tradition aura été donné par l’autorité suprême, des normes juridiques même un peu bancales seront acceptables, car la vie de l’Église, alors, travaillera chaque jour à les améliorer.

Cependant, comme nous l’avons déjà souligné, ce coup de barre ne consiste pas à demander que le concile Vatican II soit purement et simplement annulé. Il ne consiste pas à exiger de Rome un document solennel de repentance sur le dernier demi-siècle. Il ne consiste pas à revenir matériellement à 1958, à l’état de l’Église lors de la mort de Pie XII. Il peut, de plus, se réaliser de diverses façons, par diverses étapes, et en prenant tous les ménagements légitimement nécessaires.

Par exemple, ce coup de barre vers la tradition pourrait se concrétiser, dans un premier temps, par le fait que le Siège apostolique autorise statutairement la Fraternité Saint-Pie X à demeurer fidèle de façon exclusive à la doctrine traditionnelle, telle qu’elle a été exprimée clairement par le Magistère antérieur au concile Vatican II (permission qui lui serait accordée à l’image de ce qui fut autorisé à l’Église ruthène lors de l’accord de Brest-Litovsk en 1595, sous le pontificat de Clément VIII), et déclare possible et licite pour la Fraternité Saint-Pie X, dans l’Église, une critique sérieuse et constructive des points résolument nouveaux que contient Vatican II, et qui à ce titre suscitent des interrogations légitimes.

Cette proposition est simple, claire, pragmatique, et permettrait, si elle était acceptée, de garantir de façon efficace et sérieuse la pérennité de la Fraternité Saint-Pie X, sans que pourtant « la fin de la crise » ne soit déjà arrivée. Mgr Fellay, en effet, a reconnu clairement que ces deux points (le retour de la Fraternité Saint-Pie X à la pleine légalité canonique et la résolution définitive de la crise de l’Église) devaient être soigneusement distingués.

Mais en attendant la mise en œuvre d’une telle proposition (ou d’une autre analogue), Mgr Fellay doit considérer, d’une part le grand bien de la signature d’un accord, qui verrait la « Tradition » réunie dans un cadre juridique favorable pour rayonner dans toute l’Église, d’autre part le poids énorme d’une Église qui, institutionnellement, roule pour Vatican II et les réformes conciliaires, et donc qui met en danger cette même Tradition.

Et c’est pourquoi, tout en désirant le grand bienfait d’une réunification de la Tradition dans une structure canonique protectrice, Mgr Fellay n’en déduit pas qu’il lui faut obligatoirement signer un accord dans les plus brefs délais.

 

 

 

30 « Il est nécessaire de s’assurer, avant tout, de la solidité des piliers qui porteront le pont entre Rome et nous. Ces piliers sont doctrinaux, on ne peut passer sous silence cette réalité, sous peine de voir (à plus ou moins court terme) tous les efforts de rapprochement voués à l’échec. La solution du cardinal [Castrillon Hoyos] est de proposer un accord pratique, en minimisant le plus possible les divergences de fond. Est-ce possible ? Peut-on conjurer la dureté de la crise qui secoue l’Église avec des expressions adoucies ? Je ne le pense pas » (Mgr Bernard Fellay, Nouvelles de Chrétienté 87, mai 2004, p. 6).

 

 

 

 

Le problème de fond, c’est l’Église. L’Église a droit à votre soumission et a besoin de votre dynamisme pour retrouver la plénitude de sa tradition. En refusant de signer un accord, vous vous soustrayez (malgré vos dénégations) à votre obligation de reconnaître concrètement, canoniquement, votre soumission à la hiérarchie divinement instituée du pape et des évêques, à qui pourtant la Fraternité Saint-Pie X affirme être soumise, mais sur le papier. Vous privez en même temps, de façon illégitime et injuste, l’Église de votre apostolat, de votre rayonnement, tout simplement de votre vie : membres du corps de l’Église, vous la blessez en vous soustrayant à sa vie. Rentrer dans la pleine légalité canonique n’est pas une option, pour la Fraternité Saint- Pie X : c’est une obligation ecclésiologique majeure, qui touche à son union au Christ et, finalement, au salut éternel de ses membres et de ses fidèles.

 

Il est évident, pour un catholique, qu’être uni à l’Église, soumis à elle et zélé pour la servir, est une obligation ecclésiologique majeure, qui touche à son union au Christ et, finalement, à son salut éternel. La Fraternité Saint-Pie X, étant pleinement catholique, reconnaît pleinement cette évidence et s’efforce chaque jour, malgré les obstacles et les tentations que rencontre tout disciple du Christ en cette vie, de la mettre en pratique.

Ordinairement, cela suppose et entraîne un lien canonique parfait avec l’Ordinaire du lieu et avec le Souverain Pontife. Toutefois, ce lien canonique parfait étant une réalité humaine, reste soumis, comme toute réalité humaine, à certains aléas. Il n’a pas manqué, au cours de l’histoire, de saints qui, pour des raisons diverses, durant un certain temps, ne se sont pas trouvés en lien canonique parfait avec leur Ordinaire, voire avec le Souverain Pontife. On peut citer, par exemple, saint Athanase, condamné par plusieurs conciles ; saint Pierre Célestin, mort dans une prison ecclésiastique ; saint Vincent Ferrier, confesseur du faux pape d’Avignon durant le Grand Schisme (Pedro de Luna, « Benoît XIII ») ; sainte Jeanne d’Arc, condamnée par l’Inquisition ; saint Jean de la Croix, mort dans une prison ecclésiastique ; saint Ignace de Loyola, emprisonné par l’Inquisition espagnole ; saint Alphonse de Liguori, mort dans la disgrâce du pape ; le padre Pio, privé du droit de confesser, etc. « Thérèse d’Avila, écrit ainsi le successeur de dom Guéranger dans l’Année liturgique au 14 octobre, éprouva mieux que les dénuements humains : un jour, Dieu même sembla lui manquer.

Comme avant elle Philippe Benizi, comme après elle Joseph Calasanz et Alphonse de Liguori, elle connut l’épreuve de se voir condamnée, rejetée, elle, et ses filles, et ses fils, au nom et par l’autorité du Vicaire de l’Époux. C’était un de ces jours, prédits dès longtemps, où il est donné à la bête de faire la guerre aux saints et de les vaincre. L’espace nous manque pour raconter ces incidents douloureux. »

La Fraternité Saint-Pie X a été privée, injustement et illégalement, de son statut canonique, et ses membres ont été, injustement et illégalement, frappés de sanctions ecclésiastiques. En effet, c’est uniquement en raison de son attachement à la doctrine traditionnelle, à la messe traditionnelle, à la vie chrétienne traditionnelle qu’elle a subi tout cela. Jamais il n’a été allégué contre elle un autre motif que cet attachement à la tradition. La Fraternité Saint-Pie X souhaite de tout cœur retrouver cette pleine légalité canonique. Mais les causes qui, il y a trente ans, ont poussé la Rome actuelle à lui retirer cette pleine légalité demeurent :

les points contestables du concile Vatican II, les réformes postconciliaires qui en sont logiquement déduites, et le nouvel esprit qui est cause et conséquence de ces points contestables.

En conséquence, si la Rome actuelle propose un accord canonique à la Fraternité Saint-Pie X tout en adhérant à la substance de ce que pensait la Rome d’il y a trente ans, cela signifie que la Rome actuelle n’envisage pas cet accord sur les mêmes fondements doctrinaux et pratiques que la Fraternité Saint-Pie X. Un tel accord serait donc, dès le départ, fragile et aléatoire.

Une proposition d’accord fragile et aléatoire, qui ne garantit pas suffisamment le but recherché et souhaité, ne peut être suffisante pour obliger le Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X à la signer dans les plus brefs délais.

 

 

La Fraternité Saint-Pie X manifeste sa crainte que la signature rapide d’un accord soit

prématurée, donc dangereuse et aléatoire. La Rome actuelle étant, à son avis, encore infestée par le néomodernisme, la Fraternité Saint-Pie X craint d’être « absorbée », « entraînée », « influencée », « noyautée » par ce mauvais esprit romain. Cependant, une telle vue des choses semble s’appuyer premièrement sur une prudence toute humaine, au détriment de l’esprit de foi. Craindre le danger est en soi une attitude sage et prudente, parce que l’homme est faible et chancelant. Mais il y aurait orgueil à ne vouloir compter que sur soi, et donc à fuir lâchement un danger, alors que la volonté de Dieu requiert à un moment précis que l’on affronte tel danger particulier, pour la plus grande gloire de Dieu. Par véritable humilité, il faut compter, lorsqu’on accomplit la volonté divine, sur l’aide toute-puissante du Seigneur, qui ne manquera jamais. Et

donc, la Fraternité Saint-Pie X, qui doit craindre sa propre faiblesse, ne doit pas hésiter à signer un accord avec Rome, selon la volonté de Dieu, car alors tout sera possible avec l’aide de la Providence. Comme le disait sainte Thérèse d’Avila à l’occasion de la fondation de Tolède, fort mouvementée : « Thérèse et trois ducats, ce n’est rien ; mais Dieu, Thérèse et trois ducats, c’est tout. »

 

Il est clair qu’il ne convient pas de s’appuyer, avec la « prudence de la chair », sur ses seules forces humaines, mais qu’il faut, avec la vraie prudence chrétienne (vertu surnaturelle enrichie par les dons du Saint-Esprit), compter sur le secours de Dieu et de sa Providence, qui ne manquera jamais. La Fraternité Saint-Pie X ne compte pas sur elle-même pour rester fidèle en cette terrible crise, mais prie chaque jour pour obtenir l’aide du Seigneur. Et si elle surseoit, pour le moment, à la signature d’un accord avec Rome, ce n’est pas en raison de la seule peur (humaine) d’être « absorbée » ou « noyautée ». Car, sans l’aide de Dieu, elle pourrait s’effondrer même en prenant toutes les précautions ; et avec le secours d’en haut, elle sera totalement indestructible, même au cœur des plus pressants dangers.

 

La question réelle est donc le discernement de la volonté de Dieu. A trois reprises, l’objection fait comme si la volonté de Dieu était que la Fraternité Saint-Pie X signe un accord dans les plus brefs délais.

 

Toutes nos réflexions précédentes manifestent qu’il serait osé de prétendre discerner ainsi, avec facilité, la volonté de Dieu en des circonstances aussi complexes. Si la volonté de Dieu était réellement que la Fraternité signe, celle-ci pourrait le faire sans craindre le danger, et devrait le faire sous peine de péché. Mais si le fait de signer un accord dans les plus brefs délais ne correspond pas à la volonté de Dieu, alors la Fraternité ne pourrait le faire sans danger et sans péché.

Comme nous l’avons montré longuement, et sous divers aspects, et avec de nombreuses nuances, Mgr Fellay étudie avec la plus vive attention la situation actuelle, avec toutes ses subtilités humaines ; il prie et médite sur son devoir ; il pose les actes qui lui semblent sages, prudents (d’une prudence surnaturelle), conformes à la volonté de Dieu ; il s’efforce de faire avancer les choses vers un accord fondé, réaliste, durable, et surtout catholique, conforme à la foi.

Or, aucun des arguments précédents n’a réussi à montrer de façon convaincante que la volonté de Dieu se manifestait de façon évidente et claire en faveur d’un accord immédiat, même si beaucoup de ces arguments sont intéressants, ce qui explique qu’ils soient attentivement et régulièrement scrutés par le Supérieur général et ses conseillers pour prendre au jour le jour les décisions les mieux adaptées à la situation réelle.

Puisque les partisans de l’accord rapide n’ont pas réussi à démontrer de façon réellement

déterminante que la volonté de Dieu imposait un accord immédiat, il s’ensuit que le Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X n’a pas l’obligation de signer un accord avec Rome dans les plus brefs délais.

 

 

Pour conclure

 

Redisons pour finir ce qui a été l’objet de notre travail, afin que ne subsiste aucun doute ni aucune ambiguité.

Simple membre de la Fraternité Saint-Pie X, nous n’avons aucune compétence pour déterminer si oui ou non la Fraternité Saint-Pie X doit signer un accord avec la Rome actuelle, nous n’avons aucune autorité pour trancher en un sens ou un autre.

Le choix de signer éventuellement un accord avec Rome, ou de ne pas le signer, revient en effet exclusivement au Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, après la convocation d’un Chapitre général extraordinaire (selon qu’il a été statué par le Chapitre général de la Fraternité Saint-Pie X en juillet 2006), et seulement si une telle décision lui apparaît conforme à la volonté de Dieu.

Notre but a consisté à montrer qu’en l’état actuel des choses, aucun argument probant ne contraint le Supérieur général d’agir d’une façon plutôt que d’une autre, et que sa prudente liberté de chef demeure entière.

 

Sans donc vouloir obliger le Supérieur général à avoir des relations avec la Rome actuelle, et des relations de telle nature plutôt que de telle autre, nous avons voulu montrer que rien ne lui interdit (et en tout cas pas les enseignements de Mgr Lefebvre) d’avoir s’il le juge utile des relations avec cette Rome.

 

Sans vouloir interdire au Supérieur général de signer un accord avec la Rome actuelle, si à son jugement prudent les conditions en sont réunies, et si un Chapitre général extraordinaire lui en accorde le mandat, nous avons voulu montrer que rien ne l’oblige impérativement à signer un tel accord dans un bref délai.

Notre travail n’avait donc que ce modeste objet : mettre en lumière que Mgr Bernard Fellay, actuel Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, n’est ni empêché d’avoir des relations avec la Rome actuelle, ni obligé de signer un accord avec cette même Rome dans les plus brefs délais.

 

Par la même occasion, nous avons pu souligner implicitement que Mgr Fellay n’est ni obligé

d’avoir telles ou telles relations avec Rome, ni empêché de signer un accord avec elle, si les conditions en sont remplies. Et tout cela dans la parfaite fidélité à l’héritage de Mgr Marcel Lefebvre.