Un regard sur le monde

politique et religieux

 

au 26 septembre 2008

 

N° 184

 

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

Le voyage du Pape en France.

B- Lourdes.

 

Dans le numéro précédent du « Regard sur le monde », le numéro 183, nous avons donné tous les discours que le Pape Benoît XVI prononça à Paris, lors de son récent voyage en France. Dans ce numéro, nous donnons tous lers discours et homélies qu’il prononça à Lourdes.

 

1- Samedi 13 septembre 2008

 

Discours de Benoît XVI à la fin de la procession aux flambeaux, à Lourdes

 

Nous publions ci-dessous le texte intégral du discours que le pape Benoît XVI a prononcé le samedi soir, au terme de la procession aux flambeaux, sur l'esplanade du Rosaire, à Lourdes.

 

Cher Monseigneur Perrier, Évêque de Tarbes et Lourdes,

Chers Frères dans l'Épiscopat et le Sacerdoce,

Chers Pèlerins, Chers Frères et Soeurs,

 

Il y a cent cinquante ans, le 11 février 1858, en ce lieu-dit La grotte de Massabielle, à l'écart de la ville, une simple jeune fille de Lourdes, Bernadette Soubirous, a vu une lumière et, dans cette lumière, une jeune dame « belle, belle plus que tout ». Cette dame s'est adressée à elle avec bonté et douceur, avec respect et confiance : « Elle me disait vous (raconte Bernadette)... Voulez-vous me faire la grâce de venir ici pendant quinze jours ? (lui demande-t-elle)... Elle me regardait comme une personne qui parle à une autre personne ». C'est dans cette conversation, dans ce dialogue tout empreint de délicatesse, que la Dame la charge de transmettre certains messages très simples sur la prière, la pénitence et la conversion. Il n'est pas étonnant que Marie soit belle puisque, lors de l'apparition du 25 mars 1858, elle révèle ici son nom : « Je suis l'Immaculée Conception ».

Regardons à notre tour cette « Femme ayant le soleil pour manteau » que nous montre l'Écriture (Ap 12,1). La Très Sainte Vierge Marie, la Femme glorieuse de l'Apocalypse, porte sur la tête une couronne de douze étoiles qui représentent les douze tribus d'Israël, tout le peuple de Dieu, toute la communion des saints, et avec, à ses pieds, la lune, image de la mort et de la mortalité. Marie a laissé la mort derrière elle ; elle est entièrement revêtue de vie, celle de son Fils, le Christ ressuscité. Elle est ainsi le signe de la victoire de l'amour, du bien et de Dieu, donnant à notre monde l'espérance dont il a besoin. Ce soir, tournons notre regard vers Marie, si glorieuse et si humaine, et laissons-la nous conduire vers Dieu qui est vainqueur.

 

De nombreuses personnes en ont témoigné : la rencontre avec le visage lumineux de Bernadette bouleversait les coeurs et les regards. Que ce soit pendant les apparitions elles-mêmes ou lorsqu' elle les racontait : son visage était alors tout rayonnant. Bernadette était désormais habitée par la lumière de Massabielle. La vie quotidienne de la famille Soubirous était pourtant faite de misère et de tristesse, de maladie et d'incompréhension, de rejet et de pauvreté. Même s'il ne manquait pas d'amour et de chaleur dans les relations familiales, il était difficile de vivre au cachot. Cependant, les ombres de la terre n'ont pas empêché la lumière du ciel de briller. « La lumière brille dans les ténèbres ... » (Jn 1, 5).

 

Lourdes est l'un de ces lieux que Dieu a choisi pour y faire refléter un éclat particulier de sa beauté, d'où l'importance ici du symbole de la lumière. Dès la quatrième apparition, Bernadette, en arrivant à la grotte, allumait chaque matin un cierge bénit et le tenait dans sa main gauche, tant que la Vierge se montrait. Très vite, des personnes confièrent un cierge à Bernadette pour qu'elle l'enfonce dans la terre au fond de la grotte. Très vite aussi, des personnes déposèrent des cierges en ce lieu de lumière et de paix. La Mère de Dieu fit elle-même savoir qu'elle agréait l'hommage touchant de ces milliers de flambeaux, qui depuis lors éclairent sans fin, pour la glorifier, le rocher de l'apparition. Depuis ce jour, devant la grotte, nuit et jour, été comme hiver, un buisson ardent brille, embrasé de la prière des pèlerins et des malades, qui exprime leurs préoccupations et leurs besoins mais surtout leur foi et leur espérance.

 

En venant en pèlerinage, ici, à Lourdes, nous voulons entrer, à la suite de Bernadette, dans cette extraordinaire proximité entre le ciel et la terre qui ne s'est jamais démentie et qui ne cesse de se consolider. Au cours des apparitions, il est à remarquer que Bernadette prie le chapelet sous les yeux de Marie qui se joint à elle pour la doxologie. Ce fait confirme le caractère profondément théocentrique de la prière du chapelet. Alors que nous prions le chapelet, Marie nous offre son coeur et son regard pour contempler la vie de son Fils, le Christ-Jésus. Mon vénéré prédécesseur Jean-Paul II est venu à deux reprises, ici, à Lourdes. Dans sa vie et dans son ministère, nous savons combien sa prière s'appuyait sur l'intercession de la Vierge Marie. Comme beaucoup de ceux qui l'ont précédé sur le siège de Pierre, lui aussi a vivement encouragé la prière du chapelet ; il l'a fait, entre autres, d'une manière tout à fait singulière, en enrichissant le Saint Rosaire avec la méditation des Mystères Lumineux. Ceux-ci sont d'ailleurs représentés sur la façade de la Basilique dans les nouvelles mosaïques inaugurées l'an dernier. Comme avec tous les événements de la vie du Christ « qu'elle gardait et méditait dans son coeur » (Lc 2, 19), Marie nous fait comprendre toutes les étapes du ministère public comme partie intégrante de la révélation de la Gloire de Dieu. Puisse Lourdes, terre de lumière, demeurer une école pour apprendre à prier le Rosaire, qui introduit le disciple de Jésus, sous les yeux de sa Mère, dans un dialogue authentique et cordial avec son Maître !

Par la bouche de Bernadette, nous entendons la Vierge Marie nous demander de « venir ici en procession » pour prier avec simplicité et ferveur. La procession aux flambeaux, traduit à nos yeux de chair, le mystère de la prière : dans la communion de l'Église, qui unit élus du ciel et pèlerins de la terre, la lumière jaillit du dialogue entre l'homme et son Seigneur et une route lumineuse s'ouvre dans l'histoire des hommes, y compris dans ses moments les plus obscurs. Cette procession est un moment de grande joie ecclésiale, mais aussi un temps de gravité : les intentions que nous apportons soulignent notre profonde communion avec tous les êtres qui souffrent. Nous pensons aux victimes innocentes qui subissent la violence, la guerre, le terrorisme, la famine, des injustices, des fléaux et des calamités, la haine et les oppressions, des atteintes à leur dignité humaine et à leurs droits fondamentaux, à leur liberté d'agir et de penser ; nous pensons aussi à ceux qui connaissent des problèmes familiaux, ou qui éprouvent une souffrance face au chômage, à la maladie, à l'infirmité, à la solitude, à leur situation d'immigrés. Je désire ne pas oublier ceux qui souffrent à cause du nom du Christ et qui meurent pour Lui.

 

Marie nous apprend à prier, à faire de notre prière un acte d'amour pour Dieu et de charité fraternelle. En priant avec Marie, notre coeur accueille ceux qui souffrent. Comment notre vie ne peut-elle pas ensuite en être transformée ? Pourquoi notre être et notre vie tout entière ne deviendraient-ils pas des lieux d'hospitalité pour nos prochains ? Lourdes est un lieu de lumière parce que c'est un lieu de communion, d'espérance et de conversion.

 

À la tombée de cette nuit, Jésus nous dit : « Gardez vos lampes allumées » (Lc 12, 35) ; lampe de la foi, lampe de la prière, lampe de l'espérance et de l'amour ! Cet acte de marcher dans la nuit, en portant la lumière, parle fort au plus intime de nous-mêmes, touche notre coeur et dit bien plus que tout autre parole prononcée ou entendue. Ce geste résume à lui seul notre condition de chrétiens en chemin : à la fois, nous avons besoin de lumière et nous sommes appelés à devenir lumière. Le péché nous rend aveugles, il nous empêche de nous proposer comme guides pour nos frères, et il nous amène à nous méfier d'eux pour nous laisser conduire. Nous avons besoin d'être éclairés et nous répétons la supplication de l'aveugle Bartimée : « Maître, fais que je voie ! » (Mc 10, 51). Fais que je voie mon péché qui m'entrave, mais surtout, Seigneur, fais que je voie ta gloire ! Nous le savons : notre prière a déjà été exaucée et nous rendons grâce car, comme le dit saint Paul dans sa Lettre aux Éphésiens : « le Christ t'illuminera » (Ep 5, 14), et saint Pierre ajoute : « il vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière » (1 P 2, 9).

 

À nous qui ne sommes pas la lumière, le Christ peut désormais dire : « Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 14), nous confiant le soin de faire resplendir la lumière de la charité. Comme l'écrit l'Apôtre saint Jean : « Celui qui aime son frère demeure dans la lumière et il n'y a en lui aucune occasion de chute » (1 Jn 2, 10). Vivre l'amour chrétien, c'est tout à la fois faire entrer la lumière de Dieu dans le monde et en indiquer la véritable source. Saint Léon le Grand l'écrit : « Quiconque, en effet, vit pieusement et chastement dans l'Église, qui songe aux choses d'en haut, non à celles de la terre (cf. Co 3, 2), est d'une certaine façon semblable à la lumière céleste ; tant qu'il observe lui-même l'éclat d'une sainte vie, il montre à beaucoup, comme une étoile, la voie qui mène à Dieu » (Sermon III, 5).

En ce sanctuaire de Lourdes vers lequel les chrétiens du monde entier ont les yeux tournés depuis que la Vierge Marie y a fait briller l'espérance et l'amour en donnant aux malades, aux pauvres et aux petits la première place, nous sommes invités à découvrir la simplicité de notre vocation : il suffit d'aimer.

 

Demain, la célébration de l'exaltation de la Sainte Croix, nous fera entrer précisément au coeur de ce mystère. En cette veillée, notre regard se tourne déjà vers le signe de l'Alliance nouvelle où toute la vie de Jésus converge. La Croix constitue le suprême et parfait acte d'amour de Jésus qui donne sa vie pour ses amis. « Ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit élevé, afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle » (Jn 3, 14-15).

Annoncée dans les Chants du Serviteur de Dieu, la mort de Jésus est une mort qui devient lumière pour les peuples ; c'est une mort qui, en lien avec la liturgie d'expiation, apporte la réconciliation, mort qui marque la fin de la mort. Dès lors, la Croix est signe d'espérance, l'étendard de la victoire de Jésus « car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle » (Jn 3, 16). Par la Croix, notre vie tout entière reçoit lumière, force et espérance. Par elle, est révélée toute la profondeur de l'amour contenu dans le dessein originel du Créateur ; par elle, tout est guéri et porté à son accomplissement. C'est pourquoi la vie dans la foi au Christ mort et ressuscité devient lumière.

Les apparitions étaient entourées de lumière et Dieu a voulu allumer dans le regard de Bernadette une flamme qui a converti d'innombrables coeurs. Combien de personnes viennent ici pour voir, espérant peut-être secrètement bénéficier de quelque miracle ; puis, sur la route du retour, ayant fait une expérience spirituelle d'une vie en Église, elles changent leur regard sur Dieu, sur les autres et sur elles-mêmes. Une petite flamme nommée espérance, compassion, tendresse les habite. La rencontre discrète avec Bernadette et la Vierge Marie peut changer une vie, car elles sont présentes, en ce lieu de Massabielle, pour nous conduire au Christ qui est notre vie, notre force et notre lumière. Que la Vierge Marie et sainte Bernadette vous aident à vivre en enfants de lumière pour témoigner, chaque jour de votre vie, que le Christ est notre lumière, notre espérance et notre vie !

Amen !

 

 

2- Dimanche 14 septembre 2008

 

 

Mgr Perrier, évêque de Tarbes et Lourdes, accueille Benoît XVI. Voici son allocution prononcée au début de la messe de dimanche, sur la prairie, à l'occasion du 150e anniversaire des apparitions de la Vierge à Bernadette Soubirous.

 

 

 

Très Saint Père,

 

Le 15 août dernier, à l'Angelus, vous déclariez : « En ce moment, je pense spécialement à cette singulière citadelle mondiale de la vie et de l'espérance qu'est Lourdes. » La ville de Lourdes, depuis mille ans et plus, est dominée par une citadelle de pierre.

Mais la vraie citadelle de Lourdes, c'est une source toujours pure, toujours fraîche, toujours lumineuse. Elle coule depuis 150 ans dans la grotte de Massabielle et elle n'est pas près de tarir. Elle est signe de vie et d'espérance, selon vos propres paroles. En cette année jubilaire, 10 millions de pèlerins, venus de tous les pays du monde, ont pensé comme vous. Ils sont passés par Lourdes pour chercher des raisons de vivre et d'espérer. Ils sont venus à la source d'eau vive.

Le 15 août, après avoir déclaré Lourdes citadelle mondiale de la vie et de l'espérance, vous poursuiviez : « ...Lourdes où, s'il plaît à Dieu, je me rendrai dans un mois. » Heureusement, il a plu à Dieu que vous soyez là et vous êtes là. Soyez le bienvenu !

« Bienvenu » : tous les pèlerins, tous ceux qui passent par Lourdes sont les bienvenus. Votre présence mérite plus qu'un souhait de bienvenue. Elle est une bénédiction qu'il nous faut accueillir.

Une fois dans ma vie, j'ai reçu un don de prédiction. C'était le 19 avril 2005. Les radios venaient d'annoncer qu'un pape était élu. J'ai ouvert la télévision pour savoir qui aurait la tâche redoutable de succéder au très aimé pape Jean-Paul II. Tout en attendant, je me surpris à dire à quelqu'un qui se trouvait près de moi : « J'espère qu'il prendra le nom de Benoît. »

Je ne pensais pas alors à saint Benoît. Je ne pensais pas non plus à Benoît XV, calomnié quand il voulut être artisan de paix durant la première guerre mondiale. En disant « j'espère qu'il prendra le nom de Benoît », je pensais à notre monde. Il arrive à notre monde de se croire maudit, car il s'aperçoit que ses merveilleuses découvertes peuvent se retourner contre lui. Plus souvent encore, il se croit oublié, errant sans but sous un ciel vide et muet. Dans ce monde en dépression de sens, la mission de l'Eglise est de dire au monde qu'il est aimé et que, malgré ses blessures, il est béni. Le signe suprême de cette bénédiction, c'est la Croix, la Croix glorieuse du Seigneur que nous fêtons aujourd'hui.

Elle surmonte notre assemblée parce qu'elle est le signe commun à tous les chrétiens. Elle est présente sur l'autel pour l'Eucharistie qui fait mémoire de l'amour infini du Christ. Elle est là, au pied de cette estrade, en pleine assemblée, la croix des Journées Mondiales de la Jeunesse. Elle les a réunis, autour de vous, à Sydney. Elle les réunit de nouveau autour de vous, ici à Lourdes, près de la Grotte. A la suite du pape Jean-Paul II, vendredi soir devant Notre-Dame de Paris, vous avez dit aux jeunes : « Je vous confie la Croix du Christ. » Vous la leur confiez comme un trésor, comme une source de bénédiction.

Par le nom que vous avez choisi, Très Saint-Père, vous démentez les prophètes de malheur. Ce monde n'est pas perdu. Il est sauvé. Soyez béni, Saint-Père, dans votre ministère ! Que vos années au service de l'Eglise, comme témoin de l'Evangile, soient pour le monde, de la part de Dieu, un signe de bénédiction ! Ici à Lourdes, nous confierons sans relâche cette intention à Marie, la nouvelle Eve, l'Immaculée Conception, celle qui est bénie entre toutes les femmes.

+ Jacques PERRIER

 

 

 

Homélie de Benoît XVI à Lourdes, le dimanche 14 septembre 2008

 

 

Voici l'homélie que le pape Benoît XVI a prononcée au cours de la messe qu'il a célébrée ce dimanche matin, 14 septembre 2008,  à Lourdes, sur la prairie.

 

 

Messieurs les Cardinaux, Cher Monseigneur Perrier,

Chers Frères dans l'Épiscopat et le Sacerdoce,

Chers pèlerins, frères et soeurs,

« Allez dire aux prêtres qu'on vienne ici en procession et qu'on y bâtisse une chapelle ».

 

C'est le message qu'en ces lieux Bernadette a reçu de la « belle Dame » qui lui apparut le 2 mars 1858. Depuis 150 ans, les pèlerins n'ont jamais cessé de venir à la grotte de Massabielle pour entendre le message de conversion et d'espérance qui leur est adressé. Et nous aussi, nous voici ce matin aux pieds de Marie, la Vierge Immaculée, pour nous mettre à son école avec la petite Bernadette.

Je remercie particulièrement Mgr Jacques Perrier, Évêque de Tarbes et Lourdes, pour l'accueil chaleureux qu'il m'a réservé et pour les paroles aimables qu'il m'a adressées. Je salue les Cardinaux, les Évêques, les prêtres, les diacres, les religieux et les religieuses, ainsi que vous tous, chers pèlerins de Lourdes, en particulier les malades. Vous êtes venus en grand nombre accomplir ce pèlerinage jubilaire avec moi et confier vos familles, vos proches et vos amis, et toutes vos intentions à Notre Dame. Ma gratitude va aussi aux Autorités civiles et militaires qui ont voulu être présentes à cette célébration eucharistique.

 

« Quelle grande chose que de posséder la Croix ! Celui qui la possède, possède un trésor », a dit Saint André de Crète (Homélie X pour l'Exaltation de la Croix, PG 97, 1020). En ce jour où la liturgie de l'Église célèbre la fête de l'Exaltation de la sainte Croix, l'Évangile nous rappelle la signification de ce grand mystère : Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné son Fils unique, pour que les hommes soient sauvés (cf. Jn 3, 16). Le Fils de Dieu s'est fait vulnérable, prenant la condition de serviteur, obéissant jusqu'à la mort et la mort sur une croix (cf. Ph 2, 8). C'est par sa Croix que nous sommes sauvés. L'instrument de supplice qui manifesta, le Vendredi-Saint, le jugement de Dieu sur le monde, est devenu source de vie, de pardon, de miséricorde, signe de réconciliation et de paix. « Pour être guéris du péché, regardons le Christ crucifié ! » disait saint Augustin (Traités sur St Jean, XII, 11). En levant les yeux vers le Crucifié, nous adorons Celui qui est venu enlever le péché du monde et nous donner la vie éternelle. Et l'Église nous invite à élever avec fierté cette Croix glorieuse pour que le monde puisse voir jusqu'où est allé l'amour du Crucifié pour les hommes, pour nous les hommes. Elle nous invite à rendre grâce à Dieu parce que d'un arbre qui apportait la mort, a surgi à nouveau la vie. C'est sur ce bois que Jésus nous révèle sa souveraine majesté, nous révèle qu'Il est exalté dans la gloire. Oui, « Venez, adorons-le ! ». Au milieu de nous se trouve Celui qui nous a aimés jusqu'à donner sa vie pour nous, Celui qui invite tout être humain à s'approcher de lui avec confiance.

 

C'est ce grand mystère que Marie nous confie aussi ce matin en nous invitant à nous tourner vers son Fils. En effet, il est significatif que, lors de la première apparition à Bernadette, c'est par le signe de la Croix que Marie débute sa rencontre. Plus qu'un simple signe, c'est une initiation aux mystères de la foi que Bernadette reçoit de Marie. Le signe de la Croix est en quelque sorte la synthèse de notre foi, car il nous dit combien Dieu nous a aimés ; il nous dit que, dans le monde, il y a un amour plus fort que la mort, plus fort que nos faiblesses et nos péchés. La puissance de l'amour est plus forte que le mal qui nous menace. C'est ce mystère de l'universalité de l'amour de Dieu pour les hommes que Marie est venue rappeler ici, à Lourdes. Elle invite tous les hommes de bonne volonté, tous ceux qui souffrent dans leur coeur ou dans leur corps, à lever les yeux vers la Croix de Jésus pour y trouver la source de la vie, la source du salut.

L'Église a reçu la mission de montrer à tous ce visage aimant de Dieu manifesté en Jésus-Christ. Saurons-nous comprendre que dans le Crucifié du Golgotha c'est notre dignité d'enfants de Dieu, ternie par le péché, qui nous est rendue ? Tournons nos regards vers le Christ. C'est Lui qui nous rendra libres pour aimer comme il nous aime et pour construire un monde réconcilié. Car, sur cette Croix, Jésus a pris sur lui le poids de toutes les souffrances et des injustices de notre humanité. Il a porté les humiliations et les discriminations, les tortures subies en de nombreuses régions du monde par tant de nos frères et de nos soeurs par amour du Christ. Nous les confions à Marie, mère de Jésus et notre mère, présente au pied de la Croix.

 

Pour accueillir dans nos vies cette Croix glorieuse, la célébration du jubilé des apparitions de Notre-Dame à Lourdes nous fait entrer dans une démarche de foi et de conversion. Aujourd'hui, Marie vient à notre rencontre pour nous indiquer les voies d'un renouveau de la vie de nos communautés et de chacun de nous. En accueillant son Fils, qu'elle nous présente, nous sommes plongés dans une source vive où la foi peut retrouver une vigueur nouvelle, où l'Église peut se fortifier pour proclamer avec toujours plus d'audace le mystère du Christ. Jésus, né de Marie, est le Fils de Dieu, l'unique Sauveur de tous les hommes, vivant et agissant dans son Église et dans le monde. L'Église est envoyée partout dans le monde pour proclamer cet unique message et inviter les hommes à l'accueillir par une authentique conversion du coeur. Cette mission, qui a été confiée par Jésus à ses disciples, reçoit ici, à l'occasion de ce jubilé, un souffle nouveau. Qu'à la suite des grands évangélisateurs de votre pays, l'esprit missionnaire qui a animé tant d'hommes et de femmes de France, au cours des siècles, soit encore votre fierté et votre engagement !

 

En suivant le parcours jubilaire sur les pas de Bernadette, l'essentiel du message de Lourdes nous est rappelé. Bernadette est l'aînée d'une famille très pauvre, qui ne possède ni savoir ni pouvoir, faible de santé. Marie l'a choisie pour transmettre son message de conversion, de prière et de pénitence, conformément à la parole de Jésus : « Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux tout-petits » (Mt 11, 25). Dans leur cheminement spirituel, les chrétiens sont appelés eux aussi à faire fructifier la grâce de leur Baptême, à se nourrir de l'Eucharistie, à puiser dans la prière la force pour témoigner et être solidaires avec tous leurs frères en humanité (cf. Hommage à la Vierge Marie, Place d'Espagne, 8 décembre 2007). C'est donc une véritable catéchèse qui nous est ainsi proposée, sous le regard de Marie. Laissons-la nous instruire et nous guider sur le chemin qui conduit au Royaume de son Fils !

 

En poursuivant sa catéchèse, la « belle Dame » révèle son nom à Bernadette : « Je suis l'Immaculée Conception ». Marie lui dévoile ainsi la grâce extraordinaire qu'elle a reçue de Dieu, celle d'avoir été conçue sans péché, car « il s'est penché sur son humble servante » (cf. Lc 1, 48). Marie est cette femme de notre terre qui s'est remise entièrement à Dieu et qui a reçu le privilège de donner la vie humaine à son Fils éternel. « Voici la servante du Seigneur ; que tout se passe en moi selon ta parole » (Lc 1, 38). Elle est la beauté transfigurée, l'image de l'humanité nouvelle. En se présentant ainsi dans une totale dépendance de Dieu, Marie exprime en réalité une attitude de pleine liberté, fondée sur l'entière reconnaissance de sa véritable dignité. Ce privilège nous concerne nous aussi, car il nous dévoile notre propre dignité d'hommes et de femmes, marqués certes par le péché, mais sauvés dans l'espérance, une espérance qui nous permet d'affronter notre vie quotidienne. C'est la route que Marie ouvre aussi à l'homme. S'en remettre pleinement à Dieu, c'est trouver le chemin de la liberté véritable. Car, en se tournant vers Dieu, l'homme devient lui-même. Il retrouve sa vocation originelle de personne créée à son image et à sa ressemblance.

Chers Frères et Soeurs, la vocation première du sanctuaire de Lourdes est d'être un lieu de rencontre avec Dieu dans la prière, et un lieu de service des frères, notamment par l'accueil des malades, des pauvres et de toutes les personnes qui souffrent. En ce lieu, Marie vient à nous comme la mère, toujours disponible aux besoins de ses enfants. À travers la lumière qui émane de son visage, c'est la miséricorde de Dieu qui transparaît. Laissons-nous toucher par son regard qui nous dit que nous sommes tous aimés de Dieu et jamais abandonnés par Lui ! Marie vient nous rappeler ici que la prière, intense et humble, confiante et persévérante, doit avoir une place centrale dans notre vie chrétienne. La prière est indispensable pour accueillir la force du Christ. « Celui qui prie ne perd pas son temps, même si la situation apparaît réellement urgente et semble pousser uniquement à l'action » (Deus caritas est, n. 36). Se laisser absorber par les activités risque de faire perdre à la prière sa spécificité chrétienne et sa véritable efficacité. La prière du Rosaire, si chère à Bernadette et aux pèlerins de Lourdes, concentre en elle la profondeur du message évangélique. Elle nous introduit à la contemplation du visage du Christ. Dans cette prière des humbles, nous pouvons puiser d'abondantes grâces.

La présence des jeunes à Lourdes est aussi une réalité importante. Chers amis, ici présents ce matin, réunis autour de la croix de la Journée mondiale de la Jeunesse, lorsque Marie a reçu la visite de l'ange, c'était une jeune fille de Nazareth qui menait la vie simple et courageuse des femmes de son village. Et si le regard de Dieu s'est posé de façon particulière sur elle, en lui faisant confiance, Marie peut vous dire encore qu'aucun de vous n'est indifférent à Dieu. Il pose Son regard aimant sur chacun de vous et vous appelle à une vie heureuse et pleine de sens. Ne vous laissez pas rebuter par les difficultés ! Marie fut troublée à l'annonce de l'ange venu lui dire qu'elle serait La Mère du Sauveur. Elle ressentait combien elle était faible face à la toute-puissance de Dieu. Pourtant, elle a dit « oui » sans hésiter. Et grâce à son oui, le salut est entré dans le monde, changeant ainsi l'histoire de l'humanité. À votre tour, chers jeunes, n'ayez pas peur de dire oui aux appels du Seigneur, lorsqu'Il vous invite à marcher à sa suite. Répondez généreusement au Seigneur ! Lui seul peut combler les aspirations les plus profondes de votre coeur. Vous êtes nombreux à venir à Lourdes pour un service attentif et généreux auprès des malades ou d'autres pèlerins, en vous mettant ainsi à suivre le Christ serviteur. Le service des frères et des sœurs ouvre le coeur et rend disponible. Dans le silence de la prière, que Marie soit votre confidente, elle qui a su parler à Bernadette en la respectant et en lui faisant confiance. Que Marie aide ceux qui sont appelés au mariage à découvrir la beauté d'un amour véritable et profond, vécu comme don réciproque et fidèle ! À ceux, parmi vous, que le Seigneur appelle à sa suite dans la vocation sacerdotale ou religieuse, je voudrais redire tout le bonheur qu'il y a à donner totalement sa vie pour le service de Dieu et des hommes. Que les familles et les communautés chrétiennes soient des lieux où puissent naître et s'épanouir de solides vocations au service de l'Église et du monde !

 

Le message de Marie est un message d'espérance pour tous les hommes et pour toutes les femmes de notre temps, de quelque pays qu'ils soient. J'aime à invoquer Marie comme étoile de l'espérance (Spe salvi, n. 50). Sur les chemins de nos vies, si souvent sombres, elle est une lumière d'espérance qui nous éclaire et nous oriente dans notre marche. Par son oui, par le don généreux d'elle-même, elle a ouvert à Dieu les portes de notre monde et de notre histoire. Et elle nous invite à vivre comme elle dans une espérance invincible, refusant d'entendre ceux qui prétendent que nous sommes enfermés dans la fatalité. Elle nous accompagne de sa présence maternelle au milieu des événements de la vie des personnes, des familles et des nations. Heureux les hommes et les femmes qui mettent leur confiance en Celui qui, au moment d'offrir sa vie pour notre salut, nous a donné sa Mère pour qu'elle soit notre Mère !

Chers Frères et Soeurs, sur cette terre de France, la Mère du Seigneur est vénérée en d'innombrables sanctuaires, qui manifestent ainsi la foi transmise de générations en générations. Célébrée en son Assomption, elle est la patronne bien-aimée de votre pays. Qu'elle soit toujours honorée avec ferveur dans chacune de vos familles, dans vos communautés religieuses et dans vos paroisses ! Que Marie veille sur tous les habitants de votre beau pays et sur les pèlerins venus nombreux d'autres pays célébrer ce jubilé ! Qu'elle soit pour tous la Mère qui entoure ses enfants dans les joies comme dans les épreuves ! Sainte Marie, Mère de Dieu, notre Mère, enseigne-nous à croire, à espérer et à aimer avec toi. Indique-nous le chemin vers le règne de ton Fils Jésus ! Étoile de la mer, brille sur nous et conduis-nous sur notre route ! (cf. Spe salvi, n. 50). Amen.

 

 

 

Angélus du dimanche 14 septembre (depuis Lourdes)

 

Voici  le texte intégral de la méditation que le pape Benoît XVI a prononcée ce dimanche, avant la prière de l'Angélus, à l'issue de la messe qu'il a célébrée sur la prairie des sanctuaires, à Lourdes, en présence d'environ 190.000 pèlerins.

 

Chers Pèlerins, Chers frères et soeurs !

 

Chaque jour, la prière de l'Angelus nous offre la possibilité de méditer quelques instants, au plein milieu de nos activités, sur le mystère de l'Incarnation du Fils de Dieu. A midi, alors que les premières heures du jour commencent déjà à faire peser sur nous leur poids de fatigue, notre disponibilité et notre générosité sont renouvelées par la contemplation du ‘oui' de Marie. Ce ‘oui' limpide et sans réserve s'enracine dans le mystère de la liberté de Marie, liberté pleine et entière devant Dieu, dégagée de toute complicité avec le péché, grâce au privilège de son Immaculée Conception.

Ce privilège concédé à Marie, qui la distingue de notre condition commune, ne l'éloigne pas, mais au contraire la rapproche de nous. Alors que le péché divise, nous éloigne les uns des autres, la pureté de Marie la rend infiniment proche de nos coeurs, attentive à chacun de nous et désireuse de notre vrai bien. Vous le voyez ici à Lourdes, comme dans tous les sanctuaires mariaux, des foules immenses accourent aux pieds de Marie pour lui confier ce que chacun a de plus intime, ce qui lui tient particulièrement à coeur. Ce que, par gêne ou par pudeur, beaucoup n'osent parfois pas confier même à leurs proches, ils le confient à Celle qui est la toute pure, à son Coeur immaculé : avec simplicité, sans fard, en vérité. Devant Marie, en vertu même de sa pureté, l'homme n'hésite pas à se montrer dans sa faiblesse, à livrer ses questions et ses doutes, à formuler ses espérances et ses désirs les plus secrets. L'amour maternel de la Vierge Marie désarme tout orgueil ; il rend l'homme capable de se regarder tel qu'il est et il lui inspire le désir de se convertir pour rendre gloire à Dieu.

Marie nous montre ainsi la juste manière d'avancer vers le Seigneur. Elle nous apprend à nous approcher de lui dans la vérité et la simplicité. Grâce à elle, nous découvrons que la foi chrétienne n'est pas un poids, mais elle est comme une aile qui nous permet de voler plus haut pour nous réfugier entre les bras de Dieu.

La vie et la foi du peuple des croyants manifestent que la grâce de l'Immaculée Conception faite à Marie n'est pas seulement une grâce personnelle, mais elle est pour tous. Elle est une grâce faite au peuple de Dieu tout entier. En Marie, l'Église peut déjà contempler ce qu'elle est appelée à devenir. Chaque croyant peut dès à présent contempler l'accomplissement parfait de sa propre vocation. Puisse chacun de nous demeurer toujours dans l'action de grâce pour ce que le Seigneur a voulu révéler de son plan de salut à travers le mystère de Marie. Mystère dans lequel nous sommes impliqués de la plus belle des manières, puisque du haut de la Croix, que nous fêtons et que nous exaltons aujourd'hui, il nous est révélé, de la bouche même de Jésus, que sa Mère est notre mère. En tant que fils et filles de Marie, nous profitons de toutes les grâces qui lui ont été faites, et la dignité incomparable que lui procure sa Conception Immaculée rejaillit sur nous, ses enfants.

Ici, tout près de la grotte, et en communion particulière avec tous les pèlerins présents dans les sanctuaires mariaux et avec tous les malades de corps et d'âme qui cherchent réconfort, nous bénissons le Seigneur pour la présence de Marie au milieu de son peuple et nous adressons avec foi notre prière : « Sainte Marie, toi qui t'es montrée ici, il y a cent cinquante ans, à la jeune Bernadette, tu `es la vraie fontaine d'espérance' (Dante, Le Paradis, XXXIII,12).

Pèlerins confiants, nous venons, de tous les horizons, encore une fois puiser la foi et le réconfort, la joie et l'amour, la sécurité et la paix, à la source de ton Coeur immaculé. ‘Monstra Te esse Matrem'. Montre-toi comme une Mère pour tous,  e du monde ! Amen ».

Puis le pape a salué les pèlerins en différentes langues. Voici ce qu'il a dit en français :

Je salue enfin tous les pèlerins francophones présents ce matin. Je vous remercie d'accompagner le successeur de Pierre dans son pèlerinage sur les pas de Bernadette. Que le Seigneur creuse toujours en chacun le désir profond de le chercher et d'aller à sa rencontre. Que Dieu bénisse tous ceux que vous aimez

 

 

Méditation de Benoît XVI à la fin de la procession eucharistique

 

 

Nous publions ci-dessous la méditation que le pape Benoît XVI a prononcée le dimanche 14 septembre, en fin d'après-midi, au terme de la procession eucharistique, à Lourdes.

 

Seigneur Jésus, tu es là !

Et vous, mes frères, mes soeurs, mes amis,

Vous êtes là, avec moi, devant Lui !

Seigneur, voici deux mille ans, tu as accepté de monter sur une Croix d'infamie pour ensuite ressusciter et demeurer à jamais avec nous (...) tes frères, tes soeurs !

Et vous, mes frères, mes soeurs, mes amis,

Vous acceptez de vous laisser saisir par Lui.

Nous Le contemplons.

Nous L'adorons.

Nous L'aimons. Nous cherchons à L'aimer davantage.

Nous contemplons Celui qui, au cours de son repas pascal, a donné son Corps et son Sang à ses disciples, pour être avec eux « tous les jours, jusqu'à la fin du monde » (Mt 28, 20).

Nous adorons Celui qui est au principe et au terme de notre foi, Celui sans qui nous ne serions pas là ce soir, Celui sans qui nous ne serions pas du tout, Celui sans qui rien ne serait, rien, absolument rien ! Lui, par qui « tout a été fait » (Jn 1, 3), Lui en qui nous avons été créés, pour l'éternité, Lui qui nous a donné son propre Corps et son propre Sang, Il est là, ce soir, devant nous, offert à nos regards.

Nous aimons - et nous cherchons à aimer davantage - Celui qui est là, devant nous, offert à nos regards, à nos questions peut-être, à notre amour.

Que nous marchions - ou que nous soyons cloués sur un lit de souffrance, que nous marchions dans la joie - ou que nous soyons dans le désert de l'âme (cf. Nb 21, 5), Seigneur, prends-nous tous dans ton Amour : dans l'Amour infini, qui est éternellement Celui du Père pour le Fils et du Fils pour le Père, celui du Père et du Fils pour l'Esprit, et de l'Esprit pour le Père et pour le Fils.

L'Hostie Sainte exposée à nos yeux dit cette Puissance infinie de l'Amour manifestée sur la Croix glorieuse. L'Hostie Sainte nous dit l'incroyable abaissement de Celui qui s'est fait pauvre pour nous faire riches de Lui, Celui qui a accepté de tout perdre pour nous gagner à son Père. L'Hostie Sainte est le Sacrement vivant, efficace de la présence éternelle du Sauveur des hommes à son Église.

Mes frères, mes soeurs, mes amis,

Acceptons, acceptez de vous offrir à Celui qui nous a tout donné, qui est venu non pour juger le monde, mais pour le sauver (cf. Jn 3, 17), acceptez de reconnaître la présence agissante en vos vies de Celui qui est ici présent, exposé à nos regards. Acceptez de Lui offrir vos propres vies!

Marie, la Vierge sainte, Marie, l'Immaculée Conception, a accepté, voici deux mille ans, de tout donner, d'offrir son corps pour accueillir le Corps du Créateur. Tout est venu du Christ, même Marie ; tout est venu par Marie, même le Christ.

Marie, la Vierge sainte, est avec nous ce soir, devant le Corps de son Fils, cent cinquante ans après s'être révélée à la petite Bernadette.

Vierge sainte, aidez-nous à contempler, aidez-nous à adorer, aidez-nous à aimer, à aimer davantage Celui qui nous a tant aimés, pour vivre éternellement avec Lui.

Une foule immense de témoins est invisiblement présente à nos côtés, tout près de cette grotte bénie et devant cette église voulue par la Vierge Marie ; la foule de tous ceux et de toutes celles qui ont contemplé, vénéré, adoré, la présence réelle de Celui qui s'est donné à nous jusqu'à sa dernière goutte de sang ; la foule de tous ceux et de toutes celles qui ont passé des heures à L'adorer dans le Très Saint Sacrement de l'autel.

Ce soir, nous ne les voyons pas, mais nous les entendons qui nous disent, à chacun et à chacune d'entre nous : « Viens, laisse-toi appeler par le Maître ! Il est là ! Il t'appelle (cf. Jn 11, 28) ! Il veut prendre ta vie et l'unir à la sienne. Laisse-toi saisir par Lui. Ne regarde plus tes blessures, regarde les siennes. Ne regarde pas ce qui te sépare encore de Lui et des autres ; regarde l'infinie distance qu'Il a abolie en prenant ta chair, en montant sur la Croix que Lui ont préparée les hommes et en se laissant mettre à mort pour te montrer son amour. Dans ses blessures, Il te prend ; dans ses blessures, II

t'y cache (...), ne te refuse pas à son Amour ! ».

La foule immense de témoins qui s'est laissée saisir par son Amour, c'est la foule des saints du ciel qui ne cessent d'intercéder pour nous. Ils étaient pécheurs et le savaient, mais ils ont accepté de ne pas regarder leurs blessures et de ne plus regarder que les blessures de leur Seigneur, pour y découvrir la gloire de la Croix, pour y découvrir la victoire de la Vie sur la mort. Saint Pierre-Julien Eymard nous dit tout, lorsqu'il s'écrie : « La sainte Eucharistie, c'est Jésus-Christ passé, présent et futur » ( Sermons et instructions paroissiales d'après 1856, 4-2,1. De la méditation).

Jésus-Christ passé, dans la vérité historique de la soirée au cénacle, où nous ramène toute célébration de la sainte Messe.

Jésus-Christ présent, parce qu'il nous dit : « Prenez et mangez-en tous, ceci est mon corps, ceci est mon sang ». « Ceci EST », au présent, ici et maintenant, comme dans tous les ici et maintenant de l'histoire des hommes. Présence réelle, présence qui dépasse nos pauvres lèvres, nos pauvres coeurs, nos pauvres pensées. Présence offerte à nos regards comme ici, ce soir, près de cette grotte où Marie s'est révélée comme l'Immaculée Conception.

L'Eucharistie est aussi Jésus-Christ futur, Jésus-Christ à venir. Lorsque nous contemplons l'Hostie Sainte, son Corps de gloire transfiguré et ressuscité, nous contemplons ce que nous contemplerons dans l'éternité, en y découvrant le monde entier porté par son Créateur à chaque seconde de son histoire. Chaque fois que nous Le mangeons, mais aussi chaque fois que nous Le contemplons, nous L'annonçons, jusqu'à ce qu'Il revienne, « donec veniat ». C'est pourquoi nous Le recevons avec un infini respect.

Certains parmi nous ne peuvent pas ou ne peuvent pas encore Le recevoir dans le Sacrement, mais ils peuvent Le contempler avec foi et amour, et exprimer le désir de pouvoir s'unir à Lui. C'est un désir qui a une grande valeur aux yeux de Dieu. Ceux-ci attendent son retour avec plus d'ardeur ; Ils attendent Jésus-Christ à venir.

Lorsqu'une amie de Bernadette lui posa la question le lendemain de sa première communion : « De quoi as-tu été la plus heureuse : de la première communion ou des apparitions ? », Et Bernadette répondit : « Ce sont deux choses qui vont ensemble, mais ne peuvent être comparées - J'ai été heureuse dans les deux » (Emmanuélite Estrade, 4 juin 1858). Et son curé témoignait à l'Évêque de Tarbes au sujet de sa première communion : « Bernadette fut d'un grand recueillement, d'une

attention qui ne laissait rien à désirer ... Elle apparaissait bien pénétrée de l'action sainte qu'elle faisait. Tout se développe en elle d'une façon étonnante ».

Avec Pierre-Julien Eymard et avec Bernadette, nous invoquons le témoignage de tant et tant de saints et de saintes qui ont eu pour la sainte Eucharistie le plus grand amour. Nicolas Cabasilas s'écrie et nous dit ce soir : « Si le Christ demeure en nous, de quoi avons-nous besoin ? Que nous manque-t-il ? Si nous demeurons en Christ, que pouvons-nous désirer de plus ? Il est notre hôte et notre demeure. Heureux sommes-nous d'être Sa maison ! Quelle joie d'être nous-mêmes la demeure d'un

tel habitant ! » (La vie en Jésus-Christ, IV, 6).

Le bienheureux Charles de Foucauld est né en 1858, l'année même des apparitions de Lourdes. Non loin de son corps raidi par la mort, se trouvait, comme le grain de blé jeté à terre, la lunule contenant le Saint-Sacrement que frère Charles adorait chaque jour durant de longues heures. Le Père de Foucauld nous livre la prière de l'intime de son coeur, une prière adressée à notre Père, mais qu'avec Jésus nous pouvons en toute vérité faire nôtre devant la Sainte Hostie:

« `Mon Père, je remets mon esprit entre Vos mains'.

C'est la dernière prière de notre Maître, de notre Bien-Aimé... Puisse-t-elle être la nôtre, et qu'elle soit non seulement celle de notre dernier instant, mais celle de tous nos instants :

Mon Père, je me remets entre vos mains ; mon Père, je me confie à vous ; mon Père, je m'abandonne à Vous ; mon Père, faites de moi ce qu'il Vous plaira ; quoi que Vous fassiez de moi, je Vous remercie ; merci de tout ; je suis prêt à tout, j'accepte tout ; je Vous remercie de tout. Pourvu que Votre volonté se fasse en moi, mon Dieu, pourvu que Votre volonté se fasse en toutes Vos créatures, en tous Vos enfants, en tous ceux que Votre coeur aime, je ne désire rien d'autre, mon Dieu ; je remets mon âme entre Vos mains ; je Vous la donne, mon Dieu, avec tout l'amour de mon coeur, parce que je Vous aime, et que ce m'est un besoin d'amour de me donner, de me remettre entre Vos mains, sans mesure, avec une infinie confiance, car Vous êtes mon Père » (Méditation sur les Saints Évangiles).

Frères et soeurs bien-aimés, pèlerins d'un jour et habitants de ces vallées, frères évêques, prêtres, diacres, religieux, religieuses, vous tous qui voyez devant vous l'infini abaissement du Fils de Dieu et la gloire infinie de la Résurrection, restez en silence et adorez votre Seigneur, notre Maître et Seigneur Jésus le Christ. Restez en silence, puis parlez et dites au monde : nous ne pouvons plus taire ce que nous savons. Allez dire au monde entier les merveilles de Dieu, présent à chaque moment de nos vies, en tout lieu de la terre. Que Dieu nous bénisse et nous garde, qu'Il nous conduise sur le chemin de la vie éternelle, Lui qui est la Vie, pour les siècles des siècles. Amen.

 

 

 

Discours de Benoît XVI aux évêques de France réunis à Lourdes

 

Nous publions ci-dessous le texte intégral du discours que le pape Benoît XVI a adressé le dimanche, 14 septembre, en fin d'après-midi, aux évêques de France réunis dans l'hémicycle Sainte-Bernadette, à Lourdes.

 

Messieurs les Cardinaux,

Très chers Frères dans l'Épiscopat !

 

C'est la première fois depuis le début de mon Pontificat que j'ai la joie de vous rencontrer tous ensemble. Je salue cordialement votre Président, le Cardinal André Vingt-Trois, et je le remercie des paroles profondes qu'il m'a adressées en votre nom. Je salue aussi avec plaisir les Vice-Présidents ainsi que le Secrétaire Général et ses collaborateurs. Je salue chaleureusement chacun de vous, mes Frères dans l'Épiscopat, qui êtes venus des quatre coins de France et d'Outre-mer. J'inclus également Mgr François Garnier, Archevêque de Cambrai, qui célèbre aujourd'hui à Valenciennes le Millénaire de Notre-Dame du Saint-Cordon.

Je me réjouis d'être parmi vous ce soir dans cet hémicycle « Sainte Bernadette », qui est le lieu ordinaire de vos prières et de vos rencontres, lieu où vous exposez vos soucis et vos espérances, et lieu de vos discussions et de vos réflexions. Cette salle est située à un endroit privilégié près de la grotte et des basiliques mariales. Certes, les visites ad limina vous font rencontrer régulièrement le Successeur de Pierre à Rome, mais ce moment, que nous vivons, nous est donné comme une grâce pour réaffirmer les liens étroits qui nous unissent dans le partage du même sacerdoce directement issu de celui du Christ rédempteur. Je vous encourage à continuer à travailler dans l'unité et la confiance, en pleine communion avec Pierre qui est venu pour raffermir votre foi. Bien nombreuses, vous l'avez dit, Eminence, sont actuellement vos et nos préoccupations ! Je sais que vous avez à cœur de travailler dans le nouveau cadre défini par la réorganisation de la carte des provinces ecclésiastiques, et je m'en réjouis vivement. Je voudrais profiter de cette occasion pour réfléchir avec vous sur quelques thèmes que je sais être au centre de votre attention.

L'Église - Une, Sainte, Catholique et Apostolique - vous a enfantés par le Baptême. Elle vous a appelés à son service ; vous lui avez donné votre vie, d'abord comme diacres et prêtres, puis comme évêques. Je vous exprime toute mon estime pour ce don de vos personnes : malgré l'ampleur de la tâche, que ne vient pas diminuer l'honneur qu'elle comporte - honor, onus ! - vous accomplissez avec fidélité et humilité la triple tâche qui est la vôtre : enseigner, gouverner, sanctifier suivant la Constitution Lumen Gentium (nn. 25-28) et le décret Christus Dominus. Successeurs des Apôtres, vous représentez le Christ à la tête des diocèses qui vous ont été confiés, et vous vous efforcez d'y réaliser le portrait de l'Évêque tracé par saint Paul ; vous avez à grandir sans cesse dans cette voie, afin d'être toujours plus « hospitaliers, amis du bien, pondérés, justes, pieux, maîtres de vous, attachés à l'enseignement sûr, conformes à la doctrine » (cf. Tt 1, 8-9) comme dit saint Paul dans la Lettre à Tite. Le peuple chrétien doit vous considérer avec affection et respect. Dès les origines, la tradition chrétienne a insisté sur ce point : « Tous ceux qui sont à Dieu et à Jésus-Christ, ceux-là sont avec l'Évêque », disait saint Ignace d'Antioche (Aux Philad. 3, 2), qui ajoutait encore : « celui que le maître de maison envoie pour administrer sa maison, il faut que nous le recevions comme celui-là même qui l'a envoyé » (Aux Eph. 6, 1). Votre mission, spirituelle surtout, consiste donc à créer les conditions nécessaires pour que les fidèles puissent, pour citer de nouveau saint Ignace « chanter d'une seule voix par Jésus-Christ un hymne au Père » (Ibid. 4, 2) et faire ainsi de leur vie une offrande à Dieu.

Vous êtes à juste titre convaincus que, pour faire grandir en chaque baptisé le goût de Dieu et la compréhension du sens de la vie, la catéchèse est d'une importance fondamentale. Les deux instruments principaux dont vous disposez, le Catéchisme de l'Église catholique et le Catéchisme des Évêques de France constituent de précieux atouts. Ils donnent de la foi catholique une synthèse harmonieuse et permettent d'annoncer l'Évangile dans une fidélité réelle à sa richesse. La catéchèse n'est pas d'abord affaire de méthode, mais de contenu, comme l'indique son nom même : il s'agit d'une saisie organique (kat-echein) de l'ensemble de la révélation chrétienne, apte à mettre à la disposition des intelligences et des cœurs la Parole de Celui qui a donné sa vie pour nous. De cette manière, la catéchèse fait retentir au coeur de chaque être humain un unique appel sans cesse renouvelé: « Suis-moi » (Mt 9, 9). Une soigneuse préparation des catéchistes permettra la transmission intégrale de la foi, à l'exemple de saint Paul, le plus grand catéchiste de tous les temps, vers lequel nous regardons avec une admiration particulière en ce bimillénaire de sa naissance. Au milieu des soucis apostoliques, il exhortait ainsi : « Un temps viendra où l'on ne supportera plus l'enseignement solide, mais, au gré de leur caprice, les gens iront chercher une foule de maîtres pour calmer leur démangeaison d'entendre du nouveau. Ils refuseront d'entendre la Vérité pour se tourner vers des récits mythologiques » (2 Tm 4, 3-4). Conscients du grand réalisme de ses prévisions, avec humilité et persévérance vous vous efforcez de correspondre à ses recommandations : « Proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps ... avec une grande patience et avec le souci d'instruire » (2 Tm 4, 2).

Pour réaliser efficacement cette tâche, vous avez besoin de collaborateurs. Pour cette raison les vocations sacerdotales et religieuses méritent plus que jamais d'être encouragées. J'ai été informé des initiatives qui sont prises avec foi en ce domaine, et je tiens à apporter tout mon soutien à ceux qui n'ont pas peur, tel le Christ, d'inviter jeunes ou moins jeunes à se mettre au service du Maître qui est là et qui appelle (cf. Jn 11, 28). Je voudrais remercier chaleureusement et encourager toutes les familles, toutes les paroisses, toutes les communautés chrétiennes et tous les mouvements d'Église qui sont la bonne terre qui donne le bon fruit (cf. Mt 13, 8) des vocations. Dans ce contexte, je ne veux pas omettre d'exprimer ma reconnaissance pour les innombrables prières de vrais disciples du Christ et de son Église. Il y a parmi eux des prêtres, des religieux et religieuses, des personnes âgées ou des malades, des prisonniers aussi, qui durant des décennies ont fait monter vers Dieu leurs supplications pour accomplir le commandement de Jésus : « Priez donc le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers pour sa moisson » (Mt 9, 38). L'Évêque et les communautés de fidèles doivent, pour ce qui les concerne, favoriser et accueillir les vocations sacerdotales et religieuses, en s'appuyant sur la grâce que donne l'Esprit Saint pour opérer le discernement nécessaire. Oui, très chers Frères dans l'épiscopat, continuez à appeler au sacerdoce et à la vie religieuse, tout comme Pierre a lancé ses filets sur l'ordre du Maître, alors qu'il avait passé la nuit à pêcher sans rien prendre (cf. Lc 5, 5).

On ne dira jamais assez que le sacerdoce est indispensable à l'Église, dans l'intérêt même du laïcat. Les prêtres sont un don de Dieu pour l'Église. Les prêtres ne peuvent déléguer leurs fonctions aux fidèles en ce qui concerne leurs missions propres. Chers Frères dans l'épiscopat, je vous invite à rester soucieux d'aider vos prêtres à vivre dans une union intime avec le Christ. Leur vie spirituelle est le fondement de leur vie apostolique. Vous les exhorterez avec douceur à la prière quotidienne et à la célébration digne des Sacrements, surtout de l'Eucharistie et de la Réconciliation, comme le faisait saint François de Sales pour ses prêtres. Tout prêtre doit pouvoir se sentir heureux de servir l'Église. A l'école du curé d'Ars, fils de votre terre et patron de tous les curés du monde, ne cessez pas de redire qu'un homme ne peut rien faire de plus grand que de donner aux fidèles le corps et le sang du Christ, et de pardonner les péchés. Cherchez à être attentifs à leur formation humaine, intellectuelle et spirituelle et à leurs moyens d'existence. Essayez, malgré le poids de vos lourdes occupations, de les rencontrer régulièrement et sachez les recevoir comme des frères et des amis (cf. LG 28 et CPE 16). Les prêtres ont besoin de votre affection, de votre encouragement et de votre sollicitude. Soyez proches d'eux et ayez une attention particulière pour ceux qui sont en difficulté, malades ou âgés (cf. CPE 16). N'oubliez pas qu'ils sont comme le dit le Concile Vatican II, reprenant la superbe expression utilisée par saint Ignace d'Antioche aux Magnésiens, « la couronne spirituelle de l'Évêque » (LG 41).

Le culte liturgique est l'expression suprême de la vie sacerdotale et épiscopale, comme aussi de l'enseignement catéchétique. Votre charge de sanctification du peuple des fidèles, chers Frères, est indispensable à la croissance de l'Église. J'ai été amené à préciser, dans le Motu proprio Summorum Pontificum, les conditions d'exercice de cette charge, en ce qui concerne la possibilité d'utiliser aussi bien le missel du bienheureux Jean XXIII (1962) que celui du Pape Paul VI (1970). Des fruits de ces nouvelles dispositions ont déjà vu le jour, et j'espère que l'indispensable pacification des esprits est, grâce à Dieu, en train de se faire. Je mesure les difficultés qui sont les vôtres, mais je ne doute pas que vous puissiez parvenir, en temps raisonnable, à des solutions satisfaisantes pour tous, afin que la tunique sans couture du Christ ne se déchire pas davantage. Nul n'est de trop dans l'Église. Chacun, sans exception, doit pouvoir s'y sentir chez lui, et jamais rejeté. Dieu qui aime tous les hommes et ne veut en perdre aucun nous confie cette mission de Pasteurs, en faisant de nous les Bergers de ses brebis. Nous ne pouvons que Lui rendre grâce de l'honneur et de la confiance qu'Il nous fait. Efforçons-nous donc toujours d'être des serviteurs de l'unité !

Quels sont les autres domaines qui requièrent une plus grande attention ? Les réponses peuvent différer d'un diocèse à l'autre, mais il y a certainement un problème qui apparaît partout d'une urgence particulière : c'est la situation de la famille. Nous savons que le couple et la famille affrontent aujourd'hui de vraies bourrasques. Les paroles de l'évangéliste à propos de la barque dans la tempête au milieu du lac peuvent s'appliquer à la famille : « Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait » (Mc 4, 37). Les facteurs qui ont amené cette crise sont bien connus, et je ne m'attarderai donc pas à les énumérer. Depuis plusieurs décennies, des lois ont relativisé en différents pays sa nature de cellule primordiale de la société. Souvent, elles cherchent plus à s'adapter aux moeurs et aux revendications de personnes ou de groupes particuliers, qu'à promouvoir le bien commun de la société. L'union stable d'un homme et d'une femme, ordonnée à la construction d'un bonheur terrestre grâce à la naissance d'enfants donnés par Dieu, n'est plus, dans l'esprit de certains, le modèle auquel l'engagement conjugal se réfère. Cependant l'expérience enseigne que la famille est le socle sur lequel repose toute la société. De plus, le chrétien sait que la famille est aussi la cellule vivante de l'Église. Plus la famille sera imprégnée de l'esprit et des valeurs de l'Évangile, plus l'Église elle-même en sera enrichie et répondra mieux à sa vocation. D'ailleurs je connais et j'encourage vivement les efforts que vous faites afin d'apporter votre soutien aux différentes associations qui oeuvrent pour aider les familles. Vous avez raison de maintenir, même à contre-courant, les principes qui font la force et la grandeur du Sacrement de mariage. L'Église veut rester indéfectiblement fidèle au mandat que lui a confié son Fondateur, notre Maître et Seigneur Jésus-Christ. Elle ne cesse de répéter avec Lui : « Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas ! » (Mt 19, 6). L'Église ne s'est pas donné cette mission : elle l'a reçue. Certes, personne ne peut nier l'existence d'épreuves, parfois très douloureuses, que traversent certains foyers. Il faudra accompagner ces foyers en difficulté, les aider à comprendre la grandeur du mariage, et les encourager à ne pas relativiser la volonté de Dieu et les lois de vie qu'Il nous a données. Une question particulièrement douloureuse, nous le savons, est celle des divorcés remariés. L'Église, qui ne peut s'opposer à la volonté du Christ, maintient fermement le principe de l'indissolubilité du mariage, tout en entourant de la plus grande affection ceux et celles qui, pour de multiples raisons, ne parviennent pas à le respecter. On ne peut donc admettre les initiatives qui visent à bénir des unions illégitimes. L'Exhortation apostolique Familiaris consortio a indiqué le chemin ouvert par une pensée respectueuse de la vérité et de la charité.

Les jeunes, je le sais bien, chers Frères, sont au centre de vos préoccupations. Vous leur consacrez beaucoup de temps, et vous avez raison. Ainsi que vous avez pu le constater, je viens d'en rencontrer une multitude à Sydney, au cours de la Journée Mondiale de la Jeunesse. J'ai apprécié leur enthousiasme et leur capacité de se consacrer à la prière. Tout en vivant dans un monde qui les courtise et qui flatte leurs bas instincts, portant, eux aussi, le poids bien lourd d'héritages difficiles à assumer, les jeunes conservent une fraîcheur d'âme qui a fait mon admiration. J'ai fait appel à leur sens des responsabilités en les invitant à s'appuyer toujours sur la vocation que Dieu leur a donnée au jour de leur Baptême. « Notre force, c'est ce que le Christ veut de nous », disait le Cardinal Jean-Marie Lustiger. Au cours de son premier voyage en France, mon vénéré Prédécesseur avait fait entendre aux jeunes de votre pays un discours qui n'a rien perdu de son actualité et qui avait alors reçu un accueil d'une ferveur inoubliable. « La permissivité morale ne rend pas l'homme heureux », avait-il proclamé au Parc-des-Princes, sous des tonnerres d'applaudissements. Le bon sens qui inspirait la saine réaction de son auditoire n'est pas mort. Je prie l'Esprit Saint de parler au coeur de tous les fidèles et, plus généralement, de tous vos compatriotes, afin de leur donner - ou de leur rendre - le goût d'une vie menée selon les critères d'un bonheur véritable.

A l'Élysée, j'ai évoqué l'autre jour l'originalité de la situation française que le Saint-Siège désire respecter. Je suis convaincu, en effet, que les Nations ne doivent jamais accepter de voir disparaître ce qui fait leur identité propre. Dans une famille, les différents membres ont beau avoir le même père et la même mère, ils ne sont pas des individus indifférenciés, mais bien des personnes avec leur propre singularité. Il en va de même pour les pays, qui doivent veiller à préserver et développer leur culture propre, sans jamais la laisser absorber par d'autres ou se noyer dans une terne uniformité. « La Nation est en effet, pour reprendre les termes du Pape Jean-Paul II, la grande communauté des hommes qui sont unis par des liens divers, mais surtout, précisément, par la culture. La Nation existe "par" la culture et "pour" la culture, et elle est donc la grande éducatrice des hommes pour qu'ils puissent "être davantage" dans la communauté » (Discours à l'UNESCO, 2 juin 1980, n. 14). Dans cette perspective, la mise en évidence des racines chrétiennes de la France permettra à chacun des habitants de ce Pays de mieux comprendre d'où il vient et où il va. Par conséquent, dans le cadre institutionnel existant et dans le plus grand respect des lois en vigueur, il faudrait trouver une voie nouvelle pour interpréter et vivre au quotidien les valeurs fondamentales sur lesquelles s'est construite l'identité de la Nation. Votre Président en a évoqué la possibilité. Les présupposés sociopolitiques d'une antique méfiance, ou même d'hostilité, s'évanouissent peu à peu. L'Église ne revendique pas la place de l'État. Elle ne veut pas se substituer à lui. Elle est une société basée sur des convictions, qui se sait responsable du tout et ne peut se limiter à elle-même. Elle parle avec liberté, et dialogue avec autant de liberté dans le seul désir d'arriver à la construction de la liberté commune. Une saine collaboration entre la Communauté politique et l'Église, réalisée dans la conscience et le respect de l'indépendance et l'autonomie de chacune dans son propre domaine, est un service rendu à l'homme, ordonné à son épanouissement personnel et social. De nombreux points, prémices d'autres qui s'y ajouteront selon les nécessités, ont déjà été examinés et résolus au sein de l' « Instance de Dialogue entre l'Église et l'État ». En vertu de sa mission propre et au nom du Saint-Siège, le Nonce Apostolique y siège naturellement, lui qui est appelé à suivre activement la vie de l'Église et sa situation dans la société.

Comme vous le savez, mes prédécesseurs, le bienheureux Jean XXIII, ancien Nonce à Paris, et le Pape Paul VI, ont voulu des Secrétariats qui sont devenus, en 1988, le Conseil Pontifical pour la promotion de l'Unité des Chrétiens et le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux. S'y ajoutèrent très vite la Commission pour les Rapports Religieux avec le Judaïsme et la Commission pour les Rapports Religieux avec les Musulmans. Ces structures sont en quelque sorte la reconnaissance institutionnelle et conciliaire des innombrables initiatives et réalisations antérieures. Des commissions ou conseils similaires se trouvent d'ailleurs dans votre Conférence Épiscopale et dans vos Diocèses. Leur existence et leur fonctionnement démontrent la volonté de l'Église d'aller de l'avant (...) dans le dialogue bilatéral. La récente Assemblée plénière du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux a mis en évidence que le dialogue authentique demande comme conditions fondamentales une bonne formation pour ceux qui le promeuvent, et un discernement éclairé pour avancer peu à peu dans la découverte de la Vérité. L'objectif des dialogues oecuménique et interreligieux, différents naturellement dans leur nature et leur finalité respective, est la recherche et l'approfondissement de la Vérité. Il s'agit donc d'une tâche noble et obligatoire pour tout homme de foi, car le Christ lui-même est la Vérité. La construction des ponts entre les grandes traditions ecclésiales chrétiennes et le dialogue avec les autres traditions religieuses, exigent un réel effort de connaissance réciproque, car l'ignorance détruit plus qu'elle ne construit. Par ailleurs, il n'y a que la Vérité qui permette de vivre authentiquement le double Commandement de l'Amour que nous a laissé Notre Sauveur. Certes, il faut suivre avec attention les différentes initiatives entreprises et discerner celles qui favorisent la connaissance et le respect réciproques, ainsi que la promotion du dialogue, et éviter celles qui conduisent à des impasses. La bonne volonté ne suffit pas. Je crois qu'il est bon de commencer par l'écoute, puis de passer à la discussion théologique pour arriver enfin au témoignage et à l'annonce de la foi elle-même (cf. Note doctrinale sur certains aspects de l'évangélisation, n. 12, 3 décembre 2007). Puisse l'Esprit Saint vous donner le discernement qui doit caractériser tout Pasteur ! Saint Paul recommande : « Discernez la valeur de toute chose. Ce qui est bien, gardez-le ! » (1 Th 5, 21). La société globalisée, pluriculturelle et pluri-religieuse dans laquelle nous vivons, est une opportunité que nous donne le Seigneur de proclamer la Vérité et d'exercer l'Amour afin d'atteindre tout être humain sans distinction, même au-delà des limites de l'Église visible.

L'année qui a précédé mon élection au Siège de Pierre, j'ai eu la joie de venir dans votre pays pour y présider les cérémonies commémoratives du soixantième anniversaire du débarquement en Normandie. Rarement comme alors, j'ai senti l'attachement des fils et des filles de France à la terre de leurs aïeux. La France célébrait alors sa libération temporelle, au terme d'une guerre cruelle qui avait fait de nombreuses victimes. Aujourd'hui, c'est surtout en vue d'une véritable libération spirituelle qu'il convient d'oeuvrer. L'homme a toujours besoin d'être libéré de ses peurs et de ses péchés. L'homme doit sans cesse apprendre ou réapprendre que Dieu n'est pas son ennemi, mais son Créateur plein de bonté. L'homme a besoin de savoir que sa vie a un sens et qu'il est attendu, au terme de son séjour sur la terre, pour partager à jamais la gloire du Christ dans les cieux. Votre mission est d'amener la portion du Peuple de Dieu confiée à vos soins à la reconnaissance de ce terme glorieux. Veuillez trouver ici l'expression de mon admiration et de ma gratitude pour tout ce que vous faites afin d'aller en ce sens. Veuillez être assurés de ma prière quotidienne pour chacun de vous. Veuillez croire que je ne cesse de demander au Seigneur et à sa Mère de vous guider sur votre route.

Avec joie et émotion, je vous confie, très chers Frères dans l'Épiscopat, à Notre Dame de Lourdes et à sainte Bernadette. La puissance de Dieu s'est toujours déployée dans la faiblesse. L'Esprit Saint a toujours lavé ce qui était souillé, abreuvé ce qui était sec, redressé ce qui était déformé. Le Christ Sauveur, qui a bien voulu faire de nous les instruments de la communication de son amour aux hommes, ne cessera jamais de vous faire grandir dans la foi, l'espérance et la charité, pour vous donner la joie d'amener à Lui un nombre croissant d'hommes et de femmes de notre temps. En vous confiant à sa force de Rédempteur, je vous donne à tous et de tout coeur une affectueuse Bénédiction Apostolique. Merci.

 

Lundi 15 septembre 2008

 

Homélie de Benoît XVI lors de la messe des malades à Lourdes

 

Nous publions ci-dessous le texte intégral de l'homélie que le pape Benoît XVI a prononcée lors de la messe pour les malades, le lundi matin, 15 septembre, à Lourdes, sur l'esplanade du Rosaire.

 

 

Chers frères dans l'Épiscopat et dans le Sacerdoce,

Chers malades, chers accompagnateurs et hospitaliers,

Chers frères et soeurs !

Nous avons célébré hier la Croix du Christ, l'instrument de notre Salut, qui nous révèle dans toute sa plénitude la miséricorde de notre Dieu. La Croix est en effet le lieu où se manifeste de façon parfaite la compassion de Dieu pour notre monde. Aujourd'hui, en célébrant la mémoire de Notre-Dame des Douleurs, nous contemplons Marie qui partage la compassion de son Fils pour les pécheurs. Comme l'affirme saint Bernard, la Mère du Christ est entrée dans la Passion de son Fils par sa compassion (cf. Homélie pour le dimanche dans l'Octave de l'Assomption). Au pied de la Croix se réalise la prophétie de Syméon : son coeur de mère est transpercé (cf. Lc 2, 35) par le supplice infligé à l'Innocent, né de sa chair. Comme Jésus a pleuré (cf. Jn 11,35), Marie a certainement elle aussi pleuré devant le corps torturé de son enfant. La discrétion de Marie nous empêche de mesurer l'abîme de sa douleur ; la profondeur de cette affliction est seulement suggérée par le symbole traditionnel des sept glaives. Comme pour son Fils Jésus, il est possible de dire que cette souffrance l'a conduite elle aussi à sa perfection (cf. Hb 2, 10), pour la rendre capable d'accueillir la nouvelle mission spirituelle que son Fils lui confie juste avant de « remettre l'esprit » (cf. Jn 19, 30) : devenir la mère du Christ en ses membres. En cette heure, à travers la figure du disciple bien-aimé, Jésus présente chacun de ses disciples à sa Mère en lui disant : « Voici ton Fils » (cf. Jn 19, 26-27).

Marie est aujourd'hui dans la joie et la gloire de la Résurrection. Les larmes qui étaient les siennes au pied de la Croix se sont transformées en un sourire que rien n'effacera tandis que sa compassion maternelle envers nous demeure intacte. L'intervention secourable de la Vierge Marie au cours de l'histoire l'atteste et ne cesse de susciter à son égard, dans le peuple de Dieu, une confiance inébranlable : la prière du Souvenez-vous exprime très bien ce sentiment. Marie aime chacun de ses enfants, portant d'une façon particulière son attention sur ceux qui, comme son Fils à l'heure de sa Passion, sont en proie à la souffrance ; elle les aime tout simplement parce qu'ils sont ses fils, selon la volonté du Christ sur la Croix.

Le psalmiste, percevant de loin ce lien maternel qui unit la Mère du Christ et le peuple croyant, prophétise au sujet de la Vierge Marie que « les plus riches du peuple ... quêteront ton sourire » (Ps 44, 13). Ainsi, à l'instigation de la Parole inspirée de l'Écriture, les chrétiens ont-ils depuis toujours quêté le sourire de Notre Dame, ce sourire que les artistes, au Moyen-âge, ont su si prodigieusement représenter et mettre en valeur. Ce sourire de Marie est pour tous ; il s'adresse cependant tout spécialement à ceux qui souffrent afin qu'ils puissent y trouver le réconfort et l'apaisement. Rechercher le sourire de Marie n'est pas le fait d'un sentimentalisme dévot ou suranné, mais bien plutôt l'expression juste de la relation vivante et profondément humaine qui nous lie à celle que le Christ nous a donnée pour Mère.

Désirer contempler ce sourire de la Vierge, ce n'est pas se laisser mener par une imagination incontrôlée. L'Écriture elle-même nous le dévoile sur les lèvres de Marie lorsqu'elle chante le Magnificat : « Mon âme exalte le Seigneur, mon esprit exulte en Dieu mon Sauveur » (Lc 1, 46-47). Quand la Vierge Marie rend grâce au Seigneur, elle nous prend à témoin. Marie partage, comme par anticipation, avec ses futurs enfants que nous sommes, la joie qui habite son coeur, pour qu'elle devienne la nôtre. Chaque récitation du Magnificat fait de nous des témoins de son sourire. Ici à Lourdes, au cours de l'apparition qui eut lieu le mercredi 3 mars 1858, Bernadette contempla de manière toute particulière ce sourire de Marie. Celui-ci fut la première réponse que la Belle Dame donna à la jeune voyante qui voulait connaître son identité. Avant de se présenter à elle, quelques jours plus tard, comme « l'Immaculée Conception », Marie lui fit d'abord connaître son sourire, comme étant la porte d'entrée la plus appropriée à la révélation de son mystère.

Dans le sourire de la plus éminente de toutes les créatures, tournée vers nous, se reflète notre dignité d'enfants de Dieu, cette dignité qui n'abandonne jamais celui qui est malade. Ce sourire, vrai reflet de la tendresse de Dieu, est la source d'une espérance invincible. Nous le savons malheureusement : la souffrance endurée rompt les équilibres les mieux assurés d'une vie, ébranle les assises les plus fermes de la confiance et en vient parfois même à faire désespérer du sens et de la valeur de la vie. Il est des combats que l'homme ne peut soutenir seul, sans l'aide de la grâce divine. Quand la parole ne sait plus trouver de mots justes, s'affirme le besoin d'une présence aimante : nous recherchons alors la proximité non seulement de ceux qui partagent le même sang ou qui nous sont liés par l'amitié, mais aussi la proximité de ceux qui nous sont intimes par le lien de la foi. Qui pourraient nous être plus intimes que le Christ et sa sainte Mère, l'Immaculée ? Plus que tout autre, ils sont capables de nous comprendre et de saisir la dureté du combat mené contre le mal et la souffrance. La Lettre aux Hébreux dit à propos du Christ, qu'il « n'est pas incapable de partager notre faiblesse ; car en toutes choses, il a connu l'épreuve comme nous » (cf. Hb 4, 15). Je souhaiterais dire, humblement, à ceux qui souffrent et à ceux qui luttent et sont tentés de tourner le dos à la vie : tournez-vous vers Marie ! Dans le sourire de la Vierge se trouve mystérieusement cachée la force de poursuivre le combat contre la maladie et pour la vie. Auprès d'elle se trouve également la grâce d'accepter, sans crainte ni amertume, de quitter ce monde, à l'heure voulue par Dieu.

Comme elle était juste l'intuition de cette belle figure spirituelle française, Dom Jean-Baptiste Chautard, qui, dans L'âme de tout apostolat, proposait au chrétien ardent de fréquentes « rencontres de regard avec la Vierge Marie » ! Oui, quêter le sourire de la Vierge Marie n'est pas un pieux enfantillage, c'est l'aspiration, dit le Psaume 44, de ceux qui sont « les plus riches du peuple » (v. 13). « Les plus riches », c'est-à-dire dans l'ordre de la foi, ceux qui ont la maturité spirituelle la plus élevée et savent précisément reconnaître leur faiblesse et leur pauvreté devant Dieu. En cette manifestation toute simple de tendresse qu'est un sourire, nous saisissons que notre seule richesse est l'amour que Dieu nous porte et qui passe par le coeur de celle qui est devenue notre Mère. Quêter ce sourire, c'est d'abord cueillir la gratuité de l'amour ; c'est aussi savoir provoquer ce sourire par notre effort pour vivre selon la Parole de son Fils Bien-aimé, tout comme un enfant cherche à faire naître le sourire de sa mère en faisant ce qui lui plaît. Et nous savons ce qui plaît à Marie grâce aux paroles qu'elle adressa aux serviteurs à Cana : « Faites tout ce qu'il vous dira » (cf. Jn 2, 5).

Le sourire de Marie est une source d'eau vive. « Celui qui croit en moi, dit Jésus, des fleuves d'eau vive jailliront de son coeur » (Jn 7, 38). Marie est celle qui a cru, et, de son sein, ont jailli des fleuves d'eau vive qui viennent irriguer l'histoire des hommes. La source indiquée, ici, à Lourdes, par Marie à Bernadette est l'humble signe de cette réalité spirituelle. De son coeur de croyante et de mère, jaillit une eau vive qui purifie et qui guérit. En se plongeant dans les piscines de Lourdes, combien n'ont-ils pas découvert et expérimenté la douce maternité de la Vierge Marie, s'attachant à elle pour mieux s'attacher au Seigneur ! Dans la séquence liturgique de cette fête de Notre-Dame des Douleurs, Marie est honorée sous le titre de « Fons amoris », «Source d'amour ». Du coeur de Marie, sourd, en effet, un amour gratuit qui suscite en réponse un amour filial, appelé à s'affiner sans cesse. Comme toute mère et mieux que toute mère, Marie est l'éducatrice de l'amour. C'est pourquoi tant de malades viennent ici, à Lourdes, pour se désaltérer auprès du « Fons amoris » et pour se laisser conduire à l'unique source du salut, son Fils, Jésus le Sauveur.

Le Christ dispense son Salut à travers les Sacrements et, tout spécialement, aux personnes qui souffrent de maladies ou qui sont porteuses d'un handicap, à travers la grâce de l'onction des malades. Pour chacun, la souffrance est toujours une étrangère. Sa présence n'est jamais domesticable. C'est pourquoi il est difficile de la porter, et plus difficile encore - comme l'ont fait certains grands témoins de la sainteté du Christ - de l'accueillir comme une partie prenante de notre vocation, ou d'accepter, comme Bernadette l'a formulé, de « tout souffrir en silence pour plaire à Jésus ». Pour pouvoir dire cela, il faut déjà avoir parcouru un long chemin en union avec Jésus. Dès à présent, il est possible, en revanche, de s'en remettre à la miséricorde de Dieu telle qu'elle se manifeste par la grâce du Sacrement des malades. Bernadette, elle-même, au cours d'une existence souvent marquée par la maladie, a reçu ce Sacrement à quatre reprises. La grâce propre à ce Sacrement consiste à accueillir en soi le Christ médecin. Cependant, le Christ n'est pas médecin à la manière du monde. Pour nous guérir, il ne demeure pas extérieur à la souffrance éprouvée ; il la soulage en venant habiter en celui qui est atteint par la maladie, pour la porter et la vivre avec lui. La présence du Christ vient rompre l'isolement que provoque la douleur. L'homme ne porte plus seul son épreuve, mais il est conformé au Christ qui s'offre au Père, en tant que membre souffrant du Christ, et il participe, en Lui, à l'enfantement de la nouvelle création.

Sans l'aide du Seigneur, le joug de la maladie et de la souffrance est cruellement pesant. En recevant le Sacrement des malades, nous ne désirons porter d'autre joug que celui du Christ, forts de la promesse qu'il nous a faite que son joug sera facile à porter et son fardeau léger (cf. Mt 11, 30). J'invite les personnes qui recevront l'onction des malades au cours de cette messe à entrer dans une telle espérance.

(...) Le Concile Vatican II a présenté Marie comme la figure en laquelle est résumé tout le mystère de l'Église (cf. LG n. 63-65). Son histoire personnelle anticipe le chemin de l'Église, qui est invitée à être tout aussi attentive qu'elle aux personnes qui souffrent. J'adresse un salut affectueux à toutes les personnes, particulièrement le corps médical et soignant, qui, à divers titres dans les hôpitaux ou dans d'autres institutions, contribuent aux soins des malades avec compétence et générosité. Je voudrais également dire à tous les hospitaliers, aux brancardiers et aux accompagnateurs qui, provenant de tous les diocèses de France et de plus loin encore, entourent tout au long de l'année les malades qui viennent en pèlerinage à Lourdes, combien leur service est précieux. Ils sont les bras de l'Église servante. Je souhaite enfin encourager ceux qui, au nom de leur foi, accueillent et visitent les malades, en particulier dans les aumôneries des hôpitaux, dans les paroisses ou, comme ici, dans les sanctuaires. Puissiez-vous, en étant les porteurs de la miséricorde de Dieu (cf. Mt 25, 39-40), toujours ressentir dans cette mission importante et délicate le soutien effectif et fraternel de vos communautés ! Et dans ce sens, je salue et je remercie particulièrement aussi bien mes frères dans l'épiscopat, les évêques français, les évêques étrangers et les prêtres qui tous sont des accompagnateurs des malades et des hommes dans la souffrance de ce monde. Merci pour votre service avec le Seigneur souffrant.

Le service de charité que vous rendez est un service marial. Marie vous confie son sourire, pour que vous deveniez vous-mêmes, dans la fidélité à son Fils, source d'eau vive. Ce que vous faites, vous le faites au nom de l'Église, dont Marie est l'image la plus pure. Puissiez-vous porter son sourire à tous !

En conclusion, je souhaite m'unir à la prière des pèlerins et des malades et reprendre avec vous un extrait de la prière à Marie proposée pour la célébration de ce Jubilé : « Parce que tu es le sourire de Dieu, le reflet de la lumière du Christ, la demeure de l'Esprit Saint, Parce que tu as choisi Bernadette dans sa misère, que tu es l'étoile du matin, la porte du ciel, et la première créature ressuscitée, Notre-Dame de Lourdes », avec nos frères et soeurs dont le coeur et le corps sont endoloris, nous te prions !

 

 

Départ de Benoît XVI : Discours de François Fillon à l’aéroport de Tarbes

 

Voici le discours que le premier ministre français M. François Fillon a adressé au pape, le lundi 15 septembre, en milieu de journée, au cours de la cérémonie de départ de Benoît XVI, à l'aéroport de Tarbes-Lourdes.

 

Très Saint Père,

 

Ces quatre journées passées parmi nous resteront dans l'esprit de nombreux Français comme un grand et beau moment de partage. Partage d'émotions, de réflexion et d'espérance.
Votre venue a suscité un élan populaire.

De Notre Dame de Paris à l'esplanade des Invalides, des Invalides à Lourdes, votre bonté s'est répandue sur une immense foule joyeuse et attentive à votre message. Avec la communauté catholique, nos concitoyens de tous âges, de tous milieux sociaux, de toutes origines et de toutes confessions, se sont rassemblés avec ferveur.

Votre visite a été pour la France la confirmation d'une longue amitié.
Dans l'avion qui vous amenait vendredi à Orly, vous avez déclaré votre attachement personnel à notre langue, à notre culture et à notre tradition intellectuelle. Vous savez que cette tradition est nourrie de débats constants, de propositions, de contestations. Au palais de l'Élysée, vous avez contribué à la réflexion que la République conduit, depuis deux siècles, sur ses rapports avec les églises.
Vous avez rappelé que la séparation fondamentale de l'Eglise et de l'Etat ne les empêchait, ni de dialoguer, ni de s'enrichir mutuellement.

Au collège des Bernardins, entouré des représentants du monde de la culture, votre rayonnement intellectuel a donné à votre message d'espoir et de vigilance, une portée universelle.

Vous nous avez invités à emprunter le chemin de la Raison et de la Parole pour progresser en humanité et en spiritualité.
Vous avez mis en garde notre civilisation sur ses faiblesses matérialistes, ses pulsions guerrières, ses fanatismes.
Vous en avez appelé à l'Europe humaniste et à son héritage chrétien.
Votre exigence aura approfondi notre regard sur la condition humaine, sur ses devoirs éthiques, sur son mystère.

Très Saint Père,
C'est la République - celle des croyants de toutes confessions, mais aussi celle de ceux qui doutent, cherchent ou ne croient pas - qui a été invitée à une méditation collective. Et cette méditation est à l'image d'une laïcité ouverte et réfléchie.

La République, profondément laïque, respecte l'existence du fait religieux. Elle apprécie la part de la tradition chrétienne dans son histoire et son patrimoine culturel et immatériel.

Je crois que ceux qui vous ont écouté se sont pris pour vous d'une affection très sincère, et qu'ils saluent la simplicité avec laquelle vous avez invité chacun à se tourner vers la meilleure part de lui même.

La France vous regarde partir avec émotion et gratitude.
Au milieu des crises et des inquiétudes, votre visite fut un moment de paix et de fraternité.
Au milieu des tensions internationales, elle a été l'occasion de rappeler notre opposition commune aux fanatismes, aux violences, aux discriminations.
A l'aube d'un nouveau siècle, votre visite nous invite à conjurer nos peurs et à mobiliser le meilleur de notre humanité au service de l'avenir.
Très Saint Père, les Français vous sont gré d'avoir ainsi contribué à entretenir une espérance partagée.

 

 

 

Discours de Benoît XVI à l’aéroport de Tarbes-Lourdes

 

Voici le discours que le pape Benoît XVI a prononcé au cours de la cérémonie de départ, à l'aéroport de Tarbes-Lourdes, ce lundi, en milieu de journée.

 

 

Monsieur le Premier Ministre,

Chers Frères Cardinaux et Évêques,

Autorités civiles et politiques présentes,

Mesdames, Messieurs !

 

Au moment de quitter - non sans regret - le sol de France, je vous suis très reconnaissant d'être venu me saluer, en me donnant ainsi l'occasion de dire une dernière fois combien ce voyage dans votre pays a réjoui mon coeur. A travers vous, Monsieur le Premier Ministre, je salue Monsieur le Président de la République et tous les membres du Gouvernement, ainsi que les Autorités civiles et militaires qui n'ont pas ménagé leur efforts pour contribuer au bon déroulement de ces journées de grâce. Je tiens à exprimer ma sincère gratitude à mes Frères dans l'Épiscopat, au Cardinal Vingt-Trois et à Mgr Perrier en particulier, ainsi qu'à tous les membres et au personnel de la Conférence des Évêques de France. Il est bon de se retrouver entre frères. Je remercie aussi chaleureusement Messieurs les Maires et les municipalités de Paris et de Lourdes. Je n'oublie pas les Forces de l'ordre et tous les innombrables volontaires qui ont offert leur temps et leur compétence. Tous ont travaillé avec dévouement et ardeur pour la bonne réussite de mes quatre jours dans votre Pays.

Merci beaucoup.

Mon voyage a été comme un diptyque. Le premier volet a été Paris, ville que je connais assez bien et lieu de multiples rencontres importantes. J'ai eu l'occasion de célébrer l'Eucharistie dans le cadre prestigieux de l'esplanade des Invalides. J'y ai rencontré un peuple vivant de fidèles, fiers et forts de leur foi, que je suis venu encourager afin qu'ils persévèrent courageusement à vivre l'enseignement du Christ et de son Église. J'ai pu prier aussi les Vêpres avec les prêtres, avec les religieux et les religieuses, et avec les séminaristes. J'ai voulu les affermir dans leur vocation au service de Dieu et du prochain. J'ai passé aussi un moment, trop bref mais combien intense, avec les jeunes sur le parvis de Notre-Dame. Leur enthousiasme et leur affection me réconfortent. Comment ne pas rappeler aussi la prestigieuse rencontre avec le monde de la culture à l'Institut de France et aux Bernardins ? Comme vous le savez, je considère que la culture et ses interprètes sont des vecteurs privilégiés du dialogue entre la foi et la raison, entre Dieu et l'homme.

Le second volet de mon voyage a été Lourdes, un lieu emblématique, qui attire et fascine tout croyant : comme une lumière dans l'obscurité de nos tâtonnements vers Dieu. Marie y a ouvert une porte vers un au-delà qui nous interroge et nous séduit. Maria, porta caeli ! Je me suis mis à son école durant ces trois jours. Le Pape se devait de venir à Lourdes pour célébrer le 150e anniversaire des Apparitions. Devant la Grotte de Massabielle, j'ai prié pour vous tous. J'ai prié pour l'Église. J'ai prié pour la France et pour le monde. Les deux Eucharisties célébrées à Lourdes m'ont permis de m'unir aux fidèles pèlerins. Devenu l'un d'eux, j'ai suivi l'ensemble des quatre étapes du chemin du Jubilé, visitant l'église paroissiale, puis le cachot et la Grotte, et enfin la chapelle de l'hôpital. J'ai aussi prié avec et pour les malades qui viennent chercher apaisement physique et espoir spirituel. Dieu ne les oublie pas, et l'Église non plus. Comme tout fidèle en pèlerinage, j'ai voulu participer à la procession aux flambeaux et à la procession eucharistique. Elles font monter vers Dieu supplications et louanges. Lourdes est aussi le lieu où se rencontrent régulièrement les Évêques de France pour prier ensemble et célébrer l'Eucharistie, réfléchir et échanger sur leur mission de pasteurs. J'ai voulu partager avec eux ma conviction que les temps sont propices à un retour à Dieu.

Monsieur le Premier Ministre, Frères Évêques et chers amis, que Dieu bénisse la France ! Que sur son sol règne l'harmonie et le progrès humain, et que son Église soit le levain dans la pâte pour indiquer avec sagesse et sans crainte, selon son devoir propre, qui est Dieu ! Le moment est arrivé de vous laisser. Peut-être reviendrais-je dans votre beau Pays ? J'en ai le désir, un désir que je confie à Dieu. De Rome, je vous resterai proche et lorsque je m'arrêterai devant la réplique de la grotte de Lourdes, qui se trouve dans les jardins du Vatican depuis un peu plus d'un siècle, je penserai à vous. Que Dieu vous bénisse ! Merci.