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Un regard sur le monde  politique et religieux

Au 27 avril  2005

 

N°40

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

 

 

Le cardinal Ratzinger

et

la messe dite de saint Pie V

 

 

 

Je pensais  poursuivre, cette semaine encore,  la  « critique » du livre de Jean-Paul II, « Mémoire et identité », son testament spirituel et doctrinal, ce que nous faisons depuis quatre numéros déjà. Mais l’actualité a ses impératifs.

L’élection du nouveau pape, Benoît XVI, attire notre attention sur d’autres sujets et tout particulièrement sur la liturgie.

 

Alors qu’il était préfet de la Congrégation de la Doctrine de la foi, le cardinal Ratzinger, aujourd’hui élu pape, sous le nom de Benoît XVI, a très souvent parlé de la liturgie. Je crois que l’on peut dire qu’en aucun de ses livres récemment  publiés, il n’omet de parler de ce sujet. C’est dire que la « vie liturgique » de l’Eglise fut une de ses grandes préoccupations…de tout temps… Il a eu des affirmations, sur ce sujet,  tout à fait remarquables, particulièrement fortes. Comme celle-ci : « Je suis convaincu que la crise de l’Eglise que nous vivons aujourd’hui repose largement sur la désintégration de la liturgie ».

 

Je voudrais ici en réunir un certain nombre. Ce sera la première partie.

 

Je voudrais ensuite vous rappeler la « fameuse » conférence qu’il donna le 24 octobre 1998 alors qu’il  recevait à Rome, les communautés « Ecclesia Dei Adflicta ». Il faut se souvenir de ce texte où le cardinal exprime sa pensée et sur la messe dite de saint Pie V et sur l’attitude plus que réticente de certains épiscopats, l’épiscopat français tout particulièrement.   Il est, aujourd’hui, pape, le pape Benoît XVI. Alors… des espoirs peuvent bien légitimement être nourris. Ce sera la deuxième partie.

 

Enfin, je vous donnerai le texte de l’interview du cardinal Médina publié à la fois dans « l’Homme Nouveau » (10, rue Rosenwald 75015 Paris, 01 53 68 99 77, contact@hommenouveau.fr) et dans « la Nef ». Philippe Maxence et Christian Geffroy m’en ont donné l’un et l’autre l’aimable autorisation. Qu’ils trouvent ici l’expression de ma reconnaissance. Les propos du cardinal  Médina furent reçus par M l’abbé Barthe.

Les  propos du cardinal sont importants vu la personnalité qui les exprime. Le cardinal Médina fut Préfet de la Congrégation des rites et des sacrements. Il est encore aujourd’hui, membre de la Commission « Ecclesia Dei Adflicta ». Ils sont aussi importants en eux-mêmes, par les affirmations proposées. Il donnait, me semble-t-il, à la veille du décès de Jean-Paul II et de l’élection de Benoît XVI, « l’état de la question » à Rome  sur cette affaire  liturgique.

 

Nous aurons ainsi un aperçu à peu près complet du problème liturgique …tel qu’il se pose aujourd’hui… du moins au niveau de Rome.. . 

 

Quelle va être l’attitude de l’Episcopat français… ? Ce dernier a  toujours fait obstruction à la « restauration liturgique » voulue par Rome et plus particulièrement par le cardinal Ratzinger ?

 

Nous ne devrions pas attendre bien longtemps pour le savoir…Avec  Vittorio Messori, qui connaît bien le cardinal Ratzinger, puisqu’il l’a  interrogé très souvent, je pense que les choses en cette affaire vont   aller vite. Il l’écrivait dans le « Figaro Magazine »  du samedi dernier, le 23 avril 2005, dans sa « lettre ouverte » à Benoît XVI :  « Je suis sûr qu’en matière de liturgie, de réaffirmation du rite et du sacré, il ira vite ».

 

A- Les différentes prises de position du cardinal Ratzinger, au fil du temps

 

 

 

a- Les propos du Cardinal Ratzinger au Chili, le 13 juillet 1988 : Vers une  nouvelle réflexion liturgique.

 

L’Eglise « conciliaire » se trouve devant un vrai problème, le problème de la messe et l’amour persistant des nouvelles générations pour cette messe « ancienne ».

La nostalgie des anciens n’explique rien, n’est pas le problème. Il ne faut pas croire, non plus,  que  la condamnation de Mgr Lefebvre  règle  le problème liturgique dans l’Eglise.

 

Le cardinal Ratzinger le dit, le confesse même publiquement au Chili devant les évêques, le 13 juillet 1988…quelques jours après les sacres. Il faut le noter.

 

« Le problème posé par Mgr Lefebvre (NDLR en particulier le problème liturgique…) ne prend pas fin avec la rupture du 30juin. Il serait trop facile de se laisser envahir par une espèce de triomphalisme et de penser que le problème a cessé d’en être un à partir du moment où Mgr Lefebvre s’est nettement séparé de l’Eglise.

Un chrétien ne peut ni ne doit jamais se réjouir d’une désunion. Même s’il ne fait aucun doute que l’on ne peut attribuer la faute au Saint Siège, il nous faut  nous interroger sur les erreurs que nous avons commises et que nous commettons : les critères en fonction desquels nous jugeons le passé sur la base du décret sur l’œcuménisme de Vatican II, doivent, comme c’est logique, être aussi appliqués au présent… »

 

Il poursuit…

 

« Un fait doit nous faire réfléchir : à savoir que bon nombre de gens, hors du cercle restreint des membres de la FSPX de Mgr Lefebvre, voient en lui une sorte de guide ou tout au moins, un allié utile. Il ne suffit pas d’évoquer les mobiles politiques, la nostalgie ou d’autres raisons culturelles secondaires, ces raisons ne suffisent pas à expliquer la faveur rencontrée même et spécialement auprès des jeunes, dans des pays très divers et placés dans des conditions politiques et culturelles complètement différentes. Certes, une vision étroite, unilatérale, ressort avec évidence. Mais indubitablement, on ne pourrait imaginer un  phénomène de cette ampleur s’il ne mettait pas en jeu des éléments positifs qui, en général, ne trouvent pas un espace vital suffisant au sein de l’Eglise aujourd’hui ».

 

Le langage est nouveau.

La problématique aussi.

 

C’est le début d’une nouvelle réflexion liturgique : le 13 juillet 1988.

 

b- Le livre de Mgr Gamber

 

On voit le cardinal Ratzinger commencer à dénoncer la réforme liturgique non pas seulement les abus et extravagances mais la « réforme » elle-même, le texte lui-même, l’œuvre des « experts liturgistes ».

 

Il préface le livre de Mgr Gamber : « La Réforme Liturgique en question », qui est une critique très sévère sur le Nouvel Ordo Missae, en lui-même et qui ose même parler de « rupture avec la Tradition ». Il crée la revue « Communio », donne la parole, entre autres, au cardinal Dannéels qui n’est pas, lui aussi, tendre pour cette réforme liturgique et son application. Nous avons analysé son article dans notre « Bulletin saint Jean Eudes ».

 

c- Le « sel de la Terre »

 

Il publie un petit ouvrage intitulé « Le Sel de la Terre », en 1997. Là il affirme l’incohérence de refuser ce que l’Eglise a toujours permis : « Je suis certes d’avis que l’on devrait accorder beaucoup plus généreusement, à tous ceux qui le souhaitent, le droit de conserver l’ancien rite. On ne voit d’ailleurs pas ce que cela aurait de dangereux ou d’inacceptable. »

 

Il affirme même :

 

« une communauté qui déclare soudain strictement interdit ce qui était jusqu’alors pour elle tout ce qu’il y a de plus sacré et de plus haut, et à qui l’on présente comme inconvenant le regret qu’elle en a, se met elle-même en question. Comment la croirait-on encore ? Ne va-t-elle pas interdire demain ce qu’elle prescrit  aujourd’hui ? »

 

Nous, nous  ne cessions de le répéter depuis trente ans. Le cardinal Ottaviani le demandait au Souverain Pontife de l’époque : « C’est pourquoi nous supplions votre Sainteté de ne pas vouloir que nous soit enlevée la possibilité de continuer à recourir à l’intègre et fécond missel romain de saint Pie V si hautement loué par votre Sainteté et si profondément vénéré et aimé du monde catholique tout entier. » (lettre à Paul VI)

 

d- « Ma vie. Mes souvenirs »

 

Le cardinal Ratzinger dans son  livre : « Ma vie, mes souvenirs », s’étonne que le Missel ancien ait pu être interdit dans l’Eglise de Dieu.

Il constate tout d’abord cet interdit :

 

« Le deuxième grand évènement au début de mes années à Ratisbonne  fut la publication du Missel de Paul VI, assortie de l’interdiction quasi-totale du missel traditionnel après une phase de transition de six mois seulement ».

 

Il manifeste tout de suite son étonnement :

 

« J’étais consterné de l’interdiction de l’ancien missel ».

 

Il donne le motif de sa consternation car « cela ne s’était jamais vu dans toute l’histoire  de la liturgie ».

 

Il critique la raison qui fut invoquée à l’époque pour justifier cette interdiction :

 

« On fit croire que c’était tout à fait normal, le missel précédent avait été conçu par Pie V en 1570, à la suite du Concile de Trente. Il était donc normal qu’après 400 ans et un nouveau Concile, un nouveau Pape présente un nouveau missel ».

 

Qui ne voit que ce fut l’argument utilisé par le pape Paul VI au Consistoire du 24 mai 1976.

 

Or le cardinal explique que cet argument est faux : « La vérité historique est tout autre ».

 

Nous, nous l’avons toujours dit. Monsieur l’abbé Dulac en a fait une démonstration parfaitement claire dans le « Courrier de Rome » et la revue « Itinéraires ».

 

Presque trente ans  plus tard, le cardinal Ratzinger le démontre lui aussi très exactement :

 

« Pie V s’était contenté de revoir le Missel Romain en usage à l’époque comme cela se fait normalement dans une histoire qui évolue. Ainsi, nombreux furent ses successeurs à réviser ce missel, sans opposer un missel à un autre. Il s’agissait d’un processus continu de croissance et d’épurement, sans rupture…Pie V n’a jamais crée de missel. Il n’a fait que réviser le missel, phase d’une longue évolution…

Le décret d’interdiction de ce missel (il pourrait ajouter : la pensée de Paul VI au Consistoire de 1976) a opéré une rupture dans l’histoire liturgique dont les conséquences ne pouvaient qu’être tragiques ».

 

Mais c’est précisément ce que craignait tout « le courant » traditionaliste de l’époque, ce que craignait le cardinal Ottaviani, ce que craignait Mgr Lefebvre.

 

Il a fallu attendre les « sacres », il a fallu attendre presque trente ans pour qu’une autorité   - et quelle autorité, rien moins que le préfet de la Congrégation de la Foi – reconnaisse le danger…

 

Et c’est parce que Mgr Lefebvre a vu ce danger qu’il déclara avec le cardinal Ottaviani, « caveamus », « non possumus ». .

Ce que Mgr Marcel Lefebvre disait hier,

le cardinal Ratzinger le dit aujourd’hui.

 

On s’en réjouit sincèrement.

 

Mais il est alors juste de demander à Rome, à la même autorité, qu’elle veuille bien revoir le « procès » de Mgr Lefebvre et lui rendre justice…

 

Le cardinal précise encore sa pensée :

 

« On démolit le vieil édifice pour en construire un autre…et de l’avoir opposé en tant que construction nouvelle à l’histoire telle qu’elle s’était développée, d’avoir interdit cette dernière, faisant ainsi passer la liturgie non plus comme un organisme vivant mais comme le produit de travaux d’érudits : voilà ce qui nous a porté un énorme préjudice ».

 

C’est très vrai.

Nous ne pouvons qu’applaudir.

Voilà ce que nous expliquait Mgr Lefebvre.  Voilà ce qu’il défendait pour justifier son « non possumus ». Il était cohérent.

 

« Voilà ce que nous a  porté un énorme préjudice. » A l’Eglise d’abord, certes, aux fidèles ensuite. Mais aussi à Mgr Lefebvre, à ses prêtres, à son œuvre…Ce qu’il disait à l’époque et qui fut la raison de sa condamnation actuelle, est dit aujourd’hui par le cardinal Ratzinger.

Le cardinal Ratzinger a certainement raison de dire cela aujourd’hui, mieux vaut tard que jamais.

Alors Mgr Lefebvre avait également tout à fait raison de le dire à son époque…

 

Le cardinal reprend enfin la forte idée que nous avons trouvée dans le livre de Mgr Gamber :

 

« On eut alors l’impression que la liturgie était « fabriquée », sans rien de pré-établi, et dépendant de notre décision…il est donc logique que…chaque communauté finisse par se donner à elle-même, sa propre liturgie ».

 

Il conclut alors :

 

« Je suis convaincu que la crise de l’Eglise que nous vivons aujourd’hui repose largement sur la désintégration de la liturgie ».

 

Il faut se réjouir – pour l’Eglise – que ces paroles aient été dites, enfin.

Que de chemin parcouru depuis le 24 mai 1976.

 

 

e- Le 24 octobre 1998                                                        

 

 Le Cardinal reprenait ces  même idées  - il y a tout de même une constance pour un esprit que d’aucuns disent hégélien - dans le commentaire qu’il fit le 24 octobre 1998 à Rome, devant les communautés « Ecclesia Dei Adflicta » qu’il recevait à Rome.

 

Là, il s’appuya sur l’autorité du cardinal Newman.

 

« Il est bon de rappeler ici ce qu’a constaté le cardinal Newman qui disait que l’Eglise, dans son histoire, n’avait jamais aboli ou défendu des formes liturgiques orthodoxes, ce qui serait tout à fait étranger à l’esprit de l’Eglise ».

 

Mais qu’a donc fait Paul VI, Eminence ?

 

Il poursuit :

 

« Une liturgie orthodoxe, c'est-à-dire qui exprime la vraie foi, n’est jamais une compilation faite selon des critères pragmatiques de diverses cérémonies…les formes orthodoxes d’un rite sont des réalités vivantes, nées du dialogue d’amour entre l’Eglise et son Seigneur, sont des expressions de la vie de l’Eglise où se sont condensées la foi, la prière et la vie même de générations…L’autorité de l’Eglise peut définir et limiter l’usage des rites dans des situations historiques diverses, mais jamais elle ne les défend purement et simplement ».

 

Ainsi parla le Cardinal à Rome le 24 octobre 1998.

 

Il me semble que l’on peut s’en réjouir. Mgr Lefebvre ne disait rien d’autre.

 

f- « Voici quel est notre Dieu ».

 

A la page 291 de ce livre, le cardinal Ratzinger écrit :  « Pour la formation de la conscience dans le domaine de la liturgie, il est important aussi de cesser de bannir la forme de la liturgie en vigueur jusqu'en 1970 ». Celui qui à l'heure actuelle, intervient pour la validité de cette liturgie, ou qui la « pratique », est traité comme un lépreux: c'est la fin de toute tolérance. On méprise par là tout « le passé de l'Eglise ». Comment pourrait-on avoir confiance en elle au présent, s'il en est ainsi. J'avoue aussi que je ne comprends pas pourquoi beaucoup de mes confrères évêques se soumettent à cette loi d'intolérance qui s'oppose aux réconciliations nécessaires dans l'Eglise sans raison valable » (p. 291).

 

N’est-ce pas reconnaître  que cette bataille liturgique particulièrement odieuse dans l’Eglise  arrive à sa fin ?

 

Oui, personnellement, je pense que l’affaire liturgique sera un des premiers sujets traités par le nouveau pontife. Il sera réglé dans sa globalité…Je nourris vraiment une forte espérance de voir réglé le problème des « traditionalistes » dans toutes ses composantes.

 

 

g- Le Cardinal Ratzinger,  le latin liturgique et le problème  de la célébration de la messe « ad orientem »

 

On sait que le cardinal Ratzinger revient, souvent, dans ses écrits, sur ces problèmes  de la langue liturgique : le latin et de  l’orientation de  la célébration de la sainte Messe : « ad orientem ».  Il l’a fait encore récemment dans la préface du livre d’Uwe Michael Lang, « Converti ad Dominum » édité en Suisse.  Voici des extraits de cette préface :

 

a) au sujet de la langue liturgique : le latin.

 

« Pour le catholique pratiquant normal, la réforme liturgique du concile Vatican II a eu essentiellement deux résultats : la disparition de la langue latine et l’autel tourné vers le peuple. Mais si on lit les textes conciliaires, on pourra constater avec étonnement que ni l’un ni l’autre de ces changements ne s’y trouvent sous cette forme.
Certes, on devait, selon les intentions du Concile (cf la constitution Sacrosanctum Concilium 36,2) faire place à la langue vulgaire – dans le cadre surtout de la liturgie de la Parole – mais dans le texte conciliaire, la règle générale qui précède immédiatement celle à laquelle nous venons de faire allusion dit : « Que l’usage de la langue latine, sauf un droit particulier, soit conservé dans les rites latins ».

 

On est heureux de lire cela sous la plume du Cardinal Ratzinger. Jusqu’à ce jour, il n’y avait guère que les « tradis » qui osaient relever la contradiction entre le texte et la pensée  réelle du Concile sur l’usage du latin dans la liturgie  et la pratique universelle qui s’est imposée après le Concile généralisant l’usage des  langues vernaculaires. 

 

Certains observateurs ont fait remarquer que la messe des obsèques du pape Jean-Paul II, comme la messe d’intronisation de Benoît XVI furent célébrées en latin, seuls les lectures furent dites en langues vernaculaires…

 

b- Le cardinal Ratzinger et l’orientation de la célébration liturgique : « ad orientem ».  

 

1- Toujours dans la même préface du livre d’Uwe Michael Lang, le cardinal Ratzinger affirme : « Dans le texte conciliaire, il  n’est pas question de l’autel tourné vers le peuple. Il en est questions dans les instructions post-conciliaires(…) L’orientation physique devrait – dit la Congrégation (dans une note du 25 septembre 2000) – être distincte de l’orientation spirituelle. Quand le prêtre célèbre versus populum, son orientation spirituelle devrait toujours être, de toute façon, versus Deum per Ipsum Christum (vers Dieu à travers Jésus Christ). Comme les rites, les signes, les symboles et les mots ne peuvent jamais épuiser la réalité ultime du mystère du salut, il faut éviter dans ce domaine les positions unilatérales et érigées en absolu. (….)

La liturgie de la Parole est caractérisée par la proclamation et le dialogue : elle consiste à adresser la parole et à répondre, et doit consister, en conséquence, à s’adresser réciproquement les uns aux autres : ceux qui proclament vers ceux qui écoutent et vice-versa. La prière eucharistique, au contraire, est la prière dans laquelle le prêtre sert de guide, mais est orienté, en même temps que le peuple et comme le peuple vers le Seigneur. C’est pourquoi  - selon Jungmann  - le fait que le prêtre et le peuple soient tournés dans la même direction fait partie de l’essence de l’action liturgique. Plus tard, Louis Bouyer  - lui aussi l’un des principaux liturgistes du Concile – et Klaus Gamber reprirent, chacun à sa façon, la question. Malgré la grande autorité dont ils jouissent, ils eurent, dès le départ, quelque difficulté à se faite entendre, tant était forte la tendance à mettre en relief l’élément communautaire de la célébration liturgique et à considérer donc, que le prêtre et le peuple étaient réciproquement tournés l’un vers l’autre ».

 

2- La préface de « Tournés vers le Seigneur » de Mgr Gamber 

 

Le cardinal Ratzinger, vous venez de le lire, parle de Mgr Gamber et du père Bouyer. Tous deux   combattirent  fortement pour le maintien de la tradition liturgique de célébrer la sainte messe, prêtres et fidèles tournés « vers l’Orient ». Mgr Gamber publia, de fait, un livre en allemand sur ce sujet : « Zum Herrn hin ! Les pères du Barroux le firent traduire et le publièrent sous le titre français : « Tournés vers le Seigneur ».

 

Le cardinal en fit la préface.

Voici la préface du Cardinal Ratzinger :

 

« …Ce qui fait l’importance de ce livre, c’est surtout le substrat théologique mis à jour par ces savantes recherches. L’orientation de la prière commune aux prêtres et aux fidèles  - dont la forme symbolique était généralement en direction de l’est, c’est-à-dire du soleil levant  - était conçue comme un regard tourné vers le Seigneur, vers le soleil véritable. Il y a dans la liturgie une anticipation de son retour ; prêtres et fidèles vont à sa rencontre. Cette orientation de la prière exprime le caractère théocentrique de la liturgie ; elle obéit à la monition : « Tournons nous vers le Seigneur »

Cette appel s’adresse à nous tous, et montre, au delà même de son aspect liturgique, comment il faut que toute l’Eglise vive et agisse pour correspondre à la mission du Seigneur ».

 

 

 

 

B- Le 24 octobre 1998

La conférence du Cardinal Ratzinger à l’occasion du dixième anniversaire du Motu proprio « Ecclesia Dei Adflicta »

 

 

 

Tout le monde sait que le 24 Octobre a eu lieu à Rome un pèlerinage organisé pour le dixième anniversaire du Motu Proprio « Ecclesia Dei ». A cette occasion, le cardinal Ratzinger reçut les congressistes  et leur adressa ces paroles fort intéressantes. Vous trouverez ici le texte in extenso.  

 

 

« Dix ans après la publication du Motu proprio Ecclesia Dei – quel bilan peut-on dresser ? Je pense que c’est avant tout une occasion pour montrer notre gratitude et pour rendre grâces. Les diverses communautés nées de ce texte pontifical ont donné à l’Église un grand nombre de vocations sacerdotales et religieuses qui, zélées, joyeuses et profondément unies au Pape, rendent leur service à l’Évangile dans cette époque de l’histoire, qui est la nôtre. Par eux, beaucoup de fidèles ont été confirmés dans la joie de pouvoir vivre la liturgie et dans leur amour envers l’Église ou peut-être ils ont retrouvé les deux. Dans plusieurs diocèses – et leur nombre n’est pas si petit ! – ils servent l’Église en collaboration avec les évêques et en relation fraternelle avec les fidèles, qui se sentent chez eux dans la forme rénovée de la liturgie nouvelle. Tout cela ne peut que nous inciter aujourd’hui à la gratitude !

 

Cependant, il ne serait pas très réaliste de vouloir passer sous silence les choses moins bonnes : qu’en maints endroits les difficultés persistent et continuent à persister, parce que tant les évêques que les prêtres et les fidèles considèrent cet attachement à la liturgie ancienne comme un élément de division, qui ne fait que troubler la communauté ecclésiale et qui fait naître des soupçons sur une acceptation du concile « sous réserve seulement », et plus généralement sur l’obéissance envers les pasteurs légitimes de l’Église.

 

Nous devons donc nous poser la question suivante : comment ces difficultés peuvent-elles être dépassées ? Comment peut-on construire la confiance nécessaire pour que ces groupes et ces communautés qui aiment l’ancienne liturgie puissent être intégrés paisiblement dans la vie de l’Église ?

 

Mais il y a une autre question sous-jacente à la première : quelle est la raison profonde de cette méfiance ou même de ce refus d’une continuation des anciennes formes liturgiques ?

 

Il est sans doute possible que, dans ce domaine, existent des raisons qui sont antérieures à toute théologie et qui ont leur origine dans le caractère des individus ou dans l’opposition des caractères divers, ou bien dans d’autres circonstances tout à fait extérieures. Mais il est certain qu’il y a aussi des raisons plus profondes, qui expliqueraient ces problèmes. Les deux raisons qu’on entend le plus souvent, sont le manque d’obéissance envers le concile qui aurait réformé les livres liturgiques, et la rupture de l’unité qui devrait suivre nécessairement, si on laissait en usage des formes liturgiques différentes. Il est relativement facile de réfuter théoriquement ces deux raisonnements : le concile n’a pas réformé lui-même les livres liturgiques, mais il en a ordonné la révision et, à cette fin, a fixé quelques règles fondamentales. Avant tout, le concile a donné une définition de ce qu’est la liturgie, - et cette définition donne un critère valable pour chaque célébration liturgique. Si l’on voulait mépriser ces règles essentielles et si l’on voulait mettre de côté les normae generales qui se trouvent aux numéros 34-36 de la Constitution De Sacra Liturgia, - alors là, on violerait l’obéissance envers le concile ! C’est donc d’après ces critères qu’il faut juger les célébrations liturgiques, qu’elles soient selon les livres anciens ou selon les livres nouveaux.

 

Il est bon de rappeler ici, ce qu’a constaté le Cardinal Newman qui disait que l’Église, dans toute son histoire, n’avait jamais aboli ou défendu des formes liturgiques orthodoxes, ce qui serait tout à fait étranger à l’Esprit de l’Église. Une liturgie orthodoxe, c’est-à-dire qui exprime la vraie foi, n’est jamais une compilation faite selon des critères pragmatiques de diverses cérémonies, dont on  pourrait disposer de manière positiviste et arbitraire - aujourd’hui comme ça et demain autrement. Les formes orthodoxes d’un rite sont des réalités vivantes, nées du dialogue d’amour entre l’Église et son Seigneur, - sont des expressions de la vie de l’Église, où se sont condensées la foi, la prière et la vie-même de générations, et où se sont incarnées dans une forme concrète en même temps l’action de Dieu et la réponse de l’homme. De tels rites peuvent mourir, si le sujet qui les a portés historiquement disparaît, ou si ce sujet s’est inséré dans un autre cadre de vie. L’autorité de l’Église peut définir et limiter l’usage des rites dans des situations historiques diverses, - mais jamais elle ne les défend purement et simplement ! Ainsi, le concile a ordonné une réforme des livres liturgiques, mais il n’a pas interdit les livres antérieurs. Le critère que le concile a exprimé, est à la fois plus vaste et plus exigeant : il invite tous à l’autocritique ! Mais nous reviendrons sur ce point.

 

Il faut encore examiner l’autre argument, qui prétend que l’existence de deux rites peut briser l’unité. Là, il faut faire une distinction entre le côté théologique et le côté pratique de la question. Pour ce qui est du côté théorique et fondamental, il fut constater que plusieurs formes du rite latin ont toujours existé, et qu’elles se sont retirées seulement lentement suite à l’unification de l’espace de vie en Europe.

 

Jusqu’au  concile existaient, à côté du rite romain, le rite ambrosien, le rite ambrosien, le rite mozarabe de Tolède, le rite de Braga, le rite des chartreux et des carmes, et le plus connu : le rite des dominicains, - et peut-être d’autres rites encore que je ne connais pas. Personne ne s’est jamais scandalisé que les dominicains, souvent présents dans nos paroisses, ne célébraient pas comme les curés, mais avaient leur rite propre. Nous n’avions aucun doute, que leur rite fût catholique autant que le rite romain, et nous étions fiers de cette richesse d’avoir plusieurs traditions diverses. En outre, il faut dire ceci : l’espace libre, que le nouvel Ordo Missae donne à la créativité, est souvent élargi excessivement ; la différence entre la liturgie selon les livres nouveaux, comme elle est pratiquée en fait, célébrée en des endroits divers, est souvent plus grande que celle entre une liturgie ancienne et une liturgie nouvelle, célébrées toutes les deux selon les livres liturgiques prescrits.

Un chrétien moyen sans formation liturgique spéciale a du mal à distinguer une messe chantée en latin selon l’ancien Missel d’une messe chantée en latin selon le nouveau Missel ; par contre, la différence entre une liturgie célébrée fidèlement selon le Missel de Paul VI et les formes et les célébrations concrètes en langue vulgaire avec toutes les libertés et créativités possibles, - cette différence peut être énorme !

 

Avec ces considérations, nous avons déjà franchi le seuil entre la théorie et la pratique, où les choses sont naturellement plus compliquées, puisqu’il s’agit des relations entre des personnes vivantes.

 

Il me semble, que les aversions dont nous avons parlé sont si grandes parce qu’on met en relation les deux formes de célébration avec deux attitudes spirituelles différentes, à savoir avec deux manières différentes de percevoir l’Église et l’existence chrétienne tout court. Les raisons pour cela sont multiples. La première est celle-ci : on juge les deux formes liturgiques à partir des éléments extérieurs et on arrive ainsi à la conclusion suivante : il y a deux attitudes fondamentales différentes. Le chrétien moyen considère essentiel pour la liturgie rénovée, qu’elle soit célébrée en langue vulgaire et face au peuple, qu’il y existe un grand espace libre pour la créativité et que les laïcs y exercent des fonctions actives. Par contre : est considéré essentiel pour la célébration selon le rite antique, qu’elle soit dite en langue latine, que le prêtre soit tourné vers l’autel, que le rite soit prescrit sévèrement et que les fidèles suivent la messe en priant en privé, sans avoir une fonction active. Dans cette optique, la phénoménologie est essentielle pour une liturgie, non pas ce qu’elle considère elle-même comme essentiel. Il fallait s’attendre à ce que les fidèles s’expliquent la liturgie à partir des formes concrètes visibles et qu’ils soient imprégnés spirituellement par ces formes-là, et que les fidèles ne pénètrent pas facilement dans les profondeurs de la liturgie.

 

Les contradictions et oppositions que nous venons d’énumérer, ne proviennent ni de l’esprit ni de la lettre des textes conciliaires. La Constitution sur la Liturgie elle-même ne parle pas du tout de la célébration face à l’autel ou face au peuple. Et au sujet de la langue, elle dit que le latin doit être conservé tout en donnant une place plus large à la langue maternelle, « surtout dans les lectures, les monitions, dans un certain nombre de prières et de chants » (n. 36, 2). Quant à la participation des laïcs, le concile insiste d’abord en général sur le fait que la liturgie est essentiellement l’affaire du Corps du Christ tout entier, Tête et membres, et que pour cette raison, elle appartient au Corps tout entier de l’Église « et qu’elle est par conséquent destinée à être célébrée en communauté avec participation active des fidèles ». Et le texte précise : « Dans les célébrations liturgiques chacun, ministre ou fidèle, en s’acquittant de sa fonction, fera seulement et totalement ce qui lui revient en vertu de la nature de la chose et des normes liturgiques » (n. 28). « Pour promouvoir la participation active, on favorisera les acclamations du peuple, les réponses, le chant des psaumes, les antiennes, les cantiques et aussi les actions ou gestes et les attitudes corporelles. On observera aussi en son temps un silence sacré » (n. 30).

 

Voilà les directives du concile : à tous elles peuvent donner matière à réflexion. Parmi un nombre de liturgistes modernes il y a malheureusement une tendance à développer les idées du concile dans une seule direction ; en agissant ainsi, on finira par renverser les intentions du concile. La position du prêtre est réduite par quelques-uns au pur fonctionnel. Le fait que le Corps du Christ tout entier est le sujet de la liturgie, est souvent déformé au point que la communauté locale devient le sujet autosuffisant de la liturgie et en distribue les divers rôles. Il existe aussi une tendance dangereuse à minimiser le caractère sacrificiel de la Messe et à faire disparaître le mystère et le sacré, sous le prétexte, soi-disant impératif, de se faire comprendre plus facilement. Enfin, on constate la tendance à fragmenter la liturgie et à souligner unilatéralement son caractère communautaire, en donnant à l’assemblée le pouvoir de décider sur la célébration.

 

Mais malheureusement, il y a aussi un certain dégoût du rationalisme plein de banalité et du pragmatisme de certains liturgistes, qu’ils soient théoriciens ou praticiens, et on constate un retour au mystère, à l’adoration et au sacré, et au caractère cosmique et eschatologique de la liturgie, dont témoigne la Oxford-Declaration on Liturgy de 1996. D’autre part, il faut admettre que la célébration de l’ancienne liturgie s’était trop égarée dans le domaine de l’individualisme et du privé, et que la communion entre prêtre et fidèles était insuffisante. J’ai un grand respect pour nos aïeux, qui disaient durant les messes basses les « Prières pendant la messe », que leur livre de prières proposait, - mais certainement on ne peut considérer cela comme l’idéal de la célébration liturgique !  Peut-être ces formes réduites de célébration sont-elle la raison profonde pour laquelle la disparition des livres liturgiques anciens n’a eu aucune importance dans beaucoup de pays et n’a causé aucune douleur. On n’y avait jamais été en contact avec la liturgie elle-même. D’autre part, là où le Mouvement liturgique avait créé un certain amour pour la liturgie, - là où ce mouvement avait anticipé les idées essentielles du concile, comme par exemple la participation priante de tous à l’action liturgique, - là était plus grande la douleur face à une réforme liturgique entreprise trop en hâte et se limitant souvent à l’aspect extérieur. Là où le Mouvement liturgique n’a jamais existé, la réforme n’a d’abord pas posé de problème. Les problèmes se sont posés seulement de façon sporadique là où une créativité sauvage a fait disparaître le mystère sacré.

 

Voilà pourquoi il est si important d’observer les critères essentiels de la Constitution sur la Liturgie, que j’ai cités plus haut, aussi si l’on célèbre selon le Missel ancien ! Au moment, où cette liturgie touche vraiment les fidèles par sa beauté et sa profondeur, alors elle sera aimée, et alors elle ne sera pas en opposition inconciliable avec la liturgie nouvelle, - pourvu que ces critères soient vraiment appliqués comme le concile l’a voulu.

 

Des accents spirituels et théologiques différents continueront, certes, à exister, - mais ils ne seront plus deux manières opposées d’être chrétien, mais plutôt des richesses qui appartiennent à la même et unique foi catholique.

 

Lorsque, il y a quelques années, quelqu’un avait proposé « un nouveau mouvement liturgique » pour éviter que les deux formes de liturgie ne s’éloignent trop l’une de l’autre et pour mettre en évidence leur convergence intime, - alors quelques amis de l’ancienne liturgie ont exprimé leur peur, que ceci ne soit qu’un stratagème ou une ruse, pour pouvoir éliminer enfin complètement l’ancienne liturgie.

 

Il faut que de telles anxiétés et peurs cessent enfin ! Si dans les deux formes de célébration l’unité de la foi et l’unicité du mystère apparaissent clairement, cela ne peut qu’être pour tous une raison de se réjouir et de remercier le Bon Dieu. Dans la mesure où nous tous croyons, vivons et agissons selon ces motivations, nous pourrons aussi persuader les évêques, que la présence de l’ancienne liturgie ne dérange et ne brise pas l’unité de leur diocèse, mais qu’elle est plutôt un don destiné à construire le Corps du Christ, dont nous sommes tous les serviteurs.

 

Aussi chers amis, je voudrais vous encourager à ne pas perdre patience, - à conserver la confiance, - et à puiser dans la liturgie la force nécessaire pour donner notre témoignage pour le Seigneur en notre temps ». Cardinal Joseph Ratzinger

 

 

 

C- Le cardinal Médina et la réforme liturgique

 

Avec cet interview du cardinal Médina, ex-préfet de la Congrégation pour les rites et les sacrements, nous avons, je pense, l’actuelle pensée de Rome en matière liturgique.

 

Je peux difficilement imaginer que le Cardinal Médina se soit exprimé aussi clairement sur ce sujet liturgique sans avoir le consentement des cardinaux  responsables  de cette question,  à savoir le cardinal Ratzinger, le cardinal Castrillon Hoyos, le cardinal Arinze, le cardinal Stickler.

 

Il y a actuellement un « consensus » à Rome et c’est selon ce consensus, selon cette synthèse exprimée, ici, par le cardinal Médina, plus haut, par le cardinal Ratzinger,  que le problème liturgique va être réglé par Benoît XVI.

 

Jusqu’à maintenant la Secrétairerie d’Etat et tout particulièrement le cardinal Ré s’opposait à la pensée du cardinal Ratzinger. Cela fut visible comme le soleil en plein midi, lors de la réception des « communautés « Ecclesia Dei Adflicta », le 26 octobre 1998, par Jean-Paul II. Le discours du pape, vraisemblablement préparé par le Substitut de la Secrétairerie d’Etat, à l’époque Mgr Ré, permettait de le constater. Je m’en suis aperçu lors de mon voyage romain les 24 et 26 octobre 1998. Je suis persuadé que le Cardinal Ratzinger fut  peiné  de ce  discours.   Pour moi, il subit une véritable humiliation…une humiliation publique…Mais les choses ont changé. Entre temps le cardinal Ratzinger est devenu Benoît XVI… La « donne » est aujourd’hui différente…Il était intéressant, du reste,  de regarder les visages et les attitudes des uns et des autres lors de la cérémonie d’intronisation de Benoît XVI, place Saint Pierre, le dimanche 24 avril…Il y a des gestes et des comportements qui ne trompent pas…et qui permettent de « soupçonner » des changements prochains dans le « personnel » des Dicastères.

 

Voici cet interview publié conjointement par l’Homme Nouveau et la Nef.

 

- Éminence, lorsque vous célébrez la messe selon le rite de saint Pie V, demandez-vous la permission ?

 

- Cardinal Médina Estévez – Non, je ne demande pas la permission, d’une part parce que je crois que le rite de saint Pie V n’a jamais été supprimé canoniquement, et d’autre part parce que je suis membre de la Commission pontificale Ecclesia Dei. À ce titre, j’estime que la célébration du saint sacrifice de la messe dans le rite de saint Pie V fait partie de mes responsabilités. Mais je le répète : on doit prendre comme point de départ en ce domaine qu’il n’est pas possible de prouver que le rite de saint Pie V a été abrogé du point de vue juridique.

 

- Certes, mais depuis que la possibilité d’une autorisation pour la messe tridentine a été étudiée, deux principes, comme vous le savez bien, ont été posés : 1) il est impossible, théologiquement et canoniquement, d’affirmer que cette messe est interdite ; 2) mais sa célébration ne doit pas troubler la pastorale des diocèses et des paroisses. Or, les indults de 1984 et 1988 évoquent surtout le second principe.

 

- Cdl Médina Estevez - Il y a, bien sûr, dans l’Église un principe de bon ordre à respecter, selon lequel il faut une certaine unité, mais il ne faudrait pas exagérer en ce sens, de telle sorte que l’unité devienne totale uniformité. D’ailleurs, vous le savez, dans le cadre de la célébration du missel du pape Paul VI, il y a des différences de paroisse à paroisse. Je ne vois donc pas qu’il y ait une difficulté considérable de ce côté-là. Dans un souci de bon ordre, on pourrait peut-être établir, par exemple, que la célébration de la sainte messe selon l’ancien rite – disons plutôt selon la forme ancienne du rite romain – se déroule dans certaines églises et non dans toutes les paroisses. Mais il faut répondre de manière large et généreuse à la sensibilité des fidèles qui le désirent. Et il me semblerait bon de célébrer parfois dans la forme ancienne dans des communautés qui suivent ordinairement le rite du pape Paul VI.

 

Les cardinaux interrogés (tous en 1982, 8 sur 9 en 1986) étaient en effet d’avis que la messe tridentine n’a jamais été interdite. On voulait intégrer la déclaration dans un vaste document. Certains ont imaginé une célébration publique par le pape de la messe de saint Pie V, d’autres, une « annexe saint-Pie-V » dans la dernière édition typique du missel de Paul VI, d’autres, une simple réponse donnée par le Conseil pour l’Interprétation des Textes législatifs.

 

- Cdl Médina Estevez -Vous savez, lorsqu’on veut résoudre un problème, on trouve toujours la manière d’y parvenir. Le droit canon est assez souple et fournit de larges possibilités pour résoudre les problèmes pastoraux. Au sujet de l’opportunité d’un document, d’un fait posé ou d’une réponse officielle, cela relève d’un choix prudentiel. Personnellement, je ne suis pas canoniste de formation et je n’ai donc pas une compétence technique suffisante qui me permettrait d’opter d’emblée en faveur d’une solution ou d’une autre. Le choix dépendra du jugement pratique de celui qui, de droit, devra se prononcer, et ce dernier devra prendre sa décision en évaluant les avantages et les inconvénients de chacune des solutions possibles, qu’il devra considérer avec prudence et en même temps avec largeur de vue.

 

Le cardinal Castrillón a déclaré : « Cette messe a droit de cité ». Vous-même avez écrit en substance à Una Voce de Florence : « La troisième édition typique du missel de Paul VI ne contient aucune clausule d’abrogation du rite ancien, et cette absence est voulue ». N’est-ce pas une autre voie, celle du constat par des autorités ?

 

Cdl Médina Estevez- Oui, on peut dire que c’est la déclaration par des faits. Il serait tout de même bon qu’il y ait aussi une réponse donnée par un organisme compétent. Et cette réponse devrait éclairer les deux points : dire tout d’abord, que le vénérable rite de saint Pie V, qui a été le rite de l’Église latine pendant des siècles, n’est pas interdit, ni abrogé ; et préciser d’autre part que, pour ne pas créer de confusion, ni troubler les sensibilités, ce rite pourrait être célébré dans des endroits définis, églises, paroisses, églises placées sous la responsabilité d’un recteur, aumôneries, comme on voudra, ou bien, comme aux États-Unis et au Canada, dans des paroisses personnelles.

En tout cas, il faut reconnaître aussi que l’on peut déplorer assez souvent des abus dans la célébration de la sainte Eucharistie et, comme vous le savez, ceux-ci ont été récemment signalés par la Congrégation pour le Culte divin. Or, ce qui trouble le bon ordre ecclésial, ce sont bien, en particulier, ces abus.

 

Autrement dit : libération avec des précisions. Cependant, s’il y a trop de précisions, il n’y aura pas vraiment de libération. Par exemple, il existe en France un nombre notable de prêtres, de curés de paroisses, qui seraient heureux de bénéficier de cette déclaration de liberté pour pouvoir, en toute quiétude, célébrer éventuellement selon l’ancien rite.

 

Cdl Médina Estevez- Oui, d’ailleurs, personnellement, lorsque je célèbre dans la forme ancienne du rite romain, qui a été d’ailleurs celui dans lequel j’ai reçu l’ordination sacerdotale, j’éprouve une grande émotion, surtout en disant les prières de l’offertoire, parce que ces prières soulignent, comme le font aussi les prières que l’on dit vers la fin de la messe, son caractère sacrificiel. La dimension sacrificielle de la célébration eucharistique en est un élément essentiel, et pas seulement dans l’ancienne forme du rite romain, mais bien pour la doctrine catholique tout court, récemment réaffirmée par le Saint-Père Jean-Paul II, dans l’encyclique Ecclesia de Eucharistia.

C’est pourquoi j’aurais voulu, à l’occasion de la troisième édition typique du missel de Paul VI, alors que j’étais préfet de la Congrégation pour le Culte divin, réintroduire quelques éléments de la forme ancienne, mais j’ai rencontré des oppositions très décidées. Je comprends bien que les spécialistes de la liturgie estiment que ces prières sont plutôt des prières privées du prêtre, et qu’on a voulu éliminer dans la nouvelle forme du rite romain tout ce qui relevait de ce niveau personnel, pour n’y laisser que les parties, disons, « objectives ». Mais ces prières contiennent de telles richesses que je ne vois pas quel inconvénient il pourrait y avoir à les utiliser encore. Il faut reconnaître que ces prières parlent de la victime immolée, du sacrifice des oblats, avant la consécration proprement dite. Mais dans le domaine liturgique, on sait bien qu’il y a des affirmations que l’on fait avant que la réalité n’arrive et des choses que l’on dit après. Ce n’est donc pas, il me semble, une objection insurmontable.

 

Le P. Bugnini aurait dit que sa réforme ne durerait pas plus de trente ans. Puisque la liturgie de Paul VI n’a pas rendu caduque la liturgie antérieure, n’est-ce pas qu’elle ne se prétendait pas une norme absolue ?

 

Cdl Médina Estevez-  Je crois que le missel promulgué par le Saint-Père Paul VI a été pour l’Église une chose positive. Il contient des richesses qui devraient être maintenues. Par exemple, la richesse du lectionnaire qui me semble évidente. Ou encore, la volonté de souligner l’aspect de la participation de la communauté à la liturgie – je pense à la participation dans le sens le plus profond de ce mot : pas seulement la participation par des moyens extérieurs, mais avant tout la participation intérieure, par la grâce, par la foi. Je n’éprouve aucune difficulté en célébrant tous les jours la sainte messe selon le missel du pape Paul VI. J’estime tout de même que l’on pourrait revoir certains points de ce missel pour se réapproprier des éléments très positifs du missel de saint Pie V. Ceci dit, je ne suis pas prophète et je n’oserais pas faire des prédictions sur la durée de cette réforme.

D’ailleurs, je n’aime pas tellement ce mot de « réforme ». Je lui préfère celui de renouveau, à moins que l’on comprenne « réforme » comme le fait de retrouver des formes originelles dans la fidélité à la tradition. En ce sens-là, ce terme exprime exactement ma sensibilité. En revanche, lorsqu’on l’utilise pour signifier une rupture, il ne me convient pas du tout.

 

Certains partisans du rite tridentin, à divers degrés et de diverses manières disent que la liturgie nouvelle affaiblit l’expression du sacrifice propitiatoire, de la présence réelle, du sacerdoce hiérarchique. Vous n’êtes certainement pas d’accord avec ces jugements, mais estimez-vous qu’il est légitime d’en débattre ?

 

Cdl Médina Estevez -Je crois, en effet, que ces critiques sont excessives. Je n’aime pas à ce propos les critiques globales et je préfère discuter des critiques sur des points très concrets. Par exemple, presque toutes les nouvelles prières eucharistiques contiennent explicitement la mention du sacrifice eucharistique. Je le répète encore une fois, il me semble capital que le peuple catholique ait conscience, de manière très nette, que la messe est avant tout un sacrifice. Si cela s’avérait nécessaire, on pourrait porter remède à cette situation grâce à des corrections appropriées. Mais puisque la nouvelle forme du rite romain garde les prières de l’ancien missel, qui contiennent souvent la mention du sacrifice, il n’est pas vrai que le nouveau missel ait affaibli la notion de sacrifice. Je pense tout de même qu’il y a, hélas, un affaiblissement de cette dimension dans la conscience des fidèles. Cependant, l’encyclique du pape Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, dans laquelle il est question plus de quarante fois de cette notion de sacrifice, répond très exactement à cette objection.

 

Mais des éventuelles déficiences du rite, peut-on discuter ?

On peut discuter et on peut améliorer. Pourquoi pas ?

Améliorer : croyez-vous que cette idée que développe depuis longtemps le cardinal Ratzinger à la manière d’un programme – à savoir qu’il serait bon d’infléchir la réforme dans un sens traditionnel – puisse faire l’objet d’un consensus assez large dans le collège cardinalice ?

 

-Cdl Médina Estevez- Je ne suis pas sûr qu’il y ait dans l’Église catholique aujourd’hui une conscience très aiguë du besoin de réviser la nouvelle forme du rite romain. Je crois que l’atmosphère générale est plutôt celle d’une acceptation paisible, certes favorable, sans qu’il y ait une très forte critique vis-à-vis de la « réforme ».

Et puis, ce n’est pas le collège cardinalice qui est la structure responsable pour une pareille démarche. Je préfère me fonder sur le sentiment des évêques : aujourd’hui, dans leur très grande majorité, ils sont en accord avec les formules et les rites du missel du Saint-Père Paul VI. Mais peut-être que, d’ici quelques années, au fur et à mesure que l’on s’apercevra qu’il y a des éléments qui pourraient être mieux soulignés, on pourra en tenir compte, soit par l’accueil plus large de l’ancienne forme du rite romain, soit par l’introduction dans la nouvelle forme de ce rite de quelques éléments ad libitum pris du rite de saint Pie V.

Toutefois, il ne me semble pas sage tout de même de réduire la crise de l’Église catholique au seul problème liturgique. Il y a d’abord les problèmes doctrinaux, de perte du sens de la tradition, d’affaiblissement du sens du sacré, des manquements à la discipline ecclésiastique. Je pense qu’en célébrant la liturgie selon la nouvelle forme du rite romain d’une manière fidèle, exacte et pieuse, on pourrait porter remède à bien des difficultés. Mais, vous le savez, il y a aussi des problèmes quant à une application pleinement ecclésiale et spirituelle de la forme nouvelle du rite.

 

N’est-ce pas la faiblesse du rite nouveau que d’être diversement interprétable, à la différence du rite traditionnel ?

 

- Cdl Médina Estevez  - Il y avait aussi dans le rite ancien des prêtres qui célébraient de manière trop mécanique, voire superficielle. J’attribue, pour ma part, une énorme importance à ce qu’on appelle l’ars celebrandi, qui permet aux fidèles de recevoir, à travers la manière concrète dont le prêtre célèbre, l’expression d’une foi profonde, d’une piété foncière, du sens de Dieu et du sacré. Si, au contraire, la célébration de la liturgie eucharistique devient « mécanique », cela ne nourrit pas la foi des fidèles. Je n’ai personnellement jamais assisté à la messe du Padre Pio, mais tous ceux qui ont eu cette chance disaient que ce saint prêtre – qui n’était certes pas un liturgiste – était visiblement transpercé par le mystère qu’il célébrait. Qui voyait le Padre Pio célébrer la messe, même si elle durait une heure ou plus encore, était illuminé par la présence du sacré. Il faut voir les photos de ces messes ! En revanche, en présence d’un prêtre célébrant avec empressement la même messe que le Padre Pio, on peut se demander s’il croit vraiment à ce qu’il fait.

 

En amont du rite, la sainteté… ?

 

- Cdl Médina Estevez - Oh oui ! Je me souviens toujours de ce qu’un nonce apostolique au Chili avait écrit à l’intention de nouveaux prêtres : « Célébrez chacune de vos messes comme si elle était votre première messe, comme si elle devait être votre unique messe, comme si elle était votre dernière messe ».

 

propos recueillis par l’abbé Claude Barthe, Christophe Geffroy et Philippe Maxence

 

© Entretien exclusif accordé par le cardinal Médina à La Nef et à L’Homme nouveau et publié conjointement dans les deux publications.

 

Il l’écrivait dans le « Figaro Magazine »  du samedi dernier, le 23 avril 2005, dans sa « lettre ouverte » à Benoît XVI :  « Je suis sûr

 

Conclusion

 

 

Etant donné que le cardinal Ratzinger a pris en compte, plus qu’aucun autre cardinal,  le « problème de la crise liturgique  dans l’Eglise…crise centrée sur  la personne de Mgr Lefebvre …il a déclaré qu’un «  bon nombre de gens, hors du cercle restreint des membres de la FSPX de Mgr Lefebvre, voient en lui une sorte de guide ou tout au moins, un allié utile »… «  indubitablement, on ne pourrait imaginer un  phénomène de cette ampleur s’il ne mettait pas en jeu des éléments positifs qui, en général, ne trouvent pas un espace vital suffisant au sein de l’Eglise aujourd’hui ». ( Déclaration aux évêques du Chili le 17 juillet 1988) 

 

Etant donné le soutien notable apporté par le cardinal Ratzinger aux ouvrages de Mgr Gamper qui, à l’occasion de la réforme liturgique n’a pas  craint pas de parler de « rupture » avec la Tradition »(

 

Etant donné que le cardinal Ratzinger a osé affirmer : « Je suis certes d’avis que l’on devrait accorder beaucoup plus généreusement, à tous ceux qui le souhaitent, le droit de conserver l’ancien rite ».( in « Le Sel de la Terre » p 231)

 

Etant donné qu’il a déclaré avoir été «  consterné de l’interdiction de l’ancien missel ». (dito)

 

Etant donné qu’il fait même de cette affaire « d’interdiction de l’ancien missel »  une question d’honneur et de respect de la Tradition ecclésiale…

 

Etant donné que cette interdiction a été fondée sur un argument parfaitement contestable, en identifiant la réforme liturgique du Concile Vatican II, à celle du Concile de Trente, ce qu’un Concile fît, l’autre peut aussi le faire, ce qui est tout à fait erroné. (in « Ma vie. Souvenirs) 

 

Etant donné que cette interdiction de l’ancien missel a fait courir à l’Eglise  «  un énorme préjudice ».(dito)

 

Etant que le cardinal Ratzinger a déclaré : « Le décret d’interdiction de ce missel a opéré une rupture dans l’histoire liturgique » de l’Eglise .(dito)

 

Etant donné que cette interdiction illégitime a eu  des « conséquences (qui)  ne pouvaient qu’être tragiques  pour l’Eglise ».(dito)

 

Etant donné que le cardinal Ratzinger a eu l’occasion de déclarer : « Je suis convaincu que l’Eglise, dans son histoire, n’avait jamais aboli ou défendu des formes liturgiques orthodoxes, ce qui serait tout à fait étranger à l’esprit de l’Eglise ». Il s’appuyait sur l’autorité morale du cardinal Newman. (Conférence à Rome le 24 octobre 1998)

 

Etant donné qu’il a déclaré que  « L’autorité de l’Eglise peut définir et limiter l’usage des rites dans des situations historiques diverses, mais jamais elle ne les défend purement et simplement ».(dito)

 

Etant donné qu’il a aussi déclaré : « il est important aussi de cesser de bannir la forme de la liturgie en vigueur jusqu'en 1970 ».(in «Voici quel est notre Dieu »)

 

Etant donné qu’il a déclaré également : « Celui qui à l'heure actuelle, intervient pour la validité de cette liturgie, ou qui la « pratique », est traité comme un lépreux: c'est la fin de toute tolérance. (dito)

 

Etant donné qu’agir ainsi, c’ est, pour le cardinal, mépriser purement et simplement tout  « le passé de l'Eglise ».

 

Etant donné qu’il s’oppose à cette « politique d’intolérance : « J'avoue aussi que je ne comprends pas pourquoi beaucoup de mes confrères évêques se soumettent à cette loi d'intolérance ».(dito)

 

Etant donné qu’il invitait, alors préfet de la Congrégation de la Doctrine de la foi, déjà les évêques, ses confrères, à œuvrer aux « réconciliations nécessaires  dans l’Eglise » faisant nettement allusion à ce conflit liturgique.

 

Etant donné qu’il a reconnu que la constitution conciliaire sur la liturgie fait encore du latin la langue « cultuelle » de l’Eglise latine affirmant :   « Que l’usage de la langue latine, sauf un droit particulier, soit conservé dans les rites latins ».

 

Etant donné qu’il a déclaré que « La prière eucharistique est la prière dans laquelle le prêtre sert de guide, mais est orienté, en même temps que le peuple et comme le peuple vers le Seigneur. C’est pourquoi  - selon Jungmann  - le fait que le prêtre et le peuple soient tournés dans la même direction fait partie de l’essence de l’action liturgique ».

 

Pour toutes ces raisons, il est clair que le cardinal Ratzinger, devenu Benoît XVI, qui s’est  déclaré être «au service de la Vigne du Seigneur »,  fera de la «  restauration liturgique » un des ses premiers « chantiers » sinon le premier… Il est vrai que la liturgie fut aussi le premier des chantiers de l’œuvre conciliaire. Il devrait selon toute vraisemblance travailler dans une double direction :

et restaurer la culte traditionnel dans son droit,

 et procéder à « la réforme de la réforme » dans un application raisonnable des principes du Concile Vatican II en matière liturgique rappelant particulièrement les grands principes liturgiques contenus dans les n° 34- 36 de « Sacro sanctum Concilium ».

 

 

« Je suis sûr qu’en matière de liturgie, de réaffirmation du rite et du sacré, il ira vite ».