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Un regard sur le monde

politique et religieux

 

au 29 février 2008

 

N° 161

 

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

 

 

 

LE CANON DE LA MESSE ROMAINE

 

 

Dans le numéro précédent d’Item, j’attirais votre attention sur la beauté de la sainte messe traditionnelle, latine et grégorienne, dite de saint Pie V et sur son importance pour la restauration de la chrétienté.  M’inspirant de Dom Guéranger, je vous disais qu’elle était comme le « contre-poids » face aux  idées modernes. Cette messe enseigne ce qui manque au monde moderne : elle est adoration de Dieu, elle est oblation sacrificielle confessant son souverain domaine sur toutes choses ; elle donne le sens de l’ordre, de la hiérarchie, de l’obéissance, de la soumission, de la vraie liberté dans les commandements divins. Cette messe honore Dieu le Père par le sacrifice du Fils qui est rédemption, satisfaction, propitiation.

 

Il faut donc tout particulièrement l’aimer.

Et pour l’aimer à sa juste valeur, il faut en méditer les prières et tout particulièrement la prière solennelle : le Canon de la Messe.

 

Or il se trouve qu’un grand liturgiste, Dom Guillou, bénédictin, a fait un très beau commentaire de cette prière. J’ai eu, à l’époque de mon supériorat du district de France, de la FSSPX,  l’honneur de le publier dans un livre paru au Editions Fideliter : « Le canon de la messe ».  Il doit toujours exister. J’en ai trouvé tout à fait par hasard une transcription sur un site de la « Tradition ». Cela fut fait sans que je le sache…. ! Je vais en profiter pour le mettre sur mon site et vous le proposer en lecture pour vous faire aimer cette grande prière de notre messe. C’est une bonne lecture de Carême.

 

Dom Guillou, dans son commentaire, critique, à la fois les trois nouveaux canons proposés, par le Concilium,  tout comme il critique  la traduction française du « canon romain » faite par le Père Roguet. Ces critiques permettent de mieux mettre en relief la richesse du vrai « Canon romain », non frelaté.

 

Comme son commentaire est un peu long, je le donnerai en deux fois.

Voici la première partie du Canon jusqu’aux paroles de la consécration. C’est une lecture qui se médite.

 

 

« La préface étant achevée, disait Dom Guéranger à ses novices « Explication de la Sainte Messe », éd. Assoc. S. Jérôme, 1985, p.100), le SANCTUS résonne ; alors le prêtre entre dans le nuage. On ne l'entendra plus que lorsque la grande prière sera finie. Cette prière a reçu le nom de CANON MISSAE, c'est-à-dire règle de la messe, et cela parce que cette partie est vraiment ce qui constitue la messe ; c'est ce que l'on peut appeler par excellence la messe. »

 

Elle ne doit pas être étouffée par la première partie consacrée spécialement à la parole ou par les prières non spécifiquement sacerdotales. Le prêtre doit toujours apparaître pour ce qu'il est avant tout : l'homme des sacrements, c'est-à-dire de l'autel en premier lieu. Il incarne la présence et la puissance sanctificatrices du Sauveur divin. L'Eglise se distingue par là ; et l'expression la plus forte en est le canon de la messe, réservé au sacrificateur.

 

La messe ne peut être pour le prêtre l'occasion rêvée de dire ou faire n'importe quoi, par respect pour le Seigneur, ou même trop de bonnes choses, par pitié pour les fidèles : ils ne les retiendraient pas ; leur mémoire a des limites ... et parfois leur patience.

 

Le canon romain n'est pas la seule prière sacerdotale de l'Eglise universelle, mais sans doute la plus simple et la plus belle, en tout cas la plus adaptée à l'esprit occidental, qui sous bien des rapports s'est imposée au monde entier. Presque entièrement formé dès le IVème siècle, il brille par son antiquité ; ce qui est d'une importance majeure pour l'exactitude et la continuité de la foi eucharistique. Aucun n'a connu plus grande diffusion, reliant autant de nations autour du siège de Pierre. Il nous est parvenu comme chargé de la piété de tant de saints prêtres et pontifes, que le fidèle se doit de le connaître et de le méditer avec le plus grand respect et la plus scrupuleuse attention.

 

 

Analyse du  Canon Romain

 

 

TE IGITUR

 

TE IGITUR, CLEMENTISSIME PATER, PER JESUM CHRISTUM FILIUM TUUM DOMINUM NOSTRUM, SUPPLICES ROGAMUS AC PETIMUS, UTI ACCEPTA HABEAS ET BENEDICAS HIEC DONA, MEC MUNERA, HEC SANCTA SACRIFICIA ILLIBATA. IN PRIMIS QUAE TIBI OFFERIMUS PRO ECCL ESIA TUA SANCTA CATHOLICA QUAM PACIFICARE, CUSTODIRE, ADUNARE ET REGERE DIGNERIS TOTO ORBE TERRARUM : UNA CUM FAMULO TUO PAPA NOSTRO... ET ANTISTITE NOSTRO... ET OMNIBUS ORTHODOXIS, ATQUE CATHOLICIE ET APOSTOL ICIE FIDEI CULTORIBUS.

 

Nous Vous prions donc avec une humilité profonde, Père très clément et nous Vous conjurons par Jésus-Christ, votre Fils, Notre Seigneur, d'agréer et de bénir ces dons, ces présents, ces sacrifices, purs et sans tache, que nous Vous offrons premièrement pour votre sainte Eglise catholique. Qu'il Vous plaise de lui donner la paix, de la garder, de la maintenir dans l'unité, et de la gouverner par toute la terre, et, avec elle, votre serviteur notre saint l'ère le Pape..., notre Evêque... et tous ceux qui ont le culte de la foi orthodoxe catholique et apostolique.

 

 

TE

 

La grammaire latine commence par décliner Rosa - la rose, comme si l'étude et l'amour de cette langue, devenue sacrée, introduisait dans un jardin fleuri. De ce jardin, il n'est pas nécessaire d'avoir parcouru toutes les allées pour comprendre le canon romain. Son latin est facile et ne peut faire écran à la piété d'aucun prêtre. Cette prière se récite en silence. Mais supposons-la prononcée de nouveau à haute voix ou chantée, le latin s'imposerait encore plus, car cette prière revient au prêtre, seul consécrateur. Comme les fidèles y acquiescent par l’Amen de la fin, ils pénétreront d'autant mieux le sens des paroles qu'ils en auront goûté la beauté, cette beauté qui doit toujours faire corps avec la liturgie, pour lui donner des ailes en direction du Paradis. Dans un ouvrage intitulé Le Catholicisme populaire (1974) un prêtre de paroisse constatait que pour les catholiques eux-mêmes « le langage liturgique traditionnel était un antique poème » dont « ils recevaient le message, d'abord au niveau de leur mémoire » puis « de leur imagination et de leur sensibilité. » La culture populaire est « surtout celle des sons, des images, des battements de coeur, » Et que dire du chant grégorien lié à cette langue « autrement musicale que le français disait le connaisseur Duruflé. La messe« traduite » est une messe de « retardataires » écrivait de son côté Mauriac. Le pape Paul VI lui-même parlait du « noble latin », mais c'était le désigner, hélas, en tant que noble comme « ci-devant. » Les catholiques doivent se garder de cet esprit révolutionnaire qui dégrade tout ; ils aiment que les saints mystères s'enveloppent d'un certain secret ; ils appartiennent au peuple que saint Pie X avait si bien compris et qui aime « à prier sur de la beauté. »

 

Cette beauté se manifeste dès le premier mot de notre canon romain.

 

Le TE, ce VOUS complément direct, projeté en avant, que seul permet le latin, fait penser à un autre joyau de notre liturgie : le TE DEUM entièrement construit sur cette projection du VOUS au début de la phrase et de toutes ses parties.

 

Le latin tutoie toujours alors que le français ne se le permet plus qu'en poésie.

Lors de la Renaissance païenne, les pédants qui faisaient la loi étaient en adoration devant le grec et le latin classiques ; ils tentèrent d'en imposer les modes au génie français. Lors de la mort de son fils chéri, François Ier pria le Seigneur en le tutoyant. Mais cette manière archaïque n'a subsisté que chez les protestants, non sans quelques résistances, puisque, au XVIIIème siècle, un pasteur calviniste suisse demande à Montesquieu si c'est bien convenable. En régressant vers les réformés, la néo-liturgie s'est écartée des bonnes manières. Dans L’Ami du Clergé (22.04.1965) le savant abbé Carmignac rappelle pourtant que l'hébreu lui-même possède bel et bien « spécialement pour Dieu un pluriel d'excellence ou de majesté qu'il utilise toujours avec le terme ELOHIM, Dieu, et ADONIM, Seigneur, et parfois avec d'autres termes.

 

Cette particularité est d'autant plus curieuse qu'on sait avec quelle intransigeance l'Ancien Testament pourfend le polythéisme. De toute façon, le TU français sent l'irrespect et le sans-gêne, sinon le refus de toute supériorité comme en 89. Arguera-t-on d'intimité ? Rien n'est justement plus contraire au génie de la prière publique.

 

Très tôt, dès avant le Xème siècle, la foi dans le renouvellement sacramentel du sacrifice du Seigneur a donné l'idée aux enlumineurs de représenter au début du canon le Christ en croix sur le T initial à cause de sa forme. Le prêtre devait même déposer sur cette croix un baiser ; pour cette raison, la composition finissant par couvrir toute une page, une petite croix fut ajoutée au bas de la grande image. A partir du XIIème siècle, ce baiser fut transféré à l'autel, autre symbole du Christ Prêtre et Victime puisqu'il est signé de cinq croix rappelant les cinq plaies du Sauveur.

 

De toute façon les nouvelles prières commencent toutes par le V de VERE SANCTUS : Toi qui es vraiment saint, s'adressant au Père, alors que SANCTUS s'achève par le BENEDICTUS, béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. La cohérence est d'autant moins grande que le triple SANCTUS précédent fait penser à la Trinité tout entière et que les pièces originelles auxquelles le VERE SANCTUS a été emprunté s'appliquaient au Christ et introduisaient ainsi, ex abrupto, à la consécration du pain et du vin opérée par Jésus à la Sainte Cène.

 

Quant au canon d'Hippolyte, il ne contenait ni VERE SANTUS ni le SANCTUS, et il se présentait comme un tout à partir du dialogue de notre actuelle préface. L'IGITUR du canon romain rappelle l'unité primitive.

 

IGITUR

 

Le second terme de notre canon est IGITUR (donc) ; il a pour but de relier l'action de grâces à l'oblation. L'action de grâce, c'est-à-dire, en grec, « l'eucharistie » s'exprime dans la préface. Au dialogue solennel et tout à fait primitif qui la précède répond l'Amen non moins solennel de la fin du canon. Le prêtre chante la reconnaissance et la foi de l'Eglise avant de présenter son offrande à l'agrément divin. Il se met, comme l'indique le mot (PRAE-FARI) en présence de Dieu et non des fidèles car c'est à Lui qu 'il s'adresse. Dès le dialogue, il ne se tourne plus vers eux pour le DOMINUS VOBISCUM ; et à l'invite du SURSUM CORDA, ils répondent : HABEMUS AD DOMINUM. « Nous nous tournons vers le Seigneur » ; eux aussi c'est à Dieu qu'ils s'adressent, non au prêtre qui leur fait face.

 

L'orientation est la même pour le célébrant et les participants. Comme pour la conservation du canon en latin, il s'est trouvé des sages pour demander que la liturgie de la parole se distinguât de celle du sacrifice. Mais les révolutions sont plus faciles à lancer qu'à retenir. La messe « face au peuple » n'est qu'une « messe à l'envers » disait Paul Claudel scandalisé par cette nouvelle mode qu'aucune tradition ne justifie.

 

Dans les maisons particulières où la persécution obligeait les premiers chrétiens à se réunir, l'assemblée se tournait vers le mur oriental signé d'une croix. Plus de quarante sermons de saint Augustin s'achèvent par la formule « et maintenant tournés vers le Seigneur » - CONVERSI AD DOMINUM. Jusqu'à nos jours, la liturgie lyonnaise qui plaçait le trône de l'évêque face au peuple amenait le pontife avec toute sa suite devant l'autel pour la célébration eucharistique face à l'Orient. On peut même dire qu'à partir du XVIème siècle où la règle de l’orientation fut abandonnée, l'esprit n’en persista pas moins, non seulement dans maintes rubriques mais dans le fait que le chevet de l’Eglise était occupé par un retable très solennel ou un très bel autel vers lequel prêtre et fidèles se tournaient également.

 

Il s'agit là de beaucoup plus qu'une habitude, il s'agit d'une tradition pleine de sens à l'inverse exactement de la Religion de l'Homme : tout diriger vers Dieu (SOLI DEO HONOR ET GLORIA). «. A Lui seul gloire et honneur dans les siècles. » (St. Paul II. Tim). Comment la néo-liturgie, si gonflée d'elle-même, a-t-elle pu en arriver à faire mentir la messe jusque dans nos cathédrales et églises orientées, quand la prière publique est tout illuminée du symbolisme solaire, par ses fêtes-clés, ses heures, son renouvellement annuel ? Cela relève de la barbarie.

 

Le fin du fin serait maintenant de rassembler autour d'une table le plus grand nombre de djellabas pour ne dire qu'une seule messe. Mieux vaut la concélébration avec les Anges dont parle la préface et qu'illustre si bien l'art de la chapelle de Versailles. Partout, entre toutes les arcades, apparaissent des Anges qui invitent l'assistance à se ressouvenir de la passion du Seigneur, pendant qu'au-dessus de l'autel d'autres se penchent avec amour ; un grand Ange guide du doigt les regards vers la voûte qui, à l'Orient, au-dessus, représente la résurrection.

 

 

LA VRAIE CONCELEBRATION

 

Si L’IGITUR relie le canon à la préface il n’est pas douteux que la préface ait attiré le SANCTUS. Elle s'achève sur la magnifique évocation des Anges que la vision d'Isaïe et l'Apocalypse montrent entourant le Trois-Fois-Saint. Le Seigneur est vraiment le « Dieu des armées célestes » : DEUS SABAOTH. La plus élémentaire connaissance de la liturgie aurait dû empêcher de traduire très déistement cette expression par « Dieu de l'univers » ou pourquoi pas plus franchement et drôlement : « Dieu des étoiles »... ! A croire que les bergers de Bethléem avaient la berlue quand ils ont fait pareille confusion et qu'ils ont entendu les astres leur parler ! Mais voilà, il ne doit plus y avoir « d'armées. » Si les Anges s'en mêlent maintenant ! Eh bien, oui, ils s'en mêlent, avec pour chef saint Michel. La néo-liturgie ne lui offre plus qu'un siège, le 29 septembre, avec les deux autres archanges et la prière de Léon XIII après la messe est une vieille lune. Le concile ne sait plus ce que c'est que « l’Eglise militante. » Dialogue et liberté partout ! La démobilisation a modifié nombre d'oraisons. Contentons-nous de la dernière en date, avant la naissance conciliaire du « chrétien d'aujourd'hui » :  la postcommunion de la fête du Christ-Roi : « Nourris de l'aliment qui donne la vie éternelle, Seigneur, nous qui sommes fiers de combattre sous les insignes du Christ-Roi, nous vous demandons de régner pour toujours avec lui dans le ciel. » Cela devient : « Après avoir partagé le pain de l'immortalité, nous te supplions, Seigneur, nous qui mettons notre gloire à obéir au Christ, Roi de l'univers, fais que nous puissions vivre avec lui, éternellement, dans la demeure du ciel. »

 

CLEMENTISSIME PATER

 

A la démilitarisation ne peut correspondre qu'un Dieu sans justice, dont on ne veut plus voir que la bonté. Mgr Baussart, auxiliaire de Paris, nous disait avant le Concile : le grand danger de notre temps est le quiétisme. Il est certain que la liturgie nouvelle penche du côté du Dieu de Marcion. Dès la traduction moderne et officielle du CLEMENTISSIME PATER, on en a le sentiment.

 

Quand Corneille intitule sa tragédie de Cinna .« la clémence d'Auguste », il emploie ce terme dans son sens exact, signifiant que la bonté s'exerce alors que ce devrait être la justice et une justice d'autant plus sévère que plus haute est l'autorité offensée et plus grave la faute. Rien ne convient mieux pour s'adresser à la divine Majesté de la part des pauvres pécheurs que nous sommes. Nous avons tant de peine à pardonner les offenses faites à nos petites et susceptibles personnes, malgré la volonté du Seigneur : « Bienheureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde. » L'humilité, le sens de notre misère s'imposent en présence du Seigneur trois fois Saint. Telle est l'atmosphère générale de notre canon romain et de lui seul. Quoi de plus utile en ces temps où l'on a perdu le sens du péché parce que d'abord le sens de Dieu ? La religion rousseauiste de l'homme a tout envahi. Voilà ce que devrait combattre une liturgie adaptée aux besoins de notre temps.

 

Or il faut constater l'orientation contraire, dès la mauvaise traduction du CLEMENTISSIME PATER, Père très clément, par « Père infiniment bon » ! Sans doute le terme de clément rappelle-t-il dans notre canon l'usage du vieil empire romain (de même que le titre de « Souverain Pontife » que portaient les empereurs et que la nouvelle liturgie vient de supprimer ainsi que la messe créée par Pie XII) . Mais la Vulgate n'a pas trouvé de terme plus juste dans la prière solennelle de Moïse sur le Sinaï.

….. 

 

PER JESUM CHRISTUM FILIUM TUUM DOMINUM NOSTRUM

 

Les premiers mots de la Préface et du Canon mettent en la présence du « Seigneur saint, Père tout-puissant, Dieu éternel »  infiniment juste et infiniment bon ; il est la clémence même. Sa toute-puissance, il la met au service de sa miséricorde, comme dit une des plus belles oraisons du dimanche. « II nous a envoyé son propre fils  chercher et sauver ceux qui étaient perdus » ; c'est-à-dire tous les hommes. Avec quelle piété, quelle reconnaissance, quelle confiance, le Prêtre prononce-t-il le «« Par Jésus-Christ votre Fils Notre Seigneur » PER JESUM CHRISTUM FILIUM TUUM, DOMINUM NOSTRUM. Jésus est le Fils de Dieu, l'objet de toutes ses complaisances. Impossible de mesurer l'amour qui l'unit au Père et qui est le Saint-Esprit. Comme Dieu, il est notre Créateur et Providence, personne n'échappe à son domaine. Comme homme, il est le premier de toutes les créatures, prenant leur tête, agissant et parlant en leur nom. Comme Sauveur, il est l'inépuisable source du pardon pour celui qui fait humblement pénitence. Quelle merveille que cette médiation qui relie terre et ciel ! Quelle joie, spéciale au canon romain d'y répéter plusieurs fois le PER CHRISTUM DOMINUM NOSTRUM en attendant qu'il s'épanouisse dans cette extraordinaire et sublime finale, si belle que les nouvelles « prières eucharistiques » ont dû l'emprunter.

 

Le prêtre lève solennellement les mains et ses yeux se portent au ciel en même temps que sur le crucifix. Il s'incline ensuite profondément pour baiser l'autel dont les cinq croix gravées rappellent les cinq plaies du Sauveur et qui contient des reliques de martyrs et confesseurs entraînés par sa grâce dans son sacrifice. La messe se célèbre donc aussi a « en l'honneur » des saints, comme le rappelle la dernière oraison de l'offertoire (maintenant supprimée) . Nous comprenons que le Seigneur se rend à nouveau présent pour nous associer comme eux à son oblation sacrificielle à son Père.

 

Par cette profonde inclination, le prêtre se considère tout le premier indigne des mystères qu'il va célébrer ;  il avait eu soin de le confesser franchement dans la première oraison d'offertoire (aujourd'hui disparue). Le mot latin SUPPLICES qui accompagne son geste comme il l’accompagnera également dans le SUPPLICES TE ROGAMUS d'après la consécration, est un terme très fort. Il rappelle l'attitude du condamné offrant sa tête au glaive de la justice (d'où notre mot « supplice »). Mais ici le prêtre sait que le Christ est mort à notre place, car lui seul pouvait expier nos fautes. Alors, devant un tel amour, les mots se pressent sur ses lèvres : « Humblement prosternés, nous vous demandons, nous vous conjurons d'avoir pour agréables et de bénir ces dons, ces présents, ces offrandes saintes et pures ». Et à chacun de ces trois mots, le prêtre trace le signe de la croix sur les oblats pour signifier qu'ils vont être la matière du renouvellement sacramentel du sacrifice du Calvaire. Au cours du canon romain, le prêtre renouvellera souvent ces signes qui sont en même temps des bénédictions tant que la consécration n'est pas faite. Après ces bénédictions, le prêtre garde les mains levées en position d'orant, comme dans les catacombes. La sobriété et l'heureux conservatisme romain n'ont pas admis les bras étendus en croix comme au Moyen Age.

 

Il prie d'abord (IN PRIMIS) pour la paix, la garde, l’unité, l'heureux gouvernement de l'Eglise tout entière dont il est, à la messe, le représentant consacré. Il l'appelle clairement « catholique » ; l' « Unique peuple des rachetés »  a un nom précis. Daigne le Père entourer la nouvelle Jérusalem d'un rempart et d'un avant-mur de défense. Daigne Dieu poster sur ses murailles des gardes vigilants, soucieux de ne point laisser pénétrer l'erreur qui divise et qui démolit jusqu'à l'autorité puisque la foi seule nous fait reconnaître le successeur de Pierre comme jouissant après le chef des Apôtres du privilège et du devoir de confirmer ses frères. » Pour lui, le Seigneur a prié afin qu'il ne défaille pas. Pour lui, nous vous prions nous-mêmes, ô Père très clément, ainsi que pour notre évêque et pour tous ceux qui sont dans la droite doctrine, qui partagent avec nous la même croyance catholique et apostolique ».

 

Notre traduction vient de choisir l'application de la finale de la première prière du canon aux fidèles en général. La traduction officielle ne parle que de la hiérarchie : « Nous vous présentons nos offrandes en même temps pour votre serviteur notre Pape N., notre évêque N., et tous ceux qui veillent fidèlement sur la foi catholique. » Comme nous en avons tous  « la garde obligée », selon Dom Guéranger, le texte officiel ne pose pas de problème. Il confirme lui-même l'insistance de notre commentaire sur le CUSTODIRE, c'est-à-dire la sauvegarde, la défense, le maintien d'une foi exacte, vraiment catholique et apostolique. Aucune prière eucharistique nouvelle ne présente la même caractéristique. Il est toujours loisible d'arguer qu'il n'est pas possible de tout dire à propos de tout, mais il est tout de même étrange que dans un canon aussi court que celui d'Hippolyte, ait été supprimée la demande finale d'être « confirmés dans la foi »...

 

Dans la traduction officielle, basée sur une étude critique de Dom Batte, l'UNA CUM ou « en union avec » des sédévacantistes de toute nuance n'équivaut plus qu'à la conjonction « et » renforcée soit pour le besoin de reprendre la phrase, soit pour correspondre au style solennel du canon romain. De toute façon, tout catholique reste toujours en union avec le Pape dans la sphère précise où s'exerce l'assistance divine, infaillibilité confirmée par le fait que dès qu'il y a écart de la tradition dogmatique, le discours papal s'empêtre dans des contradictions.

 

Recueillons le bon grain, sachant que pour le reste, il est plus nécessaire que jamais de demander à Dieu, avec les très antiques Litanies Majeures, que soient « conservés dans la sainte religion » les « ordres ecclésiastiques » et le « Seigneur apostolique » lui-même : UT DOMINUM APOSTOLICUM ET OMNES ECCLESIASTICOS ORDINES IN SANCTA RELIGIONE CONSERVARE DIGNERIS, TE ROGAMUS, AUDI NOS.

 

 

MÉMENTO DES VIVANTS

 

MEMENTO, DOMINE, FAMUL OR UM, FAMULARUMQUE TUARUM... ET... ET OMNIUM CIRCUMSTANTIUM, QUORUM, TIBIFIDES COGNITA EST, ET N07A DEVOTIO, PRO QUIBUS TIBI OFFERIMUS, VEL QUI TIBI OFFERUNT HOC SACRIFICI UM LA UDIS PRO SE, SUISQUE OMNIBUS PRO R117DEMPTIONE ANIMAR UM S UAR UM, PRO SI'E SAL UTIS ET INCOLUMITATIS SURE TIBIQUE REDDUNT VOTA SUA,ETERNO DEO, VIVO ET VERO.

 

Souvenez-vous, Seigneur, de ceux que nous Vous recommandons, vos serviteurs et vos servantes... et de tous les fidèles ici présents, dont Vous connaissez la foi et la piété. Nous Vous offrons ce Sacrifice de

louange et ils Vous ,offrent, pour eux-mêmes et pour leur famille. Ils en attendent la rédemption de leurs âmes, leur salut et leur conservation. C'est à Vous qu'ils offrent leurs vœux, à Vous le Dieu éternel, vivant et véritable.

 

 

MEMENTO DES VIVANTS

 

GLORIA FILIORUM PATRES EORUM.

 

« souvenez-vous, seigneur de vos serviteurs...

et de vos servantes... : FAMULORUM FAMULARUMQUE TUARUM.

 

Pour les prières nouvelles, le Pape seul a droit au titre de serviteur, mais pas les simples fidèles, sauf dans les oraisons des défunts, nous verrons pourquoi. Les Pères Roguet-Rouillart pitoyables traducteurs du MEMENTO romain, ont mis le mot « serviteur » entre parenthèses et celui de servante a disparu, démocratie oblige. Rien n'est plus beau pourtant que de se vouloir les serviteurs et les servantes de Dieu. Quelle assurance d'être entendu, d'être exaucé, que de faire partie de sa maison ! Nous avons été créés pour l’aimer et pour le servir. La liberté nous a été donnée pour cela, pour que nous en ayons le mérite. En soi, elle n'existe pas, elle n'existe qu'en s'exerçant et elle s'exerce d'autant plus qu'elle entre dans les vues du Seigneur qui seul est libre parce que tout-puissant. Les moins libres des hommes sont ceux qui croient l'être le plus, les dévergondés sans loi, esclaves de leurs mauvais instincts. Les plus libres des hommes sont les serviteurs et servantes de Dieu. Ces expressions-là, il convient au plus haut point de les garder.

 

Que demande pour eux le prêtre, pour « ceux dont la foi et la piété sont connues », présents ou absents ?« La rédemption de leurs âmes, la sécurité et le salut qu'ils espèrent. » Il faut mettre l'accent sur ce mot d'âme ; il n'a plus cours que dans le canon romain où les traducteurs ont d'ailleurs trouvé le moyen de l'éliminer. Or il s'agit d'un terme capital nécessaire à « l'homme d'aujourd'hui. » Pour notre époque matérialiste, l'âme n'existe plus et cette erreur a pénétré jusque dans l'Église, cette « vigne ravagée » déplorée par von Hildebrand ; il a relevé « la négation de l'immortalité de l'âme, de la distinction entre âme et corps chez le R.P. Schillebeecks » (V.R. p. 22-23). ,. Le mythe de l'âme immortelle vient de l'Orient » écrit sans barguiner un certain Frère Pierre Pascal (La Vie Catholique illustrée : 23.07.1975). Le judaïsme antique ne le connaît pas. Pour la Bible, quand l'homme disparaît tout s'en va. Il a pourtant cette promesse qu'à la fin des temps, il sortira du néant où la mort l'aura plongé pour ressusciter corps et âme. Plus tard la théologie chrétienne a repris pour son compte la croyance à l'immortalité de l'âme. Aujourd'hui toutefois certains croyants et certains théologiens remettent en question cette conviction. Cette dernière ne fait d'ailleurs pas partie de l'affirmation centrale de la foi : « le Christ est ressuscité ; lorsqu'il viendra, nous ressusciterons avec lui. .» A se demander le cas que ce théologien moderne fait du CREDO que le Pape Paul VI estima nécessaire de publier lors de « l'Année de la Foi. » Le Pape y insistait volontairement sur l'existence de l'âme immortelle. Eh bien, la non-traduction d'ANIMA, l'âme, dans le canon romain n’est pas innocente parce que la même suppression a défiguré le DOMINE NON SUM DIGNUS d'avant la communion. Bien pis le nouveau NON SUM DIGNUS récité une seule fois, prêtre et fidèles ensemble, ne comporte plus L'ANIMA même en latin . Elle s'est envolée jusque des nombreuses oraisons pour les défunts remplacée par un « serviteur » bien utile. Qu'est-il besoin alors de prier pour les défunts puisqu'ils n'existent plus ? Que signifie au juste l'expression des nouvelles prières sur la mort « dans l’espérance de la résurrection » ? A l'instant suprême, est-ce à la résurrection de nos corps que nous pensons ou bien à paraître aussitôt devant Dieu, à le rejoindre enfin dans sa lumière ?

 

 

COMMUNICANTES

 

 

COMMUNICANTES ET MEMORIAM VENERANTES IN PRIMIS GLORIOSe SEMPER VIRGINIS MARLIE GENITRICIS DEI ET DOMINI NOSTRI JESU CHRISTI : SED ET BEATI JOSEPH, EJUSDEM VIRGINIS SPONSI ET BEATOR UM APOSTOLOR UM AC MARTYRUM TUORUM PETRI ET IAULI, ANDREIE, JACOBI, JOANNIS, THOMIE, JACOBI, PHILIPPI, BARTHOLOMIEI, MATTHIEI, SIMONIS, ET THADDEI, ,LINl, CLETI, CLEMENTIS,XYSTI, CORNELII, CYPRIANI, LAURENTH, CHRYSOGONI, JOANNIS ET PAULI, COSMIE ET DAMIANI : ET OMNIUMSANCTOR UM T UOR UM QUORUM MERITIS PRECIBUSQUE CONCEDAS, UT IN OMNIBUS, PROTECTIONIS TUIE MUNIAMUR AUXILIO. PER EUMDEM CHRISTUM DOMINUM NOSTRUM. AMEN.

 

Unis avec eux dans une même communion, nous vénérons la mémoire de la glorieuse Marie toujours Vierge, Mère de notre Dieu et Seigneur Jésus-Christ, et ensuite du bienheureux Joseph, époux de la Vierge, et de vos bienheureux Apôtres et Martyrs, Pierre et Paul, André, Jacques, Jean, Thomas, Jacques, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Simon et Thadée, Lin, Clet, Clément, Xiste, Corneille, Cyprien, Laurent Chrysogone,Jean et Paul, Côme et Damien et de tous vos Saints. Parleurs mérites et leur intercession, daignez nous accorder en toutes choses le secours de votre protection. Par le même Jésus-Christ Notre Seigneur. Ainsi soit-il.

 

 

MORIBUS ANTIQUIS RES STAT ROMANA VIRISQUE  (ENNIUS)

 

Le COMMUNICANTES occupe une place importante dans le canon romain et c'est une grave erreur d'avoir rendu facultative la liste des martyrs nommément commémorés. Car nous avons là un écho de ces « litanies » qui furent l'une des expressions liturgiques les plus primitives. Nous y retrouvons aussi l'atmosphère virile des premiers siècles de l'Église où le sang des martyrs fut une semence de chrétiens. Avant de songer à célébrer les saints « confesseurs » (c'est-à-dire non-martyrs), ce sont les héros qui avaient répandu leur sang pour le Christ et en union avec lui qui étaient vénérés par dessus tout.

 

Il n'est encore question que d'eux dans notre canon romain comme dans notre antique TE DEUM qui nous en exalte  « la blanche armée. » Armée, le mot est très juste, car qu'il s'agisse de la période décrite par les Actes des Apôtres où les chrétiens sont, dans leurs chefs, en butte à la haine juive, qu'il s'agisse des siècles de la persécution romaine, non sans lien avec la première, où les disciples du Christ furent poursuivis et martyrisés par un puissant empire qui s'imaginait menacé et qui ne pouvait accepter une religion allant à l'encontre de ses jeux et de ses débauches-, les premiers chrétiens ne se laissèrent pas assimiler aux autre, refusèrent de faire brûler l'encens sur les autels des « divins empereurs. » Il faut imaginer ce qu'il a fallu, dans ces premiers âges, de grâces, de foi et de courage, accompagnés souvent de miracles bien nécessaires, pour venir à bout de tels obstacles, pour soulever la lourde chape du paganisme où tout était dieu excepté Dieu lui-même, pour faire de la capitale de l'erreur celle de la vérité, de la puissance terrestre acquise par le fer, une puissance acquise par la croix, inversant ROMA en AMOR.

 

Est-ce qu'il n'y a pas sans cesse à en remercier le Ciel ? Que les prières eucharistiques sorties de bureaux modernes confortablement tapissés n'y aient pas songé, cela s'explique, hélas ! Mais que le canon d'Hippolyte appelé « tradition apostolique » et composé avant la paix de Constantin ne comporte aucune mention des martyrs n'est pas à son honneur.

 

Il ne parle même pas, quel étrange oubli chez un prêtre de Rome ! de saint Pierre et de saint Paul qui ont fondé la ville éternelle dans leur sang. Ils ne sont pas non plus cités par les deux autres eucharisties. C'est le black-out complet, collégialisme oblige. Le nouveau CONFITEOR ne connaît plus les deux grands apôtres. Et la nouvelle messe achève de les enterrer en supprimant les deux oraisons qui les nommaient : la dernière de l’offertoire et celle amputée qui suit le PATER. L'oraison du 22 février, fête de « la Chaire de saint  Pierre », parlait du pouvoir des clefs (plutôt gênant) ; elle est remplacée par une autre, glissante, où l'Église est fondée non sur Pierre mais « sur la foi de Pierre », à savoir, disent les Protestants, sa déclaration : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant... » L'esprit anti-romain de Vatican II se couvrait par exemple d'une opposition possible mais anormale : l'autorité est un service, non un pouvoir (Cf. Fesquet, Le Monde, 22.10.63).

 

 

IN PRIMIS GLORIOSIE SEMPER VIRGINIS MARIAE

 

La bienheureuse Vierge Marie, Mère de notre Dieu et Seigneur Jésus-Christ, figure dans toutes les prières, mais dans le CONFITEOR nouveau, le mot toujours Vierge, SEMPER, n'a pas été traduit. Cette précision est même absente dans les trois nouvelles prières. Dans le canon romain, c'est le titre de glorieuse, GLORIOSIE, qui n'a pas eu l'heur de plaire aux Révérends Roguet-Rouillart. Il était pourtant appelé par son humilité même et par sa conséquence, la gloire de l'Assomption en corps et en âme. Marie n'est-elle pas la Reine des Martyrs, elle dont le coeur fut transpercé, au pied de la croix, du glaive mystérieux qui rappelle celui de l'Ange gardant l'accès du Paradis fermé ? Désormais, la nouvelle Eve nous en rouvre la porte. Il n'est pas certain cependant, que la mention de la Mère de Dieu soit aussi ancienne dans le canon que celle de saint Pierre et de saint Paul.

 

On sait qu'au Concile lorsque le Pape consacra le titre de «« Marie mère de l'Église », il y eut quelque mauvaise humeur. Alors qu'on eût attendu le titre de Marie-Corédemptrice, on a senti passer le vent protestant. La liturgie nouvelle est même retournée à la froideur janséniste : désormais le titre d'« Annonciation de la Bienheureuse Vierge Marie » a livré la place à l'« Incarnation du Fils de Dieu. » Mgr d'Astros s'étonnait de ce que Dom Guéranger n'approuvât pas pareille nouveauté gallicane. Il lui disait : « Célébrer la grandeur du Fils, n'est-ce pas exalter la gloire de la Mère ? » Le grand « Docteur de la liturgie » répondait : « Non, Monseigneur, célébrer les grandeurs de la Mère, c'est exalter la gloire du Fils. » (Dot. d'Astros, p.194).

 ….. 

 

LA PREMIERE LISTE DES SAINTS

 

On sait que Jean XXIII introduisit saint Joseph dans le canon. Ce ne fut pas sans protestation de « l'aile marchante. » Soucieux déjà du futur 89 de l'Église, le P. Congar regretta cette insertion « motu proprio », tandis que les Informations Catholiques Internationales opposaient à ce changement l'excellent conservatisme orthodoxe. Elles se sont bien rattrapées depuis. Désormais la mention de saint Joseph reste une prérogative du canon romain.

 

Après le saint époux de Marie commence une liste de vingt-quatre noms où aux douze disciples répondent symétriquement douze martyrs : cinq papes, à partir du premier successeur de Pierre, un évêque, saint Cyprien, un diacre, saint Laurent, troisième protecteur de Rome, et cinq laïques. L'ordre hiérarchique est observé. Le dernier pape cité, Cornelius, est mort en 253. Saint Cyprien, évêque de Carthage, fut martyrisé en 258.

 

A plusieurs reprises, saint Augustin a prononcé son panégyrique, mais déjà son culte était célébré à Rome. Tous les autres martyrs étaient de même populaires dans la ville éternelle qu'ils en soient ou non originaires, mais tous y avaient leurs reliques, sauf saint Cyprien l'Africain.

 

Dans la liturgie propre à d'autres églises, par exemple la messe ambrosienne de Milan, la liste ne mantionnait que les saints locaux. Mais l'esprit du diptyque romain est le même. C'est pour les prêtres qui énumèrent ces noms glorieux un acte de romanité. C'est affirmer aussi que la « chose romaine », RES ROMANA, comme s'exprimait le vieil Ennius doit à ses martyrs, à leur courage, à leur foi insigne, sa prééminence et sa stabilité.

 

A une époque où l'empire romain aimait se réclamer des hommes illustres qui avaient fait sa rondeur, le saint Augustin de la Cité de Dieu pouvait écrire fièrement après Tertullien que d'autres héros les avaient surpassés : « Convoite plutôt notre bonheur, ô nature romaine si digne d’éloges- Garde-toi de le confondre avec l'infâme frivolité et l’imposture des idoles ! Les dons naturels qui méritent en toi des louanges, seule la vraie piété peut les purifier et les parfaire ; l’impiété, elle, les gaspille et attire sur eux le châtiment... Autrefois tu as connu la gloire, mais par un mystérieux jugement de la divine Providence, la vraie religion a manqué à ton choix. Réveille-toi, il fait jour ! Comme tu tes réveillée en certains des tiens dont la vertu parfaite et même les souffrances endurées pour la vraie foi sont notre gloire ! En se dressant sans répit contre les puissances les plus hostiles et en triomphant par leur mort courageuse, ils nous ont, par leur sang, enfanté notre patrie : SANGUINE NOBIS IIANC PATRIAM PEPERERE SUO (Enéide, XI, 24-25). C'est cette patrie que nous t'invitons à rejoindre... C'est dans cette patrie que tu régneras véritablement et toujours, car là ce n'est plus le foyer de Vesta ni la pierre du Capitole, c'est le Dieu unique et véritable « qui ne fixe à ta puissance ni bornes ni durée et te donnera un empire sans fin „ (Enéide 1, 278-279). Renonce à te tourner vers les dieux faux et trompeurs ! Rejette-les plutôt avec mépris, dans ton essor vers la vraie liberté : IN VERAM EMICANS LIBERTATEM (II, XXIX, 1-2). » Voilà le souffle qui passe dans l'antique et incomparable canon de la Rome catholique, notre mère, écrivions-nous dans Itinéraires (n 230). C'est moins que jamais le moment de s'emberlificoter dans les méandres et les compromissions d'une diplomatie qui ne sauve rien ou dans la naïveté d'un pacifisme invertébré. L'Église a besoin de savoir que ce que le monde inquiet attend d'elle est tout autre chose pour ré accéder à la « vraie liberté »», celle qui ne peut à nouveau briller que par une Rome forte, sainement rajeunie. IN VERAM EMICANS LIBERTATEM.

 

Le canon romain compte sur le trésor des mérites des Saints. Cela n'est pas protestant. Aussi le trésor est-il épuisé pour les nouvelles Prières. On ne profite plus de ces mérites.

 

Le COMMUNICANTES des grandes tètes de Noël, de l'Épiphanie, de Pâques, de l'Ascension, de la Pentecôte comporte l'insertion d'une formule appropriée où la distinction de Noël et de l’Épiphanie est fort claire. Et à Pâques comme à l'Ascension, le réalisme de la Résurrection n'est pas moins affirmé que pour l'Ascension où Notre Seigneur nous est montré entrant au Ciel avec notre nature : une belle correction pour les nouveaux catéchismes.

 

Dom Guéranger raconte, dans l’ANNÉE LITURGIQUE, pour le 5 Mai, fête de saint Pie V :

 

« Traversant un jour, avec l'ambassadeur de Pologne, la place du Vatican, qui s'étend sur le sol où fut autrefois le cirque de Néron, il (le saint Pape) se sent saisi d'enthousiasme pour la gloire et le courage des martyrs qui souffrirent en ce lieu dans la première persécution. Il se baisse, et prend dans sa main une poignée de poussière dans ce champ du martyre, foulé par tant de générations de fidèles depuis la paix de Constantin. Il verse cette poussière dans un linge que lui présente l’ambassadeur ; mais lorsque celui-ci, rentré chez lui, ouvre le linge, il le trouve tout imprégné d'un sang vermeil que l'on eût dit avoir été versé à l'heure même : la poussière avait disparu.

 

La foi du Pontife avait évoqué le sang des martyrs, et ce sang généreux reparaissait à son appel pour attester, en face de l'hérésie, que l'Église romaine, au XVIème siècle, était toujours celle pour laquelle ces héros avaient donné leur vie sous Néron. »

L'Église est le Christ continué, même dans sa Passion.

 

L'insistante mémoire des martyrs au Canon romain (ainsi que les reliques dans l'autel) est chose fondamentale, dans la logique de l'Incarnation. L'Église, née du cœur percé de Jésus, devait être fondée dans le sang des martyrs. Cela reste la loi de sa perpétuité et la messe en est le sacrement. Si la messe n'est pas un sacrifice entraînant le nôtre, la foi est vaine car la résurrection qui la fonde n'a plus de raison d'être.

 

Saint Grégoire le Grand, chaque dimanche de Quasimodo, commente ainsi la parole de Notre Seigneur « Comme mon Père m'a envoyé, ainsi je vous envoie » :  « Le Père a envoyé le Fils, en décrétant qu'il s'incarnerait pour la rédemption du genre humain. Il a voulu qu'il vînt dans le monde pour y souffrir et quoiqu'il ait exposé son Fils à la souffrance, il n'a pas laissé de l'aimer. Aussi les Apôtres qu'il a choisis, le Seigneur ne les envoie-t-il pas dans le monde aux joies du monde, mais Il les envoie, comme Il a été envoyé lui-même, à la souffrance. Or comme le Père aime son Fils quoiqu'il l'expose à la croix, ainsi le Maître aime ses disciples quand il les envoie pourtant par le monde pour y souffrir. Comme mon Père, dit-il, m'a envoyé, moi aussi je vous envoie, c'est-à-dire, lorsque je vous expose aux embûches des persécuteurs, je vous aime de ce même amour dont m'aime mon Père . » Et quel amour infini !

 

La distance est vraiment infranchissable entre la messe catholique et la Cène-repas commémoratif, entre la vraie pensée chrétienne et le prétendu Père-bourreau » imaginé par les « ouverts-au-monde » conciliaristes et conciliants.

 

 

IX - HANC IGITUR

 

HANC IGITUR OBLATIONEM SERVITUTIS NOSTRAE, SED ET CUNCTIE FAMILLE ME, QUAESUMUS, DOMINE, UT PLACATUS ACCIPIAS, DIESQUE NOSTROS IN TUA PACE DISPONAS, ATQUE AB IETERNA DAMNATIONE NOS ERIPI ET INELECTORUM TUORUM JUBEAS GREGE NUMERARI: PER CHRISTUM DOMINUM NOSI RUM AMEN.

 

 

Cette oblation de notre servitude qui est aussi celle de toute votre famille, nous Vous prions donc, Seigneur, de la recevoir favorablement ; établissez nos jours dans votre paix, délivrez-nous de la damnation éternelle et admettez-nous au nombre de vos élus. Par Jésus-Christ Notre Seigneur. Amen.

 

 

HANC IGITUR

 

Avant de prononcer cette prière et pendant tout le temps qu'il la récite, le prêtre tient les deux mains étendues au-dessus de l'hostie et du calice. Cette imposition des mains, dans le rite eucharistique, est déjà représentée sur une fresque de la Catacombe de Callixte (IIIème siècle). II s'agit de la sanctification des oblats destinés au sacrifice.

 

Comme la prière s'adresse à un Dieu fléchi, rendu propice, apaisé, l'idée de propitiation, d'expiation y est nettement marquée. Le geste de l'imposition des mains a fini alors par s'imposer, rejoignant le sens du Lévitique (I, 4 et XVI, 20-21). Le grand prêtre, le jour de l'Expiation, tendait les mains sur la tête du bouc vivant pour le charger des iniquités des enfants d'Israël avant de l'envoyer au désert. Le prêtre chrétien se souvient que le Seigneur Jésus a assumé tous nos péchés pour apaiser son Père offensé. L'HANC IGITUR traditionnel est dans la parfaite ligne du Saint-Sacrifice offert pour la rémission de nos péchés. Eh bien, l'imposition des mains n'aura plus ce sens car la nouvelle manière d'accommoder le canon romain ne permet plus au prêtre ce geste expiatoire. Il est réduit à sa plus simple expression aux premiers mots de la prière suivante. Même brièveté dans les trois anaphores nouvelles (II, IIl et IV). Quant à la traduction Roguet-Rouillart, elle est pleinement aseptisée, sinon trahie :

 

« Voici l'offrande que nous présentons devant toi, nous, tes serviteurs et ta famille entière ; dans ta bienveillance, accepte-là. Assure toi-même la paix de notre vie, arrache-nous à la damnation et reçois-nous parmi Les élus. »

 

Qui les empêchait, ces bons Pères, de parler de la damnation éternelle comme dans le texte. Toujours la même crainte d'effrayer qui a fait supprimer, on l'a vu, ce début de consécration dans le canon d'Hippolyte : « Il s'est livré à la Passion pour abolir la mort, briser les liens du diable, fouler aux pieds l'enfer. » Mais enfin, le Seigneur est bien venu pour chasser et vaincre celui qu'il appelait redoutablement « le Prince de ce monde. » Et comment, sinon par sa croix que renouvelle la messe, sinon par cette victoire ? Il y a déjà des années que la mémoire de la croix a été supprimée pendant le Temps pascal, et plus longtemps encore la solennelle vénération de la Croix le jour de Pâques dans la liturgie gallicane ; mais enfin que penser de la récente suppression de la messe votive de la Sainte Croix ? Et du remplacement de la communion du 14 Septembre qui osait dire ; « par le signe de votre Croix, Seigneur, délivrez-nous de nos ennemis ., ? Il y aurait encore à dire à ce sujet, mais le pire, à notre avis, c'est l'épuration des oraisons de saint Camille de Lellis. En accord avec l'apostolat des Camilliens, il était demandé de pouvoir, au moment de la mort, vaincre le démon, notre ennemi, et parvenir à la récompense du ciel », de « recevoir consolation et sécurité dans la dernière agonie », d'« être réconfortés, à l'heure de notre mort, par les sacrements et purifiés de toutes nos fautes. » Tout cela se réduit à quelque chose qui fera pâmer d'admiration qui ne peut plus se reporter au missel traditionnel : « Répands en nous ton esprit d'amour, et quand nous t'aurons servi dans nos frères, nous pourrons, à l'heure de quitter ce monde, nous en aller vers toi en toute paix. » I1 n'y a plus qu'à dire AMEN .

 

A l’HANC IGITUR habituel s'ajoute à Pâques et pendant son octave une prière spéciale pour les nouveaux baptisés que le Seigneur « a daigné faire renaître dans l'eau et l'Esprit‑Saint » afin de leur accorder « le pardon de tous leurs péchés. » Il en est ainsi à la Pentecôte. L'Épître et les chants de la Vigile ainsi qu'une antienne de Vêpres rappellent aussi qu'avant 1956 cette grande fête était l'occasion, aux premiers siècles, de baptiser les catéchumènes qui n'avaient pu l'être à Pâques.

 

Ce qui a disparu ensuite avec la nouvelle liturgie, c'est l'octave de la Pentecôte.

 

 

OBLATIONEM SERVIT UTIS NOSTRAE SED ET CUNCTAE FAMILIAE TUAE.

 

Dans l’ HANC IGITUR comme dans la prière qui suit la consécration appelée « l'anamnèse », la distinction est faite entre l'oblation du prêtre et celle des fidèles, appelés ici « la famille de Dieu » et là « son peuple saint. » Ils offrent en tant que devenus prêtres par le baptême, mais le prêtre par la vertu du sacrement de l'ordre. Toute confusion sur ce point est hérétique. « On répète cette vérité incontestable en elle‑même, mais dont il est facile d'abuser... que le peuple offre avec le prêtre, afin d'étayer ce laïcisme... qui apparut avec un si éclatant triomphe dans la Constitution civile du clergé », écrivait Dom Guéranger dans les dernières pages de sa sévère et lucide critique de la liturgie de ce XVIIIème siècle où, comme de nos jours, « l'indifférence, le mépris, l'oubli même du passé fut « la grande maladie des hommes. »

 

La même prétention marqua au XVIème siècle la révolte protestante. Dans l'Ouest, autrefois, il n'y avait pas de « ramassage » (!) scolaire, bien que le bourg et donc l'école fussent éloignés souvent d'une demi‑heure, quelquefois plus. Par groupes de villages, les « gars » ‑ qui ne partaient pas à la même heure que les « filles » ‑cheminaient cartable au dos. Les routes ne sont pas droites en pays de bocage ; bordées d'arbres taillés pendant l'hiver pour le feu des maisons, elles peuvent à un tournant réserver quelque surprise, par exemple l'apparition d'un âne ‑ (il n'y en a plus maintenant qu'au figuré). Le premier des gamins qui apercevait l'innocent animal s'empressait de saisir la casquette de son voisin, la jetait dans le fossé en disant : « Tu as salué le ministre ! » Rien n'était plus déshonorant... Des batailles s'en suivaient. Cet âge est sans pitié...

 

D'où venait la curieuse coutume ?

 

D'un temps déjà lointain où les luttes religieuses troublèrent la paix de la Tradition. Les catholiques, pour se préserver d'une propagande exaspérante, associèrent à l'âne, que ses disgracieux et sonores braiements font passer pour « bête », le « ministre » ou pasteur protestant qui prétendait après quinze siècles réapprendre aux chrétiens leur religion.

 

Autre temps, autres mœurs. Dépassons l'écorce des choses pour atteindre la réalité. La vérité, c'est qu'il y a, bel et bien, une distinction profonde, inchangée, inchangeable, entre catholicisme et protestantisme. Les Réformés ne reconnaissent pas le sacerdoce, le caractère spécial divinement conféré par le sacrement de l'Ordre. Pour eux, essentiellement, tout chrétien est prêtre et roi au titre de son baptême. S'il y a des « pasteurs », c'est par spécialisation purement sociale et non sacramentelle ; ils sont des prédicants plutôt que des consécrateurs ; ils sont au service de la communauté comme « ministres », comme exerçant en son nom une fonction, un point, c'est tout.

 

'Voici ce que déclarait Luther en 1520 : « La première muraille élevée par les Romanistes est la distinction des clercs et des laïcs. On a découvert que le Pape, les évêques, les prêtres... composent l'état ecclésiastique, tandis que les princes, les seigneurs, les artisans, les paysans, forment l'état séculier. C'est une pure invention et un mensonge. Tous les chrétiens sont en vérité de l'état ecclésiastique, il n'y a entre eux aucune différence que celle de la fonction... Tout ce qui sort du baptême peut se vanter d'être consacré prêtre, évêque et pape, bien qu'il ne convienne pas à tous d'exercer cette fonction. »

 

Le pasteur Leplay, dans les « Études » d'Avril 1976, ne parle pas autrement : « Il nous faut rappeler d'abord l'importance fondamentale et l'actualité permanente, pour le protestantisme, de la doctrine du sacerdoce universel. Elle fut une des grandes institutions des Réformateurs et la plus annonciatrice des temps modernes. »

 

Rien de plus exact que ceci : les Réformateurs ont posé, sur le plan religieux, les bases de l'égalitarisme, dogme premier des démocraties, voie toute tracée vers l'égalitarisme communiste.

 

Ils l'ont fait en éliminant ou en vidant de sa substance le sacrement de l'Ordre, ce sacrement de l'action divine qui, comme son beau nom l'indique, structure le catholicisme.

 

Dès lors, tout ce qui atteint de nos jours le sacerdoce traditionnel et authentique doit être considéré comme de capitale importance. L'ordre même de la société s'en ressent.


Or il s'opère aujourd'hui dans l'Église un envahissement sournois du protestantisme égalitaire. Cela ne se fait pas par des affirmations ou des négations claires qui seraient aussitôt condamnées ou perçues de tous, mais par des mœurs, des façons d'agir et de se comporter, des nouveautés liturgiques, insensibilisant petit à petit les intelligences au risque de leur ôter, plus ou moins tôt, la faculté de réagir.

 

Au nombre des graves dangers dont la néo‑liturgie ne nous défend plus, le principal est l'oblitération du rôle sui generis du prêtre, seul sacrificateur et « donneur de sacré » comme signifie le terme de « sacerdoce. »

 

A la messe il agit persona Christi c'est‑à‑dire tenant le rôle du Christ, médiateur avec lui entre le ciel et la terre, par la grâce du sacrement de l'Ordre. Il n'est pas le délégué de la communauté des fidèles ou le simple président de l'Eucharistie. Sans lui il ne peut y avoir de consécration et donc de présence réelle substantielle ; et sans cette présence, il n'y a pas sacrifice. La messe n'est plus qu'une Cène, un partage communautaire dans le ressouvenir de la Passion du Seigneur.

 

Comme les fidèles n'entendent pas le prêtre récitant le canon et bien que ce silence même exprime qu'il s'agit d'une prière consécratoire proprement sacerdotale, la distinction que fait alors le célébrant entre le « peuple saint » et lui, est rendue sensible, ailleurs par un CONFITEOR propre et un DOMINE NON SUM DIGNUS propre et une communion séparée de celle de l'assistance jusqu'à la réservation au prêtre de la communion au Précieux Sang.

 

Or ces différences visibles ont disparu de la nouvelle messe.

 

Pis encore, la complaisance oecuméniste est allée jusqu'à la traduction‑trahison de la réponse du peuple à l'invitation sacerdotale de l'ORATE FRATRES. Alors qu'il eût fallu traduire : « Que le Seigneur reçoive de vos mains le sacrifice à la louange et à la gloire de son nom, ainsi que pour notre bien et celui de la sainte Église », on impose maintenant :

 

« Prions ensemble, au moment d'offrir le sacrifice de toute l'Église. » Comme si cela ne suffisait pas, on a supprimé toutes les prières où le prêtre parle en son nom, employant un je ou EGO sans confusion, à savoir la première oraison de l'Offertoire : SUSCIPE, SANCTE PATER et le PLACEAT de la fin de la messe, expressément voulu par saint Pie V et que voici : « Agréez, Trinité sainte, l'hommage de votre serviteur : ce sacrifice que malgré mon indignité j'ai présenté aux regards de votre Majesté ; rendez‑le digne de vous plaire, et capable, par l'effet de votre miséricorde, d'attirer votre pardon sur moi‑même et sur tous ceux pour qui je l'ai offert. Par le Christ Notre Seigneur. » Voilà qui est clair à souhait.

 

Devant de telles constatations et quand on a vu par ailleurs que les nouvelles prières, bien loin d'éviter la confusion, l'entretiennent toutes au contraire, il n'y a plus qu'à lever l'échelle. Nous sommes ici au coeur de la compromission hérético‑oecuméniste.

 

 

 

X – QUAM OBLATIONEM

 

QUAM OBLATIONEM TU, DEUS, IN OMNIBUS, QUAESUMUS BENEDICTAM, ADSCRIPTAM, RATAM, RATIONABILEM, ACCEPTABILEMQUE FACERE DIGNERIS : UT NOBIS CORPUS ET SANGUIS FIAT DILECTISSIMI FILII TUI DOMINE NOSTRI JESUS‑CHRISTI.

 

Nous vous en supplions, ô Vous, notre Dieu, qu'il Vous plaise de faire que cette oblation soit pleinement bénie, agréée, ratifiée, raisonnable et acceptable ; afin qu'elle devienne, pour nous, le Corps et le Sang de votre Fils bien‑aimé, Notre Seigneur Jésus‑Christ.

 

QUAM OBLATIONEM

 

« Je confesse que dans la messe est consommé un sacrifice véritable pour les vivants et pour les morts, que dans le très saint sacrement de l'Eucharistie, le corps et le sang en même temps que l'âme et la divinité de Notre Seigneur Jésus‑Christ sont réellement et véritablement présents, qu'il se produit une transformation de toute la substance du vin dans le sang. Cette transformation, l'Eglise la nomme la transsubstantiation. Je confesse en outre que le Christ tout entier et le véritable sacrement sont présents sous une seule espèce. » (Dans le serment solennel que tous les Pères de Vatican II durent signer dès le départ).

 

Le QUAM OBLATIONEM, qui n'a pas son pareil dans les nouvelles « prières eucharistiques », est capital pour la notion de sacrifice véritable, dûment affirmé et précisé, sans échappatoire possible.

 

La revue Concilium (1976, Sème fascicule) est intitulée : « Sommes‑nous d'accord avec Luther ? » La réponse est : Oui, c'est chose faite pour l'essentiel. Le Professeur Brosseder de Münich assure qu'en général « on peut dire que les réclamations essentielles de Luther ont été acceptées du côté catholique. » Et le Professeur Hermann Pesch met les points sur les I : « Dans la théologie et dans la liturgie, le caractère sacrificiel de la messe est devenu un adiaphoron ‑ (autrement dit, car il n'est pas donné à tous d'être pédant : une chose indifférente et non essentielle) ; en conséquence les reproches décisifs de Luther n'ont plus aucun objet. » Comme l'a constaté aussi l'éminent pasteur Melh : « Il y a bel et bien effacement de l'idée selon laquelle la messe constituerait un sacrifice... Evolution décisive de la liturgie catholique. » La réforme conciliaire de la messe a donc trahi le serment initial de tous les Pères.

 

Mais qu'entendre par sacrifice ? Dans les bonnes familles, on apprend aux enfants à faire de petits sacrifices ; il est classique aussi de parler de sacrifice de louange. Toute oblation est une louange à Dieu, puisqu'elle est un témoignage de soumission à sa divinité (Saint Thomas d'Aquin, II, II, 85, 4), mais « si l'on fait hommage à Dieu d'une chose en l'employant tout entière dans un rite sacré dont elle doit être la matière, c'est à la fois une oblation et un sacrifice (II, II, 86, 1). » Tout sacrifice est donc une oblation mais non réciproquement (II, II, 85, 3) : OMNE SACRIFICIUM EST OBLATIO SED NON CONVERTITUR. Dans le sacrifice, tout est fixé par une loi positive : la manière, l'objet, l'auteur, le destinataire, la fin. C'est le summum de l'ordre. Eh bien c'est justement ce qui caractérise le sacrifice du Christ, comme le dit avec raison le P. Menessier un véritable rituel destiné à « effacer les péchés du monde », à « remettre nos fautes », il n'y a pas eu, il ne pourra jamais y avoir de pareille « oblation sainte et de sacrifice immaculé » que celle qui à la messe renouvelle l'oblation sacrificielle du Calvaire. « Dieu a fixé éternellement, dit le Père Menessier commentant saint Thomas II, Il, 86, les détails de ce grand drame, comme il l'eût fait d'une liturgie. Le Christ montant au Calvaire en accomplit religieusement les moindres exigences. L'obéissance préside à son sacrifice. Il accomplit une volonté de Dieu que les symboles du rituel de l'Ancienne Alliance,  divinement révélés et inspirés, signifiaient par avance. Rendant à son Père selon le mode par lui fixé, l'hommage public, universel et définitif que requiert sa sainteté injuriée, il inaugure l'Alliance nouvelle. INITIAVIT RITUM CHRISTIANAE RELIGIONIS. »

 

Le grand texte de saint Paul aux Philippiens, résumant le geste sublime du Fils de Dieu fait homme « se rendant obéissant jusqu'à la mort et la mort de la Croix » est au cœur de notre messe‑sacrifice, comme de la liturgie de la Passion. Nous avons relevé plus haut l'extraordinaire énucléation subie par ce passage dans deux préfaces nouvelles. Il est absolument fondamental de placer la messe dans l'atmosphère obédientielle. Par là, le saint sacrifice est le summum de l'ordre. C'est grâce à lui que le monde subsiste, car il fait contre‑poids à toutes nos désobéissances. Rien n'est plus juste que d'appeler sacrement de l'Ordre l'ordination du prêtre, dont le rôle premier n'est pas l'apostolat mais la célébration de l'Eucharistie. Or rien aussi ne manifeste mieux que l'obéissance est la condition première de la messe, que ces précisions minutieuses et répétées de notre QUAM OBLATIONEM, au moment où vont être consacrés grâce à cela le pain et le vin au corps et au sang du Christ. Notre Seigneur est appelé alors d'une manière si douce « le Fils très aimé » du Père, DILECTISSIMI FILII TUI. Nul besoin, à ce moment, de préciser que son oblation a été pleinement volontaire et consentie : elle a été un acte d'amour infini de la part du Père comme du Fils. Et ce DILECTISSIMI a une résonance extrême dans le coeur du prêtre qui va s'identifier en quelque sorte au Christ par la consécration. Ne va‑t‑il pas être, avec lui, enveloppé de ce divin Amour ?

 

Jusqu'ici, le prêtre a parlé et prié au nom de tous les baptisés, c'est‑à‑dire de l'Eglise tout entière. Or cette Eglise est hiérarchique ; il a donc précisé dans l'HANC IGITUR, et il le fera dans l'UNDE ET MEMORES, son appartenance à un corps sacerdotal spécialement voué au Service de Dieu (SERVI­TUTIS NOSTRE) par le sacrement de l'Ordre. Mais la société ecclésiale n'a qu'une seule Tête, un seul Prêtre souverain, un seul Maître. Pour cette raison, le « nous » du célébrant ne le confond jamais ni avec les fidèles ni avec les autres prêtres. Il doit être, à la messe, comme personne unique et principale, le garant de la présence et de l'action du seul Seigneur : c'est le Christ Jésus qui doit être vu comme enseignant par sa bouche dans la liturgie de la Parole. C'est Lui qui par sa bouche va consacrer le pain et le vin de la vie éternelle : Ceci est mon corps ; ceci est le calice de mon sang. Mais il veut que son ministre lui soit réellement « configuré. » Le prêtre ne le représente pas seulement, il n'est pas un simple intermédiaire ; il devient acteur du Sacrifice avec Lui et dans sa dépendance. (On pense ici, analogiquement, à Marie co‑rédemptrice, mère du prêtre). Rien, dans la religion catholique, de la désincarnation protestante. Après avoir imposé les mains sur l'ordinand pour lui conférer le sacerdoce, l'évêque lui précise qu'il lui confère par là même un « pouvoir » propre, non aliénable et perpétuel : « ACCIPE POTESTATEM. Recevez le pouvoir de célébrer la sainte messe pour les vivants comme pour les morts. » Telle est la sublime grandeur d'un prêtre, il est un « autre Christ » et cependant il n'y a qu'un seul Christ. Nous entrons dans un mystère de foi, dans un mystère d'amour. Qui nous dira les limites de la charité de Dieu, VISCERA MISERICORDI,E DEI NOSTRI ? Jusqu'où Il se livre, jusqu'où Il s'est livré !

 

 

XI -  QUI, PRIDIE

 

QUI, PRIDIE QUAM PATERET UR, ACCEPIT PANEM IN SANCTAS AC VENERABILES MANUS SUAS : ET, ELEVATIS OCULIS IN CEL UM AD TE DEUM PATREM SUUM OMNIPOTENTEM, TIBI GRATIAS AGENS, BENEDIXIT, FREGIT,

DEDITQUE DISCIPULIS SUIS, DICENS : ACCIPE ET MAND UCATE EX HOC OMNES :

 

HOC EST ENIM CORPUS MEUM.

 

SIMILI MODO POSTAUAM COENAT UM EST, ACCIPIENS ET NUNC PMCLAR UM CALICEM IN SANCTAS AC VENERABILES MANUS SUAS :ITEM TIBI GRATIAS A GENS, BENEDIXIT, DEDITQ UE DISCIP ULIS SUIS, DICENS : ACCIPITE ET BIBITE EX EO OMNES.

 

HIC EST ENIM CALIX SANGUINIS MEI, NOVI ET AERTERNI TESTAMENTI :
MYSTERIUM FIDEI, QUI PRO VOBIS ET PRO MULTIS EFFUNDETUR IN REMISSIONEM PECCATORUM.

 

HIEC QUOTIESCUMQUE FECERITIS, IN MEI MEMORIAM FACIETIS

 

La veille de sa Passion, il prit du pain dans ses mains saintes et vénérables et ayant levé les yeux au ciel vers Vous, Dieu, son Père tout‑puissant, Vous rendant grâces, le bénit, le rompit et le donna à ses disciples en disant : « Prenez et mangez‑en tous :

 

CAR CECI EST MON CORPS.

 

De même, après la Cène, Jésus prit entre ses mains saintes et vénérables ce précieux calice, rendit grâces de nouveau, le bénit et le donna à ses disciples en disant Prenez et buvez en tous :

 

CAR CECI EST LE CALICE DE MON SANG, LE SANG DE LA NOUVELLE ET ETERNELLE ALLIANCE, MYSTERE DE FOI, QUI SERA REPANDU POUR. VOUS ET POUR BEAUCOUP EN REMISSION DES PECHES.

 

Toutes les fois que vous ferez ces choses, vous les ferez en mémoire de moi.

 

PRIDIE QUAM PATERETUR

 

O SALUTARIS HOSTIA !

 

 

Après les conditions du sacrifice précisées par l'HANC OBLATIONEM avec un luxe voulu et très romain d'adjectifs que les pédants croient des redondances inutiles, commence la consécration proprement dite et c'est en liant indissolublement le renouvellement de la sainte Cène à la Passion du Seigneur: PRIDIE QUAM PATERETUR. Ce jour où le Seigneur a institué le sacrement de son corps et de son sang, il a anticipé, sacramentellement aussi, sur l'oblation sacrificielle qu'il allait faire en sa Passion. Il a rendu par là‑même son sacrifice renouvelable de façon non sanglante et interdit à jamais de ne s'en tenir qu'à la Cène seule dans le simple souvenir de sa passion. Il a signifié aussi, par la consécration séparée du pain et du vin à son corps et à son sang la totalité, la plénitude de son immolation sur la croix, où son âme n'a pas été seule séparée de son corps par une véritable mort mais le corps lui‑même vidé de tout son sang par d'incroyables souffrances.

 

Le canon romain n'avait vraiment pas besoin, pour être sacrificiel, de l'ajout : « livré pour vous » (QUOD PRO VOBIS TRADETUR) au « Ceci est mon corps » (HOC EST ENIM CORPUS MEUM). D'autant que le texte de saint Paul auquel cette adjonction a été empruntée dit au futur : « qui sera livré. » Le traducteur a‑t‑il voulu masquer la supercherie d'un simple récit plutôt que d'une consécration ? Il aurait fallu aussi qu'il supprimât le futur : « sera versé » (EFFUNDETUR) de la consécration du vin ; il n'a point traduit : ceci est le calice de mon sang versé pour vous ... En réalité, l'ajout n'a été appliqué au canon romain que pour l'aligner sur les nouvelles prières. C'est à celles‑ci qu'on a pensé donner par là une couleur sacrificielle absente par ailleurs. Mais ces néo‑liturgistes ont commis là une faute majeure comme liturgistes ; ils n'ont pas vu que ce ne sont pas les textes scripturaires qui suffisent puisque le rôle et la fonction propre de la liturgie est de les commenter, de les préciser, de les insérer dans un écrin précieux et protecteur pour alimenter la foi et la piété. Dom Guéranger dont le sens liturgique est si sûr et profond, a pris le soin de le dire dans ses Institutions liturgiques (III, 40‑41), en citant, en bon bénédictin, celui que saint Benoît appelait « notre père saint Basile. » Pour le grand docteur oriental, dans « les paroles d'invocation qui se prononcent quand on offre le pain de l'Eucharistie et le calice de bénédiction, nous ne nous contentons pas de ce que rapporte l'Apôtre ou l'Evangile, mais nous récitons, avant et après, d'autres paroles, comme ayant beaucoup d'importance pour le mystère : TANQUAM MULTUM HABENTIA MOMENTI AD MYSTERIUM. Ce passage, dit Dom Guéranger, est admirable pour prouver l'existence d'une tradition divine et apostolique qui complète l'enseignement des Ecritures sur le sacrifice et les sacrements. N'est‑ce pas ce que le Seigneur a fait tout le premier à la Sainte Cène et que nous rappelle la liturgie : il a « eucharistié », il a inséré le mystère de la consécration dans une prière eucharistique : GRATIAS AGENS. Et lorsque tout récemment le pape Pie XII précisa le geste qui conférait le sacerdoce : l'imposition des mains, il ne manqua pas de dire que les autres gestes et paroles devaient être maintenus pour donner tout son sens à la sacramentelle imposition des mains. En a‑t‑on tenu compte dans les nouveaux rites d'ordination.

Allez‑y voir, quand la traduction officielle du Pontifical est encore en discussion. Laissons‑les « délabyrinther leur pensée », traduire leur ACCIPE OBLATIONEM PLEBIS SANCTE DEO OFFERENDAM, substitué au clair et net ACCIPE POTESTATEM de la tradition et de la manière romaines : « Recevez le pouvoir d'offrir à Dieu le Saint‑Sacrifice et de célébrer la messe tant pour les vivants que pour les morts. » Un pouvoir, reçu une fois pour toutes, ça ne fait ni protestant ni moderne. Mais refuser d'en parler, c'est favoriser l'indistinction entre validité et licéité, avec le résultat paradoxal d'un intolérable absolutisme qui finit par engendrer révolte et anarchie. Du beau travail d'apprentis‑sorciers.

 

Le « DE SACRAMENTIS », dit de saint Ambroise, ajoute des détails à la consécration qui ne sont pas dans l'Evangile. De même l'ancienne anaphore d’Hippolyte où ils ont été supprimés par les néo‑liturges. Ici, le « livré pour vous » est d'ailleurs une pure répétition, parfaitement inutile sans un « récit de l'institution » commençant par dire que Jésus fut « livré » (Prières II et III). II faut se dire aussi qu'après tout, c'est la consécration du sang du Seigneur qui met normalement l'accent sur le sacrifice (et le sacrifice d'expiation). Car la présence réelle est déjà exprimée et réalisée par la consécration du corps du Christ. A ce propos, notons que le Concile de Trente a pris soin de déclarer anathème qui nierait que le Christ est déjà présent par la première consécration : corps, sang, âme, divinité. On peut se demander s'il n'y avait pas négation de cette présence réelle, substantielle, dans la revendication de communier au corps et au sang. D'où la difficulté que la Cour de France eut de faire admettre la communion traditionnelle sous les deux espèces à la cérémonie du sacre, lors du Concile de Trente.

 

Il est clair, en outre, que s'en tenir à saint Paul et à l'Evangile dans la consécration de la messe est consentir à l'équivoque, car les protestants ne les interprètent pas comme nous. Si la liturgie ne nous départage pas sur le point le plus capital après le sacerdoce ministériel, la foi eucharistique est en danger mortel. De ce péril, la tradition de l'Eglise s'est toujours défendue. On a même vu un pape, Pie VI, condamner comme « pernicieuse » jusqu'à la seule omission du terme de transsubstantiation par le Concile de Pistoie, alors que, par ailleurs, l'expression de la foi était exacte. Or voilà que maintenant ce terme, inutilisé aussi par la récente présentation de la nouvelle messe est dévié de son sens par des protestants comme le Professeur genevois Leenhardt dont Max Thurian partage les idées. Il prétend que « substance » est une notion inconnue de la langue hébraïque ou araméenne, parlée par Notre Seigneur. Mais le Christ a‑t‑il parlé de substance ? Et ce terme n'a‑t‑il pas été employé par la théologie catholique faute d'un autre mot, quitte à lui conférer ou conserver le sens qui permet par le terme de transsubstantiation de rendre exactement la réalité toute simple : Ceci est mon corps, ceci est mon sang

 

Donc ce n'est plus du pain ni du vin, malgré les apparences, le goût, l'odeur. Pour ledit Professeur, il y a bien présence réelle, mais créée par la foi . Le communiant reçoit bien le Christ, mais le pain et le vin subsistent ; il ne faut pas tomber dans le « chosisme » qui a trop marqué la pratique de l'Eglise catholique et dont elle se libèrerait enfin .

 

Une cogitation, cette fois de « théologiens » catholiques, ajoute maintenant à la transsub­stantiation la transfinalisation (Prenez et mangez ...) et la transsignification (la mémoire de la Passion) pour expliquer par ce préfixe « trans » qu'il y a passage du matériel au spirituel dans l'acception du sens ou du but des paroles du Christ qui précèdent et qui suivent le « Ceci est mon corps » et « Ceci est le calice de mon sang. » On en vient alors, par le rapprochement des trois « trans » à prendre aussi la « substantiation » dans un sens spirituel. Quoi qu'il en soit, le fait est là, la néo‑liturgie met intentionnellement toutes les paroles du Christ à la Cène sur le même plan ; elles sont toutes imprimées en majuscules et, quand il y a lieu, chantées de la même manière. Il n'y a plus que dans la messe traditionnelle, avec son canon non retouché, qu'est seule en majuscules la formule consécratoire, agissant, comme dit la théologie, par la propre vertu des paroles: VI VERBORUM.

 

Dans ce même canon non réformé ou plutôt non ridiculisé par les néo‑liturges, la formule « Ceci est mon corps » n'a pas été adornée de « livré pour vous » emprunté à saint Paul et sur lequel ils ont aligné toutes les prières eucharistiques. Certes la plupart des liturgies reçues le font, mais ce n'est pas rien de s'en tenir aux deux évangiles de saint Matthieu et de saint Marc, d'autant que ce dernier a été l'évangéliste de saint Pierre ; il n'a pu parler sur un point si fondamental autrement que lui ; il l'a vu et entendu célébrer l'eucharistie. Ne serait‑ce que par romanité, par fidélité au premier pasteur de l'Eglise, le simple HOC EST ENIM CORPUS MEUM conserve ses lettres de haute noblesse. Surtout, surtout, nous voyons mieux que le « Ceci est mon corps » de la messe a valeur de déclaration nette et sans ambiguïté possible. Il s'agit de beaucoup plus qu'un apanage du canon romain, il s'agit d'une affirmation de foi indispensable et formelle.

 

Oyez, Messieurs, cette merveille, disait un recycleur néo‑liturge devant un aréopage de prêtres ébahis, qui découvraient l'Amérique après Colomb et Vespuce ; la nouvelle messe respecte le texte de saint Paul ; elle ne choisit pas non plus entre les paroles de la Cène pour ne mettre en valeur que le seul HOC EST ENIM CORPUS MEUM ; elle ne se permet pas d'introduire un corps étranger (MYSTERIUM FIDEI) dans la formule de consécration du vin ! Hélas, personne ne s'est trouvé pour lui dire : allez vous rhabiller ! Allez apprendre le rôle et la nature de la liturgie dont vous vous prétendez connaisseur et réformateur. Le canon romain a fait ce qu'a toujours fait l'Eglise orante, témoin saint Basile ; il souligne ce qui doit être souligné, il commente, il éclaire, il orne, il exprime la foi en même temps que la piété. C'est son rôle propre. Il est sur le plan de la prière l'illustration de la maxime catholique qui associe l'Ecriture et la Tradition ; oui, que les choses soient ainsi est d'une « grande importance » et l'a toujours été. Reprocherait‑on à l'Eglise de n'avoir pas été protestante avant la lettre ou de rester elle‑même ensuite, le Saint‑Esprit qui l'assiste ne pouvant se contredire ?

 

Alors donc que les nouvelles prières eucharistiques s'en tiennent, de façon protestante, aux seules paroles tirées de l'Ecriture et ne font qu'une sèche présentation des faits et gestes, le canon romain au contraire se montre soucieux par toute une « mise en scène », d'actualiser concrè­tement, d'approfondir, de « liturgiser » le récit de la Sainte Cène. Le prêtre calque ses gestes sur ceux du Christ, et quand il prend l'hostie entre ses doigts, c'est comme avec « les mains saintes et vénérables » du Seigneur. Comme lui, bien que l'Evangile ne le mentionne pas, il lève les yeux « vers le Père Tout‑Puissant. » Ne faut‑il pas montrer qu'à ce moment‑là Jésus s'est référé à son Père, à sa toute puissance pour un pareil miracle. Cette particularité est en effet notée par l'Evangile dans trois prodiges singulièrement significatifs : la multiplication des pains, annonce de l'Eucharistie, la guérison du sourd‑muet où l'Eglise a vu pour cela une annonce du baptême, la résurrection de Lazare, annonce de sa propre résurrection. Oui, dans l'Eucharistie, le Christ a voulu montrer qu'il agissait avec son Père dans le Saint‑Esprit. Une oeuvre trinitaire mettant la toute puissance divine au service de la miséricorde. Voilà le prodige qui est signifié par les yeux du prêtre se portant vers le ciel, comme ceux du Christ dans sa grande prière sacerdotale. Il s'agit du miracle des miracles pour la vie éternelle. « Je vis de la vie du Père. Ainsi celui qui se nourrit de moi vivra de ma vie. » Quelle transmission ! Quel indicible « mystère de foi » (MYSTERIUM FIDEI) !

 

Comment s'étonner de ce qu'un tel cri d'admiration et de reconnaissance éperdue s'échappe des lèvres de l'Eglise avant même que soit achevée la formule de consécration du vin au Sang de Jésus ? C'est par le sang que s'exprime la vie, c'est par lui que vient toute rédemption. C'est le sang de Jésus qui nous a rachetés, c'est lui qui a signé la Nouvelle et Eternelle Alliance qui remplace la première, depuis qu'à l'heure de la mort de la croix le voile du temple s'est déchiré, abolissant les sacrifices de l'ancienne Loi qui n'avaient d'autre but que d'annoncer le vrai testament, celui qui ne pourrait plus qu'être renouvelé sacramentellement d'âge en âge. On notera ici que l'Eglise ajoute le mot « éternelle » à « nouvelle alliance » bien qu'il ne se trouve ni dans saint Paul ni dans les Evangiles.


C'est le sang du Christ et lui seul qui désormais nous régénère en nous constituant de la famille de Dieu, de sa « consanguinité. »
Oui, quelle merveille inouïe où nous est dévoilé le mystère même du nom de Jésus‑Sauveur qui lui a été donné par le Ciel même, dès avant sa conception dans le sein très pur de l'humble servante du Seigneur. Voilà le sang où se baigne l'Eglise, choisie pour être une épouse unique et immaculée ; elle s'en souvient alors, quand elle évoque dans la consécration le « calice précieux » du Psaume XXII, le chant des nouveaux baptisés qu'elle enfante à Pâques et à la Pentecôte, et qui s'approchent pour la première fois de la Table Sainte : « Le Seigneur est mon berger, je ne manquerai de rien. Il me fait reposer dans de verts pâturages. Il me mène près des eaux rafraî­chissantes. Il restaure mon âme. Il dresse devant moi une table en face de mes ennemis. Il répand l'huile sur ma tête. Ah ! qu'il est beau, qu'il est enivrant le calice du Seigneur QUAM PRECLARUS EST!

 

C'est ce calice précieux du Christ à la Cène que le prêtre tient en main : HUNC PRAECLARUM CALICEM, oui, celui‑là même : HUNC . Quelle appropriation ! et surtout dans le « Ceci est mon corps », prononcé par le prêtre et ainsi préparé, dans le « Ceci est le calice de mon sang » ..., il est difficile, à ce moment de la messe, de ne pas sentir toute la beauté de la consécration romaine, tout le soin que la liturgie sainte y a apporté, toute la foi claire et toute l'émouvante piété que l'Eglise y manifeste. Quel joyau, quelle merveille inégalée, inégalable !