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Un regard sur le monde

politique et religieux

 

 

au 30 décembre 2007

 

N° 152

 

 

Après le Motu Proprio

de Benoît XVI,

la cour romaine devrait reprendre  le procès de Mgr Lefebvre et lever son excommunication

 

 

Oui ! Après le Motu Proprio de Benoît XVI, la cour romaine devrait reprendre le procès de Mgr Lefebvre et lever sa  suspens a divinis  et son  excommunication. Et cela non pas  pour satisfaire d’abord et avant tout la demande de la FSSPX, mais pour satisfaire la justice.

 

En effet en  reconnaissant solennellement comme le fait Benoît XVI, dans son Motu Proprio Summorum Pontificum que le missel de saint Pie V n’a jamais été abrogé, en expliquant, dans sa lettre aux évêques diocésains que « ce missel n’a jamais été juridiquement abrogé et que par conséquent, en principe, il est toujours resté autorisé », Benoît XVI rend justice à ce missel.  Reste à rendre justice, comme le demande à bon droit, M l’abbé de Cacqueray, le supérieur de District de France de la FSSPX, à ceux qui l’ont défendu, au prix de sanctions ecclésiastiques. C’est en ce sens que nous demandons de la cour romaine la levée du décret d’excommunication touchant Mgr Lefebvre, de Mgr de Castro Mayer et des quatre évêques qui ont eu la force morale de recevoir le sacre des mains de ces deux évêques.

 

C’est ce que je demandais déjà au cardinal Ratzinger, dans une lettre que je lui remettais, en mains propres, le 24 octobre 1998, à Rome, lors de la réunion des communautés Ecclesia Dei adflicta. (cf mon livre : l’enjeu de l’Eglise : la messe. Livre 3, ch 2, aux éditions Héligoland BP 2  27 290 Pont-Authou).

 

J’avais déjà constaté, avec plusieurs, je pense, l’évolution de certains cardinaux  sur ce sujet   liturgique, et plus particulièrement sur  la réforme de la sainte Messe, issue du Concile Vatican II, l’évolution du cardinal Stickler, -  je vous ai donné un résumé de sa pensée dans le dernier Regard sur le Monde – mais aussi et surtout du cardinal Ratzinger. J’avais constaté que, dans ses livres,  sur bien des points, il rejoignait les  propres critiques de Mgr Lefebvre. Il venait de préfacer le livre de Mgr Gamber : « La réforme liturgique en question », lequel allait dans certaines expressions bien plus loin que Mgr Lefebvre lui-même. Aussi m’apparaissait-il normal de l’interpeller sur l’injustice de  maintenir des sanctions canoniques à son endroit. Il fallait nécessairement reprendre le procès, la procédure. Le procès de sainte Jeanne d’Arc a bien été repris par l’autorité ecclésiale, pourquoi ne pourrait-on pas le faire pour Mgr Lefebvre ?

 

Cela me parait encore beaucoup plus normale aujourd’hui alors que Benoît XVI vient de rappeler le bon droit de cette messe tridentine.

 

Le droit est le droit. La justice est la justice. On s’honore à rendre à chacun son dû. Il faut redonner son honneur à celui qui a préféré le perdre, aux yeux de certains,  plutôt que de trahir la foi et sa plus belle expression liturgique, la messe dite de saint Pie V et son ordonnance avec ses belles mélodies grégoriennes, un trésor.

 

J’avais présenté au cardinal Ratzinger un « plaidoyer pour Mgr Lefebvre ». Je me permets de nouveau de l’adresser aujourd’hui à Benoît XVI en l’adaptant un peu.

 

Daigne le Ciel bénir cette démarche.

 

 

 

Très Saint Père,

 

Permettez-moi de m’adresser à vous en toute simplicité de cœur, en toute loyauté, dans un esprit filial. Permettez-moi de vous exprimer mon inquiétude… de cette manière, dans une « lettre ouverte », mon étonnement sur un point précis : la condamnation de Mgr Lefebvre. Je ne comprends pas que vous ne réexaminiez pas cette « affaire ».

 

C’est la raison de ce plaidoyer.

 

Vous savez très bien qu’il fut un grand prélat, un grand missionnaire. Délégué apostolique en Afrique francophone, il fut le grand défenseur de l’Église en terre africaine. Il laissa, à son

départ, une œuvre extraordinaire. Tout le monde le reconnaît. Tout cela postule en sa faveur.

 

Revenu en France, nommé par le Pape Jean XXIII, Archevêque- évêque de Tulle, il se mit à la tâche sans amertume, avec le même zèle qu’en Afrique. Une seule chose comptait pour

lui : le service de l’Église dans la fidélité au Souverain Pontife. À peine nommé à Tulle, il fut élu, par ses pairs, supérieur général de la Congrégation des Pères du Saint-Esprit, une congrégation forte de plus de 5000 membres, répandue dans le monde.

 

Le Concile œcuménique de Vatican II fut alors convoqué par le Pape Jean XXIII. En tant que Supérieur général, il participa aux séances préparatoires du Concile. Il nous racontait tout

cela… lorsque nous eûmes la grâce de le connaître, d’abord à Rome, puis ensuite à Écône.

 

Douloureusement affecté par la crise sacerdotale, par l’effondrement des vocations, en Occident, et par la perte du sens sacerdotal, libéré de toute responsabilité – il avait donné

sa démission, Rome le lui conseillait – il décida, enfin, de tout faire pour lutter contre. Il fonda son séminaire à Fribourg avec l’autorisation épiscopale de Mgr Charrière, avec les encouragements du Cardinal Journet. Il créa son institut sacerdotal : la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, toujours avec l’approbation de Mgr Charrière, évêque de Fribourg-Lausanne-Genève. Quelle joie fut la sienne lorsqu’il reçut le décret de l’Évêque ! Une joie toute d’Église. Il nous apprit la grandeur du sacerdoce, son rôle, son sens. Il nous fit apprécier le trésor de la messe, de la messe catholique. Il nous en rappela la finalité, les fruits, son importance et pour le prêtre et pour le chrétien. Il nous donna du cœur à l’ouvrage, un « moral de fer ». Il multiplia les contacts pour permettre le rayonnement de son œuvre. Il était infatigable.

Arriva l’année 1969, avril 1969. Ce fut la publication de la Constitution Missale Romanum et du nouveau rite de la messe, de la Nouvelle Messe de Paul VI. Terrible réforme liturgique… contestée, contestable, qui allait ébranler de fond en comble la Sainte Église, son unité.

Des théologiens se lèveront pour s’y opposer, des cardinaux aussi. Des intellectuels de renom firent entendre leur voix. Pour ne citer qu’un nom, permettez que j’invoque l’autorité du Cardinal Ottaviani. Dans une lettre au Souverain Pontife, Paul VI, il lui présenta une critique du nouveau rite, lui demandant « d’abroger ce nouveau rite ou, tout au moins, de ne pas enlever, à la catholicité, la possibilité de continuer à recourir à l’intègre et fécond missel romain de saint Pie V ». Tout cela fit grand bruit. Mgr Lefebvre prit position assez tard.

Ce n’est que le 2 juin 1971 qu’il réunit à Écône son corps professoral, les séminaristes. Le lendemain, il venait rencontrer « les théologiens », séminaristes à Fribourg. Il exposa sa position. Il expliqua son refus, son « non possumus », avec des arguments clairs. Il nous laissa, à l’issue de cette conférence, un texte, un petit texte résumant sa pensée. Séminariste, à l’époque, je gardais jalousement ce texte. Je l’ai souvent lu et relu. La position de notre fondateur est simple, doctrinale, fondée sur la plus sûre théologie, sur les décrets solennels

du Concile de Trente, sur les principes du Droit Canon. Cette position fut publique. Elle est écrite. Dans ses conférences, il ne cessa de l’expliquer, de la justifier.

 

Or, c’est en raison de cette position sur la messe que Mgr Lefebvre fut condamné.

On traita tout d’abord sa fondation de « sauvage ». C’est Mgr Etchegaray qui prononça la phrase le premier. Il était, alors, Archevêque de Marseille… Première affirmation fausse : son séminaire n’avait rien de sauvage, ni son institut. Le « tout » fut approuvé par Mgr Charrière, par Mgr Adam. La fondation à Albano eut l’accord de l’Évêque du lieu. Rien de « sauvage » à la vérité. Au contraire, Mgr Lefebvre, en homme d’Église, respectueux de ses lois, voulait tout faire avec les autorisations requises. Et c’est ce qu’il fit. Peu importe, il n’était plus dans la ligne. C’est qu’il ne voulait pas suivre aveuglément les réformes conciliaires… Empêcheur de tourner en rond, il fallait qu’il soit discrédité. Ses fondations ne pouvaient être que sauvages, que condamnées.

 

Le cycle infernal démarrait.

 

Alors une visite canonique eut lieu. Mgr Onclin, Mgr Deschamps furent envoyés de Rome. Ils tinrent des propos tellement « nouveaux » que Mgr Lefebvre dut protester à leur départ. Et ce fut sa protestation de foi du 24 novembre 1974. Dieu ! Qu’elle fit couler de l’encre, cette déclaration ! Qu’elle fut commentée !… À l’extérieur comme à l’intérieur… par le corps professoral lui-même. Il fallait que Mgr Lefebvre « rétracte » ce texte. « Il a signé sa propre

condamnation »…  Il fut alors convoqué à Rome, devant une commission, « ad hoc », devant le Cardinal Garonne, le Cardinal Wright, le Cardinal Tabera. Ils essayèrent de le convaincre de l’« inanité » de sa position. Rien à faire. Ils n’imaginaient pas rencontrer une telle sûreté, une telle force, la force simple de la doctrine catholique aimée plus que soi-même.

 

Ne pouvant le convaincre, il fallait l’« écraser ». Les sanctions canoniques tombèrent. Les pressions psychologiques se firent tout d’abord terribles.

 

Ce fut la menace de la fermeture du Séminaire, de la Fraternité. Comme il ne lâchait toujours pas, des menaces, on passa aux sanctions. Et c’est Mgr Mamie, Évêque de Fribourg, qui porta le chapeau de tout cela. Le pauvre. Il lui fut intimé l’ordre de ne pas faire les ordinations, le 29 juin 1976. Terrible dilemme. J’en fus le témoin privilégié. Le 28 au soir, dans mon bureau, il examinait encore la solution… pesait le pour et le contre… La fête battait déjà son plein.

Tout était prêt… « On peut, malgré tout, me disait-il, ne pas faire les ordinations ». Il était d’un calme souverain, tranquille. Le 29 juin, devant une foule immense, il expliquait son

geste. Il parla clairement, sans ambages : notre fidélité à la messe de toujours, à la messe codifiée, canonisée même, par saint Pie V est la raison de nos difficultés avec Rome.

 

La sanction canonique tomba, le 22 juillet 1976. Il fut déclaré « suspens a divinis ». Il ne pouvait plus exercer aucun pouvoir inhérent à son état sacerdotal et épiscopal. À Lille, le 29 août 1976, il renouvela ses explications. Il parla ouvertement de la réforme liturgique, de la réforme de la messe, messe « équivoque ». C’est là qu’il parla de la messe « hybride » : « la Nouvelle Messe est une espèce de messe hybride qui n’est pas hiérarchique, qui est démocratique, où l’assemblée prend plus de place que le prêtre ».On peut résumer la position de Mgr Lefebvre en disant qu’il refusa la nouvelle messe parce qu’équivoque, plus protestante que catholique, s’éloignant de la Tradition catholique, voire même en rupture avec la Tradition catholique et les dogmes catholiques.

 

Et le conflit perdura. Vous êtes, aujourd’hui, l’autorité. C’est pour cela que je m’adresse à vous. Vous maintenez toujours la condamnation de Mgr Lefebvre, de sa fondation, de ses prêtres parce qu’ils veulent rester fidèles à cette Messe catholique pour sauvegarder

leur  foi, gage d’éternité.

 

Mais vous-même, alors que vous étiez cardinal, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi, vous deveniez très sévère sur cette réforme liturgique qui nous attriste. Permettez que je vous cite aujourd’hui.

 

Vous préfaciez un livre de Mgr Gamber dans son édition française, heureusement diffusé par Dom Gérard Calvet et intitulé La réforme liturgique en question. Dans cette préface, vous faisiez l’éloge de Mgr Gamber, de son œuvre théologique et liturgique. Vous le recommandiez fortement. Vous en faisiez un modèle, « un père » de ce renouveau liturgique que vous appeliez et appelez encore  de tous vos vœux. « Ce nouveau départ a besoin de pères qui soient des modèles… Qui cherche aujourd’hui de tels pères, rencontrera immanquablement la personne de Mgr Klaus Gamber… Il pourrait en cette détresse (liturgique) –disiez-vous – devenir le père du nouveau départ » (p. 7). On ne

peut être plus clair.

 

Vous-même, dans cette préface, vous critiquiez« joliment » la réforme liturgique. Vous affirmiez que : « la liturgie est (doit être) d’un développement continu », harmonieux

(p. 7). C’est bien, en effet, ce que fut la liturgie catholique, celle codifiée par saint Pie V. Elle évolua harmonieusement à travers les siècles. Il en est de la liturgie comme de la doctrine catholique. Il n’y a de « fixiste » que l’hérétique. Il n'y a de radicalement arrêté que la mort. La liturgie catholique n’est pas cela. Nous le savons bien. Ce principe posé, vous partiez « en

guerre » contre la liturgie réformée issue du Concile Vatican II. « Ce qui s’est passé après le Concile signifie tout autre chose : à la place de la liturgie, fruit du développement continu, on a mis une liturgie fabriquée. On est sorti du processus vivant de croissance et de devenir pour entrer dans la fabrication ». C’est l’œuvre de Mgr Bugnini. « On n’a pas voulu continuer le devenir et la maturation organique du vivant à travers les siècles et on les a remplacés

– à la manière de la production technique – par une fabrication, produit banal de l’instant » (p. 7).

Vous disiez aussi : « La liturgie n’est pas objet de notre faire ». C’est la grande idée de Mgr Gamber. Mgr Lefebvre aurait été très certainement de cet avis, lui qui soutint jusqu’à la rupture, contre certains séminaristes américains qui les refusaient, les réformes de saint Pie X, de Pie XII et même de Jean XXIII en matière liturgique.

Vous nous demandiez qu’on se penche sur la pensée de Mgr Gamber, qu’on la fasse nôtre. Vous donniez une approbation sentie de son œuvre. C’est ce que j’ai fait.

 

J’ai lu – à votre recommandation – ce livre. Je dois avouer que je n’ai jamais rencontré de critique de la Nouvelle Messe aussi forte, aussi radicale… même sous la plume de

Mgr Lefebvre.

 

Alors vous voyez maintenant ma question. Vous voyez où je veux en venir. Vous voyez ce que je voudrais vous dire de vive voix si vous me receviez : « Pourquoi approuver si

fortement Mgr Gamber, l’applaudir, le recommander et continuer à réprouver Mgr Lefebvre ? ». Mgr Gamber est pourtant plus sévère encore que Mgr Lefebvre dans sa critique du nouveau rite. N’y aurait-il pas deux poids, deux mesures ? Tel est mon étonnement, mon angoisse même!

 

Voyiez quelques critiques de  Mgr Gamber : « On mit désormais (avec la réforme liturgique) de façon exagérée, l’accent sur l’activité des participants, rejetant de la sorte au second plan, l’élément cultuel » (p. 15).

C’est ce que Mgr Lefebvre affirmait à Lille, pas plus, pas moins. « Celui-ci (élément cultuel, i.e. le Sacrifice, l’action eucharistique elle-même) s’appauvrit de plus en plus chez

nous ». « De même, il manque maintenant dans une large mesure, cette solennité qui fait partie de toute action cultuelle, surtout si celle-ci se déroule devant une grande assemblée »

(p. 12). C’est ce que nous disons, ni plus, ni moins. Mgr Gamber ose écrire sur ce sujet : « En lieu et place, on voit souvent régner une austérité calviniste » (p. 13).

Mgr Gamber poursuit… « Il n’est pas rare de voir les formes cultuelles existant jusqu’ici, méprisées par les pasteurs eux-mêmes et laissées de côté sous prétexte qu’elles seraient

démodées : on ne veut pas laisser supposer qu’on aurait raté le train de l’évolution moderne. Et, cependant, la masse du peuple chrétien reste attachée à ces formes anciennes qui portent

sa piété. Les réformateurs d’aujourd’hui, trop pressés, n’ont pas suffisamment considéré à quel point, dans l’esprit des fidèles, il y a coïncidence entre la doctrine et certaines formes de piété. Pour beaucoup, modifier les formes traditionnelles signifie modifier la foi ».

En préfaçant ce livre, vous donniez votre approbation à cette critique générale.

Mgr Lefebvre a dit la même chose. Il n’a cessé – toute sa vie – de nous rappeler l’axiome fondamental en matière liturgique : lex orandi, lex credendi. C’est le thème de sa conférence

– entre mille – du 15 février 1975, donnée à Florence : « Pour beaucoup, modifier les formes traditionnelles signifie modifier la foi ».

« Les responsables dans l’Église n’ont pas écouté la voix de ceux qui ne cessaient de les avertir, leur demandant de ne pas supprimer le Missel romain traditionnel (et de n’autoriser la nouvelle liturgie que dans certaines limites et seulement « ad experimentum »)… Aujourd’hui, voici quelle est malheureusement la situation : de nombreux évêques se taisent devant presque toutes les expérimentations liturgiques mais répriment plus ou moins sévèrement le prêtre qui, pour des raisons objectives ou de conscience, s’en tient à l’ancienne liturgie » (p. 14).

C’est ce qu’ont conseillé des « Grands » dans le cardinalat. C’est ce que conseillait Mgr Lefebvre. C’est ce que faisait Mgr Lefebvre : s’en tenir pour des raisons objectives

et de conscience, à l’ancienne liturgie.

 

Alors puisque vous avez soutenu la pensée de Mgr Gamber, puisque vous avez préfacé son livre, veuillez, je vous prie, faire ouvrir de nouveau le dossier de « l’affaire

Lefebvre » et le juger en bonne et due forme.

 

Mgr Gamber est vraiment sévère…contre cette réforme liturgique.  Après avoir reconnu que « les innovations liturgiques » sont possibles, mais que tout doit se faire « avec bon sens et prudence » - ce n’est pas le principe le plus ultime, mais peu importe, il conclut, se tournant alors vers le concret de la réforme liturgique issue du Concile Vatican II: « La rupture avec la Tradition est désormais consommée ». Il précise même: « Par l’introduction de la nouvelle forme de la célébration de la Messe (il s’agit bien ici du rite nouveau lui-même) et des nouveaux livres liturgiques, encore davantage par la liturgie concédée tacitement par les autorités, d’organiser librement la célébration de la messe sans qu’on puisse déceler en tout cela un avantage substantiel du point de vue pastoral (c’est le moins que l’on puisse dire !) au lieu de cela, poursuit-il, on constate dans une large mesure, une décadence de la vie religieuse qui, il est vrai, a aussi d’autres causes. Les espoirs placés dans la réforme liturgique – on peut déjà le dire – ne sont pas réalisés ».

Vous  avez préfacé cela.

Mgr Lefebvre n’a jamais parlé aussi fortement, aussi brutalement.

 

De grâce ! Ressortez le dossier. Redonnez vie à son recours qu’il porta lui-même, dans les mains du Préfet de la « Signature Apostolique » de l’époque, mais que ce dernier ne put traiter par ordre du tout puissant Cardinal Mgr Villot. Vous en avez le pouvoir aujourd’hui. Faites cesser cette injustice dans l’Église…en France tout particulièrement… Faites cesser cette injustice-là.

Voyez encore !

« D’année en année, la réforme liturgique, saluée avec beaucoup d’idéalisme et de grands espoirs par de nombreux prêtres et laïcs, s’avère être, comme nous l’avons déjà exprimé,

une désolation de proportion effroyable » (p. 15).

Mgr Lefebvre a dit cela, mais je dois l’avouer pas aussi fortement.

Notre auteur poursuit : « Au lieu du renouvellement de l’Église et de la vie ecclésiastique attendue, nous assistons à un démantèlement des valeurs de la foi et de la piété qui nous avaient été transmises et, en lieu et place d’un renouvellement fécond de la liturgie, à une destruction des formes de la messe qui s’étaient organiquement développées au cours des siècles » (p. 15).

Vous avez approuvé ce jugement, vous l’avez préfacé élogieusement. Mgr Lefebvre n’a rien dit d’autre, lui est condamné, Mgr Gamber, approuvé.

 

Je poursuis ma lecture: « …s’y ajoute, sous le signe d’un œcuménisme mal compris, un effrayant rapprochement avec les conceptions du protestantisme… Ce qui ne signifie rien moins que l’abandon d’une tradition jusqu’à ce jour commune à l’Orient et à l’Occident » (p. 15).

Mgr Lefebvre ne disait rien d’autre. C’est ce qu’il disait dans un article publié en 1971 dans la Pensée Catholique – mais déjà écrit en plein Concile: « Pour rester catholique faudra-t-il devenir protestant? »… Et il concluait: « On ne peut imiter les protestants indéfiniment

sans le devenir ». Mais je trouve Mgr Gamber plus catégorique encore. Il parle – lui : « d’un effroyable rapprochement avec les conceptions du protestantisme ». Mais c’est la même pensée !

 

Alors comment est-ce possible de faire la louange de l’un, Mgr Gamber, et de continuer à condamner l’autre, Mgr Lefebvre. Ils disent, tous deux la même chose.

 

De grâce, ouvrez de nouveau le procès de Mgr Lefebvre. C’est une supplique légitime.

 

Mgr Gamber, dans un second chapitre, parle de la « ruine » du rite romain. Il le déplore, tout comme vous, dans votre Motu Proprio Summorum pontificum.  Il va même jusqu’à dire que le rite nouveau, sans être en soi invalide – ce que Mgr Lefebvre n’a jamais dit – est célébré de plus en plus souvent, de manière invalide. Mgr Lefebvre dit exactement la

même chose. Pas plus. Pas moins. Il est seulement un peu plus précis : « Tous ces changements dans le nouveau rite sont vraiment périlleux parce que peu à peu surtout pour les jeunes prêtres qui n’ont plus l’idée de sacrifice, de la présence réelle et de la transsubstantiation, et pour lesquels tout cela ne signifie plus rien, ces jeunes prêtres perdent l’intention de faire ce que fait l’Église et ne disent plus de messes valides » (Conférence à

Florence, le 15 février 1975).

Mais ce fut la grande préoccupation de Jean-Paul II à la fin de son règne, surtout exprimée dans son encyclique « Ecclesia de Eucharistia »

 

J’en arrive maintenant au chapitre IV du livre : le jugement du prélat est terrible.

Il expose d’abord brièvement mais justement la réforme luthérienne, la réforme que Luther fit subir à la Messe catholique, la Messe romaine. « Le premier, écrit-il, à avoir entrepris

une réforme de la liturgie et cela en raison de considérations théologiques est, sans conteste, Martin Luther. Il niait le caractère sacrificiel de la Messe et était, de ce fait, scandalisé par

certaines parties de la Messe, en particulier par les prières sacrificielles du Canon » (p. 41).

D’où la réforme qu’il entreprit de la messe et tout d’abord la suppression des prières sacrificielles, mais il a agi prudemment – avec la prudence de la chair – pour ne pas choquer et créer des réactions.

Or, rien de tel avec la réforme liturgique conciliaire.

Mgr Gamber est terrible. Il affirme tout d’abord qu’on a agi là trop brutalement : « La nouvelle organisation de la liturgie et surtout les modifications profondes du rite de la Messe qui ont vu le jour sous le Pontificat de Paul VI et sont, entre-temps, devenues obligatoires

– on peut légitimement discuter ce point –, ont été beaucoup plus radicales que la réforme liturgique de Luther et ont moins tenu compte du sentiment populaire » (p. 42).

Puis, il affirme que des éléments de la doctrine protestante ont été pris en compte pour justifier cette réforme liturgique. Il parle lui-même du « refoulement de l’élément latreutique », « la suppression des formules trinitaires », et enfin de l’« affaiblissement du rôle du prêtre ». On retrouve ici, purement et simplement, les affirmations de Mgr Lefebvre, celles du « Bref

examen critique » présenté au Pape par le Cardinal Ottaviani. Il va même jusqu’à dire qu’« on n’a pas encore suffisamment tiré au clair dans quelle mesure, ici aussi, comme ce fut le cas

pour Luther, des considérations dogmatiques ont pu exercer une influence » (p. 42).

Il reconnaît que « c’est la nouvelle théologie (libérale) qui a parrainé la réforme conciliaire ». Il se désole alors que le Pape Paul VI n’ait pas cru devoir tenir compte de « ces critiques dogmatiques », « ni les pressantes objurgations des cardinaux de mérite – comment, ici, ne pas penser au Cardinal Ottaviani, au Cardinal Bacci, qui avaient émis des objections dogmatiques quant au nouveau rite de la messe – ni les instantes supplications provenant

de toutes les parties du monde, n’empêchèrent Paul VI d’introduire impérativement le nouveau missel » (p. 43).

Ainsi, pour Mgr Gamber dont vous nous recommandiez tant la doctrine, le « Nouvel Ordo Missae » aurait des « odeurs » protestantes, des relents de théologie protestante, de théologie libérale.

Avouez que cela peut raisonnablement retenir tout enthousiasme de la célébrer et qu’il soit difficile de parler de « sainteté » ou de « valeur » du nouveau rite comme vous nous demandez de le  faire dans la lettre que vous adressez aux évêques. C’est du reste contradictoire !

 

 Vous approuviez ces critiques. Pourquoi, alors, condamnez toujours Mgr Lefebvre ?

Son tort est peut-être d’avoir eu raison trop tôt – ou d’avoir été, en son temps, un évêque de caractère… Mais s’il en est ainsi qui pourrait raisonnablement critiquer et cette lucidité et

cette force ? Sont-ce des titres de condamnation ?

 

Après ces critiques générales, Mgr Gamber en arrive au plus particulier : à la prex eucharistica. Alors là ! La critique est de nouveau terrible. « Les trois nouveaux canons constituent, eux, une rupture complète avec la tradition. Ils ont été nouvellement composés d’après des modèles orientaux et gallicans, et représentent, au moins de part leur style, un corps étranger dans le rite romain » (49). Il descend encore un peu plus dans le « menu », aux paroles de la consécration. Il est très sévère : « La modification ordonnée par Paul VI des paroles de la consécration et de la phrase qui suit… n’était d’aucune utilité pour la pastorale. La traduction de « pro multis » par « pour tous » qui se réfère à des conceptions théologiques modernes et qu’on ne retrouve dans aucun texte liturgique ancien, est douteuse et a même scandalisé » (p. 50).

Mgr Gamber est choqué, vraiment choqué par le déplacement du mot « mysterium fidei » de la formule de la Consécration du vin. Son explication est lumineuse : « Du point de vue du rite, on est frappé de voir qu’on ait pu retirer, sans raison, les mots « mysterium fidei » insérés dans les paroles de la consécration depuis environ le VIe siècle, pour leur conférer une signification nouvelle ; ils deviennent un appel du prêtre après la consécration. Un appel de cette sorte : mysterium fidei n’a certainement jamais été en usage. L’acclamation de l’assemblée : « Nous proclamons ta mort… » ne se trouve que dans quelques anaphores égyptiennes. Elle est, en revanche, étrangère aux autres rites orientaux et à toutes les prières eucharistiques occidentales et ne cadre pas non plus avec le style du canon romain… » (p. 50).

Ainsi nous serions prêts à nous en tenir à cette critique de Mgr Gamber. Je crois qu’elle

peut, à elle seule, parfaitement justifier notre position pratique.

Mais parce que nous avons désiré rester attachés à ces critiques, à celles exprimées dans le  Bref examen critique, les mêmes, nous sommes pratiquement excommuniés, chassés

de nos églises, nous passons pour rétrogrades. On nous dit ne pas avoir le sens de la Tradition

 

Mais alors pourquoi  porter aux nues Mgr Gamber et continuer de combattre Mgr Lefebvre et son œuvre ?

Je ne comprends plus.

N’y aurait-il pas une injustice ? Voilà ce que j’ai sur le cœur et ce que je veux vous dire, vous qui est le père de tous.

 

Mgr Gamber de conclure ce chapitre par ce jugement général : « Avec le nouveau, on a voulu se montrer ouvert à la nouvelle théologie, si équivoque, ouvert au monde d’aujourd’hui »

(p. 54). « Ce qui est certain, c’est que le Nouvel Ordo Missae dans cette forme n’aurait pas reçu l’assentiment de la majorité des pères conciliaires ».

 

Incroyable !

 

Cette seule affirmation devrait suffire à tenir fermement l’ancien rite…

 

 « Mais vous n’avez pas l’esprit du Concile… » ! C’est l’arme qui tue. Mais quel est cet esprit conciliaire  qu’il faut avoir pour vivre… Mgr Gamber l’avait-il…? Que d’arbitraire ! Que d’arbitraire !

 

Vous pourriez peut-être me dire : « Vous vous trompez. Ce n’est pas la messe qui fait problème. Ce sont les sacres. Mgr Lefebvre les a fait sans autorisation pontificale. Il devait

être puni. Aujourd’hui, le nouveau Droit canon parle d’excommunication. Voilà l’affaire ! C’est tout ».

 

Est-ce vraiment le problème ?

Le principe du sacre dans la Fraternité d’un membre de la Fraternité, avait été accepté, lors du protocole du 5 mai 1988. Vous l’aviez accepté, vous-même.

 

Mais, pour l’instant,  restons au niveau du simple bon sens.

 

Mgr Lefebvre n’a pas été moins aimé des autorités ecclésiastiques après les sacres qu’avant les sacres. Il n’a pas été plus honni après les sacres qu’avant les sacres. Avant les sacres, on lui fit la guerre, son œuvre fut déclarée « sauvage ». Mgr Garonne le déclara « fou »… Les évêques des diocèses lui écrivaient des lettres très désagréables quand il visitait les traditionalistes de leur diocèse. Quelles lettres !

 

Oui, Mgr Lefebvre n’était pas aimé même avant les sacres. Il n’était pas déjà, semble-t-il, en leur « communion ». On lui fermait déjà les églises. Les cœurs des évêques se fermaient… Même à Rome, on n’osait plus le recevoir… lorsqu’il visitait un dicastère… le Préfet était tout dans l’embarras… Être vu avec Mgr Lefebvre était compromettant… Même longtemps avant les sacres, il était le « mal aimé » de l’Église. Il n’avait pas l’esprit conciliaire… Et

de fait, son œuvre, son œuvre sacerdotale fut interdite, son séminaire fermé. Interdites les ordinations sacerdotales… Bien sûr, il nous ordonnait pour le Sacrifice de la messe…! Il était honni par ses pairs, bien avant les sacres, même pendant le Concile.

On ne lui pardonnait pas sa position, sa présidence du Coetus internationalis Patrum.

Même avant le Concile, lorsqu’il était Archevêque-évêque de Tulle, les cardinaux et archevêques de France lui fermèrent la porte de leurs assemblées, de leurs réunions. Il avait plein droit d’y prendre part. Ils refusèrent. C’est historique. Si le Cardinal Richaud – à l’époque Archevêque de Bordeaux – était encore de ce monde, il pourrait en témoigner.

Mgr Lefebvre nous l’a dit. Il en souriait. Il n’était pas rancunier. Oui, même avant les sacres, Mgr Lefebvre n’était pas aimé.

C’est ainsi.

 

À cette lumière, le problème des sacres prend son vrai sens. C’est finalement un problème mineur, quoi qu’on dise… En ce sens, que ce n’est pas la raison fondamentale de son excommunication. Il l’était déjà, pratiquement. Il le devint, peut-on dire, après les sacres canoniquement. Cela n’a pas changé grand chose… La peine canonique – sa déclaration – fut

d’abord et essentiellement diplomatique : pour faire peur et effrayer les fidèles, et leur faire lâcher prise… Le Cardinal Gagnon a mal jugé.

 

Mais, admettons que l’excommunication ait sa raison essentielle, exclusive dans les sacres. Cette action – cette sanction – touche la personne de Mgr Lefebvre, des quatre évêques

consacrés, le co-consécrateur, Mgr de Castro Mayer… et personne d’autre, et nullement la Fraternité Sacerdotale et ses prêtres. Ils ne sont pas excommuniés, eux. Ils sont dans l’Église, de l’Église. Je n’ai jamais reçu la moindre notification d’excommunication. Le Motu Proprio Ecclesia Dei Adflicta ne me concerne pas, moi directement.

 

Vous me direz peut-être que la Fraternité Sacerdotale Saint- Pie X a été supprimée par Mgr Mamie, Évêque de Fribourg. Elle n’existe plus. Elle n’est plus de droit diocésain. Vous êtes

« néant », rien. Vous n’avez aucune existence légale.

Ah ! Permettez !

Mgr Mamie a peut-être voulu supprimer la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X… Mais je me permets humblement de vous faire remarquer que nous le fûmes en raison de notre attachement à la messe tridentine et en raison de notre refus du Nouvel Ordo Missae.

Or, en préfaçant le livre de Mgr Gamber, vous préfaciez nos propres critiques.

Encore une fois, Mgr Lefebvre et le Bref examen critique sont moins durs que Mgr Gamber et son livre. Et de plus vous nous donnez raison dans votre récent Motu Proprio reconnaissant que l’ancienne messe « est toujours resté autorisée ». Si elle fut toujours autorisée, il était légitime de la dire, illégitime de condamner ceux qui voulaient la dire.

Notre condamnation, notre suppression, sont donc sans raison suffisante.

Elles sont  injustes. Veuillez, Très Saint Père, restaurer la justice, réparer l’injustice.

 

Daignez, Très Saint Père, recevoir l’expression de mon filial respect et bien vouloir me bénir.

 

                                                                                                              Abbé Paul Aulagnier.

                                                                                          Membre de l’Institut du Bon Pasteur.