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Un regard sur le monde

politique et religieux

 

au 29 mai   2009

 

N° 218

 

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

Mgr Lefebvre

la FSSPX

et

la liberté religieuse.

-II-

Nous poursuivons l’analyse de la pensée de Mgr Lefebvre sur la liberté religieuse. Elle devra être défendue par les abbés de la FSSPX dans leur « face à face » avec les autorités de la Congrégation de la doctrine de la foi. C’est, vous le savez, un des sujets importants que Mgr Lefebvre souleva dans l’ « aula conciliaire ».  Il s’opposa sur bien des points  à ce qu’il appelait la « nouvelle » doctrine de l’Eglise sur la Liberté religieuse.

 

Mis en demeure, en 1978, de défendre sa position  par la Congrégation de la doctrine de la foi  et plus particulièrement par le cardinal Seper, alors Préfet de cette Congrégation Mgr Lefebvre lui adressa une réponse circonstanciée et écrite sur ce point de doctrine fondamental. Elle fut publiée par Itinéraires. Nous en reprenons le texte.

 

Mgr Lefebvre résume tout d’abord la doctrine conciliaire sur la liberté religieuse. Il le fait en six point. Et réfute point par point cette doctrine.

 

Dans le n° du 22 mai, le n° 217, nous avions repris sa réponse sur le premier point :

 

A- « La liberté de l'Église est un (ou « le ») principe fondamental dans les relations de l'Église avec les pouvoirs publics et tout l'ordre civil. »

 

Nous donnons aujourd’hui sa réponse aux 2 et 3 points :

 

B- « Dans la société humaine et devant tout pouvoir public, l'Église revendique la liberté au titre d'autorité spirituelle instituée par le Christ Seigneur et chargée par mandat divin d'aller par le monde entier prêcher l'Évangile à toute créature. »

 

C-  « L'Église revendique également la liberté en tant qu'association d'hommes ayant le droit de vivre, dans la Société civile, selon les préceptes de la foi chrétienne. »

 

Il nous restera à voir les deux derniers points

 

 (

D- « Dès lors là où il existe un régime de liberté religieuse... là se trouvent enfin assurées à l'Église les conditions, de droit et de fait, de l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de sa divine mission. »

 

 E- « En même temps, les fidèles du Christ, comme les autres hommes, jouissent, au civil, du droit de ne pas être empêchés de mener leur vie selon leur conscience. Il y a donc bon accord entre la liberté de l'Église et cette liberté religieuse qui, -pour tous les hommes et toutes les communautés, doit être reconnue comme un droit et sanctionnée dans l'ordre juridique. »  (D.H. 13.)

 

 

1- Que dit-il face à la proposition B : - « Dans la société humaine et devant tout pouvoir public, l'Église revendique la liberté au titre d'autorité spirituelle instituée par le Christ Seigneur et chargée par mandat divin d'aller par le monde entier prêcher l'Évangile à toute créature. » ?

 

Voilà sa réponse :

 

Le passage de D.H. cité plus haut en (B) reproduit en substance un beau passage de « Quas Primas » de Pie XI, que nous nous devons de citer :

 

« ... L'Église, en tant que constituée par le Christ comme société parfaite, revendique, en vertu d'un droit naturel qu'elle ne peut abdiquer, pleine liberté et immunité de la part du pouvoir civil, dans l'exercice de la charge qui lui a été confiée d'enseigner, de diriger et de conduire à la béatitude éternelle tous ceux qui appartiennent au royaume du Christ... » (Quas Primas, in fine.)

 

Mais Pie XI se garde bien de dire que l'Église ne réclame que cela ! S'il est donc indéniable que la liberté de l'Église par rapport au pouvoir civil est un de ses droits, et non des moindres, il n'est cependant pas le seul, loin de là ! La « liberté de l'Église » pourra bien tre revendiquée comme un droit imprescriptible, contre les pouvoirs civils totalitaires régalistes (jadis) ou anti-chrétiens (actuellement) qui y attentent ; mais on ne peut la présenter, sans amputer gravement la doctrine, comme le « principe fondamental » du Droit public de l'Église ! Pie XI lui-même voit bien comment une assertion du « droit à la liberté » pour l'Église demande à être complétée par la revendication de ce qu'on peut appeler la « primauté » de l'Église, qui est une conséquence de celle de son chef, Notre Seigneur Jésus­-Christ (cf. Mt 28.18) :

« Aux États, la célébration annuelle de cette fête (du Christ-Roi) rappellera que les magistrats et les gouvernants sont tenus, tout comme les citoyens, de rendre au Christ un culte public et de lui obéir... Car sa royauté exige que l'État tout entier se règle sur les commandements de Dieu et les principes chrétiens aussi bien dans la législation que dans la façon de rendre la justice et que dans la formation de la jeunesse à une doctrine saine et à une bonne discipline des mœurs. » (Ibid. loc. cit.)

 

On ne saurait être plus fort et plus explicite !

 

 

Une objection peut surgir :

 

Oui, disent certains, le Pape Pie XI est très explicite ; mais le Pape n'écrirait plus cette encyclique aujourd'hui ! Les temps ont changé, nous sommes au temps du pluralisme !

 

Ou encore :

 

« De notre temps, il n'y a plus intérêt à ce que la religion catholique soit considérée comme l'unique religion de l'État, à l'exclusion de tout autre culte. » (Proposition 77, condamnée dans le Syllabus, Dz 1777.)

 

« Aussi doit-on des éloges à certains pays de nom catholique, où la loi a pourvu à ce que les étrangers qui viennent s'établir puissent jouir de l'exercice public de leurs cultes particuliers. » (Ibid. prop. 78 condamnée.)

 

Ou encore :

 

« L'Église de Vatican II, par la Déclaration sur la liberté religieuse, par Gaudium et Spes, (l'Eglise dans le monde de ce temps (titre significatif !), s'est nettement située dans le

monde pluraliste d'aujourd'hui, et sans renier ce qu'il y a eu de grand, a coupé les chaînes qui l'auraient maintenue sur les rives du Moyen-Age. On ne peut demeurer fixé à un moment de l'Histoire !» (Père Congar, « La crise dans l'Église et Mgr Lefebvre », p. 52 sq.)

 

Répondons :

 

C'est vouloir faire plier le Droit public de l'Église devant l'état de fait. C'est même pire que cela, c'est faire de l'apostasie des nations une nécessité inéluctable de l'Histoire. Or l'Église enseigne depuis dix-neuf siècles que son Droit public est aussi immuable que sa foi, parce qu'il est fondé sur elle ; et que la seule nécessité inéluctable de l'Histoire de l'humanité, c'est que Jésus-Christ doit régner.

 

Par conséquent l'Église (de Vatican II, comme de Vatican I, comme de Nicée ; ou alors « l'Église de Vatican II » n'est pas l'Église de Vatican I ni de Nicée, ni l'Église du Christ) a le devoir de proclamer son Droit dans toute sa plénitude et toute sa force, à la face du monde même laïcisé, matérialiste, libéral, indifférent, agnostique ou athée ; et avec d'autant plus de force qu'il est plus laïcisé, matérialiste, libéral, indifférent, agnostique ou athée ! C'est une question de Foi ! L'Église peut-elle renoncer, hésiter à proclamer sa foi en la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ ? qui est bien une vérité de foi catholique ! Pas davantage elle ne doit hésiter à proclamer son Droit public, c'est-à-dire sa primauté, sa souveraineté dans la cité humaine ! Bien loin de nous faire l'écho de cette phrase apostate : « le Pape n'écrirait plus cette encyclique aujourd'hui », nous sommes persuadé que c'est aujourd'hui plus que jamais que le monde a besoin de cette encyclique ; que c'est de cette vérité fondamentale que les hommes ont soif : « oportet illum regnare » ! C'est enfin pour cette raison que nous affirmons que la bouche du prêtre, de l'évêque, ne doit avoir aujourd'hui une plus grande vérité de foi à clamer que celle-ci :« oportet illum regnare ». Nous en sommes persuadé, nous fondant sur cette parole de Dom Guéranger :

 

« Il y a une grâce attachée à la confession pleine et entière de la Foi. Cette confession, nous dit l'Apôtre, est le salut de ceux qui la font, et l'expérience démontre qu'elle est aussi le salut de ceux qui l'entendent. » (Dom Guéranger, « Le sens chrétien de l'Histoire'.)

 

 

2- e point C de la doctrine conciliaire est ainsi résumé par Mgr Lefebvre : Vatican II revendique la « liberté de l'Église en tant qu'association d'hommes dans la société civile »  

 

Voilà, dit-il,  une seconde raison, selon Vatican II, de revendiquer la liberté de l'Église : elle a ce droit comme toute association d'hommes dans la cité ; au même titre que les autres associations de la société civile, elle a le « droit de vivre » (selon ses principes, qui sont en l'occurrence les préceptes de la loi chrétienne).

 

Réponse :

 

C'est donner une idée tout-à-fait fausse de l'Église ! Ne la considérer que comme une association légitime parmi d'autres au sein de la société civile ! La doctrine de l'Église est autre : l'Église n'est pas seulement une société légitime, elle est aussi une société parfaite et suprême, qu'on ne peut assimiler sans blasphème et grave injustice aux « autres associations de la société civile » !

 

Si de fait, dans les régimes laïcisés ou athées, l'Église est réduite au rang d'une association parmi d'autres dans la société, elle ne pourra guère espérer et revendiquer dans l'immédiat qu'un statut de « droit commun » aux autres associations de la cité (1) ;

 

 (1) Cf. Commission théologique (Cal Ottaviani), schéma préparatoire à V. II, II° partie, ch. IX : « Dans les cités où une grande partie des citoyens ne professent pas la foi catholique... le pouvoir civil non catholique doit, en mat. de religion, se conformer au moins aux préceptes de la loi naturelle. Dans ces conditions, il doit concéder la liberté civile à tous les cultes qui ne s'opposent pas à la religion naturelle. »

 

mais cette solution précaire, due à cette situation très particulière (même si elle est de fait très répandue), ne peut aucu­nement être considérée comme la doctrine générale et intégrale qui est tout autre, et la voici :

 

« L'Église, société parfaite au même titre que l'État, a par elle-même tous les moyens de subsister de façon stable et d'atteindre sa fin de manière indépendante. (Cf. Immortale Dei, P.I.N. 134.)

 

« Et comme la fin à laquelle tend l'Église est de beaucoup la plus noble de toutes, de même son pouvoir l'emporte sur tous les autres et ne peut en aucune façon être inférieur ni assujetti au pouvoir civil. » (Ibid.)

 

Donc présenter l'Église comme une « association d'hommes... au sein de la société civile », c'est la ranger au rang des sociétés imparfaites qui, chacune à leur place secondaire et subordonnée, concourent à procurer dans la cité le bien commun temporel ; c'est par conséquent lui aliéner son rang de société parfaite, et de société suprême en raison de la supériorité de sa fin (la béatitude éternelle) sur la fin de l'État (le bien commun temporel). On peut à cet égard citer une belle page de Jacques Maritain (avant sa « conversion » au libéralisme) :

« Nous devons affirmer comme une vérité supérieure à toutes les vicissitudes des temps la suprématie de l'Église sur le monde et sur tous les pouvoirs terrestres. Sous peine d'un désordre radical, il faut qu'elle guide les peuples vers la fin dernière de la vie humaine, qui est aussi celle des États, et pour cela qu'elle dirige au titre des intérêts spirituels qui lui sont confiés les gouvernements et les nations. » (« Primauté du spirituel », Plon, 1927, n. 23.)

 

Au lieu de réduire honteusement l'Église au régime du « droit commun » à toutes les associations de la cité, la doctrine catholique proclame la « primauté >, c'est-à-dire précisément, en termes classiques, le « pouvoir indirect » de l'Église sur l'État en raison de la subordination indirecte des fins des deux sociétés. C'est ce que montrent à la suite de S. Thomas (déjà cité) Jacques Maritain (« Primauté du spirituel ») et le Cardinal Journ-et (« La juridiction de l'Église sur la cité »), et avant eux les grands docteurs romains récents, avant Vatican II.

 

Ainsi, le Cardinal Billot s.j., « De Ecclesia Christi », T II : « De habitudine Ecclesiae ad civilem societa­tem », q. XVIII, § 5 :

« Quod Ecclesia accepit a Christo plenam auctoritatem super baptizatos in ordine ad finem salutis aeternae, et quod idcirco, in societatibus christianorum, potestas saecula­ris iure divino indirecte subest iurisdictionis ecclesiasticae. »

 

L'auteur se réfère à Suarez, « Defensio Fidei », L 3, ch. 22 ; et aux condamnations des idées gallicanes par Innocent XI, Alexandre VIII et enfin Pie VI dans sa bulle « Auctorem fidei » contre le Synode de Pistoie, dans laquelle est réprouvée l'opinion suivante :

« Reges... et principes in temporalibus nulli ecclesiasticae potestati, Dei ordinatione subiici... directe vel indirecte... Eamque sententiam publicae tranquillitati necessariam, nec minus Ecclesiae quam Imperio utilem, ut Verbo Dei, Patrum traditioni, et sanctorum exemplis consonam, omnino retinendam. »

 

 

De même le P. Garrigou-Lagrange o.p., « De revelatione », T II, ch. 15, a4 :

« De officio divinam revelationem sufficienter propositam suscipiendi, pro civili auctoritate et societate. »

 

L'auteur se réfère à S. Thomas et à Léon XIII (déjà cité) et, répondant à une objection opposée au pouvoir indirect en question, écrit :

« Bonum temporale non est quidem me­dium proportionatum ad consecutionem finis supernaturalis, sed est ei subordinatum, nam « temporalibus adjuvamur ad tendendum in beatitudinem ; inquantum scilicet per ea vita corporalis sustentatur, et inquantum nobis organice deserviunt ad actus virtutum »(II II q83 a6). Imo, bac subordinatione sublata, tem­poralia desiderarentur principaliter, ut in eis finem constitueremus, quod accidit in socie­tate irreligiosa seu athea. »

 

 

Et répondant enfin à une autre objection qui disait que dans la liberté des religions est suffisamment défendue la liberté de la vraie religion (ce que dit Vatican II : cf. notre passage « D »), le P. Garrigou expose la doctrine catholique :

 

        « Possumus... ex libertate cultuum arguere ad hominem, contra illos nempe qui liberta­tem cultuum proclamant et tamen veram Ec­clesiam vexant (sociétés laïques et socialisan­tes), eiusque cultum prohibent directe vel in­directe (sociétés communistes). Haec argumen­tatio ad hominem recta est, et Ecclesia catho­lica eam non dedignatur, sed eam urget ut jura suae libertatis defendat. Sed ex hoc non sequitur quod libertas cultuum, in se spectata, possit defendi absolute a catholicis, quia in se absurda est et impia ; veritas enim et error non possunt eadem jura habere. a

 

Enfin les manuels classiques de théologie enseignent le pouvoir indirect de l'Eglise sur l'État : Zubizarreta, i     T I, n. 568 ; Hervé, T I, n. 537 :

« Status Ecclesiae subordinari debet, negative quidem et positive, sed indirecte : Doctrina catholica. >

 

Du reste le Syllabus condamne cette proposition (n. 24) .

« Ecclesia vis inferendae potestatem non habet, neque potestatem ullam temporalem directam vel indirectam. » (Dz 1724.)

 

 

Concluons : La « liberté de l'Eglise en tant qu'association d'hommes au sein de la société civile » est une argumentation « ad hominem » face aux pouvoirs qui attentent à ce point à son droit public, qu'elle en est réduite à ne pouvoir attendre d'eux dans l'immédiat que le droit commun à l'existence pour toutes les associations légitimes, c'est-à-dire conformes à la loi naturelle (1).

 

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(1) Un exemple de l'usage de l'argument ad hominem est donné par Pie XI écrivant aux ordinaires de Chine le 15 juin 1926 : « Personne n'ignore, et l'histoire de tous les temps est là pour l'attester, que l'Église s'accommode des constitutions et des lois qui sont propres à chaque nation..., qu'elle ne demande rien d'autre pour les ouvriers évangéliques et pour les fidèles, que le droit commun, la sécurité et la liberté.

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Mais c'est un blasphème et une apostasie que de faire de cet argument un principe absolu et fondamental du Droit public de l'Église ! Les Papes ont eux­-mêmes formellement condamné l'attitude d'États même catholiques de nom, qui réduisent ainsi l'Église au régime du droit commun :

« En somme ils traitent l'Église comme si elle n'avait ni le caractère ni les droits d'une société parfaite, et qu'elle fût simplement une association semblable aux autres qui existent dans l'État. » (Immortale Dei, P.I.N. 144.)

 

Pie VII avant Léon XIII écrivait en son temps à l'évêque de Boulogne en France, au sujet de la Charte de 1814 :

 

 

 « Il n'est certes pas besoin de longs discours, Nous adressant à un évêque tel que vous, pour vous faire reconnaître clairement de quelle blessure mortelle la religion catholique en France se trouve frappée par cet article (l'article 22) ; par cela même qu'on établit la liberté de tous les cultes sans distinction, on confond la vérité et l'erreur, et l'on met au rang des sectes hérétiques et même de la perfidie judaïque, l'Épouse sainte et immaculée du Christ, l'Église hors de laquelle il ne peut y avoir de salut. » (Lettre « Post tain diu­turnitas », du 29.IV.1814, P.I.N. 19.)

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