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Un regard sur l’actualité politique et religieuse

au 29 août 2004

N°6

par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

 

 

 

Le Cardinal Ratzinger et son entretien avec le  Figaro Magazine du 13 août 2004

 

 

Le Cardinal Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, a donné, à l’occasion du voyage du Pape Jean-Paul II, à Lourdes, un « entretien » au Figaro Magazine. Cet « entretien » fut publié dans le numéro du 13 août 2004
Il fut interrogé  par Sophie de Ravinel.

 

Cet « entretien » est riche et intéressant.

Il aborde des sujets actuels.

Interrogé sur la signification du voyage du pape à Lourdes, il parle du problème de la souffrance, du mal qui est et reste une grande interrogation du peuple. « Pourquoi la souffrance » ?

A propos de l’Europe, il rappelle l’influence historique du catholicisme et dit son opposition  et son incompréhension au silence des « politiques » sur ce sujet dans la Nouvelle Constitution de l’Union Européenne.

Devant la poussée formidable du laïcisme en Europe et plus particulièrement en France,  il parle de « laïcisme acharné », de « laïcisme absolutisé », du « laïcisme idéologique » et  en fait une critique sévère. A ce sujet, le « théologien » de Jean-Paul II ne craint pas de parler de véritable « haine »… Il redoute, dit-il,  une haine de soi au sein du continent européen par cette  méconnaissance des racines chrétiennes de l’Europe.

Il a l’occasion également de parler du problème de la conscience «érigé en absolue, par la philosophie moderne et « le » politique contemporain. C’est le « subjectivisme » dans lequel s’enferme le monde d’aujourd’hui. 

Sur tous ces sujets, le cardinal  nous donne des considérations utiles, pertinentes mais également  étonnantes, surprenantes, discutables. Il donne un rôle à l’Etat qui en surprendra plus d’un…

Il est interrogé sur l’entrée de la Turquie en « l’Europe des 25 », et là, il ne craint pas de parler « d’erreur » en raison de leur différences culturelles et de leur antagonisme historique. Il envisage toutefois des relations non seulement économiques mais également culturelles en parfaite harmonie « avec les «grandes valeurs humanistes que tous nous devrions reconnaître », qui permettrait de s’opposer « à toutes formes de fondamentalisme ». N’est-ce pas méconnaître la nature de l’Islam ?

 

Bref, dans cet « entretien », nous trouvons une pensée riche souvent pertinente mais bien souvent  aussi surprenante, ou pour le moins, susceptible d’ouvrir un débat. Ce ne serait peut-être pas le moindre intérêt de cette diffusion de la pensée du « théologien » du Pape.…

 

Les revues ou journaux ne restent pas longtemps en kiosque. On risque, demain, de ne plus trouver ce texte.

 

Tout ceci me pousse à vous en donner l’intégralité…pour pouvoir en discuter. Je ferai suivre le texte de quelques commentaires.

 

 

 

Cardinal Ratzinger

 

« Identifier la Turquie à l’Europe serait une erreur ».

 

 Dans cet entretien exclusif, le bras droit du pape s’interroge sur l’évacuation de la foi dans la seule sphère privée et appelle le Vieux Continent à être fier de son héritage chrétien.

 

Propos recueillis par Sophie de Ravinel

 

Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi au Vatican, le cardinal Joseph Ratzinger est depuis plus de vingt ans le gardien de l’orthodoxie catholique. A l’occasion de la visite de Jean-Paul II à Lourdes, les 14 et 15 août, il explique la signification de ce pèlerinage, la démarche de purification d’un malade et d’une souffrance au milieu d’autres malades. Il rappelle aussi l’attachement historique du pape à la France et sa préoccupation face à la montée d’un laïcisme idéologique qui s’est exprimé au cours du débat sur les racines de l’Europe. Le « théologien » de Jean-Paul II redoute une haine de soi au sein du continent européen et souligne que l’intégration de la Turquie dans l’Union serait « une erreur » en raison de leurs différences culturelles et de leur antagonisme historique.

 

Le Figaro MagazineLe pape se rend dans un sanctuaire marial très fréquenté par les personnes malades ou blessées par la vie… Etant donné sa propre fatigue et son état de santé, quelle signification particulière accordez-vous à cette démarche ?

 

Joseph Ratzinger – Mon impression personnelle est qu’il souhaite se rendre avec les  malades auprès de la Vierge, étant lui-même souffrant et malade. Blessé par la maladie et par la vieillesse, il va prier dans ce sanctuaire marial en geste de solidarité avec le monde qui souffre. Il ne s’agit pas tant de rechercher une guérison extérieure qu’une consolation maternelle et une force intérieure. Cette force aide à transformer la souffrance, qui est une négation des forces de la vie, en amour et en don de soi-même. Par ailleurs, je pense qu’il faut mettre en valeur ce symbole de la fontaine, de l’eau fraîche…La Sainte Vierge a donné cette eau comme un  symbole de la purification, de la guérison, de la pureté de la création. Elle est elle-même source de pureté et remplie de l’Esprit-Saint.

 

 

Le Pape recherche-t-il la purification dans l’épreuve spirituelle de sa maladie ?

 

Nous avons tous besoin de purification, de renouveau surtout. Jean-Paul II s’en remet à la volonté de Dieu. Nous savons aussi que la souffrance provoque le non et la résistance. Pourquoi Dieu agit-il ainsi avec nous. Où est sa bonté dans la maladie ? Il n’est pas possible de comprendre immédiatement le sens de la souffrance. Comme telle, avec son caractère destructeur, elle est une diminution de notre vie et nous place dans une situation d’interrogation et de combat. La démarche du pèlerinage nous permet de demander la force du Seigneur afin qu’il nous donne cette capacité d’entrer avec notre souffrance dans la sienne, lui qui l’a transformée en amour.

 

 

Commentaire

 

Cette dernière phrase est très juste. Le monde a du mal à comprendre cela. Le mal restera toujours un grand « mystère » et l’occasion de toutes les « révoltes » et « négations » de Dieu et de sa bonté.  Ayant perdu le sens du « péché », ainsi que le sens de la « justice », ce qui est du,  le « monde » ne peut  pas avoir  le sens de la « réparation », de la « satisfaction » ni de la «  rédemption » et donc du « sacrifice ». La souffrance acceptée, unie à la souffrance du Rédempteur, est elle-même « rédemptrice », « sanctificatrice », «  purificatrice », « sanctifiante ». Sans le mystère de la Croix du Seigneur- Jésus, mystère de Charité, de Justice et de Réparation », de « Satisfaction vicaire », la souffrance reste sans explication, sans raison, « un vrai mystère », quelque chose d’étrange. Mais unie à celle du Seigneur, elle trouve toute sa signification  et sa richesse et sa gloire. Le chemin de la Croix du Seigneur est le chemin de la sagesse. C’est l’argument ultime et fondamentale qu’il faut dresser contre l’euthanasie.  Refuser le mystère de la Croix du Seigneur, l’euthanasie est à votre porte… « Pourquoi souffrir… ? »

 

 

Il s’agira du septienne voyage de Jean-Paul II en France. Quelle est sa relation avec celle qui a été qualifiée de « fille aînée de l’Eglise » ?

 

Vous savez que le Saint Père a beaucoup d’admiration pour l’Eglise en France et pour sa grande théologie. Il a collaboré avec certains de ses représentants, notamment pendant le concile Vatican II, lors de la rédaction du schéma Gaudium et Spes, qui a été, plus que les autres, formé par la pensée française. Il a fait cardinal le père de Lubac et le père Congar. Il a étudié la théologie avec le père Garrigou-Lagrange. Sa formation spirituelle et théologique est liée à la France où il a effectué de nombreuses visites. Je me souviens particulièrement de celle qui a commémoré l’anniversaire du baptême de Clovis comme d’un grand renouveau du baptême de la France. La « fille aînée de l’Eglise », occidentale disons, a beaucoup donné à l’Eglise ».

 

 

Commentaire.

 

Jean-Paul II eut des relations particulièrement suivies avec Henri de Lubac et Congar et leur théologie. Le Cardinal le confirme. Le pape les apprécia tellement qu’il leur conféra les honneurs de la pourpre cardinalice.

Le Cardinal  parle de ces théologiens avec un « naturel » qui déconcerte. Un aplomb surprenant !

Il ne faut, tout de même,  pas oublier qu’ils  furent dénoncés et mis à l’écart sous le pontificat de Pie XII. Leur « nouvelle théologie » néo-moderniste fut l’occasion de la publication de l’encyclique « Humani Generis ». Là,  le pape dénonça leurs principes théologiques. Malheureusement, ces principes théologiques,  grâce à l’appui senti et explicite de Montini d’abord et de Paul  VI ensuite, finirent  par dominer toute la pensée du concile Vatican II.

 

Ainsi les ecclésiastiques qui sont aujourd’hui au pouvoir dans l’Eglise et qui exigent  une obéissance qui ne leur est pas due, au détriment du Magistère Traditionnel, sont ceux qui ont désobéi hier, ceux qui , enseignants ou élèves, méprisèrent et rendirent vain l’enseignement de l’encyclique « Humani Generis » de Pie XII.

 

(NB :  Pour celui qui veut approfondir ce sujet très important, je conseille vivement la lecture du livre « la Nouvelle Théologie » publié par le Courrier de Rome(  BP 156 78001 Versailles-Cedex). Tout particulièrement les annexe I et II, toutes deux consacrées au Père Henri de Lubac pp. 139-163)

 

 

Cette mission particulière se poursuit-elle encore aujourd’hui ?

 

Oui, je le pense. C’est une réalité essentielle. Naturellement le pape est aussi préoccupé par le laïcisme idéologique qui se manifeste fortement aujourd’hui. Nous sommes pour la laïcité, bien entendu. Mais nous sommes opposés à un laïcisme idéologique qui risque d’enfermer l’Eglise dans un ghetto de subjectivité. Ce courant de pensée souhaite que la vie publique ne soit pas touchée par la réalité chrétienne et religieuse. Une telle séparation, que je qualifierais de « profanité » absolue, serait certainement un danger pour la physionomie spirituelle, morale et humaine de l’Europe. Nous espérons donc que la vitalité de l’Eglise en France soit suffisante pour aider toute l’Europe à répondre à cette provocation, à ce défi. J’ai l’impression qu’il y a de fortes initiatives visant à ré-évangéliser la France, à redonner à la foi une présence forte dans la vie publique. Il faut comprendre – dans un plein respect du pluralisme culturel, de la liberté religieuse et d’une saine laïcité – que la foi chrétienne a quelque chose à dire pour la morale commune et pour la composition de la société. La foi n’est pas une chose purement privée et subjective. Elle est une grande force spirituelle qui doit toucher et illuminer la vie publique »

 

 

 

 

 

 

Commentaire.

 

Le vœu exprimé par le Cardinal Ratzinger est certainement louable : « Nous espérons que la vitalité de l’Eglise en France soit suffisante pour aider toute l’Europe à répondre à cette provocation, à ce défi » du laïcisme idéologique.

 

Je le souhaite vivement. Mais je crains fort le contraire… Si  l’on s’attarde quelques instants  sur les déclarations de l’épiscopat français  sur  ce sujet  du laïcisme « maçonnique »  et tout particulièrement  sur celle de son président, Mgr Ricard, on peut craindre. Jean Madiran l’a fait dans les colonnes de Présent, dans cinq numéros de suite : ceux du 11, 14, 18,  19 et  21 août.

Que le Cardinal lise à son tour ces analyses. Son espérance pourrait être bien déçue.

Je ne veux pas allonger…Mais voilà une réflexion de Mgr Ricard, la dernière sur le sujet, le 30 janvier 2004, dans une grave et grande interview au Figaro, Elle se trouve exprimée dans la dernière colonne de l’entretien. Elle est même dans la conclusion. Il écrit  : « Toutes les composantes religieuses doivent avoir droit de cité, publiquement, (j’imagine au titre de la liberté religieuse…garantie bien sur par l’Etat…Passons !)  à condition de savoir aussi donner leur place aux autres et de ne pas se mettre en contradiction avec les grands principes de la République ».

 

Stupéfaction ! J’en ai  le souffle coupé ! Quoi !

 

Jean Madiran, dans Présent du 21 août, fait ce rapide et cinglant commentaire : « Relisons, dit-il. La condition pour qu’une religion ait droit à l’existence dans la République française : ne pas se mettre en contradiction avec les grands principes de la République ! On croit rêver. Ces « grands principes » c’est la mixité généralisée, composante obligatoire du principe essentiel de laïcité, ainsi que l’affirme l’exposé des motifs de la nouvelle loi laïque. Ce sont les « droits de l’homme », et parmi eux, le « droit à l’avortement ». Et aussi l’éducation morale des enfants entièrement et sans appel soumise à l’autorité de l’Etat. Demain peut-être, parmi ces « grands principes », on verra figurer le droit à l’euthanasie, le mariage homosexuel, et Dieu sait quoi encore !…

Plus fondamentalement, quelles que soient les suites de l’évolution fantaisiste et illimitée de ces « grands principes de la République », le droit de cité de l’Eglise catholique ne peut dépendre de sa conformité à une loi politique, fut-ce une loi constitutionnelle.
Et ce fut un jour sombre, annonciateur de grands malheurs, ce jour du 30 janvier 2004 où le président de l’épiscopat français situa la légitimité de l’Eglise ailleurs que dans sa mission divine. »

 

 

 

Et vous croyez, Eminence, qu’avec un tel langage, avec une telle attitude, la France va rester fidèle à sa mission de « Fille aînée de l’Eglise » ? Ne  risque-t-elle plutôt de devenir  un  « lieu  anti-Christique ? »

 

 

Votre congrégation a publié un document, l’an dernier, sur la responsabilité des hommes politiques catholiques, et vous avez récemment adressé une note aux évêques américains sur ce sujet. Le débat porte la-bas sur la candidature de Kerry qui se dit catholique et favorable à l’avortement. Ne s’agit-il pas d’une intrusion de l’Eglise et du Vatican dans la vie politique d’un pays ?

 

 

Avant tout, je tiens à préciser que dans nos intentions, le texte publié sur l’engagement des catholiques en politique est explicitement en faveur du pluralisme. L’Etat doit être le garant de la liberté de pensée et de religion. Nous ne cherchons pas à imposer notre foi aux autres par le biais de la politique. Mais  nous sommes par ailleurs convaincus que la foi est aussi une lumière pour la raison et que l’homme politique catholique doit pouvoir transmettre cette lumière dans son combat politique.
En ce qui concerne le droit de vivre, il doit être protégé par tout Etat, du premier instant de la vie au dernier. C’est une évidence de la raison, ce n’est pas une position de foi. Mais il serait contre la foi de s’opposer à cette évidence. Un politicien qui prend une position différente qui ne respecte pas l’image de Dieu et l’inviolabilité de la personne humaine  est aussi en opposition avec les composantes rationnelles de la foi. Dans ce sens, il s’oppose à un élément fondamental de la conscience chrétienne. Les évêques américains ont publié une déclaration, suite au débat portant sur le fait de savoir si un homme politique catholique favorable à l’avortement pouvait ou non accéder à l’eucharistie. Ils ont rappelé que l’examen de conscience précédant l’eucharistie ne valait pas seulement pour les politiciens mais aussi pour tous ceux qui y participent, et que cet examen ne concerne pas uniquement leur position envers l’avortement, mais qu’il concerne toute leur vie de chrétien. Publiquement on a voulu donner l’impression qu’il y avait une opposition entre les évêques américains et la Congrégation pour la doctrine de la foi sur cette question. Cela n’est pas exact : si les modes de présentation sont différents, les  principes, par contre, sont les mêmes et clairement exposés ; il y a donc concordance dans la substance.

 

 

Commentaire.

 

Au début de la réponse du cardinal, je trouve deux principes qui me surprennent. Celui de la confession explicite du  « pluralisme ». C’est dans cet esprit « pluraliste » qu’il a rédigé le texte concernant la vie des catholiques dans le domaine politique. .  Et de plus, il attribue un rôle à l’Etat surprenant. De l’Etat, il enseigne  qu’il  « doit être  le garant de la liberté de pensée et de religion »

 

Au sujet du « pluralisme, je pense que cette affirmation est nouvelle dans le langage de l’Eglise. L’Eglise  défend toujours la vérité. Elle croit à la vérité. Elle la possède par suite de la volonté divine. Aussi ne parlait-elle pas de « pluralisme » mais  bien de «  tolérance ». L’Eglise tolérait les erreurs. Mais ne leur reconnaissait aucun droit de citer. Ce nouveau langage lui est imposé en raison de la déclaration conciliaire sur la « liberté religieuse ». Cette « nouvelle » doctrine de l’Eglise sur la «  liberté religieuse » a modifié toute la pensée catholique sur son «  droit public ».

Ceci apparaît à l’évidence dans la réflexion du Cardinal sur le rôle de l’Etat.

 

Quant au rôle de l’Etat ici affirmé par le cardinal, j’ose lui rappeler le langage du Cardinal Pie devant l’Empereur Napoléon III. A la question de l’Empereur : « Mais enfin, Monseigneur n’ai-je pas fait suffisamment mes preuves de bon vouloir envers la religion ? La Restauration elle-même a-t-elle fait plus que moi ? » 

Le cardinal Pie lui  répond : « Peut-être la Restauration n’a-t-elle pas fait plus que vous. Mais laissez-moi ajouter que ni la Restauration ni vous n’avez fait pour Dieu ce qu’il fallait faire, parce que ni l’un ni l’autre vous avez relevé son trône, parce que ni l’un ni l’autre vous avez renié les principes de la Révolution, dont vous combattez cependant les conséquences pratiques ; parce que l’Evangile social dont s’inspire l’Etat est encore la Déclaration des droits de l’homme, laquelle n’est autre chose, Sire, que la négation formelle des droits de Dieu. Or c’est le droit de Dieu de commander aux Etats comme aux individus. Ce n’est pas pour autre chose que Notre Seigneur Jésus-Christ est venu sur la terre. Il doit régner, en inspirant les lois, en sanctifiant les meurs, en éclairant l’enseignement, en dirigeant les conseils, en réglant les actions des gouvernements comme des gouvernés. Partout où Jésus-Christ n’exerce pas ce règne il y a désordre et décadence. Or j’ai le devoir de vous dire qu’Il ne règne pas parmi nous, et que notre Constitution n’est pas, loin de là, celle d’un Etat chrétien et catholique. Notre droit public établit bien que la religion catholique est celle de la majorité des Français ; mais il ajoute que les autres cultes ont droit à une égale protection. N’est-ce pas proclamer équitablement que la Constitution protège pareillement la vérité et l’erreur » ?

Et le cardinal parlera expressément, quelques instants plus tard, d’ une chose absolument « contradictoire ». (La doctrine politique et sociale du cardinal Pie p.303)

 

Nous avons là  deux pensées parfaitement elles aussi « contradictoires ». Laquelle est catholique ?

 

 

Qu’en est-il de la conscience personnelle de l’homme politique ?

 

 

La conscience n’est pas purement subjective, elle a des critères objectifs. Un catholique trouve la lumière pour former sa conscience dans les indications de notre foi. Il me semble que la « subjectivisation » de la conscience est une grande erreur de notre époque. Elle demeure sans critère et à la fin c’est un sujet non défini qui devient la dernière mesure de toutes les actions. Avec l’absolutisation du sujet sous le nom de conscience, nous perdons la communicabilité de la  morale et la communion dans les fondements essentiels de la société. Le sujet n’est pas seul, il doit être ouvert à la connaissance des exigences de la nature humaine, de la personne humaine comme telle.

 

Commentaire.

 

Nous avons là un très heureux rappel que la conscience humaine, si elle est  fondement de la morale, doit être une conscience « éclairée », éclairée par la loi naturelle « par les exigences de la nature humaine » et par la réalité de la personne humaine qui, pour « sui juris » qu’elle soit, a une dimension sociale.

Le cardinal met le doigt sur l’erreur  moderne du  « subjectivisme » absolu. Il n’y a pas de vérité antérieure à l’esprit humain qui s’impose  à lui et le domine. C’est la raison humaine seule, c’est le « moi » seul qui, maître souverain de ses jugements, est la source de toute vérité. Il s’agit ainsi, on le voit, d’une véritable divinisation de la raison humaine, du « sujet » humain. Si la raison humaine, si le « moi » crée à sa guise le vrai et le faux, il possède cette indépendance souveraine du Créateur dont tout dépend et qui ne dépend de  rien. Il est pourvu ainsi d’attributs divins. L’homme peut alors s ‘adorer lui-même dans le Temple de son moi ainsi divinisé. C’est le fondement même de la « Déclaration des Droits de l’homme » sans Dieu. , au principe du monde politique moderne. Il est bien dommage que le Cardinal ne pousse pas plus loin sa réflexion.

Le Cardinal rappelle que l’homme n’est pas le fondement et le principe de tout. Il n’est pas le principe de la nature et de l’existence de l’univers. Il n’est même pas le principe de sa propre existence et de sa propre nature. Il y a un Principe Premier qui a fait toute chose. Et c’est la grandeur et la beauté de l’homme de s’y soumettre. L’ordre politique est dans ce réalisme reconnu. 

 

Le Cardinal rappelle très heureusement une  conséquence de ce subjectivisme absolu : «  Avec l’absolutisation du sujet sous le nom de conscience, nous perdons la communicabilité de la  morale et la communion dans les fondements essentiels de la société »

C’est très juste. L’idéalisme absolu est fatalement une tour de Babel. Les hommes sont divers, leurs tendances individuelles sont profondément divergentes et rivales, et on ne peut les unir sur le plan même où ils sont divers et opposés, c’est-à-dire sur le plan de leur humanité et de leur liberté humaine dont le subjectivisme absolu fait le fondement et le principe de tout. Il n’y a d’unité entre les hommes qu’en quelque chose de supérieur à eux qui les domine et du même coup les unifie : la vérité, la beauté, le bien moral et, la source de tout cela, Dieu. Mais le subjectivisme refuse cet univers….

 

 

Malgré ses interventions, le saint Siège n’a pas pu faire en sorte que le préambule de la Constitution européenne mentionne les racines chrétiennes de l’Europe. Qu’en pensez-vous ?

 

 

Je suis convaincu qu’il s’agit d’une  erreur. L’Europe est un continent culturel et non pas géographique. C’est sa culture qui lui donne une identité commune. Les racines qui ont formé et permis la formation de ce continent sont celles du christianisme. Il s’agit d’une simple fait de l’histoire. J’ai donc des difficultés à comprendre les résistances exprimées contre la reconnaissance d’un tel fait incontestable. Si vous m’affirmez qu’il s’agit d’un temps lointain, je vous réponds que la renaissance de l’Europe après la seconde Guerre mondiale a été rendue possible grâce à des hommes politiques qui avaient de fortes  racines chrétiennes, qu’il s’agisse de personnes comme Schuman, Adenauer, de Gaulle, de Gasperi ou d’autres. Ce sont eux qui se sont confrontés aux destructions provoquées par des totalitarisme athées et antichrétiens. Se taire sur cette réalité est une chose très étrange et aussi dangereuse. Il faudrait continuer le débat sur cette question, car je crains que derrière cette opposition se cache une haine de l’Europe contre elle-même et contre sa grande histoire.

 

 

Commentaire.

 

Sur ce sujet de l’absence de référence au Catholicisme dans la Constitution d’Union européenne, le Cardinal Ratzinger parle d’ « erreur ». Le Cardinal  Barbarin  parle de même dans son interview à la Croix. Il parle de « méprise » : « Le pèlerinage de Jean-Paul II à Lourdes « prend également une dimension politique, après la méprise concernant la Constitution de l’Europe et le refus d’y mentionner ses racines chrétiennes ».

 

« Une  méprise » ? C’est-à-dire une erreur, sur laquelle se fonderait le « refus » ?  Jean Madiran, dans son commentaire de Présent du 14 août met un  point d’interrogation après ces expressions. Il a raison.

 « La méprise consisterait à ne pas voir ou à nier les racines chrétiennes de l’Europe.

Ce n’est point le cas du président Chirac. Il ne nie pas le fait. Le 2 juin dernier, sur le perron de l’Elysée, en réponse à la question d’un journaliste, il l’a précisé : « Sur la référence aux origines chrétiennes que je respecte et que naturellement je n’ignore pas, je rappelle qu’en France(…) l’affirmation de la laïcité exclut toute référence religieuse dans les textes officiels ». Il ne s’agit donc non pas d’une erreur de l’intelligence, mais d’un refus arbitraire de la volonté laïque… La laïcité républicaine dit en substance : le christianisme, on sait bien qu’il existe, et ce qu’il a fait, il n’y a pas méprise, on ne s’y trompe pas, mais on n’en veut pas. » 

L’opposition de nos gouvernements au catholicisme est totale. Elle s’inscrit dans la plus parfaite tradition républicaine et révolutionnaire, dans la suite de  la pensée des Lumières. N’est-ce pas Voltaire qui écrivait « Ecrasons l’Infame ». L’infame, hier, était le Christ. Aujourd’hui, c’est l’Eglise catholique. C’est tout un. Ils s’y acharnent. C’est tout le sens de la loi de la laïcité. La laïcité est une « guerre ». Nos pontifes ne le rappellent pas assez…

 

 

L’étude de la candidature de la Turquie devient plus précise. Son entrée dans l’Union signifierait-elle pour vous un choc ou un enrichissement des cultures ?

 

Nous avons parlé de l’Europe comme d’un continent culturel et non géographique. Dans ce sens, la Turquie a toujours représenté un autre continent au cours de l’histoire, en contraste permanent avec l’Europe. Il y a eu les guerres avec l’Empire byzantin, pensez aussi à la chute de Constantinople, aux guerres balkaniques et à la menace pour Vienne et l’Autriche…Je pense donc ceci : identifier les deux continents serait une erreur. Il s’agirait d’une perte de richesse, de la disparition du culturel au profit de l’économie. La Turquie, qui se considère comme un Etat laïc, mais sur le fondement de l’islam, pourrait tenter de mettre en place un continent culturel avec des pays arables voisins et devenir ainsi le protagoniste d’une culture possédant sa propre identité, mais en communion avec les grandes valeurs humanistes que nous tous devrions reconnaître. Cette idée ne s’oppose pas à des formes d’associations et de collaborations étroite et amicale avec l’Europe et permettrait l’émergence d’une force unie s’opposant à toute forme de fondamentalisme. 

 

 

Commentaire

 

Sur l’entrée de la Turquie dans l’Europe des 25, le Cardinal invoque des raisons de sagesse. A leur lumière, il considère que ce serait une « erreur ». Nous les avons nous-même exposées dans un précédent « Regard sur le monde » . Nous vous y renvoyons (voir « Regard sur le monde »  n° 4).

Quant à la deuxième pensée exprimée par le cardinal – si je l’ai bien comprise -:  Que la Turquie tente de mettre en place « une continent culturel » s’articulant autour de trois axes fondamentaux : la laïcité, l’Islam,  « en communion avec les grandes valeurs humanistes que nous tous devrions reconnaître », j’attends de le rencontrer pour lui demander des précisions et des compléments….

 

 

Concernant le fondamentalisme religieux, la montée en puissance du la¨cisme en France n’est-elle pas une réaction de protection face à ce phénomène ?

 

 

Selon moi, pour une part au moins, la montée du fondamentalisme est elle-même provoquée par un laïcisme acharné. Il s’agit d’un rejet de ce monde qui refuse Dieu et le respect du sacré ; qui se sent totalement autonome, et qui ne connaît pas de lois innées à la personne humaine et qui reconstruit l’homme selon ses propres schémas de pensée. Cette perte du sans du sacré et du respect de l’autre provoque une réaction d’autodéfense au sein du monde arabe et islamique. Un mépris profond s’y exprime face à la perte du sens surnaturel qui est perçue comme une décadence de l’homme. Le laïcisme absolutiste n’est donc pas la réponse au défi terrible du fondamentalisme. Seul un sens religieux raisonné, en union profonde avec la raison, peut modérer ces radicalismes et permettre de trouver un équilibre dans le dialogue des cultures.

 

 

 

Commentaire

 

Le cardinal voit dans le laïcisme la propre raison du développement du fondamentalisme islamique et la raison du défi qu’il lance à l’occident. Je lui laisserai la responsabilité de l’affirmation. Personnellement, je pense que c’est l’Islam lui-même qui est à lui-même, dans ses principes, la raison de son propre  fondamentalisme. L’Islam est de soi fondamentalisme. Et s’il ne  tombe pas toujours dans ce danger, c’est pour des raisons extrinsèques à l’islam d’ordre historique. On peut en débattre !

 

Mais l’idée exprimée par le cardinal l’oblige à revenir sur le laïcisme. Et là, il le définit très heureusement :  le laïcisme « acharné » « refuse Dieu » et refuse le respect du  sacré.  En ce sens qu’il le nie de la même manière qu’il nie Dieu. C’est bien vue. Le cardinal ajoute « Le laïcisme  se sent totalement autonome ».C’est également très bien vue. En ce sens qu’il « ne connaît pas de lois innées à la personne humaine ». En conséquence, il « reconstruit l’homme selon ses propres schémas de pensée ».Le laïcisme est donc bien un « idéalisme », un total « subjectivisme ». L’homme n’a pas d’autre norme que lui-même et sa pensée, libre de pensée ce qu’il veut, comme il veut. Jacques Chirac le disait, un jour,  à sa manière lorsqu’il affirmait que la loi naturelle ne pouvait en « remontrer »  à la loi républicaine. Je n’ai plus en tête  la phrase exacte. Mais j’en exprime bien le sens profond. La loi républicaine est à elle même sa propre norme. Elle est le fait du nombre. C’est la définition même de la loi de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et 1945 : «la Loi est l’expression de la volonté générale ».