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 Un regard sur l’actualité politique et religieuse

 au 31 octobre   2004

 

N°15

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

 

 

 

 

Monseigneur Marcel Lefebvre

et

  le problème de la juridiction des prêtres de la FSSPX dans la crise présente de l’Eglise.

 

La guerre des communiqués

 

Alors que l’on pouvait espérer voir revenir le calme dans les rangs  des traditionalistes  de la FSSPX, avec les propos sages prononcés par Mgr Williamson  à Marseille et à Paris, les 16 et 17  octobre dernier. Il y eut peu d’homélies qui furent si vite propagées…C’est un signe…

 

Alors que l’on commençait à penser que le règlement de ces affaires, graves mais non fondamentales,  allaient se poursuivre à huis clos pour aboutir enfin, comme cela se devrait, entre gens de bonne compagnie, à une paix cordiale et franche, les antagonistes n’étant  tout de même pas des ennemis…mais on finirait par le croire, ce qui serait stupide…

 

Voilà que nous assistons, subitement, à un rebondissement de l’affaire - pour le plus grand malheur et des prêtres et des fidèles qui, tous souffrent de ces tensions malheureuses. Ce qui montre que le respect de la justice  -rendre à chacun son dû -  est fondamental pour maintenir la paix dans les  relations sociales…

 

Oui, , nous assistons, subitement et malheureusement, à un rebondissement de l’affaire par la publication  de divers communiqués des différents partis. Et de M l’abbé Sélégny, le 21 octobre 2004,  au nom de la Maison Générale et de Messieurs les abbés Laguérie et Hery., le lendemain 22octobre 2004.

 

Je ne m’intéresserai qu’à quelques unes de leurs affirmations, celles  touchant le problème de juridiction. C’est un sujet important.

 

Monsieur l’abbé Sélégny écrit dans son communiqué du 21 octobre 2004 : «La Maison générale tient à préciser que … le ministère coupé de toute hiérarchie qu’ils ( nos abbés Laguérie et Héry) se sont attribués à l’église Saint-Éloi ne peut être licite ». C’est la deuxième conclusion du communiqué.

 

Sur quoi, les Abbés Philippe Laguérie et Héry répondent le lendemain :

 

« Notre ministère présent à Saint Éloi serait « illicite » ! Mais de qui M. l’abbé Sélégny tient-il lui-même sa juridiction ? De quelque accord secret avec Rome… ? Qu’il le dise.

La juridiction de suppléance dont bénéficie jusqu’à nouvel ordre notre Fraternité est prévue par le Code de Droit canonique, qui indique que ce sont les fidèles qui, par leur besoin et leur demande, obtiennent de l’Église la juridiction licite pour leur pasteur. Qui ne voit que s’attribuer ainsi le monopole de la juridiction de suppléance dans l’Église est simplement absurde et porte la marque d’une dérive plus que troublante ? Au nom de quelle autorité M. l’abbé Sélégny peut-il interdire à l’Église de suppléer au manque de juridiction de tels prêtres, lorsque les fidèles en état de nécessité spirituelle font appel à eux ?


Refuser à quelque prêtre que ce soit cette juridiction de suppléance, n’est-ce pas, du côté de la Tradition, la dénier à tous les autres et scier inconsidérément la branche où l’on est assis : le gouvernement et l’administration des sacrements dans toute la Tradition seraient illicites !

Nous faisons donc savoir que notre ministère à Saint-Éloi et partout où l’on nous appelle est aussi licite que celui de tous les prêtres de la Tradition, dans ou hors la Fraternité. L’arbitraire de ce décret de l’abbé Sélégny n’échappera à personne : il coïncide avec l’accusation permanente des évêques de France et de Navarre contre tous nos confrères, incitant au ralliement. »

 

++++

 

 Tout ceci m’a rappelé que Mgr Lefebvre avait lui- même, traité, ex professo, cet important problème de juridiction pour les prêtres de la  FSSPX. 

 

C’était même exactement le 9 juin 1979, devant les diacres qui allaient recevoir le sacerdoce de ses mains quelques jours après sur le « champ » d’Ecône.

 

J’ai ré-écouté l’enregistrement. L’enseignement de Mgr Lefebvre est très clair. Il donne tort à l’abbé Sélégny.

 

Pour l’anecdote, dans cet enregistrement, on reconnaît  très bien le « bruit » d’un abbé, celui de M. l’abbé  Philippe Laguérie. Il était « agité », ce jour,  de quelques rhumes ou de quelques grattements de gorge, bien connus. Il devait être peu éloigné du micro du conférencier.

On reconnaît  aussi la voix d’un autre abbé, celle de M l’abbé Claude  Barthe qui , lui, devait être au loin…Il fut un des trois diacres  qui demandèrent des précisions à Mgr Lefebvre.

 

Cet enregistrement est une pièce historique. Mais oui ! M. l’abbé Barthe fut membre de la FSSPX et doit l’être toujours…En tout cas, il a en su garder l’esprit.

 

J’ai donc écouté la conférence de Mgr Lefebvre. Il traite expressément  la question qui fait aujourd’hui l’objet de ces derniers communiqués, de « nos affaires présentes » : sur ce sujet de la juridiction tel que présenté par Monsieur l’abbé Sélégny.

 

Il est clair que la Maison générale se trompe. Elle est dans l’erreur.

 

Je le dis sans esprit de polémique. Un erreur est toujours possible et il est toujours grand et noble de reconnaître son erreur. Cela ne diminue en rien l’autorité et le respect qu’on lui  doit.

Mais autre le respect, autre l’obéissance servile.

 

Je dis faire ces quelques réflexions sans aucun esprit polémique.  Mgr Lefebvre, du reste, en avait horreur. De ma vie avec lui, je ne lui connais qu’un texte que j’avais trouvé assez polémique. C’est un texte écrit sur  Mr l’abbé de Nantes et publié dans la revue « Itinéraires », si je ne me trompe… Monseigneur n’aimait pas la polémique. Je  peux même dire que ce texte sur M l’abbé de Nantes n’était pas de lui. Je peux dire le nom de l’auteur. Il est toujours parmi nous.   Une simple étude littéraire pourrait, du reste,  permettre de le conclure assez facilement.  Oui ! Mgr Lefebvre n’aimait pas la polémique. Elle ne l’intéressait pas. Je dis cela pour tous ceux qui s’agitent dans cette affaire. Qu’ils l’imitent !

 

Ceci dit, voici ce texte.

 

Il rappelle aux diacres en question le principe de la juridiction. Elle appartient à l’évêque résidant, à l’ « ordinaire du lieu ». A celui qui a charge de diocèse. Par extension, aux Supérieurs Généraux des congrégations religieuses. Les autorités légitimes délèguent le pouvoir de juridiction à leurs prêtres selon leurs fonctions, leurs charges pastorales. Cette juridiction est généralement territoriale. Elle  s’exerce sur le territoire d’une paroisse. L’évêque donne juridiction à ses prêtres sur les paroisses et les paroissiens qui fréquentent telle ou telle paroisse . Les Supérieurs Généraux d’une congrégation donnent pareillement délégation de juridiction à leurs  prêtres   sur les maisons religieuses de cette congrégation et sur les personnes qui les fréquentent.

 

 Sur ce sujet de la juridiction, voilà les explications de Mgr Lefebvre.

 

«  Je voudrais vous donner quelques éclaircissements sur la juridiction, les pouvoirs que vous aurez…

Il est évident que la situation actuelle ne facilite pas les choses  -c’est sur- ne clarifie pas les choses. Mais il est sur que dans une situation normale   …admettons que vous soyez dans un diocèse… vous auriez, bien sur, les pouvoirs de juridiction. Ils vous seraient donnés par l’Ordinaire du lieu. En effet généralement les pouvoirs sont donnés à tous les prêtres du diocèse…Personnellement, je pense, c’est une application…par analogie, je pense que je puis me considérer comme Supérieur Général de la FSSPX et donc les pouvoirs qui sont donnés aux « ordinaires des lieux » et étendus aux Supérieurs Généraux des Congrégations, je puis les donner aussi, je puis déléguer ces pouvoirs, dans la mesure, bien sur, où ces pouvoirs sont délégables…

 

Le Supérieur Général peut accorder à tous ceux qui sont membres de la Société d’avoir juridiction dans toutes les maisons de la Société, non seulement pour les membres de la Congrégation, - par exemple de se confesser entre vous.  Mais le Supérieur Général a aussi le pouvoir de donner à ses prêtres  juridiction sur tous les gens qui viennent dans ces maisons et qui désirent se confesser…Donc pas seulement pour les membres de se confesser entre eux, mais également pour tous les fidèles .

 

Par exemple, ici à Ecône, les fidèles  qui viennent ici se confesser, qui s’adressent aux prêtres pour se confesser, je puis donner juridiction en tant que Supérieur Général, je puis donner juridiction  pour ceux qui viennent s’adresser à nous.

 

Evidemment on peut me dire…Mais vous n’êtes pas reconnu comme Supérieur Général !

Je réponds : mais, en droit, on nous a supprimé illégalement. « Ils »  le reconnaissent même pratiquement à Rome…Ils le reconnaissent maintenant que tout cela a été illégale et injuste. Donc moi j’estime que nous continuons. La  FSSPX continue, existe toujours parce que quelque chose  fait illégalement, ne vaut rien.

 

En plus, on pourrait, à mon sens, je crois, étendre la juridiction dans tous nos prieurés. Nos prieurés sont nos maisons religieuses de la Congrégation, de la Société et donc toutes les personnes qui s’adressent à vous dans vos prieurés, par le fait même, vous avez juridiction aussi sur toutes ces personnes  qui viennent dans ces prieurés.

 

Pour les gens qui ne sont pas de nos prieurés, je pense que, d’une certaine manière, on peut étendre la juridiction aux maisons qui sont confiées à la FSSPX.

 

Mettons le prieuré du « Pointet ». Il est en extension. Il a une maison à Montluçon, à Riom, à Vichy, à Moulin. Ce sont comme des extensions de nos prieurés…puisque nous n’avons pas les paroisses. Si on allait dans les paroisses, à la rigueur, il faudrait trouver une autre raison, un autre fondement à la juridiction. ( NDLR ; c’est expressément le cas pour nos abbés de Bordeaux…)Ce fondement serait les « circonstances extraordinaires ». Ce serait «  l’erreur commune ». C’est-à-dire, les gens pensent que nous avons juridiction On n’est pas obligé de leur dire qu’on n’a pas juridiction. C’est dans le Droit Canon.

Et puis ensuite quand les fidèles demandent de se confesser, ils sont en droit de le demander   parce qu’ils ont des difficultés, aujourd’hui, pour se  confesser dans les paroisse. Même un prêtre « excommunié » peut avoir juridiction par le Droit pour confesser des gens qui viennent demander à se confesser et qui ont une certaine difficulté, une difficulté «  morale » à trouver un prêtre pour se confesser.  Cela suffit.

 

Or si ces gens disent :

- « Moi je ne peux plus me confesser aux prêtres de la paroisse. Comment voulez-vous que je me confesse aux prêtres de la paroisse ? Si je vais leur dire les péchés que je confesse, ils vont m’envoyer promener… 

- « C’est ça que vous venez confesser…. » « A quoi ça sert ».

- « Je ne peux pas me confesser à ces gens comme ça ».

- Ou bien encore « ils  exigent que je me confesse à la sacristie, devant tout le monde, il n’y a plus de secret possible »

 - Ou bien « c’est la confession collective ».

-  « Non ce n’est pas possible ».

 

Ainsi ces gens se trouvent dans le besoin et la gène pour confesser leurs péchés…Ils viennent alors  s’adresser à vous…Même si vous étiez excommuniés, vous pouvez recevoir leur confession. Vous avez juridiction par le Droit. C’est le droit même qui vous donne juridiction. (NDLR :Je ne comprends vraiment comment la Maison Générale peut écrire : «La Maison générale tient à préciser que … le ministère coupé de toute hiérarchie qu’ils ( nos abbés Laguérie et Héry) se sont attribués à l’église Saint-Éloi ne peut être licite »).

 

D’où, je crois vraiment que vous n’avez pas à vous soucier pour savoir : est-ce que j’ai ou non juridiction ?

Je crois que d’une part, dans nos maisons, je peux vous accorder juridiction,  dans toutes les maisons de la FSSPX. Qu’en extension, à toutes les maisons qui dépendent de la FSSPX, qui sont confiées à la FSSPX…Là aussi un Supérieur Général peut accorder juridiction

 

Et ensuite si la juridiction ne pourrait pas valoir dans certains cas…Eh bien alors c’est par le droit, c’est par les règles générales, exceptionnelles que le droit prévoit pour la juridiction.

 

C’est ce que j’ai dit à Rome. Car ils m’ont posé ces questions à l’occasion de mon interrogatoire… Et personne n’a fait d’objection. Donc « ils «  reconnaissent que le Droit, dans des circonstances particulières accordent la juridiction aux prêtres. Et que c’est le bien des âmes qui prévaut d’abord. Le Droit est fait pour les âmes. Si les âmes sont dans l’abandon, dans la gêne pour trouver quelqu’un qui les absout, le Droit donne juridiction aux prêtres dans ces cas pour réaliser ce pour quoi le Droit Canon a été fait, ce pour quoi les sacrements sont faits : sauver les âmes

Donc pour le problème de l’extension de la juridiction, je crois que vous n’avez pas de difficultés ».

 

 

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Voilà ce que disait Mgr Lefebvre, le 9 juin 1979,  aux diacres auxquels il allait conférer le sacrement de l’ordre. C’est clair. C’est irréfutable. Il faut que la Maison Générale révise sa « copie ». Point.

 

Le sujet étant d’importance, je me permettrai de rappeler quelques principes de théologie sur cette affaire de juridiction. Je les tire de la plaquette que je diffusais en France alors que j’étais encore en Normandie. Celle publiée au Brésil par les Pères de Mgr de Castro Meyer : « Notre position dans l’actuelle situation de l’Eglise »

Ces considérations sont extraites de la troisième partie de livret. Le titre de cette troisième partie est :« Continuité » et le sous titre «  Conséquence de la résistance nécessaire : nous continuons le ministère sacerdotal conformément à la Tradition, pour le bien de la Sainte Eglise et pour le salut des âmes ».

 

« Bases de notre ministère extraordinaire ».

 

Principe : Salus animarum suprema lex ( le salut des âmes est la loi suprême de l’Eglise).

 

Les laïcs ont le droit de recevoir d’un clerc, conformément aux règles de la discipline ecclésiastique, les biens spirituels et spécialement les secours nécessaires au salut (canon 213 du Code de Droit Canonique)
A ce droit des fidèles correspond, chez les prêtres, le devoir de charité imposé par le droit divin naturel et positif, qui les oblige sous peine de péché mortel à secourir les âmes dans ce grave état de nécessité spirituel. Et aucun pouvoir ne peut s’opposer à ce devoir.
Saint Thomas affirme : «  La nécessité comporte la dispense, parce que la  nécessité ne dépend pas de la loi » (I II 96 6), « les dispositions du droit humain ne peuvent jamais contrarier le droit naturel, ni le droit de Dieu » (I II 66 7)

Mais comment exercer ce ministère sans l’aval des autorités ecclésiastiques ? Sans la juridiction qui ordinairement vient à travers l’autorité compétente ? Le prêtre est essentiellement, radicalement ordonné pour l’Eglise en général, et, par la voie hiérarchique et disciplinaire, au service d’un diocèse.

Ainsi l’Histoire de l’Eglise enregistre des cas où les prêtres ont exercé leurs pouvoirs sans aucun lien de dépendance avec l’évêque diocésain. En Angleterre, au 16ème siècle, quand les évêques embrassèrent l’hérésie, des prêtres se maintinrent fidèles à l’Eglise et continuèrent à administrer les sacrements. Ils étaient pourtant séparés de leur évêque qui encourait l’excommunication des hérétiques. Les prêtres réfractaires fournissent un exemple semblable, au temps de la Révolution Française. Déliés des évêques jureurs, ils continuaient à exercer leurs pouvoirs sacerdotaux.

La même chose se produit actuellement pour les prêtres en pays communistes, spécialement en Chine, pour les héroïques prêtres de l’Eglise clandestine.

 

Pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction

 

Pouvoir d’ordre : Pouvoir qui découle formellement de l’ordination sacerdotale ou du sacre épiscopal, et qui donne la capacité d’exercer les fonctions sacrées.

Pouvoir de juridiction : « La juridiction ecclésiastique est le pouvoir public, qui existe dans l’Eglise par institution divine, de gouverner les hommes baptisé, en vue de leur fin surnaturelle »

 

Distinction entre pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction : « Le pouvoir de gouverner (potestas regendi) les fidèles par des lois, des jugements et des peines se distingue du pouvoir de les sanctifier par la célébration du culte divin et par la célébration ou l’application publique des sacrements et sacramentaux »

Le pouvoir reçu à l’ordination ( pouvoir d’ordre) est suffisant pour célébrer validement la sainte Messe, baptiser, administrer l’extrême onction, exercer l’apostolat, catéchiser etc
Le même pouvoir d’ordre est nécessaire, mais non suffisant pour entendre validement les confessions et assister aux mariages comme témoin qualifié. Outre le pouvoir d’ordre, est requis, en même temps, le pouvoir de juridiction qui, communément, vient par l’ordinaire du lieu. D’où cette question : quand un prêtre n’a pas la juridiction ordinaire concédée par l’évêque diocésain, peut-il, néanmoins, faire usage des pouvoirs reçus par l’ordination sacerdotale ?

 

En cas d’urgente nécessité, eu égard au bien surnaturel des âmes, l’Eglise supplée à cette absence de juridiction canonique ; ou mieux, l’Eglise concède directement la juridiction nécessaire pour l’efficacité de l’acte sacramentel au bénéfice des âmes. «  La raison en est, explique saint Alphonse, que, sans cela, un grand nombre d’âmes se perdraient et, pour ce motif, on présume raisonnablement de la suppléance de juridiction par l’Eglise ».

 

Le Concile de Trente nous assure qu’il est contre la pensée de l’Eglise de perdre, ou laisser perdre, les âmes pour motif de restrictions ou limitations juridiques : « Avec une très grande piété, pour que  personne ne se perde pour ce motif, il fut toujours observé dans l’Eglise de Dieu qu’aucune restriction (de juridiction) ne subsiste en péril de mort (extrême nécessité de l’individu, à laquelle équivaut la grave nécessité d’un grand nombre ) »

 

Suarez se demande si cette coutume perpétuelle et communément observée par l’Eglise ne serait pas d’institution divine. En tout cas, conclut-il, l’Eglise ne pourrait pas l’abolir, car ce serait user du pouvoir « non pour édifier, mais pour démolir » (F Suarez : de Paenitentia disput 25 sect 4 n°6)

Et le pape Innocent XI établit définitivement que, en cas de nécessité, l’Eglise supplée à la juridiction manquante, même pour les prêtres hérétiques, destitués et excommuniés (St Alphonse ; de Paenitentia t. 16 c. 5 n° 92)

 

Faculté d’ entendre les confessions

 

Le pouvoir d’absoudre les pénitents est un pouvoir vicaire de droit divin, délégué par Dieu à son Eglise, dans la personne de ses prêtres. Par l’ordination, tout prêtre reçoit radicalement le pouvoir d’absoudre. Mais pour l’exercer licitement et validement, il doit recevoir cette faculté de qui de droit.

Normalement, le prêtre reçoit de l’évêque diocésain la faculté d’entendre les confessions. Mais il y a des cas où le prêtre reçoit directement de l’Eglise  - ainsi le prévoit le Code de Droit Canonique – la faculté qui lui manque. On dit que, dans ces cas, l’Eglise supplée cette faculté, ou la délègue au prêtre qui ne la possède pas.

 

Il est intéressant de remarquer que cette « juridiction » pour entendre les confessions est appelée juridiction imparfaite et se distingue de la juridiction au sens strict que possède l’Eglise enseignante, liée au pouvoir de gouverner. Ainsi est-il clair que son exercice n’implique aucun acte de gouvernement, ni usurpation du pouvoir hiérarchique. Et le Code  de Droit Canonique en vigueur n’appelle plus ce pouvoir : « juridiction », réservant cette dénomination de préférence au pouvoir de gouverner (canon 129) quant à l’ordre externe de l’Eglise, tandis que la faculté d’absoudre s’adresse au for interne de la conscience (cf Commentaire du canon 966 du P Jesus Hortal S.J.

 

Le prêtre donc qui n’a pas reçu de l’évêque diocésain cette faculté, ou celui qui en a été privé sans motif grave, peut non seulement validement, mais licitement se prévaloir du Droit Canonique, du moment que survient un de ces cas dans lequel il y a délégation automatique de cette faculté nécessaire ( ou d’autres cas qui, selon la doctrine commune des canonistes, se ramènent à ceux-là). A ce sujet, sont à rapprocher spécialement les endroits parallèles du Code avec les principes généraux du Droit en accord avec les canon 17 et 19.

Le Code de Droit Canonique, au canon 976, établit que tout prêtre a la faculté d’absoudre validement et licitement, de tous les péchés et censures, les pénitents qui se trouveraient en danger de mort, sans aucune exception ; quand bien même serait présent un autre prêtre approuvé. Selon ce canon, il n’importe pas que ce danger provienne de cause intrinsèque ( maladie extrême vieillesse, accouchement difficile etc) ou de cause extrinsèque ( guerre, tremblement de terre, incendie, opération etc) Et les canonistes assimilent à ceux qui sont en danger de mort : les personnes assiégées dans une cité par l’ennemi, ceux qui se voient menacés de démence perpétuelle, et aussi ceux qui se trouvent, à l’instant considéré, dans une situation telle qu’ensuite ils ne puissent plus disposer de confesseur pour les absoudre.

La grave nécessité d’un grand nombre (i.e. générale et publique) équivaut à la nécessité extrême de chacun : « Gravis necessitas communis extremae equiparatur » ( P Palazzini, DMC vol1 p. 571) C’est la doctrine commune des théologiens et canonistes. Or, dans la situation actuelle de l’Eglise, avec désacralisation et le scandale généralisés, les relations avec les évêques et les prêtres engagés dans une rénovation ecclésiale qui s ‘éloigne de la Tradition, constituent, pour de nombreux fidèles, un danger concret de perdre la pureté et l’intégrité de la foi, sans laquelle personne ne se sauve. Dans le même sens, on peut assimiler aujourd’hui la condition du catholique, fidèle à la Tradition de toujours, à la situation de ceux qui se trouvent en péril de mort corporelle, avec cette circonstan,ce aggravante qu’il s’agit du danger de « mort spirituelle ». Il s’agit, là, d’une nécessité grave et publique, parfaitement équivalente au péril de mort. S ‘applique alors la disposition du canon 976.

 

Au cas où demeurerait quelque doute sur ce pouvoir concédé directement par le Droit, l’Eglise supplée la faculté qui manque, comme l’établit le canon 144 : « En cas d’erreur commune, de fait ou de droit, aussi bien que dans le doute positif et probable, de droit ou de fait, l’Eglise supplée, au for externe et interne, le pouvoir exécutif de gouvernement

« La suppléance du pouvoir exécutif de gouvernement (juridiction), dit le canoniste Jesus Hortal en commentant ce canon, se fonde sur le bien commun, afin d’éviter l’incertitude sur la validité de certains actes de l’autorité. C’est pourquoi, elle est indépendante du titre sur lequel on s’appuie et même de la bonne foi de celui qui la provoque. Un prêtre, par exemple, à qui manquerait la faculté d’entendre les confessions, peut se placer en des circonstances telles qu’elles induisent ou induiraient les personnes présentes à penser faussement que cette faculté lui a été octroyée. C’est suffisant pour que se produise la suppléance, quand bien même ce prêtre  - manquant de cause juste pour son action  - agirait de manière gravement illicite. »

 

« Tout prêtre explique saint Thomas, en vertu du pouvoir d’ordre, à  le pouvoir indifféremment sur tous les hommes et pour tous les péchés ; le fait de ne pouvoir absoudre tous les hommes de tous les péchés dépend de la juridiction imposée par la loi ecclésiastique. Mais, puisque « la nécessité n’est pas sujette à la loi (cf Concilium de obser. Ieium. De Reg. Iur. V Decretal c4) en cas de nécessité, il n’est pas empêché par les dispositions de l’Eglise d’absoudre vraiment sacramentellement, étant donné qu’il possède le pouvoir d’ordre » (S TH. Supplementum Q 8 a 6)

 

En cas de nécessité, le prêtre se doit de porter secours, dans les limites de ses propres possibilités ; ce qui, pour un prêtre, équivaut à dire dans les limites de son pouvoir d’ordre. C’est pourquoi, selon les moralistes et canonistes, dans l’extrême nécessité de chacun, comme dans celle d’un grand nombre, le prêtre est obligé, sous peine de péché mortel, de donner l’absolution sacramentelle, même s’il est privé ordinairement de cette faculté.

 

Saint Alphonse affirme que « même un prêtre, excommunié vitando, peut validement et doit administrer les sacrements « in articulo mortis » ( cela dans la nécessité extrême d’un seul comme de tous), par précepte divin et naturel et nul ne pourrait lui opposer les préceptes de l’Eglise » Theol. Moralis 16 tract 4 n° 560

 

Quand l’exige l’extrême nécessité d’un seul ou la grave nécessité de beaucoup, l’exercice du pouvoir d’ordre, dans toute son extension, est mis en acte, non par la volonté du supérieur hiérarchique, mais directement par l’état même de nécessité. »