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Un regard sur le monde
politique et religieux
Au 12 janvier 2005
N°25
(Calvados),
bafoue la loi de 1905
Le journaliste,
Didier Marie, de « Ouest-France », du samedi-dimanche 8-9 Janvier 2005 raconte ainsi l’incident :
« Le cure
avait donné les clés, le maire appelle les gendarmes
220 traditionalistes évacués d’une église
Incident, jeudi soir, en la petite église paroissiale
de Gavrus, près d’Evrecy dans le Calvados. Alors qu’allait débuter une messe
traditionaliste de
Très peu utilisée par le
culte catholique « classique », l’église de Gavrus était
exceptionnellement pleine, jeudi vers 19heures, de fidèles de
Bien implantée au vaste
prieuré de Gavrus où elle a basé quatre prêtres et une école de garçons (1)
cette Fraternité y a aussi aménagé une petite chapelle. Mais là, elle
organisait « une messe solennelle pour un prêtre nouvellement ordonné et la fête paroissiale
pour l’Epiphanie ». Pour l’occasion, elle avait obtenu du prêtre
desservant la commune les clés de l’église.
Les fidèles étaient environ
200 et les prémices à l’office avaient débuté lorsque sont survenus le maire et
une poignée de personnes de son entourage, ainsi que quelques gendarmes.
« Je leur ai demandé d’évacuer. Ce qu’ils ont fait, sans heurts c’est
vrai, mais non sans quolibets à mon égard », dit le maire Philippe
Bouchard, qui admet par ailleurs ne pas partager les idées de
Un prêtre peut-il prêter « son «
église ?
« Nous avons quitté les lieux calmement, par
souci d’apaisement, commente pour sa
part l’abbé Gaud, un des prêtres du Prieuré St Pie X ; l’excitation était du coté du maire et de
son entourage qui s’est rué dans l’église, arrachant le micro, alors que des
bénédictions étaient en cours ».
Ce prêtre estime que « le curé avait normalement le droit de
disposer de l’église comme il le souhaite. Pour nous, le maire a outrepassé la
loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 ». La position du
maire est inverse : « l’église
est un bâtiment communal, qui a déjà son locataire (à titre gracieux), l’église
conventionnelle, celle du diocèse. Je ne pense pas que son prêtre puisse à son
tour « louer » l’église à qui il veut. D’ailleurs tant l’adjoint de
l’évêque que la préfecture m’ont dit que j’ai fait ce qu’il fallait
faire ».
La préfecture en effet
rappelle d’une part que les églises sont des bâtiments communaux et indique
d’autre part que « pour leur
utilisation le prêtre local est soumis à l’accord de l’évêché ». En
l’absence de trouble à l’ordre public, il n’y aura pas de suites judiciaires à
cet incident. En revanche, c’est un cas d’école sur lequel ne manqueront pas de
se pencher le ministère de l’Intérieur (ministère des cultes) et la hiérarchie
catholique. Surtout au moment où la centenaire loi de 1905 est remise en débats
par certains ».
(1) dans le département, elle
a aussi une école de filles à St Manvieu-Norrey, la vaste chapelle St Pie X à
Caen.
II - Commentaire juridique
sur l’expulsion illégale des traditionalistes de l’église de Gavrus
Ayant
été informé de cet événement, j’ai immédiatement demandé une consultation
juridique à M Bertrand Dubujadoux, docteur en Droit public, sur cet événement
important. Le voici :
« La
récente affaire de l’expulsion de traditionalistes par le maire de la commune
de Gavrus relance le débat sur la question de l’occupation d’église par les
fidèles attachés au rite St Pie X et les pouvoirs de police des maires et
curés.
Si
le droit administratif relatif à l’occupation « illégale » d’église,
car refusée par le curé ou l’évêque du lieu, est bien connu de tous compte tenu
de la jurisprudence constante, la question de savoir si le maire d’une commune
peut, de sa propre autorité, faire expulser d’une église des fidèles et des
prêtres autorisés par le curé, mérite d’être posée.
Les
faits rapportés par Ouest-France sont les suivants : à l’occasion de la
première messe de l’abbé Gaud dans l’église de Gavrus, après autorisation du
curé qui lui avait donné les clefs de l’église, le maire et quelques gendarmes
ont interrompu l’office qui avait débuté en intimant l’ordre aux prêtres
présents et aux fidèles d’évacuer les lieux, ce qu’ils ont faits « sans
heurts ».
Cette atteinte au libre exercice du culte par
le maire ne saurait être toléré et appelle en conséquence le commentaire qui
suit.
Car
juridiquement, la mesure de police du maire de Gavrus justifie un recours pour
excès de pouvoir auprès du Tribunal administratif compétent car le maire n’est
pas autorisé à utiliser ses pouvoirs de police pour les deux raisons
complémentaires suivantes :
1) l’autorité donnée à l’affectataire du lieu est la
seule légitime pour faire respecter l’affectation d’un édifice cultuel,
2) les pouvoirs
de police du maire ne lui permettent pas d’agir en l’espèce.
1) La primauté de l’autorité de l’affectataire du lieu de culte.
Le
principe permanent en la matière reste que c’est le ministre du culte désigné –
et seulement lui – qui a autorité pour réglementer l’utilisation du lieu de
culte[1] et du
mobilier s’y trouvant[2]. Il
ne possède pas de pouvoirs de police au sens juridique du terme car les
pouvoirs qui lui sont conférés n’ont d’autre but « que de lui permettre
d’assurer l’exercice du culte »[3].
Cette primauté est opposable à l’Administration et donc à la commune, bien que
cette dernière soit propriétaire de l’édifice religieux, le curé devant donner
son accord pour toute visite des lieux, quand bien même les biens contenus dans
l’église seraient classés monuments historiques[4].
Comme
le rappelait Aristide Briand, « le curé dispose d’un titre légal qui lui
permet de jouir du bien communal malgré les devoirs de la commune
propriétaire ». Les communes n’ont à l’égard des églises aucun des
attributs de la propriété privée à savoir le droit d’user de la chose, d’en
jouir ou d’en disposer.
Isabelle
ROUVIERE-PERRIER, dans son commentaire relatif au « Régime des
cultes » paru au Jurisclasseur Administratif[5]
affirme que « le prêtre désigné par la hiérarchie catholique et appelé
desservant bénéficie en premier lieu de son église, réglemente comme il
l’entend l’usage du lieu de culte attribué, adopte même maintenant le rite de
son choix, du moment qu’il n’est pas désapprouvé par son évêque ».
De
plus, toute la jurisprudence rappelle que seul le curé (ou sa hiérarchie) est
fondée à faire constater en justice l’occupation illégale du lieu de culte dont
il est affectataire. Mais à défaut de tout conflit d’occupation d’un lieu de
culte, les pouvoirs publics sont totalement impuissants pour décider de qui est
légitime pour célébrer le culte, seul le curé étant libre d’autoriser tel ou
tel desservant dans son église.
[1] C.E., 24 février 1912, Abbé Sarrelongue, Lebon p. 250 ou Cass.Crim., 1er
décembre 1910, D. 1911, I, 351.
[1] C.E., 15 janvier 1937, Abbé Cadel, Lebon p. 11.
[1] JCP
1967 II 15228, note Dejean de
[1] C.E., Abbé Chalumey c. Commune
Baune-les-Messieurs, JCP G II 22415
[1] Fascicule
215 – 108
2) L’absence de pouvoirs du maire en la matière.
L’on
sait que le maire dispose de pouvoirs de police relatifs à la sonnerie des
cloches (article L. 131-2 du code des communes et article 27 de la loi du 9
décembre 1905) ; ces pouvoirs restent pourtant très encadrés par le
respect du libre exercice des cultes. Succinctement, la jurisprudence considère
que seuls « les cas de péril commun, qui exigent un prompt secours »
peuvent autoriser le maire à requérir du curé la sonnerie des cloches à des
fins profanes[6].
Il
peut également, en cas de menace grave pour l’ordre public ou pour la sécurité
publique faire usage de ses pouvoirs de police. Le maintien du bon ordre dans
les églises est prévu par l’article L. 131-2 du code des communes, mais
l’intervention du maire à l’intérieur de l’église n’est admise qu’en cas de
désordres présentant une réelle gravité[7]. Or,
tant le maire[8] que la préfecture[9]
estime qu’il n’y a pas eu de trouble à l’ordre public, ce qui nous permet de
déduire que le maire ne saurait fonder sa décision, en droit, sur ses pouvoirs
de police.
Les
conseils municipaux ne sont pas maîtres de l’affectation des édifices du culte.
S’il n’existe pas de jurisprudence positive sur la question posée présentement,
il existe plusieurs décisions administratives qu’il convient d’analyser a
contrario pour en déduire l’incapacité du maire à agir en ce domaine.
Le
Maire n’a strictement aucun pouvoir d’action sur le desservant (et donc ceux
qu’il autorise à célébrer le culte). En effet, le Tribunal administratif de
Caen a rappelé, dans une décision du 16 juillet 1959 que l’autorité municipale
n’a pas à intervenir dans l’organisation des cérémonies religieuses, sauf si
l’ordre public est menacé. Un conseil municipal commet donc un excès de pouvoir
en demandant à l’évêque le déplacement d’un curé.
Plus
intéressant pour l’espèce, dans le jugement Association Saint Pie V
Dauphiné-Ardèche[10], les juges rappellent que
le maire « ne tient d’aucun texte le pouvoir de retirer aux ministres du
culte affectataires la jouissance d’un édifice cultuel ». Aussi, il ne
saurait inférer sur le curé d’une paroisse pour quelque motif que ce soit. Le
maire de Gavrus affirme que pour sa part qu’il « ne pense pas que (le)
prêtre puisse à son tour « louer » l’église à qui il veut ».
Cela signifierait si tel était le cas que le curé devrait en référer au maire
avant d’ouvrir son église à tout desservant extérieur - de
[1] Article 51 du décret du 16 mars 1906.
[1] En cas d’édifice menaçant ruine par exemple
(C.E., 26 mai 1991, Ferry, Lebon p.
638).
[1] « Je leur ai demandé d’évacuer, ce
qu’ils ont fait sans heurts c’est vrai ».
[1] Laquelle, comble de l’ironie, précise qu’
« en l’absence de trouble à l’ordre public, il n’y aura pas de suite
judiciaire à cet incident », alors que ce sont les prêtres et fidèles qui
sont dans leur bon droit et ont été victimes d’une décision illégale !!!
[1] T.A. Grenoble, 31 mars
1992, Association Saint Pie V Dauphiné-Ardèche, JCP 1993 IV 199.
De
même, une décision du 16 septembre 1986[11]
interdit-elle à une commune le droit de mettre à disposition l’église du
village à un affectataire autre que celui légalement constitué. C’est donc
considérer explicitement l’incapacité du maire d’user de ses pouvoirs dans le
choix du desservant d’une paroisse. Il ressort du texte même des lois du 9
décembre 1905 et du 2 janvier 1907 éclairé par la jurisprudence[12] que
le culte ne peut être légalement attribué qu’en conformité aux règles
d’organisation générale du culte auquel le lieu est affecté, règles qui
comprennent notamment la soumission à la hiérarchie ecclésiastique.
Le
maire, en décidant d’interrompre une cérémonie catholique, dans une église
catholique, célébrée avec l’autorisation de la hiérarchie catholique, en
l’espèce le curé affectataire, a-t- il outrepassé les pouvoirs qui lui sont
donnés par la loi pour la sauvegarde de la sécurité, la salubrité et la
tranquillité publiques.
Ainsi,
tant sur le fondement de la primauté du curé dans son église que de
l’illégalité de l’intervention du maire de
Bertrand Dubujadoux
Docteur en droit public
[1] T.A. Amiens, 16 septembre
[1] C.E., Abbé Barraud et autres, 23 janvier 1920, Recueil C.E. p. 74.
[1] C.E., 24 février 1912, Abbé
Sarrelongue, Lebon p. 250 ou
Cass.Crim., 1er décembre 1910, D.
1911, I, 351.
[2] C.E., 15 janvier 1937, Abbé
Cadel, Lebon p. 11.
[3] JCP 1967 II 15228, note Dejean de
[4] C.E., Abbé Chalumey c.
Commune Baune-les-Messieurs, JCP G II
22415
[6] Article 51 du décret du 16
mars 1906.
[7] En cas d’édifice menaçant
ruine par exemple (C.E., 26 mai 1991, Ferry, Lebon p. 638).
[8] « Je leur ai demandé
d’évacuer, ce qu’ils ont fait sans heurts c’est vrai ».
[9] Laquelle, comble de
l’ironie, précise qu’ « en l’absence de trouble à l’ordre public, il n’y
aura pas de suite judiciaire à cet incident », alors que ce sont les
prêtres et fidèles qui sont dans leur bon droit et ont été victimes d’une
décision illégale !!!
[10] T.A. Grenoble, 31 mars
1992, Association Saint Pie V Dauphiné-Ardèche, JCP 1993 IV 199.
[11] T.A. Amiens, 16 septembre
[12] C.E., Abbé Barraud et
autres, 23 janvier 1920, Recueil C.E.
p. 74.