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 Un regard sur le monde  politique et religieux

 Au 23 février 2005

 

N°32

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

 

 

 

Merveilleux témoignage d’un curé de paroisse.

     

 

Selon la volonté du curé, nous garderons, pour nous, son « identité »

 

 

La force du bon droit

de la Messe de la Tradition Catholique

 

 

 

 

Une personne, venue pour la première fois dans ma paroisse à la messe traditionnelle, me demanda en sortant :

 

Monsieur le Curé, c’est très joli, mais je croyais que la messe en latin était interdite ?

 

Mais non, Madame, ce n’est pas possible, c’est d’ailleurs la messe de la Tradition catholique (dite improprement « de saint Pie V ») et elle n’a jamais été interdite.

 

Vous êtes d’une fraternité ?

 

Mais non, Madame, je suis curé de ma paroisse.

 

Alors, vous êtes un prêtre  « Ecclesia Dei adflicta » ? me dit-elle.

 

J’ai pensé alors que cette personne était bien informée sur la situation de l’Église et je lui ai répondu :

 

Non, Madame, je suis curé et j’ai gardé la messe traditionnelle sans attendre le 2 juillet 1988, et quand la « nouvelle messe » a été déclarée obligatoire par l’épiscopat français, à partir du 1er dimanche de l’Avent 1970, j’ai écrit à mon évêque que j’avais gardé et que je gardais la messe de la Tradition catholique parce que je savais que j’en avais le droit.

 

En venant dîner chez moi, quelques semaines plus tard, mon évêque me disait qu’il n’y avait pas de problème. Dans les années suivantes, je devais constater que je n’étais pas le seul à avoir gardé la messe traditionnelle.

 

Comment avais-je réagi, le 3 avril 1969, devant la promulgation par Paul VI d’une nouvelle messe ? C’était la Semaine Sainte et je n’ai eu le texte de cette promulgation, dans le journal La Croix L’Événement, que le Samedi Saint ou le Jour de Pâques. C’était une voisine qui me passait ce journal auquel je n’ai jamais été abonné. En lisant l’annonce de cette promulgation, je dois dire que j’ai été choqué de voir que cette « nouvelle messe » était présentée par un pasteur protestant qui se réjouissait de pouvoir l’utiliser parce que, disait-il :

 

« Rien ne s’oppose, maintenant, à ce que nous utilisions cette nouvelle messe pour notre culte ».

 

Et dans ce même journal d’autres pasteurs se réjouissaient pareillement.

 

Ma réaction a été de téléphoner, le lundi ou le mardi de Pâques, à un excellent prêtre du diocèse, l’abbé Raymond Dulac, très instruit (docteur en théologie et en Droit canon), un des plus notables du diocèse avec le chanoine Collin. Ce confrère, qui était venu plusieurs fois dans l’une ou l’autre de mes paroisses, m’a répondu :

 

« Ne vous inquiétez pas, elle n’est pas obligatoire, lisez ou relisez la bulle « Quo Primum Tempore ». Vous aurez bientôt une critique doctrinale de cette nouvelle messe. Gardez donc la messe de la Tradition, la conscience tranquille ».

 

Je n’ai donc rien dit à mes paroissiens et, « la conscience tranquille », j’ai continué à annoncer, selon le calendrier traditionnel, la nomenclature des dimanches et fêtes. Personne, ni parmi les habitants de ma paroisse, ni parmi les personnes ou les familles qui commençaient à fréquenter mes messes du dimanche, avec ostensiblement un gros missel, le plus souvent un Dom Lefebvre, personne, dis-je, ne s’est plaint ni à notre doyen ni à notre évêque que leur curé avait gardé la messe traditionnelle. Chose plus étonnante, lors des réunions de doyenné, aucun confrère ne m’a jamais demandé :

 

« Quelle messe dis-tu » ?

 

Ou bien :

 

« Comment se fait-il que des jeunes de ma paroisse aillent à ta messe » ?

 

Ou bien :

 

« Pourquoi la famille X ou Y, avec ses 5 ou ses 9 enfants, vient-elle à ta messe » ?

 

En trente cinq ans, un seul prêtre du doyenné a voulu savoir pourquoi j’avais gardé la messe traditionnelle ; huit jours plus tard, il me demandait :

 

« Apprends-moi à la dire ».

 

Dans les mois qui suivirent la promulgation du 3 avril 1969, un bon nombre d’études critiques de cette nouvelle messe sont parues, des études doctrinales et non des plaintes nostalgiques. Des articles de l’abbé Raymond Dulac, mais aussi du R.P. Calmel, du R.P. Dom Guillou, puis en septembre, un Bref examen critique de la nouvelle messe, signé des cardinaux Ottaviani et Bacci, (1)avec l’annonce que 15 cardinaux romains devaient y apposer leur signature. C’était très rassurant. Un peu plus tard, paraissait le livre de Louis Salleron, La Nouvelle Messe, qui devait avoir trois éditions successives.

 

Aucune de ces études critiques ne fit jamais l’objet d’une réfutation, ni d’une mise en garde, ni d’une condamnation. Après avoir lu ces documents, certains prêtres gardèrent la nouvelle messe avec une conscience plus ou moins douteuse, et quelques autres reprirent la messe traditionnelle, tout au moins quand ils étaient seuls à la dire car, dans bien des cas, ils n’avaient personne aux messes de semaine.

 

Les personnes ou les familles qui venaient à la messe traditionnelle faisaient couramment vingt à cinquante kilomètres pour venir à la messe de la Tradition catholique suscitant l’étonnement de quelques habitants du village, ne mettant ordinairement pas les pieds à l’église et se demandant :

 

« Que viennent faire ici des familles nombreuses alors qu’elles ont bien une messe dans leur paroisse » ?

 

La plupart ne pouvaient pas comprendre ou ont fini par penser que c’était à cause de la chorale, qui, de fait, a fini par être remarquée car « On chante bien chez vous ». Et, de même certaines familles voulaient avoir une belle messe d’enterrement… ou de mariage.

 

Il me semble que le Seigneur n’aime pas la publicité et il a été difficile de convaincre certaines personnes de ne pas en faire dans certains journaux ou publications qualifiés de « droite ». Cependant, petit à petit, cela se sut qu’à X , à Y ou Z, il y avait une paroisse qui avait chaque dimanche, très régulièrement, la messe traditionnelle, et les enterrements et les baptêmes et les mariages… Certaines conversions, également, ont été connues et il n’y a aucun doute que la fidélité à la Tradition, tant doctrinale que liturgique, n’y est pas pour rien.

 

Il est même arrivé que des étourdis – dans la joie de retrouver la messe, la confession et la sainte communion – oublient qu’ils n’étaient mariés que civilement et qu’il fallait remédier à cette situation en se préparant au sacrement de mariage : nouvelle joie et épanouissement de leur baptême dont la grâce était demeurée comme emprisonnée.

 

Nul doute que des enfants qui ont suivi, dès leur enfance, le Saint Sacrifice de la Messe avec la messe de la Tradition catholique sont impressionnés et comme enveloppés dans un certain sens du sacré, du mystère, de la majesté de Dieu, alors que l’anarchie liturgique qui sévit un peu partout ou simplement une liturgie désinvolte, délavée par les abus de parlottes inutiles, n’incite pas au respect de Dieu. Nul doute également qu’une telle liturgie, associée à un catéchisme sérieux – c’est-à-dire utilisant des livres qui contiennent les vérités et les moyens nécessaires à la vie chrétienne – permet à des vocations sacerdotales ou religieuses de s’épanouir. Ainsi, quatre prêtres sont issus de mes paroisses, quatre religieux frères et trois religieuses. Il en est de même dans certains centres, dits traditionnels, même s’ils ne sont pas paroisse.

 

Il me semble qu’il faut qualifier de « grâce exceptionnelle » d’avoir pu, depuis trente cinq ans – et même trente neuf au total – conserver la messe de la Tradition catholique : grâce exceptionnelle pour le prêtre lui-même et visiblement pour la paroisse aussi. Honneur et gratitude aux quatre évêques du diocèse qui ont accepté cette situation.

 

Les circonstances m’ayant obligé à voyager, je me suis aperçu que quelques autres curés avaient, eux aussi, gardé en paroisse la messe de la Tradition catholique (dite « de Saint Pie V », parce que le pape Saint Pie V avait, à l’époque, « restauré » la messe de la Tradition primitive, qui datait du quatrième siècle. Il n’avait pas « fabriqué » une nouvelle messe, comme l’a fait plus tard Mgr Bunigni).

 

Je vais vous donner quelques exemples tout à fait caractéristiques, bien qu’il y en ait sans doute beaucoup d’autres :

 

Dans les Alpes, le curé d’un village de montagne avait gardé la messe de son ordination. Il reçoit la visite du vicaire général qui lui dit :

 

« Vous n’avez pas le droit de garder la messe traditionnelle » !

 

Le curé répond très tranquillement, comme cela m’est arrivé de le faire :

 

« Mais j’ai un indult »!

 

Le vicaire général lui répond alors :

 

« Eh bien, vous irez le montrer à l’évêque ».

 

Le curé, allant à l’évêché de X (je pourrais dire le nom du prêtre et de l’évêché s’il le fallait), emporte le gros missel d’autel et montre à son évêque le texte de la bulle Quo Primum Tempore de Saint Pie V en lui disant :

 

« Voici ce que dit Saint Pie V : « à perpétuité, tout prêtre a le droit d’utiliser la messe traditionnelle et aucun évêque n’a le droit de l’interdire ».

 

Ce qui est intéressant c’est la réponse de l’évêque :

 

« Eh bien, si vous savez cela, on ne peut plus rien vous dire » !

 

Cet évêque comptait-il sur l’ignorance ou la lâcheté de ses prêtres ?

 

Dans le diocèse du Mans, durant les mêmes années 1970-1992, j’ai connu au moins trois curés qui avaient gardé la messe traditionnelle dans leur paroisse et je pourrais donner leur nom comme celui de leur évêque.

 

Avant d’aller faire d’autres visites, cet évêque va voir l’un d’eux (lequel a eu, à cette occasion, l’honneur du Figaro) et lui dit :

 

« Je me demande comment il est possible que mon prédécesseur vous ait permis de garder la messe traditionnelle dans votre paroisse » !

 

Le doyen de « X » lui répond :

 

« Mais, Monseigneur, je n’ai pas demandé à votre prédécesseur la permission de garder la messe traditionnelle ; je lui ai demandé qu’il veuille bien reconnaître que j’en avais le Droit. Vous êtes docteur en droit, Monseigneur, vous savez donc ce que c’est que le droit ».

 

L’évêque n’a pas insisté. Il a eu la même réponse des deux autres curés. L’un d’eux, avant sa mort, a pu obtenir qu’un jeune prêtre prenne la suite de sa petite paroisse, avec la messe traditionnelle. Il y est encore aujourd’hui.

 

Dans le diocèse de Coutances, durant les mêmes années, quatre prêtres gardaient également la messe de leur ordination, en toute sûreté de conscience. Curés de campagne, ils jouissaient de plus de liberté que bien des prêtres de la ville, coincés souvent par quelque comité catéchistique, comité d’animation de ceci ou de cela, auxquels ils se figurent devoir être soumis. L’évêque de Coutances, à cette époque, était l’ancien Supérieur d’un Grand Séminaire. Il y avait un certain abbé Fichet, que je connaissais bien, ancien aumônier dans la Marine et fort instruit. Son évêque lui demandait un jour :

 

« Comment se fait-il que vous ayez gardé la messe traditionnelle dans votre paroisse ? Vous devez savoir que c’est interdit »!

               

Le curé lui répondit :

 

« Vous savez, Monseigneur, qu’en matière de sacrements, on n’a pas le droit d’accepter le moindre doute. Or la nouvelle messe, c’est le rite de Cranmer qui a été déclaré plus que douteux par le Pape Léon XIII . C’est plus prudent de garder la messe traditionnelle ».

 

L’évêque n’a pas insisté.

 

Le cas de l’abbé Montgomerry est bien particulier. Il était pasteur anglican à Londres, vicaire dans une paroisse, et s’était rendu compte que son ordination n’était plus valide ; il se convertit au culte catholique. Après avoir complété ses études et avoir été ordonné prêtre, il fut nommé curé du Chamblac, en France, dans le diocèse d’Évreux. Son évêque était Monseigneur Honoré. Celui-ci, avant de partir comme archevêque de Tours, avait convoqué l’abbé Montgomerry et lui avait dit :

 

« Vous ne devez pas garder la messe traditionnelle ; vous devez adopter la nouvelle messe ».

 

Belle réponse de l’abbé :

 

« Monseigneur, vous savez bien que j’étais pasteur anglican en Angleterre ; je ne peux tout de même pas retourner à mon vomissement » !

 

L’évêque n’a rien ajouté et l’abbé a continué à dire la messe de la Tradition catholique, jusqu’à sa mort.

 

Julien Green, cet homme de lettres, a eu une réaction analogue en disant à sa sœur, après leur conversion à la religion catholique, quand est apparue la nouvelle messe :

 

« Je me demande si nous avons eu raison de nous faire catholiques ; avec cette nouvelle messe, c’est le rite de Cranmer qui nous est imposé ». (2)

 

Bryan Houghton, dont vous avez peut-être entendu parler, a exposé lui aussi son cas de conscience dans son dernier livre Prêtre rejeté. Ne pouvant en conscience accepter la nouvelle messe, attaché à la messe Traditionnelle, il a donné sa démission à son évêque le premier dimanche de l’Avent 1969. Il a quitté l’Angleterre et est venu en France. Je l’ai connu personnellement bien avant sa mort, peu après son adhésion à l’Opus Sacerdotale. Ses deux premiers livres, comme le dernier, valent la peine d’être lus. Écrits sous forme de roman, ils permettent de mieux comprendre la situation dramatique créée par cette nouvelle messe et les nouveaux catéchismes qui sont les signes les plus visibles de l’envahissement du Modernisme dans la mentalité des prêtres et des fidèles.

 

 

Après ces quelques exemples, il me semble bon de présenter rapidement ce groupement sacerdotal appelé Opus Sacerdotale. Celui-ci est né durant l’hiver 1963-64, dans la campagne, non loin de Fontgombault. C’est une petite équipe de curés de campagne qui a fait appel au Chanoine Étienne Catta, professeur d’histoire de l’Église à l’Institut catholique d’Angers. Ce dernier fut le véritable fondateur d’une association sacerdotale dont le but essentiel est de garder la foi, la foi catholique, non comme un sentiment quelconque, mais appuyée sur la doctrine de l’Église comme sur un roc. D’où notre devise Doctrina, Fortitudo, Pietas (c’est-à-dire Doctrine, Force, Piété). Depuis maintenant quarante ans, l’Opus Sacerdotale a rassemblé plus de 1500 prêtres. Bien sûr, et malheureusement, tous n’ont pas gardé après 1969 la messe de leur ordination ; mais le souci de la doctrine, qu’il faut croire et annoncer, est resté primordial. Nous ne sommes plus guère, en 2004, que 300 prêtres et il y a peu de réunions entre nous.

 

En dehors des témoignages les plus clairs cités plus haut, d’autres rencontres de prêtres m’ont permis de voir que des confrères, parfois très instruits, diplômés, malgré un poste très modeste, réunissaient des fidèles soucieux de s’instruire afin de garder la foi. L’un était curé d’un obscur village du Jura, un autre dans une banlieue écartée, un autre dans un village de campagne et quelques autres encore – dont les noms m’échappent – réunissaient de nombreux bons chrétiens, parfois même des professeurs d’université, soucieux de garder la foi et sachant que dans l’Église personne n’a autorité pour changer la foi.

Il a fallu, à moi-même comme à tous ces prêtres, résister à la pression formidable des médias, avoir un grand souci de la doctrine de l’Église au sujet du Saint Sacrifice de la Messe et aussi être convaincus de la légitimité et de la légalité de la messe traditionnelle. Pour ce triple effort, il a fallu très certainement une grâce exceptionnelle de Dieu, puisque nous avons été si peu nombreux à la conserver. Disons sans hésiter notre énorme gratitude à Notre Seigneur, à la Sainte Vierge Marie, à Saint Pie V, à notre Saint Patron et à notre ange gardien.

 

Durant l’année scolaire 1943-44, au Grand Séminaire de Versailles, nous nous préparions à l’ordination et nous suivions un cours sur les sacrements. Notre professeur, que nous aimions beaucoup, avait été avant la guerre, trente ans supérieur du Grand Séminaire de San Francisco aux Etats-Unis. En rapport avec bien des groupes protestants, il ne craignait pas de manifester sa foi catholique en s’opposant à l’enseignement des différentes sectes protestantes de cette grande cité américaine. Si, en classe, il arrivait que l’un de nous, levant la main, dise :

 

« Mon père, je pense que… »

 

Il ne manquait pas de nous reprendre en disant :

 

« Une fois prêtre, vous n’aurez pas à dire ce que vous pensez, mais à enseigner la doctrine de l’Église ».

 

L’importance qu’il attachait à la doctrine de l’Église, ou simplement au mot de « doctrine » lui-même, est restée pour plusieurs d’entre nous comme un point d’appui indiscutablement essentiel. Je puis dire qu’il m’a aidé à surmonter la timidité qui risquait de me paralyser pour la prédication, car je me suis dit :

 

« En ne prêchant que ce que l'Église enseigne, je suis sûr de ne pas me tromper ».

 

C’est ainsi que mon attachement à la Doctrine de l’Église m’a conduit à donner rapidement mon adhésion à l’Opus Sacerdotale, dont j’avais vu, dès le 4 août 1964, le grand souci de fidélité à la doctrine. En 1965, c’était la fin du Concile Vatican II, il n’était pas possible de ne pas remarquer les nombreux gauchissements des traductions nouvelles imposées dans la messe en français ; la disparition de certains mots était flagrante : doctrine, enseigner, âme, miséricorde, ainsi que des tournures de phrases édulcorant la vigueur de certaines paroles de Notre Seigneur Lui-même.

 

Le premier évêque de notre jeune diocèse, venant souper plusieurs fois par an dans mon presbytère, a entendu mes réclamations :

 

« Si tu tolères certaines traductions fausses, lui disais-je, tu peux tolérer qu’on les corrige ».

 

Il ne répondait pas.

 

De même, il m’a fallu lui faire savoir que je ne prenais pas pour catéchismes des livres dits « Parcours » qui ne contenaient ni les vérités ni les moyens nécessaires à la vie chrétienne et au salut des âmes. Il convenait que ces livres étaient mauvais, mais comme il était tenu par le Conseil presbytéral ou par la collégialité épiscopale, il n’était pas libre de ses décisions. Il faut bien le dire en passant, cette « collégialité », votée à la sauvette durant le Concile Vatican II et qui ne devait être à l’origine qu’une opinion à discuter, est devenue par la puissance des médias une sorte de dogme. Elle paralyse l’autorité de l’évêque dans son propre diocèse et même tend à former des groupes d’évêques contre Rome, comme on a pu le voir en novembre 1968, cinq mois après la promulgation de l’encyclique Humanae vitae.

 

C’est ce souci de bonne doctrine qui m’a conduit à revoir la doctrine de l’Église sur le Saint Sacrifice de la Messe : la messe sacrifice-sacrement dans les textes du Concile de Trente.

 

En 1993, des paroissiens m’ont demandé pour quelles raisons j’avais conservé dans ma paroisse la messe de la Tradition catholique. Cela fut le premier exposé public des raisons de ma décision et des critiques de la nouvelle messe. Mais j’ai surtout cherché à diffuser le texte du Bref examen critique de la nouvelle messe et la permission accordée par saint Pie V jusqu’à la fin du monde de dire la messe traditionnelle.

 

Il faudrait des pages pour évoquer seulement quelques dizaines de critiques à l’encontre de la nouvelle. Il serait d’ailleurs parfois difficile de les vulgariser. On se contentera de quelques faits, quelques rencontres, qui m’ont permis de mettre l’accent sur les défauts les plus visibles.

 

Sortant un soir de la cathédrale de Versailles, - là où j’ai reçu le  baptême -, un grand homme en soutane grise me rejoint sur la place. Nous faisons quelques centaines de mètres ensemble et je lui dis :

 

« Mon père, n’êtes-vous pas de la Communauté Saint Jean, qu’on appelle aussi les ‘petits gris’ ? Il paraît que vous apprenez votre théologie dans les textes mêmes de saint Thomas, la Somme théologique entre autres. Comment est-il possible que vous ayez pris la nouvelle messe, qui est suffisamment équivoque pour être utilisée par certaines sectes protestantes. N’est-ce pas illogique ?

 

« Il faut bien obéir » !, me répond-il

 

« Mais n’avez-vous pas remarqué la quasi disparition du mystère de la Sainte Trinité et de l’Incarnation » ?

 

« Je ne vois pas », dit-il, et il me fallut détailler :

 

« Pas de « Gloria Patri » à l’introït, six « Kyrie » (chiffre de l’homme) au lieu de neuf ; deux prières à la Sainte Trinité ont été supprimées et la Préface, elle-même de la Sainte Trinité, n’est plus dite qu’une fois par an ; et la conclusion des oraisons et la disparition du Prologue de saint Jean ? Tout cela, tous ces manques permettent à bien des fidèles, peu instruits, de croire que le Christianisme est comme les religions juive et musulmane, une des trois religions du Dieu Unique ».

 

Le bon père ne disait rien. Et j’ajoutai :

 

« Que les paroles de la consécration ont été changées sans explication, cela vous importe peu » ?

 

Il fallait nous séparer et le bon religieux avait l’air un peu songeur.

 

En 1973, en Hollande, lors d’une réunion de trois jours de l’Opus Saceredotale avec le chanoine Catta (qui avait gardé la messe traditionnelle) et quelques prêtres de plusieurs pays voisins, chacun célébrait individuellement sa messe ou concélébrait avec la communauté bénédictine (en allemand ou en hollandais). Pour ma part, je voulais célébrer ma messe seul. A la sacristie, le jeune moine qui avait préparé les vêtements liturgiques me voit croiser l’étole comme d’habitude et m’interpelle :

 

« Monsieur le Curé, vous devez savoir qu’on ne croise plus l’étole parce que, depuis Vatican II, on s’est aperçu que la messe n’est pas un sacrifice ».

 

« Vous avez un texte de Vatican II qui le dise ? ».

 

Cette mentalité est fréquente.

 

En 1988, à la recherche d’une maison religieuse pour pouvoir prêcher une retraite de trois jours à une trentaine de fillettes, on me signale une abbaye de bénédictines blanches. Comme je voulais pouvoir célébrer ma messe (traditionnelle), j’entre en conversation avec la religieuse sacristine, puis avec la sœur, responsable de la liturgie, et, par deux fois mes demandes sont refusées. Cette dernière me dit :

 

« Mais, mon père, c’est nous qui célébrons ».

 

 

C’est la même attitude dans certains comités liturgiques paroissiaux. Un prêtre qui arrive pour remplacer le curé est accueilli par une jeune et jolie personne qui lui dit à peu près ceci :

 

« Mon père, nous sommes heureux que vous veniez célébrer l’eucharistie dans notre paroisse ; le comité liturgique a tout prévu, on chantera tel cantique, vous ferez ceci et cela, vous direz telle chose, Mlle X ou Y interviendra ».

 

Le confrère qui me raconte cette aventure et qui a lui-même un comité liturgique dans ses paroisses, est indisposé par cet autoritarisme qui témoigne de la même mentalité que celle des religieuses qui prétendent : « C’est nous qui célébrons et le prêtre préside ».

 

Ainsi, les reproches, venus de Rome, que la Congrégation des sacrements adresse à l’Épiscopat restent lettre morte. Il y a des années que des fidèles ont l’habitude d’organiser la liturgie de leur paroisse. Il en est de même pour bien des baptêmes : un groupe de cinq à dix familles est obligé de préparer, en quatre ou cinq réunions, un baptême collectif dont la grande loi est la créativité.

 

Nous comprenons donc qu’un R.P. Gélineau se soit écrié, il y a déjà plus de trente ans :

 

« En somme, il n’y a plus de liturgie catholique » !

 

 

Cette nouvelle messe constitue une sorte de « culte boiteux », comme disaient les prophètes de l’Ancien Testament (III Reg. 18-21-22) puisqu’elle convient aussi bien à des protestants qu’à certains catholiques.

 

Leur grande règle est la créativité, et celle-ci est à l’origine d’une énorme anarchie liturgique qui, en elle-même, est une injure à Dieu et un scandale pour bien des fidèles.

 

Cette anarchie semble même être imposée aux célébrations du Saint Père lui-même.

 

Apparemment, la plupart des évêques et des prêtres tolèrent cette situation, inconscients, naïfs ou ignorants, recyclés et même séduits par le « renouveau liturgique et conciliaire ».

 

Certains confrères ont accepté de dire les deux messes. Comment peuvent-ils vivre cette situation inconfortable qui fait penser à cette parole de Notre Seigneur : « Nul ne peut servir deux maîtres » (Lc. 16-13).

 

Ayant dû rencontrer longuement le cardinal Ratzinger en 1986, j’ai présenté à Son Éminence la nomenclature de plus de cent études critiques de la nouvelle messe et j’ai demandé au responsable de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, l’ancien Saint Office :

 

« Comment est-il possible, Éminence, que ces études critiques, certaines signées de noms bien connus, n’aient fait l’objet d’aucune réfutation, d’aucune mise en garde, d’aucune condamnation, d’aucune autorité épiscopale ou cardinalice » ?

 

Revenu à plusieurs reprises, par écrit, sur cette question, je n’ai pas eu de réponse. Mais, « qui ne dit mot consent ! ».

 

Ce silence de la plus haute autorité – après le pape – en matière de foi est, pour les prêtres fidèles à la messe de la Tradition catholique, un grand réconfort dans un combat qui les a parfois laissés marginalisés et profondément blessés. Mais saint Vincent de Lerins, dans son Communitorium, rappelle que l’Église supporte mal les nouveautés et revient volontiers à la Tradition.

 

 

(1)  « Le nouvel Ordo Missae, si l’on considère les éléments nouveaux, susceptibles d’appréciations fort diverses, qui y paraissent sous-entendus ou impliqués, s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXII° session du Concile de Trente, lequel, en fixant définitivement les canons du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l’intégrité du Mystère. »

C’est en ces ternes que le cardinal Ottaviani, préfet émérite de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, et le cardinal Bacci, principal rédacteur de l’encyclique Veterum Sapientia de Jean XXIII, s’adressaient le 3 septembre 1969 à Paul VI en lui présentant leur « examen critique » de la ‘nouvelle messe’, à quelques semaines de son entrée en vigueur.

Publiée à nouveau à l’occasion de l’année de l’Eucharistie promulguée par Jean-Paul II, alors que se multiplient les demandes pour qu’il soit mis fin au bannissement du rite immémorial de la messe catholique, cette nouvelle édition du texte capital à connaître par tout catholique instruit est éclairée de rappels historiques forts instructifs et de qualité, et complété d’enseignements de saint Pie V et du concile de Trente en la matière.

L’intérêt de cette nouvelle édition est de replacer le débat concernant la messe sur le terrain qui est le sien et qu’il n’aurait pas dû quitter : celui de la doctrine.

Enfin et surtout cet opuscule a reçu une préface que nous publions ci-dessous, du cardinal Alfons Stickler, Archiviste et Bibliothécaire émérite de la Sainte Église romaine.

Cité du Vatican, le 27 membre 2004

 

Chers amis,

 

Vous désirez réaliser une nouvelle édition du célèbre Bref examen critique du nouvel Ordo Missæ des cardinaux Ottaviani et Bacci.

Je ne puis que vous y encourager vivement et je bénis votre entreprise pour qu’elle aboutisse à faire connaître au plus grand nombre ce texte important,

En effet, l’analyse du « Novus Ordo » faite par ces deux cardinaux n’a rien perdu de sa valeur ni, malheureusement, de son actualité.

Membre de commissions préparatoires du concile et expert en liturgie au II° Concile du Vatican, j’ai moi-même vécu de très près les profonds bouleversements qui ont suivi la réforme liturgique.

Le décret Sacrosanctum Concilium suggérait une réforme comme on l’entend au sein de l’Eglise catholique, et non un bouleversement accompagné d’une fabrication hâtive de nouveaux rituels. Ces innovations ouvraient trop grande la voie à ceux qui peut-être sans Ie vouloir consciemment, feront entrer, comme l’a dit notre pape Paul VI, les « fumées de Satan » dans l’Église.

Les résultats de Ia réforme sont jugés dévastateurs par beaucoup aujourd’hui. Ce fut le mérite des cardinaux Ottaviani et Bacci de découvrir très vite que la modification des rites aboutissait à un changement fondamental de la doctrine.

Heureusement, la Messe romaine latine dite de saint Pie V n’a jamais été interdite : les prêtres et les fidèles peuvent toujours puiser à la source de la Lex orandi et ainsi vivre fidèlement la Lex credendi.

Il est donc louable et utile, comme vous le désirez, de faire de nouveau entendre, trente-cinq ans après, la voix de ces deux princes de l’Eglise, défenseurs de la doctrine, de la Tradition catholique et de la Papauté.

Croyez, chers amis, à l’assurance de ma paternelle bénédiction et de mes prières auprès du tombeau de saint Pierre.

Alfons Maria Card. Stickler

On peut se procurer le livre : Cardinaux Ottaviani et Bacci Bref examen (90p) auprès de Renaissance Catholique 89 rue Pierre Brossolette 92130 ISSY LES MOULINEAUX au prix de 12€ TTC port compris.

 

 

 

(2) Sur ce sujet,  je recommande vivement la lecture du livre de Michael Davies : « la Reforme liturgique anglicane » aux éditions CLOVIS, 2004, 364 p. 22Euros