Le
cardinal Stickler
et la réforme liturgique du Concile Vatican II
Le
cardinal Stickler, enfin, s’exprime sur la réforme liturgique issue du Concile
Vatican II et entre, à son tour, dans cette bataille gigantesque.
Son
témoignage est tardif, certes.
Il
a du poids, cependant.
Pensez !
En
poste à Rome depuis 1937, le cardinal est canoniste reconnu. Il fut professeur
d’université. Préfet de
On ne peut avoir meilleur témoin de la pensée
conciliaire en matière liturgique.
Or,
il se trouve que cet expert autrichien – c’est son origine – vient de parler…ou
du moins que sa pensée vient d’être connue en France grâce à un beau travail de
traduction réalisée par l’équipe du CIEL, le Centre International d’Etudes
Liturgiques.
En
effet, en mai 2000, le CIEL publie une petit livre blanc, intitulé :
« Témoignage d’un expert au Concile ». Loïc Mérian m’en fait adresser
un exemplaire. Je l’ai dévoré dès réception. J’y ai trouvé des merveilles,
des témoignages extraordinaires, des
jugements fondés, tels que celui-ci que j’ai plusieurs fois cité :
« Pour résumer nos réflexions, nous pouvons
dire que les bienfaits théologiques de la messe tridentine correspondent aux
déficiences théologiques de la messe issue de Vatican II »
C’est
la conclusion de la fameuse conférence qu’il donnait aux USA, à Fort Lee (New
Jersey), le 20 mai 1995, à l’invitation de l’Association « Chrsiti
Fideles », sur le thème : « les bienfaits de la messe tridentine ». Vous trouverez ce jugement
intéressant à la page 22 de ce petit
fascicule.
Mon
attention fut attirée par cette conclusion. J’en poursuivis la lecture sur le champ.
J’étais
encore à Gavrus, en Normandie, au Prieuré Saint Jean Eudes.
Je
tombai, à la page 23, sur l’intégralité de l’interview du cardinal publiée, aux
USA, dans « The Latin Mass », en été 1995. Nous en avions eu connaissance – à cette même
date – en France, grâce à un petit entrefilet du journal «
Mais,
là, dans ce petit livret, je trouvais, à
la bonne heure, l’ensemble du texte de linterview . Je m’en
réjouissais.
C’est
dans cette interview que nous apprenions que le pape Jean-Paul II avait nommé,
en 1986, une commission de neuf cardinaux à laquelle il posait deux questions :
La
première : « le pape Paul VI a-t-il, véritablement,
interdit l’ancienne messe » ?
La
réponse fut négative, nous dit le cardinal Stickler : « La
réponse donnée par huit (des neuf) cardinaux en 1986 fut que non, la messe de
Saint Pie V n’a jamais été interdite. J’étais moi-même l’un des cardinaux. Un
seul était contre (NDLR : c’était le cardinal Bennelli). Tous les autres
étaient pour une libre autorisation, pour que tous puissent choisir l’ancienne
messe. Je pense que le pape a accepté ». (p.27)
Il
y avait une deuxième question posée par le pape à cette commission.
« Un évêque, quel qu’il soit, peut-il interdire à un prêtre, en règle
avec les autorités, de célébrer, à nouveau, la messe tridentine ? »
(p.28) « A l’unanimité, dit le Cardinal, les neuf cardinaux ont admis qu’aucun
évêque ne pouvait interdire à un prêtre catholique de dire la messe tridentine.
Il n’y a pas d’interdiction officielle et je pense que jamais le pape ne
décrèterait un interdiction officielle ». (p. 28)
Vous
imaginez !
Sous
la plume d’un cardinal !
Je
jubilais.
Nous
étions, avec Monsieur l’abbé de
De
quel droit ?
Oui !
De quel droit ? J’avais en main un argument de poids…Le jugement d’un
cardinal Stickler….accepté par le pape.
Je
poursuivais la lecture toujours avec la même joie de la découverte et
remerciais, dans mon cœur, Loïc Mérian d’avoir su prendre le temps de traduire
en français la pensée du cardinal.
Un
peu comme hier, je remerciais, dans mon cœur aussi, Dom Gérard d’avoir fait
traduire, pour nous, les « francillions », comme aiment à le
dire les Belges, la pensée liturgique de Mgr Gamber, dans son fameux livre
intitulé : « La réforme
liturgique en question », recueil de conférences prononcées jadis par
l’auteur sur la réforme liturgique mais
restées ignorées du grand public français.
Je
poursuivais donc la lecture, toujours passionné. J’arrivais ainsi à la page 31.
Là,
Loïc Mérian nous transcrit, de l’allemand en français, une conférence du
cardinal qu’il intitule : « Souvenirs et expériences d’un expert de
Le
texte de la conférence est assez long.
Il va de la page 31 à 66 du livret qui n’en fait que 99. On apprend que cette
conférence fut donnée en 1997 à l’ « Internationalen Théologischen
Sommerakademie 1997 des Linzer Priesterkreises ». Elle fut publiée,
d’abord en allemand par Franz Breid -Die
heilige liturgie - Ennsthaler.
Malgré
la longueur du texte, je le dévorais rapidement.
Ah !
Mes amis ! Quel « brûlot » ! Il faut faire connaître cela,
me disais-je. Je lisais. Relisais. Prenais des notes.
Le cardinal Stickler se
présente.
Bigre !
Ce n’est pas le dernier personnage de l’Eglise, pensais-je ! Lisez
vous-même : « J’ai été
professeur de droit canonique et d’histoire du droit ecclésiastique à
l’Université salésienne, fondée en 1940, puis pendant 8 ans, de 1958 à 1966,
recteur de Université. En cette qualité, j’ai bientôt été nommé
« consulteur » de
« Peu
avant le Concile, le cardinal Larraona, dont j’avais été l’élève pendant mes
études de droit canon et de droit ecclésiastique au Latran et qui avait été
nommé président de
Son Jugement personnel sur la
réforme liturgique
Puis
il donne un témoignage personnel, fort intéressant, sur la réforme
liturgique : son jugement sur « l’édition définitive » du
« Nouveau Missel Romain » :
« Mais
vous pourrez également comprendre ma stupéfaction lorsque, prenant connaissance
de l’édition définitive du Nouveau Missel Romain, je fus bien obligé de
constater que, sur bien des points, son contenu ne correspondait pas aux textes
conciliaires qui m’étaient si familiers, que beaucoup de choses avaient été
changées ou élargies, ou allaient même directement au rebours des instructions
donnés par le Concile »
N’y
tenant plus, - il doit avoir du
caractère, - il demande une audience au
cardinal Gut, alors préfet de
Je
lui demandais une audience dans son logement au monastère bénédictin de
l’Aventin, audience qu’il m’accorda le 19 novembre 1969. Je ferai remarquer en
passant que, dans ses Mémoires parus en 1983, Mgr Bugnini fait erreur sur la
date de la mort de Mgr Gut, l’avançant d’un an : Mgr est mort le 8
décembre 1970 et non 1969.
Mgr
Gut me reçut très aimablement, bien qu’il fût déjà visiblement malade et, comme
l’on dit, j’ai pu déverser tout ce que j’avais sur le cœur. Il me laissa parler
une demi-heure sans m’interrompre, puis il me dit qu’il partageait entièrement
mes inquiétudes. Mais, ajouta-t-il, la
faute n’en incombait pas à
Jugement du Cardinal sur Mgr
Bugnini.
Au
passage, il donne son jugement sur Mgr Bugnini. Il faut le lire. Ce n’est pas
sans intérêt.
« A
ce sujet, une précision s’impose : le P. Bugnini avait été Secrétaire de
Ces
deux nominations, celle du cardinal
Lercaro et celle du P. Bugnini, aux postes clefs du
« Concilium » offrirent la possibilité de se faire entendre, pour
l’exécution de la réforme, à des gens qui jugeaient ne l’avoir pas suffisamment
été pendant le Concile, et aussi d’en faire taire d’autres : en effet, les
travaux du « Concilium » se déroulaient dans des zones de travail non
accessibles aux non membres.
Et pourtant : bien qu’ils se soient consacrés corps et âme aux travaux
énormes et délicats réalisés par le « Concilium », notamment sur le
cœur même de la réforme, à savoir le nouvel « Ordo Missale Romanum »
qui fut réalisé dans les délais les plus brefs, seul l’avenir nous expliquera
pourquoi les deux principaux acteurs sont visiblement tombés en disgrâce :
le cardinal dût renoncer à son siège épiscopal, et le P. Bugnini, nommé
archevêque des 1968 et nouveau Secrétaire de
Thème de
Ce
préambule étant fait, un peu long mais
loin d’être inutile pour l’histoire de la réforme liturgique, le Cardinal donne
le thème de sa conférence. Il veut
juger « de la concordance ou de la
contradiction entre les dispositions conciliaires et la réforme effectivement
appliquée ». (p. 35)
Le
thème me plaisait. J’avançais dans la
lecture. Je laissais le téléphone de côté. Je me concentrais sur mon sujet
Jusqu’ici,
pour beaucoup, les critiques adressées contre la réforme liturgique émanaient,
la plus part du temps de nos milieux.
On
connaissait le « Bref Examen Critique ».
On connaissait les nombreux articles de Monsieur l’abbé Dulac publiés dans
« le Courrier e Rome, dans la belle collection
d’ « Itinéraires ».
On connaissait les critiques du RP Clamel.
On
connaissait les toujours judicieuses remarques de Jean Madiran, de Luce
Quenette, de Dom Guillou, de Henri Charlier, les conférences de Mgr Lefebvre.
On
lisait tout cela dans nos milieux. On les relisait, les ressassait. On écoutait
les cassettes. On étudiait certes…
Mai,
à force, n’arrivait-on pas à un « ronronnement »…Et tout ronronnement
endort à force de se répéter. Et Loïc Mérian, lui-même, ne se gênait pas pour
nous le dire. Il l’écrivait même dans son petit papier de
Bref,
j’étais content de trouver d’autres critiques… Enfin une « critique »
qui ne venait pas de « chez nous ». Une critique du
« sérail ».
Je
dévorais et me promettais de faire connaître au plus tôt ce texte. L’heure est
arrivée …Enfin !
Des Principes liturgiques
Tout
au début, le cardinal nous rappelle quelques grands principes liturgiques
heureusement soulignés par
Il
nous rappelle l’article 2 qui
affirme que dans la liturgie « tout ce qui est humain doit être
subordonné et soumis au divin, le visible à l’invisible, l’action à la
contemplation, le présent à la cité divine future que nous recherchons ».
C’est à la page 35 du livret.
Qui
ne serait d’accord avec ce principe…Fut-il conciliaire !
Et
pourtant les réformateurs ont échoué en cette affaire.
Un constat d’échec
Il
écrit vers la fin : « Ma conférence, mes souvenirs et
expériences, je pense, ont permis
d’évaluer dans quel mesure la réforme avait satisfait aux exigences d’ordre
théologique et ecclésiastique énoncées par le Concile ? En d’autres
termes, de voir si, dans la liturgie, et surtout dans ce qui en constitue le
centre :
Le
cardinal fait tout simplement un constat d’échec total.
De sorte que, lui aussi, avec le Cardinal Ratzinger, forme des vœux pour lancer
la réforme de la réforme. La première aurait donc échoué ?
« C’est
précisément parce que l’on se rend toujours plus clairement compte de la
situation actuelle (NDLR i.e. de la déconfiture de la réforme
liturgique et son infidélité à la pensée conciliaire…mais à qui la faute…) que
se renforce l’espoir d’une éventuelle restauration que le cardinal Ratzinger
voit dans un nouveau mouvement liturgique qui éveillera à une vie nouvelle le
véritable héritage du Concile Vatican II ». Et de citer le livre
du Cardinal « Ma Vie » (p. 135). Mais c’est peut-être Loïc qui a
rajouté cette citation… !
Intéressant !
Intéressant ! Me disais-je. Enfin un cardinal de l’Eglise romaine qui
parle et enseigne clairement.
Je
poursuivais ma lecture. Je le fais, aujourd’hui, pour vous.
Le
cardinal survole et résume encore quelques autres principes fondamentaux du Concile. Des rappels tout à
fait évidents et traditionnels.
L’article 21, l’article 23 qui affirment qu’il ne faut rien changer, en matière
liturgique, « avant que ne soit élaborée une soigneuse étude théologique,
historique, pastorale, en s’assurant d’un développement organique
harmonieux ».
Qui
ne serait d’accord !
L’article 33 qui rappelle la finalité de la liturgie. « La
liturgie est principalement le culte de la majesté de Dieu ». A la
bonne heure !
L’article 34, l’article 54 sur la langue
latine.
Là,
le cardinal donne son témoignage. C’est fort instructif !
« Au
bout de quelques jours de débat au cours duquel tous les arguments pour et
contre furent vivement discutés, on en est arrivé à la conclusion bien
claire - tout à fait en accord avec le
Concile de Trente – qu’il fallait conserver le latin comme langue cultuelle du
rite latin mais que des « exceptions étaient possibles et même
souhaitables » (p. 38-39)
Sur le chant grégorien, sur les orgues, le cardinal rappelle l’article 116 de
qui
souligne spécialement l’importance des f^tes du Seigneur et sutout celles du
propre
Il
rappelle aussi l’article 108 qui
souligne spécialement l’importance des
fêtes du Seigneur et surtout celles du propre du temps, lequel doit avoir la
priorité sur les fêtes des saints pour ne pas
affaiblir la plaine efficacité de la célébration des mystères du
salut.(p. 39)
Mais
c’est l’enseignement qu’à Ecône, Dom Guillou, professeur de liturgie,
dispensait aux séminaristes avec énergie et conviction .J’en fus marqué,
personnellement, pour toujours.
Ces
principes liturgiques - et d’autres
encore - rappelés, le cardinal passe à
la critique de la réforme liturgique – l’œuvre conciliaire par excellence.
C’est la deuxième partie de la conférence du cardinal.
Critique de la réforme
liturgique
Sans
vouloir être exhaustif en cette affaire, le cardinal aborde cette critique avec
énergie et fraîcheur.
Sous
sa plume, je retrouvais l’enseignement de mes maîtres. J’étais heureux.
J’avais
appris chez Dom Guillou, cher M l’abbé Dulac que la liturgie devait
exprimer la foi catholique. Que de fois, en effet, avais-je entendu de leur
bouche, ainsi que de celle de Mgr Lefebvre, cet axiome : « legem
credendi, lex statuit supplicandi » ou plu simplement : « lex
orandi, lex credendi ».
Je
retrouvais dans les pages que je lisais même doctrine, la doctrine de toujours.
Le cardinal écrivait : « La liturgie contient et exprime la foi de
façon juste et compréhensible » (p. 40). De sorte que « la
pérennité de la liturgie participe de la pérennité de la foi, elle contribue
même à la préserver ». Et
comme la foi est immuable, la liturgie qui l’exprime l’est aussi. « C’est
pourquoi il n’y a jamais eu de rupture, de re-création radicale dans aucun des
rites catholiques, y compris dans le rite romain latin »
(p.40-41). L’évolution liturgique - dès
lors - est lente et nécessairement organique.
Je
me régalais en lisant ces rappels. « Dans tous les rites, la liturgie est quelque
chose qui s’est développée et continue de croître lentement ; partie du
Christ et reprise par les Apôtres, elle a été organiquement développée par
leurs successeurs, en particulier, par les figures les plus marquantes tels les Pères de l’Eglise,
tout cela en préservant consciencieusement la substance, i.e. le corpus de la
liturgie en tant que tel ».
Mais
Dom Guillou nous enseignait la même chose !
Il
écrivait en 1975, en la fête de
L’Esprit
Saint est Un et Véridique. Ce qu’il inspire ne peut être qu’un et véridique, le
même à travers le temps.
J’aime
cette expression du cardinal. C’est clair. C’est net : « C’est
pourquoi, il n’y a jamais eu de rupture, de re-création radicale…dans le rite
latin romain ».
J’applaudis..
Il
poursuivait : « Il n’y a jamais eu de rupture dans le rite
romain latin à l’exception, de la liturgie post-conciliare actuelle, en
application de la réforme…bien que le Concile…ait toujours réaffirmé que cette
reforme devait préserver absolument la tradition ». (p. 49-41)
Jamais
de rupture…à l’exception de la liturgie post-conciliare actuelle,
écrit-il ! Mais c’est
l’enseignement aussi du cardinal Ottaviani, me disais-je. Je me régalais.
Je courais prendre la lettre du cardinal Ottaviani à Paul VI et lisais :
« Le
Nouvel Ordo Missae, si l’on considère les éléments nouveaux, susceptibles
d’appréciation fort diverses qui y
paraissent sous-tendues ou impliquées, s’éloigne de façon impressionnante dans
l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de
C’est
donc bien à une « rupture » que l’on assiste avec le Nouvel Ordo
Missae. Cet éloignement est une véritable rupture avec
Le cardinal Stickler a la même analyse. Avec le Nouvel Ordo Missae, on assiste
à une véritable rupture avec
Et
ceci est une véritable nouveauté, la nouveauté par excellence… « Alors
que toutes les réformes antérieures adoptées par les papes et tout
particulièrement celles entreprises sous l’impulsion du Concile de Trente et
mises en œuvre par le Pape Pie V et jusqu’à celles de PIe X, de Pie XII, et de
Jean XXIII, ne furent pas des révolutions mais uniquement des corrections qui ne touchaient pas l’essentiel, des ajustements
et des enrichissements ». (p. 41)
C’est
ce que demandait, du reste, le Concile en son
article 23 : « Le Concile a expressément dit, à propos de
la restauration souhaitée par les Pères qu’aucune innovation ne devait être
faite qui ne fut vraiment et certainement exigée par l’utilité de l’Eglise ».
Non !
L’ordo Missae est radicalement nouveau !
Je
me souvenais de notre savant abbé Dulac qui, dans l’analyse qu’il faisait de
Non !
Nous n’avons rien de tel avec Paul VI. Nous avons un « Novus Ordo Missae.
Rien
de comparable..
J’étais,
vous dis-je, aux anges en lisant tout cela….Mais je me souvenais aussi des
affirmations du cardinal Medina et du cardinal Castrillon Hoyos…et même
aujourd’hui, du cardinal Ratzinger -il
va , il vient, il est déroutant -
qui parlent, eux, de continuité dans le rite romain d’un Ordo à l’autre. Le
cardinal Castrillon Hoyos, en particulier, ne disait-il pas qu’il ne fallait
pas « contraposer
les deux rites. Ils seraient substantiellement identiques… »
Le
pape lui-même alors qu’il recevait les communautés relevant du Motu Proprio
« Ecclesia Dei », le 26
octobre 1998, venues à Rome en action de grâces, leur tenait même
langage : « Les derniers Conciles œcuméniques, Trente,Vatican I, Vatican II,
se sont particulièrement attachés à éclairer le mystère de
Que
les choses sont bizarres !
Même
au plus haut niveau du gouvernement ecclésial…les jugements des autorités
divergent fondamentalement sur le même sujet : la réforme liturgique.
Pour
les uns, nous aurions « une nouveauté radicales ».
Pour
les autres, « une continuité parfaite ».
Le
Magistère est vraiment divisé. C’est un des éléments de la crise de l’Eglise.
Qui croire ?
Les nouveautés de la réforme
liturgique.
Mais
poursuivons la pensée de notre cardinal autrichien.
Il
nous dit : « Nous allons maintenant présenter quelques
exemples marquants (sans vouloir être exhaustif) de ce qui a été créé dans la
réforme post-conciliaire et en particulier dans son cœur : l’Ordo Missae
est radicalement nouveau ». (p. 41).
Alors
le cardinal passe en revue le Nouvel Ordo.
Il
feuillette le Nouvel Ordo.
Il n’insiste pas sur l’introduction de la
messe. Elle est « nouvelle », dit-il page 42 et surtout comporte
de « multiples variantes » (id) ce qui souvent aboutit à une
diversité presque illimitée.
Mais
il en vient tout de suite à l’Offertoire.
Là,
il parle à ce sujet de « révolution ».
« L’Offertoire,
dans sa forme et sur le fond, constitue une révolution : il n’est, en
effet, plus prévu d’offrande préalable des dons mais simplement d’une
préparation des oblats avec une teneur nettement humaniste mais qui, en fin de
compte, donne tout de suite, une impression de dépassé » (p. 42) Il parle même de « symbolisme « malheureux »…
Il
poursuit : « Quand aux signes hautement loués par le
Concile de Trente et exigés par le Concile de Vatican II tels que les nombreux
signes de croix qui renvoient à
Il parle ensuite du sacrifice qui est
l’essence de
Il
écrit : « Le centre essentiel de la messe qui était précisément l’action
sacrificielle elle-même, a été déplacé au profit de la communion (….) le
sacrifice de la messe a été transformé en un repas eucharistique. Ce faisant,
si l’on considère les termes utilisés, la communion est devenue, dans la
conscience des fidèles, la seule partie de la messe ayant un effet intégrateur en lieu et place de la
partie essentielle qui est l’action sacrificielle de
On
aurait envie de dire au Cardinal : « Alors quoi ! Cette Nouvelle
Messe est-elle un sacrifice ou un repas ? L’un est-il l’autre ?
Oui ! Y a-t-il une différence
essentielle entre l’un et l’autre ? Le sacrifice n’est pas un repas, ni un
repas, un sacrifice. Mais le cardinal Castrillon Hoyos vous dit qu’il ne faut
« contraposer » les deux rites…
J’allais
d’étonnement en étonnement, d’émerveillement en émerveillement.
Je me souvenais du « Bref Examen Critique », de la critique du fameux
article 7 qui, dans cette affaire liturgique est capital.
Je
le relisais: « La définition de la messe est réduite à celle de
« Tout
cela n’implique ni la présence réelle ni la réalité du sacrifice, ni le
caractère sacramentel du prêtre qui consacre, ni la valeur intrinsèque du
sacrifice eucharistique
indépendamment de la présence de l’assemblée ».
« En
un mot, cette nouvelle définition ne contient aucune des données dogmatiques
qui sont essentielles à
J’avais
encore en mémoire toutes ces phrases quand j’arrivais au § 2 de la page 43 du
texte du cardinal Stickler, je tombais sur ces paroles fulgurantes : « Ainsi,
sont posés les fondements d’un autre détournement de fonction : à la place
du sacrifice présentée à Dieu par le prêtre ordonné en tant
qu’ « alter Christus », s’instaure la communauté de repas des
fidèles assemblés sous la présidence du prêtre ».(p. 43)
Mais
attention ! Le cardinal poursuit :
« La
définition de
J’étais
estomaqué !
Avouez !
Sous la plume d’un cardinal… C’était cinglant, court, bref. Les mots choisis
particulièrement exemplaires.
On
comprend que le cardinal Stickler puisse, lui aussi, parler « de
bouleversement du cœur même du sacrifice de la messe ».
Il
insiste. Il veut enfoncer le clou.
« Ce
bouleversement du cœur même du sacrifice de la messe fut confirmé et accentué
par la célébration « versus populum », pratique autrefois interdite
et renversement de toute la tradition de la célébration vers l’Orient et dans
laquelle le prêtre n’était pas l’interlocuteur du peuple mais se tenait à sa
tête pour le guider vers le Christ avec le symbole du soleil levant à
l’est ». (p. 43)
Je
n’en croyais pas mes yeux.
Je
retrouvais tout l’enseignement d’Ecône, celui que nous avait donné Dom Guillou
dans des pages célèbres et qui ne sont pas assez connues même dans nos milieux.
En
voici un exemple de toute beauté :
« Toute l’histoire de l’Eglise elle-même, est une montée de lumière dans
l’accroissement du nombre des élus et dans l’épanouissement du développement de
ses dogmes et de son mystère propre, jusqu’à son achèvement dans les
éblouissantes splendeurs de
« Faut-il
redire ici, après ce bref aperçu, le dommage causé à l’esprit et à la manière
liturgique par l’abandon de la règle de l’orientation des églises et de la
messe et de la prière orientée, règle qui se relie à un immense contexte
éminemment humain, biblique et chrétien. Les Anciens voulaient que le
sanctuaire de leurs églises soit comme un Orient spirituel que la lumière
matinale inonde à cette première heure de l’Office de Laudes qui se termine,
chaque jour, par le chant du « Benedictus » de Zacharie célébrant
l’Orient « ex alto », illuminant ceux qui sont assis à l’ombre de la
mort…Comme elle est significative ensuite, dans la joyeuse clarté de l’aurore
cette prière du prêtre au bas des degrés lorsqu’il s’apprête à montée dans la
nuée lumineuse de l’autel : « Emitte lucem tuam et veritatem
tuam : ipsa me deduxerunt et adduxerunt in montem anctum tuum…et introibo
ad altare Dei, ad Deum qui laetificat juventutem meam » (Ps 42). Sera-t-il dit que tout ce poème des choses,
que toutes ces correspondances merveilleuses échapperont à la myopie reforma
triste ? Pourtant même au stricte point de vue pastoral, quelle plus belle
illustration de cette vérité : notre vie toute entière est comme une messe
qui nous conduit à l’union au Christ, à la céleste illumination où tout sera
renouvelé dans une jeunesse éternelle, par les mérites de
Puis
le cardinal en arrive à la formule de la consécration du pain et du vin.
Une nouvelle formule de la
consécration du vin.
Là,
sur ce sujet, il est également très sévère. Jugez vous-même !
Il parle de la très grave atteinte
à la formule de consécration du vin en le sang du Christ en raison de la
suppression des mots « Mysterium Fidei ».
« Les
mots « Mysterium fidei » en ont été supprimés pour être ajoutés à
l’appel du peuple à la prière, après la consécration, ce qui fut présenté comme
un gain majeur du point de vue de la « participation actuosa » ».(p.
44)
Là,
le cardinal part en guerre. Il se « déchaîne ». C’est le cardinal,
recteur d’Université, archiviste, qui parle. Il enseigne. Il cite ses sources.
Il démontre que « Mysterium fidei », ces deux mots, sont d’origine
apostolique. Il ne fallait pas y
toucher.
Saint Basile l’enseigne. Saint Augustin aussi. Le « Sacramentum
Gelasianum » également. Le cardinal
écrit : « Le Sacramentum Gelesianum »
qui est le livre de messe le plus ancien de l’Eglise romaine, dans le Codex
Vaticanus, Reg Lat
Il
poursuit. On sent le cardinal en colère, sainte colère…
Il
cite la lettre de Jean de Lyon, en 1202, au Pape Innocent III et donne la
réponse du Pape, avec les références. C’est argumenté : « En
décembre de la même année, dans une longue lettre, le Pape répondait que ces
paroles et d’autres encore du Canon que l’on ne trouvait pas dans les
Evangiles, devaient être crues en tant que paroles transmises par le Christ aux Apôtre et par ceux-ci à
leurs successeurs ».(p.45)
Il
donne les références historiques.C’est le professeur qui enseigne. Son
affirmation est incontournable. Elle est scientifique. Vous la trouverez
là, dit-il :
« X,III,41,6 ; Friedberg III,p. 636,sq. »
C’est
clair.
Il
continue : « Le fait que cette décrétale qui fait partie
du recueil des décrétales d’Innocent III dans le grand recueil du liber X,
établi par Raymond de Pegnafort à la demande de Grégoire IX, n’ait pas été
abandonnée comme dépassée, ce qui fut le cas de bien d’autres, mais ait continué
à être transmise par
Nul
doute que l’on ne pouvait toucher à ces deux mots dans la forme de la
consécration du vin, ni les supprimer, ni les déplacer en en changeant le sens. On ne le pouvait pas
sans être infidèle à
C’est
la pensée du cardinal.
Il
invoque aussi l’autorité de saint Thomas d’Aquin
Vraiment
le cardinal veut enfoncer le clou…, veut régler l’affaire définitivement. Il
veut prouver, vraiment, que cette réforme liturgique est en rupture non
seulement avec les prescriptions demandées par le Concile Vatican II, mais même avec
Il
écrit : « Saint Thomas s’exprime clairement sur cette question dans
sa « Somme théologique » (III, 78, 3 ad nonum) : à propos des
paroles de consécration du vin, rappelant la nécessaire discipline secrète de
l’Eglise ancienne dont parle aussi Denis l’Aréopagyte, il écrit :
« les paroles ajoutées « éternelle » et « mystère de
foi » viennent de la tradition du Seigneur qui est parvenue à l’Eglise par
l’intermédiaire des Apôtres » ; il renvoie lui-même à 1 Cor 10,23 et
à 1 Tim 3,4. En note de ce texte de saint Thomas, le commentateur se référant à
D Gousset dans l’édition Marietti de 1939 (V.p. 155), ajoute « sarrebbe un
grandissimo errore sustituire un’altra forma eucharistea a quella del Missale
Romano…Si sopprimere ad esempio la parola « aetreni et quella
« mysterium fidei » che abbiamo della tradizione » (p.46)
Puis
il invoque l’autorité du Concile de Florence, le XVII ème Concile
œcuménique : « Dans la bulle d’union avec les Coptes, le Concile
œcuménique de Florence complète expressément les formules de consécration de
Ayant
le document, je suis allé vérifier. C’est bien exact. Le Concile de Florence,
dans le décret pour les Grecs - qui suit
celui d’avec les Arméniens - cite bien
expressément le « Mysterium fidei » dans la formule de consécration.
Il y est dit : « Mais parce que dans le décret des Arméniens rapporté
ci-dessus, n’a pas été expliquée la formule qu’a toujours eu coutume
d’employer, dans la consécration du Corps et du Sang du Seigneur, la
sacro-sainte Eglise romaine, affermie par la doctrine et l’autorité des Apôtres
Pierre et Paul, nous pensons qu’il faut l’introduire dans les présentes »,
En latin cela donne : « Illlam praesentibus duximus
inserendam… ». « Duximus ». C’est le parfait du verbe latin
« ducere ». Il vaudrait mieux traduire : « Nous estimons,
nous commandons. « Nous pensons » me parait un peu faible.
« Ducere », c’est le commandement. C’est le chef qui affirme…
Mais ce n’est pas tout.
Le
cardinal ne s’en tient pas pour satisfait…Il poursuit sa démonstration de
théologie positive. Là, pour le coup, il se veut exhaustif.
Il invoque, cette fois, le catéchisme -
le catéchisme « de référence », dit-il - ce sont ses mots - Je m’attendais à voir citer le nouveau
catéchisme de l’Eglise catholique. Mais pas du tout ! Il cite le
catéchisme du « Concile de Trente ». A la bonne heure ! Il donne
toutes les références. Manifestement, quand il préparait sa conférence, le
cardinal est allé chercher, dans sa bibliothèque, ce catéchisme. Il vous dit
qu’au chapitre 9, au n° 21, à propos de l’Eucharistie…le catéchisme enseigne
que « les mots « mysterium
fidei » et « aeterna »
viennent de
Je
regrette que le cardinal n’ait pas poursuivi sa lecture du catéchisme car il
aurait aussi rappelé qu’en changeant de place cette expression très
traditionnelle, les auteurs de la réforme liturgique, en changeaient le sens.
Alors que le « mysterium fidei »
placé dans la formule de la consécration porte sur la présence réelle qui vient
d’être réalisée par l’énonciation de la formule consécratoire, le « mysterium
fidei » mis après la consécration
- comme acclamation populaire – dirige l’attention du peuple, non plus
sur le mystère de
Voyez
l’enseignement du catéchisme du Concile de Trente, p. 216 de l’édition
d’itinéraires. .
Enfin le jugement du cardinal.
Fort
de cet exposé très savant, le cardinal ne mâche pas ses mots et ses critiques
contre les réformateurs. Il parle de « légèreté souveraine »
d’un Lercaro, d’un Bugnini et de leurs collaborateurs.
« On
peut à juste titre s’interroger sur la légèreté dont on fait preuve, ici, les
collaborateurs du cardinal Lercaro et du Père Bugnini, avec nécessairement leur
accord » (p.46). «Ils
ont purement et simplement « ignoré », non seulement ignoré mais
aussi « méprisé » l’obligation de procéder à une recherche historique
et théologique exacte » (p. 46) ; C’est ce réclamait
expressément, pourtant, le Concile Vatican II dans son article 23 de
C’est
terriblement grave !
Nous
nous trouvons devant une réforme « infidèle » à
Enfin,
laissant la théologie positive, le cardinal s’élève à une considération
doctrinale et pastorale tout à la fois que je pourrais résumer ainsi : cet
oubli du « mysterium fidei »
de la forme eucharistique, loin de favoriser et de développer le sens de la
piété et de la vie théologale chez le peuple fidèle, favorise, au contraire, la
« démystification » constatée aujourd’hui ainsi que
l’ « anthropomorphisation ».
Rien ne vaut, rien n’est vrai que ce qui est rationnel. L’Eucharistie n’est pas
à la portée de la raison. Elle est peut-être un simple symbole…. « Mais
c’est aussi la raison pour laquelle l’exclusion du « mysterium
fidei » de la formule eucharistique devient - elle aussi – le symbole de la
démystification et donc de l’anthropomorphisation de ce qui constitue le centre
du culte divin :
Ce
retrait du « mysterium fidei »
de la formule de la consécration du vin est à l’évidence malheureux.
La participation vivante et
active des fidèles.
Le
cardinal en arrive enfin aux décisions des réformateurs quant à « la
participation vivante et active des fidèles à la célébration de la messe (p.47)
On
sait qu’on se plaignait beaucoup, avant le Concile, du manque de participation
des fidèles à la messe. Aussi le Concile Vatican II a-t-il abordé le sujet dans
deux articles importants : l’article
30 et l’article 48. Il en donne les
principes : « Le Concile a insisté particulièrement, dit
le cardinal, sur la participation intérieure qui seule permet de rendre
fructueux le culte ».(p.38)
Le
cardinal donne alors son jugement sur cette fameuse « participation
active » telle qu’aménagée par nos réformateurs.
Il
est terrible.
Il
s’exprime avec une pointe d’humour sarcastique et légèrement méprisante…Le pauvre
Bugnini n’a vraiment pas fait une œuvre excellente…On comprend pourquoi il est
resté sur le carreau…Au témoignage du cardinal : « le Père Bugnini avait été
secrétaire de
Lisez,
vous dis-je. Je ne peux me résoudre à résumer. Il faut tout citer : « Nous
en arrivons ainsi au mandat donné aux réformateurs de promouvoir la
participation vivante et actives des fidèles à la célébration de la messe, un mandat qui, trop souvent, a été mal
interprété et adapté à la mentalité actuelle. Comme toute la liturgie, ainsi
que le dit expressément le Concile, le but principal de la messe est le culte
de la divine majesté. Aussi le cœur et l’âme des participants doivent-ils en
premier lieu être élevés et s’élever vers Dieu. Cela n’exclut pas que la
participation se manifeste concrètement à l’intérieur de la communauté et
vis-à-vis d’elle. Et c’est la raison pour laquelle, pour pallier l’absence de
participation des fidèles dont on se plaignait si souvent avant le Concile, ce
dernier a instamment demandé cette « actuosa participatio ». Mais si
celle-ci dégénère en un enchaînement ininterrompu de paroles et d’actions, avec
une distribution des rôles aussi large que possible afin que tous aient leur
part à l’action, lorsque l’on en arrive à un activisme qui relève plutôt d’un
rassemblement humain purement externe et qui, pire encore, juste avant le
moment le plus sacré pour les participants : dans la rencontre individuelle
de chaque fidèle avec le Dieu-Homme eucharistique, est plus bavarde et
distrayante que jamais, la mystique contemplative de la rencontre avec Dieu, le
culte qui lui est rendu avec la crainte respectueuse, la révérence qui doit
l’accompagner toujours - tout cela ne
peut que mourir : alors l’humain tue le divin et emplit le cœur de vide et
de désolation. Ce moment appartient au silence, qui est expressément prévu, et
qui n’a gardé, difficilement, sa place qu’après l’action que continue la
distribution de la communion, comme une petite feuille de vigne sur un grand
corps nu. C’est ainsi que, reflétant la tendance actuelle de la conscience du
monde à se limiter aux apparences, on voit se
développer dans l’Eglise un agir cultuel de conception humaine et projeté
vers l’extérieur ».
Voilà
donc un jugement général du cardinal sur la réforme liturgique
« bugninienne ».
Mais
après ce jugement général qui est une vraie condamnation de la réforme, le
cardinal aborde des points plus particuliers : le latin, le grégorien, l’orgue...
Sur le latin
Le
Cardinal exprime sur ce sujet, du latin, comme langue liturgique, son
étonnement. Il ne comprend pas comment, après ce que demandèrent les Pères
conciliaires sur ce sujet, on en soit arrivé à la suppression générale du latin
et au triomphe des langues vernaculaires.
Ce
passage de la conférence est fort intéressant. Quand je le découvris pour la
première fois, j’étais moi-même dans l’étonnement…Admiratif. Il faut le citer
aussi dans son intégralité. Il donne un témoignage historique, puis
l’enseignement magistériel, enfin les arguments théologiques. Notre cardinal
fut vraiment, durant le Concile, au cœur du problème-me.
Et
tout d’abord, son témoignage personnel :
« A
ce stade, il convient de mentionner une disposition du Concile qui a été non
seulement mal comprise mais, plus encore, complètement répudiée : la
langue cultuelle. Je me permettrai ici, une fois encore, d’étayer mon argument
par un souvenir personnel. En qualité d’expert de
Lorsque,
plusieurs jours durant, la question de la langue du culte fut discutée dans
l’aula conciliaire, je suivis avec beaucoup d’attention tout ce débat, ainsi
d’ailleurs que la discussion, jusqu’au vote final, des différentes formulations
incluses dans
A
l’encontre de cela, je puis témoigner que les formulations de la constitution
conciliaire sur ce point, tant dans sa partie générale (Art 36) que dans les
dispositions particulières relatives au sacrifice de la messe (Art 54) ont été
approuvées quasiment à l’unanimité dans les discussions des Pères conciliaires
et surtout lors du vote final : 2152 oui et 4 non ».
Ensuite
l’enseignement magistériel sur le latin :
« Au cours des recherches que j’ai effectuées pour préparer le rapport
sur la tradition sur lequel devait s’appuyer ce décret conciliaire sur la
langue latine, j’ai constaté que toute
la tradition était absolument unanime sur ce point, jusqu’au pape Jean
XXIII : elle s’est toujours prononcé clairement contre toutes les tentatives antérieures visant à renverser cet
ordre des choses. Je pense ici en particulier à la décision du Concile de
Trente, sanctionnée d’un anathème contre Luther et le protestantisme, à Pie VI
contre l’évêque Ricci et le Synode de Pistoie, et à Pie XI qui, à propos de
la langue cultuelle de l’Eglise a
prononcé un clair « non vulgaris ».
Là
, le cardinal ne fait que citer mais ses
citations sont parfaitement fondées. Jugez en effet.
Le
Concile de Trente enseigne dans son
canon 9 dans sa 22 ème session : « Si quelqu’un dit…que la messe ne
doit n’être célébrée qu’en langue vernaculaire…qu’il soit anathème ». Et
dans son chapitre doctrinal, au chapitre
8 de la même session, on lit : « Bien que la messe contienne un riche
enseignement pour le peuple fidèle, il n’a cependant pas paru bon aux Pères
qu’elle soit célébrée indistinctement en langue vulgaire ». Toutefois,
ordre était donné aux pasteurs d’âmes de donner régulièrement des instructions
pour expliquer le sens des belles pièces du missel romain.
Quant
au pape Pie VI invoqué par le
cardinal, on peut, de fait, citer, entre autres, la proposition 66 :
« La proposition qui affirme qu’il est contraire à la pratique apostolique
et aux conseils de Dieu, de ne pas préparer au peuple des voies plus faciles
pour joindre sa voix à la voix de toute l’Eglise, si elle est entendue en ce
sens qu’il faut introduire l’usage de la langue vulgaire dans les prières
liturgiques, est fausse, téméraire, perturbe l’ordre présent pour la
célébration des mystères, produit facilement de nombreux maux ».
Voici
qui est bien dit. Voilà la vraie tradition catholique que Mgr Bugnini et son
personnel devaient défendre et respecter et qu’ils n’ont pas défendu ni
respecté.
Vraiment
le cardinal prouve bien son jugement : « l’Ordo Missae, celui issu du Concile Vatican II, est radicalement
nouveau », ne respectant pas la tradition catholique.
Il
donne, enfin, les raisons justifiant le nécessaire maintient du latin dans la
liturgie et
l’Eglise :
« Il
faut bien voir que la raison n’est pas uniquement d’ordre cultuel, même si cet
aspect est toujours mis en avant. C’est aussi une question de révérence, de
crainte respectueuse : comme le voile
recouvre les vases sacrés, le latin sert de protection contre la
profanation - à la manière de
l’iconostase des Eglises orientales derrière laquelle s’accomplit
l’anaphore - et aussi contre le danger de
vulgariser, en utilisant la langue vernaculaire, toute l’action liée au
mystère, ce qui se produit effectivement souvent de nos jours. Mais cela tient
aussi à la précision du latin, qui sert comme nulle autre langue la doctrine
dogmatiquement claire ; au danger d’obscurcir ou de fausser la vérité dans
les traductions, ce qui d’ailleurs pourrait aussi porter gravement préjudice à
l’élément pastoral, si important ; et aussi à l’unité qui est ainsi
manifestée et renforcée dans toute l’Eglise ».
« Toujours
du point de vue pastoral, l’abandon du latin comme langue liturgique, à
l’encontre de la volonté expresse du Concile, engendre une deuxième source
d’erreurs, plus grave encore : je veux parler de la fonction de langue
universelle qu’assume le latin qui unit toute l’Eglise, justement dans le culte
public, sans déprécier aucune langue vernaculaire vivante. Et précisément à
notre époque où le concept d’Eglise qu’on voit se développer met l’accent sur
l’ensemble du peuple de Dieu considéré comme Corps mystique, un, du Christ,
aspect d’ailleurs toujours souligné dans
la réforme, il se fait que, par
l’introduction de l’usage exclusif des langues vernaculaires, et même de
dialectes, l’unité de l’Eglise universelle est remplacée par une diversité
d’innombrables chapelles populaires, jusqu’au niveau des communautés
villageoises et églises paroissiales qui sont séparées les unes des autres par
une véritable différence de tension naturelle qui, entre elles, est et ne peut
qu’être insurmontable. D’un point de vue pastoral, comment alors un catholique
peut-il retrouver sa messe dans le monde entier, et comment peut-on abolir les
différences entre races et peuples dans
un culte commun, grâce à une langue liturgique sacrée commune, ainsi que
l’a expressément souhaité le Concile, alors qu’il y a tant d’occasions, dans un
monde devenu si petit, de prier ensemble ? Dans quelle mesure alors chaque
prêtre a-t-il la possibilité pastorale d’exercer le sacerdoce suprême de la
sainte messe n’importe où, surtout dans ce monde où les prêtres sont devenus si
rares ? ». .
Enfin le cardinal critique
« l’introduction d’un cycle liturgique de 3 ans. C’est là « un péché contre nature » dit le
cardinal. « Il ne fallait pas abolir le déroulement d’un cycle annuel »
(p.53). Toutes ces modifications, ces
changements « ont condamné les remarquables mélodies grégoriennes valables à une mort
lente ». Ce qu’il déplore : « Au mandat donné par le
Concile de préserver et promouvoir le chant liturgique romain typique, très
ancien, a répondu une épidémie pratiquement mortelle ».
(p.53) Comme il déplore la disparition de l’orgue : « remplacé
par une multitude d’instruments (qui) ont favorisé l’introduction dans la
musique religieuse d’éléments reconnus comme diaboliques ». (p.55)
Comme il déplore enfin les nombreuses
« variantes autorisées » -
vrai principe constitutif de la réforme liturgique - qui « risquent
de mener à l’anarchie qu’avait toujours si bien maîtrisé l’ancien ordo latin ».
(p. 56)
« C’est
ainsi que le nouveau garant de l’ordre -
le cardinal veut dire : « le Nouvel Ordo Missae - devient, de soi, facteur de
désordre ». « Aussi ne faut-il pas s’étonner que chaque
paroisse, pour ne pas dire chaque église, semble avoir adopté un ordo
différent. C’est là une constatation que l’on peut faire partout ».(p.
55) Et qui entraîne l’irrévérence
actuelle, la perte du sens du sacré et la superficialité. Tout cela étant
grandement dommageable à la dignité du nouveau rite….
Validité de la réforme
liturgique.
Quoi
qu’il en soit de toutes ces critiques, le cardinal ne va pas jusqu’à affirmer
l’invalidité du nouveau rite. Ce que nul d’entre nous n’a jamais affirmé.
« Pour
éviter tout malentendu à propos de cette présentation de la réforme…je voudrais
préciser expressément que je n’ai jamais mis en doute que ce soit
dogmatiquement ou juridiquement la validité de cet Ordo : sans doute, d’un
point de vue juridique, ai-je ressenti des doutes sérieux qui tiennent à ce que
j’ai intensivement étudié les canonistes médiévaux, lesquels sont unanimes à dire
que les papes peuvent tout changer, à l’exception de ce que prescrit
Et
ses doutes venaient - viennent-ils
encore, je ne sais, il n’en dit rien -
de ce que l’on « peut penser » que la liturgie relève du
« status ecclesiae ». Elle
serait alors, sous ce rapport, immuable dans sa substance, immuable par
essence. Mais le cardinal n’insiste pas. Il dit la chose. Il passe et en
profite même pour dire immédiatement après, sa position pratique.
sa position pratique
« Je
m’empresse de préciser que lorsque la nouvelle liturgie est célébrée avec
révérence -ce qui est toujours le cas,
par exemple, à Rome et par le Pape lui-même
- les abus regrettables qui relèvent essentiellement de la divergence
entre
Là,
j’étais étonné du jugement du cardinal. Je le suis encore en relisant. Il me
semble contradictoire à tout son exposé précédant.
Que
le nouvel « Ordo Missae » soit valide, nul ne le conteste. Mais que,
parce qu’il est célébré avec révérence,
cela fasse tomber tous les abus regrettables et qu’ils n’aient même plus
lieu…Là je ne comprends plus.
La
langue vernaculaire reste la langue vernaculaire qu’elle soit utilisée avec
révérence ou non.. .
L’offertoire
nouveau reste l’offertoire nouveau
- le cardinal l’a décrit comme
une vraie révolution dans l’Eglise -
qu’il soit dit avec révérence ou sans révérence.
La prédominance du repas sur le sacrifice
demeure, quelle que soit la révérence du
célébrant, fut-il le pape !
La
modification de la formule de la consécration du vin reste ce qu’elle
est : une véritable infidélité à toute
Et
pensez-vous que l’abolition du grégorien et du chant polyphonique, de l’orgue,
du silence, de la contemplation intérieure, pensez-vous vraiment que tout cela favorise et nourrisse la
« révérence » du peuple ?
Pensez-vous
que l’abolition des signes de croix, des baisers de l’autel, des
génuflexions - ce que le cardinal
déplore - puisse favoriser plus grande
révérence pour les mystères célébrés ?
Tout
cela, Eminence, me parait contradictoire et peut-être même pusillanimité.
Je
préfère la mâle autorité du cardinal Ottaviani demandant à Paul VI - après l’exposé fait dans le Bref Examen
critique - l’abrogation du « Nouvel
Ordo Missae » ou tout au moins « la possibilité de continuer à
recourir à l’intègre et fécond missel romain de saint Pie V ».
Je
trouve cela plus cohérent
Et
je constate - là encore – une diversité
pratique, corète du Magistère actuel dans l’application de la réforme, certains demandant purement et simplement son
abrogation, d’autres se contentant de demander - malgré les insuffisances doctrinales
graves - qu’il soit célébré…mais avec
« révérence ».
Malgré
l’immense joie que j’ai eue à lire la conférence du cardinal Stickler,
j’exprime, ici, ma déception profonde devant l’attitude pratique du cardinal.
Il nous démontre que cette réforme liturgique n’est pas fidèle à
Et
comme attitude pratique, il se contente de dire
- ici - que si elle est célébrée
avec « révérence », il n’y a plus de problème. Tout rentre dans
l’ordre !
Tout
cela me parait très léger…
Oh, comme je préfère le jugement
pratique - pastoral - d’un abbé Dulac qui se plaignait, lui aussi
de l’aspect « équivoque » de cette réforme. Il écrivait :
« Nous avons été les premiers à démontrer le défaut radical, inguérissable
du nouvel « Ordo Missae ». C’était le 25 juin 1969, quelques jours après
l’apparition, en France de « l’édition typique » de cette messe
réformée. Nous y sommes revenus bien des fois depuis cette date. Nos critiques
étaient assez graves pour que nous ayons pu, dès le début, y trouver le motif
d’un refus. Mais jamais, nous avons dit que la nouvelle messe était hérétique.
Hélas ! Elle est, pourrait-on dire, pis que cela : elle est
équivoque. Elle est flexible en des sens divers. Flexible à volonté.La volonté
individuelle qui devient ainsi la règle et la mesure des choix ».
Ne
serait-ce pas la « révérence « dont nous parle la cardinal
Stickler ?
L’hérésie
formelle et claire agit à la manière d’un coup de poignard.
L’équivoque agit à la manière d’un poison lent.
L’hérésie attaque un article précis du dogme.
L’équivoque,
en lésant l’ « habitus » lui-même de la foi, blesse ainsi tous
les dogmes.
On
ne devient formellement hérétique qu’en le voulant.
L’équivoque
peut ruiner la foi d’un homme à son insu.
L’hérésie
affirme ce que nie le dogme ou nie ce qu’il affirme.
L’équivoque
détruit la foi aussi radicalement en s’abstenant d’affirmer et de nier :
en faisant de la certitude révélée, une opinion libre.
L’hérésie
est ordinairement un jugement contradictoire à l’article de la foi.
L’équivoque
est dans l’ordre de ce que les logiciens appellent « le disparate ».
Elle est à côté de la foi. A côté même de la raison, de la logique.
Eh
bien, nous oserons le dire : il y a pire encore peut-être que l’équivoque.
Il y a le substitut de la foi théologale, sa contrefaçon, son ersatz, son succédané
sentimental.
Ce
que le cardinal Sticklet appelle -
peut-être - la
« révérence » dans la célébration du rite.
Et
le plus détestable de ces succédanés, c’est celui qui dissimulerait l’artifice
sous le vernis mystique, celui qui, dans le cas de la messe, masquerait
l’indigence théologique ou sa carence formelle sous le sucre d’un mystère
frelaté…
Ce
que notre cardinal appelle –peut-être – « révérence » ,
« piété » comme si l’émotion, l’ « expérience »,
« l’action » pouvaient suppléer aux omissions et aux équivoques de la
foi intellectuelle « La sagesse mystique goûtant dans l’amour cela même
que la foi atteint comme caché, nous fait juger et estimer de façon
merveilleuse ce que nous connaissons par
la foi mais ne nous découvre aucun objet de connaissance que la foi
n’atteindrait pas. Elle perfectionne la foi quant au mode de connaître non
quant à l’objet connu ».
C’est
Jacques Maritain qui écrivait ces excellentes choses en 1932. Le Maritain, non
point de l’ »Humanisme intégral », mais celui des « Degrés du
savoir ». (3 ème ed.,p.524)
Et
il ajoutait : « C’est une désastreuse illusion de chercher
l’expérience mystique - ce que le
cardinal appelle -peut-être - « révérence » - en dehors de la foi, d’imaginer une
expérience mystique affranchie de la foi théologale ».
Appliquez
ces principes au « Nouvel Ordo Missae », conclut notre bon abbé
Dulac, vous le condamnez d’une façon irrémédiable (Courrier de Rome, n° 47)
Là, cher M l’abbé Dulac, vous avez un jugement solide, pratique, fondé sur la meilleure
théologie.
Ici,
avec le cardinal Stickler et sa « révérence », vous avez un jugement
mou, équivoque, libéral qui conduit la chrétienté à la mort.
Vous
avez ainsi, aujourd’hui, un magistère non seulement divisé mais également
inconséquent. Objectivement
C’est bien le moment, à mon avis, de pénétrer plus profondément dans l’Eglise
au bénéfice, par exemple, de l’octroi d’une
« Administration Apostolique» comme le proposait, en son temps, Mgr
Lefebvre, en janvier 1988.
Alors
nous pourrions donner plus facilement qu’aujourd’hui, un peu de nerf à une restauration, ô combien
nécessaire, de la liturgie catholique. C’est ce que ne doit pas vouloir celui
qui est la « main cachée » de
C’est
pourquoi je ne suis pas absolument certain que les contacts entretenus par Mgr
Rangel avec Rome aboutissent à un accord même s’il est souhaitable, en raison
de leur intransigeance sur la messe…
Et
si par aventure et providentiellement,t, cet « accord » aboutissait,
il ne serait pas un accord mais bien une entrée, une poussée, un « cheval
de Troye » dans l’Eglise… C’est ce Que certains doivent examiner,
aujourd’hui, à Rome…
Le
cardinal conclut enfin son exposé en parlant des « réalités officielles
négatives, quoique dans une mesure limitée, à la réforme de la messe telle que
publiée » (p. 57)
Certains
ont pu reprocher « la hâte incompréhensible » dans laquelle cette
réforme a été « expédiée et rendue obligatoire ». Il cite le
témoignage du cardinal Döpfner, archevêque de Munich (p. 57)
Il
invoque l’autorité du cardinal Ratzinger et tout spécialement ses jugements
exprimés dans son dernier livre :
« Ma vie » (Fayard, 1998)
et « le Sel de
Il
invoque également l’épiscopat allemant et surtout « le responsable des
questions liturgiques auprès de
Il
invoque le cardinal Dannéels.
En Italie, il invoque l’auteur de la « Tunique
déchirée » (1967), Tito Casini.
Et aussi la réaction des laïcs d’ « Una Voce ». Des laïcs
canadiens. Il cite une revue canadienne « Preciuos Blood
Banner » : on y lit : « Il apparaît toujours plus clairement
que l’extrémisme des réformateurs post-conciliares a consisté, non pas à
réformer la liturgie catholique depuis ses racines mais à la déraciner de son
sol traditionnel ; selon cet article, ils n’ont pas restauré le rite
romain, ce que leur demandait le Concile Vativan II, ils l’ont déraciné ».
(p. 61)
Il invoque le témoignage de Max Thurian « ancien prieur calviniste de
Taizé, passé au catholicisme et ordonné prêtre » (p.61). Celui-là même
qui, au temps de la réforme, avait déclaré que les Protestants pourraient bien
célébrer
Il
invoque le témoignage de Mgr Gamber. Vous en connaissez beaucoup de lui.
Puis, il termine, évoquant l’attitude pratique du Pape en cette affaire
liturgique.
Il
y a une évolution de l’autorité indéniablement en faveur de l’ancienne messe.
Le cardinal pense le voir dans les textes récents du Pontife : la lettre
« Quattuor abhinc annos »
et le Motu Proprio « Ecclesia Dei
adflica ».
Chers
lecteurs, vous connaissez tous ces textes, nous les avons analysés de
différentes manières. Il y a une lueur
d’espoir de gagner. Le cardinal Stickler conclut, en effet : « Ce
texte (Ecclesia Dei Adflicta) adressé aux évêques, beaucoup plus libéral, nous
permet de penser avec une confiance justifiée que, dans ses efforts pour
rétablir l’unité de la paix, le pape ne reviendra pas sur ce qu’il a déjà fait
mais qu’au contraire, il ira plus loin encore dans la voie amorcée, en
particulier aux paragraphes 5 et 6 du Motu Proprio de 1988, pour instaurer une
juste réconciliation entre la tradition inaliénable et un développement
justifié par le temps ». (p.66)
A
toi, cher lecteur, de la constance, de la force, de la détermination.
Abbé
Paul Aulagnier