Le cardinal Stickler

et la réforme liturgique du Concile Vatican II

 

Le cardinal Stickler, enfin, s’exprime sur la réforme liturgique issue du Concile Vatican II et entre, à son tour, dans cette bataille gigantesque.

 

Son témoignage est tardif, certes.

Il a du poids, cependant.

 

Pensez !

En poste à Rome depuis 1937, le cardinal est canoniste reconnu. Il fut professeur d’université. Préfet de la Bibliothèque Vaticane et des archives secrètes du Vatican ; il a été membres des commissions préparatoires du Concile Vatican II, puis expert auprès des différentes commissions conciliaires, en particulier de la commission liturgique.

 

 On ne peut avoir meilleur témoin de la pensée conciliaire en matière liturgique.

 

Or, il se trouve que cet expert autrichien – c’est son origine – vient de parler…ou du moins que sa pensée vient d’être connue en France grâce à un beau travail de traduction réalisée par l’équipe du CIEL, le Centre International d’Etudes Liturgiques.

 

En effet, en mai 2000, le CIEL publie une petit livre blanc, intitulé : « Témoignage d’un expert au Concile ». Loïc Mérian m’en fait adresser un exemplaire. Je l’ai dévoré dès réception. J’y ai trouvé des merveilles, des  témoignages extraordinaires, des jugements fondés, tels que celui-ci que j’ai plusieurs fois cité :

 

« Pour résumer nos réflexions, nous pouvons dire que les bienfaits théologiques de la messe tridentine correspondent aux déficiences théologiques de la messe issue de Vatican II »

 

C’est la conclusion de la fameuse conférence qu’il donnait aux USA, à Fort Lee (New Jersey), le 20 mai 1995, à l’invitation de l’Association « Chrsiti Fideles », sur le thème : « les bienfaits de la messe  tridentine ». Vous trouverez ce jugement intéressant à la page 22  de ce petit fascicule.

 

 

Mon attention fut attirée par cette conclusion. J’en poursuivis la lecture  sur le champ.

 

J’étais encore à Gavrus, en Normandie, au Prieuré Saint Jean Eudes.

 

Je tombai, à la page 23, sur l’intégralité de l’interview du cardinal publiée, aux USA, dans « The Latin Mass », en été 1995.  Nous en avions eu connaissance – à cette même date – en France, grâce à un petit entrefilet du journal « La Nef ».

Mais, là, dans ce petit livret, je trouvais, à  la bonne heure,  l’ensemble du texte de linterview . Je m’en réjouissais.

C’est dans cette interview que nous apprenions que le pape Jean-Paul II avait nommé, en 1986, une commission de neuf cardinaux à laquelle il  posait deux questions :

 

La première : « le pape Paul VI a-t-il, véritablement, interdit l’ancienne messe » ?

 

La réponse fut négative, nous dit le cardinal Stickler : « La réponse donnée par huit (des neuf) cardinaux en 1986 fut que non, la messe de Saint Pie V n’a jamais été interdite. J’étais moi-même l’un des cardinaux. Un seul était contre (NDLR : c’était le cardinal Bennelli). Tous les autres étaient pour une libre autorisation, pour que tous puissent choisir l’ancienne messe. Je pense que le pape a accepté ». (p.27)

 

Il y avait une deuxième question posée par le pape à cette commission.  « Un évêque, quel qu’il soit, peut-il interdire à un prêtre, en règle avec les autorités, de célébrer, à nouveau, la messe tridentine ? » (p.28) « A l’unanimité, dit le Cardinal, les neuf cardinaux ont admis qu’aucun évêque ne pouvait interdire à un prêtre catholique de dire la messe tridentine. Il n’y a pas d’interdiction officielle et je pense que jamais le pape ne décrèterait un interdiction officielle ». (p. 28)

 

Vous imaginez !

Sous la plume d’un cardinal !

Je jubilais.

Nous étions, avec Monsieur l’abbé de la Motte, en plein combat avec Mgr Pican qui prétendait  nous interdire de célébrer la messe tridentine dans la Basilique de Lisieux.

De quel droit ?

 

Oui ! De quel droit ? J’avais en main un argument de poids…Le jugement d’un cardinal Stickler….accepté par le pape.

 

Je poursuivais la lecture toujours avec la même joie de la découverte et remerciais, dans mon cœur, Loïc Mérian d’avoir su prendre le temps de traduire en français la pensée du cardinal.

 

Un peu comme hier, je remerciais, dans mon cœur aussi, Dom Gérard d’avoir fait traduire, pour nous, les «  francillions », comme aiment à le dire les Belges, la pensée liturgique de Mgr Gamber, dans son fameux livre intitulé : « La réforme liturgique en question », recueil de conférences prononcées jadis par l’auteur sur la réforme liturgique  mais restées ignorées du grand public français.

 

Je poursuivais donc la lecture, toujours passionné. J’arrivais ainsi à la page 31.

 

Là, Loïc Mérian nous transcrit, de l’allemand en français, une conférence du cardinal qu’il intitule : « Souvenirs et expériences d’un  expert de la Commission conciliaire sur la liturgie ».

 

Le texte de la  conférence est assez long. Il va de la page 31 à 66 du livret qui n’en fait que 99. On apprend que cette conférence fut donnée en 1997 à l’ « Internationalen Théologischen Sommerakademie 1997 des Linzer Priesterkreises ». Elle fut publiée, d’abord en allemand par Franz Breid  -Die heilige liturgie  - Ennsthaler.

 

Malgré la longueur du texte, je le dévorais rapidement.

 

Ah ! Mes amis ! Quel « brûlot » ! Il faut faire connaître cela, me disais-je. Je lisais. Relisais. Prenais des notes.

 

Le cardinal Stickler se présente.

 

Bigre ! Ce n’est pas le dernier personnage de l’Eglise, pensais-je ! Lisez vous-même :  «  J’ai été professeur de droit canonique et d’histoire du droit ecclésiastique à l’Université salésienne, fondée en 1940, puis pendant 8 ans, de 1958 à 1966, recteur de Université. En cette qualité, j’ai bientôt été nommé « consulteur » de la Congrégation  Romaine pour les Séminaires et  Universités, puis, depuis les travaux anté préparatoires jusqu’à la mise en œuvre des décisions du Concile, membre de la Commission dirigée par ce dicastère romain. En outre, j’ai été nommé expert (peritus) de la Commission pour le clergé, et plus spécifiquement pour les  problèmes relatifs aux droits patrimoniaux : il s’agissait surtout de débarrasser le Droit Canon du systèmes des bénéfices.

 

« Peu avant le Concile, le cardinal Larraona, dont j’avais été l’élève pendant mes études de droit canon et de droit ecclésiastique au Latran et qui avait été nommé président de la Commission conciliaire pour la liturgie, me fit venir chez lui et m’annonça qu’il m’avait proposé comme expert de cette Commission. Je lui objectai que j’avais déjà beaucoup à faire en tant qu’expert de deux autres commissions, surtout celle des « séminaires et universités ». Pourtant il maintint sa proposition en faisant remarquer que, considérant l’importance canonique des prescriptions relatives à la liturgie, il fallait également inclure des canonistes dans cette commission. C’est par cette fonction non recherchée que j’ai ensuite vécu le Concile Vatican II depuis ses tout débuts puisque, comme on le sait, la liturgie fut le premier sujet inscrit à l’ordre du jour. Je fus ensuite affecté à la sous-commission qui devait rédiger les modifications apportées aux trois premiers chapitres et aussi préparer l’ultime formulation des textes qui devaient être soumis, pour discussion et approbation à la Commission réunie en plénière avant d’être présentés dans l’aula conciliaire. Cette sous-commission se composait de trois évêques : Mgr  Callewaert, archevêque de Gand, qui en était le président, Mgr Enciso Viana, de Majorque et si je ne me trompe, Mgr Pichler de Banjaluka(Yougoslavie) ainsi que de trois experts : Mgr Martimort, le Père Martinez de Antoniana, clarétin espagnol, et moi-même. Vous comprendrez aisément que, dans le cadre de ces travaux, on pouvait se faire une idée exacte de ce que souhaitaient les Pères conciliaires, ainsi que du sens réel des textes votés et adoptés par le Concile ».

 

Son Jugement personnel sur la réforme liturgique

 

 

Puis il donne un témoignage personnel, fort intéressant, sur la réforme liturgique : son jugement sur « l’édition définitive » du « Nouveau Missel Romain » :

 

« Mais vous pourrez également comprendre ma stupéfaction lorsque, prenant connaissance de l’édition définitive du Nouveau Missel Romain, je fus bien obligé de constater que, sur bien des points, son contenu ne correspondait pas aux textes conciliaires qui m’étaient si familiers, que beaucoup de choses avaient été changées ou élargies, ou allaient même directement au rebours des instructions donnés par le Concile »

 

N’y tenant plus,  - il doit avoir du caractère,  - il demande une audience au cardinal Gut, alors préfet de la Congrégation des Rites : « Comme j’avais précisément vécu tout le déroulement du Concile, les discussions souvent très vives et longues et toute l’évolution des  modifications jusqu’aux votes répétés qui eurent lieu jusqu’à leur adoption définitive, et que je  connaissais aussi très bien les textes contenant les prescriptions détaillées pour la réalisation de la réforme souhaitée, vous pouvez imaginer mon étonnement, mon malaise croissant et même  ma fureur devant certaines contradictions particulières, surtout considérant les conséquences nécessairement graves que l’on pouvait en attendre. C’est ainsi que je décidai d’aller voir le cardinal Gut qui,  le 8 mai 1968, était devenu préfet de la Congrégation des rites en remplacement du cardinal Larraona, qui s’était retiré le 9 janvier  précédent.

Je lui demandais une audience dans son logement au monastère bénédictin de l’Aventin, audience qu’il m’accorda le 19 novembre 1969. Je ferai remarquer en passant que, dans ses Mémoires parus en 1983, Mgr Bugnini fait erreur sur la date de la mort de Mgr Gut, l’avançant d’un an : Mgr est mort le 8 décembre 1970 et non 1969.

Mgr Gut me reçut très aimablement, bien qu’il fût déjà visiblement malade et, comme l’on dit, j’ai pu déverser tout ce que j’avais sur le cœur. Il me laissa parler une demi-heure sans m’interrompre, puis il me dit qu’il partageait entièrement mes  inquiétudes. Mais, ajouta-t-il, la faute n’en incombait pas à la Congrégation des Rites : en effet, toute la réforme était l’œuvre du Concilium constitué expressément à cette fin par le pape, dont il avait nommé le cardinal Lercaro, Président et le P. Bugnini, Secrétaire. Dans  ses travaux, ce Conseil n’avait eu de compte à rendre qu’au pape ».

 

Jugement du Cardinal sur Mgr Bugnini.

 

Au passage, il donne son jugement sur Mgr Bugnini. Il faut le lire. Ce n’est pas sans intérêt.

 

« A ce sujet, une précision s’impose : le P. Bugnini avait été Secrétaire de la  Commission sur la liturgie pendant la période préparatoire du Concile. Comme son travail, effectué sous la direction du cardinal Gaetano Cicognani, n’avait pas été jugé satisfaisant, il fut le seul à ne pas être promu Secrétaire de la Commission conciliaire correspondante ; cette fonction fut attribuée au Père Antonelli, OFM, ultérieurement nommé cardinal. Le groupe des liturgistes d’inspiration plutôt moderniste, fit valoir à Paul VI qu’il s’agissait là d’une injustice faite au P. Bugnini et obtint du nouveau pape, qui était très sensible à ce genre de choses, que, en compensation de cette injustice, le P. Bugnini fût nommé Secrétaire du nouveau « Concilium » chargé d’opérer la réforme.

Ces deux nominations, celle du cardinal  Lercaro et celle du P. Bugnini, aux postes clefs du « Concilium » offrirent la possibilité de se faire entendre, pour l’exécution de la réforme, à des gens qui jugeaient ne l’avoir pas suffisamment été pendant le Concile, et aussi d’en faire taire d’autres : en effet, les travaux du « Concilium » se déroulaient dans des zones de travail non accessibles aux non membres.
Et pourtant : bien qu’ils se soient consacrés corps et âme aux travaux énormes et délicats réalisés par le « Concilium », notamment sur le cœur même de la réforme, à savoir le nouvel « Ordo Missale Romanum » qui fut réalisé dans les délais les plus brefs, seul l’avenir nous expliquera pourquoi les deux principaux acteurs sont visiblement tombés en disgrâce : le cardinal dût renoncer à son siège épiscopal, et le P. Bugnini, nommé archevêque des 1968 et nouveau Secrétaire de la Congrégation des Rites, ne reçut pas la pourpre cardinalice qui accompagne une telle fonction ; il avait été nommé nonce à Téhéran lorsque, suite à une opération, la mort vint interrompre son activité terrestre, le 3 juillet 1982 ».

 

 

Thème de la Conférence.

 

 

Ce préambule étant fait,  un peu long mais loin d’être inutile pour l’histoire de la réforme liturgique, le Cardinal donne le thème de sa   conférence. Il veut juger « de la concordance ou de la contradiction entre les dispositions conciliaires et la réforme effectivement appliquée ». (p. 35)

 

Le thème me plaisait. J’avançais  dans la lecture. Je laissais le téléphone de côté. Je me concentrais sur mon sujet

Jusqu’ici, pour beaucoup, les critiques adressées contre la réforme liturgique émanaient, la plus part du temps de nos milieux.

 

On connaissait le « Bref Examen Critique ».
On connaissait les nombreux articles de Monsieur l’abbé Dulac publiés dans « le Courrier e Rome, dans la belle collection d’ « Itinéraires ».
On connaissait les critiques du RP Clamel.

On connaissait les toujours judicieuses remarques de Jean Madiran, de Luce Quenette, de Dom Guillou, de Henri Charlier, les conférences de Mgr Lefebvre.

On lisait tout cela dans nos milieux. On les relisait, les ressassait. On écoutait les cassettes. On étudiait certes…

 

Mai, à force, n’arrivait-on pas à un « ronronnement »…Et tout ronronnement endort à force de se répéter. Et Loïc Mérian, lui-même, ne se gênait pas pour nous le dire. Il l’écrivait même dans son petit papier de la Nef…Il trouvait même qu’on n’avait rien publié de déterminant en cette affaire…Il se fit « fesser » par Jean Madiran, le remettant gentiment à sa place (cf. DICI n°IO).  Des maîtres, des  grands  avaient parlé en matière liturgique dans nos milieux. Il semblait l’ignorer…

 

Bref, j’étais content de trouver d’autres critiques… Enfin une « critique » qui ne venait pas de « chez nous ». Une critique du « sérail ».

 

Je dévorais et me promettais de faire connaître au plus tôt ce texte. L’heure est arrivée …Enfin !

 

Des Principes liturgiques

 

 

Tout au début, le cardinal nous rappelle quelques grands principes liturgiques heureusement soulignés par la Constitution « Sacrosanctum Concilium ».

 

Il nous rappelle l’article 2 qui affirme que dans la liturgie « tout ce qui est humain doit être subordonné et soumis au divin, le visible à l’invisible, l’action à la contemplation, le présent à la cité divine future que nous recherchons ». C’est à la page 35 du livret.

Qui ne serait d’accord avec ce principe…Fut-il conciliaire !

 

 

 

Et pourtant les réformateurs ont échoué en cette affaire.

 

 

Un constat d’échec

 

Il écrit vers la fin : «  Ma conférence, mes souvenirs et expériences, je  pense, ont permis d’évaluer dans quel mesure la réforme avait satisfait aux exigences d’ordre théologique et ecclésiastique énoncées par le Concile ? En d’autres termes, de voir si, dans la liturgie, et surtout dans ce qui en constitue le centre : la Sainte Messe, ce qui est humain a véritablement été ordonné et soumis au divin, ce qui est visible à l’invisible, ce qui relève de l’action à la contemplation et ce qui est présent  à la cité future que nous recherchons. Et l’on en arrive à se demander si, au contraire, la nouvelle liturgie n’a pas souvent ordonné et soumis le divin à l’humain, le mystère invisible au visible, la contemplation à l’activisme, l’éternité future au présent humain quotidien ». (p. 64)

 

Le cardinal fait tout simplement un constat d’échec total.
De sorte que, lui aussi, avec le Cardinal Ratzinger, forme des vœux pour lancer la réforme de la réforme. La première aurait donc échoué ?

 

« C’est précisément parce que l’on se rend toujours plus clairement compte de la situation actuelle (NDLR i.e. de la déconfiture de la réforme liturgique et son infidélité à la pensée conciliaire…mais à qui la faute…) que se renforce l’espoir d’une éventuelle restauration que le cardinal Ratzinger voit dans un nouveau mouvement liturgique qui éveillera à une vie nouvelle le véritable héritage du Concile Vatican II ». Et de citer le livre du Cardinal « Ma Vie » (p. 135). Mais c’est peut-être Loïc qui a rajouté cette citation… !

 

Intéressant ! Intéressant ! Me disais-je. Enfin un cardinal de l’Eglise romaine qui parle et enseigne clairement.

 

Je poursuivais ma lecture. Je le fais, aujourd’hui, pour vous.

 

 

Le cardinal survole et résume encore quelques autres principes  fondamentaux du Concile. Des rappels tout à fait évidents et traditionnels.

L’article 21, l’article 23 qui affirment qu’il ne faut rien changer, en matière liturgique, « avant que ne soit élaborée une soigneuse étude théologique, historique, pastorale, en s’assurant d’un développement organique harmonieux ».

 

Qui ne serait d’accord !

L’article 33 qui rappelle la finalité de la liturgie. « La liturgie est principalement le culte de la majesté de Dieu ». A la bonne heure !

 

L’article 34, l’article 54 sur la langue latine.

 

Là, le cardinal donne son témoignage. C’est fort instructif !

 

« Au bout de quelques jours de débat au cours duquel tous les arguments pour et contre furent vivement discutés, on en est arrivé à la conclusion bien claire  - tout à fait en accord avec le Concile de Trente – qu’il fallait conserver le latin comme langue cultuelle du rite latin mais que des « exceptions étaient possibles et même souhaitables » (p. 38-39)

 

Sur le chant grégorien, sur les orgues, le cardinal rappelle l’article 116 de la Constitution : « Le grégorien est le chant propre de la liturgie catholique romaine depuis l’époque de Grégoire le Grand et qu’en tant que tel, il doit être conservé ». (p.39)

qui souligne spécialement l’importance des f^tes du Seigneur et sutout celles du propre

 

Il rappelle aussi l’article 108 qui souligne spécialement l’importance  des fêtes du Seigneur et surtout celles du propre du temps, lequel doit avoir la priorité sur les fêtes des saints pour ne pas  affaiblir la plaine efficacité de la célébration des mystères du salut.(p. 39)

 

Mais c’est l’enseignement qu’à Ecône, Dom Guillou, professeur de liturgie, dispensait aux séminaristes avec énergie et conviction .J’en fus marqué, personnellement, pour toujours.

 

Ces principes liturgiques  - et d’autres encore  - rappelés, le cardinal passe à la critique de la réforme liturgique – l’œuvre conciliaire par excellence. C’est la deuxième partie de la conférence du cardinal.

 

 

 

Critique de la réforme liturgique

 

 

Sans vouloir être exhaustif en cette affaire, le cardinal aborde cette critique avec énergie et fraîcheur.

Sous sa plume, je retrouvais l’enseignement de mes maîtres. J’étais heureux.

 

J’avais appris chez Dom Guillou, cher M l’abbé  Dulac que la liturgie devait exprimer la foi catholique. Que de fois, en effet, avais-je entendu de leur bouche, ainsi que de celle de Mgr Lefebvre, cet axiome : « legem credendi, lex statuit supplicandi » ou plu simplement : « lex orandi, lex credendi ».

 

Je retrouvais dans les pages que je lisais même doctrine, la doctrine de toujours. Le cardinal écrivait : « La liturgie contient et exprime la foi de façon juste et compréhensible » (p. 40). De sorte que « la pérennité de la liturgie participe de la pérennité de la foi, elle contribue même à la préserver ».  Et comme la foi est immuable, la liturgie qui l’exprime l’est aussi. « C’est pourquoi il n’y a jamais eu de rupture, de re-création radicale dans aucun des rites catholiques, y compris dans le rite romain latin » (p.40-41). L’évolution liturgique  - dès lors  - est lente et nécessairement organique.

 

Je me régalais en lisant ces rappels. « Dans tous les rites, la liturgie est quelque chose qui s’est développée et continue de croître lentement ; partie du Christ et reprise par les Apôtres, elle a été organiquement développée par leurs successeurs, en particulier, par les figures les  plus marquantes tels les Pères de l’Eglise, tout cela en préservant consciencieusement la substance, i.e. le corpus de la liturgie en tant que tel ».

 

Mais Dom Guillou nous enseignait la même chose !

 

Il écrivait en 1975, en la fête de la Pentecôte, dans un texte merveilleux qui constitue la préface du livre : « le Livre de la Messe », éditée par Philippe Héduy, ce poète : « La messe est d’institution divine et apostolique. Mais elle ne nous est  pas parvenue telle que les Apôtres  l’ont célébrée (bien qu’elle n’ait jamais été une pure imitation de la Cène…), elle est maintenant la fleur d’une croissance « sui generis ». Ses éléments constitutifs se sont développés sans évolution, ni changement (substantiel) au cours des siècles…sous la conduite de l’Esprit-Saint dont l’assistance a été  promise à l’Eglise » (p. 17-18).

 

L’Esprit Saint est Un et Véridique. Ce qu’il inspire ne peut être qu’un et véridique, le même à travers le temps.

 

J’aime cette expression du cardinal. C’est clair. C’est net : « C’est pourquoi, il n’y a jamais eu de rupture, de re-création radicale…dans le rite latin romain ».

 

 

J’applaudis..

 

 

Il poursuivait : « Il n’y a jamais eu de rupture dans le rite romain latin à l’exception, de la liturgie post-conciliare actuelle, en application de la réforme…bien que le Concile…ait toujours réaffirmé que cette reforme devait préserver absolument la tradition ». (p. 49-41)

 

Jamais de rupture…à l’exception de la liturgie post-conciliare actuelle, écrit-il !  Mais c’est l’enseignement aussi du cardinal Ottaviani, me disais-je. Je me régalais.

Je courais prendre la lettre du cardinal Ottaviani à Paul VI et lisais :

« Le Nouvel Ordo Missae, si l’on considère les éléments nouveaux, susceptibles d’appréciation  fort diverses qui y paraissent sous-tendues ou impliquées, s’éloigne de façon impressionnante dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle  qu’elle a été formulée à la 22 ème Session du Concile de Trente ».

 

C’est donc bien à une « rupture » que l’on assiste avec le Nouvel Ordo Missae. Cet éloignement est une véritable rupture avec la Tradition. Du reste le cardinal Ottaviani  utilise lui-même le mot : « Les raisons pastorales, dit-il, avancées pour justifier une si grave rupture… »

Le cardinal Stickler a la même analyse. Avec le Nouvel Ordo Missae, on assiste à une véritable rupture  avec la Tradition, « à une véritable et radicale nouveauté ». Il l’affirme tout de go : « L’Ordo Missae  (est) radicalement nouveau ».

 

Et ceci est une véritable nouveauté, la nouveauté par excellence… « Alors que toutes les réformes antérieures adoptées par les papes et tout particulièrement celles entreprises sous l’impulsion du Concile de Trente et mises en œuvre par le Pape Pie V et jusqu’à celles de PIe X, de Pie XII, et de Jean XXIII, ne furent pas des révolutions mais uniquement des corrections  qui ne touchaient pas l’essentiel, des ajustements et des enrichissements ». (p. 41)

 

C’est ce que demandait, du reste, le Concile en son article 23 : « Le Concile a expressément dit, à propos de la restauration souhaitée par les Pères qu’aucune innovation ne devait être faite qui ne fut vraiment et certainement exigée  par l’utilité de l’Eglise ».

 

Non ! L’ordo Missae est radicalement nouveau !

 

Je me souvenais de notre savant abbé Dulac qui, dans l’analyse qu’il faisait de la Bulle « Quo Primum Tempore » ne cessait de rappeler les termes de la Bulle : « Restaurata, restaurata ».

 

Non ! Nous n’avons rien de tel avec Paul VI. Nous avons un « Novus Ordo Missae.

 

Rien de comparable..

 

J’étais, vous dis-je, aux anges en lisant tout cela….Mais je me souvenais aussi des affirmations du cardinal Medina et du cardinal Castrillon Hoyos…et même aujourd’hui, du cardinal Ratzinger  -il va , il vient, il est déroutant  - qui parlent, eux, de continuité dans le rite romain d’un Ordo à l’autre. Le cardinal Castrillon Hoyos, en particulier, ne disait-il pas qu’il ne fallait pas « contraposer les deux rites. Ils seraient substantiellement identiques… »

 

Le pape lui-même alors qu’il recevait les communautés relevant du Motu Proprio « Ecclesia  Dei », le 26 octobre 1998, venues à Rome en action de grâces, leur tenait même langage : « Les derniers Conciles œcuméniques, Trente,Vatican I, Vatican II, se sont particulièrement attachés à éclairer le mystère de la Foi et ont entrepris des réformes nécessaires pour le bien de l’Eglise, dans le souci de la continuité avec la Tradition apostolique déjà recueillie par saint Hippolyte ». (La Nef, n° 89 déc. 1998)

 

Que les choses sont bizarres !

 

Même au plus haut niveau du gouvernement ecclésial…les jugements des autorités divergent fondamentalement sur le même sujet : la réforme liturgique.

 

Pour les uns, nous aurions « une nouveauté radicales ».

Pour les autres, « une continuité parfaite ».

Le Magistère est vraiment divisé. C’est un des éléments de la crise de l’Eglise. Qui croire ?

 

 

Les nouveautés de la réforme liturgique.

 

Mais poursuivons la pensée de notre cardinal autrichien.

 

Il nous dit : « Nous allons maintenant présenter quelques exemples marquants (sans vouloir être exhaustif) de ce qui a été créé dans la réforme post-conciliaire et en particulier dans son cœur : l’Ordo Missae est radicalement nouveau ». (p. 41).

 

Alors le cardinal passe en revue le Nouvel Ordo.

Il feuillette le Nouvel Ordo.

 Il n’insiste pas sur l’introduction de la messe. Elle est « nouvelle », dit-il page 42 et surtout comporte de « multiples variantes » (id) ce qui souvent aboutit à une diversité presque illimitée.

 

Mais il en vient tout de suite à l’Offertoire.

 

Là, il parle à ce sujet de «  révolution ».

« L’Offertoire, dans sa forme et sur le fond, constitue une révolution : il n’est, en effet, plus prévu d’offrande préalable des dons mais simplement d’une préparation des oblats avec une teneur nettement humaniste mais qui, en fin de compte, donne tout de suite, une impression de dépassé » (p. 42) Il parle même de « symbolisme « malheureux »…

 

Il poursuit : «  Quand aux signes hautement loués par le Concile de Trente et exigés par le Concile de Vatican II tels que les nombreux signes de croix qui renvoient à la Très Sainte Trinité, les baisers de l’autel et les génuflexions, de tout cela, on a fait table rase ». (p. 42)

 

Il parle ensuite du sacrifice qui est l’essence de la Messe.

 

Il écrit : « Le centre essentiel de la messe qui était précisément l’action sacrificielle elle-même, a été déplacé au profit de la communion (….) le sacrifice de la messe a été transformé en un repas eucharistique. Ce faisant, si l’on considère les termes utilisés, la communion est devenue, dans la conscience des fidèles, la seule partie de la messe ayant  un effet intégrateur en lieu et place de la partie essentielle qui est l’action sacrificielle de la Transsubstantiation »… « Il est faux de faire de l’Eucharistie un repas, ce qui se produit presque toujours dans la nouvelle liturgie » (p. 43)

 

On aurait envie de dire au Cardinal : « Alors quoi ! Cette Nouvelle Messe est-elle un sacrifice ou un repas ? L’un est-il l’autre ? Oui !  Y a-t-il une différence essentielle entre l’un et l’autre ? Le sacrifice n’est pas un repas, ni un repas, un sacrifice. Mais le cardinal Castrillon Hoyos vous dit qu’il ne faut « contraposer » les deux rites…

 

J’allais d’étonnement en étonnement, d’émerveillement en émerveillement.

Je me souvenais du « Bref Examen Critique », de la critique du fameux article 7 qui, dans cette affaire liturgique est capital.

 

Je le relisais: « La définition de la messe est réduite à celle de la Cène et cela apparaît continuellement (aux n° 8-48-55-56). Cette Cène est, en outre, caractérisée comme étant celle d e l’assemblée présidée par le prêtre, celle de l’assemblée réunie afin de réaliser « le mémorial du Seigneur » qui rappelle ce qu’il fit le Jeudi Saint ».

« Tout cela n’implique ni la présence réelle ni la réalité du sacrifice, ni le caractère sacramentel du prêtre qui consacre, ni la valeur intrinsèque du sacrifice eucharistique                 indépendamment de la présence de l’assemblée ».

« En un mot, cette nouvelle définition ne contient aucune des données dogmatiques qui sont essentielles à la Messe et qui en constituent la véritable définition. L’omission,, en un tel endroit, de ces données dogmatiques, ne peut qu’être volontaire. Une telle omission volontaire signifie leur dépassement et au moins, en pratique, leur négation ». (Bref Examen Critique)

 

J’avais encore en mémoire toutes ces phrases quand j’arrivais au § 2 de la page 43 du texte du cardinal Stickler, je tombais sur ces paroles fulgurantes : « Ainsi, sont posés les fondements d’un autre détournement de fonction : à la place du sacrifice présentée à Dieu par le prêtre ordonné en tant qu’ « alter Christus », s’instaure la communauté de repas des fidèles assemblés sous la présidence du prêtre ».(p. 43)

 

Mais attention ! Le cardinal poursuit :

« La définition de la Messe qui, dans la première édition du N.O.M. confirmait cette conception,  put être supprimée, au dernier moment, grâce à la lettre écrite à Paul VI par les cardinaux Ottaviani et Bacci : cette édition fut mise au pilon sur ordre du pape. Pourtant, la concession de cette définition n’a entraîné aucune modification de l’ Ordo Missae en lui-même ». (p. 43)

 

J’étais estomaqué !

 

Avouez ! Sous la plume d’un cardinal… C’était cinglant, court, bref. Les mots choisis particulièrement exemplaires.

On comprend que le cardinal Stickler puisse, lui aussi, parler « de bouleversement du cœur même du sacrifice de la messe ».

 

Il insiste. Il veut enfoncer le clou.

 

« Ce bouleversement du cœur même du sacrifice de la messe fut confirmé et accentué par la célébration « versus populum », pratique autrefois interdite et renversement de toute la tradition de la célébration vers l’Orient et dans laquelle le prêtre n’était pas l’interlocuteur du peuple mais se tenait à sa tête pour le guider vers le Christ avec le symbole du soleil levant à l’est ». (p. 43)

 

Je n’en croyais pas mes yeux.

Je retrouvais tout l’enseignement d’Ecône, celui que nous avait donné Dom Guillou dans des pages célèbres et qui ne sont pas assez connues même dans nos  milieux.

 

En voici un  exemple de toute beauté : « Toute l’histoire de l’Eglise elle-même, est une montée de lumière dans l’accroissement du nombre des élus et dans l’épanouissement du développement de ses dogmes et de son mystère propre, jusqu’à son achèvement dans les éblouissantes splendeurs de la Jérusalem éternelle où l’introduira, toute blanche, lavée dans le sang de l’Agneau, l’Epoux divin, revenu en gloire pour établir son règne définitif, apparaissant sur les nuées du Ciel comme un éclair qui part de l’Orient « sicut fulgur exit ab Oriente… ».

 

« Faut-il redire ici, après ce bref aperçu, le dommage causé à l’esprit et à la manière liturgique par l’abandon de la règle de l’orientation des églises et de la messe et de la prière orientée, règle qui se relie à un immense contexte éminemment humain, biblique et chrétien. Les Anciens voulaient que le sanctuaire de leurs églises soit comme un Orient spirituel que la lumière matinale inonde à cette première heure de l’Office de Laudes qui se termine, chaque jour, par le chant du « Benedictus » de Zacharie célébrant l’Orient « ex alto », illuminant ceux qui sont assis à l’ombre de la mort…Comme elle est significative ensuite, dans la joyeuse clarté de l’aurore cette prière du prêtre au bas des degrés lorsqu’il s’apprête à montée dans la nuée lumineuse de l’autel : « Emitte lucem tuam et veritatem tuam : ipsa me deduxerunt et adduxerunt in montem anctum tuum…et introibo ad altare Dei, ad Deum qui laetificat juventutem meam » (Ps 42).  Sera-t-il dit que tout ce poème des choses, que toutes ces correspondances merveilleuses échapperont à la myopie reforma triste ? Pourtant même au stricte point de vue pastoral, quelle plus belle illustration de cette vérité : notre vie toute entière est comme une messe qui nous conduit à l’union au Christ, à la céleste illumination où tout sera renouvelé dans une jeunesse éternelle, par les mérites de la Passion et de la Résurrection du Sauveur » (Lumen Christi, Nouvelles de Chrétienté, numéro spécial de Pâques 1952). Oh ! Merveille de culture !

 

Puis le cardinal en arrive à la formule de la consécration du pain et du vin.

 

 

Une nouvelle formule de la consécration du vin.

 

Là, sur ce sujet, il est également très sévère. Jugez vous-même !

 

Il parle de la très grave atteinte à la formule de consécration du vin en le sang du Christ en raison de la suppression des mots « Mysterium Fidei ».

 

« Les mots « Mysterium fidei » en ont été supprimés pour être ajoutés à l’appel du peuple à la prière, après la consécration, ce qui fut présenté comme un gain majeur du point de vue de la « participation actuosa » ».(p. 44)

 

Là, le cardinal part en guerre. Il se « déchaîne ». C’est le cardinal, recteur d’Université, archiviste, qui parle. Il enseigne. Il cite ses sources. Il démontre que « Mysterium fidei », ces deux mots, sont d’origine apostolique. Il  ne fallait pas y toucher.

Saint Basile l’enseigne. Saint Augustin aussi. Le « Sacramentum Gelasianum » également. Le  cardinal écrit : « Le  Sacramentum Gelesianum » qui est le livre de messe le plus ancien de l’Eglise romaine, dans le Codex Vaticanus, Reg Lat 316, in ,folio 181v, dans le texte original (il ne s’agit donc pas d’une addition postérieure) inclut clairement le « mysterium fidei » .(p. 45)

 

Il poursuit. On sent le cardinal en colère, sainte colère…

 

Il cite la lettre de Jean de Lyon, en 1202, au Pape Innocent III et donne la réponse du Pape, avec les références. C’est argumenté : « En décembre de la même année, dans une longue lettre, le Pape répondait que ces paroles et d’autres encore du Canon que l’on ne trouvait pas dans les Evangiles, devaient être crues en tant que paroles transmises  par le Christ aux Apôtre et par ceux-ci à leurs successeurs ».(p.45)

 

Il donne les références historiques.C’est le professeur qui enseigne. Son affirmation est incontournable. Elle est scientifique. Vous la trouverez là,  dit-il : « X,III,41,6 ; Friedberg III,p. 636,sq. »

 

C’est clair.

 

Il continue : « Le fait que cette décrétale qui fait partie du recueil des décrétales d’Innocent III dans le grand recueil du liber X, établi par Raymond de Pegnafort à la demande de Grégoire IX, n’ait pas été abandonnée comme dépassée, ce qui fut le cas de bien d’autres, mais ait continué à être transmise par la Tradition, prouve qu’une valeur durable était attribuée à cette déclaration de ce grand pape ». (p. 45)

 

Nul doute que l’on ne pouvait toucher à ces deux mots dans la forme de la consécration du vin, ni les supprimer, ni les déplacer en  en changeant le sens. On ne le pouvait pas sans être infidèle à la Tradition Catholique et, de toute évidence, en rupture avec elle.

 

C’est la pensée du cardinal.

 

Il invoque aussi l’autorité de saint Thomas d’Aquin

 

Vraiment le cardinal veut enfoncer le clou…, veut régler l’affaire définitivement. Il veut prouver, vraiment, que cette réforme liturgique est en rupture non seulement avec les prescriptions demandées par le Concile  Vatican II, mais même avec la Tradition toute entière que le Concile ne faisait, ici, que rappeler.

Il écrit : « Saint Thomas s’exprime clairement sur cette question dans sa « Somme théologique » (III, 78, 3 ad nonum) : à propos des paroles de consécration du vin, rappelant la nécessaire discipline secrète de l’Eglise ancienne dont parle aussi Denis l’Aréopagyte, il écrit : « les paroles ajoutées « éternelle » et « mystère de foi » viennent de la tradition du Seigneur qui est parvenue à l’Eglise par l’intermédiaire des Apôtres » ; il renvoie lui-même à 1 Cor 10,23 et à 1 Tim 3,4. En note de ce texte de saint Thomas, le commentateur se référant à D Gousset dans l’édition Marietti de 1939 (V.p. 155), ajoute « sarrebbe un grandissimo errore sustituire un’altra forma eucharistea a quella del Missale Romano…Si sopprimere ad esempio la parola « aetreni et quella « mysterium fidei » che abbiamo della tradizione » (p.46)

 

Puis il invoque l’autorité du Concile de Florence, le XVII ème Concile œcuménique : « Dans la bulle d’union avec les Coptes, le Concile œcuménique de Florence complète expressément les formules de consécration de la Sainte Messe qui n’avaient pas été incluses en tant que telles dans  la Bulle d’union avec les Arméniens et que l’Eglise romaine avait toujours utilisées sur la base de l’enseignement et de la doctrine des Apôtres Pierre et Paul (conc.oecu. decreta, ed Herder, 1°62,p. 557) » (p.46)

 

Ayant le document, je suis allé vérifier. C’est bien exact. Le Concile de Florence, dans le décret pour les Grecs  - qui suit celui d’avec les Arméniens  - cite bien expressément le « Mysterium fidei » dans la formule de consécration. Il y est dit : « Mais parce que dans le décret des Arméniens rapporté ci-dessus, n’a pas été expliquée la formule qu’a toujours eu coutume d’employer, dans la consécration du Corps et du Sang du Seigneur, la sacro-sainte Eglise romaine, affermie par la doctrine et l’autorité des Apôtres Pierre et Paul, nous pensons qu’il faut l’introduire dans les présentes », En latin cela donne : « Illlam praesentibus duximus inserendam… ». « Duximus ». C’est le parfait du verbe latin « ducere ». Il vaudrait mieux traduire : « Nous estimons, nous commandons. « Nous pensons » me parait un peu faible. « Ducere », c’est le commandement. C’est le chef qui affirme…

Mais ce n’est pas tout.

 

Le cardinal ne s’en tient pas pour satisfait…Il poursuit sa démonstration de théologie positive. Là, pour le coup, il se veut exhaustif.

Il invoque, cette fois, le catéchisme  - le catéchisme « de référence », dit-il  - ce sont ses mots  - Je m’attendais à voir citer le nouveau catéchisme de l’Eglise catholique. Mais pas du tout ! Il cite le catéchisme du « Concile de Trente ». A la bonne heure ! Il donne toutes les références. Manifestement, quand il préparait sa conférence, le cardinal est allé chercher, dans sa bibliothèque, ce catéchisme. Il vous dit qu’au chapitre 9, au n° 21, à propos de l’Eucharistie…le catéchisme enseigne que « les mots « mysterium fidei » et « aeterna » viennent de la Sainte Tradition qui est l’interprète et la gardienne de la vérité catholique » (p.46)

 

Je regrette que le cardinal n’ait pas poursuivi sa lecture du catéchisme car il aurait aussi rappelé qu’en changeant de place cette expression très traditionnelle, les auteurs de la réforme liturgique, en changeaient le sens. Alors que le « mysterium fidei » placé dans la formule de la consécration porte sur la présence réelle qui vient d’être réalisée par l’énonciation de la formule consécratoire,  le « mysterium fidei » mis après la consécration  - comme acclamation populaire – dirige l’attention du peuple, non plus sur le mystère de la Transsubstantiation réalisée « hic et nunc », mais bien sur le retour en gloire du Seigneur qui est aussi l’objet de notre foi : « donec veniat ». Il y a, là, dans ce changement de place, une « malice », une « duplicité », une « ruse », une « équivoque ». La foi ici affirmée ne porte pas sur la Transsubstantiation mais sur le retour en gloire du Seigneur. Ainsi l’attention des fidèles  - et leur « participatio actuosa » - est détournée de la présence du Christ réalisée par  Transsubstantiation. Ils devraient adorer la présence réelle de Notre Seigneur Jésus-Christ sur l’autel, on leur fait acclamer le retour en gloire du Seigneur !

 

Voyez l’enseignement du catéchisme du Concile de Trente, p. 216 de l’édition d’itinéraires. .

 

Enfin le jugement du cardinal.

 

Fort de cet exposé très savant, le cardinal ne mâche pas ses mots et ses critiques contre les réformateurs. Il parle de « légèreté souveraine » d’un Lercaro, d’un Bugnini et de leurs collaborateurs.

« On peut à juste titre s’interroger sur la légèreté dont on fait preuve, ici, les collaborateurs du cardinal Lercaro et du Père Bugnini, avec nécessairement leur accord » (p.46). «Ils ont purement et simplement « ignoré », non seulement ignoré mais aussi « méprisé » l’obligation de procéder à une recherche historique et théologique exacte » (p. 46) ; C’est ce réclamait expressément, pourtant, le Concile Vatican II dans son article 23 de la Constitution liturgique (cf p. 36) Mais rien de tel n’a été fait et le cardinal de conclure et de  lancer une « suspicion » sur l’ensemble de l’œuvre réformée : « Si cela s’est produit dans ce cas qu’en aura-t-il été de cette importante obligation pour les autres modifications ». (p46)

 

C’est terriblement grave !

 

Nous nous trouvons devant une réforme « infidèle » à la Tradition.

 

Enfin, laissant la théologie positive, le cardinal s’élève à une considération doctrinale et pastorale tout à la fois que je pourrais résumer ainsi : cet oubli du « mysterium fidei » de la forme eucharistique, loin de favoriser et de développer le sens de la piété et de la vie théologale chez le peuple fidèle, favorise, au contraire, la « démystification »  constatée aujourd’hui ainsi que l’ « anthropomorphisation ». Rien ne vaut, rien n’est vrai que ce qui est rationnel. L’Eucharistie n’est pas à la portée de la raison. Elle est peut-être un simple symbole…. « Mais c’est aussi la raison pour laquelle l’exclusion du « mysterium fidei » de la formule eucharistique devient  - elle aussi – le symbole de la démystification et donc de l’anthropomorphisation de ce qui constitue le centre du culte divin :La Sainte Messe » (p.47)

 

Ce retrait du « mysterium fidei » de la formule de la consécration du vin est à l’évidence malheureux.

 

 

 

La participation vivante et active des fidèles.

 

 

Le cardinal en arrive enfin aux décisions des réformateurs quant à « la participation vivante et active des fidèles à la célébration de la messe (p.47)

 

On sait qu’on se plaignait beaucoup, avant le Concile, du manque de participation des fidèles à la messe. Aussi le Concile Vatican II a-t-il abordé le sujet dans deux articles importants : l’article 30 et l’article 48. Il en  donne les principes : « Le Concile a insisté particulièrement, dit le cardinal, sur la participation intérieure qui seule permet de rendre fructueux le culte ».(p.38)

 

Le cardinal donne alors son jugement sur cette fameuse « participation active » telle qu’aménagée par nos réformateurs.

 

Il est terrible.

 

Il s’exprime avec une pointe d’humour sarcastique et légèrement méprisante…Le pauvre Bugnini n’a vraiment pas fait une œuvre excellente…On comprend pourquoi il est resté sur le carreau…Au témoignage du cardinal : « le Père Bugnini avait été secrétaire de la Commission sur la liturgie pendant la période préparatoire du Concile. Comme son travail effectué sous la direction du cardinal Gaetano Cicognani n’avait pas été jugé satisfaisant, il fut le seul à ne pas être promu secrétaire de la Commission conciliaire correspondante ; cette fonction fut attribué au Père Antonelli, ofm, ultérieurement nommé cardinal » (p. 34)

 

Lisez, vous dis-je. Je ne peux me résoudre à résumer. Il faut tout citer : « Nous en arrivons ainsi au mandat donné aux réformateurs de promouvoir la participation vivante et actives des fidèles à la célébration de la  messe, un mandat qui, trop souvent, a été mal interprété et adapté à la mentalité actuelle. Comme toute la liturgie, ainsi que le dit expressément le Concile, le but principal de la messe est le culte de la divine majesté. Aussi le cœur et l’âme des participants doivent-ils en premier lieu être élevés et s’élever vers Dieu. Cela n’exclut pas que la participation se manifeste concrètement à l’intérieur de la communauté et vis-à-vis d’elle. Et c’est la raison pour laquelle, pour pallier l’absence de participation des fidèles dont on se plaignait si souvent avant le Concile, ce dernier a instamment demandé cette « actuosa participatio ». Mais si celle-ci dégénère en un enchaînement ininterrompu de paroles et d’actions, avec une distribution des rôles aussi large que possible afin que tous aient leur part à l’action, lorsque l’on en arrive à un activisme qui relève plutôt d’un rassemblement humain purement externe et qui, pire encore, juste avant le moment le plus sacré pour les participants : dans la rencontre individuelle de chaque fidèle avec le Dieu-Homme eucharistique, est plus bavarde et distrayante que jamais, la mystique contemplative de la rencontre avec Dieu, le culte qui lui est rendu avec la crainte respectueuse, la révérence qui doit l’accompagner toujours  - tout cela ne peut que mourir : alors l’humain tue le divin et emplit le cœur de vide et de désolation. Ce moment appartient au silence, qui est expressément prévu, et qui n’a gardé, difficilement, sa place qu’après l’action que continue la distribution de la communion, comme une petite feuille de vigne sur un grand corps nu. C’est ainsi que, reflétant la tendance actuelle de la conscience du monde à se limiter aux apparences, on voit se  développer dans l’Eglise un agir cultuel de conception humaine et projeté vers l’extérieur ».

 

 

Voilà donc un jugement général du cardinal sur la réforme liturgique « bugninienne ».

Mais après ce jugement général qui est une vraie condamnation de la réforme, le cardinal aborde des points plus particuliers : le latin, le grégorien, l’orgue...

 

 

Sur le latin

 

Le Cardinal exprime sur ce sujet, du latin, comme langue liturgique, son étonnement. Il ne comprend pas comment, après ce que demandèrent les Pères conciliaires sur ce sujet, on en soit arrivé à la suppression générale du latin et au triomphe des langues vernaculaires.

 

Ce passage de la conférence est fort intéressant. Quand je le découvris pour la première fois, j’étais moi-même dans l’étonnement…Admiratif. Il faut le citer aussi dans son intégralité. Il donne un témoignage historique, puis l’enseignement magistériel, enfin les arguments théologiques. Notre cardinal fut vraiment, durant le Concile, au cœur du problème-me.

 

Et tout d’abord, son témoignage personnel :

 

« A ce stade, il convient de mentionner une disposition du Concile qui a été non seulement mal comprise mais, plus encore, complètement répudiée : la langue cultuelle. Je me permettrai ici, une fois encore, d’étayer mon argument par un souvenir personnel. En qualité d’expert de la Commission pour les séminaires, on m’avait confié le rapport sur la langue latine. Il fut clair et bref et, après mûre discussion, rédigé sous une forme qui correspondait aux souhaits de tous les membres avant d’être soumis à l’aula conciliaire. C’est alors que, sans que l’on s’y attendît, le pape JeanXXIII signa en toute solennité, à l’autel de saint Pierre, la lettre apostolique « Vetera Sapientia », ce qui, de l’avis de la Commission, rendait superflue la déclaration conciliaire sur le latin dans l’Eglise : cette lettre présentait non seulement le rapport entre la langue latine et la liturgie mais encore toutes les autres fonctions de cette langue dans la vie de l’Eglise.

Lorsque, plusieurs jours durant, la question de la langue du culte fut discutée dans l’aula conciliaire, je suivis avec beaucoup d’attention tout ce débat, ainsi d’ailleurs que la discussion, jusqu’au vote final, des différentes formulations incluses dans la Constitution sur la Sainte Liturgie. Je me rappelle très bien que, à la suite de quelques propositions radicales, un évêque sicilien se leva et adjura les Pères de procéder, sur cette question, avec prudence et intelligence car, sinon, le risque était que la messe fût dite dans sa totalité en langue vernaculaire, ce qui fit bruyamment éclater de rire toute l’aula conciliaire. Et c’est pourquoi je n’ai jamais compris comment, dans ses Mémoires publiées en 1983, Mgr Bugnini, à propos du passage radical et complet du latin obligatoire à la langue vernaculaire comme langue cultuelle exclusive, ait pu écrire que le Concile avait pratiquement dit que la langue vernaculaire était, dans toute la messe, une nécessité pastorale (Op. cit. pp 198-121 dans l’édition italienne originale).

 

A l’encontre de cela, je puis témoigner que les formulations de la constitution conciliaire sur ce point, tant dans sa partie générale (Art 36) que dans les dispositions particulières relatives au sacrifice de la messe (Art 54) ont été approuvées quasiment à l’unanimité dans les discussions des Pères conciliaires et surtout lors du vote final : 2152 oui et 4 non ».

 

 

Ensuite l’enseignement magistériel sur le latin : « Au cours des recherches que j’ai effectuées pour préparer le rapport sur la tradition sur lequel devait s’appuyer ce décret conciliaire sur la langue latine,  j’ai constaté que toute la tradition était absolument unanime sur ce point, jusqu’au pape Jean XXIII : elle s’est toujours prononcé clairement contre toutes les  tentatives antérieures visant à renverser cet ordre des choses. Je pense ici en particulier à la décision du Concile de Trente, sanctionnée d’un anathème contre Luther et le protestantisme, à Pie VI contre l’évêque Ricci et le Synode de Pistoie, et à Pie XI qui, à propos de la  langue cultuelle de l’Eglise a prononcé un clair « non vulgaris ».

 

Là , le cardinal ne fait que citer mais  ses citations sont parfaitement fondées. Jugez en effet.

Le Concile de Trente enseigne dans son canon 9 dans sa 22 ème session : « Si quelqu’un dit…que la messe ne doit n’être célébrée qu’en langue vernaculaire…qu’il soit anathème ». Et dans son  chapitre doctrinal, au chapitre 8 de la même session, on lit : « Bien que la messe contienne un riche enseignement pour le peuple fidèle, il n’a cependant pas paru bon aux Pères qu’elle soit célébrée indistinctement en langue vulgaire ». Toutefois, ordre était donné aux pasteurs d’âmes de donner régulièrement des instructions pour expliquer le sens des belles pièces du missel romain.

 

Quant au pape Pie VI invoqué par le cardinal, on peut, de fait, citer, entre autres, la proposition 66 : « La proposition qui affirme qu’il est contraire à la pratique apostolique et aux conseils de Dieu, de ne pas préparer au peuple des voies plus faciles pour joindre sa voix à la voix de toute l’Eglise, si elle est entendue en ce sens qu’il faut introduire l’usage de la langue vulgaire dans les prières liturgiques, est fausse, téméraire, perturbe l’ordre présent pour la célébration des mystères, produit facilement de nombreux maux ».

 

Voici qui est bien dit. Voilà la vraie tradition catholique que Mgr Bugnini et son personnel devaient défendre et respecter et qu’ils n’ont pas défendu ni respecté.

 

Vraiment le cardinal prouve bien son jugement : « l’Ordo Missae, celui issu du Concile Vatican II, est radicalement nouveau », ne respectant pas la tradition catholique.

 

Il donne, enfin, les raisons justifiant le nécessaire maintient du latin dans la liturgie et

l’Eglise : « Il faut bien voir que la raison n’est pas uniquement d’ordre cultuel, même si cet aspect est toujours mis en avant. C’est aussi une question de révérence, de crainte respectueuse : comme le voile  recouvre les vases sacrés, le latin sert de protection contre la profanation  - à la manière de l’iconostase des Eglises orientales derrière laquelle s’accomplit l’anaphore  - et aussi contre le danger de vulgariser, en utilisant la langue vernaculaire, toute l’action liée au mystère, ce qui se produit effectivement souvent de nos jours. Mais cela tient aussi à la précision du latin, qui sert comme nulle autre langue la doctrine dogmatiquement claire ; au danger d’obscurcir ou de fausser la vérité dans les traductions, ce qui d’ailleurs pourrait aussi porter gravement préjudice à l’élément pastoral, si important ; et aussi à l’unité qui est ainsi manifestée et renforcée dans toute l’Eglise ».

 

« Toujours du point de vue pastoral, l’abandon du latin comme langue liturgique, à l’encontre de la volonté expresse du Concile, engendre une deuxième source d’erreurs, plus grave encore : je veux parler de la fonction de langue universelle qu’assume le latin qui unit toute l’Eglise, justement dans le culte public, sans déprécier aucune langue vernaculaire vivante. Et précisément à notre époque où le concept d’Eglise qu’on voit se développer met l’accent sur l’ensemble du peuple de Dieu considéré comme Corps mystique, un, du Christ, aspect d’ailleurs toujours souligné  dans la réforme, il se fait  que, par l’introduction de l’usage exclusif des langues vernaculaires, et même de dialectes, l’unité de l’Eglise universelle est remplacée par une diversité d’innombrables chapelles populaires, jusqu’au niveau des communautés villageoises et églises paroissiales qui sont séparées les unes des autres par une véritable différence de tension naturelle qui, entre elles, est et ne peut qu’être insurmontable. D’un point de vue pastoral, comment alors un catholique peut-il retrouver sa messe dans le monde entier, et comment peut-on abolir les différences entre races et peuples dans  un culte commun, grâce à une langue liturgique sacrée commune, ainsi que l’a expressément souhaité le Concile, alors qu’il y a tant d’occasions, dans un monde devenu si petit, de prier ensemble ? Dans quelle mesure alors chaque prêtre a-t-il la possibilité pastorale d’exercer le sacerdoce suprême de la sainte messe n’importe où, surtout dans ce monde où les prêtres sont devenus si rares ? ». .

 

 

Enfin le cardinal critique « l’introduction d’un cycle liturgique de 3 ans. C’est là « un péché contre nature » dit le cardinal. « Il ne fallait pas abolir le déroulement d’un cycle annuel » (p.53).  Toutes ces modifications, ces changements « ont condamné les remarquables mélodies grégoriennes valables à une mort lente ». Ce qu’il déplore : « Au mandat donné par le Concile de préserver et promouvoir le chant liturgique romain typique, très ancien, a répondu une épidémie pratiquement mortelle ». (p.53)  Comme il déplore la disparition de l’orgue : « remplacé par une multitude d’instruments (qui) ont favorisé l’introduction dans la musique religieuse d’éléments reconnus comme diaboliques ». (p.55)

 

Comme il déplore enfin les nombreuses « variantes autorisées » - vrai principe constitutif de la réforme liturgique  - qui « risquent de mener à l’anarchie qu’avait toujours si bien maîtrisé l’ancien ordo latin ». (p. 56)

 

« C’est ainsi que le nouveau garant de l’ordre  - le cardinal veut dire : « le Nouvel Ordo Missae  - devient, de soi, facteur de désordre ». « Aussi ne faut-il pas s’étonner que chaque paroisse, pour ne pas dire chaque église, semble avoir adopté un ordo différent. C’est là une constatation que l’on peut faire partout ».(p. 55)  Et qui entraîne l’irrévérence actuelle, la perte du sens du sacré et la superficialité. Tout cela étant grandement dommageable à la dignité du nouveau rite….

 

 

Validité de la réforme liturgique.

 

 

Quoi qu’il en soit de toutes ces critiques, le cardinal ne va pas jusqu’à affirmer l’invalidité du nouveau rite. Ce que nul d’entre nous n’a jamais affirmé.

« Pour éviter tout malentendu à propos de cette présentation de la réforme…je voudrais préciser expressément que je n’ai jamais mis en doute que ce soit dogmatiquement ou juridiquement la validité de cet Ordo : sans doute, d’un point de vue juridique, ai-je ressenti des doutes sérieux qui tiennent à ce que j’ai intensivement étudié les canonistes médiévaux, lesquels sont unanimes à dire que les papes peuvent tout changer, à l’exception de ce que prescrit la Sainte Ecriture, de ce qui touche aux décisions doctrinales de plus haut niveau déjà adoptées et du « status ecclesiae ».

 

Et ses doutes venaient  - viennent-ils encore, je ne sais, il n’en dit rien  - de ce que l’on « peut penser » que la liturgie relève du « status ecclesiae ».  Elle serait alors, sous ce rapport, immuable dans sa substance, immuable par essence. Mais le cardinal n’insiste pas. Il dit la chose. Il passe et en profite même pour dire immédiatement après, sa position pratique.

 

sa position pratique

 

« Je m’empresse de préciser que lorsque la nouvelle liturgie est célébrée avec révérence  -ce qui est toujours le cas, par exemple, à Rome et par le Pape lui-même  - les abus regrettables qui relèvent essentiellement de la divergence entre la Constitution conciliaire et le nouvel ordo, n’ont pas lieu (p57-58).

 

Là, j’étais étonné du jugement du cardinal. Je le suis encore en relisant. Il me semble contradictoire à tout son exposé précédant.

 

Que le nouvel « Ordo Missae » soit valide, nul ne le conteste. Mais que, parce qu’il est célébré avec révérence, cela fasse tomber tous les abus regrettables et qu’ils n’aient même plus lieu…Là je ne comprends plus.

 

La langue vernaculaire reste la langue vernaculaire qu’elle soit utilisée avec révérence ou non.. .

L’offertoire nouveau reste l’offertoire nouveau  -  le cardinal l’a décrit comme une vraie révolution dans l’Eglise  - qu’il soit dit avec révérence ou sans révérence.

 

La  prédominance du repas sur le sacrifice demeure,  quelle que soit la révérence du célébrant, fut-il le pape !

 

La modification de la formule de la consécration du vin reste ce qu’elle est : une véritable infidélité à toute la Tradition, qu’elle soit prononcée avec révérence ou non.

 

Et pensez-vous que l’abolition du grégorien et du chant polyphonique, de l’orgue, du silence, de la contemplation intérieure, pensez-vous vraiment que  tout cela favorise et nourrisse la « révérence » du peuple ?

Pensez-vous que l’abolition des signes de croix, des baisers de l’autel, des génuflexions  - ce que le cardinal déplore  - puisse favoriser plus grande révérence pour les mystères célébrés ?

 

Tout cela, Eminence, me parait contradictoire et peut-être même pusillanimité.

 

Je préfère la mâle autorité du cardinal Ottaviani demandant à Paul VI  - après l’exposé fait dans le Bref Examen critique  - l’abrogation du « Nouvel Ordo Missae » ou tout au moins « la possibilité de continuer à recourir à l’intègre et fécond missel romain de saint Pie V ». 

 

Je trouve cela plus cohérent

 

Et je constate  - là encore – une diversité pratique, corète du Magistère actuel dans l’application de la réforme,  certains demandant purement et simplement son abrogation, d’autres se contentant de demander  - malgré les insuffisances doctrinales graves  - qu’il soit célébré…mais avec « révérence ».

 

Malgré l’immense joie que j’ai eue à lire la conférence du cardinal Stickler, j’exprime, ici, ma déception profonde devant l’attitude pratique du cardinal. Il nous démontre que cette réforme liturgique n’est pas fidèle à la Tradition catholique sur des points majeurs, qu’elle s’en éloigne, qu’elle est sur bien des points, une  vraie révolution, qu’elle est « nouvelle », que l’aspect sacrificiel de la messe est presque éliminé…

Et comme attitude pratique, il se contente de dire  - ici  - que si elle est célébrée avec « révérence », il n’y a plus de problème. Tout rentre dans l’ordre !

 

Tout cela me parait très léger…

Oh, comme  je préfère le jugement pratique  - pastoral  - d’un abbé Dulac qui se plaignait, lui aussi de l’aspect « équivoque » de cette réforme. Il écrivait : « Nous avons été les premiers à démontrer le défaut radical, inguérissable du nouvel « Ordo Missae ». C’était le 25 juin 1969, quelques jours après l’apparition, en France de « l’édition typique » de cette messe réformée. Nous y sommes revenus bien des fois depuis cette date. Nos critiques étaient assez graves pour que nous ayons pu, dès le début, y trouver le motif d’un refus. Mais jamais, nous avons dit que la nouvelle messe était hérétique. Hélas ! Elle est, pourrait-on dire, pis que cela : elle est équivoque. Elle est flexible en des sens divers. Flexible à volonté.La volonté individuelle qui devient ainsi la règle et la mesure des choix ».

Ne serait-ce pas la « révérence «  dont nous parle la cardinal Stickler ?

 

L’hérésie formelle et claire agit à la manière d’un coup de poignard.
L’équivoque agit à la manière d’un poison lent.
L’hérésie attaque un article précis du dogme.

L’équivoque, en lésant l’ « habitus » lui-même de la foi, blesse ainsi tous les dogmes.

On ne devient formellement hérétique qu’en le voulant.

L’équivoque peut ruiner la foi d’un homme à son insu.

L’hérésie affirme ce que nie le dogme ou nie ce qu’il affirme.

L’équivoque détruit la foi aussi radicalement en s’abstenant d’affirmer et de nier : en faisant de la certitude révélée, une opinion libre.

L’hérésie est ordinairement un jugement contradictoire à l’article de la foi.

L’équivoque est dans l’ordre de ce que les logiciens appellent « le disparate ». Elle est à côté de la foi. A côté même de la raison, de la logique.

 

Eh bien, nous oserons le dire : il y a pire encore peut-être que l’équivoque. Il y a le substitut de la foi théologale, sa contrefaçon, son ersatz, son succédané sentimental.

 

Ce que le cardinal Sticklet appelle  - peut-être  - la « révérence »  dans la célébration du rite.

Et le plus détestable de ces succédanés, c’est celui qui dissimulerait l’artifice sous le vernis mystique, celui qui, dans le cas de la messe, masquerait l’indigence théologique ou sa carence formelle sous le sucre d’un mystère frelaté…

 

Ce que notre cardinal appelle –peut-être – « révérence »  , « piété » comme si l’émotion, l’ « expérience », « l’action » pouvaient suppléer aux omissions et aux équivoques de la foi intellectuelle « La sagesse mystique goûtant dans l’amour cela même que la foi atteint comme caché, nous fait juger et estimer de façon merveilleuse ce que nous  connaissons par la foi mais ne nous découvre aucun objet de connaissance que la foi n’atteindrait pas. Elle perfectionne la foi quant au mode de connaître non quant à l’objet connu ».

 

C’est Jacques Maritain qui écrivait ces excellentes choses en 1932. Le Maritain, non point de l’ »Humanisme intégral », mais celui des « Degrés du savoir ». (3 ème ed.,p.524)

 

Et il ajoutait : « C’est une désastreuse illusion de chercher l’expérience mystique  - ce que le cardinal appelle  -peut-être  - « révérence »   - en dehors de la foi, d’imaginer une expérience mystique affranchie de la foi théologale ».

 

Appliquez ces principes au « Nouvel Ordo Missae », conclut notre bon abbé Dulac, vous le condamnez d’une façon irrémédiable (Courrier de Rome, n° 47)

Là, cher M l’abbé Dulac, vous avez un jugement solide, pratique, fondé sur la meilleure théologie.

 

Ici, avec le cardinal Stickler et sa « révérence », vous avez un jugement mou, équivoque, libéral qui conduit la chrétienté à la mort.

Vous avez ainsi, aujourd’hui, un magistère non seulement divisé mais également inconséquent. Objectivement

C’est bien le moment, à mon avis, de pénétrer plus profondément dans l’Eglise au bénéfice, par exemple, de l’octroi d’une « Administration Apostolique» comme le proposait, en son temps, Mgr Lefebvre, en janvier 1988.

Alors nous pourrions donner plus facilement qu’aujourd’hui, un  peu de nerf à une restauration, ô combien nécessaire, de la liturgie catholique. C’est ce que ne doit pas vouloir celui qui est la « main cachée » de la Secrétairerie d’ Etat. ..

 

C’est pourquoi je ne suis pas absolument certain que les contacts entretenus par Mgr Rangel avec Rome aboutissent à un accord même s’il est souhaitable, en raison de leur intransigeance sur la messe…

Et si par aventure et providentiellement,t, cet « accord » aboutissait, il ne serait pas un accord mais bien une entrée, une poussée, un « cheval de Troye » dans l’Eglise… C’est ce Que certains doivent examiner, aujourd’hui, à Rome…

 

 

Le cardinal conclut enfin son exposé en parlant des « réalités officielles négatives, quoique dans une mesure limitée, à la réforme de la messe telle que publiée » (p. 57)

Certains ont pu reprocher «  la hâte incompréhensible » dans laquelle cette réforme a été « expédiée et rendue obligatoire ». Il cite le témoignage du cardinal Döpfner, archevêque de Munich (p. 57)

Il invoque l’autorité du cardinal Ratzinger et tout spécialement ses jugements exprimés dans son  dernier livre : « Ma vie » (Fayard, 1998) et « le Sel de la Terre ».

 

Il invoque également l’épiscopat allemant et surtout « le responsable des questions liturgiques auprès de la Conférence épiscopale d’Autriche  -il ne donne  pas son nom  - qui aurait déclaré, déjà en 1995, dans une conférence donnée à Cracovie, « que le Concile avait voulu, non pas une révolution, mais une restauration dans la liturgie qui fût fidèle à la Tradition. Au lieu de quoi  - ajoutait-il  - nous avons eu un culte de la spontanéité et de l’improvisation qui a sans aucun doute contribué à la diminution du nombre des participants à la messe » (p60)

 

Il invoque le cardinal  Dannéels.

En Italie, il invoque l’auteur de la « Tunique déchirée » (1967), Tito Casini.
Et aussi la réaction des laïcs d’ « Una Voce ». Des laïcs canadiens. Il cite une revue canadienne « Preciuos Blood Banner » : on y lit : « Il apparaît toujours plus clairement que l’extrémisme des réformateurs post-conciliares a consisté, non pas à réformer la liturgie catholique depuis ses racines mais à la déraciner de son sol traditionnel ; selon cet article, ils n’ont pas restauré le rite romain, ce que leur demandait le Concile Vativan II, ils l’ont déraciné ». (p. 61)

Il invoque le témoignage de Max Thurian « ancien prieur calviniste de Taizé, passé au catholicisme et ordonné prêtre » (p.61). Celui-là même qui, au temps de la réforme, avait déclaré que les Protestants pourraient bien célébrer la Cène avec ces nouvelles prières. Il cite et résume son article critique paru dans l’ »Osservatore Romano » quelques temps avant sa mort. Il avait bien évolué !

Il invoque le témoignage de Mgr Gamber. Vous en connaissez beaucoup de lui.
Puis, il termine, évoquant l’attitude pratique du Pape en cette affaire liturgique.

Il y a une évolution de l’autorité indéniablement en faveur de l’ancienne messe. Le cardinal pense le voir dans les textes récents du Pontife : la lettre « Quattuor abhinc annos » et le Motu Proprio « Ecclesia Dei adflica ».

 

Chers lecteurs, vous connaissez tous ces textes, nous les avons analysés de différentes manières. Il y a  une lueur d’espoir de gagner. Le cardinal Stickler conclut, en effet : « Ce texte (Ecclesia Dei Adflicta) adressé aux évêques, beaucoup plus libéral, nous permet de penser avec une confiance justifiée que, dans ses efforts pour rétablir l’unité de la paix, le pape ne reviendra pas sur ce qu’il a déjà fait mais qu’au contraire, il ira plus loin encore dans la voie amorcée, en particulier aux paragraphes 5 et 6 du Motu Proprio de 1988, pour instaurer une juste réconciliation entre la tradition inaliénable et un développement justifié par le temps ». (p.66)

 

A toi, cher lecteur, de la constance, de la force, de la détermination. La Tradition retrouvera avec l’aide de Dieu, un jour prochain, toute sa place dans l’Eglise.

 

 

Abbé Paul Aulagnier